Syndromes de reconstitution immunitaire chez les patients infectés

MISE AU POINT
La Lettre de l’Infectiologue - Tome XXI - n° 3 - mai-juin 2006
116
Syndromes de reconstitution immunitaire
chez les patients infectés par le VIH
Immune reconstitution inflammatory syndrome in HIV-infected patients
G. Breton*
* Service de médecine interne, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris.
RÉSUMÉ.
Le traitement par antirétroviraux de l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) entraîne une reconstitution des
réponses immunitaires et a permis une diminution de la fréquence et de la mortalité des infections opportunistes. Cependant, cette reconsti-
tution peut parfois être pathologique et être à l’origine d’un syndrome de reconstitution immunitaire (SRI). Ce syndrome regroupe l’ensemble
des manifestations pathologiques liées à la présence d’une réponse immunitaire excessive dirigée contre des antigènes d’un agent infectieux
ou non infectieux. Les manifestations du SRI sont polymorphes et le diagnostic est complexe.
La survenue d’un SRI est un événement fréquent, observé chez près d’un tiers des patients au cours de la tuberculose, des infections à myco-
bactéries atypiques, des infections à cryptocoque ou liées au cytomégalovirus. De nombreux autres agents infectieux peuvent être à l’origine
de SRI, ainsi que des pathologies auto-immunes ou inflammatoires. La prise en charge thérapeutique des SRI n’est pas codifiée. La reconsti-
tution immunitaire étant l’objectif du traitement antirétroviral, ce traitement ne doit pas, dans la mesure du possible, être arrêté. L’évolution
est parfois favorable, mais il est souvent nécessaire d’utiliser des anti-inflammatoires, en particulier stéroïdiens. La physiopathologie,
partiellement élucidée, associe une reconstitution des réponses immunitaires acquises, mais aussi innées, et des phénomènes inflammatoires
sous le contrôle du polymorphisme génétique de l’hôte. Les principaux facteurs de risque de la survenue d’un SRI sont représentés par
l’immunodépression profonde (CD4 < 50/mm
3
), la dissémination de l’infection initiale, l’introduction rapide du traitement antirétroviral chez
les patients traités pour une infection opportuniste.
La survenue de SRI complique la prise en charge des patients infectés par le VIH. Une meilleure connaissance du SRI et de ses facteurs favo-
risants est nécessaire afin d’améliorer le diagnostic et de développer des stratégies préventives.
Mots-clés :
Syndrome de reconstitution immune - VIH - Traitement antirétroviral - Tuberculose - Mycobactérie atypique - Cryptococcose -
Cytomégalovirus - Maladies systémiques.
ABSTRACT.
Antiretroviral therapy of immunodeficiency virus (HIV) infection induces a reconstitution of immune response and has led to
a decrease in the frequency and in the mortality of opportunistic infections. However, this immune reconstitution is sometimes deleterious
and may cause immune reconstitution inflammatory syndrome (IRIS). This syndrome includes all pathological manifestations attributed to an
exaggerated immune response to various infectious or not infectious antigens. The clinical manifestations of IRIS are pleiomorphic and the
diagnosis is complex.
The occurrence of IRIS is a frequent event, observed in almost one third of patients during tuberculosis, Mycobacterium avium complex infec-
tions, cryptococcosis and cytomegalovirus infections. Numerous infectious and autoimmune diseases may induce IRIS. The treatment of IRIS
has not been validated by clinical studies. The immune reconstitution being the goal of antiretroviral therapy, this treatment should not be stop-
ped. The outcome is sometimes spontaneously favourable, however anti-inflammatory drugs, especially corticosteroids, are frequently requi-
red. The physiopathology is partially elucidated and associates the reconstitution of specific and non specific immune response, inflammatory
phenomena under the control of the host genetic polymorphism. The main risk factors of IRIS are represented by the severe immunodepression
(CD4< 50/mm
3
), the extension of the infection, and the introduction of antiretroviral therapy shortly after the treatment of an opportunistic
infection.
