Hémochromatose génétique

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PARCOURS DE SOINS
DR
Dossier coordonné par Brigitte Némirovsky
Conseiller scientifique
Pr Yves Deugnier
Hôpital Pontchaillou
CHU de Rennes
Hémochromatose
génétique
Pr Yves Deugnier
1
281. Dépistage et diagnostic précoce :
deux circonstances, deux dosages
Pr Philippe Sogni
284. Diagnostic différentiel : clinique, biologie,
parfois IRM
étape
étape
{
280. Nous avons les moyens d’éviter la surcharge
en fer et ses complications
suite
Intégré tôt et à vie, le parcours mène à une vie normale
2
3
étape
2
{
Entretien avec Brigitte Pineau
Pr Pascal Guggenbuhl
292. Du simple suivi pour les formes débutantes
au traitement par saignées
Pr Véronique Loustaud-Ratti, Dr Paul Carrier
297. L’enquête familiale : un pilier de la prise en charge
Dr Edouard Bardou-Jacquet
Pr Marc Ruivard
286. Sensibiliser pour un diagnostic précoce :
priorité absolue
290. Bilan rhumatologique et osseux : prérequis
pour préserver la qualité de vie
300. Ne rien laisser au hasard pour permettre
une vie normale
Entretien avec Joël Demares
287. Bilan préthérapeutique à adapter
au cas par cas
302. Bien que codifiée, la prise en charge reste
hétérogène
Pr Domnique Guyader
Entretien avec le Dr Edouard Bardou-Jacquet
TOME 137 | N° 4 | AVRIL 2015 Tous droits reservés - Le Concours médical
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PARCOURS DE SOINS
Hémochromatose génétique
Nous avons les moyens d’éviter
la surcharge en fer et ses complications
Pr Yves Deugnier ([email protected]), service des maladies du foie, centre de référence des surcharges génétiques en fer rares
et centre de dépistage familial de l’hémochromatose, hôpital Pontchaillou, CHU de Rennes
Les hémochromatoses génétiques (HG) sont largement dominées par
l’hémochromatose HFE –­ aussi dénommée HFE-1 – qui représente en
France plus de 95 % des surcharges en fer héréditaires et concerne
une personne sur 300. Ce dossier du Concours médical aborde de
façon pragmatique la prise en charge du patient hémochromatosique,
laquelle a beaucoup évolué au cours des dernières décennies.
Rôle majeur du généraliste, collaboration
régulière, intervenants multiples
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêts.
Les articles de ce dossier du Concours médical
soulignent le rôle majeur du médecin généraliste à
toutes les étapes d’une longue histoire :
– diagnostic initial face à des symptômes souvent peu spécifiques
(asthénie chronique, arthropathie,
modeste cytolyse hépatique non
expliquée…) ;
– dépistage familial, auquel il faut savoir faire adhérer
le patient ;
– bilan initial à adapter en fonction du stade auquel la
maladie est diagnostiquée, saignées à vie impliquant
rigueur et soutien ;
– enfin, vigilance sur de longues années avec implémentation d’un dépistage échographique semestriel
L’homozygotie C282Y, condition nécessaire mais pas suffisante
L’hémochromatose génétique HFE-1 est une maladie autosomique récessive liée à une
mutation majeure, C282Y, à l’origine d’une perturbation de la synthèse d’hepcidine,
hormone de régulation de l’absorption digestive et de la sortie macrophagique du fer.
L’homozygotie C282Y conduit à un déficit en hepcidine, lequel aboutit à une augmentation
du fer systémique à l’origine d’une élévation de la saturation de la transferrine, signe biologique cardinal de l’affection, puis secondairement à la constitution d’un excès viscéral de
fer dont témoigne l’élévation progressive de la ferritinémie. Les autres génotypes HFE-1
(hétérozygotie C282Y, hétérozygotie dite composite C282Y/mutation mineure, homozygotie
pour une mutation mineure) ne sont pas responsables de surcharges en fer significatives.
L’homozygotie C282Y est une condition nécessaire mais non suffisante au développement
de la surcharge en fer HFE-1. L’excès de fer et ses potentielles complications ostéoarticulaires, hépatiques, endocriniennes et cardiaques sont modulés par d’autres facteurs
génétiques encore mal cernés et par des facteurs d’environnement (alimentation, alcool,
syndrome métabolique, tabac…).
280 | LE CONCOURS MÉDICAL du carcinome hépatocellulaire si une cirrhose a été
repérée au moment du diagnostic.
Une telle prise en charge implique une collaboration régulière avec des partenaires variés (spécialistes et centres de référence et de compétence,
infirmiers, associations de patients) et la tenue d’un
carnet de suivi par le patient sous le contrôle de son
médecin généraliste.
