dossier thématique Transition épithéliomésenchymateuse La transition épithélio-mésenchymateuse dans le développement et les pathologies Epithelial-mesenchymal transition in development and pathologies Jean-Paul Thiery*, Ruby Yun-Ju Huang** processus fondamental indispensable lors de l’embryogenèse et de l’organogenèse. La conversion morphologique de cellules épithéliales en cellules mésenchymateuses est assurée par une diversité de voies de signalisation qui contrôlent le statut adhésif, la migration cellulaire, et coopèrent avec le programme de différenciation. Les mécanismes assurant les transitions morphologiques et moléculaires ont été adoptés par certaines cellules endothéliales à l’origine des valves cardiaques dans l’ébauche cardiaque. La TEM contribue aussi à diverses pathologies comme la fibrose de nombreux organes. L’implication de la TEM dans l’invasion et la dissémination métastatique des carcinomes est désormais très documentée. Le concept de transition morphologique est à la base de nouvelles stratégies d’intervention thérapeutique. Summary RÉSUMÉ »»La transition épithélio-mésenchymateuse ( TEM) est un Mots-clés : Transition épithélio-mésenchymateuse − Morphogenèse − Fibrose − Invasion − Métastase. Keywords: Epithelial-mesenchymal transition − Morphogenesis − Fibrosis − Invasion − Metastasis. L * Institut de biologie moléculaire et cellulaire A*STAR ; département de biochimie, école de médecine ; Cancer Science Institute, Singapour. ** Cancer Science Institute ; département d’obstétrique et de gynécologie, hôpital national universitaire, université nationale de Singapour. 108 Epithelial-mesenchymal transition (EMT) is a fundamental process involved in embryogenesis and organogenesis that cooperates with differentiation programs. The morphological conversion of epithelial cells into mesenchymal cells is controlled by molecular mechanisms governing cell adhesion and cell migration. A similar process has been described in endothelial cells of the heart primordium in cardiac valve formation, in disease states such as fibrosis and in the invasive and metastatic processes of carcinoma. The EMT concept is now applied for the development of new therapeutic strategies. a TEM est un processus qui s’est maintenu au cours de l’évolution chez les organismes multicellulaires. Elle permet à des animaux très primitifs comme les méduses de construire leurs 2 couches cellulaires. La TEM contrôle des étapes critiques de la morphogenèse aboutissant à la construction du plan de l’embryon et au développement des organes. Les mécanismes qui président à l’exécution des programmes de la TEM sont malheureusement réactivés chez l’adulte lors de la formation de tissus fibrotiques dans certains organes et lors de la dissémination des carcinomes et des mélanomes. La régulation de la TEM du point de vue du biologiste cellulaire L es mécanismes moléculaires qui contrôlent la TEM sont schématiquement regroupés en 4 modes de régulation transcriptionnelle (1). Le premier mécanisme identifié est assuré par des facteurs de transcription comme Snail1 et Snail2, qui reconnaissent des séquences consensus dans la région proximale de promoteurs géniques et répriment la transcription. Un deuxième mécanisme fait appel au recrutement de complexes enzymatiques par ces facteurs de transcription. Ces complexes stabilisent la répression engendrée par les facteurs de transcription par désacétylation et par méthylation des histones et de l’ADN dans la région proximale de promoteurs de gènes assurant la stabilité des épithéliums. Un troisième mécanisme de régulation est assuré par des micro-ARN tels les membres de la famille miR200 qui peuvent cibler des répresseurs transcriptionnels comme Zeb1. Enfin, des mécanismes d’épissage alternatif interviennent dans la TEM. Deux modes de régulation post-traductionnelle impliquent des phosphorylations ou une ubiquitination et une dégradation de protéines régulatrices de Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. II - n° 3 - juillet-août-septembre 2013 La transition épithélio-mésenchymateuse dans le développement et les pathologies la TEM. U ne des cibles les plus étudiées de la TEM est la E-cadhérine, un constituant