Re v u e f la sh N e urol og i e . com 20 1 0 ; 2(8) : 20 6-10 Paraparésies spastiques héréditaires : approche clinique et génétique Hereditary spastic paraplegia: clinical and genetic approach Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Dr Nicolas Chrestian, Dr Nicolas Dupré Unité des maladies neuromusculaires et neurogénétiques, CHA Enfant-Jésus, Québec, Canada <[email protected]> Mo ts c l é s génétique, paraparésie, moelle épinière, cortico-spinale Ke y w o r d s genetic, paraparesis, spine, corticospinal tract Pour la pratique on retiendra Les paraparésies spastiques représentent un groupe hétérogène de maladies génétiques neurodégénératives. Cliniquement, ces maladies se caractérisent par une faiblesse ainsi qu’une spasticité progressive des membres inférieurs. Au point de vue pathologique, on retrouve une dégénérescence axonale rétrograde des faisceaux cortico-spinaux. Les progrès de la génétique ont permis d’identifier plusieurs mécanismes cellulaires impliqués dans l’homéostasie axonale qui, lorsqu’ils deviennent dysfonctionnels, engendrent la maladie. Abstract Hereditary spastic paraplegia comprises a heterogeneous group of inherited neurodegenerative disorders. Progressive spasticity of the lower limbs represents the dominant clinical feature. Neurons of the corticospinal tract are especially involved, and on pathology, one can find retrograde axonal degeneration of these tracts. Recent progress in genetics has allowed the characterization of many mechanisms involved in this degenerative process. L es paraparésies spastiques héréditaires (PSH) représentent un groupe hétérogène de maladies caractérisées par une spasticité progressive des membres inférieurs associée à une faiblesse musculaire. La dégénérescence axonale rétrograde des fibres des voies cortico-spinales constitue le mécanisme physiopathologique principal. Cliniquement, on retrouve des signes du motoneurone supérieur tels une faiblesse pyramidale, une spasticité, une hyperréflexie, un signe de Babinski. Des troubles sensitifs légers à modérés et une atteinte vésicosphinctérienne sont fréquemment retrouvés après quelques années d’évolution. D’un point de vue génétique, les mécanismes sous-jacents sont complexes et tous les modes de transmission peuvent être retrouvés (autosomique récessif et dominant, lié à l’X) [1]. La prévalence estimée, bien que difficile à établir, avoisine les 3 à 10 cas par 100 000 avec un début Paraparésies spastiques héréditaires : approche clinique et génétique Les paraparésies spastiques sont des maladies héréditaires causées par des mutations génétiques. Elles se caractérisent par une raideur et une faiblesse progressive des 206 neurologie.com | vol. 2 n°8 | octobre 2010 pouvant s’étendre de l’enfance à plus de 70 ans. Classiquement, on divise les PSH en non compliquées (ou pures) et en compliquées (ou complexes), dans le cas où d’autres signes, tels qu’une atrophie cérébelleuse, un corps calleux mince ou une ataxie, accompagneraient les signes classiques d’atteinte du motoneurone supérieur [1]. Approche clinique et diagnostique Devant des symptômes atypiques et une absence d’histoire familiale, la PSH demeure un diagnostic d’exclusion. Le principal diagnostique différentiel à évoquer demeure le suivant : une adrénoleucodystrophie, une sclérose en plaques, une maladie impliquant le motoneurone supérieur (sclérose latérale primitive ou sclérose latérale amyotrophique), une infection au VIH ou au HTLV-1, un déficit vitamine B12, en vitamine E ou en cuivre, une ataxie spinocérébelleuse, une malformation artérioveineuse spinale, une tumeur médullaire, ou encore une myélopathie cervico-arthrosique. En l’absence d’histoire familiale, l’investigation nécessaire repose donc sur le dosage des acides gras à très longue chaîne, de la lipoprotéine sérique, des vitamines B12 et E, du cuivre sérique et de la céruloplasmine. Il faudra aussi tester le VDRL, ainsi que les sérologies HTLV-1 et VIH. Une évaluation neuroophtalmologique peut être nécessaire pour documenter une atrophie optique ou une rétinite pigmentaire. Une imagerie par résonance magnétique (IRM) du cerveau et de la moelle épinière est essentielle pour identifier des lésions structurales [3]. DOI : 10.1684/nro.2010.0217 