L’Information psychiatrique 2013 ; 89 : 333–6 CAS CLINIQUE Rubrique dirigée par M. Reca Accès psychotique aigu révélant une poussée de neurolupus Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Souad Rharrabti 1 , Zineb Khammar 2 , Ouafa Bono 2 , Ismail Rammouz 1 , Rachid Aalouane 1 RÉSUMÉ Le lupus érythémateux disséminé (LED) est une maladie systémique auto-immune chronique de la famille des connectivites. Les manifestations psychiatriques dans le LED sont fréquentes. Elles sont en rapport avec une comorbidité, une iatrogénie due au traitement ou une atteinte neurologique centrale. Le neurolupus est une complication grave de la maladie lupique, rarement révélé par des manifestations psychiatriques sans autres signes neurologiques. Nous rapportons le cas d’une patiente atteinte du LED, qui a présenté un accès psychotique révélant une atteinte neurologique. La patiente était traitée par un antipsychotique atypique associé au traitement immunosuppresseur. Les symptômes psychotiques ont diminué progressivement jusqu’à disparition au bout d’un mois. Mots clés : pathologie psychiatrique, maladie auto-immune, maladie iatrogène, psychose, neuroleptique atypique, cas, lupus érythémateux disséminé, neurolupus ABSTRACT An acute psychotic access revealing a sudden flare-up of neuropsychiatric lupusa. Systemic lupus erythematosus (SLE) is a chronic systemic disease. Psychiatric manifestations in SLE are frequent. Neuropsychiatric manifestation involvement may be considered of primary concern if directly related to SLE activity in the central nervous system or secondary when related to treatment. Neuropsychiatric lupus is a serious complication of SLE, rarely revealed by psychiatric manifestations without other neurological signs. We report the case of a patient with SLE who presented psychotic access revealing neurological lesion. The patient was treated by an atypical antipsychotic associated with immunosuppressant therapy. Psychotic symptoms decreased gradually until death after a one-month period. doi:10.1684/ipe.2013.1060 Key words: psychiatric disorders, autoimmune disease, iatrogenic disease, psychosis, atypical neuroleptics, clinical case, systemic lupus erythematosus, neurolupus 1 CHU Hassan II de Fès, hôpital Ibn Alhassan, service de psychiatrie, 30000 Fès, Maroc <[email protected]> 2 CHU Hassan II de Fès, service de médecine interne, 30000 Fès, Maroc Tirés à part : S. Rharrabti L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 89, N◦ 4 - AVRIL 2013 333 Pour citer cet article : Rharrabti S, Khammar Z, Bono O, Rammouz I, Aalouane R. Accès psychotique aigu révélant une poussée de neurolupus. L’Information psychiatrique 2013 ; 89 : 333-6 doi:10.1684/ipe.2013.1060 S. Rharrabti, et al. RESUMEN Acceso psicótico agudo revelador de un brote de neurolupus. El lupus eritematoso diseminado es una enfermedad sistémica autoinmune crónica de un tipo de conectivopatía. Las manifestaciones psiquiátricas en el LED son frecuentes. Están relacionadas con una comorbidez, una iatrogenia debida al tratamiento o una afección neurológica central. El neurolupus es una complicación grave de la enfermedad lúpica, raras veces revelado por manifestaciones psiquiátricas sin otras señales neurológicas. Referimos el caso de una paciente con LED que ha presentado un acceso psicótico revelador de una afección neurológica. La paciente estaba atendida con un antipsicótico atípico asociado a un tratamiento inmunosupresor. Los síntomas psicóticos fueron disminuyendo progresivamente hasta desaparecer al cabo de un mes. Palabras claves : patología psiquiátrica, enfermedad autoinmune, enfermedad yatrógena, psicosis, neuroléptico atípico, caso clínico, lupus eritematoso diseminado, neurolupus Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Cas clinique Madame M.N., âgée de 47 ans, de haut niveau d’étude, célibataire, benjamine d’une fratrie de cinq, sans profession et sans antécédents psychiatriques personnels ni familiaux. La patiente souffrait