essentiel des jonctions adhérentes des épithéliums (2, 3).La E-cadhérine est une protéine transmembranaire constituée de 5 domaines immunoglobulines dans sa région extracellulaire. Les 2 domaines les plus extérieurs interagissent pour former une zone de contact intercellulaire qui se développe progressivement en jonction adhérente reliée au cytosquelette d’actine tapissant la région sous-membranaire. Une adhérence stable n’est obtenue que si le niveau d’expression de la E-cadhérine est suffisamment élevé et stable. Le contact avec le cytosquelette d’actine est établi grâce à la β-caténine, une protéine interagissant avec le domaine cytoplasmique de la E-cadhérine et avec l’α-caténine (4, 5). Le complexe adhésif associé à la E-cadhérine est donc soumis à de multiples niveaux de régulation qui permettent d’engendrer des phénotypes cellulaires mésenchymateux partiels ou complets. En dehors des jonctions adhérentes, les cellules épithéliales des tissus adultes possèdent des desmosomes qui assurent une résistance aux forces de traction et des jonctions serrées qui constituent une barrière étanche au transfert de macromolécules. Les cellules épithéliales possèdent une polarité apicobasale et, par voie de conséquence, un cytosquelette d’actine, de microtubules et de cytokératines localisé dans des positions très spécifiques dans les cellules. De plus, le noyau et les organelles sont aussi distribués de façon polarisée. Lors de la formation d’un épithélium, l’acquisition de la polarité apicobasale dépend de façon critique de l’assemblage des complexes jonctionnels et de protéines directement responsables de la mise en place de la polarité. Enfin, tous les épithéliums organisent une membrane basale assurant une stabilité supplémentaire de l’édifice cellulaire polarisé. La TEM comprend une série d’événements moléculaires qui abolissent progressivement la polarité cellulaire, désorganisent tous les complexes jonctionnels et engendrent un profond remaniement du cytosquelette et des organelles (2). En particulier, il est fréquent que les filaments intermédiaires de cytokératines soient remplacés par des filaments de vimentine, protéine très souvent recherchée comme marqueur de la TEM et souvent associée à la perte d’expression de la E-cadhérine. La TEM dans le développement embryonnaire, un rôle majeur dans l’organogenèse L a TEM est un processus remarquablement conservé depuis la formation des diploblastes (animaux ne possé- dant que 2 couches cellulaires) [6], il y a environ 800 millions d’années. La TEM a pour fonction de permettre à certaines cellules d’un épithélium de se désolidariser, c’est-à-dire de perdre leurs contacts intercellulaires avec les cellules voisines et de dégrader localement la membrane basale puis de subir une conversion morphologique extrêmeleur conférant finalement la forme d’une cellule polarisée selon l’axe antéropostérieur et possédant diverses protrusions ou un lamellipode. In vitro, ces cellules ont une morphologie dite “fibroblastique” ou “de type glial” (cellule étoilée) ne reflétant que partiellement la morphologie dans un environnement tridimensionnel. Les embryologistes ont appelé ces cellules “mésenchyme”. Le terme “mésenchyme” dérive du grec méso (milieu) et enkhuma (infusion) pour décrire un milieu peu organisé entre 2 tissus. Les cellules du mésenchyme formées par TEM une fois totalement séparées de leur épithélium d’origine migrent pour se positionner dans d’autres territoires et à leur tour jouer un rôle important dans l’organogenèse grâce à des mécanismes d’induction et d’interaction réciproques avec un épithélium décrits comme des interactions épithélio-mésenchymateuses (IEM). Les cellules mésenchymateuses peuvent aussi inverser leur phénotype en subissant une transition mésenchymo-épithéliale (TME),comme c’est le cas dans la formation de l’épithélium rénal. Ce processus a également une très grande importance dans la progression des carcinomes. Gastrulation1 Les embryons de toutes les espèces animales gastrulent pour établir le plan du corps. Le terme “gastrulation” dérive du grec gaster (formation du tube digestif ). La gastrulation chez la mouche du vinaigre ou chez l’oursin n’est pas