The occurrence of IRIS complicates the treatment of HIV infected patients. A better knowledge of IRIS and of its predictive factors is required
in order to improve the diagnosis and the preventive strategies.
Keywords:
Immune reconstitution inflammatory syndrome - HIV - Antiretroviral therapy - Tuberculosis - Mycobacterium avium complex -
Cryptococcosis - Cytomegalovirus - Autoimmune diseases.
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A
vant l’épidémie du sida, des manifestations inhabituelles,
comme l’augmentation de la taille d’adénopathies ou
l’apparition de tuberculomes intracrâniens, ont été
décrites au cours du traitement de la tuberculose (1, 2). Ces aggra-
vations ont été qualifiées de “paradoxales”, car elles survenaient
malgré un traitement antituberculeux bien conduit. Elles corres-
pondent, en fait, à la reconstitution de l’immunité antituberculeuse.
La tuberculose induit en effet une immunodépression que les anti-
tuberculeux corrigent progressivement (3). L’infection par le VIH
était à l’origine d’une augmentation de la fréquence de ces mani-
festations avant même l’introduction des antirétroviraux (4).
Au cours de l’infection par le VIH, les multithérapies antiré-
trovirales permettent de contrôler la réplication virale et entraî-
nent une augmentation du nombre et de la fonctionnalité des
lymphocytes CD4 à l’origine de la reconstitution au moins par-
tielle de la réponse immunitaire (5). Cette reconstitution se tra-
duit au plan individuel et collectif par une diminution de la fré-
quence des infections opportunistes et de leur mortalité (6).
Elle peut cependant être aussi à l’origine de manifestations patho-
logiques. Ces manifestations sont associées à la capacité retrouvée
du système immunitaire de développer une réponse immunitaire
spécifique et/ou inflammatoire non spécifique vis-à-vis d’antigènes
d’agents infectieux ou non infectieux. Elles sont regroupées sous
l’appellation de syndrome de reconstitution immunitaire (SRI) et
sont observées avec la plupart des agents infectieux responsables
d’infections opportunistes, mais ce syndrome regroupe aussi des
manifestations auto-immunes ou inflammatoires (7-12). Nous pré-
sentons une revue des SRI chez les patients infectés par le VIH.
RECONSTITUTION IMMUNITAIRE SOUS TRAITEMENT
ANTIRÉTROVIRAL
L’infection par le virus VIH entraîne une destruction progressive
des mécanismes de défense, et particulièrement de ceux dépendant
de l’immunité cellulaire. Le VIH infecte les lymphocytes CD4 et
les cellules présentatrices d’antigènes exprimant à leur surface le
récepteur CD4. La diminution du nombre de lymphocytes CD4 est
multifactorielle : effet cytopathogène direct du VIH, réponse CD8
cytotoxique dirigée contre les cellules CD4 infectées, ou encore
phénomènes d’apoptose et diminution de la régénération thymique.
À cette diminution quantitative des effecteurs du système immu-
nitaire s’ajoute une diminution qualitative : la réplication intense
et chronique du VIH est à l’origine d’une hyperactivation du sys-
tème immunitaire qui en diminue la fonctionnalité. Ces anomalies
sont à l’origine d’un profond déficit, en particulier de l’immunité
cellulaire spécifique (CD4 Th1) et non spécifique (monocyte-
macrophage), qui sont des éléments clés de la défense contre les
pathogènes intracellulaires comme, par exemple, la tuberculose ou
le cryptocoque. Les traitements antirétroviraux permettent une
réduction majeure de la réplication virale et une reconstitution au
moins partielle des réponses immunitaires, tant sur le plan quanti-
tatif que qualitatif (5). Cette reconstitution évolue en deux phases :
une phase précoce, dans les trois premiers mois, avec une aug-
mentation souvent rapide du nombre de lymphocytes CD4, reflé-
tant la redistribution des lymphocytes CD4 mémoires séquestrés
dans les organes lymphoïdes, suivie d’une phase plus lente avec la
régénération de lymphocytes CD4 naïfs (5, 13). Cette régénération
lymphocytaire permet une augmentation de la diversité du réper-
toire antigénique des récepteurs des lymphocytes T, et elle est asso-
ciée à une production de cytokines de type Th1 comme l’IL-2 et
l’IFNγ, qui possèdent d’importantes propriétés pro-inflammatoires
(14, 15). Parallèlement, la suppression de la réplication virale induit
une diminution de l’activation du système immunitaire et des phé-
nomènes d’apoptose (5). Ces effets permettent la réapparition rapide
d’une immunité spécifique dirigée contre les antigènes de l’envi-
ronnement [toxine staphyloccoccique, candidine] (16, 17), mais
aussi contre les antigènes d’agents infectieux responsables d’in-
fections opportunistes [cytomégalovirus, Mycobacterium avium
complex] (18, 19).
