L’Avenir en Numérique
Depuis la fin du XXIème siècle, le progrès s’est identifié à la croissance économique. Une
croissance qui liait augmentation des productions et création de richesses et donc au prix d’un
prélèvement croissant des ressources naturelles. Qui peut croire que nous pourrions indéfiniment
puiser dans la nature ces matières premières devenues rares et coûteuses sans mettre en
question ce modèle quasi mécanique selon lequel consommation et croissance économique ne
font qu’un !? L’écologie actuelle fait une erreur de casting, notre problème majeur n’est pas celui
de l’overdose de pollution, c’est le rationnement des ressources.
Les grands cycles de croissance sont bien terminés, hormis dans les états majors
gouvernementaux où ils relèvent encore de la pensée magique. Ne reste que le levier du
numérique accroitre la productivité des écosystèmes, pour inventer des modèles d’organisation
plus productifs et consommant moins de ressources matérielles. Un chambardement considérable
est en marche, comparable à celui provoqué par l’entrée de nos sociétés dans l’ère industrielle,
qui déstabilise les modèles socioéconomiques en place et engendre de fortes tensions sociales.
Nous y sommes1!
Nos systèmes ne vont pas continuer à croître, en dehors de situations locales spécifiques, ils vont
s’optimiser globalement. Grace à la numérisation du monde, nous sommes entrés pour de
longues années dans un cycle d’éco-efficience économique prédit par l’économiste russe Nicolaï
Kondratieff2. Notre cycle actuel serait celui d’une période « gestionnaire » qui suit, celle «
stratégique », des années 1940-1992. Inscrites dans un cycle du développement durable, nos
économies vont faire en sorte d’utiliser mieux les ressources existantes. On parlera d’améliorer
les performances des écosystèmes existants ou de les modifier pour qu’ils consomment moins de
ressources. Cette mutation s’inscrit dans les changements en profondeur et durables de
l’économie immatérielle et ses artefacts numériques.
demande qui n’a cessé d’augmenter alors que celle de l’Inde, l’Amérique du Sud et de l’Afrique
démarrent en flèche malgré la crise actuelle. Ces économies émergeantes ne peuvent appuyer
leur développement que sur une consommation croissante de ressources et d’énergies coûteuses.
La numérisation devient un atout pour ceux des pays qui peuvent en profiter pour réinventer
leurs industries et leurs organisations.
Les taux de croissance moyens des économies avancées n’atteignent plus les sommets connus
(entre 4 et 7%) des décennies précédentes. Avec la généralisation de la numérisation du monde
une transition majeure est en cours. Elle offre l’opportunité d’optimiser les bilans énergétiques
des nations dans les années à venir. Tel est l’enjeu des prochaines décennies 2020/2050. Pour
limiter leur dépendance aux énergies primaires, les nations comme les entreprises devront
réduire la consommation des biens tangibles de plus en plus coûteux et remplacer leurs esclaves
mécaniques par des esclaves numériques, virtuels, économes en énergie et en ressources
matérielles.
La France ne redeviendra pas un grand pays industriel.
Ne nous y trompons pas, les pays en développement qui poussent les feux de leur croissance
resteront les plus gros producteurs, les plus gros fabricants de la planète monde pour
longtemps4. Notre avenir est ailleurs. L’Asie est l’usine du monde et le restera. L’Allemagne a ce
rôle en Europe et la France ferait bien de cesser de vouloir lui prendre une place qui sans doute
serait chère payée sur le plan des investissements de rattrapage et qui pourrait s’avérer un
désastre sur le plan politique. En représailles, l’Allemagne pourrait bien contester un jour la place
de grenier de l’Europe à l’agriculture française et se tourner vers d’autres pays à l’Est, tout aussi
capables de produire et à moindre coût. La réalité sans fard c’est que nous n’avons pas su
préparer notre présence dans les industries du futur. Personne ne contestera l’importance de
protéger les entreprises ou les emplois les plus vulnérables vis-à-vis d’une concurrence
internationale sans cesse plus âpre. Pour autant le manque de visibilité – et donc de perspective –
de notre politique industrielle pour les vingt prochaines années reste pour moi une énigme. Le
personnel politique et les grands commis de l’État donnent le sentiment qu’ils ont une vision
désuète des industries du 21eme siècle. Malgré le tapage médiatique créé autour de la
netéconomie – terme qui a ma préférence sur celui de l’économie numérique5, dans leur grande
majorité, nos organisations actuelles sont encore pensées et bâties selon les modèles passés. Le
discours sur la combinaison de la puissance technologique et de la maîtrise de marchés de masse
domine encore les stratégies industrielles.
Ne nous trompons pas de combat
Nous devons renouveler notre vision des « industries » du 21eme siècle. Dans un contexte
international où la croissance va être fortement bridée par les limitations des consommations
énergétiques et de certaines matières premières, on peut s’attendre à une réorientation des
investissements vers les filières de la R&D et des produits ou services « économiseurs » de
ressources. Le capital se concentrera sur certaines industries et activités de services (d’usages
notamment) afin de produire de nouvelles richesses en grande partie immatérielles, cette fois !
