F. Cornic, J.-P. Olié L’Encéphale, 2006 ;
32 :
452-8, cahier 1
456
Les idées ou tentatives de suicide sont souvent pré-
sentes après les actes parricides (13, 38). La solution
entrevue à la menace interne par le passage à l’acte ne
semble pas durer très longtemps. Des interrogations con-
cernant l’héritage ou un conflit d’argent sont présentes de
façon quasi constante. Ayant échoué à se donner une
place dans la suite des générations, ils sont condamnés
entre refus et usurpation de l’héritage (57).
L’hospitalisation, en principe sous contrainte, a une
fonction de punition et d’expiation. Balier (3) souligne les
effets catastrophiques d’une banalisation du meurtre
parental, celle-ci étant étayée sur des circonstances atté-
nuantes et sur un détournement de la compréhension du
mythe d’Œdipe. L’hôpital joue un rôle de réassurance et
de protection vis-à-vis du regard d’autrui et des sentiments
de honte. Il faut souligner le rôle structurant de la loi qui
assume le rôle symbolique des parents. L’institution et la
loi assurent une fonction de tiers dans la relation théra-
peutique qui peut alors se distinguer de la relation fusion-
nelle ayant préexisté entre le parricide et ses parents.
L’acte parricide, qu’il aboutisse ou non au décès de la
victime, induit une rupture brutale dans le fonctionnement
familial. En dehors même du contexte violent, la rupture
des liens générationnels, il y a transgression des liens de
filiation considérés comme sacrés dans notre société. Il
n’y a pas seulement décès d’un parent, il y a aussi perte
de celui qui a commis l’impensable et l’irréparable (57).
PRÉVENTION DU PARRICIDE
Il n’est pas rare qu’un patient psychotique inquiète par
ses menaces envers sa famille. Cependant, le risque vio-
lent n’est ni dépendant du seul diagnostic, ni constant au
cours de la trajectoire d’un patient. Certains diagnostics
psychiatriques sont associés à un risque de violence :
schizophrénie, abus d’alcool et de substances. Les anté-
cédents des personnes (délinquance précoce, infractions
multiples et graves, actes de violence grave) pourraient
être des indicateurs de dangerosité (5, 6, 19, 22, 49). Ces
indices prédicteurs ont fait l’objet de multiples études (5,
19, 33, 47) : l’âge (risque plus important chez le jeune
adulte), le sexe (9 hommes pour 1 femme), l’état matri-
monial (risque plus grand chez les célibataires), le milieu
socioculturel pauvre (sur le plan économique mais aussi
relationnel), les antécédents de délits violents (en parti-
culier homicide et tentative d’homicide), et enfin la pré-
sence d’une maladie mentale (risque de violence supé-
rieur à la population générale chez les sujets ayant subi
une ou plusieurs arrestations avant l’hospitalisation).
Cependant, il existe une faible capacité à prédire un
comportement violent à moyen et long termes (2, 6, 17,
30, 33). Une des difficultés réside probablement dans la
difficulté à évaluer, non pas les prédicteurs statiques, mais
les éléments psychodynamiques et les aspects cliniques
et sémiologiques qui pourraient être reliés à un passage
à l’acte violent, voire homicidaire.
Millaud
et al.
(33) ont tenté d’évaluer les éléments,
basés sur l’observation clinique, permettant d’établir une
prédiction de dangerosité à court terme. Dans une étude
rétrospective récente, ils retracent les éléments cliniques
et sémiologiques présents dans le mois ayant précédé un
passage à l’acte violent (homicide ou tentative d’homicide)
chez 24 patients psychotiques hospitalisés, au Canada,
dans un hôpital de sécurité maximum. Conformément aux
données de la littérature, les schizophrènes (en particulier
de type paranoïde) s’avèrent les plus à risque d’acte homi-
cide. La présence d’idées délirantes paranoïdes et d’hal-
lucinations semble être un facteur de risque. La thémati-
que délirante de persécution avec une désignation
nominale du ou des persécuteurs est également un signe
d’alerte. Une composante thymique surtout dépressive
est souvent notée. Une demande d’aide a été effectuée
par 40 % des patients, soit directement en sollicitant une
consultation, soit indirectement
via
la verbalisation d’idées
suicidaires, une tentative de suicide, ou encore l’interpel-
lation des forces de l’ordre.
Pour les patients appelant à l’aide, les éléments de la
série dépressive fondent la demande. En revanche, les
sujets se montrent souvent méfiants et minimisent leurs
symptômes, en particulier délirants. Les idées homicidai-
res ne sont presque jamais exprimées. Il est donc essen-
tiel que le clinicien recherche activement la présence
d’éléments paranoïdes « à risque » et décèle les idées
d’homicide.
Marleau
et al.
(30) retrouvent, dans une population de
psychotiques parricides ou ayant commis une tentative de
parricide, les mêmes facteurs de risque de passage à
l’acte : le diagnostic de schizophrénie paranoïde, la pré-
sence d’idées délirantes de persécution, d’hallucinations,
l’arrêt récent des traitements psychotropes et le déni des
troubles psychiatriques par la famille.
Ces deux études décrivent les mêmes facteurs prédic-
tifs statiques (sociodémographiques et judiciaires) de pas-
sage à l’acte que ceux classiquement rapportés dans la
littérature.
L’évaluation du risque à moyen et long termes est plus
aléatoire, ne serait-ce que du fait de la variabilité clinique
au cours de l’évolution des troubles.
Dans son travail sur la prévention de l’acte parricide,
Estève (17) rappelle les notions cliniques essentielles à
repérer : présence d’une psychose délirante (en particu-
lier schizophrénique) où le thème de persécution tient une
place centrale, longue évolution des troubles ponctuée
d’antécédents psychiatriques avec comportements vio-
lents et énonciations de menaces envers l’entourage
(notamment contre les parents ou substituts parentaux),
rejet familial à valeur de perte identitaire, idées suicidaires,
sentiment d’impasse situationnelle avec échec des
demandes d’aide et des tentatives de fuite.
Il existe cependant un contingent de passages à l’acte
parricidaire qui relève d’un processus psychotique jusqu’à
là demeuré silencieux. Ces cas assez rares sont alors un
défi à toute prédictibilité. Il faut souligner, comme cela est
retrouvé dans l’étude de Millaud
et al.
(32, 33), que les
patients schizophrènes (en particulier paranoïdes) font
peu appel à l’aide médicale, ce qui donne peu de possi-
bilités d’intervenir. La survenue brutale de l’acte parricide