SYNDROME DE RECONSTITUTION IMMUNITAIRE
Le SRI regroupe l’ensemble des manifestations pathologiques
qui sont attribuées à la reconstitution de la réponse immune spé-
cifique et/ou inflammatoire vis-à-vis d’agents infectieux ou non
infectieux après introduction d’un traitement antirétroviral (7-
12). Ce syndrome peut être observé avec de nombreux agents
infectieux, mais aussi au cours de pathologies auto-immunes ou
inflammatoires [tableau I] (7-12). De façon schématique, on
peut distinguer deux formes différentes de SRI. Premièrement,
dans le cas d’une infection opportuniste révélant l’infection par
le VIH, le traitement initial de l’infection opportuniste permet
l’amélioration des symptômes. Le traitement antirétroviral intro-
duit secondairement peut être à l’origine de manifestations liées
à la réponse immunitaire vis-à-vis de fragments antigéniques
de l’agent pathogène devenu inactif microbiologiquement.
Deuxièmement, après l’instauration d’un traitement antirétro-
viral, la restauration d’une réponse immunitaire dirigée contre
un agent infectieux quiescent mais viable peut démasquer une
infection latente jusque-là. Le diagnostic de l’infection oppor-
tuniste est alors porté, bien que le nombre de lymphocytes CD4
soit élevé, à un seuil où cette infection n’est habituellement pas
observée. Les manifestations des SRI sont diverses et dépen-
dent du pathogène impliqué, mais elles sont marquées par leur
caractère inflammatoire, ce qui a fait proposer à Shelburne et
al. de considérer que ces différentes manifestations sont en fait
des formes cliniques d’un seul syndrome, qu’il a suggéré de
regrouper sous l’appellation d’Immune Reconstitution Inflam-
matory Syndrome (11). Ce diagnostic doit être évoqué devant
l’association des critères suivants (figure 1) :
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Apparition de manifestations cliniques, biologiques ou mor-
phologiques après l’introduction du traitement antirétroviral
chez un patient infecté par le VIH.
Manifestations non expliquées par un effet indésirable des
traitements, par une infection opportuniste ou communautaire
nouvellement acquise, par un échec du traitement d’une infec-
tion (résistance, inobservance…) ou par l’évolution d’une
infection préalablement identifiée.
Survenue de ces manifestations dans un contexte d’effica-
cité du traitement antirétroviral : baisse significative de la
charge virale VIH et, habituellement, augmentation des lym-
phocytes CD4 en valeur absolue et/ou en pourcentage.
La difficulté du diagnostic de SRI qui repose sur l’association
de ces critères hétérogènes est à l’origine de nombreuses défi-
nitions, de plusieurs classifications et de multiples appellations
différentes qui ne favorisent pas son identification : aggrava-
tion paradoxale, réactions inflammatoires, désordre de restau-
ration immune, syndrome inflammatoire de reconstitution
immune, maladie de restauration immune (tableau II).
Tableau I. Agents infectieux et non infectieux à l’origine de
syndromes de reconstitution immunitaire (SRI) au cours de
l’infection par le VIH (7-12).
