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les deux, au contraire, à l’unicité du monde, seule doctrine orthodoxe. Mersenne ignore
également (délibérement ?) le débat médiéval sur la pluralité des mondes, qui
permettait de dépasser les limites imposés par la physique aristotélicienne et d’exalter
la toute-puissance de Dieu, en supposant qu’il aurait pu créer plusieur mondes tout en
n’en ayant créé qu’un13. Son analyse des rapports entre Dieu et le monde, enfin, vise à
rétablir la distance entre le créateur et la créature et l’interprétation orthodoxe du rôle
de la liberté en Dieu, mais il semble s’acharner contre le désir impie de faire du monde
un être infini et parfait comme Dieu.
L’année suivante Mersenne sent le devoir de revenir sur le même sujet ; la cible
de sa polémique a changé, et sa stratégie argumentative aussi : il nous propose une
réfutation détaillée des ouvrages de Giordano Bruno. Mersenne a une très vaste
connaissance des écrits du philosophe italien : il mentionne deux traités latins (le De
minimo et le Sigillus sigillorum) et deux dialogues italiens (le De l’Infinito, universo et
mondi et le De la Causa, principio et uno). Seul Gabriel Naudé peut se vanter d’une
connaissance plus aprofondie de Bruno : d’après le catalogue de sa bibliothèque
conservé à la Bibliothèque de France, il possédait l’Acrotismus, La Cena de le Ceneri,
le De minimo, le De monade, le De umbris idearum et le Candelaio14 ; mais il devait
avoir aussi quelque idée du contenu du Sigillus, car il parle de “ contractions ” en se
University Press, 1996 [1e éd. Cambridge, 1994] ; F. Monnoyeur (éd.), Infini des philosophes, infini des
astronomes, Paris, Belin, 1995 ; Del Prete, Universo infinito e pluralità dei mondi, op. cit., p. 31-138 ; A.
Sani, Infinito, Florence, La Nauova Italia, 1998, p. 1-65.
13 A. Koyré, “ Le Vide et l’espace infini au XIVe siècle ”, Archives d’histoire doctrinale et
littéraire du Moyen-Age, XXIV, 1949, p. 45-91 ; Duhem, Le Système du monde, op. cit., t. VII, p. 92-
152, et t. IX, p. 363-408 ; F. Oakley, Omnipotence, Covenant and Order. An Excursion in the History of
Ideas from Abelard to Leibniz, Ithaca / Londres, Cornell University Press, 1984, p. 48-90 ; W.J.
Courtenay, The Dialectic of Omnipotence in the High and Late Middle Ages, dans T. Rudavsky (éd.),
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Perspectives, Dordrecht / Boston / Lancaster, D. Reidel, 1985, p. 243-69 ; A. Funkenstein, Théologie et
imagination scientifique du Moyen Age au XVIIe siècle, Paris, Puf, 1995 [1e éd. Princeton (NJ), 1986], p.
141-74 ; A. Vettese (éd.), Sopra la volta del mondo: onnipotenza e potenza assoluta di Dio tra Medioevo
e età moderna, Bergame, Lubrina, 1986 ; E. Randi, Il Sovrano e l’orologiaio: due immagini di Dio nel
dibattito sulla ‘potentia absoluta’ fra XIII e XIV secolo, Florence, 1987 ; W.J. Courtenay, Capacity and
Volition: A History of the Distinction of Absolute and Ordained Power, Bergame, Lubrina, 1989 ; L.
Bianchi, Il Vescovo e i filosofi. La condanna parigina del 1277 e l’evoluzione dell’aristotelismo
scolastico, Bergame, Lubrina, 1990, p. 120-132 ; idem, Vérités dissonantes : Aristote à la fin du Moyen-
Age, Paris, Les Éditions du Cerf, 1993 [1e éd. Rome / Bari, 1990] ; L. Moonan, Divine Power. The
Medieval Power Distinction up to its Adoption by Albert, Bonaventure, and Aquinas, Oxford, Clarendon
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Nuova Italia, 1997, p. 38-40 et 284-89 ; F. Oakley, “ The Absolute and Ordained Power of God in
Sixteenth- and Seventeenth-Century Theology ”, Journal of the History of Ideas, LIX, 1998, p. 437-61.
14 Bianchi, Rinascimento e libertinismo, op. cit., p. 254, 265 et 267.