de lupus érythémateux disséminé (LED) depuis 2003. Le diagnostic a été retenu devant un masque lupique, une polyarthralgie inflammatoire, une alopécie et un bilan immunologique positif. La patiente a été hospitalisée plusieurs fois en service de médecine interne et la dernière hospitalisation remonte à février 2011 pour des céphalées et une fièvre évoluant depuis un mois. La patiente était traitée uniquement par des antipaludéens de synthèse. Quatre jours après son admission, elle a présenté un syndrome confusionnel avec une insomnie, une baisse de la vigilance, une désorientation temporospatiale et une agitation. Elle a fait une tentative de suicide en essayant de se jeter de la fenêtre dans un contexte délirant. Un bilan à la recherche d’une cause organique a été fait : la TDM était normale, l’ionogramme normal, l’hémoculture était positive ; la patiente fut traitée par une antibiothérapie adaptée (β-lactamines + gentamycine). Le syndrome confusionnel avait disparu au bout de trois jours et la patiente a commencé à se plaindre de troubles mnésiques. Une semaine après, la patiente a présenté de façon brutale des propos incohérents, une insomnie, une logorrhée avec une soliloquie et une répétition des chiffres. L’examen psychiatrique a trouvé une patiente instable, attentive et vigilante. L’humeur était labile avec un affect inadapté. L’exploration de la pensée a révélé un cours continu dont le contenu était marqué par un délire de persécution (« Les gens me veulent du mal, je suis suivie par la police, on me surveille ici à l’hôpital par des caméras ») et un délire hypochondriaque (la patiente était convaincue d’être infectée par le sida et avait peur d’être contaminée par des microbes). Parfois, on a noté un relâchement des associations idéiques avec des réponses à côté et une soliloquie au cours de l’entretien. Par ailleurs, on a noté la présence des hallucinations auditives et visuelles en dehors de toute période confusionnelle. La patiente présentait une insomnie et se plaignait de trouble de la mémoire antérograde. 334 Le diagnostic d’un trouble psychotique bref selon la DSM-IV a été retenu. L’examen neurologique ne présentait aucune particularité. À l’examen général, la patiente était maigre avec déformations au niveau des deux mains, un pouce en Z avec notion de xérostomie et xérophtalmie. L’IRM cérébrale a objectivé la présence de multiples lésions infracentimétriques de la substance blanche souscorticale et profonde hémisphérique bilatérales, en discret hyposignal T1 en hypersignal T2 non rehaussées (figures 1 et 2). Ce qui est en faveur de lésions démyélinisantes sus-tentorielles. Le dosage des anticorps antiphospholipides était positif et spécifiquement les anticorps anticardiolipines avec un titre de 1/1 280. La patiente a bénéficié d’un traitement immunosuppresseur à base d’un bolus de corticoïdes pendant trois jours, relayé ensuite par voie orale avec, au quatrième jour, du cyclophosphamide avec des cures mensuelles. Figure 1. IRM en coupe coronal en T1. L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 89, N◦ 4 - AVRIL 2013 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Accès psychotique aigu révélant une poussée de neurolupus Figure 2. IRM en coupe horizontal en T2. Sur le plan psychiatrique, la patiente fut traitée par olanzapine à la dose de 5 mg/j, le soir associé à un anxiolytique. L’évolution fut favorable, marquée par la disparition progressive des symptômes psychotiques au bout d’un mois. Discussion L’atteinte neurologique lupique peut être à l’origine d’un retard diagnostique dans les formes psychiatriques pures. Chez notre patiente, la démyélinisation n’était pas accompagnée de signes neurologiques et c’est l’apparition des signes psychotiques qui a suscité la demande d’une IRM cérébrale qui a objectivé la démyélinisation, ce qui fait la particularité de notre cas clinique. On n’a pas trouvé des cas similaires dans la littérature. Les atteintes neuropsychiatriques constituent