Daniel Horowitz Réflexions sur le judaïsme 2 2 A mes petits-enfants, non pas pour qu’ils pensent à moi, mais pour qu’ils pensent. 2 3 42 La Torah La Torah, texte fondateur du peuple juif, fait maintenant partie intégrante du patrimoine de l’humanité. Elle est, stricto sensu, synonyme du Pentateuque, soit les cinq premiers livres de la Bible1, mais c’est également une appellation générique pour l’ensemble du corpus sur lequel repose le judaïsme, dont le Talmud2 et les exégèses qui l’ont enrichi tout au long de l’Histoire. La Torah au sens large du terme est donc un ensemble hétérogène de textes rédigés, recopiés, amendés, commentés et revus par de nombreux auteurs au fil de trois millénaires. Il semble par ailleurs que le Pentateuque ne soit pas apparu ex nihilo, étant donné les similitudes manifestes avec des chroniques antérieures, notamment celles de Mésopotamie3, qui relatent des cataclysmes, comme le déluge, ou qui traitent du droit, comme le code Hammourabi4. Il importe donc moins de savoir si telle ou telle péripétie s’est réellement déroulée – ou si la Torah en détient la primeur – que de saisir la vision du monde qui émane du narratif biblique sous la forme consignée par les Juifs de l’Antiquité. La Bible ne peut être classée dans aucune 1. Ce terme désigne ici l’Ancien Testament uniquement. 2. Compilation et commentaires de la Torah (Loi) orale. 3. Région correspondant à peu près à l’Irak actuel. 4. Code juridique babylonien. 2 5 catégorie particulière. Certaines parties relèvent d’intérêts politiques ou sociétaux, d’autres moraux, religieux ou philosophiques. Le style passe de la prose à l’incantation et de la poésie au dialogue. Les histoires sont foisonnantes, souvent épiques, allégoriques ou terre à terre, et abordent les aspects les plus intimes de la vie tout comme les grands moments de l’Histoire. Il s’agit d’un recueil d’écrits apologétiques qui exposent une vision du monde aux dimensions de l’homme, et traite donc peu de cosmologie ou de métaphysique. Le Nouvel An juif célèbre d’ailleurs la création de l’homme, et non pas celle de l’Univers. L’origine de celui-ci est expédiée dans le premier chapitre de la Genèse1, après lequel il est essentiellement question de la condition humaine, le tout au moyen de récits plus ou moins mythiques. 1. Premier livre du Pentateuque. 62 La Halakha La Torah (Loi) orale a selon la tradition juive été reçue au mont Sinaï en même temps que la Torah écrite1. Au fil du récit biblique on identifie six cent treize Commandements – dont le Décalogue2 –, mais les normes du judaïsme en tant que législation reposent sur la Torah orale, c’est-à-dire le Talmud et ses dérivés, ensemble qui constitue la Halakha. C’est sur la base de la Halakha que les juifs orthodoxes pratiquent la foi, et non pas en puisant directement dans la Torah écrite. La Halakha recense, énonce, commente et précise les six cent treize Commandements, et constitue un recueil qui a préséance. Ce sont d’ailleurs les Sages de Loi orale qui, plusieurs siècles après la sortie d’Egypte3, ont déterminé quels seraient les vingt-quatre livres du 1. Le Pentateuque, soit les cinq premiers livres de la Bible. 2. Les Dix Commandements. 3. Episode au cours duquel le peuple juif reçoit la Torah au mont Sinaï. 2 7 canon biblique, dont la Torah écrite elle-même. La Halakha précise que la morale précède la Torah1. Il y a donc lieu d’être moral avant d’appréhender la Torah, et non pas de compter sur la Torah pour appréhender la morale. Quelqu’un d’immoral, tout comme quelqu’un qui souffre, n’est pas en état de s’adresser à Dieu de manière appropriée. Le point concernant la souffrance est d’ailleurs aux antipodes du principe chrétien, qui veut qu’elle soit rédemptrice. Dans le judaïsme, morale et santé d’une part et foi de l’autre sont des conditions essentielles pour se tenir debout devant Dieu2. Celui qui y arrive est défini par Maïmonide3 comme un homme accompli4. La Halakha est la clé de voûte du système social, du mode de vie et de l’éthique juive, dont la finalité est la prééminence de l’intellect sur toutes les autres formes de connaissance. La Halakha n’est pas une préparation à un hypothétique au-delà ou à la venue d’un Messie, qui n’est qu’une utopie d’un monde qui continuera à fonctionner selon les lois de la Nature5. Le judaïsme est une doctrine du salut qui ne pointe pas vers le Ciel, mais vers la Terre, parce que l’on n’accède pas au salut après la mort, mais pendant la vie. Cette 1. Midrash Rabba, herméneutique de la Bible. 2. Accéder à la Vérité, selon Leibowitz. 3. Référence majeure du judaïsme. Rabbin, scientifique, médecin et philosophe du XIIe siècle. 4. Concept du prophète dans le Guide des égarés de Maïmonide. 5. Chapitre consacré au Messie dans Michné Torah de Maïmonide. 82 doctrine repose sur des devoirs que l’homme s’assigne, mais ne se veut ni remède au vertige de l’existence ni promesse ésotérique : elle est quête de la Vérité. La Halacha est faillible, et doit évoluer en fonction de l’évolution de la société. Il est légitime de la remettre en question du moment que l’objectif n’est pas de satisfaire des désirs ou des aspirations humaines1. 1. Leibowitz. 2 9 10 2