UFR de Sciences humaines Département de psychologie Année universitaire 2016-2017 Polycopié UEP Licence 3 – Clinique de l’addiction Pr François SAUVAGNAT Mise en page : Miguel Angel SIERRA RUBIO Rennes, 2016 Table des matières I.Introduction............................................................................................................... 4 II.Quelques données historiques................................................................................. 6 III.Historique récent..................................................................................................... 7 IV.La problématique de l’addiction et ses origines dans la Rome antique : de l’esclavage pour dettes aux « toxicomanies sans drogues ».....................................12 V.Quelques données actuelles concernant les usages de toxiques...........................14 VI.Les classifications des drogues............................................................................. 15 1)Substance related disorder............................................................................... 17 2)Les troubles (biologiques) induits par des substances......................................17 3)"Les troubles du contrôle des impulsions".........................................................17 4)Sous-catégorie des troubles occasionnés ou déclenchés par une substance....18 VII.Quelles sont les limites de la notion d’addiction ?................................................19 1)Le cas du jeu pathologique............................................................................... 19 2)Quelques débats concernant l’addiction par le jeu...........................................22 3)Le problème des addictions sexuelles...............................................................23 4)« Addiction au crime »...................................................................................... 24 5)Association du jeu solitaire................................................................................ 24 VII. Les types d’explications des addictions..............................................................25 1)Les explications biologiques.............................................................................. 25 2)Les explications psychologiques et psychanalytiques.......................................25 a)Amélioration/compensation..........................................................................26 b)Les théories des pulsions.............................................................................. 26 c)L’usage de drogue comme médicament stabilisateur d’une pathologie plus lourde (Ferenczi)............................................................................................... 27 d)La toxicomanie comme stade infantile de développement...........................27 e)Lien entre adolescence et toxicomanie.........................................................28 f)Attachement et toxicomanie..........................................................................28 1 g)Conduite ordalique........................................................................................ 28 h)Transmission intergénérationnelle................................................................29 i)Comorbidité.................................................................................................... 30 VIII. Les types de traitements.................................................................................... 33 1)Les traitements religieux.................................................................................. 33 a)Les Alcooliques anonymes : Historique........................................................33 b)Programmes organisés sur le modèle des AA..............................................37 2)Le sevrage........................................................................................................ 40 3)Les traitements médicamenteux......................................................................41 4)Les pratiques de substitution........................................................................... 42 5)Les prescriptions de drogues (Matysiak, Mino, Touzeau)..................................43 6)Les psychothérapies......................................................................................... 43 7)Les changements d’ambiance..........................................................................44 8)Les associations d’usagers............................................................................... 45 9)Les traitements d’équilibre............................................................................... 45 IX. Bibliographie........................................................................................................ 47 1)Historique.......................................................................................................... 47 2)Neurosciences................................................................................................... 47 3)Classifications, définitions................................................................................. 47 4)Descriptions littéraires, mouvements artistiques..............................................48 5)Ouvrages caractéristiques de tendances françaises récentes..........................48 6)Alcoolisme......................................................................................................... 49 7)Tabagisme......................................................................................................... 49 8)Toxicomanie et délinquance.............................................................................. 49 9)Jeu pathologique............................................................................................... 50 10)Troubles des conduites alimentaires et addictions..........................................50 11)Sport et dopage.............................................................................................. 51 12)Psychanalyse................................................................................................... 51 13)Sociologie........................................................................................................ 52 2 14)Modes récents de traitement des addictions...................................................52 15)Alcooliques anonymes..................................................................................... 53 3 I. Introduction L'usage non-thérapeutique de toxiques est attesté aussi bien dans toutes les sociétés humaines que dans certaines sociétés animales. Dans les premières, les pratiques les plus constantes semblent adossées à certaines formes de pratiques religieuses, par lesquelles il s’agirait de dépasser les limites de l’expérience humaine et se rapprocher de divinités (par exemple l’usage de l’ayahuasca à des fins de rituels religieux dans les populations indiennes de la partie nord de l’Amérique du Sud). Il existe également un peu partout des pratiques non religieuses,dont beaucoup sont considérées comme « socialement acceptables », qui ne sont pas exemptes de danger : elles peuvent être – récréatives (cas de l’extasy), – festives (usages habituels de l’alcool de France lors de rencontres familiales ou amicales), – initiatiques (« binge drinking » lors de cérémonies de bizuthage, en particulier dans les universités nord-américaines), – voire franchement symptomatiques et l’alcoolisation solitaire massive. auto-destructrices, par exemple dans En outre, il faut se rappeler que toute drogue a été ou sera, à un moment ou à un autre, un médicament (tout médicament est également un toxique, les différences essentielles portant notamment sur le dosage et la fréquence des prises, en fonction des buts thérapeutiques et des effets secondaires du produit), et il n’est pas rare de voir un usage thérapeutique devenir plus ou moins insensiblement un usage addictif : ainsi, à partir des années 1950, l’usage des benzodiazépines comme anxiolytiques a été très longtemps considéré comme licite, alors même que ces substances provoquaient une forte accoutumance et un bénéfice thérapeutique qui n’était pas sans inconvénients (somnolence); au XIXe siècle, l’usage de l’opium était considéré comme relativement bénin, récemment dans plusieurs pays, l'usage des antidouleurs s'est avéré induire parfois des addictions etc. Le terme français drogue semble dériver du hollandais droog, qui veut dire sec (cf allemand trocken), au sens d’un résidu sec pouvant être mis en poudre à des fins d’usage pharmaceutique. Le même terme a donné l’anglais drug, qui veut dire à la fois drogue et médicament (on peut dire également, dans ce dernier sens, medicine). En français, le terme drogue est presque toujours péjoratif (ce que n’est pas nécessairement le terme anglais). En grec ancien, le terme pharmakon (d’origine 4 inconnue) veut dire à la fois remède et poison, et dans certaines circonstances, « bouc émissaire ». 5 II. Quelques données historiques Les dangers de l’absorption de substances toxiques ont été discutés depuis longtemps (l’intempérance est par exemple un des péchés capitaux reconnus par la théologie catholique du Moyen-Âge ; le Coran proscrit l’usage de boissons fermentées alcoolisées, etc). Ce n'est que très graduellement que cette question a émergé comme un problème de santé publique, et le plus souvent à travers le miroir déformant de l’opinion publique ou de la presse, qui ont tendu à en donner une présentation très particulière. La plupart des législations (dont la majorité sont punitives et non thérapeutiques) sont liées à des sentiments d’insécurité sociale, la substance interdite étant supposée entraîner certaines populations à des actes antisociaux: par exemple le Volstead Act, qui en 1918 a prohibé l’usage de l’alcool aux USA, a été très largement influencé par la crainte de la dangerosité des jeunes Irlandais dans les grandes villes (concrétisé par l’importance de gangs et mafias irlandais à l’époque). Il semble que le premier modèle médical de l’addiction remonte à Benjamin Rush (17461813), un médecin écossais devenu nord-américain. Formé à Edimbourg, médecin de l’armée américaine pendant la guerre d’indépendance, il décrit, dans un texte de 1785 resté célèbre, des symptômes caractéristiques de l’intempérance (gonflement du ventre, modifications du visage) et ceux de l’ivresse aiguë (grossièreté, violence) et également le coma éthylique. Il décrit deux types de morts violentes caractéristiques des buveurs excessifs : le suicide, et le phénomène quelque peu mythique de la « combustion spontanée ». Dans ce dernier cas, le sujet se consume pendant son sommeil, sans que les objets autour de lui ne prennent feu ; Rush voyait dans ce phénomène (très rare, et dû semble-t-il à un « effet chandelle », la graisse corporelle, servant à alimenter la combustion de vêtements d’une personne décédant accidentellement près d’une flamme, par exemple une bougie) une sorte de punition divine, le pécheur étant consumé par le « feu diabolique» de l’alcool. De façon intéressante, il note déjà que deux types de traitements sont possibles : – l’abstinence totale, tout en concédant qu’elle est difficilement réalisable pour des gens qui vivent en situation précaire, – des substitutions, par l’usage de substances moins toxiques, puisque la majorité des gens ne peuvent se passer de stimulants et fortifiants, donc prendre du thé, du café et de l’opium, perçu à l’époque comme une substance relativement bénigne. Nous allons voir que cette hésitation entre plusieurs modes de traitements s’est conservée jusqu’à aujourd’hui. 6 III. Historique récent Le XIXe siècle est au départ dominé par l'usage de "remontants", "élixirs" à base d'alcool et d'opiacés, en circulation dans toutes les couches de la société en l'absence de médications plus efficaces. On a ainsi retrouvé la pharmacie de la reine Victoria, qui contenait une quantité impressionnante d’opiacés. Par ailleurs des produits hautement toxiques sont d'usage courant non seulement comme traitements médicaux (ainsi l'arsenic a été utilisé comme un des traitements de la syphilis), mais également comme stimulants, en particulier dans les parties les plus défavorisées de la population. L’opium vient semble-t-il au premier rang (sous la forme de Laudanum, inventé une première fois par Paracelse à la renaissance, puis par Sydenham au XVIIe siècle, et dont l'usage s'est très largement répandu depuis), mais on a également des indications concernant l’usage, comme stimulants, de produits inattendus comme l’arsenic ou la strychnine. A partir du début du XIXe siècle, on voit monter, dans les milieux artistiques et mondains, un usage esthétisant et orientalisant de l’opium (De Quincey) et du du haschich (Théophile Gautier, Baudelaire, etc), lié à la vogue du "voyage en Orient". Enfin, la morphine fait l'objet d'un usage post-opératoire fréquent, notamment chez les amputés, en tant qu'analgésique, depuis son apparition dans les années 1830 – nous verrons que le problème des addictions entraînées secondairement par l’usage analgésique