Plus de moyens pour une prise en charge
plus précoce
Au cours des quarante dernières années, le
visage de la maladie s’est considérablement
modifié.
L’avènement de moyens diagnostiques performants (IRM hépatique, test génétique) permet un
diagnostic de plus en plus précoce : les formes
d’expression purement biologique et les formes
monosymptomatiques (asthénie, ostéo-arthropathie) ont remplacé le tableau classique de cirrhose
bronzée avec diabète.
Le traitement, de mieux en mieux codifié,
apporte une espérance de vie améliorée si la ferritinémie initiale est inférieure à 1 000 μg/L et
normalisée si celle-ci est comprise entre 1 000 et
2 000 μg/L. Seules les formes sévères avec ferritinémie initiale supérieure à 2 000 μg/L voient
leur espérance de vie amputée, essentiellement
par le diabète et le carcinome hépatocellulaire.
Tous les outils sont à présent en place pour
permettre une prise en charge toujours plus
précoce. Le temps diagnostique est donc à
l’information des médecins, des patients et de
leur famille. Le temps thérapeutique reste à la
saignée en attendant que les mini-hepcidines,
les agonistes de BMP6 (bone morphogenetic
protein 6) et autres inhibiteurs de TMPRSS6
(transmembrane protease, serine 6) viennent
remplacer cette thérapie certes désuète mais ô
combien efficace dès lors qu’elle est correctement menée.
Bonne lecture ! •
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TOME 137 | N° 4 | AVRIL 2015
étape
1
Hémochromatose génétique
Dépistage et diagnostic précoce :
deux circonstances, deux dosages clés
Pr Philippe Sogni ([email protected]), université Paris-Descartes, INSERM U-1016, Assistance publique–Hôpitaux de Paris, service d’hépatologie,
hôpital Cochin, Paris
L’hémochromatose de type 1 est une maladie autosomale récessive de l’adulte de pénétrance incomplète
pouvant entraîner une surcharge en fer de l’organisme, responsable d’une altération de la qualité de vie et
d’une augmentation de la morbi-mortalité (figure 1). Le diagnostic se fait dans deux circonstances : soit il
existe des anomalies biologiques ou des symptômes qui doivent le faire évoquer, soit le diagnostic se fait
dans le cadre d’une enquête familiale. Plus le diagnostic est fait à un stade précoce de la maladie, plus le
traitement par les saignées est efficace et prévient les complications(1).
Devant quels signes évoquer le diagnostic ?
Les deux signes cliniques d’appel principaux
sont une asthénie physique ou psychique anormale et des manifestations articulaires à type
de douleurs prédominant au niveau métacarpophalangien ou de crises de chondrocalcinose(1, 2).
Les autres manifestations sont soit moins évocatrices, soit plus tardives (tableau p. 282). L’expression phénotypique de la maladie est variable
suivant les personnes, que ce soit en intensité ou
en localisation.
L’atteinte articulaire est le principal responsable de l’altération de la qualité de vie des personnes atteintes d’hémochromatose(2). L’atteinte
hépatique est le principal responsable de la
morbi-mortalité de l’hémochromatose, suivie par
les complications du diabète et l’atteinte cardiaque. Les données récentes de mortalité chez
les patients atteints d’hémochromatose montrent
qu’il persiste une surmortalité d’origine hépatique
chez les patients avec une surcharge en fer initiale massive et qu’en revanche ceux avec une
surcharge en fer initiale modérée ont une diminution de la mortalité cardiovasculaire et par
cancers extra-hépatiques due au traitement par
saignées(3).
Comment affirmer le diagnostic ?
La présence de symptômes liés à l’hémochromatose traduit la présence d’une surcharge en fer
et donc d’anomalies du bilan martial.
Le taux de ferritinémie est à interpréter en fonction du sexe et, chez la femme, en fonction de
l’âge (avant ou après la ménopause). Il n’est pas
TOME 137 | N° 4 | AVRIL 2015 Figure 1. Les différents stades de l’hémochromatose
Stades
Anomalie
génétique
Anomalies du
bilan martial
Symptômes
Maladie
grave
IV
+
+
+
+
III
+
+
+
–
II
+
+
–
–
I
+
–
–
–
Âge
influencé par le jeûne. En revanche, il pourrait
être influencé par l’origine ethnique, avec des
limites supérieures plus élevées chez les personnes d’origine asiatique(4, 5). L’hyperferritinémie est un motif de consultation très fréquent
(voir article p. 284). Dans plus de 90 % des cas,
elle est liée à d’autres causes que l’hémochromatose : consommation excessive d’alcool, syndrome
inflammatoire, pathologie tumorale, syndrome
métabolique, syndrome de lyse cellulaire(1). Dans
ces cas, le coefficient de saturation de la transferrine est le plus souvent normal.
