Né à Tokyo en 1962, Oriza Hirata est un « homme de théâtre » qui explore toutes les dimensions et
toutes les fonctions de son art : auteur, metteur en scène, il dirige également la compagnie de théâtre
Seinendan et le Théâtre Agora Komaba à Tokyo. Ajoutons à ces activités déjà nombreuses celle de
l’enseignement (à l’université d’Osaka) doublée d’une réflexion théorique qu’il expose dans plusieurs
ouvrages aux titres déjà révélateurs de ses partis pris et de sa méthode : Pour un style parlé dans le
théâtre contemporain, ou encore L’Art à la base de la Nation sont de bons exemples de l’objectif
qu’Oriza Hirata assigne à son art : allier les dimensions poétique, pédagogique et politique. Montrer
cette interaction permet alors de mettre la représentation théâtrale au service de la Cité en redonnant
une place au spectateur-citoyen. Une visée empirique qu’il met d’ailleurs en pratique en tant que
conseiller du ministre japonais de la culture... Il ne faudra donc pas s’étonner qu’il soit aujourd’hui
considéré comme l’une des figures les plus emblématiques de la littérature japonaise, si bien que ses
pièces sont souvent reçues comme des miniatures sociales, ce qui tend parfois à figer leur réception
dans certains stéréotypes.
L’ambition didactique est donc clairement revendiquée. Elle ne relève cependant pas de la thèse ou du
commentaire, comme dans le théâtre de Sartre ou de Brecht : Oriza Hirata ne cherche ni à représenter,
ni à critiquer, mais à déplacer (ne serait-ce que de manière infinitésimale) le regard et la position du
spectateur qu’il situe au centre de sa méthode. Minimaliste, ce théâtre à la fois réaliste et onirique doit
permettre d’imaginer des « mondes possibles ». En incitant le public à se concentrer sur les relations
entre les acteurs d’un groupe plus que sur des « personnages », le metteur en scène japonais suggère
que les relations qui lient chaque membre de la société relèvent déjà de choix politiques.
Avant La Métamorphose version androïde, deux pièces d’Oriza Hirata utilisaient déjà des éléments
mêlant anticipation et hyperréalisme en y intégrant des robots et des androïdes : Les Trois Sœurs
version Androïde et Sayonara version 2. La réécriture de Tchekhov, par exemple, mettait le robot
F- Geminoid en position d’« interpréter » l’une des sœurs. L’utilisation de la machine n’est pas tant
thématique (pointer du doigt l’influence grandissante des nouvelles technologies) que sensorielle, les
machines en scène ayant pour première fonction de déplacer la perception du spectateur qui se voit
amené à porter son attention sur les détails de la communication. Dans ce nouveau spectacle, Oriza
Hirata se sert de l’androïde pour donner une forme au « ungeheuer Ungeziefer » de Kafka (« cancrelat »,
« coléoptère » ou « vermine » selon les traductions...) que devient Grégoire Samsa sous le regard de ses
parents. Le parti pris de la machine pour interpréter Samsa permet à Hirata de créer une continuité
entre l’homme et la machine en les juxtaposant grâce aux moyens du théâtre, en premier lieu les
dialogues. L’ambiguïté entre l’humain et le non-humain est déjà présente dans l’univers kafkaïen, dans
La Métamorphose bien entendu, mais aussi dans l’Odradek, une créature vivante ressemblant à une
bobine de fil plate que Kafka décrit dans son étrange nouvelle Le Souci du père de famille. Il semble
logique que celui-ci s’inspire de l’univers kafkaïen, fait de formes indécises qui appellent le lecteur
à se projeter, à se mettre « à la place de ». Homme, machine, ou bien encore « créature »... Le Japonais
UN THÉÂTRE TÉLÉPATHE