biologie au quotidien Ann Biol Clin 2010 ; 68 (3) : 346-50 Le syndrome de Li Fraumeni : à propos d’un cas familial avec cancers multiples et présentant une mutation germinale du gène p53 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Li Fraumeni syndrome: a case with multiple primary cancers and presenting a germline p53 mutation Sondess Landolsi1 Olfa Gharbi1 Makram Zrig2 Moez Gribaa3 Leila Njim4 Abdelfattah Zakhama4 Abderrazek Abid2 Thierry Frébourg5 Slim Ben Ahmed1 1 Service de médecine carcinologique, CHU Farhat Hached, Sousse, Tunisie <[email protected]> 2 Service d’orthopédie, CHU Fattouma Bourguiba, Monastir, Tunisie 3 Laboratoire de cytogénétique et de biologie de la reproduction, CHU Farhat Hached, Sousse, Tunisie 4 Service d’anatomie et de cytologie pathologique, CHU Fattouma Bourguiba, Monastir, Tunisie 5 Service de génétique, CHU Hôpitaux de Rouen, France 346 Mots clés : cancer multiple, maladie héréditaire, génétique, P53, mutation, syndrome de Li Fraumeni Abstract. Li Fraumeni Syndrome (LFS) is a rare autosomal disorder characterized by a familial clustering of tumors. Analysis of several series of LFS families have shown that 70% of such families are attributable to germ-line mutations in TP53. We report the case of a patient who had a first degree family antecedent of cancer in young ages. At the age of 31 years, the patient was operated of bladder papillary superficial carcinoma; five years later, he was treated for a high grade pleomorphe sarcoma of the left thigh and treated by surgery, adjuvant chemotherapy and radiotherapy. At the age of 38 years, after abdominal pain, radiologic examination reveled pancreatic tumor with bone and lymphatic metastases. The patient died one month later from pulmonary embolism. Sequencing revealed a germiline mutation of this patient that was confirmed in a member of his family in codon 1009C>T, protein Arg337Cys, exon 10 of TP53 gene this mutation was revealed in his nephew (died at the age of 20 from bone sarcoma). Key words: multiple cancer, genetic disease, genetics, P53, mutation, Li Fraumeni syndrome genetic disease Ann Biol Clin, vol. 68, no 3, mai-juin 2010 doi: 10.1684/abc.2010.0441 Article reçu le 2 décembre 2009, accepté le 18 janvier 2010 Résumé. Le syndrome de Li Fraumeni (LFS) est une forme rare de cancers multiples affectant le sujet jeune et constituant une prédisposition héréditaire à diverses tumeurs. Le LFS se transmet sur le mode autosomique dominant et une mutation germinale du gène suppresseur TP 53 a été décrite dans 70 % des cas de familles LFS. Nous rapportons le cas d’un homme ayant comme antécédents familiaux de premier degré des cancers à des âges jeunes ; il a été opéré pour un carcinome papillaire superficiel de la vessie à l’âge de 31 ans. À 36 ans, le patient a développé un sarcome pléomorphe de haut grade de la cuisse gauche traité par chirurgie suivie de chimiothérapie et de radiothérapie. Deux ans après, suite à une symptomatologie faite de douleurs abdominales, les explorations radiologiques ont révélé un troisième cancer localisé au niveau du pancréas avec des métastases osseuses et ganglionnaires médiastinales. Un mois après, le patient est décédé suite à une embolie pulmonaire compliquée. L’analyse génétique par la méthode du séquençage directe a révélé que ce patient était porteur d’une mutation codon 1009C>T, protéine Arg337Cys, exon 10 du gène TP53 et cette dernière était confirmée chez son neveu (décédé à l’âge de 20 ans d’un sarcome osseux). Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Syndrome de Li Fraumeni Le syndrome de Li Fraumeni (LFS) est une forme de cancer multiple rare affectant le sujet jeune et constituant une prédisposition héréditaire à diverses tumeurs. La définition historique et classique est basée sur des critères familiaux : elle repose sur l’observation d’un sarcome chez un sujet atteint à un âge de moins de 45 ans apparenté au premier degré à une personne ayant eu un cancer de n’importe quel type avant l’âge de 45 ans ou au deuxième degré à une personne ayant eu un cancer ou un sarcome à un âge de moins de 45 ans. Les tumeurs les plus décrites sont les ostéosarcomes, les sarcomes des tissus mous, les cancers du sein du sujet jeune, les leucémies, les lymphomes, les tumeurs cérébrales et les corticosurrénalomes ; néanmoins tous les types de tumeurs peuvent se voir. Le LFS se transmet sur le mode autosomique dominant et une mutation germinale du gène suppresseur TP 53 a été décrite dans 70 % des cas de familles LFS [1-3]. Nous rapportons ici un nouveau cas de syndrome de Li Fraumeni dans une famille, dont un membre a été l’objet de trois cancers et dont l’analyse génétique a retrouvé une mutation caractéristique. L’observation M.M. est un homme âgé de 31 ans ayant comme antécédents familiaux : un père décédé à l’âge de 72 ans d’une hémopathie maligne, une sœur décédée à l’âge de 28 ans d’un cancer bronchopulmonaire, un frère décédé à l’âge de 32 ans d’un ostéosarcome et un neveu décédé à l’âge de 20 ans d’un sarcome osseux. M.M. a été opéré à l’âge de 31 ans pour un cancer papillaire superficiel de la vessie traité par résection endoscopique. À l’âge de 36 ans, il a présenté une tuméfaction au niveau de la face antérointerne de la cuisse gauche au dépend du muscle grand adducteur ; l’examen clinique suspectait une lésion néoplasique au niveau de la cuisse gauche. L’imagerie par résonance magnétique (IRM) a révélé une lésion assez bien limitée de 6 x 5 cm au niveau du muscle grand adducteur, hypervascularisée sans signe d’extension locorégionale. Une exérèse tumorale était réalisée et l’étude histologique a conclu à un sarcome à cellules fusiformes pléomorphe de haut grade ; les limites d’exérèse étaient saines (figure 1). Une chimiothérapie et une radiothérapie adjuvantes étaient faites. Il s’agissait d’une famille comportant 3 membres (VI7, VI9, VI11) apparentés au premier degré, ayant eu des cancers à des âges jeunes (28, 32, 36 ans) et avec un apparenté au deuxième degré (neveu) avec un cancer diagnostiqué à l’âge de 20 ans (figure 2). Une analyse génétique par séquençage direct de l’ADN du neveu a mis en évidence une mutation du gène TP53 au niveau du chromosome 17. L’analyse chez notre patient retrouve la même altération génétique Ann Biol Clin, vol. 68, no 3, mai-juin 2010 de l’exon 10 qui substitue le codon 1009 d’une cystine en tyrosine engendrant une protéine tronquée. L’évolution a été marquée 2 ans après par l’installation de douleurs abdominales dont les explorations radiologiques ont conclu à une tumeur de la tête du pancréas (figure 3) avec des métastases ganglionnaires. Le patient est décédé, un mois après, dans un tableau d’embolie pulmonaire compliquée d’une péricardite constrictive. Une étude génétique complémentaire est en cours chez les autres membres de la famille. Discussion Le syndrome Li Fraumeni (LFS) est une maladie génétique héréditaire qui accroît fortement les risques de développer plusieurs types de cancers dès le jeune âge du patient. La majorité des cas de LFS présentent des mutations héritées du gène suppresseur de tumeurs, le p53 [4]. En 1969, Li et Fraumeni ont rapporté 4 cas de familles dévoilant une maladie cancéreuse à prédisposition autosomique dominante chez des enfants et des jeunes adultes présentant des sarcomes de tissus mous et des cancers du sein [5]. En 1988, et pour mieux déterminer les caractéristiques cliniques et phénotypiques de cette maladie, la même étude était étendue sur 24 cas de familles présentant des sarcomes de tissus mous, des ostéosarcomes, des cancers du sein, des carcinomes adrénocorticaux chez l’enfant, des tumeurs cérébrales et des leucémies. Ce groupe de cancers était accepté comme un critère pour définir cliniquement le LFS [6]. En 1990, Maklin et al. [7] décrivent que la majorité des familles présentant le LFS classique ont une mutation du gène TP53, ce qui a été confirmé par d’autres études [8-10]. En 1994, Brich et al. [3] ont proposé une définition de LFS like qui ne présente pas les critères du SLF mais ayant une mutation au niveau du TP53. Bougeard et