fondamentalement différente de celle opérant chez l’embryon humain. En fait, les découvertes initiales de mécanismes moléculaires contrôlant la TEM ont été faites chez la drosophile. L’exemple le plus concret est celui du gène Snail, qui, en cas de mutation, altère la gastrulation chez la drosophile (7). La protéine sauvage Snail est un répresseur de Shotgun, qui n’est autre que l’orthologue2 de la E-cadhérine. Un orthologue de Snail sera plus tard identifié comme étant un activateur de la gastrulation en réprimant la E-cadhérine, cette fois-ci chez l’embryon d’oiseau (8). La géométrie des embryons diffère de façon significative selon les espèces et rend impossible une description générique. La gastrulation chez les oiseaux présente beaucoup de similitudes avec celle des mammifères. Juste après la ponte, les œufs embryonnés possèdent environ 60 000 cellules organisées en une couche épithéliale Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. II - n° 3 - juillet-août-septembre 2013 1 La gastrulation est une étape précoce du développement embryonnaire d’un organisme. À ce stade, l’embryon est appelé “gastrula”. D’importants mouvements cellulaires mettent en place les 3 feuillets (tissus fondamentaux de l’embryon) : – l’ectoblaste (ou ectoderme) ; – l’endoblaste (ou endoderme) ; – (du moins chez les animaux triploblastiques) le mésoblaste (ou mésoderme). Jusque-là sphérique, l’embryon s’invagine pour former une nouvelle cavité interne, futur tube digestif. À la fin de cette étape, dans certains cas, la gastrula adopte la symétrie caractéristique de l’animal (bilatérale, par exemple). 2 Deux séquences homologues de 2 espèces différentes sont or thologues si elles descendent d’une séquence unique présente dans le dernier ancêtre commun aux 2 espèces. 109 dossier thématique formant un disque appelé “épiblaste”, lui-même associé à une couche incomplète de cellules, l’“hypoblaste”, qui sera plus tard remplacé par une couche épithéliale de cellules endodermiques. Quelques heures après la ponte, un certain nombre de cellules de l’épiblaste subissent des mouvements chorégraphiques et migrent vers la partie médiane postérieure. Le sillon primitif se forme par invagination locale de cellules de l’épiblaste qui connaissent ensuite une délamination pour former la deuxième couche appelée “mésoderme” et la troisième couche définitive appelée “endoderme”. Les cellules du mésoderme formant la couche intermédiaire migrent dans différentes directions pour former, au centre de la chorde, une structure transitoire indispensable à la formation du système nerveux central et périphérique dans la couche supérieure désormais appelée “ectoderme”. De chaque côté de la chorde, les cellules du mésoderme donnent naissance au mésenchyme paraxial, qui s’organise rapidement en structures métamériques appelées “somites”, les futures vertèbres. Plus latéralement, les cellules du mésoderme forment des structures transitoires à l’origine des reins et des autres ébauches des organes génito-urinaires, et, au Épiblaste (ectoderme) Hypoblaste Mésen-Endoderme définitif Mésoderme chyme Mésoderme Épiblaste niveau rostral, donnent naissance à l’ébauche cardiaque et contribuent au mésenchyme cranio-facial. La gastrulation chez l’embryon d’oiseau fait intervenir de multiples voies de transduction incluant Wnt, TGFβ et FGF (9). L’expression de Snail2, un orthologue de Snail responsable de la régulation de la E-cadhérine au niveau du sillon primitif, est finement contrôlée par Sox3 (10). Ce facteur de transcription de la famille Sox inhibe l’expression de Snail2 dans les cellules jouxtant le sillon primitif ; inversement, Snail2 inhibe Sox3 au niveau du sillon primitif. Un mécanisme similaire opère chez la souris pour restreindre la dimension du sillon primitif et ainsi éviter une délamination excessive des cellules de l’épiblaste. Le scénario détaillé (ne pouvant être décrit dans le cadre de cet article) est très complexe. La figure 1 fournit un schéma simplifié de la gastrulation chez les oiseaux et les mammifères ([9] pour une description détaillée). Cellules de la crête neurale L’induction du système nerveux se produit au cours de la gastrulation dans la zone centrale de