Agent infectieux, Manifestations cliniques
non infectieux lors du SRI
Mycobactéries Mycobacterium tuberculosis Fièvre, lymphadénite,
lésion pulmonaire
Mycobacterium avium complex
Fièvre, lymphadénite
Mycobacterium leprae Réaction de réversion
Bactéries Bartonella henselae Encéphalite, lymphadénite
Chlamydia trachomatis Fiessinger-Leroy-Reiter
Mycoses
Cryptococcus neoformans
Méningite aseptique, lymphadénite
Histoplasma capsulatum Lymphadénite
Mycose cutanée ? Folliculite
Virus VZV Récurrence de zona
HSV Ulcération chronique
CMV Uvéite, pneumopathie
HHV8 Kaposi extensif
Virus JC Aggravation de LEMP
Hépatite virale C et B Élévation des transaminases,
séroconversion
Parvovirus B19 Encéphalite
HPV Récurrence condylome
EBV Lymphome
BK virus Cystite hémorragique
VIH Encéphalomyélite,
vascularite cérébrale
Parasites Pneumocystis jiroveci Pneumopathie
Leishmania infantum, Uvéite, dermatite post-kala azar
L. major
Microsporidie Kératoconjonctivite
Maladies Sarcoïdose
inflammatoires Basedow
Guillain et Barré Apparition ou poussée évolutive
Lupus
Polymyosite
VZV : virus varicelle zona ; HSV : Herpes simplex virus ; HHV8 : Herpèsvirus du
groupe 8 ; HPV : papillomavirus ; EBV : virus Epstein-Barr.
}
Symptômes après
introduction ART
Infection opportuniste
en cours de traitement Patient initialement
asymptomatique
Effet indésirable/ART ?
Nouvelle infection
opportuniste ?
Effet indésirable,
traitement infection
opportuniste (curatif
ou prophylaxie
secondaire) ?
Rechute infection
opportuniste ?
résistance microbiologique
inobservance
interaction médicamenteuse
Présence facteur de risque SRI
nadir CD4 < 50-100/mm3
infection opportuniste disséminée
début rapide ART
Réponse immunovirologique
diminution CV > 1 log
augmentation CD4 (nombre ou pourcentage)
Effet indésirable/
traitement
ou prophylaxie
primaire ?
Pathologie communautaire ?
infectieux (pneumopathie
bactérienne...)
non infectieux (thrombose veineuse,
néoplasie...)
SYNDROME DE RECONSTITUTION IMMUNITAIRE
Figure 1. Arbre diagnostique proposé devant la survenue de symp-
tômes cliniques, biologiques ou morphologiques après le début du
traitement antirétroviral (ART) chez un patient infecté par le VIH.
Tableau II. Critères diagnostiques et classification du syndrome
de reconstitution immunitaire proposés par French et al. (9).
CRITÈRES MAJEURS
Présentation atypique d’une pathologie opportuniste ou tumorale
chez des patients répondant au traitement antirétroviral
Maladie localisée
Réaction inflammatoire exagérée
Réponse inflammatoire atypique dans les tissus
Progression de l’atteinte d’un organe ou augmentation de taille
de lésions préexistantes après une amélioration initiale sous
traitement spécifique avant le début du traitement antirétroviral et après
exclusion d’une toxicité médicamenteuse ou d’un autre diagnostic
Diminution de la charge virale VIH > 1 log10 copies/ml
CRITÈRES MINEURS
Augmentation des lymphocytes CD4 après traitement antirétroviral
Augmentation de la réponse immunitaire spécifique
Résolution spontanée sans traitement spécifique anti-infectieux ou
antitumoral avec poursuite du traitement antirétroviral
CLASSIFICATION
Pathologie de reconstitution immunitaire infectieuse
Précoce (< 3 mois après l’introduction du traitement antirétroviral)
liée à une réponse immune vis-à-vis d’un agent infectieux
opportuniste actif mais quiescent
Tardif (> 3 mois après l’introduction du traitement antirétroviral)
liée à une réponse immunitaire vis-à-vis d’un antigène d’un agent
infectieux non viable
Sarcoïdose de reconstitution immunitaire
Pathologie auto-immune de reconstitution immunitaire
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PHYSIOPATHOLOGIE DU SYNDROME DE RECONSTITUTION
IMMUNITAIRE
La physiopathologie du SRI est partiellement élucidée. La
situation intracellulaire de la majorité des agents infectieux à
l’origine de SRI fait supposer que les mécanismes de régula-
tion de la réponse immunitaire cellulaire sont particulièrement
impliqués. Cependant, la diversité des agents infectieux ou non
infectieux pouvant être à l’origine de SRI est telle que l’exis-
tence de plusieurs mécanismes est probable. Le principal élé-
ment commun de l’immunopathologie des SRI est la reconsti-
tution d’une immunité cellulaire spécifique après l’instauration
des traitements antirétroviraux, comme cela a été mis en évi-
dence dans le cas d’une infection par Mycobacterium avium
complex ou par le cytomégalovirus (18, 19).