al. [11] ont rapporté une étude clinique et génétique à propos de 474 familles françaises présentant un LFS et ont confirmé qu’une mutation du gène p53 peut être responsable de la survenue du cancer avant l’âge de 9 ans. Kelly et al. [12] ont décrit une série de 525 cas présentant un LFS, le premier cancer était dans la majorité des cas un cancer du sein, la mutation du gène p53 était retrouvée dans 17 % des cas. Les cas sont caractérisés par la survenue d’un premier ou d’un deuxième cancer à un âge plus tardif. Le Frou et al. [13] ont décrit un cas de LFS avec une néomutation faux sens au niveau de TP53 ; l’âge de survenue du premier cancer était de 20 mois et le type du premier cancer était un sarcome fibroblastique des parties molles suivi d’une succession de tumeurs, corticosurrénalome, ostéosarcome, adénocarcinome canalaire bilatéral des seins et un adénocarcinome pancréatique. Agir et al. [14] ont décrit un cas 347 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. biologie au quotidien Figure 1. Prolifération indifférenciée des cellules fusiformes et pléomorphes manifestement atypiques évoquant un sarcome pléomorphe de haut grade. de LFS présentant 4 sarcomes, la survenue du 1er étant à l’âge de 16 ans et l’étude génétique révélait une mutation de p53 au niveau de l’exon 6. Dans le cas que nous décrivons, l’âge de survenue du premier cancer était de 31 ans et le siège vésical du premier cancer n’est pas une localisation classique dans les cas de cancers rattachés au LFS. En effet, ce type de cancer représente 5 à 8 % de tous les cancers et atteint surtout l’homme âgé tabagique chronique [15-17]. Il est très rare chez les sujets jeunes [18, 19]. Dans un deuxième temps, notre patient a développé un sarcome de haut grade des parties molles. Le diagnostic d’un 3e cancer, du pancréas, métastatique a été porté par la suite. Ces deux types de cancers sont décrits dans la littérature dans le cadre d’un LFS. Les sujets atteints du LFS ont une prédisposition héréditaire à divers types de cancers commençant précocement dans la vie. Les survivants à un cancer ont un risque nettement élevé de développer d’autres tumeurs primaires ; le cas que nous avons rapporté a développé un deuxième cancer 5 ans après avoir survécu du premier cancer puis un troisième, 2 ans après avoir survécu de son deuxième cancer. La radiothérapie a été incriminée dans plusieurs études comme accélérateur du processus de cancérogenèse en cas de prédisposition héréditaire (mutation p53), une dose reçue de plus de 10 Gy pourrait être responsable de ce phénomène [20]. Ceci pourrait être le cas de notre patient qui avait reçu une radiothérapie dans le cadre du traitement de son deuxième cancer. Environ 250 mutations germinales du gène p53 ont été rapportées [21]. Le gène p53 code pour un facteur transcriptionnel capable de réguler le cycle cellulaire, l’apoptose et la réparation de l’ADN [22]. Les exons 5 à 8 (codons 102 à 292) codent pour le domaine central de la protéine p53, qui est responsable de la liaison à l’ADN. La plupart des mutations germinales du gène p53 ont été trouvées dans celles-ci [23]. Les mutations du domaine central du gène p53 entraînent généralement plus de I II 72 ans III 4 4 6 4 4 3 2 IV 28 ans V 3 4 32 ans 36 ans 4 20 ans Leucémie myéloïde chronique Carcinome papillaire de la vessie, Rhadbomyosarcome, Tumeur au niveau de la tête du pancréas Cancer broncho-pulmonaire Ostéosarcome Sarcome Figure 2. Arbre généalogique de la famille présentant un syndrome de Li Fraumeni. 