de la morphine reste encore actuellement une préoccupation majeure. Son usage par injection est rendu possible par l'invention de la seringue (Pravaz), et a malheureusement facilité un usage addictif chez les anciens blessés de guerre et dans certains milieux médicaux. A la fin du XIXe siècle, deux nouveaux produits font leur apparition: l'héroïne et la cocaïne, dans une ambiance où on insiste de plus en plus sur la productivité et où on popularise les exploits sportifs (création des Jeux Olympiques par Pierre de Coubertin). La première est présentée comme une véritable panacée, capable de guérir toutes sortes de maux, dont la tuberculose, grâce à ses vertus stimulantes (à l'époque, le seul espoir de guérison des tuberculeux réside dans un renforcement des défenses de l'organisme, les antibiotiques n'existant pas encore), son nom exprimant bien les vertus "héroïques" qu'on lui prêtait. Elle est également présentée comme pouvant être substituée à la morphine et susceptible d'éviter les effets délétères de cette dernière. Après l'euphorie accompagnant sa découverte, on s'aperçoit rapidement qu'elle provoque une addiction. Puis c'est la découverte de la cocaïne, produit dérivé de la coca, substance naturelle en usage comme fortifiant chez les Indiens de la cordillère andine. Ce produit sera d'emblée associé aux exploits physiques liés à la civilisation Inca (vie à très haute altitude, exploits architecturaux, capacité de se déplacer sur de très longues distances sans fatigue et avec une consommation minime de nourriture en mâchant la coca, etc), et on le fera d'ailleurs sans retard entrer dans la composition d'élixirs toniques, aphrodisiaques, etc, dont le fameux "Coca-cola", associant au départ un stimulant sud-américain (la coca) et africain (la noix de kola), ou le vin Mariani à la coca aujourd’hui disparu. Parmi les scientifiques qui ont tenté de faire valoir ses vertus, Sigmund Freud, alors neurologue, a joué un rôle important. La 7 cruelle déception ressentie devant les effets secondaires de la cocaïne (un de ses amis en est mort) a certainement joué un rôle dans l'implication de Freud dans la psychothérapie. L’analogie entre sexualité et toxiques restera présente dans sa conception jusqu’à la fin (du fait qu’il considérait que la libido pouvait être source d’ « addiction »). Ce n'est qu'au début du XXe siècle que la prise de conscience des effets sur la santé publique de l'usage de ces nouvelles drogues commence à avoir lieu; jusqu'alors, seuls les mouvements anti-alcooliques, dans les pays de tradition protestante, avaient appelé à une telle prise de conscience. On voit apparaître les traitements par sevrage, qui obtiennent un succès mitigé, alors même que les souffrances présentées par les patients qui y sont soumis ne manquent pas d'impressionner (syndrome de sevrage). Le XXe siècle sera marqué par neuf aspects principaux: (1) Continuation d'usages traditionnels de toxiques: consommation importante d'alcool en France, spécialement du vin, très bien tolérée par l'opinion publique et conçue comme un aspect essentiel de la culture locale, avec de solides racines religieuses et identitaires, qui ne sera remise en cause que très progressivement, notamment à la suite de la prise de conscience de l'importance des accidents de la route (plus de 20.000 morts par an dans les années 1970); alcoolisation massive le vendredi et le samedi soir dans les pays nordiques, traditionnellement sous-estimée dans les politiques de santé publique locales (voir l’étude récente sur la surconsommation d’alcool chez les femmes britanniques, qui semblent être les plus fortes consommatrices au niveau mondial); utilisation massive traditionnelle de spiritueux dans les pays russophones (instaurée officiellement par Pierre le Grand au XVIIIe siècle avec la mise en place de taxes sur la vodka et l’obligation de consommation publique massive, lors de cérémonies officielles); organisation de "régies" dotées d'un monopole (régie de l'opium dans l'Indochine française avant 1951; régie des tabacs en France ; monopole d’Etat de la commercialisation des boissons alcoolisées en Suède dit Systembolaget). (2) Structuration de filières criminelles écoulant et commercialisant différentes substances à des fins de profit: Mafia italo-américaine à partir des années 1920, puis apparition de narco-trafics appuyés sur des réseaux financiers et des organisations politiques dès avant les années 1950. Aujourd'hui, cette question des incidences politiques du narco-trafic et du blanchiment d'argent est un grand classique de la politique internationale, un nombre important d'Etats dépendant en fait économiquement de cette manne financière (par exemple: Afghanistan à partir de 2002). On estime actuellement que la masse d’argent « sale » mobilisé par le narco-trafic serait équivalente à la masse d’argent mise en circulation dans les circuits « autorisés ». (3) Apparition de nouveaux produits, dont la recherche est stimulée à la fois par la perspective d'applications thérapeutiques et militaires: les amphétamines ont été utilisées à la fois comme "drogues de combat" permettant d'éviter la somnolence, et comme stimulants visant à réduire les symptômes d'hyperactivité ou de 8 boulimie; le LSD a été expérimenté à la fois comme traitement éventuel de la schizophrénie, comme moyen technique militaire devant permettre de "débriefer" des espions ou agents doubles dans le contexte de la guerre froide (mythe du "Manchurian candidate"), et comme substance devant permettre de désorganiser une armée ennemie. La diversification de tels produits augmente actuellement sur un rythme de plus en plus rapide. (4) On voit apparaître un renversement d'un usage de recherche en usage récréatif ou mystico-extatique depuis les années 1950. Le mouvement "beatnik" lancé par l’écrivain états-unien d’origine bretonne Jack Kerouac restait d’une certaine façon dans la tradition esthétisante du XIXe siècle, mais avec des connotations nationalistes. Le terme « beat » faisait référence à la fois au rythme du jazz « bebop » (forme de jazz influencé par les rythmiques caribéennes et brésiliennes, apparu dans les années 1940) et à la béatitude dans la contemplation de la nature selon le mystique St François d’Assise (Italie XIIe siècle) -- complétés ultérieurement par des références orientales, notamment bouddhistes. Cette esthétique « beat » s’appliquait à la fois aux substances psychoactives, aux joies simples des ouvriers agricoles itinérants (« hoboes ») revécues à travers la pratique de l’auto-stop, à la pratique traditionnelle de pélerinages spirituels et… à la lutte contre la subversion (Kerouac était nationaliste). En revanche le mouvement "hippy" (terme tiré de l’argot « hip », qui veut dire drogue) qui lui fait suite et mélange thèmes de « libération » et mysticisme orientalisant est lancé à la fois par des artistes à la vie intérieure quelque peu chaotique (Allen Ginsberg, Cassidy) et par des chercheurs responsables de programmes militaires concernant l'utilisation de substances psychoactives (peyote, LSD) comme Thomas Pynchon ou Timothy Leary. Ces derniers ont en quelque sorte renversé leur perspective : chargés au départ de recherches militaires devant proposer des moyens chimiques pour porter la subversion dans les armées du bloc de l’Est, ils ont fini par proposer que tout un chacun découvre sur soi-même les effets de substances hallucinogènes. (5) Certaines pratiques médicales se sont longtemps situées à la limite de l'organisation de dépendances, notamment dans prescription de benzodiazépines aux propriétés fortement addictives, dans la distribution d'hypnotiques également addictifs aux personnes âgées, récemment dans la prescription de Ritaline aux sujets diagnostiqués "troubles de l'attention avec hyperactivité" (la composition de la Ritaline est proche de celle de la cocaïne), et finalement, tout dernièrement, dans la façon dont les consultations psychiatriques sont soumises à une orientation de la part de médecins généralistes, principaux prescripteurs de tranquillisants. Une hésitation semblable est notable dans la mode actuelle des traitements anti-douleur (qui, au-delà de leur motivation « humanitaire », consistent presque toujours dans l’administration de dérivés opiacés, peuvent secondairement provoquer une addiction). (6) Les usages sportifs, présents semble-t-il dès le début du XXe siècle, sont souvent présentés comme « préparation », « prise de vitamines », « reconstituant 9 après l’effort », etc. Il existe une ambiguïté entre usages purement médicaux et usages stimulants de certains traitements (par exemple dans le cas de l’usage de corticoïdes) ; mais en outre, l’usage d’hormones (notamment anabolisants) a été traditionnel dans certaines disciplines où la constitution de masses musculaires importantes est donnée comme essentielle. Ce sont surtout les disciplines impliquant des efforts particulièrement massifs comme la course cycliste et l’haltérophilie qui ont été désignées comme particulièrement perméables à ces pratiques, d’une façon qui limite quelque peu l’examen des faits. Il existe par ailleurs une hésitation sur la frontière entre traitement médical (de troubles survenus avant ou pendant la pratique sportive), préparation à l’effort, et pur et simple dopage. En outre, du point de vue des principes éthiques, on voit s’affronter des conceptions diamétralement opposées : pour certains, la pratique du sport est présentée comme synonyme de pureté physique et morale ; pour d’autres, au contraire, le sport constitue une « nouvelle frontière » (espace non encore régulé où de nouvelles conquêtes peuvent être faites), où toutes les potentialités de la chimie, de la biologie, de la recherche génétique pourraient être déployées, le sportif devenant alors une sorte d’ »homme bionique », de cobaye, etc. (7) On trouve des usages quasi institutionnalisés de toxiques dans certains milieux artistiques et du spectacle tout au long du XXe siècle dans la plupart des pays européens et américains. Ainsi l’usage de haschich et d’héroïne est attesté tout autant chez les jazzmen nord-américains dès les années 1920 que chez les joueurs de musique urbaine grecs (notamment du style musical dit « rebetiko »), et elle ne fera que se continuer par la suite. (8) On voit apparaître dès le début du XXe siècle une présentation "diabolisante" de l’usage de certains toxiques dans la presse, l'importance d'autres substances étant minimisée pour des raisons culturelles. Ainsi, la presse française présente traditionnellement l’usage de toxiques non alcooliques comme particulièrement dramatique et liée essentiellement à la problématique de l’adolescence et de la précarité, en passant régulièrement sous silence l’usage d’alcool, alors même qu’en termes de santé publique, la prévalence des toxiques non alcooliques reste très modeste. (9) Certains pays comme la France jusqu’aux années 1980 ou l’Iran ont longtemps opté pour une attitude très répressive (particulièrement contre les substances de fabrication étrangère…); la "guerre contre la drogue" a été depuis les années 1960 un slogan constant des USA à l'égard des pays latino-américains, d'une façon non dénuée d'ambiguité, d’autres ont adopté une attitude libérale (Pays Bas tout au long du XXe siècle, Espagne depuis les années 1980), d'autres enfins, producteurs de coca par exemple, ont plaidé pour une "décriminalisation" et pour l'arrêt de la "guerre contre la drogue". Au total, la plupart des attitudes vis à vis des substances psychotropes sont fortement marquées d'ambivalence: d'une part, il existe dans la plupart des pays une stigmatisation du "drogué", des dispositifs législatifs permettant d'obliger des personnes 10 toxicomanes à se soigner (par exemple, Loi de 1970 en France) et d'autre part une acceptation implicite de pratiques tendant à permettre leur usage dans certains milieux (milieux artistiques, anciens militaires, voire recommander l'usage de psychotropes pouvant provoquer une addiction). En France, le gouvernement cherche d’un côté à limiter les prescriptions et à les rationaliser, et de l’autre a cherché à obliger les personnes présentant des difficultés psychiques à consulter des médecins généralistes, dont on sait qu’ils sont des prescripteurs excessifs d’antidépresseurs, d’anxiolytiques et d'hypnotiques. Il ne faut jamais négliger la part du poids financier lié aux usages de psychotropes (rôle massif des « big pharma », firmes pharmaceutiques toutes-puissantes aux USA, dont le fonctionnement interne impose des marges de profit importantes, nécessitant des prix à la vente extrêmement élevés ; rôle plus discret mais néanmoins très important de ces dernières en France). 