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Dans le cadre de l’évaluation d’une PSH, il faut prendre en compte l’âge, le mode d’apparition, la vitesse de progression des symptômes, et la présence ou non d’une histoire familiale. Il faut investiguer la famille à la recherche de signes pyramidaux subtils car certains individus peuvent demeurer asymptomatiques pendant plusieurs décennies. Le plus souvent, le début est subtil et lentement progressif. La spasticité demeure le symptôme prédominant tandis que la faiblesse est très relative, certains patients pouvant même conserver une bonne force musculaire tout au long de l’évolution de la maladie. Par ailleurs, on peut voir aussi dans les formes non compliquées des troubles légers de la pallesthésie, des symptômes urinaires, ou des pieds creux. Pour faire la dichotomie entre les formes non compliquées et les formes compliquées, il faudra prendre en compte d’autres signes neurologiques associés. On pourra évoquer une forme compliquée devant la présence des éléments suivants : une ataxie, une amyotrophie, une atrophie optique, une rétinopathie pigmentaire, un retard mental, des signes extrapyramidaux, une démence, une surdité, une neuropathie périphérique, ou de l’épilepsie. La plupart du temps, ces formes rares sont transmises de manière récessive auto­ somique. Au point de vue imagerie, les PSH avancées peuvent présenter un amincissement de la moelle cervicale et thoracique à l’IRM. Il est aussi possible de retrouver des anomalies de la substance blanche cérébrale ainsi qu’un amincissement du corps calleux dans certaines formes compliquées [8]. Les différents sous-types génétiques Sur le plan clinique, on peut diviser les PSH en compliquées ou non compliquées. Sur le plan génétique, on peut les classifier en fonction de leur mode de transmission (dominant, récessif, lié à l’X). Le tableau 1 présente une classification des paraparésies spastiques selon leur mode de transmission et leur phénotype. On connaît à ce jour 41 sortes différentes de PSH mais seulement 17 dont le gène responsable est identifié. Les formes dominantes autosomiques représentent 70 % des cas de PSH dans les populations Caucasiennes (principalement SPG4, SPG3A et SPG6). Les formes non compliquées sont le plus souvent dominantes tandis que les formes compliquées sont en général récessives [4]. Les PSH dominantes La SPG-4 est la plus fréquente, soit 40-45 % des formes dominantes. Typiquement, elle débute entre l’enfance et la trentaine. Le plus souvent, la spasticité s’installe progressivement avec un handicap plus marqué une décennie après le début des symptômes. Parfois, il est possible de retrouver des problèmes d’urgence mictionnelle, une hyperréflexie des membres supérieurs, un déficit de la pallesthésie et même une faiblesse musculaire. Quelques cas compliqués par une ataxie cérébelleuse, de l’épilepsie, un amincissement du corps calleux, un retard mental ou même une démence ont été rapportés. Les mutations du gène SPAST, codant pour la protéine spastine, sont à l’origine du phénotype. La spastine se présente selon différentes isoformes en fonction du site de d’épissage à l’exon 4. Les neurones sont sensibles à l’haplo-insuffisance, expliquant pourquoi une mutation du site d’épissage est suffisante pour engendrer la maladie. Plus de 150 mutations ont été décrites. Ces mutations entraînent une perte de fonction du domaine catalytique AAA au niveau du C-terminal de la protéine. Cela provoque principalement une désorganisation du cytosquelette et des microtubules induisant ainsi une rupture du trafic membranaire et du transport axonal [2-7]. La SPG-3A représente 10 % des cas de PSH dominante. Souvent débutant avant l’âge de 10 ans, elle se caractérise par un phénotype non compliqué et lentement progressif. Le gène SPG3A encode l’atlastine, qui semble contribuer au trafic membranaire intracellulaire surtout de l’appareil de golgi et du réticulum endoplasmique. Elle présente une homologie avec les dynamines, protéines responsables de transport des facteurs neurotrophiques et du recyclage des vésicules synaptiques. Elles contribueraient aussi à la croissance axonale et interagiraient avec la spastine [7-8]. La SPG-31 compte pour 8 % des cas dominants et se caractérise