l’ectoderme, lors de la rétraction du sillon primitif. Son ébauche Sillon primitif Nœud Sillon de Hensen primitif Épiblaste Transition épithéliomésenchymateuse Endoderme Sox3 Hypoblaste Snail TGFβ Wnt FGF TGFβR Fzd FGFR Smad β-caténine Snail Sox3 E-cadhérine Mésenchyme Épithélium Figure 1. Un modèle de la gastrulation chez l’embryon d’oiseau. Les cellules qui s’invaginent au niveau du sillon primitif subissent une TEM et donnent naissance aux cellules du mésoderme et de l’endoderme. La TEM induite localement par différentes voies de signalisation, représentées ici de façon très simplifiée, conduit à la répression de la transcription de gènes, dont la E-cadhérine, provoquant une disparition des jonctions adhérentes (AJ), et à l’acquisition d’une morphologie mésenchymateuse. Ce processus est finement régulé pour éviter la perte de la polarité des cellules épithéliales et la destruction de la membrane basale en dehors du sillon primitif. 110 Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. II - n° 3 - juillet-août-septembre 2013 La transition épithélio-mésenchymateuse dans le développement et les pathologies est visible dès la fin de la gastrulation, car ce domaine se distingue, sur le plan morphologique, des autres cellules de l’ectoderme. Le feuillet neural se soulève et se replie pour donner naissance au tube neural à l’origine de l’encéphale dans la région rostrale et de la moelle épinière dans la zone caudale. Les cellules de la crête neurale, une structure spécifique aux vertébrés, se forment par un système d’induction complexe à la jonction entre le feuillet neural et l’ectoderme. L es cellules de la crête neurale engagent une TEMà tous les niveaux du névraxe, à l’exception du prosencéphale (11). Les cellules délaminent du neuroépithélium en adoptant une morphologie mésenchymateuse, puis migrent latéralement ou ventralement selon le niveau du névraxe. Au niveau encéphalique, elles donnent naissance aux cellules à l’origine des structures craniofaciales ainsi qu’aux cellules gliales des ganglions crâniens. Au niveau vagal, elles donnent naissance au système nerveux entérique et au système nerveux sensoriel et sympathique tout le long de la région troncale et caudale. Tous les mélanocytes dérivent aussi des cellules de la crête neurale. Cette phase du développement offre un modèle d’étude unique des mécanismes d’induction, de spécification et de différenciation de nombreux lignages cellulaires à partir d’une population restreinte de cellules neuroectodermiques ou ectodermiques subissant une TEM. Plusieurs voies de signalisation coopèrent pour exécuter le programme de délamination du neurectoderme. La signalisation TGFβ est un des éléments critiques de l’induction, qui est elle-même contrôlée par des gradients opposés d’acide rétinoïque et de FGF. La spécification des crêtes neurales opère dans une zone où se forment 2 gradients opposés de BMP4 et Noggin. L’exécution du programme TEM implique chez l’oiseau la présence de Snail2, qui réprime la N-cadhérine dans les cellules neuroépithéliales afin d’engager le processus de délamination. Snail2 est exprimé sous le contrôle de BMP4 et de Sox9. Des marques épigénétiques contrôlent aussi la transcription de Snail2 et nécessitent l’intervention d’histone déméthylases. Les gènes Zeb et Twist, connus pour leur fonction critique dans la TEM de nombreux types cellulaires normaux ou transformés, sont aussi impliqués dans la phase plus tardive au niveau crânial (9). La morphogenèse cardiaque Une succession de 4 cycles de TEM et de TEM opèrent durant le développement de l’ébauche cardiaque. Certaines cellules du mésenchyme de la gastrulation forment rapidement un feuillet épithélial qui subit une TEM pour former une seconde couche se différen- ciant en cellules endothéliales. C es dernières donnent naissance par TEM, appelée dans ce cas “TEndoM”, aux cellules à l’origine des valves cardiaques au niveau des canaux atrioventriculaire et conotroncal. Les cellules endothéliales qui délaminent migrent dans un environnement extracellulaire transitoire appelé “coussin cardiaque”. Trois mécanismes distincts contrôlés par Notch, TGFβR et ErBb3 coopèrent pour déclencher la TEndoM. Les gènes