11 IV. La problématique de l’addiction et ses origines dans la Rome antique : de l’esclavage pour dettes aux « toxicomanies sans drogues » Ces dernières années, le terme addiction a tendu à remplacer progressivement celui de toxicomanie. Contrairement au terme toxicomanie, le terme addiction, qui désigne des comportements envahissants mettant en péril le fonctionnement d’un individu, ne renvoie pas nécessairement à l’usage de toxiques, mais fait référence à des formes de dépendance extrême, en particulier des formes d’esclavage provoquées par le sujet luimême. Cette problématique a été introduite par le psychanalyste états-unien d’origine hongroise Otto Fenichel, mais il n’a pas utilisé le terme addiction, qui n’apparaît dans ce sens qu’à partir des années 1960. Le terme moderne addiction a été formé à partir des mots latins suivants, qui restent encore actuellement souvent discutés dans les travaux sur les mécanismes psychiques de l‘addiction et ses conséquences juridiques (pas seulement à propos des jeux d’argent) : Addico (verbe) composé du préfixe ad (à) et du verbe dicere (dire, juger), qui a les sens suivants : – approuver, être favorable (en parlant des auspices, c'est-à-dire des signes du ciel interprétés par des devins) – adjuger, en particulier dans les cas de l’esclavage pour dettes (un débiteur pouvait devenir l’esclave d’un créancier s’il ne pouvait plus le rembourser), ou lors d’enchères publiques, – se dédier, se vouer, s’abandonner, ou abandonner quelque chose à quelqu’un ou à une institution – s’engager de façon définitive Addictio (substantif, sans aucun rapport avec « addition» !), qui veut dire adjudication par sentence, notamment du praetor, le magistrat suprême en matière civile. Addictus (substantif tiré d’un participe passé passif), c'est-à-dire esclave pour dettes. La procédure était la suivante : si un débiteur condamné à payer ses dettes par un juge ne s’acquittait pas de la somme due, il pouvait être détenu par son créancier dans une prison privée (où sa subsistance devait néanmoins être garantie par le créancier) ; après un délai de soixante jours, si la dette n’était toujours pas réglée, le créancier pouvait le mettre à mort ou le prendre comme esclave. Le texte de la loi des douze tables (premier code romain attesté, Ve siècle avant JC) permettait même, s’il y avait plusieurs créanciers… de couper en morceaux le débiteur ! (on n’en connaît pas d’exemple réel, il s’agissait semble-t-il plutôt d’une menace). 12 L’esclavage pour dettes pouvait également être contracté de façon plus privée (nexum ou nexus en latin, qui veut dire « noué », mais a été aussi compris en latin comme voulant dire neque suum, c'est-à-dire « aliéné à soi-même, ayant perdu la propriété de soi-même ») ce qui a été codifié par la loi des douze tables au cinquième siècle avant JC (table VI : « Si l’on fait un assujettissement pour dettes (nexum) et une acquisition de propriété (mancipium) comme il aura été déclaré, cela sera légal ». Dans ce cas, le débiteur fournissait comme garantie du prêt son propre asservissement ou celui d’un membre de sa famille dont il avait la responsabilité, jusqu’à extinction de la dette. En fait, l’extinction de la dette pouvait être déterminée par contrat (esclavage d’une certaine durée), mais en général l’esclavage était perpétuel, et le remboursement (et donc la libération) pouvait alors utiliser le peculium de l’esclave (pécule, c'est-à-dire gratifications facultatives fournies par le maître). Le nexum a été en principe aboli en – 342 ou -326 à l’occasion des guerres samnites (pour recruter des troupes lors de ces guerres des romains contre les Samnites, habitants des montagnes de la région de Naples qui s’étaient rebellés contre la puissance romaine). Ce type de problème semble néanmoins avoir perduré par la suite, les auteurs chrétiens (de plus en plus nombreux à partir du IIe siècle après Jésus-Christ) consacrant une partie non négligeable de leurs écrits à critiquer cet esclavage pour dettes. Les échéances des dettes dans le monde romain étaient très courtes et les intérêts énormes, faisant de ces dettes un problème social majeur pour les populations pauvres. Il existe plusieurs interprétations de ces faits juridiques romains, certains considérant que l’addictus et le nexus n’étaient pas de « vrais » esclaves (néanmoins cette opinion est ultraminoritaire parmi les chercheurs), d’autres au contraire insistant sur le caractère inhumain de ces pratiques (en s’appuyant notamment sur les premiers théologiens chrétiens). En principe, cette forme d’esclavage s’opposait aux formes résultant de faits de guerre (les esclaves étaient habituellement des prisonniers de guerre). Cette notion a été utilisée dans le domaine qui nous occupe pour caractériser ce que le psychanalyste hungaro-américain Otto Fenichel (1945) a appelé les « toxicomanies sans drogues », c'est-à-dire les cas où aucun apport de toxique n’était en cause dans une conduite caractérisée comme toxicomaniaque. Elle a permis de comparer systématiquement une dizaine de conduites impliquant une assuétude et une prise de risques combinées. Dans la classification statistique américaine (DSM), les addictions (non médicamenteuses) apparaissent dans une rubrique spéciale (Impulse disorders, c’est à dire troubles impulsifs, opposés d’une part à troubles de l’usage de drogues et médicaments et d’autre part aux troubles induits par des drogues et des médicaments) 13 V. Quelques données actuelles concernant les usages de toxiques L'usage excessif d'alcool et de drogues est reconnu comme un des quatre problèmes mondiaux principaux de santé publique (avec les cancers, les problèmes cardiovasculaires, les troubles psychiques) venant en tête des dépenses de santé. On estime que 5,4 millions de personnes, en France, feraient un usage régulier de psychotropes (chiffre très probablement sous-évalué); selon une autre estimation, environ trois millions de personnes utiliseraient des hypnotiques ou des tranquillisants sur prescription médicale depuis plusieurs années (et pourraient difficilement s'en passer). L'usage des drogues illicites en France: on estime qu'entre 200 à 300 mille personnes seraient toxicomanes dépendants. Le cannabis serait particulièrement utilisé de façon occasionnelle par 7 millions d'individus ; il existe néanmoins un débat sur la question de savoir si le cannabis provoque véritablement une addiction physique. En termes de risques: on estime que 60 000 morts par an seraient liées à l'usage du tabac (dont 5000 femmes, mais ce chiffre était en augmentation ces dernières années); en ce qui concerne les décès liés à l'alcool, on les estimait à 27 000 en 1995; 23 700 étant la conséquence de maladies, et 3300 liés à des causes indirectes (principalement des accidents de la route). Les décès liés à l'usage de drogues se répartissent de la façon suivante: 228 décès par surdose de drogue en 1997; 268 décès du SIDA après contamination par seringues lors de l'injection de drogues; on s'est aperçu récemment qu'une proportion non négligeable d'accidents de la route auraient été facilités par l'usage de cannabis, ainsi que par l'usage de tranquillisants. Traditionnellement, on note une assez forte contradiction entre les préoccupations de santé publique (où le problème de l'alcoolisme est très largement dominant, mais la lutte contre celui-ci se heurte à des lobbys économiques puissants) et les intérêts des cliniciens et de la presse, souvent passionnés par les toxicomanies non alcooliques, conçues comme plus « exotiques », moins « ordinaires » malgré leur impact relativement faible en termes de santé publique en France. 14 VI. Les classifications des drogues Deux classifications historiques sont très fréquemment citées : La classification de L Lewin (1924) distinguait entre cinq classes : – Euphorica (opium et dérivés opiacés de synthèse) – Excitantia (amphétamines, cocaïne, café à quoi on a rajouté depuis les antidépresseurs, le crack, etc) – Hypnotica, les somnifères – Inebriantia, les produits enivrants – Phantastica, produits délirogènes (cannabis, etc) La classification de Delay et Deniker (qui ont été les inventeurs des neuroleptiques, médicaments anti-délirants au début des années 1950) distingue trois catégories : (1) Les psycholeptiques, qui diminuent l’activité psychique : (a) Les neuroleptiques (anti-délirants) (b) Les tranquillisants (sédatifs, anxiolytiques) (c) Les hypnotiques (somnifères) (2) Les psychoanaleptiques (qui « élèvent l’esprit »), dont : (a) Les nooanaleptiques (qui augmentent la vigilance : thé, café) (b) Les thymoanaleptiques, c'est-à-dire les antidépresseurs (3) Les Thymodysleptiques, qui perturbent l’activité psychique ; ce sont les hallucinogènes, comme le cannabis, le LSD, les stupéfiants, l’alcool. Du point de vue légal, en France, on distingue quatre listes de substances, classées au regard de leur intérêt thérapeutique et de leurs risques addictifs : – Liste I : inclut la morphine et des substances toxicomanogènes qui sont néanmoins de vrais médicaments, avec des effets thérapeutiques reconnus – Liste II : des substances telles que la codéine, qui sont moins addictives que la morphine 15 – Liste III : les préparations de produits tirés des listes précédentes mais à des doses faibles – Liste IV : il s’agit de substances qualifiables comme drogues, sans intérêt thérapeutique reconnu. En ce qui concerne l’alcoolisme, deux classifications sont traditionnelles : – celle de Jellinek, qui distingue entre • type alpha : usage d’alcool comme automédication • type bèta : alcoolisation régulière comme « style de vie » • type gamma : ivresses aigues impulsives, avec perte de contrôle, • type delta : conséquences à long terme de l’alcoolisme de type bèta, en termes d’impossibilité d’abstinence • type epsilon : crises dans lesquelles le sujet ingère de quantités importantes d’alcool, jusqu’à tomber dans le coma, et de façon solitaire – celle de Fouquet, qui distingue entre • Alcoolite : la consommation régulière et excessive aboutissant à une addiction (correspondant à la fois aux types bèta et delta de Jellinek) • Alcoolose : ivresses aigues impulsives avec perte de contrôle, agressivité, et correspondant au type gamma de Jellinek • Somalcoolose : Ingestion massive et solitaire d’alcool jusqu’au coma (type epsilon de Jellinek). C'est en 1950 seulement que l'Organisation Mondiale de la Santé a tenté de définir la toxicomanie, notion qui a été remplacée en 1964 par celle de dépendance. La classification statistique états-unienne (DSM) est assez intéressante en ce qui concerne le repérage des divers types de troubles lié aux drogues. Il existe dans ce pays un intérêt majeur pour cette question, justifié par le fait qu’il s’agit du domaine géographique qui arrive régulièrement en tête des classements en terme de consommation de drogues. 16 Nous présenterons brièvement les différentes parties du DSM traitant des drogues. Dans sa dernière édition (DSM-IV TR), le manuel distingue entre trois types de troubles concernant les toxiques et les addictions: 1) Substance related disorder C’est à dire dépendance à une substance, avec « au moins trois des traits suivants » : a) la dépendance, définie par la tolérance (besoin d’augmenter les doses, la même dose provoquant des effets de moins en moins marqués), le sevrage, le fait que le sujet tend à prendre des quantités plus importantes qu’il n’en avait l’intention, un désir sans succès d’arrêter, la consommation importante de temps pour se procurer les substances, l’abandon de responsabilités sociales, familiales ou de pratiques récréatives pour se procurer la substance, et l’usage continu en dépit de conséquences personnelles fâcheuses. Il est distingué entre dépendance physiologique et psychologique, et divers types de rémissions : rémission précoce complète (après 1 à 12 mois), rémission précoce incomplète, rémission durable totale (plus de 12 mois) ou partielle, sous thérapie de substitution, en milieu contrôlé (prison, hôpital fermé). b) L’abus, défini par au moins un des éléments suivants : baisse marquée de la façon dont les obligations ont été remplies à cause de la substance, usage de la substance dans des circonstances dangereuses (conduire une voiture), problèmes judiciaires liés à l’usage, continuation de l’usage en dépit des conséquences. 2) Les substances troubles (biologiques) induits par des (a) Intoxication (b) Les troubles lors du sevrage 3) "Les troubles du contrôle des impulsions" S’inspirant des travaux d’Aviel Goodman sur les addictions, (en fait: impossibilité de résister à la tentation) non autrement spécifiés comprennent également le jeu pathologique, défini, à quelques variantes près, exactement comme l’abus de substances (il suffit de remplacer le terme « substance » par le terme « jeu »). Voici les critères DSM-IV pour le jeu pathologique : Pratique inadaptée persistante et répétée du jeu : 17 (1) Préoccupation par le jeu (2) Besoin de jouer avec des sommes d’argent croissantes (3) Efforts répétés pour contrôler, réduire ou arrêter la pratique (4) Agitation ou irritabilité lors de tentatives d’arrêt ou de réduction (5) Le jeu sert à échapper à des difficultés ou soulager une humeur dysphorique (sentiment impuissance, culpabilité, anxiété, dépression) (6) Retour au jeu après pertes pour se « refaire » (7) Ment à la famille, au thérapeute, etc pour dissimuler l’ampleur des habitudes de jeu, (8) Actes illégaux comme falsifications, fraudes, vols, détournements d’argent (9) Met en danger ou perd une relation importante, un emploi, des possibilités d’études ou de carrière (10) Compte sur les autres pour obtenir de l’argent et se sortir de situations financières désespérées. 