Les SRI associés aux infections mycobactériennes et fongiques
semblent plutôt liés à la réapparition d’une hypersensibilité
retardée (9). La repositivation de l’intradermoréaction à la
tuberculine observée dans les SRI impliquant la tuberculose
est en faveur de cette hypothèse (4). La mise en évidence, lors
de SRI, de granulomes épithélioïdes et giganto-cellulaires, avec
parfois de la nécrose, est très inhabituelle chez les patients au
stade sida, où les infections mycobactériennes et fongiques sont
associées à un granulome inflammatoire constitué essentielle-
ment d’histiocytes sans cellules géantes et à la présence de
nombreux agents infectieux (20, 21). En effet, la capacité à for-
mer des granulomes est dépendante de la fonctionnalité de la
réponse immunitaire cellulaire ; c’est bien connu dans la lèpre,
où la réponse granulomateuse décrit un spectre s’étendant d’un
infiltrat histiocytaire diffus contenant de nombreux agents
infectieux (pôle lépromateux) à des granulomes bien formés
épithélioïdes et gigantocellulaires contenant de rares agents
infectieux (pôle tuberculoïde) (21). La conversion d’un infil-
trat histiocytaire, avant traitement antirétroviral, à un granu-
lome constitué de cellules épithélioïdes et géantes après l’ins-
tauration du traitement antirétroviral, constatée au cours de SRI
associé à Histoplasma capsulatum, est évocatrice de la restau-
ration d’une activation macrophagique dépendante de la
réponse cellulaire spécifique de type Th1 qui est peut-être
excessive et dérégulée (22). Les SRI associés à la sarcoïdose
sont vraisemblablement d’un mécanisme proche. Ces mani-
festations associées à la formation de granulomes dépendent
de la réponse CD4 (23).
Dans le cas des infections virales, en particulier avec les Her-
pèsvirus, le mécanisme semble plutôt lié à une réponse CD8
cytotoxique, indépendamment de la réponse CD4, comme cela
a été montré lors des récurrences de zona après introduction
d’un traitement antirétroviral (24) ou au cours de SRI associés
à des leucoencéphalopathies multifocales progressives, liées
au virus JC, avec la mise en évidence d’infiltrats périvascu-
laires constitués de lymphocytes CD8 (25). La survenue de SRI
au cours des infections à cytomégalovirus a été associée à une
augmentation plasmatique d’IL-6, à la présence d’immuno-
globulines G anti-CMV ainsi que de CD30 soluble (26, 27).
Ces marqueurs qui témoignent d’une réponse cellulaire de type
Th2 sont en faveur de la reconstitution d’une immunité anti-
CMV pathologique avec une orientation Th2 et une réponse
CD8 cytotoxique excessive (26, 27).
Ces mécanismes immunologiques sont sous le contrôle du poly-
morphisme génétique du complexe majeur d’histocompatibi-
lité et plus particulièrement de certains allèles des gènes codant
pour les cytokines du TNFα, de l’IL-6 et de l’IL-12 qui ont été
associés à la survenue de SRI au cours d’infections liées à des
Herpèsvirus (28, 29).