Snail et Twist sont à nouveau impliqués dans ce processus. Cette phase de développement fait l’objet de nombreux travaux, car une altération de l’une des voies de signalisation entraîne des défauts congénitaux majeurs des valves cardiaques (9). Diversité des voies de signalisation mises en jeu lors de la TEM au cours du développement L’ensemble des travaux effectués à ce jour révèlent une grande complexité dans les programmes d’exécution de la TEM. C es voies de signalisation sont intimement associées à d’autres voies contrôlant l’induction, la spécification et la différenciation. Cela a été particulièrement bien étudié chez l’embryon d’oursin, un modèle unique pour définir le rôle de chaque voie de signalisation et son réseau d’interactions (12). Cette étude a permis d’établir l’épistasie3 de très nombreux gènes impliqués dans les mouvements morphogénétiques conduisant à la formation du mésoderme. Les schémas obtenus sont d’une grande complexité, mais méritent une attention toute particulière, car il est vraisemblable que la TEM impliquée dans certaines pathologies réutilise cette stratégie. Cette complexité peut être partiellement décodée ; elle démontre clairement que certains grands principes qui président à la TEM ont été conservés au cours de l’évolution. Les systèmes adhésifs et le cytosquelette d’actine constituent une cible importante de la TEM. 3 Interaction existant entre 2 ou plusieurs gènes pour le contrôle d’un caractère. Fibrose T ous les organes, à l’exception du système nerveux, sont formés par un épithélium et un mésenchyme, condition sine qua non de leur ontogenèse. La formation de tissus fibrotiques dans ces organes comme le rein, le cœur, le foie et les poumons, conduit à une altération profonde de leur physiologie et éventuellement au décès des patients. Elle peut être induite par une exposition chronique à des substances toxiques. La fibrose Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. II - n° 3 - juillet-août-septembre 2013 111 dossier Transition épithéliomésenchymateuse thématique est constituée par une matrice extracellulaire dense incluant des cellules inflammatoires et fibroblastiques. Plusieurs types cellulaires contribuent à la genèse de cette fibrose. Il est couramment admis que les cellules mésenchymateuses résidentes au sein d’un organe sont activées pour donner naissance à divers types de fibroblastes et de myofibroblastes. Un recrutement de cellules progénitrices de la moelle osseuse est aussi documenté, renforçant la contribution fibroblastique intrinsèque. Plusieurs modèles murins transgéniques ont aussi révélé que certains fibroblastes dérivent de l’épithélium de l’organe affecté (13, 14). Les cellules épithéliales qui s’engagent dans une TEM acquièrent transitoirement un phénotype mixte épithélio-mésenchymateux. Une TEndoM a aussi été documentée au niveau du cœur à la suite d’une ischémie provoquée expérimentalement. L’étude la plus récente effectuée sur la fibrose du rein chez la souris met en évidence une contribution de 35 % de cellules stromales dérivant de cellules progénitrices de la moelle osseuse, la TEndoM et la TEM contribuant pour 10 % et 5 %, respectivement, aux cellules stromales (15). Progression des carcinomes e nombreuses expériences effectuées sur des lignées D cellulaires de carcinomes ont démontré que des f acteurs de croissance tels que HGF, EGF et FGF peuvent induire une TEM in vitro.Diverses voies de signalisation mises en évidence dans la TEM des carcinomes présentent des similitudes avec celles engagées au cours du développement embryonnaire. Ainsi, l’activation de la voie MAPK conduit à l’induction de l’expression de Snail dans la gastrulation et dans certaines lignées de carcinomes (16, 17). Les cellules épithéliales des carcinomes perdent un certain nombre de caractéristiques épithéliales comme les jonctions serrées et les desmosomes et acquièrent progressivement des marqueurs de cellules mésenchymateuses. Les jonctions adhérentes Myofibroblaste Tumeur primitive Lymphocyte NK, T ou B Macrophage Matrice extracellulaire Cellules circulantes Intravasation Phénotype épithélial Phénotype intermédiaire E > M Phénotype intermédiaire E < M Métastase Vaisseau