4) Sous-catégorie des déclenchés par une substance troubles occasionnés ou En outre la majeure partie des catégories diagnostiques du DSM incluent une souscatégorie, dans laquelle on note que le trouble peut être occasionné ou déclenché par une substance chimique (par exemple : état délirant (delusional disorder termes correspondant à ce que les français appellent paranoia) déclenché par un abus de cocaïne). On remarque donc que les catégories qualifiant addictions et toxicomanies sont extrêmement abondantes dans la classification statistique américaine des troubles psychiques ; fait qui est certainement à mettre en rapport avec l’abondance des produits consommés localement. En revanche, la question de la co-morbidité (cas dans lesquels des troubles psychiques co-existent avec un abus de toxiques, et ne sont pas seulement « causés » par lui) est très mal repérée par la classification statistique DSM-IV (rappelons qu’ il s’agit d’une classification ayant avant tout un usage épidémiologique ; on veut surtout savoir quelle proportion d’une population a tel type de trouble provoquant des dépenses de santé : le diagnostic est donc fait « en gros »). 18 VII. Quelles sont les limites de la notion d’addiction ? A partir du moment où la notion d’addiction a été mise en avant, elle a été rapidement identifiée au jeu pathologique, puis à divers types de comportements qui en soi ne sont pas nécessairement pathologiques, voire même sont à peu près universellement considérés comme socialement bénéfiques, sauf dans le cas où ils en viennent à constituer un danger pour le sujet lui-même. Ont pu être considérés comme addictions : – en tout premier lieu le jeu, puisque de façon évidente il constituait une passion risquant de ruiner un individu, sa famille, ses proches, etc. – l’anorexie mentale et la boulimie – les paraphilies, dans les cas où elles entravent le fonctionnement personnel et social d’un individu, – la kleptomanie – la pyromanie – la sexualité compulsive – les achats compulsifs – le tabagisme, maintenant fortement associé aux toxicomanies – les tentatives de suicide à répétition – les efforts intensifs, et on rejoint ici le problème des liens entre certaines pratiques sportives et les addictions. On sait que le sport de haut niveau a longtemps toléré des usages massifs de substances pharmaceutiques dopantes. Il existe du reste un débat entre les tenants d’une « pureté » du sportif, et ceux qui considèrent que le sport devrait être un terrain d’expérimentation en matière de « préparation physique ». – l’addiction au travail (« workoholics » selon le terme nord-américain) dans les cas où le sujet s’avérait de plus en plus incapable de relations sociales ou de réalisations personnelles aux dépens d’un travail pas toujours récompensé. 1) Le cas du jeu pathologique Il s’agit avant tout d’une conduite collective, même si elle peut dans certains cas être solitaire (addictions à certains jeux automatisés, notamment sur internet) qui est soit légalisée soit illégale, avec des renversements dans la législation qui sont 19 particulièrement frappantes. Cette pratique repose dans presque tous les cas sur le gain (parfois) et la perte (très majoritairement) d’argent (au contraire des autres conduites addictives, où l’argent apparaît comme une donnée supplémentaire). Elle constitue donc le moyen de ressources très importantes pour ses organisateurs, et dans de nombreux pays constitue une part non négligeable de l’activité d’une bonne partie de la population (aux USA par exemple, les casinos constituent depuis la fin des années 1980 une ressource presque unique pour certaines tribus amérindiennes). Historiquement, les différents types de jeux d’argent ont pu alternativement être favorisés, voire rendus obligatoires (cour de Louis XIV, France XVIIe siècle) puis proscrits (actuellement en France, sauf dans des lieux spécifiques). Dans certaines sociétés, les jeux d’argents ont pu représenter jusqu’à la moitié de l’emploi du temps de certaines couches sociales (cas de la noblesse en France sous Louis XIV, se partageant entre le jeu et la guerre). Du point de vue financier, en France, les jeux autorisés se répartissent entre trois pôles : – Les casinos (154) qui totalisent un chiffre d’affaire de plus d’un Milliard d’Euros, les prélèvements de l’Etat étant de 50% environ. – Le PMU, qui gère les paris sur les courses de chevaux en dehors des hippodromes : 33 milliards de FF, l’Etat empochant 1 Milliards d’Euros environ. – La Française des Jeux, produits accessibles dans plus de 40 000 points de vente, qui tend à dépasser le PMU, bénéfice pour l’Etat plus d’ 1 Milliards et demi d’Euros Le problème de la pathologie : certains jeux sont très fortement socialisés (tombolas à l’occasion de fêtes,Loto traditionnel au sud de la France et en Italie, Bingo en Grande Bretagne, Toto Lotto en Allemagne, etc). et donc considérés par certains comme « socialisants » (constituant les seuls moments de socialisation pour certains), alors même qu’ils peuvent devenir l’occasion de pratiques pathologiques pour certaines personnes. Il existe une controverse qui est loin d’être réglée concernant la question de savoir si le jeu pathologique serait avant tout causé par les caractéristiques des individus concernés (c'est-à-dire si seuls les individus « à problèmes » seraient concernés), ou si au contraire presque tout le monde pourrait être atteint en fonction des caractéristiques des jeux et des caractéristiques des situations dans lesquelles se trouvent les individus. Les sociologues (p ex Igor Kusyszyn, Toronto) différencient entre : – « joueurs sociaux », pour qui le jeu garde la place du loisir (hobby), celui-ci pouvant être plus ou moins régulier, voir étant associé aux seuls moments de loisirs. – joueurs professionnels, personnes qui, ne faisant pas partie de l’industrie du jeu, en tirent des revenus substantiels, en particulier dans les jeux supposant une certaine initiative comme le poker. 20 – joueurs pathologiques, pour lesquels il y aurait un excès d’importance du jeu, au détriment d’autres investissements.Cette catégorie est plutôt embarrassante pour les sociologues, dans la mesure où elle ne répond pas à une catégorie sociologique précise. Un psychiatrie BJP Moran, a pensé pouvoir distinguer plusieurs types de joueurs : – type sous-culturel/ – type névrotique/ – type impulsif/ – type psychopathique/ – type symptomatique. Edmund Bergler, dans The psychology of Gambling, 1957, décrit le « gambler », joueur pathologique, opposé au joueur du dimanche, avec les caractéristiques suivantes. (1) Activité régulière, posant la question de savoir à partir de quand il joue « trop » (2) Le jeu prévaut sur tous les autres intérêts (3) Optimisme inentamé par les expériences d’échec (4) N’arrête jamais tant qu’il gagne (5) Malgré les précautions qu’il s’est promis de prendre au départ, il va finir par prendre trop de risques (6) Vécu subjectif de « thrill », de frisson, excitation à la fois agréable et inquiétante, qui fait l’objet d’une recherche frénétique (« craving ») On a également étudié les trajectoires de vie des joueurs Chatagnon ) en considérant quatre phases: (Custer ; Dupouy & – Gain, engagement dans le monde du jeu, croyance que ces gains vont réussir à résoudre ses difficultés existentielles préexistantes. Autre interprétation : le sujet déstabilisé par le monde de « possibilités » qui s’ouvre à lui. – Phase de pertes : le sujet va tenter de se refaire ; phase de besoin : besoin d’argent, besoin de rejouer. – Phase de désespoir – Ces phases seraient à long terme (10 ou 15 ans), avec une addiction progressive. Selon Custer, 4 types d’issue : 21 – Suicide/délinquance et incarcération/ fuite/ appel à l’aide. Selon ces auteurs, ces pratiques de jeu connaissent des phases parallèle à celles qu’on rencontre dans l’usage de drogues. Certains ont proposé une présentation du joueur pathologique comparable à la présentation de l’alcoolique selon l’association des Alcooliques Anonymes, selon laquelle il existerait une véritable identité symptomatique : de même que selon les AA, l’alcoolique le serait toute sa vie (il ne serait qu’un alcoolique en rémission ; s’ il arrête, il est promis à une chute inévitable et replongerait dans sa passion coupable au premier verre d’alcool, de la même façon qu’un pécheur qui ne pèche plus n’est qu’un pécheur en rémission passagère selon le christianisme). Selon ce type de conception extrême, critiqué par Rosencrance (1986), les choses se présenteraient de la façon suivante : (1) Il existerait une entité jeu compulsif, (2) Le joueur pathologique serait qualitativement différent des autres joueurs, (3) Perte de contrôle progressive, incapables d’arrêter de jouer, (4) On peut mettre en évidence une série de phases typiques : a) succès initial et attente irréaliste,b) succès diminue,c)besoin de continuer devient compulsion,d)l’argent devient un moyen plutôt qu’une fin,e)troubles psychologiques, culpabilité de perdre,f)quête (chase),tentatives d ‘abstinence,g)le joueur touche le fond. (5) Le jeu compulsif serait un trouble permanent et irréversible. Selon ce point de vue, estime Rosencrance, le seul traitement valable consisterait en une abstinence totale irréversible. 2) Quelques débats concernant l’addiction par le jeu La prévalence du jeu pathologique dans la population générale serait selon le DSMIII-R entre 2 et 3% de la population. Certaines recherches épidémiologiques, influencées semble-t-il par des firmes organisatrices de jeux aux USA (Lesieur) et au Canada (Ladouceur), ont cherché à démontrer que la prévalence serait en fait bien moindre. Ces 22 recherches ont été en butte à de vives critiques. En fait, il semble que la prévalence du jeu pathologique augmente lorsque le jeu est autorisé : le Nevada, célèbre pour l’importance de ses établissements de divertissement en tous genres, connaît une très forte prévalence, alors que l‘Iowa, moins bien doté de ce point de vue, connaît les chiffres les plus bas des USA. En Europe, le cas de l’Espagne attire particulièrement l’attention. 500 000 machines à sous, y sont présentes, c’est la première industrie du pays, qui comparativement tient le troisième rang mondial. Achour-Gaillard, dans une publication de 1993, montre que d’une façon générale les joueurs pathologiques sont presque tous des hommes (plus de 90%), entre 24 et 44 ans, en majorité mariés, qui ne jouent qu’à un seul jeu, sont rapidement surendettés, avec des altération de relations conjugales fréquentes ; ils commettraient des délits dans 20% des cas. Le débat le plus important, entre les tenants de la causalité individuelle (seul le « joueur pathologique » pose problème, les autres ne font que passer un bon moment sans s’engager dans des dépenses excessives) et les tenants de la causalité « par entraînement » (tout le monde est susceptible de devenir un joueur pathologique, tout dépend de l’amorçage) n’est nullement tranché. Néanmoins il semble évident que la multiplication des occasions tend à faciliter l’éclosion de pratiques pathologiques du jeu. 3) Le problème des addictions sexuelles Reed RC & Blaine DA, Sexual addictions, Holistic Nursing Practices, 1988, 2, 4: – phase d’obsession, liée à difficultés existentielles – phase de ritualisation, exécution de rituels avant comportement sexuel – phase d’agir sexuel avec soulagement temporaire – phase de désespoir, sentiment d’impuissance à contrôler conduite. DSM-IV, « trouble sexuel non spécifié », sorte de version officielle pour les USA de l’addiction au sexe. NI dysfonction, ni paraphilie (1) Sentiments prononcés d’inadéquation par rapport à la performance sexuelle (2) Désarroi par rapport à relations sexuelles répétitives impliquant une série de partenaires sexuels perçus comme des objets dont il se sert , (3) Souffrance marquée et persistante concernant l’orientation sexuelle. 23 4) « Addiction au crime » Iain Brown, in JE Hodge & coll, Addicted to crime ? NY John Wiley & sons, 1997 Selon Ressler, le meurtrier en série aurait en fait une addiction sexuelle, contredit par Helen Morrison (« génétique ») 5) Association du jeu solitaire Hikikomori ( 引 き 篭 り ) est un mot japonais désignant une pathologie psychosociale et familiale touchant principalement des adolescents ou de jeunes adultes qui vivent coupés du monde et des autres, cloîtrés chez leurs parents, le plus souvent dans leur chambre pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, en refusant toute communication, même avec leur famille, et ne sortant que pour satisfaire aux impératifs des besoins corporels, d'après les spécialistes. 