par un phénotype non compliqué dont le début est d’âge variable. Le gène SPG31 code pour la REEP1, une protéine chaperonne localisée dans la mitochondrie mais dont la fonction demeure inconnue [2-8]. Autres PSH dominantes plus rares La SPG-6, induite par des mutations de NIPA1, présente aussi un phénotype pur lentement progressif mais parfois sévère. La NIPA1 est un transporteur du magnésium au niveau des endosomes. Lorsque NIPA1 est muté, en découle un problème de transport du magnésium à travers les membranes cellulaires [6]. La SPG-8, caractérisée par un phénotype non compliqué parfois accompagné de déficit sensitif. La SPG-8 origine de mutations du KIAA0196, codant pour la strumpelline qui semble être en lien avec la croissance neuronale [7]. La SPG-13 est caractérisée par une forme non compliquée à début tardif causée par des mutations de HSP-60. La HSP-60 est une protéine mitochondriale dont les défauts entraînent une dysfonction mitochondriale [7]. La SPG-17 est une forme compliquée caractérisée par une atrophie des muscles des mains et des pieds débutant entre l’adolescence et la trentaine. La fonction de la seipine, codée par le gène BSCL2, demeure inconnue [8]. Les PSH récessives La SPG-7 se caractérise par un phénotype non compliqué lié à des mutations du gène SPG7 codant pour la paraplégine. Toutefois, on retrouve des phénotypes compliqués par de l’ataxie cérébelleuse, une neuropathie périphérique, et des disques optiques pâles. La paraplégine est une protéine du complexe des métalloprotéases qui semble être impliquée dans le premier complexe de la chaîne respiratoire mitochondriale. Son déficit pourrait induire une perturbation du transport axonal secondaire à une dysfonction mitochondriale [8]. La SPG-5A donne un phénotype variable. Le gène CYP7B1 code pour le cytochrome 7B1, qui serait impliqué dans le métabolisme des neurostéroïdes. C’est ici un exemple d’une perturbation du métabolisme du cholestérol qui joue un rôle clé dans une pathologie du neurone moteur [8]. La SPG-11 est classiquement associée à un amincissement du corps calleux avec un déclin cognitif et une neuropathie axonale motrice. Le gène SPG11 code pour la spastacsine, neurologie.com | vol. 2 n°8 | octobre 2010 207 Tableau 1. Paraparésies spastiques héréditaires. Formes pures SPG4, SPG3A, SPG6, SPG8, SPG10, SPG31 Formes compliquées SPG7, SPG11, Formes dominantes Type (OMIM) Locus Gène/Protéine/fonction Début Symptômes Fréquence Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Formes pures SPG3A 182600 14q12-q21 Altlastine Précoce Pure 10 % SPG4 182601 2p22 Spastine Variable Pure rarement compliquées 40 % SPG6 600363 15q11.2-q12 NIPA1 Adulte SPG8 603563 8q24 KIAA0196/strumpelline Adulte Pure mais spasticité ++ 30 familles SPG10 604157 12q13 KIF5A Précoce Pure, mais parfois amyotrophie distale 3 % SPG12 604805 19q13 - Précoce Moins 10 familles SPG13 605280 2q24-q34 Heat shock protein 60 Adulte Moins 10 familles SPG19 607152 9q33-q34 - Adulte 1 famille SPG31 610250 2p12 REEP1 Variable 6-8 % SPG33 610244 10q24.2 ZFYVE27 SPG37 8p21.1-q13.3 - 10 familles Formes compliquées SPG9 601162 10q23.3-q24.2 - Cataracte, neuropathie motrice, petite taille, anomalie squelettique, RGO SPG17 270685 11q12-q14 BSCL2/seipine Sd Silver- amyotrophie musclaire distale SPG29 609727 1p31-p21 - Surdité sensorielle, pieds creux, hyperbilirubinémie néonatale, hernie hiatale SPG38 4p16-p15 Sd Silver Pas de données SPG18 SPG34 SPG36 12q23-q24 SPG41 11p14.1-p11.2 208 neurologie.com | vol. 2 n°8 | octobre 2010 1 famille 1 famille Formes récessives Type (OMIM) Chromosome Gène/Protéine/ fonction Début Symptômes Fréquence Formes pures SPG5A 270800 8p SPG24 607584 13q14 Précoce SPG28 609340 14q21.3-22.3 Enfance SPG30 610357 2q37 Adolescence CYP450- 7B1 Variable 20 familles Signes pseudo-bulbaires possibles 1 famille 1 famille Neuropathie sensitive 1 famille Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Formes compliquées SPG7 602783 16q Paraplegine Variable Signes cérébelleux, polyneuropathie, pieds creux, atrophie optique 30 familles SPG11 610844 15q Spatacsine Variable Retard mental, polyneuropathie, ACC 30 familles SPG14 605229 3q27-q38 Adulte Neuropathie motrice, retard mental, pied creux, agnosie visuelle 1 famille