avec les atteintes rénales, les complications qui conditionnent le pronostic du LED [5]. L’Association des rhumatologues américains en 1999 a proposé une description des atteintes du système nerveux observées dans le LED en 19 syndromes neuropsychiatriques. Les troubles psychotiques en font partie [1]. Les désordres psychiatriques communs du LED neuropsychiatrique et leurs incidences peuvent varier dans la littérature en fonction de la méthodologie (10 à 75 %) avec 16 à 52 % de troubles dépressifs, 5 à 11 % de troubles psychotiques. Ces chiffres ne distinguent pas les troubles psychiatriques comorbides, réactionnels, iatrogènes ou dus à un neurolupus [4]. La psychose lupique est généralement attribuée au dommage immunologique de la maladie bien qu’elle puisse plus rarement être secondaire à des altérations métaboliques ou à des médicaments, surtout les corticoïdes (1, 3-5 % des cas de patients sous fortes doses) [8, 9]. La chronologie de survenue par rapport à la maladie lupique et aux variations des doses des corticoïdes fait la distinction entre troubles psychiatriques dus au traitement, ou dus au lupus. Soixante et onze pour cent des troubles psychiatriques dus au lupus surviennent la première année contre 57 % dans les 15 premiers jours du traitement par les corticoïdes. Les troubles psychotiques sont plus fréquemment dus au neurolupus qu’aux corticoïdes et la diminution des doses de corticoïdes suffit à faire disparaître les symptômes [4, 6]. Selon la littérature, l’expression psychiatrique la plus typique, mais non exclusive, du neurolupus est souvent précoce au début de la maladie, parfois révélatrice, associant un syndrome hallucinatoire, un syndrome délirant et un syndrome confusionnel [3, 4, 7]. Le diagnostic de neurolupus est orienté le plus souvent par les données de l’IRM cérébrale. Selon des auteurs, l’IRM cérébrale chez des patients lupiques avec des manifestations neuropsychiatriques a objectivé des lésions d’hypersignal au niveau de la substance blanche ou grise du cervelet ou du cerveau, la plupart des lésions évidentes sur l’IRM n’étaient pas apparentes sur TDM cérébrale [2, 10]. Le traitement des troubles psychiatriques liés à un neurolupus est celui de la maladie lupique, et les psychotropes sont prescrits transitoirement et de manière symptomatique. Les neuroleptiques atypiques sont à privilégier. La durée de traitement nécessaire lors de troubles psychiatriques liés à un neurolupus reste empirique avec diminution progressive des psychotropes une fois que les paramètres biologiques du lupus régressent avec retour à la quiescence clinique [4]. Dans notre observation, la poussée du neurolupus est apparue huit ans après le diagnostic de la maladie. Le diagnostic est retenu par l’apparition d’un trouble psychotique chez une patiente présentant des céphalées depuis deux mois avec un épisode de confusion mentale, une démyélinisation cérébrale dans l’IRM cérébrale. L’examen neurologique est strictement normal. Conclusion L’atteinte neuropsychiatrique au cours du lupus systémique constitue un tournant évolutif de la maladie lupique et constitue une complication grave. Elle doit être recherchée systématiquement même en absence de signes neurologiques afin de pouvoir instaurer un traitement précoce. Conflits d’intérêts : aucun. L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 89, N◦ 4 - AVRIL 2013 335 S. Rharrabti, et al. Références 1. 2. 3. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. 4. 5. 6. ACR ad hoc committee on neuropsychiatric lupus nomenclature. The American College of Rheumatology nomenclature and case definitions for neuropsychiatric lupus syndromes. Arthritis Rheum 1999 ; 42 : 599-608. Hajjaj I, Adali I, Idrissi M, Ouali M, Kissani N. Un accès psychotique aigu révélateur d’un neurolupus avec images atypiques à l’IRM encéphalique. Encephale 2012 ; 38 : 519-23. Stojanovich L, Zandman-Goddard G, Pavlovich S, Sikanich N. 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