Dans le monde réel, l’attribution des thérapeutiques ne fait plus
(on l’espère) appel au hasard, mais à des critères à la fois propres
au prescripteur et au malade : nouveauté du médicament,
absence d’efficacité ou mauvaise tolérance des traitements anté-
rieurs, etc. De plus, l’efficacité peut être compromise par le
comportement des malades, en particulier du fait d’une mau-
vaise observance.
Par ailleurs, pour certaines pathologies (hypertension artérielle,
maladies coronariennes, etc.), diverses études épidémiologiques
ont montré que le risque de base peut grandement varier d’un
pays à un autre. L’extrapolation en termes d’impact du béné-
fice à partir des résultats d’essais généralement conduits au sein
de populations à risque élevé peut donc être discutable : le
nombre de cas évités par l’utilisation d’une thérapeutique peut,
en effet, devenir négligeable pour des populations dont le risque
de base est faible.
Au plan de la tolérance, le nombre cumulé de malades devient,
dès la première année de commercialisation, très supérieur au
nombre inclus dans les essais cliniques. Cette utilisation à large
échelle peut en particulier favoriser l’émergence d’effets rares,
non détectables dans les essais cliniques. Cela est l’une des jus-
tifications principales de la pharmacovigilance.
PHARMACO-ÉPIDÉMIOLOGIE :
COMPLÉMENT DES ESSAIS CLINIQUES
La pharmaco-épidémiologie peut être définie comme l’utilisa-
tion de l’approche épidémiologique pour évaluer les effets des
médicaments et leur utilisation au niveau des populations. Ce
type d’évaluation est par essence positionné après la commer-
cialisation, dans des conditions d’utilisation des médicaments
dites “observationnelles”.
L’objectif des études pharmaco-épidémiologiques peut être
descriptif pour :
–identifier qui prescrit ou utilise tel médicament, à quelle poso-
logie, pendant combien de temps, pour quelle indication, etc ;
–estimer la fréquence de la pathologie constituant l’indication
d’un médicament ;
–estimer la fréquence et la distribution des effets indésirables
(temps, lieu, personne).
Il peut être étiologique, visant à déterminer dans quelle mesure
l’exposition à un médicament peut être associée à un événe-
ment (apparition ou prévention d’une maladie).
Les méthodes utilisées varient en fonction des objectifs pour-
suivis. Malgré la multiplicité des appellations, elles se ratta-
chent à l’un des trois types suivants : transversal, prospectif
(ex. : cohortes), rétrospectif (ex. : cas témoins).
Parmi les méthodes d’évaluation des effets des médicaments
après leur commercialisation, il faut également citer les essais
pragmatiques. Lors de ces essais, l’attribution des médicaments
à comparer est réalisée par tirage au sort pour des malades tout-
venant (sans appliquer de critères de sélection particuliers), les
médecins et les malades connaissent le traitement attribué, et
les conditions d’utilisation (posologies, associations à d’autres
médicaments, etc.) et de surveillance sont les mêmes que celles
qui auraient prévalu en l’absence d’étude. Ce schéma d’étude
a l’intérêt de conserver les avantages du plan expérimental (du
fait de l’attribution des traitements par le hasard, les groupes
peuvent être considérés a priori comme comparables vis-à-vis
de la répartition de toutes les variables connues ou non sus-
ceptibles d’influer sur la mesure projetée), mais également
observationnel (du fait du respect de la pratique médicale cou-
rante).
Une règle souvent oubliée est qu’une étude ne peut répondre à
une question qu’à la condition que celle-ci soit formulée de
façon claire, précise et surtout consensuelle par les différentes
parties concernées par un problème. Une réflexion préalable,
de préférence multidisciplinaire (spécialistes de la pathologie,
pharmacologues, épidémiologistes, biostatisticiens, etc.), doit
avoir lieu avant toute investigation pour définir le problème,
fixer les objectifs et choisir la méthode la mieux adaptée pour
répondre à la question posée. Comme dans les études expéri-
mentales, un protocole complet et détaillé doit être conçu. Il
devra en particulier prévoir le nombre de sujets garantissant
une puissance suffisante et, lors de l’évaluation du risque, la
période de suivi ou durant laquelle l’exposition sera recherchée.
CONCLUSION
Toujours utile, l’évaluation des médicaments après l’AMM l’est
particulièrement pour un médicament :
"pour lequel des risques de dérapage patents existent ;
"évalué avant sa commercialisation sur la base de critères de
substitution ou intermédiaires ou dans des conditions très éloi-
gnées de la réalité ;
"particulièrement innovant ou onéreux.
Pour que la réévaluation soit pertinente, il faudrait attendre que
l’utilisation du médicament soit stabilisée : “quand les ventes
sont stables et que les comportements et habitudes (voire mau-
vaises habitudes) se sont installés”. Cela n’est généralement le
cas qu’au bout de deux ou trois ans après la commercialisation.
D’une façon générale, à l’instar des essais cliniques, une seule
étude d’observation ne suffit généralement pas pour répondre
de manière complète à une question, et encore moins à plu-
sieurs (ex. : mesurer l’efficacité et un risque). #
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. Bégaud B. Dictionnaire de pharmaco-épidémiologie. Troisième édition.
Bordeaux : ARME-Pharmacovigilance Éditions, 1998.
2. Abenhaim L, Fourrier A. Introduction aux études de cohortes : définitions et
objectifs. In : Études de cohortes en pharmacovigilance. Seconde édition.
Bordeaux : ARME-Pharmacovigilance Éditions, 1995 : 7-20.
La Lettre du Pharmacologue - Volume 14 - n° 8 - octobre 2000
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PHARMACO-ÉPIDÉMIOLOGIE