Notre politique industrielle est-elle adaptée aux spécificités de ce que seront les industries du
21eme siècle pour les pays avancés ? Dans les dernières décennies du 20ème siècle, nous avons
assisté à la croissance spécifique du secteur des services au détriment de la fabrication. Déjà
comparer la « ré-industrialisation » des USA à celle possible de la France parait peu pertinente
sinon à faire plutôt la comparaison avec l’ensemble de l’Europe.
Ce tournant historique dans la structure des activités économiques aura engendré de nombreuses
études sur les évolutions des démographies industrielles. Elles sont souvent biaisées par les
difficultés de cerner correctement les frontières d’activités et leurs effets économiques et
systémiques. L’industrie c’est dé-massifiée et tertiarisée et l’on peut douter parfois des chiffres et
des comparaisons données. La redistribution des activités industrielles et usinières tient à des
facteurs complexes qui affectent les chaines de la valeur et donc le choix de l’installation des
activités de conception, de fabrication et commercialisation: coût de l’énergie, p arités
monétaires, coût travail, fiscalité, financements locaux, etc. Encore aujourd’hui, d’énormes
précautions s’imposent dans leur interprétation. Les migrations entre activités industrielles et de
services, les variétés nouvelles d’activités mais aussi leurs impacts économiques selon que les
entités analysées bénéficient ou pas d’effet de grappes, la localisation du siège, de la taille et de
la nature des services comptent aussi. Il ya donc une variabilité notable de la contribution
économique du secteur des services au PIB des pays de l’OCDE. Par exemple, aux États-Unis, où
l’on parle de ré-industrialisation, la part des services représente comme en France 80% des
emplois mais leur meilleure utilisation des opportunités de la netéconomie contribue à une forte
progression de leur PIB. Rien d’étonnant donc si la contribution du numérique à la croissance de
l’économie américaine (en % du taux de croissance moyen annuel) est de 26% en France contre
37% aux États-Unis.
Une transition majeure des écosystèmes socioéconomiques est en cours.
Le développement de l’économie immatérielle et de ses artefacts numériques modifient
substantiellement la manière de produire et d’utiliser nos ressources matérielles et notre
patrimoine immatériel. Avons-nous les postures intellectuelles et les organisations appropriées
pour tirer parti de notre créativité, de notre inventivité? Sommes-nous capables de faire fructifier
nos connaissances et faire de nos réseaux savants les précurseurs de nos exportations?
Le problème est que nous n’avons pas une pensée organisationnelle adaptée aux potentialités
offertes par les trois mutations qui transforment profondément nos sociétés. La domination
progressive de l’économie immatérielle, la numérisation du monde et le développement des
infrastructures de télécoms. L’oublier, oublier un seul de ces facteurs, c’est passer à côté du
sujet! Prenons le plan câble bien mal parti en France : La consommation énergétique de la totalité
des télécommunications représente moins de 1% de la consommation des esclaves mécaniques.
La Numérisation pour sa part contribue à l’éco-efficience globale des écosystèmes. Enfin
l’économie immatérielle incarnée par notre patrimoine d’expertises nous offre de quoi faire
rayonner la pensée française partout dans le monde. Seulement voilà : nous n’utilisons pas
pleinement la numérisation pour changer nos modèles organisationnels et revoir les réallocations
de ressources disponibles ou pouvant être économisées.
Une guerre des ressources qui ne dit pas son nom est engagée.
Les entreprises ont déjà su utiliser au mieux les technologies de l’information et de la
communication afin de réduire les stocks classiques des marchandises, en améliorant le « stock
tournant » (zéro délais, zéro stock, zéro défaut) tout en accélérant les cycles financiers grâce à
des politiques de crédits favorisant la consommation. Ce qui a soutenu la croissance. En parallèle,
l’information, l’expérience, les connaissances n’ont cessé de s’accroître en constituant une
matière première plus ou moins bien utilisée et une nouvelle source de revenus.
Selon une enquête de Pew Internet et d’American Life Project, 56% des personnes interrogées
considèrent que les applications de la Réalité Virtuelle vont contribuer à augmenter la
productivité. De son côté, le développement de l’e.administration devient non seulement une
source d’efficacité collective mais aussi une source d’économies d’énergie. La digitalisation de
l’économie aura permis d’enrichir les modèles socio-organisationnels. Mais savons-nous bien
utiliser ces potentiels ? J’en doute. “ Le développement d’un pays n’est possible que s’il existe
une convergence entre sa culture économique, sa culture technologique et sa culture
organisationnelle ”
4
rappelait opportunément Jean-Jacques Salomon dans “ La quête incertaine6 ”. Nous vivons une
révolution économique et industrielle d’un nouveau genre. Passer d’une civilisation où nous
disposions d’esclaves mécaniques à une situation où nous disposerions d’esclaves numériques ne
va pas de soi, c’est pourtant ici que nous devons saisir toutes nos chances !