24 VII. Les types d’explications des addictions 1) Les explications biologiques Nous évoquerons très rapidement les principaux aspects des causalités biologiques de la toxicomanie a) Est concerné tout d’abord le « cerveau neuronal » et ses neurotransmetteurs (dopamine, sérotonine, noradrénaline, acétylcholine, histamine). Certaines substances psychoactives miment l’action des neuromédiateurs et peuvent à certains égards les remplacer, ce qui provoquerait le mécanisme d’accoutumance. b) Est également concerné le « cerveau chimique », certains des produits absorbés dans le cadre de la prise de toxique ayant un rôle précis, qui peut être fortement accentué de cette façon. Ainsi les endorphines ont un rôle important dans la transmission de la douleur et des émotions (notamment dans le système limbique). Sont également concernés des mécanismes de vigilance, de régulation de l’humeur, d’attention, d’attente, etc. Tous ces mécanismes joueraient un rôle dans une voie finale commune de dépendance, que l’absorption du produit toxique serait à même de déterminer. L’aspect addictif lui-même dépend de deux facteurs à certains égards contradictoires : – La tolérance, c'est-à-dire le passage du plaisir au besoin par une insensibilisation progressive – La sensibilisation, consistant dans une appétence de plus en plus grande. 2) Les explications psychologiques et psychanalytiques Il existe au moins dix théories différentes visant à expliquer la toxicomanie ; chacune d’entre elles a une histoire particulière qu’il est intéressant de connaître. 25 a) Amélioration/compensation C’est un type de théorie qui tend à sous-estimer le problème de l’addiction. Il s’agit au départ simplement de la constatation que les drogues ont comme effet une amélioration momentanée des performances ; on suppose que la prise de drogues vient simplement améliorer ou renforcer une fonction biologique déficiente (une comparaison souvent faite consiste à comparer l’effet de telle ou telle drogue à l’usage de lunettes, permettant de corriger une myopie) ; dans ce cadre l’addiction n’est pas repérée comme telle (elle est sous-estimée), et l’usage répété de drogues est tout simplement considéré comme une habituation (réorganisation des réflexes pour réaliser une tâche nouvelle de façon automatisée). Une telle conception est présente dans les premiers écrits de S Freud sur la cocaïne (vers 1880), à l’époque où il sous-estimait le risque qu’elle entraînait. A noter que cette conception ne différencie pas entre drogues et médicaments. Ce type d’argument est régulièrement utilisé dans certaine présentations publicitaires de spécialités « problématiques » pour minimiser les risques d’addiction, par exemple dans les campagnes de promotion de la Ritaline, produit prescrit pour traiter certains troubles du comportement chez les enfants, mais dont la molécule est apparentée à … la cocaïne. b) Les théories des pulsions Freud à partir de 1890, considère qu’il existe une potentialité « naturelle » aux addictions chez l’être humain, qui est incarnée par les pulsions sexuelles. La théorie freudienne des pulsions sexuelles repose sur les observations pédiatriques du médecin de Budapest Samuel Lindner (1879), qui le premier avait entrepris l’étude systématique du suçotement chez l’enfant. Lindner avait montré que le suçotement n’était pas pathologique ni le résultat d’une mauvaise éducation. Pour lui, ce n’était pas seulement une « mauvaise habitude qui déforme les dents », mais avant tout une pratique liée à l’endormissement, et qui permettait aux enfants de se calmer lorsqu’ils étaient anxieux ; il notait également que dans certains cas, le suçotement pouvait être fortement lié à des pratiques masturbatoires (Freud n’est ni pour ni contre a priori, il constate simplement que dans certains cas cette pratique s’accompagne, même hors d’un contexte de condamnation religieuse explicite, d’un vécu de culpabilité envahissant). Freud utilisera entre autres cette étude pour montrer qu’une large part de la structuration du corps était liée au domaine des pulsions (structuration du corps à partir de ses orifices), et il découvrira qu’en outre les activités pulsionnelles sont immédiatement articulées à des fantasmes liés à l’histoire familiale (cette articulation est ce qui différencie la théorie freudienne par rapport aux conceptions sexologiques antérieures). A partir de là, on a chez Freud une conception « pulsionnelle » des addictions qui fait d’elles des équivalents masturbatoires, la masturbation étant comprise comme un « court-circuit » par rapport à une relation amoureuse « positive » concrétisée, qui implique toute une mobilisation symbolique mettant en jeu les positions du sujet par rapport au complexe d’Oedipe (Freud évoquera cette explication autant à propos d’addictions à des drogues qu’à propos d’addictions au jeu, lorsqu’il commentera par exemple le roman de 26 Dostoïevsky Le joueur dans son article Dostoïevsky et le parricide). Autrement dit, le sujet, insatisfait de ses relations affectives, amoureuses, etc, compenserait sa déception par le « court-circuit » de la satisfaction pulsionnelle directe, qui se teinterait de couleurs dépressives et auto-dévalorisantes, et s’incarnerait dans le jeu. De la sorte, toute déception tend à faire retourner le sujet vers ce type de « court-circuit », le cas extrême étant la schizophrénie, dans laquelle un psychiatre inspiré par Freud, le Suisse de Zurich Eugen Bleuler décrit en 1911 le « délire autistique », consistant apparemment en une renonciation totale aux relations intersubjectives, au profit d’un investissement « autoérotique » du corps (à noter que le terme « autisme » est en fait une réduction « présentable » du terme « autoérotisme »). Inversement, chez Freud, le fonctionnement des pulsions est fréquemment envisagé comme un risque d’addiction. Cette conception fait en quelque sorte des addictions un risque omniprésent (on sait que Freud lui-même avait une addiction au tabac), en tant que tentative « immédiate » de régler « corporellement » des problèmes affectifs interpersonnels. Cette conception sera reprise d’une façon particulièrement dramatisée par le psychanalyste états-unien d’origine hongroise Sandor Rado, lorsqu’il décrira d’une part le caractère destructeur des pulsions orales primitives mises en jeu dans la prise de toxiques (« orgasme alimentaire »), et l’alternance chez le toxicomane entre des moments d’élation (sentiment de triomphe) et des moments de dépression massive (pharmacothymie). c) L’usage de drogue comme médicament stabilisateur d’une pathologie plus lourde (Ferenczi). Un article de Sandor Ferenczi souvent cité concerne les cas où une paranoia (délire de persécution) est cachée et plus ou moins stabilisée par l’usage d’alcool, en particulier chez des soldats austro-hongrois. Ferenczi, qui a été un des psychanalystes les plus importants de l’école hongroise, a écrit un article pour protester contre des applications indiscriminées de mesures d’hygiène sociale contre l’alcoolisme. Il note en effet qu’un nombre important de sujets alcooliques, particulièrement dans l’armée austro-hongroise, sont en fait des psychotiques pour lesquels l’alcool sert tant bien que mal de stabilisateur (il n’existe pas de médicaments antipsychotiques à l’époque).Si on se contente de supprimer l’alcool, on va assister à l’éclosion de délires pouvant avoir des conséquences dangereuses. d) La toxicomanie comme stade infantile de développement La notion d’un stade infantile de développement particulier à la toxicomanie a été développée par le psychanalyste Edward Glover à partir des années 1930. Selon lui, il s’agirait d’un stade de développement précoce, antérieur à la résolution du complexe d’Oedipe, où la résolution des conflits se ferait de façon « magique », ayant une certaine analogie avec le développement du fétichisme. Cette idée selon laquelle il y aurait un type particulier de développement des toxicomanes a été repris en France par 27 Olievenstein, ancien responsable médical du centre Marmottan à Paris (ce qu’il a essayé d’appeler, de façon peu prudente, le « stade du miroir brisé »). dOn la trouve évoquée encore assez fréquemment. Néanmoins, cette théorie est fortement critiquée, avec les arguments suivants : on trouve des sujets toxicomanes ayant toutes sortes d’autres symptômes et surtout des structures psychiques extrêmement variées (de la névrose à la psychose la plus nette) ; et d’autre part, il existe des contraintes sociales qui facilitent l’entrée dans la toxicomanie (rôle de groupes de pairs chez les adolescents, entourage chez les artistes, rituels locaux chez les étudiants nordaméricains etc). A noter toutefois qu’ Olievenstein admettait cette multiplicité des déterminations (en considérant que la toxicomanie est la rencontre d’un produit, d’une situation et d’une problématique personnelle). e) Lien entre adolescence et toxicomanie Cette notion a été régulièrement évoquée de façon diffuse, à partir des années 1950 environ, lorsqu’on s’est intéressé de façon renouvelée aux types de troubles présentés par des bandes d’adolescents de milieux défavorisés faisant usage de drogues. Le phénomène n’est en fait pas nouveau, l’ouvrage classique sur la question (Thrasher: The Gang) date des années 1920, et son existence est déjà attestée à New York dès… 1860 ! Certains auteurs ont soutenu l’idée que la toxicomanie pouvait se fixer au moment de l’adolescence dans la mesure où c’est un âge de profonds remaniements où les buts sexuels tendent à se fixer de façon définitive. f) Attachement et toxicomanie Le lien entre attachement et toxicomanie s’est imposé d’emblée lorsque l’attachement a été défini en termes de sentiment de sécurité. A partir du moment où le sujet n’éprouve pas un tel sentiment de sécurité, il aura tendance à rechercher des compensations immédiates qui tendront à constituer pour lui la seule ressource sur laquelle il pourra s’appuyer de façon inconditionnelle (mais bien entendu à ses risques et périls !). g) Conduite ordalique La notion de conduite ordalique a été introduite par notre collègue Aimé Charles Nicolas (CHU Fort de France, Martinique) dans les années 1970, pour décrire un certain type de toxicomanie à la colle de maquettes d’avion propre à des préadolescents, comme une sorte de conduite d’appel. Il empruntait le terme au séminaire de J Lacan sur l’Ethique de la psychanalyse (1959-1960) où ce dernier l’appliquait au comportement du romancier et dramaturge DAF de Sade (fin XVIIIe-début XIXe siècle). Le terme ordalie vient du vieux norois (langue d’où sont issus les langues scandinaves actuelles) ordal, qui veut dire jugement ou épreuve (allemand Urteil, anglais ordeal). Le terme désignait 28 un « jugement de Dieu » traditionnel des populations franques (à noter que de très nombreuses cultures connaissent ou ont connu ce type de pratique, par exemple l’ordalie par le poison en Afrique occidentale), par lequel Dieu était mis en demeure de manifester si quelqu’un était coupable ou non, s’il avait tort ou raison (jugement par le feu, par l’eau, duel, ou confrontation d’un suspect au cadavre de la victime qui devait manifester un signe miraculeux en sa présence, comme par exemple se mettre à saigner brutalement, en allemand : Scheingehen). La plupart de ces méthodes (sauf le duel) ont été interdites par l’Eglise catholique au XIIe siècle, mais on considère en général qu’un certain nombre de pratiques continuent insensiblement à s’en inspirer. Lorsqu’on compare les addictions à des ordalies, on les envisage comme des « conduites à risque », où la prise de risque doit à un certain point déclencher une réponse « miraculeuse » concernant la valeur ou le destin des protagonistes, en constitue en tout cas une conduite d’appel. Il faut en outre remarquer que l’ordalie a des aspects « individuels » (le sujet interrogeant la divinité sur son destin particulier en se mettant en danger pour provoquer une réponse « miraculeuse »), mais également collectifs : la plupart des jeux collectifs ont une origine proche de celle du duel ordalique, où une petite équipe doit porter les couleurs d’une communauté. Par exemple, le jeu du calcio à Florence (province de Toscane, Italie) fait s’affronter (à coups de poing) deux équipes représentant des quartiers de la ville, ils se disputent accessoirement un ballon qu’il faut porter au but; la soule ou sioule était un jeu traditionnel de même type dans le midi de la France. Le foot-ball anflais (soccer) est une forme très modérée et policée de ce type de pratique. On a également évoqué la notion de pari, qui a fait en mathématique l’objet de formalisations importantes (théorie des probabilités, stratégie), et a été tout particulièrement appliquée en psychanalyse par J Lacan (à partir de 1953), en partant du fameux pari du mathématicien Blaise Pascal, écrit au départ pour servir de preuve de l’existence de Dieu. L’application qu’en fait J Lacan suppose que la plupart des actes qui engagent la vie d’un sujet reposent sur un pari similaire, le résultat favorable ou défavorable de chaque action quelque peu importante étant inconsciemment interprété comme « de bon augure » ou « de mauvais augure », le vécu du résultat immédiat étant beaucoup plus largement influencé par l’anticipation d’un avenir radieux ou désastreux que par le résultat brut. Cette application peut être considérée comme un développement de la théorie « pulsionnelle » freudienne concernant les toxicomanies (Freud associait déjà problématique pulsionnelle et addiction au jeu). h) Transmission intergénérationnelle On a souvent remarqué que les pratiques addictives ont une certaine prévalence familiale ; il est peu probable qu’on découvre un « gène de l’addiction»; en revanche les modèles parentaux jouent un rôle non négligeable dans la survenue des addictions. Par exemple, l’addiction d’un parent peut être (inconsciemment) considérée par le sujet comme une dette qu’il aurait à payer à ses propres dépens (en étant aussi malheureux que le parent en question) ou comme une limitation à ses propres réussites (s’il ne présente pas d’addiction, il « trahit » le parent en question). A noter que les addictions 29 médicamenteuses, très répandues en France, sont considérées comme "légales" même si elles ont fait l'objet de rapports alarmistes et répétés! i) Comorbidité La notion de comorbidité désigne le fait qu’un trouble psychique est rarement totalement isolé. Il peut, soit être associé à un autre trouble, soit couvrir, dissimuler un autre trouble, ou encore être déclenché par un autre trouble. En ce qui concerne les addictions, la prise en considération de cette comorbidité (notamment par Zafiropoulos) constitue en quelque sorte une généralisation et diversification de la conception de Ferenczi (l’alcoolisme comme « solution » de la paranoia). Cette prise en compte diversifie de façon très importante la compréhension des addictions. On peut également considérer qu’elle confirme et valide en quelque sorte la diversité des options concernant les traitements de la toxicomanie. Il faut considérer plusieurs aspects : – la symptomatologie et la structure profonde préalables à la prise de produits (toutes les formes de pathologie sans exception peuvent être là). – les diverses façons dont le produit est associé à des vécus subjectifs plus ou moins ressentis comme pathologiques. On peut décrire brièvement les types d’associations suivantes : (1) Addiction comme tentative de « couvrir », de masquer directement un trouble névrotique, psychotique ou pervers (2) Addiction précipitée par l’aggravation, la décompensation, d’une symptomatologie jusqu’alors discrète à la suite d’événements déstabilisants (3) Addiction permettant de « survivre » à des circonstances défavorables (traumatisantes), le rôle spécifique des symptômes plus personnels étant relativement discret (par exemple addiction associée à prostitution) (4) Addiction « obligatoire » dans un certain milieu, alors même que le sujet ne peut envisager d’alternative (5) Addiction résultant de mesures thérapeutiques (dite « iatrogène »), par exemple d’un traitement anti-douleur, du traitement de troubles du sommeil, sur quoi vont venir se greffer des motivations antérieures, par exemple névrotiques. (6) Addiction résultant de mesures d’ »amélioration de soi-même» (préparation sportive, mise en condition de présentateurs de programmes télévisuels, etc), le 30 sujet adhérant au départ pleinement à la prise de toxique, la symptomatologie personnelle étant alors souvent niée. (7) Recherche de toxiques dans le cadre d’une démarche pathologique, en particulier dans le cadre d’une flambée d’excitation maniaque, où le sujet a le sentiment d’être tout-puissant, veut avoir tout essayé, veut montrer qu’il est capable de supporter les produits les plus extrêmes, etc. Soit par exemple un sujet toxicomane et de structure psychotique. Il ne faut pas croire que tous les sujets toxicomanes et psychotiques prennent des drogues pour les mêmes raisons. S’il s’agit d’un sujet paranoïaque, le fait de prendre des toxiques peut correspondre à des positions très différentes par rapport à un fantasme fondamental de persécution, d'impossibilité d'être séparé par rapport à un Autre persécuteur par lequel le patient se sent envahi. Par exemple: (a) Se droguer sur injonction de l'Autre, par exemple obéir de façon immédiate à des hallucinations ou à des "indices" (intuitions ou interprétations délirantes). Le contenu de ces hallucinations ou intuitions peut être très variable. (b) Se droguer pour échapper à l'invasion par l'Autre, en instaurant une distance protectrice donnée par exemple par une certaine impression de bien-être ressentie sous drogue. (c) Se droguer pour s'identifier à un idéal (par exemple, un chanteur toxicomane célèbre), ou pour être initié aux splendeurs de la Jérusalem céleste. (d) Se droguer pour en finir de façon définitive, en s'unissant à un objet vécu comme "diabolique". (e) Se droguer pour retrouver certaines personnes avec qui une identification est possible, et avec qui le patient a l'impression qu'il se constitue une image du corps, en dehors des éventuelles hallucinations ou persécutions. (f) Se droguer pour donner une consistance particulière à un autre persécuteur auparavant ressenti comme délocalisé. Par exemple, le patient psychotique décrit par M. Zafiropoulos (in Le toxicomane n'existe pas, Navarin ed.), qui, lorsqu'il se trouve en Afrique est possédé, "chevauché" par un démon traditionnel localisant la jouissance, ce qui lui permet de se stabiliser tant bien que mal; arrivé en France, il se met à délirer, puis se stabilise en se droguant, pratique qu'il va comparer aux pratiques de possession traditionnelles. (g) Se droguer dans des moments où le sujet est stabilisé mais se sent vide, sans importance, etc. pour retrouver une thématique délirante grâce à laquelle il avait le sentiment d'exister. etc. etc. 31 Il est par ailleurs possible de passer d'une position à une autre. 32 VIII. Les types de traitements La question du traitement de la toxicomanie est certainement celle qui montre de la façon la plus convaincante à quel point la question de la guérison est peu unifiée. On voit en effet s’opposer au moins 9 positions différentes et souvent contradictoires à ce propos: 1) Les traitements religieux Il existe toute une série de mesures thérapeutiques qui sont directement inspirées par des considérations religieuses. La prohibition de l’alcool aux USA a originairement été promue par des associations de « Femmes chrétiennes pour la tempérance ». Des doctrines et des groupements religieux sont très régulièrement actifs dans ces domaines. a) Les Alcooliques anonymes : Historique La création des AA a été précédée d'une tentative de prise en charge psychothérapeutique d'un patient alcoolique américain Rowland Hazard III (en) qui s'était rendu chez Carl Gustav Jung qui l'avait traité pendant un an. Une rechute s'ensuivit et Jung refusa de renouveler le traitement mais conseilla à son malade de « vivre une expérience spirituelle ou religieuse seule capable de le remotiver ». Rowland H. adhéra alors aux Groupes d'Oxford et parvint à se rétablir. Il consacra sa vie à aider d'autres alcooliques dont un certain Ebby Thacher (en) qui vécut la même expérience et avec un autre ami, lui aussi rétabli, Bill W. (en). Ensemble, ils créèrent les AA 1. En mai 1935, Bill W. (William Griffith Wilson), principal fondateur du mouvement, rencontre le D r Bob (Robert Holbrook Smith : Bob Smith (doctor) (en)). Le 10 juin 1935, le Dr Bob prit son dernier verre d'alcool. C'est cette date qui a été retenue officiellement pour marquer le début du mouvement Alcooliques anonymes. Le nom du groupe provient du Gros Livre (titre original : Alcoholics Anonymous, surnommé Big Book). Dans les années 1960, Bill W., toujours abstinent mais souffrant de dépression, de tension nerveuse et d'insomnie, cherche une aide médicale et est soulagé de ces maux par le docteur Abram Hoffer (en), un proche collaborateur d'Humphry Osmond et un fondateur de la médecine orthomoléculaire. Enthousiasmé par les résultats obtenus avec 3 000 mg de vitamine B3, Bill W. reproduit l'expérience avec 30 amis membres des AA et obtient des résultats encourageants. Ces résultats lui confirment que les membres des AA devraient bénéficier d'un tel traitement, ainsi que ceux qui ne sont pas aptes à 33 se joindre aux groupes, étant incapables d'envisager d'adhérer aux 12 étapes. Il partagera ses préoccupations avec les médecins des AA 2 mais, suite à trois communications, il fut écarté d'AA International. Cet aspect de l'histoire des AA et de son fondateur est peu connue des adhérents du mouvement mais est documentée par les chercheurs en nutrition clinique. C'est à Bill W. que cette vitamine doit son nom 3. Joseph Kessel, par son ouvrage Avec les alcooliques anonymes4, un reportage sur les AA aux États-Unis, a contribué à les faire connaître en France et en Europe. Ce livre rapporte un voyage parmi des hommes en perdition qui s'emploient à aider leurs anciens compagnons d'infortune. Aux côtés de Joseph Kessel, le peintre Jacques Angot travailla à la diffusion en France du concept des Alcooliques anonymes en collaboration étroite avec les associations new-yorkaises. Les Alcooliques anonymes étaient originellement religieux (et une bonne partie du mouvement l’est resté), il s’agissait au départ de trois voyageurs états-uniens qui s’étaient rencontrés dans un hôtel à Akron, Ohio, et avaient discuté de leur problème d’alcool; leur technique inclut les fameuses «douze étapes» vers la renonciation au péché, à l’image des 12 stations du Christ sur le chemin de croix, avec confession de ses péchés devant le groupe, expression de regrets, imploration de la grâce divine, etc. Néanmoins, dans la plupart des techniques des Alcooliques anonymes présentes en France, cette dimension est masquée au profit du soutien au groupe ; l’alcoolisme n’est plus présenté comme un péché mais comme une « maladie incurable », tout alcoolique devant donc se soumettre à une sobriété absolue. Dans la technique américaine de départ, l’alcoolique était convié à remplacer l’alcool par la religion; il s’agit donc d’une forme de substitution. Au XXIe siècle, les AA sont présents dans 162 pays et plus de 100 000 groupes rassemblent environ 2 millions de membres. En 2011 on dénombre en France 591 groupes fréquentés par environ 7 000 membres selon un sondage. Ces groupes sont centrés sur une addiction ou compulsion et une seulement pour chaque groupe donné (« singleness of purpose »). Les participants se présentent comme « alcooliques », le but est l’abstention totale et la prévention de la rechute. L’anonymat est garanti par chaque membre participant ; l’usage du prénom s’est imposé. Les « étapes » étaient au départ au nombre de six : – Admettre que je ne peux pas contrôler mon alcoolisme – Reconnaître une puissance supérieure qui peut restaurer ma santé – Examiner les erreurs passées avec l’aide d’un guide (membre expérimenté) – Faire amende honorable pour ces erreurs – Apprendre à vivre une nouvelle vie avec un nouveau code de conduite 34 – Aider les autres qui souffrent du même alcoolisme, addictions ou compulsions En 1952, les 12 étapes étaient officialisées de la façon suivante: 1. Nous avons admis que nous étions impuissants devant l’alcool - que nous avions perdu la maîtrise de notre vie. 2. Nous en sommes venus à croire qu’une Puissance supérieure à nous-mêmes pouvait nous rendre la raison. 3. Nous avons décidé de confier notre volonté et notre vie aux soins de Dieu tel que nous Le concevons. 4. Nous avons procédé sans crainte à un inventaire moral approfondi de nousmêmes. 5. Nous avons avoué à Dieu, à nous-mêmes et à un autre être humain la nature exacte de nos torts. 6. Nous étions tout à fait prêts à ce que Dieu élimine tous ces défauts. 7. Nous Lui avons humblement demandé de faire disparaître nos défauts. 8. Nous avons dressé une liste de toutes les personnes que nous avions lésées et nous avons consenti à réparer nos torts envers chacune d’elles. 9. Nous avons réparé nos torts directement envers ces personnes dans la mesure du possible, sauf lorsqu’en ce faisant, nous risquions de leur nuire ou de nuire à d’autres. 10. Nous avons poursuivi notre inventaire personnel et promptement admis nos torts dès que nous nous en sommes aperçus. 11. Nous avons cherché par la prière et la méditation à améliorer notre contact conscient avec Dieu, tel que nous Le concevons, Lui demandant seulement de connaître Sa volonté à notre égard et de nous donner la force de l’exécuter. 12. Ayant connu un réveil spirituel comme résultat de ces étapes, nous avons alors essayé de transmettre ce message à d’autres alcooliques et de mettre en pratique ces principes dans tous les domaines de notre vie. Les douze traditions régissant le fonctionnement des différentes structures (et donc des groupes) et activités des « services » AA : 1. Notre bien-être commun devrait venir en premier lieu ; le rétablissement personnel dépend de l'unité des AA. 2. Dans la poursuite de notre objectif commun, il n'existe qu'une seule autorité ultime : un Dieu d'amour tel qu'il peut se manifester dans notre conscience de 35 groupe. Nos chefs ne sont que des serviteurs de confiance, ils ne gouvernent pas. 3. Le désir d'arrêter de boire est la seule condition pour être membre des AA. 4. Chaque groupe devrait être autonome sauf sur les points qui touchent d'autres groupes ou l'ensemble du Mouvement. 