sanguin Phénotype mésenchymateux Extravasation Figure 2. Les cellules malignes de la tumeur primitive peuvent être classées en plusieurs sous-groupes selon le niveau d’expression de marqueurs épithéliaux et mésenchymateux. Les cellules de carcinome pénètrent dans les vaisseaux en utilisant plusieurs mécanismes, dont la TEM. L’extravasation de ces cellules conduit à la formation de micrométastases qui vont éventuellement former des métastases détectables par imagerie. Les tumeurs secondaires peuvent acquérir un phénotype similaire à celui de la tumeur primitive en activant une TME. Ces mécanismes peuvent être induits par des cytokines et des facteurs de croissance produits par différents types de cellules stromales et résister à la lyse par défaut de maturation de la synapse immunologique à l’interface lymphocyte T cytotoxique-cellule cible. 112 Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. II - n° 3 - juillet-août-septembre 2013 La transition épithélio-mésenchymateuse dans le développement et les pathologies sont aussi considérablement altérées, voire totalement abolies. La TEM des carcinomes a aussi été associée à l’acquisition de propriétés de cellules souches malignes par reprogrammation de cellules progénitrices en cellules souches (16, 17), et à l’acquisition de la résistance à la chimiothérapie et aux thérapies ciblées (17, 18). Plusieurs études démontrent aussi une implication dans l’échappement de la surveillance du système immunitaire (19, 20). Un certain nombre de modèles murins ont permis de visualiser la TEM in vivo par microscopie biphotonique (21, 22) et ainsi d’évaluer la contribution relative de la TEM et de la migration collective. L’analyse immunohistologique de très nombreuses tumeurs a mis en exergue le fait qu’une fraction significative de cellules de carcinomes acquièrent des marqueurs mésenchymateux, en particulier près de 10 % des cellules malignes dans les cancers du sein triple-négatifs (23). Une méta-analyse des transcrits de nombreuses tumeurs démontre qu’une proportion importante de tumeurs ont un phénotype mésenchymateux. Deux sous-types moléculaires représentant environ 45 % des carcinomes séreux de l’ovaire possèdent un phénotype mésenchymateux (24). L’analyse du phénotype des cellules tumorales circulantes met en évidence qu’une proportion très importante de cellules ont un phénotype intermédiaire ou mésenchymateux (25-27). La figure 2 décrit schématiquement le phénotype des cellules malignes au cours de l’intravasation dans le flux sanguin et après extravasation. La réacquisition partielle ou complète d’un phénotype épithélial au site secondaire est associée au développement de méta­ stases cliniquement détectables. L’hypothèse du rôle séquentiel de la TEM et de la TME dans la dissémination et la formation de métastases (16) a été validée récemment dans un modèle transgénique reposant sur une induction transitoire ou permanente du répresseur transcriptionnel Twist (28). Conclusion L a TEM joue un rôle crucial au cours du développement des métazoaires. Ce mécanisme remarquablement conservé a été coopté par les cellules épithéliales ou endothéliales dans le processus de fibrose des organes. Son implication dans la progression des carcinomes reçoit aujourd’hui un support expérimental et clinique grandissant. Plusieurs stratégies thérapeutiques ont été évaluées pour tirer parti de ce concept. L’objectif est d’inhiber la TEM par des molécules ciblant des enzymes des voies de signalisation afin d’abroger la résistance acquise aux chimiothérapies, aux thérapies ciblées et au système immunitaire, et ainsi d’être en mesure de freiner le développement de cellules souches malignes (29-31). Le développement d’un algorithme a permis de définir le score TEM de nombreux types de lignées cellulaires malignes et de tumeurs, permettant de sélectionner les patients TEM et de définir leur réponse au traitement anti-TEM. ■ Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. Références 1. De Craene B, Berx G. Regulatory networks defining EMT during cancer initiation and progression. Nat Rev Cancer 2013;13(2):97-110. 2. Huang RY, Guilford P, Thiery JP. 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