Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. II - n° 3 - juillet-août-septembre 2013
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La transition épithélio-mésenchymateuse dans le développement et les pathologies
la TEM. Une des cibles les plus étudiées de la TEM est
la E-cadhérine, un constituant essentiel des jonctions
adhérentes des épithéliums (2, 3). La E-cadhérine est une
protéine transmembranaire constituée de 5 domaines
immunoglobulines dans sa région extracellulaire. Les
2 domaines les plus extérieurs interagissent pour former
une zone de contact intercellulaire qui se développe
progressivement en jonction adhérente reliée au cytos-
quelette d’actine tapissant la région sous-membranaire.
Une adhérence stable n’est obtenue que si le niveau
d’expression de la E-cadhérine est suffisamment élevé
et stable. Le contact avec le cytosquelette d’actine est
établi grâce à la β-caténine, une protéine interagissant
avec le domaine cytoplasmique de la E-cadhérine et
avec l’α-caténine (4, 5). Le complexe adhésif associé à la
E-cadhérine est donc soumis à de multiples niveaux de
régulation qui permettent d’engendrer des phénotypes
cellulaires mésenchymateux partiels ou complets. En
dehors des jonctions adhérentes, les cellules épithé-
liales des tissus adultes possèdent des desmosomes
qui assurent une résistance aux forces de traction et des
jonctions serrées qui constituent une barrière étanche
au transfert de macromolécules. Les cellules épithéliales
possèdent une polarité apicobasale et, par voie de
conséquence, un cytosquelette d’actine, de microtu-
bules et de cytokératines localisé dans des positions
très spécifiques dans les cellules. De plus, le noyau et
les organelles sont aussi distribués de façon polarisée.
Lors de la formation d’un épithélium, l’acquisition de
la polarité apicobasale dépend de façon critique de
l’assemblage des complexes jonctionnels et de pro-
téines directement responsables de la mise en place de
la polarité. Enfin, tous les épithéliums organisent une
membrane basale assurant une stabilité supplémentaire
de l’édifice cellulaire polarisé. La TEM comprend une
série d’événements moléculaires qui abolissent pro-
gressivement la polarité cellulaire, désorganisent tous
les complexes jonctionnels et engendrent un profond
remaniement du cytosquelette et des organelles (2).
En particulier, il est fréquent que les filaments inter-
médiaires de cytokératines soient remplacés par des
filaments de vimentine, protéine très souvent recher-
chée comme marqueur de la TEM et souvent associée
à la perte d’expression de la E-cadhérine.
La TEM dans le développement
embryonnaire, un rôle majeur
dans l’organogenèse
La TEM est un processus remarquablement conservé
depuis la formation des diploblastes (animaux ne possé-
dant que 2 couches cellulaires) [6], il y a environ 800 mil-
lions d’années. La TEM a pour fonction de permettre à
certaines cellules d’un épithélium de se désolidariser,
c’est-à-dire de perdre leurs contacts intercellulaires
avec les cellules voisines et de dégrader localement la
membrane basale puis de subir une conversion mor-
phologique extrême leur conférant finalement la forme
d’une cellule polarisée selon l’axe antéropostérieur et
possédant diverses protrusions ou un lamellipode. In
vitro, ces cellules ont une morphologie dite “fibroblas-
tique” ou “de type glial” (cellule étoilée) ne reflétant que
partiellement la morphologie dans un environnement
tridimensionnel. Les embryologistes ont appelé ces
cellules “mésenchyme”. Le terme “mésenchyme” dérive
du grec méso (milieu) et enkhuma (infusion) pour décrire
un milieu peu organisé entre 2 tissus. Les cellules du
mésenchyme formées par TEM une fois totalement
séparées de leur épithélium d’origine migrent pour se
positionner dans d’autres territoires et à leur tour jouer
un rôle important dans l’organogenèse grâce à des
mécanismes d’induction et d’interaction réciproques
avec un épithélium décrits comme des interactions
épithélio-mésenchymateuses (IEM). Les cellules mésen-
chymateuses peuvent aussi inverser leur phénotype
en subissant une transition mésenchymo-épithéliale
(TME), comme c’est le cas dans la formation de l’épithé-
lium rénal. Ce processus a également une très grande
importance dans la progression des carcinomes.
Gastrulation1
Les embryons de toutes les espèces animales gastrulent
pour établir le plan du corps. Le terme “gastrulation”
dérive du grec gaster (formation du tube digestif).
La gastrulation chez la mouche du vinaigre ou chez
l’oursin n’est pas fondamentalement différente de celle
opérant chez l’embryon humain. En fait, les décou-
vertes initiales de mécanismes moléculaires contrô-
lant la TEM ont été faites chez la drosophile. L’exemple
le plus concret est celui du gène Snail, qui, en cas de
mutation, altère la gastrulation chez la drosophile (7).
La protéine sauvage Snail est un répresseur de Shotgun,
qui n’est autre que l’orthologue
2
de la E-cadhérine. Un
orthologue de Snail sera plus tard identifié comme
étant un activateur de la gastrulation en réprimant la
E-cadhérine, cette fois-ci chez l’embryon d’oiseau (8). La
géométrie des embryons diffère de façon significative
selon les espèces et rend impossible une description
générique.
La gastrulation chez les oiseaux présente beaucoup
de similitudes avec celle des mammifères. Juste après
la ponte, les œufs embryonnés possèdent environ
60 000 cellules organisées en une couche épithéliale
1 La gastrulation est une
étape précoce du dévelop-
pement embryonnaire d’un
organisme. À ce stade, l’em-
bryon est appelé “gastrula”.
D’importants mouvements
cellulaires mettent en place
les 3 feuillets (tissus fonda-
mentaux de l’embryon) :
– l’ectoblaste (ou ectoderme) ;
– l’endoblaste (ou endoderme) ;
– (du moins chez les animaux
triploblastiques) le mésoblaste
(ou mésoderme).
Jusque-là sphérique, l’embryon
s’invagine pour former une
nouvelle cavité interne, futur
tube digestif. À la fin de cette
étape, dans certains cas, la
gastrula adopte la symétrie
caractéristique de l’animal
(bilatérale, par exemple).
2 Deux séquences homolo-
gues de 2 espèces différentes
sont orthologues si elles
descendent d’une séquence
unique présente dans le der-
nier ancêtre commun aux
2 espèces.