ÉDITORIAL Forum Med Suisse 2006;6:841 841 Le patient d’abord! – Vraiment? Reto Krapf Dimanche matin – 16 juillet 2006, 9h15. Il est temps de commencer la visite des patients non chirurgicaux de notre unité de soins intensifs interdisciplinaires (USI). Dans cette unité, les dossiers des patients ne sont pas sur papier. Toutes les données et informations peuvent être consultées au lit du patient ou dans les salles de travail du personnel soignant et des médecins. Je rassemble donc la médecin-chefe de l’unité et la responsable des soins, et m’apprête à me diriger vers le patient qui occupe la première chambre. Brusquement, je me retrouve seul. En effet, les collaborateurs ont pris place devant l’écran de l’ordinateur et commencent à examiner les événements de la nuit et les différents paramètres de mesure de ce premier patient. Alors que je manifeste ma surprise, on me répond que l’on procède toujours ainsi et que cela permet de mieux comprendre le patient. Exprimant mes doutes avec véhémence (cf. ci-après), je déclenche une vague d’étonnement et même d’incompréhension. Renseignements pris au sein d’USI équipées de manière analogue dans d’autres hôpitaux, il semble que cette pratique soit bien établie. Toute évaluation d’un paramètre ou d’un test diagnostique doit s’appuyer sur une bonne anamnèse et sur un examen physique minutieux. L’impression donnée par le patient (par l’évolution d’un patient déjà connu dans l’USI) permet – après seulement – d’interpréter ces paramètres de manière adéquate. Dans le cadre d’une procédure à caractère plus quantitatif, il est possible grâce à l’anamnèse/l’examen physique d’effectuer une estimation de la probabilité prétest puis, la sensibilité et la spécificité du test étant connues, de calculer la probabilité post-test (théorème de Bayes) en appliquant le «likelihood ratio». C’est ce que nous enseignons aux étudiants, aux assistants et lors de toutes les formations continues de praticiens. Il s’agit des principes essentiels pour une prise de décision optimale en médecine clinique. Sur le terrain toutefois, la pratique est autre et, de ce fait, dangereuse. Ne vous est-il jamais arrivé de consulter des résultats de laboratoire, des radiographies ou le rapport d’un collègue avant d’avoir vous-même parlé avec le patient et de l’avoir examiné? Est-il peut-être même arrivé que la consultation de ces documents remplace totalement ou partiellement l’anamnèse et l’examen physique? N’avez-vous jamais été confronté à un médecin-chef qui commence la présentation du patient par celle de la radiographie? Anamnèse et examen physique (sans oublier le suivi!) ne seront de qualité – tout au moins s’ils sont effectués par un personnel médical ayant relativement peu d’expérience – que s’ils le sont sans a priori ni préjugé. Actuellement, ces informations, dont la valeur et la propre pertinence diagnostique sont parfaitement documentées, sont totalement sous-estimées. On s’alarme plus volontiers à la vue d’une croix derrière la pression partielle d’oxygène que face à la tachypnée du patient. Cette approche, observée dans l’USI, est également l’expression d’un manque de confiance dans les capacités médicales fondamentales, face à un diagnostic d’une grande technicité, dont la précision est reconnue. Cette confiance en nous, nous devons tous, les collègues et nous-mêmes, la réapprendre par des formations et par l’exemple. Un thème (entre autres) pour l’assurance qualité.