5. Chaque groupe n'a qu'un objectif primordial, transmettre son message à l'alcoolique qui souffre encore. 6. Un groupe ne devrait jamais endosser ou financer d'autres organismes, qu'ils soient apparentés ou étrangers aux AA, ni leur prêter le nom des Alcooliques anonymes, de peur que les soucis d'argent, de propriété ou de prestige ne nous distraient de notre objectif premier. 7. Tous les groupes devraient subvenir entièrement à leurs besoins et refuser les contributions de l'extérieur. 8. Le Mouvement des Alcooliques anonymes devrait toujours demeurer non professionnel, mais nos centres de service peuvent engager des employés qualifiés. 9. Comme Mouvement, les Alcooliques anonymes ne devraient jamais avoir de structure formelle, mais nous pouvons constituer des conseils ou des comités de service directement responsables envers ceux qu'ils servent. 10. Le Mouvement des Alcooliques anonymes n'exprime aucune opinion sur des sujets étrangers ; le nom des AA ne devrait donc jamais être mêlé à des controverses publiques. 11. La politique de nos relations publiques est basée sur l'attrait plutôt que sur la réclame ; nous devons toujours garder l'anonymat personnel dans la presse écrite et parlée de même qu'au cinéma. 12. L'anonymat est la base spirituelle de toutes nos traditions et nous rappelle sans cesse de placer les principes au-dessus des personnalités Voici les douze promesses des alcooliques anonymes (source: ''Gros livre'' pages 9495) 1. Nous serons étonnés des résultats, même après n'avoir parcouru que la moitié du chemin. 2. Nous connaîtrons une nouvelle liberté et un nouveau bonheur. 3. Nous ne regretterons pas plus le passé que nous voudrons l'oublier. 4. Nous comprendrons le sens du mot sérénité et nous connaîtrons la paix. 36 5. Si profonde qu'ait été notre déchéance, nous verrons comment notre expérience peut profiter aux autres. 6. Nous perdrons le sentiment d'être inutiles et cesserons de nous apitoyer sur notre sort. 7. Mettant nos propres intérêts de côté, nous nous intéresserons davantage à nos semblables. 8. Nous ne serons plus tournés exclusivement vers nous-mêmes. 9. Désormais nous envisagerons la vie d'une façon différente. 10. La crainte des gens et de l'insécurité financière disparaîtra. 11. Notre intuition nous dictera notre conduite dans des situations qui, auparavant, nous déroutaient. 12. Soudain, nous constaterons que Dieu fait pour nous ce que nous ne pouvions pas faire pour nous-mêmes. b) Programmes organisés sur le modèle des AA Fellowships in this section follow reasonably close variations of the Twelve Steps and Twelve Traditions of Alcoholics Anonymous. AA - Alcoholics Anonymous ACA - Adult Children of Alcoholics Al-Anon/Alateen, for friends and families of alcoholics CA - Cocaine Anonymous CLA - Clutterers Anonymous CMA - Crystal Meth Anonymous Co-Anon, for friends and family of addicts CoDA - Co-Dependents Anonymous, for people working to end patterns of dysfunctional relationships and develop functional and healthy relationships COSA - formerly Codependents of Sex Addicts COSLAA - CoSex and Love Addicts Anonymous DA - Debtors Anonymous 37 EA - Emotions Anonymous, for recovery from mental and emotional illness FA - Families Anonymous, for relatives and friends of addicts FA - Food Addicts in Recovery Anonymous FAA - Food Addicts Anonymous GA - Gamblers Anonymous Gam-Anon/Gam-A-Teen, for friends and family members of problem gamblers HA - Heroin Anonymous MA - Marijuana Anonymous NA - Narcotics Anonymous NAIL - Neurotics Anonymous, for recovery from mental and emotional illness Nar-Anon, for friends and family members of addicts NicA - Nicotine Anonymous OA - Overeaters Anonymous OLGA - Online Gamers Anonymous PA - Pills Anonymous, for recovery from prescription pill addiction. SA - Sexaholics Anonymous SA - Smokers Anonymous SAA - Sex Addicts Anonymous SCA - Sexual Compulsives Anonymous SIA - Survivors of Incest Anonymous SLAA - Sex and Love Addicts Anonymous SRA - Sexual Recovery Anonymous UA - Underearners Anonymous WA - Workaholics Anonymous Programs partially patterned after Alcoholics Anonymous Fellowships in this section use material from Alcoholics Anonymous, and credit its influence but do not necessary follow both the Twelve Steps and Twelve Traditions of AA. 38 Celebrate Recovery, Christian-focused twelve-step program for recovery from various behaviors Courage International, Catholic ministry which ministers to homosexuals GROW, a peer support and mutual aid organization for recovery from, and prevention of, serious mental illness Homosexuals Anonymous, group of people using a modified version of the 12 steps to help each other to live an ex-gay lifestyle Horizon Services, social service nonprofit based in the San Francisco Bay Area which uses the NA and AA models extensively, along with other methods of recovery LDS Family Services Addiction Recovery Program, program affiliated with The Church of Jesus Christ of Latter-day Saints that uses twelve-step principles Pagans In Recovery (PIR), compulsive/addictive behaviors Parents Anonymous (PA), for parents who have abused children Schizophrenics Anonymous (SA), for people who are affected by schizophrenia for neopagans recovering from various Selon les cultures, cette forme de substitution de la religion à la toxicomanie est soit considérée comme bénéfique (notamment aux USA, l'ex-président George W Bush, ancien alcoolique et usager de cocaïne, a eu recours à cette technique ; ou encore en Italie, où la plupart des programmes d’aide aux toxicomanes sont dirigés par des ordres religieux) ou comme abusive (notamment dans les pays où la religion doit rester strictement du ressort de la vie privée comme la France). Dans de nombreux cas il y a une hésitation entre l’acceptation de ce type de traitement et sa condamnation comme organisant une dépendance religieuse ou sectaire pouvant être au moins aussi dommageable que la toxicomanie. Ainsi, jusqu’à la fin des années 1990 en France, un des principaux récepteurs de fonds publics destinés à la lutte contre la toxicomanie était une association appelée « Le patriarche », dirigée par un gourou actuellement réfugié en Amérique Centrale pour échapper à des assignations en justice (Engelmeyer), qui régentait la vie des pensionnaires de ses institutions de façon autoritaire ; les fonds publics ont été coupés suite à des accusations d’abus sexuels portés contre le responsable de la secte. Aux USA, le mouvement Synanon se présente comme une sorte de secte paramilitaire dans laquelle le quotidien des membres est entièrement régenté par des règles de vie très strictes, qui ont donné lieu à de nombreuses protestations. Dans ces cas, il est sensible qu’une addiction a été remplacée par une autre, dont l’acceptation dépend de critères 39 sociaux tout à fait disparates : jusqu’à l’accusation d’abus sexuels, les critiques envers l’association Le Patriarche étaient tout à fait discrètes alors même que ses méthodes étaient connues. L’argument soutenu était que les toxicomanes seraient un type de population que ne pourrait vivre sans des contraintes étroites; l’emprise de la secte était alors vue comme une solution acceptable pour des populations considérées comme irrémédiablement dépendantes. 2) Le sevrage il a été longtemps conçu comme étant non seulement une technique par laquelle le corps acceptait progressivement de ne plus recevoir l’appoint extérieur de toxiques, mais également une technique ayant une certaine valeur punitive. Il consiste essentiellement en un isolement total du toxicomane, en lui fournissant le moins de médications possible, si ce n'est des agonistes qui rendent la prise de drogue sans effet. Il a longtemps été considéré en France comme la seule technique officiellement recevable. La plupart des programmes thérapeutiques en institution comprennent un sevrage, qui s’accompagne de diverses techniques thérapeutiques supplémentaires. Parmi les traitements comportementalistes classiques, on cite habituellement la «cure de dégoût», dans laquelle les patients alcooliques, après avoir reçu un médicament rendant peu tolérable l’absorption d’alcool (Espéral), devaient absorber de l’alcool qu’ils ne pouvaient que vomir. L’opération était répétée plusieurs fois de suite, jusqu’à ce que le thérapeute juge qu’une habituation ait été intégrée. Le «traitement criminologique » de la toxicomanie, encore assez fortement ancré en France, repose sur l’idée que la prise de toxiques est avant tout un acte anti-social, délinquant, etc, dont le seul vrai « traitement » serait une incarcération, où, imagine-t-on, le sujet serait soumis « automatiquement » à un sevrage. Mais dans les faits, on sait que les drogues circulent très couramment en prison, ce qui rend très illusoire ce point de vue. Cette conception traditionnelle impliquait également souvent l’idée que le toxicomane qui était incapable de rompre avec la drogue serait « irrécupérable », son décès étant alors implicitement considéré comme « inévitable ». On était donc alors dans la perspective d’une diabolisation du toxicomane, qui bizarrement « oubliait » de discuter un autre problème d’addiction qui au même moment faisait rage : celui provoqué par les benzodiazépines (anxiolytiques), sous ordonnance médicale. Dernièrement, ce type de traitement, dont les résultats restent souvent modestes si les motivations de changement ne sont pas très décidées chez le patient, a trouvé une réalisation légèrement différente avec le "Minnesota treatment" (Jellinek, Mc Crady,Spicer), traitement en interne, avec procédures de sevrage soutenues par de nouvelles prescriptions, groupes de parole, ateliers divers, soins corporels. Il est associé au modèle « monosymptomatique » du Minnesota Il s’agit d’un modèle assez prévalent aux USA, insistant sur trois aspects 40 – L’addiction comportementale est conçue comme une « maladie physique, mentale et spirituelle (sic)», indépendante d’autres troubles psychiques ou physiques (la co-morbidité n’est pas considérée comme un aspect important) – L’insistance est mise sur la perte de contrôle (craving), la dépendance psychique et physique, qu’il s’agira d’empêcher, lors du traitement, en induisant des « changements de croyances », des apprentissages d’habiletés nouvelles (dans le style des thérapies comportementales/cognitives), en s’appuyant largement sur la méthodologie des « twelve steps » (des Alcooliques anonymes). – Le traitement débouche sur: vigilance à vie et maintien de l'abstinence Ce type d’approche se donne lui-même comme particulièrement contradictoire avec le traitement par drogues de substitution et avec les divers traitements psychanalytiques. Il s’agit uniquement de traitement résidentiel. Il s'agit donc d'une pratique traditionnelle locale, sans nouveauté particulière, (connue comme "traitement des stars hollywoodiennes") dont l'efficacité est assez limitée. 3) Les traitements médicamenteux Il est bien connu que certains usages de toxiques sont sous-tendus par des motifs thérapeutiques, l’usage de drogues constituant en quelque sorte une auto-médication. Une des solutions proposées est alors de prescrire au toxicomane un produit réputé pouvoir améliorer les symptômes sous-jacents à sa prise de toxiques. On prescrira ainsi des neuroleptiques à un toxicomane psychotique, des antidépresseurs à un toxicomane dépressif, des anxiolytiques à un toxicomane anxieux. Récemment un nouveau neuroleptique, le Baclophène a été autorisé à titre expérimental , comme solution du "craving" alcoolique, à la suite de campagnes de presses organisées par un célèbre médecin lui-même alcoolique, O. Ameisen (décédé depuis). Théoriquement, cette tactique semble souhaitable ; dans les faits elle se heurte à quatre types d’objections : I. Il existe une part subjective importante dans les effets de prises de produits chimiques (effet placebo, estimé à au moins 30%, mais pouvant aller selon certains jusqu'à 80%), et de ce fait un sujet peut ressentir davantage d’effets d’un produit « illicite » que d’un produit licite. II. Certains produits licites peuvent être utilisés de façon toxicomaniaque (par exemple la Ritaline, utilisée comme traitement de l’hyperactivité-troubles de l’attention, est également vendu dans les réseaux de trafic de stupéfiants, car c’est un produit proche de la cocaïne). Il existe par ailleurs environ 3 millions de personnes en France ayant développé une accoutumance embarrassante à des produits prescrits par leur médecin (spécialement les hypnotiques et anxiolytiques). 41 III.L’effet « thérapeutique » de certaines drogues peut être lié à des motivations « ordaliques », à l’aspect « aventureux » de l'usage du produit, etc. Ce qui induit un refus de substances licites considérées comme « banales ». IV.L’accent mis récemment sur le traitement de la douleur (de nombreuses maladies entraînent des douleurs à long terme, alors même que le ressenti de la douleur peut être à la fois déterminé par des mécanismes biologiques et par des mécanismes psychiques), conduit à augmenter l’usage de dérivés opiacés, et donc malheureusement à induire chez certains sujets une toxicomanie secondaire (dont la presse se garde bien de parler)… qui à son tour tend à être traitée par des traitements de substitution! 