Le coefficient de saturation de la transferrine est
utile pour le dépistage de l’hémochromatose à
l’échelle d’une population mais doit être interprété avec prudence à l’échelon individuel. En
effet, la variabilité de ce test est importante pour
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PARCOURS DE SOINS
Hémochromatose génétique
Tableau. P
rincipales manifestations cliniques et biologiques
de l’hémochromatose
Manifestations
Précoces
Tardives
Générales
Asthénie physique ou psychique
Douleurs abdominales
Altération de l’état général
Articulaires
Atteinte
métacarpo-phalangienne
Chondrocalcinose
Atteintes articulaires multiples
Ostéopathie sous-chondrale
Ostéoporose
Cutanéo-phanériennes
Mélanodermie, ichtyose,
koïlonychie, hypopilosité,
Porphyrie cutanée tardive
–
Élévation modérée des
transaminases
Hépatiques
Endocriniennes
Diabète
Impuissance
Stérilité et troubles de l’ovulation
Aménorrhée secondaire
Ménopause précoce
Troubles du rythme
Cardiomyopathie non obstructive
Complications cardiovasculaires
du diabète
Dysfonction sexuelle
Cardiaques
Hépatomégalie
Cirrhose
Carcinome hépatocellulaire
–
Figure 2. Algorithme de décision en cas d’hyperferritinémie associée
à une augmentation du coefficient de saturation de la transferrine
Hyperferritinémie
Coefficient de saturation
de la transferrine
Élimner :
– alcool
– syndrome inflammatoire
– lyse cellulaire
– pathologie tumorale
– syndrome métabolique
> 45 % x 2
Hémochromatose probable à confirmer par
recherche de C282Y
C282Y homozygote
Pas de mutation ou C282Y hétérozygote
Hémochromatose confirmée
IRM du foie / poursuite analyse génétique
– hémochromatose génétique autre
– maladie hépatique évoluée
– dysmyélopoïèse
un même individu, et la réalisation du test à jeun
ne semble pas augmenter ses performances(6). En
pratique, il est donc important de confirmer l’élévation du coefficient de saturation de la transferrine par un deuxième dosage avant de demander
un test génétique(1).
282 | LE CONCOURS MÉDICAL En cas d’association d’une hyperferritinémie
et d’une augmentation du coefficient de saturation de la transferrine sur deux prélèvements,
le diagnostic d’hémochromatose est fortement
évoqué, et il est donc nécessaire de proposer un
test génétique pour le confirmer (figure 2). En
effet, dans cette situation, il a été rapporté que
l’homozygotie C282Y était présente chez environ
90 % des hommes et 75 % des femmes(7).
Le test génétique à réaliser de première intention est la recherche de la mutation C282Y sur
le gène HFE. Ce test réalisé sur tube EDTA est
inscrit à la nomenclature (B180) et est remboursé depuis 2007. Comme pour tout test
génétique, une information claire et adaptée doit
être donnée à la personne avant le prélèvement.
Celle-ci doit signer une notice d’information et
de consentement en triple exemplaire, pour la
personne elle-même, pour le dossier médical et
pour le laboratoire réalisant ce test. Le résultat
du test sera renvoyé au médecin prescripteur,
à charge pour lui de l’expliquer au patient au
cours d’une consultation aboutissant à un conseil
génétique.
Les autres recherches de mutations, que ce
soit dans le gène HFE ou dans d’autres gènes
impliqués, n’ont d’intérêt qu’en cas de surcharge
en fer prouvée sans autre cause retrouvée et
sans mutation C282Y homozygote ; elles ne sont
à envisager que dans le cadre d’une consultation
spécialisée.
L’IRM avec mesure de la concentration hépatique en
fer (CHF) n’est pas nécessaire pour le diagnostic
ni pour le suivi du traitement d’un patient atteint
d’une hémochromatose C282Y homozygote(8).
Dans cette situation clinique, il existe en effet
un parallélisme entre le taux de ferritine et la
CHF à l’IRM. En revanche, l’IRM s’avère nécessaire pour affirmer ou éliminer une surcharge en
fer chez un patient avec une hyperferritinémie
et un test génétique de recherche de mutation
C282Y négatif (figure 2). En l’absence de mutation
C282Y à l’état homozygote, le seuil d’hyperferritinémie à partir duquel une IRM avec mesure du
CHF est pertinente n’est pas défini (probablement
pour des valeurs supérieures à 750-1 000 μg/L)[8].
Elle peut être également utile en cas d’étiologies
multiples suspectées, par exemple une hyperferritinémie avec un syndrome métabolique, une
homozygotie C282Y et un coefficient de saturation
de la transferrine limite.
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