348 Ann Biol Clin, vol. 68, no 3, mai-juin 2010 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Syndrome de Li Fraumeni cancers survenant à un plus jeune âge [24], que le cas que nous rapportons. Environ 70 % des mutations du gène p53 sont des mutations faux sens [21] et jusqu’à 90 % des mutations faux sens sont localisées dans les exons 5 à 8 [25]. La mutation du gène P53 n’est pas systématiquement retrouvée, probablement du fait de l’existence de mutations non détectées (dans les introns ou les régions promotrices), de l’inactivation de la protéine p53 à travers l’interaction avec d’autres protéines cellulaires ou des virus et de l’implication d’autres gènes [21]. Ainsi, des mutations du gène CHK2, codant pour une kinase régulant le cycle cellulaire via p53, ont été mises en évidence dans des familles atteintes [26]. La pénétrance des cancers est incomplète mais très élevée (25 % de risque de développer une tumeur dans les dix premières années de vie, 50 % passé 35 ans et 90 % passé 60 ans) et est supérieure chez les femmes (liée au cancer du sein) [27]. La prise en charge du LFS illustre bien les difficultés rencontrées lors des consultations d’oncogénétique par les médecins traitants. Ces mutations constitutionnelles de l’antioncogène p53 provoquent un risque de cancer très élevé, en particulier chez l’enfant et l’adulte jeune. Le risque de tumeurs multiples est important et vient aggraver le pronostic de ces cancers. La localisation extrêmement variée des cancers rend le dépistage particulièrement difficile à organiser [28]. La diversité des tumeurs et la rareté des familles ont contribué à la difficulté à concevoir des recommandations efficaces de dépistage pour des membres des parents atteints de LFS [29]. Un groupe de travail pluridisciplinaire sur le LFS a proposé des recommandations sur la prise en charge [28] : le diagnostic positif (recherche d’une mutation de TP53 chez un sujet atteint d’une tumeur) peut être proposé aux enfants comme aux adultes, dans le cadre de consultations de génétique associées à un accompagnement psycholo- gique, avec confirmation du diagnostic sur des bases moléculaires. Cela permet de proposer aux patients une surveillance clinique régulière pour éviter un éventuel retard de diagnostic d’une autre tumeur. Le diagnostic génétique pré-symptomatique doit être impérativement réservé à l’adulte. Comme dans les autres maladies génétiques pour lesquelles son bénéfice n’est pas évident, le diagnostic pré-symptomatique doit être impérativement restreint à l’adulte et ne doit pas être proposé aux enfants à risque. Bien entendu, dans ces familles, la tentation du praticien est souvent grande de vouloir rassurer les parents en démontrant l’absence de la mutation constitutionnelle chez les enfants à risque. Mais cet argument est contrebalancé par le risque d’identifier une mutation chez un enfant asymptomatique, résultat d’intérêt limité sur le plan médical et souvent dévastateur sur le plan psychologique. L’âge jeune de survenue des tumeurs, le pronostic réservé de certaines tumeurs, l’impossibilité d’en assurer le dépistage précoce et le risque pour les porteurs de mutations de développer plusieurs tumeurs primitives justifient que puisse être envisagé, dans les familles atteintes, un diagnostic prénatal [28]. Des données préliminaires fournissent la première preuve d’une stratégie potentielle de surveillance des cancers qui peut être digne d’une investigation postérieure chez les patients atteints de LFS par une imagerie par F18-fluorodéoxyglucose PET Scan (FDG-PET/CT) [30]. Les effets indésirables de l’exposition à l’irradiation et les autres problèmes inhérents au dépistage des patients à haut risque doivent être mieux pris en compte [29]. Le traitement des tumeurs Li Fraumeni avec p53 constitue une thérapie visant les défauts moléculaires à l’origine de l’apparition et de la progression de ces cancers [31]. La monothérapie (Advexin®) a été évaluée sur divers types de cancer et en combinaison avec plusieurs traitements anticancéreux classiques, notamment la radio- et la chimiothérapie. Des données provenant de plusieurs essais précliniques et thérapeutiques, dont les résultats ont été publiés, ont démontré l’activité de p53 en tant que monothérapie. Son innocuité en tant que promoteur des effets anticancéreux de l’irradiation et de la chimiothérapie a été aussi prouvée [31]. Conflit d’intérêts : aucun. Références Figure 3. Tumeur au niveau de la tête du pancréas. Ann Biol Clin, vol. 68, no 3, mai-juin 2010 1. 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