4) Les pratiques de substitution Ces pratiques se sont imposées de plus en plus lorsqu’on a accepté de prendre conscience de l’inefficacité des pratiques de sevrage autoritaires, en particulier en matière de consommation d’héroïne. La substitution par la méthadone a été lancée progressivement à partir de 1963. Il s’agit d’un opiacé de synthèse dont la durée d’action est très longue, qui a pour effet de saturer les récepteurs aux opiacés (récepteurs m) et permet de mettre fin tant au syndrome de manque qu’au « craving » (recherche effrénée) de drogue. Elle permet un suivi étroit des patients, par une délivrance régulière et une absorption devant le soignant. Les succès connus concernent la possibilité de réinsertion sociale et de sortie de la délinquance lorsque celle-ci est motivée par la nécessité de se procurer des fonds visant à la consommation de drogue. Néanmoins, ce produit a été critiqué à cause du fait qu’il était possible de le transformer pour se l’injecter (il a fait l’objet de trafics illégaux), et qu’une overdose était possible. On a eu tendance à le remplacer ces dernières années par le Subutex, produit dont les effets ressentis sont plus puissants, et pour lequel une overdose n’est pas possible; l'injection provoque des oedèmes massifs. L’usage de produits de substitution suppose de passer d’une conception répressive du traitement des toxicomanies à une conception selon laquelle une « guérison » à proprement parler n’est pas possible. Chacune de ces conceptions a bien entendu ses avantages et ses inconvénients : – la répression permet en principe de limiter l’usage de certaines substances, de canaliser certaines demandes vers d’autres produits, mais elle est réputée augmenter la pratique d’injections (d’héroïne, de cocaïne, etc) illégale, le plus souvent sans précautions d’hygiène, et donc augmenter le nombre d’infections par le SIDA et d’accidents liés à des overdoses ; elle reste populaire chez des politiciens souhaitant prendre une posture « énergique », « ferme sur les principes », etc.; – l’usage de produits de substitution permet de médicaliser la toxicomanie, ce qui a globalement des effets favorables, mais certains produits peuvent être détournés de leur usage initial (revendus par des filières illégales, injectés, etc.). En outre, 42 l’usage de produits de substitution pourrait faire éviter des traitements permettant une véritable déshabituation de pratiques toxicomaniaques. 5) Les prescriptions de drogues (Matysiak, Mino, Touzeau) Il s’agit de pratiques qui ont toujours été légales au Royaume-Uni (un des pays où l’usage de stupéfiants est le plus élevé d’Europe), consistant à faire délivrer par un médecin des substances toxiques dans les cas où tout autre solution était inefficace. Cette pratique a été particulièrement organisée et étudiée dans la région de Liverpool à partir de 1990 : prescription de drogues, distribution de seringues, organisation des différents niveaux de prise en charge. Le résultat est présenté comme positif, en termes de réduction de la séropositivité et des conduites délinquantes, et en termes d’amélioration de l’état de santé des toxicomanes. Ce type de pratique a été organisé dans un certain nombre de pays (notamment dans le canton de Zurich en Suisse, aux Pays Bas). Ses principes reposent avant tout sur la notion de réduction des risques sanitaires et de diminution des conduites délinquantes. Ce type de pratique s’oppose frontalement au paradigme « répressif », et il est soupçonné, en France, de faire « organiser la toxicomanie par le corps médical ». 6) Les psychothérapies Nous avons vu qu’une des origines de la psychothérapie analytique semble avoir résidé dans la constatation, par S Freud lui-même, que la prescription de cocaïne avait beaucoup plus d’inconvénients que d’avantages. Par la suite, un certain nombre de tentatives de traitements de toxicomanes par la méthode psychanalytique ont été organisés, notamment lors de séjours résidentiels dans une clinique par Simmel à Berlin après la première guerre mondiale. La stratégie la plus couramment décrite consiste à faire apparaître au patient les motifs névrotiques qui sous-tendent le choix de l’engagement dans la toxicomanie, et lui permettre un désengagement de son désir par rapport à ces motifs. Ceci suppose de montrer que le choix toxicomaniaque est en fait un montage, une solution externe par rapport aux vrais conflits ayant finalement conduit à ce choix. Ces motifs peuvent être tout à fait divers, et avoir un rapport quelquefois assez éloigné avec l’acte de prise de toxique ; en outre le type de conflit peut soit être névrotique, soit psychotique, soit lié à une problématique perverse-fétichiste (Zafiropoulos). Comme les autres types de traitements, le traitement analytique suppose une adhésion, un engagement important du patient ; selon les travaux les plus récents, une renonciation immédiate au toxique n’est pas nécessaire (au contraire de ce qui est proposé dans les traitements de « dégoût » comportementaux), l’amélioration étant comprise comme une perte progressive d’intérêt envers le toxique (Le Poulichet). Le 43 mécanisme utilisé repose sur la discrépance entre le fantasme qui organise l’ »acceptation » du produit, et le vécu concret pulsionnel du produit. L’usage de toxique n’est acceptable par un sujet que sur la base d’une promesse, d’une illusion inconsciente justifiant cet usage. A partir du moment où d’autres formes de projets, ou de promesses fantasmatiques sont mises en place, l’intérêt de l’usage du toxique s’estompe. Dans le domaine anglo-saxon, on a souvent recours à des « programmes cognitifs» collectifs utilisant tel ou tel aspect des techniques psychanalytiques, sous une forme simplifiée (recherche de pensées négatives, recherche de formes de communication « pathogènes »), ou proposant au patient de s’identifier à un modèle, ou encore en l’aidant à « contrôler ses impulsions » et à ne pas réagir à l’adversité de façon violente. Ces programmes sont régulièrement proposés lors de traitements en institution de toxicomanies. Leur particularité est qu’ils essaient d’être de courte durée (ce type de population étant réputée vouloir des résultats immédiats, et ne souhaitant pas explorer leurs propres particularités psychiques). Dans le domaine francophone, les praticiens insistant surtout sur les psychothérapies ont été parfois accusés par les tenants des traitements de substitution d'avoir empêché la mise en place de ceux-ci (cela a été effectivement le cas d'Olievenstein), mais ce débat semble actuellement dépassé. 7) Les changements d’ambiance Il ne s’agit pas à proprement parler d’une technique thérapeutique, mais d’une constatation empirique qui a été faite par la sociologue Lee N Robins après la fin de la guerre du Viet-Nam (1962-1974). Pendant ce conflit, les militaires nord-américains occupant ce pays ont subi de lourdes pertes, étaient soumis à des conditions climatiques et matérielles souvent difficiles, subissaient des conflits moraux importants. Le caractère peu justifié de la guerre était de plus en plus évident au fur et à mesure que le soutien des populations civiles à l’insurrection augmentait ; des massacres injustifiables étaient commis ; des produits hautement toxiques et provoquant de brûlures gravissimes étaient employés ; des pollutions massives étaient réalisées ; les soldats nord-américains étaient majoritairement de simples appelés sans motivation, souvent maltraités par des supérieurs hiérarchiques d’un niveau intellectuel limité; l’ennemi était de mieux en mieux armé, utilisait des tactiques habiles, provoquant des échecs humiliants, etc, et tout cela faisait l’objet de critiques publiques de plus en plus massives, les soldats étant directement incriminés dans bien des cas. Dans ces conditions, l’usage de toxiques se répandit de façon considérable dans l’armée (notamment l’héroïne), à un point tel que les autorités sanitaires étaient incapables de faire face et d’organiser des traitements efficaces. Il fut finalement décidé…de ne rien faire au moment de la démobilisation. Or, à la surprise générale, on constata que si quelques années après, une proportion notable d’anciens combattants présentait encore des symptômes de troubles post-traumatiques, en revanche les cas de 44 toxicomanie avaient diminué de façon considérable une fois que les appelés étaient rentrés chez eux. L’explication proposée de ces résultats fut la suivante : l’usage de toxiques était fortement liée à des conditions très particulières, notamment le risque de blessures graves ou de décès, une ambiance délétère, des sentiments de désespoir et d’humiliation. Retournant à la vie civile, retrouvant des emplois rémunérateurs, un entourage chaleureux, une vie de famille normale, une ambiance radicalement différente de celle dans laquelle ils avaient vécu, la très grande majorité des combattants ont retrouvé un équilibre et on en même temps renoncé à l’usage de drogues fortement associées à des expériences personnelles qui n’étaient plus d’actualité. De cette façon il semblait démontré que les facteurs psychologiques d’ambiance avaient un rôle plus important que les effets biologiques de l’addiction, alors même que ceux-ci étaient alors souvent présentés comme prépondérants. 8) Les associations d’usagers Il s’agit de groupements trouvant au départ leur origine aux Pays-Bas, qui se sont construits sur le mode d’associations de consommateurs. Ces phénomènes ont largement été facilités par la tradition de « tolérance » propre aux Pays-Bas (tolérance en matière de liberté de pensée, mais également de pratiques prostitutionnelles depuis plusieurs siècles). Les Pays-Bas ont donc opté pour une autorisation de la plupart des usages de drogues (et des formes de production et de commercialisation du haschich); à partir de là se sont constituées des associations de consommateurs, visant à évaluer la qualité des produits, à protéger sa consommation, à organiser les circuits de consommation, en considérant que les consommateurs ne pouvaient être identifiés ni à des délinquants ni à des malades à proprement parler, et qu’en tant que consommateurs ils devaient pouvoir être protégés contre les risques rencontrés dans la pratique de la consommation à très long terme, tout en ayant la possibilité d’obtenir la distribution de produits de substitution si nécessaire. Ces associations d’usagers sont souvent favorables à des explications (pour l’instant hypothétiques) de la toxicomanie par une dysrégulation purement biologique d’origine inconnue (la plupart des produits utilisés par les toxicomanes existant par ailleurs dans l’organisme, sous une forme moins abondante), ou par des causes « génétiques » (notion qui est souvent comprise comme voulant dire « provoquant une maladie sans que le sujet n’y puisse rien »). 9) Les traitements d’équilibre Il s’agit d’une conception selon laquelle la « santé » au sens d’une absence totale de consommation de drogue est une perspective irréaliste. La seule perspective réaliste consisterait dans un «équilibrage» de la consommation de toxique. Cette notion 45 d’équilibrage est par ailleurs présente dans le traitement de la psychose maniacodépressive par les sels de Lithium, où (sans qu’on sache exactement quels sont les effets biologiques du Lithium), on considère que les troubles maniaco-dépressifs seraient stabilisés si le dosage sanguin du Lithium se maintient entre deux seuils limites. En fait, ce « dosage » n’est efficace que pour une partie des patients et pour une durée limitée, mais ce traitement a séduit certains milieux médicaux à partir des années 1970, et la notion a été exportée vers des prises en charges médicales de sujets toxicomanes. Selon cette conception, les interventions médicales ou psychologiques ne devraient pas viser à provoquer un changement des habitudes du toxicomane, mais à stabiliser cellesci dans une limite gérable. On voit donc qu’il existe des conceptions très contrastées concernant les buts du traitement de la toxicomanie : pour les uns, il s’agit d’un « mal » quasiment « diabolique » (d’où l’implication de techniques religieuses) risquant de gangrener le corps social; pour les autres, le caractère d’addiction (et donc d’esclavage) est l’aspect le plus clairement pathologique dans certains usages des toxiques, signe de conflits sous-jacents dont la nature est variable ; pour d’autres enfin, le caractère pathologique de la prise de toxiques doit être remis en question. Par ailleurs, la mise en évidence, ces dernières années, de la prévalence du dopage dans le sport de haut niveau, a changé quelque peu l’image du toxicomane dans l’esprit du public, et a permis de rapprocher des lignes de recherche longtemps séparées. Les statistiques US de l'usage de drogues en temps réel...............................! http://www.substance.com/live-drug-stats-visualizing-drug-use-in-america/13180/ 46 IX. 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