La physiopathologie du SRI paraît donc complexe, avec des
interactions entre les agents infectieux, la réponse immunitaire
cellulaire spécifique et non spécifique et le polymorphisme
génétique de l’hôte.
FACTEURS DE RISQUE DE SURVENUE DU SYNDROME
DE RECONSTITUTION IMMUNITAIRE
Même si les SRI sont observés en l’absence de traitements anti-
rétroviraux, l’introduction de ces traitements, dont l’objectif
principal est justement la reconstitution immunitaire, repré-
sente sans surprise le principal facteur de risque de survenue
d’une reconstitution immunitaire pathologique s’exprimant par
un SRI (4, 30). Le type de traitement antirétroviral utilisé (asso-
ciation contenant des inhibiteurs de protéase ou des inhibiteurs
non nucléosidiques, trithérapie d’inhibiteurs nucléosidiques)
ne semble pas influencer la survenue d’un SRI.
Une dizaine d’études, le plus souvent rétrospectives, incluant
de 17 à 180 patients, ont permis d’identifier trois principaux
facteurs de risque de survenue de SRI au cours de diverses
pathologies infectieuses [tuberculose, mycobactériose aty-
pique, cryptococcose, infection à CMV, VHC (8, 30-38)].
L’immunodépression initiale (CD4 < 50/mm
3
) est associée
à la survenue d’un SRI (8). Ce facteur est retrouvé en particu-
lier au cours de cryptococcoses, de mycobactérioses atypiques
et d’infection à CMV (8, 30, 31), mais il reste controversé au
cours des tuberculoses (33, 35-37).
La dissémination initiale de l’infection est un facteur de
risque de la survenue d’un SRI. Le titre initial élevé de l’anti-
gène cryptococcique dans le LCR (32), la présence d’hémo-
cultures fongiques positives (31), la dissémination de la tuber-
culose (33-35, 37), et l’existence d’une lésion initiale rétinienne
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à CMV atteignant au moins 30 % de la rétine (38) sont des fac-
teurs de risque associés au SRI.
L’introduction précoce des antirétroviraux après le début du
traitement antifongique dans les cryptococcoses [< 30 jours,
< 50 jours, < 60 jours selon les études] (30-32) et après le début
des traitements antituberculeux dans les tuberculoses
(< 40 jours, < 50 jours ou < 2 mois) (30, 36, 37) est associée à
la survenue d’un SRI.
De plus, lors du diagnostic de SRI, la baisse de la charge virale
VIH (30, 36) et l’augmentation des lymphocytes CD4 [en pour-
centage plus qu’en valeur absolue] (33, 35) sont plus pronon-
cées. Ces éléments peuvent être utiles pour l’identification du
SRI.
ASPECTS ÉTIOLOGIQUES ET CLINIQUES DES SYNDROMES
DE RECONSTITUTION IMMUNITAIRE
Arbitrairement, il existe deux grands cadres d’expression cli-
nique du SRI. La forme “infectieuse” se manifeste de façon
variable selon l’agent infectieux. La forme “immunitaire” se
manifeste par une pathologie inflammatoire ou auto-immune.