L’économie y change de nature. Le signe domine la matière qu’elle économise. Avec la
téléprésence, la visiophonie, le télétravail, commercer avec le monde entier est à la portée de
chacun et plus seulement des entreprises organisées. Grâce aux marchés low cost, sur cette
planète numérique, avec ses possibilités d’échanges à coût marginal, des populations de gens
modestes et défavorisés peuvent bénéficier de l’accès aux savoirs et entrer dans l’ère de
l’économie des connaissances. La téléformation devient un produit exportable économiquement.
Les régions les plus reculées ne disposant que de maigres ressources peuvent accéder aux
bibliothèques virtuelles disponibles, aux ressources des laboratoires éloignés et aux programmes
scolaires mis en ligne un peu partout dans le monde. A l’avenir, l’enjeu ne sera pas d’avoir la plus
grande quantité d’ordinateurs et de technologies: elles sont accessibles à la planète entière. C’est
la qualité des organisations, l’efficacité globale, qui fera la différence entre entreprises et nations.
Les nations doivent adapter leurs industries à un nouveau modèle de croissance
Au cours de la dernière décennie, l’économie numérique a contribué plus largement à la
croissance aux États-Unis qu’en Europe ou en France. La France se situe au 20ème rang, derrière
le Royaume Uni (15ème) et l’Allemagne (13ème). La part de l’économie numérique dans le PIB
est de 4,7% en France, et de 7,3% aux USA. Au regard des performances américaines, la France
ne profite pas assez de la création de valeur et d’emplois que permettrait ce secteur de
technologie et de services : le retard est estimé à près de 100 000 emplois en France pour
atteindre le niveau des États-Unis en pourcentage de PIB7. Dès la fin des années 90 l’explosion
des télémétiers était bien visible et de nouvelles formes d’activités parfois surprenantes étaient
prévisibles. Les secteurs porteurs ne manquent pas qui n’ont plus grand- chose à voir avec les
manufactures de nos parents.
On peut s’interroger de savoir pourquoi l’industrie française reste à la traîne dans le domaine des
piles à combustibles, filière très prometteuse aux applications plus vastes que les accumulateurs
de voitures. Pourquoi le plan câble se traine depuis plus depuis 25 ans faute d‘une pensée
organisatrice et stratégique ? A ce jour, les opérateurs privés ne sont guère motivés pour
procéder à des investissements faiblement rentables qui profiteront surtout à leurs concurrents
fournisseurs de contenus et de services. La prometteuse filière « voltaïque » n’en finit pas de
prendre des coups au point qu’elle perd des milliers emplois. La « politique numérique »
affichée reste encore l’occasion de fournir des crédits à des grandes entreprises plutôt qu’à
soutenir des PME innovantes qui viendraient s’installer en France grâce à une politique fiscale
attractive. Le manque de visibilité – et donc de perspective – de notre politique industrielle, qui la
rendrait digne du siècle qui arrive, reste une énigme.
A la place d’un Florange en panne, les industries de transformation, de destruction et de
recyclage des alliages et des métaux devraient tourner à fond. Les régions devraient s’arracher
les installations de fermes de serveurs pour le Grid et le Cloud estampillés France. Une logistique
devenue absolument indispensable à la généralisation des applications de la réalité virtuelle et
des industries de la simulation fortement demandeurs d’emplois. Des outils indispensables aussi
au développement des enseignements à distance et de la formation par les « serious games », et
pour les productions médias. Un marché gigantesque bien supérieur à celui de la sidérurgie qui
lui-même évolue vers les produits très spécialisés à forte valeur ajoutée. Quels chiffres à
l’exportation pour nos Industries de la simulation, pour nos Nanotechnologie et autres métaux
spéciaux ? Quid du développement des industries de la Stéréolithographie, (outil de prototypage
rapide) qui sont en train de devenir des machines polyvalentes pour fabriquer à la demande ?
Combien encore pour notre chimie et notre biologie et la commercialisation des applications des
cellules souches ? Où en sont les ventes de nos experts en chirurgie réparatrice ? Que dire des
reconversions énergétiques et de l’exploitation des déchets ou de la gestion de l’eau que nous
proposons sur les marchés étrangers très demandeurs ? Et quid des développements français en
matière de robotique en milieux hostiles ou difficiles, du terra-formage des territoires, ou encore
des innovations des organisations urbaines ? Où en sommes nous de la vente de nos savoir faire
en matière de cybersécurité, de nos offres dans le domaine des infrastructures des télécoms
internationales, de l’Optoélectronique, de la Cartographie ou encore des applications de
l’Intelligence Artificielle ? Nous préparons nous au Web du futur en trois dimensions !? Où sont
nos laboratoires de R&D en matière de Vies et de mondes virtuels !? On pourrait à l’infini tracer
une cartographie des sciences et des techniques où la France a des places à prendre sans faire
appel à une vision passéiste de notre politique industrielle. La réalité est tout simple et cruelle, la
France est en déficit de l’offre sur les marchés internationaux.
Le « soft power » français reste aux abonnés absents
Mais il y a pire encore. A l’ère de l’économie quaternaire, des idées, de l’innovation qui font la
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