d'OrizaHirataobligentlesmetteursenscèneàdéplacerleurregardetleursmanièresdefaire,
d'explorerdesvoiesdetravailinconnues»,commeleremarqueleurpionnier,FrédéricFisbach
ellesconvienteneffetdetrèsnombreuxacteurs(vingtcinqpourTokyoNotes).
Ilesttroublantdeconstaterquecetteécritureasuscitéchezdesmetteursenscènepourtanttrès
différentsdescomportementssimilaires.LaurentGutman,lorsqu'iladécidédemonterNouvelles
duplateauS.,commeArnaudMeunierlorsqu'ilatravaillésurGensdeSéoul,onttousdeuxvécu
cetappeldel'Orient.ArnaudMeuniers'estimmergédanslethéâtrequedirigeOrizaHirataà
Tokyo,oùilamonté,aveclesacteursdesacompagnie,LaDemanded'emploideMichelVinaver,
piècequielleaussiconvoquedetrèsnombreuxpersonnagessurleplateau.Onpeutd'ailleurs
repérerunefiliationinconscienteentrecesdeuxdramaturges,quipartagent«lamêmefascination
pourlafourmilière»(ArnaudMeunier),cegoûtpourunescèneavecdesactionsparallèlesquine
sontvraimentniportées,niporteusesd'histoires;cespersonnagespleins,maisdontlesens
s'absentesanscesse,emportéparlefluxdutemps.CommesiHirataécrivaitunetranchede
temps,sansdébutnifinautrequecelle,presquearbitraire,delareprésentation.
Cetaventureuxprocessusdecoopérations'estaujourd'huiencoreintensifié.Lapiècequ'Oriza
Hiratavientd'écrirepourLaurentGutman,Chantsd'adieu,aétépenséeavecunpréambule:elle
s'adresseàdesacteursfrançaisetjaponais,etserajouéeenFranceavantderevenirauJapon.
L'enjeuestdetaille:ilsupposed'écrireetdepenserdespersonnagesdanslalangueetlemonde
del'autre.Ceprojetd'écriturevad'ailleurssepoursuivredanslesannéesàvenir,puisquedeux
nouvellescréationsluiontétécommandéespourlesprochainessaisons.
Commentpeutons'expliquerunetelleréceptiondel'uvred'OrizaHirataenFrance,alorsquemise
àpartlaCorée(2),sonthéâtren'apasvraimentétéjouéailleursdanslemonde?Sansdoute
l'appeldel'étrangeretl'intérêtpourlesculturesd'ailleursrestentilsdescomposantesimportantes
dupaysageculturelfrançais.Etilestvraiquelescréateursquiviennentd'autresculturessont
souventaccueillisicicommeappartenantavanttoutàlacommunautédescréateurs,quidépasse
toutnationalismecequin'estpasforcémentlecasdansd'autrespays,commelefait
diplomatiquementremarquerOrizaHirata.
Uneautreraisondusuccèsdesespiècestientaussiàl'histoireduthéâtremodernejaponais,qui
doitbeaucoupàlaFrance.Sesfondateurs(YoshiHijikataetKunioKishida,aveclacréationdupetit
théâtreTsukiji,en1924)sontvenusétudierenEurope,notantsystématiquementcequ'ils
entendaientetvoyaient,soiraprèssoir,dansunelogiquemimétiquevertigineuse.Ceréflexea
longtempsempêchél'éclosiond'unartthéâtraljaponaiscontemporain.CommelesouligneOriza
Hirata,mêmeMishimatraitedesujetsesthétiqueshautementjaponaisavecuneécritureetun
stylelargementpétrisparlalanguefrançaise:lepointd'orgueetlacristallisationdetousces
effortsdurantunsièclepourcréerunelittératuresousinfluenceoccidentale.OrizaHirataenprend
l'exactcontrepied:ilécritsurdessujetsquinesontpasfortementancrésdanssaculture.
Pourtant,samanièredeformulerlalangueestdirectementtributairedelagrandetradition
littérairejaponaise,enparticulierparuneextrêmeconcisionquel'onretrouveparexempledansles
haïku,ouparcetartdudétour,celuidel'ellipseoudel'accumulationdétournée.
SiOrizaHirataparvientàs'emparerdemotifsetdesujetsquiproviennentd'autrescultures,c'est
sansdouteparcequ'ilabeaucoupvoyagé,maisaussietsurtoutgrâceàsonintimeconnaissance
delalittératureoccidentale.Ilyaainsicommeuneffetd'étrangetétrèsséduisantàreconnaître
despansentiersdenotreculturesaisieàtraversleprismed'uneautre.Ununiversdemuséesou
desanatoriums,deslieuxdel'Occident,maisaussidesendroitssuspendus,deslieuxdepassage
quiattendentleregardetlaprésencedel'autrepourtrouverunnouvelélan.Sicen'estquepour
uniljaponais,cetuniverscomporteégalementunelargepartd'étrangeté...
C'estcedoublemouvementd'étrangefamiliaritéquirendsiénigmatique,siattirantaussil'univers
d'OrizaHirata.Cequiestparticulièrementévidentlorsqu'ilrestituelemondedessanatoriums,
s'appuyantsurLaMontagnemagiquedeThomasMannpourl'emporterdanssalangue,eten
extrairesesNouvellesduplateauS.Aveclesprojetsqu'ilengageactuellement,cettelogique
devraitsetrouverencorerenforcée,puisquedanssontextepourLaurentGutman,lacontrainteest
maintenantintégréedansl'exerciced'écriture:Chantsd'adieumetenjeudes«personnages»
japonaisetfrançaisjouéspardesacteursdesdeuxpays.Ledramaturges'étaitdéjàlivréàcetype
d'exerciceavecunepièceécritepourdesacteurscoréensetjaponais,àl'occasiondelaCoupedu
mondeàSéoul,en2002.Cequisuppose,biensûr,quesoientprisencomptedescorpsdelangue
biendistincts.Queletextesoitjouéenfrançaisouenjaponais,ilappelleranaturellementdes
épaisseursetdescouleursculturellesdiverses,ouvrantdurestequelquesquestionsvertigineuses
pourlesmetteursenscène...
Cellesci,liéesàlabilatéralitéculturelle,peuventtrouverplusieursréponses.EnmontantGensde
SéoulavecdesacteursjaponaisissusnondelacompagnieSeinendan,maisdedifférentshorizons
théâtraux,FrédéricFisbachfaitlechoixparadoxald'uneréimmersiondelapiècedansl'univers
japonais.Ilinsistemêmesurcequipeutcaractérisercettedimensionorientale,confiéeàune
scénographejaponaise(vivantenFrance),alorsmêmequedanslesdidascaliesdelapièce,
l'auteursuggèrequel'habitatdecescolonsjaponaisenCoréeestplutôtoccidental.C'estd'ailleurs
cepartipris«didascalique»qu'aretenuArnaudMeunierlorsqu'ilamisenscènelapiècecet
automne:unespacerelativementneutrepermettantlesmultiplescirculationsqu'appelleletexte,
etdontlesparoisdeviennentpeuàpeutransparentes;unemanièrehabileetdéguiséede
suggérerlaprofondeurdesintérieursorientaux.QuantàLaurentGutman,ilrépondàcette
questionencreusantcelledes«nonlieux»,cesespacesdesuspension,d'attentehorsdumonde