Agents infectieux fréquemment associés à la survenue d’un
SRI
Mycobacterium tuberculosis. C’est l’agent infectieux le
plus fréquemment à l’origine de SRI. Plus d’une centaine de
cas ont été rapportés dans des séries rétrospectives ou dans des
cas isolés (4, 30, 33-37, 39, 40). Quatre-vingt-onze SRI ont
été observés parmi les 289 patients traités pour une tuberculose
étudiés dans les sept principales séries rétrospectives (4, 30,
33-37, 39). La fréquence du SRI variait de 25 % à 43 % selon
les études. Les manifestations sont survenues en moyenne
30 jours (11 jours à 2 mois et demi en moyenne selon les
séries) après l’introduction du traitement antirétroviral chez
des patients traités efficacement par antituberculeux. Parmi
les 86 patients pour lesquels des données cliniques sont ana-
lysables, les principales manifestations cliniques ont été l’ap-
parition ou l’augmentation de taille d’adénopathies (71 %), la
réapparition d’une fièvre (50 %), l’apparition ou l’aggravation
d’infiltrats pulmonaires, d’une miliaire ou d’épanchements
pleuraux (28 %) (4, 30, 33, 34, 37, 39). De nombreuses autres
manifestations ont été rapportées avec une fréquence moindre :
ascite, atteinte digestive, abcès splénique, arthrite, abcès du
psoas, méningite, tuberculome intracrânien, lésions cutanées,
hypercalcémie ou encore insuffisance rénale secondaire à une
miliaire rénale (4, 30, 33-37, 39, 40). La quasi-totalité des SRI
a été observée chez des patients traités pour une tuberculose
après l’introduction du traitement antirétroviral ; cependant,
quelques cas de tuberculose révélée après la mise sous anti-
rétroviraux ont aussi été rapportés (40, 41). Enfin, des aggra-
vations paradoxales de la tuberculose ont été signalées depuis
l’existence des antituberculeux, et des cas d’aggravation sous
traitement avant même l’introduction des antirétroviraux ont
été décrits, semblant plus fréquents chez les patients infectés
par le VIH (4).
Mycobacterium avium complex. Les infections à mycobac-
téries atypiques sont fréquemment asymptomatiques au cours
de l’infection par le VIH chez les patients très immunodépri-
més et peuvent être démasquées par le traitement antirétrovi-
ral. Dans une série rétrospective de 35 patients traités pour une
infection à M. avium complex, le diagnostic avait été effectué,
après l’introduction du traitement antirétroviral, au cours d’un
SRI, chez 31 % d’entre eux (30). Parmi les 64 cas rapportés
dans la littérature, les symptômes sont survenus habituellement
dans les 4 semaines qui suivaient l’introduction du traitement
antirétroviral chez des patients initialement asymptomatiques,
profondément immunodéprimés [CD4 = 25/mm
3
en médiane]
(40). La présentation clinique était inhabituelle en comparai-
son du tableau classiquement décrit chez les patients immu-
nodéprimés: rareté des formes disséminées, absence d’amai-
grissement, existence de localisations inhabituelles telles que
des adénopathies (69 %) parfois nécrotiques évoluant vers la
fistulisation, des lésions pulmonaires (19 %), des ostéomyé-
lites, des bursites, des myosites, des masses granulomateuses
abdominales, cérébrales ou cutanées (40). Le diagnostic a
reposé sur la culture des différents prélèvements, mais les
hémocultures le plus souvent négatives traduisaient le carac-
tère localisé de l’infection. Le nombre de lymphocytes CD4
était en moyenne de 140/mm
3
au moment du diagnostic (40).
Quelques cas de SRI au cours d’infections avec d’autres myco-
bactéries atypiques ont été rapportés (40).
De façon rare, des SRI au cours du traitement d’infections à
mycobactérie atypique ont été observés après l’introduction du
traitement antirétroviral comme dans la tuberculose. Toutefois,
ces cas ne représentaient que 8 % des cas de SRI associés aux
mycobactéries atypiques (40).
Les SRI au cours de la tuberculose ou des mycobactérioses aty-
piques prennent donc un aspect très différent. La survenue d’un
SRI au cours de la tuberculose se produit quasiment exclusi-
vement chez des patients en cours de traitement antituberculeux
lorsque les antirétroviraux sont introduits. Les SRI associés
aux mycobactéries atypiques surviennent le plus souvent chez
des patients asymptomatiques lors du début du traitement anti-
rétroviral. Ces différences peuvent s’expliquer par le caractère
moins pathogène des mycobactéries atypiques, qui sont plus
souvent asymptomatiques que la tuberculose et dont le dia-
gnostic n’est pas toujours fait avant le début du traitement anti-
rétroviral (42).
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