d’habitude ne le sont pas : un très haut niveau de langue et en même temps, une brutalité, une
férocité inouïe des situations ; la poésie et le cynisme. Je trouve que le grand art de Philippe,
c’est d’arriver à tout prendre dans une même pâte et à faire lever cette pâte-là dans quelque
chose qui est avant tout une magnifique machine à jouer. Si je n’arrivais pas à le lire et si ça a
pris à ce point-là fulgurance et évidence quand je l’ai entendu, c’est parce que c’est dans le
soulèvement de la langue et dans la brutalité et l’ambiguïté des situations, des oppositions, des
conflits qui sont mis en jeu qu’on entend réellement la charge. À la lecture silencieuse,
j’entendais le côté sombre de l’affaire, j’entendais une certaine poésie noire, mais il n’y a pas
que ça. Mise dans le corps des acteurs, apparaît une incandescence de cette langue, qui est
aussi très ludique. Et touche au saisissement, à l’émotion pure.
« Faire entendre le surgissement du texte dans la mise en scène »
S.D. Tu as eu quatre ans pour préparer ta mise en scène, sans que tu le saches forcément. Est-
ce qu’au fil des étapes, il y a des choses qui se sont esquissées ? Est-ce que vous avez exploré
différentes directions et qu’aujourd’hui tu sais vers où tu veux aller ?
G.D. Je dirais que j’ai eu une chance incroyable, celle de pouvoir ne pas prendre de décision
pendant longtemps, de ne pas avoir à avoir d’idées sur les choses. Au départ, mon travail
consistait à créer les situations d’expérimentation – souvent en public. Il s’agissait de trouver
des lieux qui acceptaient de nous prendre en résidence pour des mises en espace, pour des
laboratoires. J’ai pu beaucoup observer ce qui se passait entre les acteurs et le texte et surtout
entre les acteurs, le texte et le public – un public qui était convié, d’abord, à entendre, puis, de
plus en plus, à voir ce qui se passait. Car les acteurs, d’esquisse en esquisse, s’engageaient de
plus en plus dans l’interprétation, presque naturellement. Je me suis laissée habiter, imbiber,
imprégner jusqu’à ce qu’une d’évidence se fasse jour, qui accueille et retienne toute la
puissance magique du texte. Celle-ci est si forte que c’est elle qui nous a conduits, ou
rattrapés. Il n’y a pas eu d’expérimentations formelles. On a laissé les choses se creuser
d’elles-mêmes et nous apparaître. Encore aujourd’hui, la mise en scène reste très simple :
faire entendre le surgissement du texte, dans un certain dépouillement, dans un certain
minimalisme, et favoriser la rencontre sensible avec le public qui vient nous voir, voilà à quoi
j’aspire.