SPG15 270700 14q ZFYVE26/spastizine Adolescence Sd Kjellin- rétinite pigmentaire, faiblesse, dysarthrie, signe cérébelleux, retard mental 5 familles SPG20 275900 13q Spartine Précoce Sd Troyer- retard mental, signe cérébelleux, petite taille, retard psychomoteur 1 famille SPG21 248900 15q Maspardine Adulte Sd Mast- Sd EP, trouble cognitif, ACC, anomalie substance blanche, cataracte, dystonie, polyneuropathie, 1 famille chorée, signes cérébelleux, faiblesse SPG23 270750 1q24-q32 Précoce Sd Lison- trouble pigmentation, dysmorphie, tremblement, trouble cognitif, vieillissement précoce 1 famille SPG25 608220 6q23-q24 Adulte Hernies discales, cataracte, glaucome congénitale 1 famille SPG26 609105 12p11.1-q14 Adulte Retard mental, faiblesse, dysarthrie, polyneuropathie 2 familles SPG27 609041 10q22.1-q24.1 Variable Ataxie cérébelleuse, polyneuropathie, retard mental, microcéphalie, dysmorphie, blépharophimosis 2 familles SPG32 611251 14q12-q23 Enfance Dysraphie pontique, retard mental, ACC 1 famille SPG35 16q21-q23 Enfance Déclin intellectuel, épilepsie 1 famille SPG39 19p13 Enfance Faiblesse distale 2 familles Neuropathy target esterase Formes liées à l’X Type (OMIM) Chromosome Gène/Protéine/ fonction Début Symptômes Fréquence SPG1 303350 Xq28 L1CAM Enfance ACC, retard mental, pouces adductés, hydrocéphalie 100 familles SPG2 312920 Xq21 PLP1 Enfance Quadriparésie, nystagmus, retard mental, épilepsie 75 familles SPG16 300206 Xq11.2 Enfance Pure sévère 1 famille neurologie.com | vol. 2 n°8 | octobre 2010 209 qui est une protéine membranaire ubiquitaire du système nerveux central dont la fonction est inconnue [7]. La SPG-15 (mutations du ZFYVE26) présente un phénotype caractérisé par un retard mental, une rétinite pigmentaire, une ataxie cérébelleuse et une amyotrophie distale. La spastizine est une protéine ubiquitaire qui semble localisée au niveau des endosomes et du réticulum endoplasmique. Elle serait ainsi impliquée dans le transport axonal. Enfin, deux mutations fondatrices chez les Amish ont mené à la description du SPG-20 (spartine) et du SPG-21 (maspardine) qui se présentent par des phénotypes compliqués. Ces protéines interviendraient respectivement dans le transport cellulaire et la formation vésiculaire [5-8]. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. les Psh liées à l’X La SPG-1, liée à des mutations du gène L1CAM, se caractérise par une hydrocéphalie, un retard mental et des pouces en adduction fixée. L1CAM est une glycoprotéine transmembranaire des neurones et des cellules de Schwann jouant un rôle dans la croissance et le développement du système nerveux. La SPG-2, causée par des mutations du gène PLP1, également impliqué dans la maladie de Pelizaeus-Merzbacher, est une forme compliquée d’une neuropathie périphérique et d’anomalies de signal de la substance blanche. PLP1 est la protéine la plus abondante de la myéline du système nerveux central. Finalement, la SPG-16 peut se présenter par une quadriparésie, une aphasie motrice, un retard mental, une diminution de l’acuité visuelle et des troubles sphinctériens [4-8]. conclusion Les avancées récentes de la génétique et de la biologie cellulaire ont mené à la description de nouvelles maladies. Dans 210 neurologie.com | vol. 2 n°8 | octobre 2010 le cas des paraparésies spastiques, grâce à ces avancées, nous avons exposé que le phénotype non compliqué, caractérisé par une spasticité progressive des membres inférieurs, peut être engendré par l’absence ou la dysfonction des protéines impliquées dans le transport des macromolécules, le fonctionnement mitochondrial ou même la croissance axonale. Ainsi, toutes ces voies pathologiques aboutissent à la dégénérescence axonale rétrograde. La compréhension de cette dégénérescence pourrait fournir les bases du traitement de bon nombre d’autres maladies neurodégénératives. conflit d’intérêts Aucun. Références 1. Harding AE. Hereditary spastic paraplegias. Semin Neurol 1993 ;13 : 333-6. 2. Durr A, Brice A, Serdaru M, et al. The phenotype of "pure" autosomal dominant spastic paraplegia. Neurology 1994 ; 44 : 1274-7. 3. Donaghy M. Classification and clinical features of motor neurone diseases and motor neuropathies in adults. 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