Le symptôme en thérapie cognitive et comportementale

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LE SYMPTÔME
Le symptôme en thérapie
cognitive et comportementale
E. Tran*
E
nvisager une description de la manière dont
le symptôme est conceptualisé en thérapie
cognitive et comportementale (TCC)
implique de prendre en considération l’évolution de ces thérapies. Trois vagues évolutives et
complémentaires sont actuellement décrites,
en TCC : la vague comportementale, la vague
cognitive et la vague émotionnelle.
Nous envisagerons donc le symptôme en TCC au
travers de chacune de ces vagues afin de mieux
percevoir l’évolution de sa conceptualisation
en TCC.
Le symptôme selon la vague
comportementale
La vague comportementale est la première
forme de psychothérapie issue de la recherche
expérimentale. Parmi les théories fondatrices
du mouvement comportementaliste, nous
retrouvons le conditionnement opérant décrit
par B.F. Skinner, selon lequel l’apprentissage
d’un comportement s’effectue en fonction des
conséquences qui résultent de l’action de l’organisme sur l’environnement. Le comportement est
appréhendé selon des contingences de renforcement. Le modèle classique de représentation
de ces contingences est le schéma “Stimulus,
Organisme, Réponse, Conséquence” (SORC)
[figure]. Selon ce modèle, le stimulus agit sur
l’organisme qui produit une réponse. Les conséquences de la réponse seront perçues par l’organisme comme positives, négatives ou nulles. Une
conséquence positive aura pour effet le maintien du comportement qui en est à l’origine ; on
parle alors de renforcement positif. Une conséquence négative, inversement, aura pour effet un
évitement du comportement qui l’a entraînée : il
s’agit du renforcement négatif. Enfin, l’absence
de conséquence positive ou négative conduira à
une disparition des comportements concernés ;
on parle dans ce cas de phénomène d’extinction.
Nous observons que, dans ce modèle, l’organisme est peu actif, limité à un émetteur de
comportements et à un récepteur de conséquences qui vont influer sur les comportements
ultérieurs. En l’occurrence, les cognitions ou les
émotions ne sont considérées que comme des
effets périphériques de ce système d’action-réaction automatique. Ce modèle comportemental,
comme son nom l’indique, prend donc peu, voire
ne prend pas du tout en compte ce qui peut se
passer entre le stimulus et la production d’une
réponse par l’organisme. L’ensemble du vécu
émotionnel et des pensées du sujet n’est donc
pas pris en considération (1).
Dans ce modèle purement comportemental, le
symptôme est analysé selon l’étude de contingences de renforcement. Il sera donc tenu pour
un comportement acquis et se maintenant selon
une contingence de renforcement à étudier
pour proposer une thérapie comportementale
adaptée. Par exemple, une phobie spécifique sera
* Service de psychiatrie des adultes,
hôpital Robert-Debré, Reims.
+
SD
O
R
C
O
–
SD : stimulus discriminatif ; O : organisme ; R : réponse ; C : conséquence.
+ : conséquence positive ; O : conséquence nulle ; – conséquence négative.
Figure. Contingence de renforcement (schéma SORC) [1].
La Lettre du Psychiatre • Vol. VII - n° 4 - juillet-août 2011 |
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LE SYMPTÔME
Mots-clés
Symptôme
Thérapie comportementale
et cognitive
Troisième vague
Keywords
Symptom
Cognitive and comportemental
therapy
Third wave
considérée comme un évitement de la réponse
psycho-physiologique de peur se déclenchant
en présence du stimulus redouté. L’évitement
des situations phobogènes consécutives à ce
mécanisme vient renforcer la réponse émotionnelle négative.
Ce modèle est bien entendu réducteur si l’on
considère la richesse et la complexité des interactions pensées-émotions-comportements de
l’être humain. Néanmoins, expliqué au patient,
selon l’esprit collaboratif qui caractérise les TCC,
il lui permet de devenir actif dans la thérapie,
d’adhérer à une conceptualisation qui lui offre la
possibilité d’appréhender une symptomatologie
qui, bien souvent, restait jusqu’alors incompréhensible et source de dévalorisation. En outre,
il ne faut pas perdre de vue que l’ensemble des
phases évolutives des TCC se sont succédé et
complétées. Ainsi, non seulement la thérapie
comportementale reste le traitement de référence de troubles anxieux tels que les phobies
spécifiques mais elle fait aussi partie intégrante
de thérapies plus élaborées et prenant davantage en compte la cognition. Ce sont les TCC au
sens propre, qui représentent la deuxième vague.
Le symptôme selon la vague
cognitive
La vague cognitive est issue des recherches
menées en psychologie cognitive sur le traitement de l’information. L’élément central de ce
modèle est le schéma cognitif. Il s’agit d’une
structure cognitive considérée comme étant
acquise par interaction entre les événements
et les contraintes du système nerveux central
(SNC). Les schémas cognitifs sont stockés
dans la mémoire à long terme, inconscients,
et fonctionnent de manière automatique. Ils
contiennent un ensemble de savoir acquis sur le
monde et peuvent être activés par des émotions
analogues à celles présentes au moment de
leur apparition. Leur organisation en réseau
implique que l’activation d’un schéma puisse
provoquer l’activation d’autres schémas. Leur
action consiste à provoquer une sélection de la
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perception de l’environnement qui va permettre
le maintien du schéma. On parle de véritable
“tunnelisation” de la perception (1).
Les distorsions cognitives sont les biais cognitifs par lesquels la perception environnementale mais aussi les pensées vont renforcer les
schémas.
Enfin, les événements cognitifs constituent le
discours intérieur perpétuel dont la tonalité
sera influencée par les schémas cognitifs et les
distorsions cognitives.
Ce triptyque schéma cognitif-distorsion cognitiveévénement cognitif est en interaction constante.
Dans ce modèle cognitivo-comportemental, les
symptômes sont évalués par le biais d’une analyse
fonctionnelle qui a pour but de les représenter
au travers de l’interaction pensée-émotioncomportement. Cette analyse permet d’intégrer les facteurs comportementaux, cognitifs et
émotionnels impliqués dans l’apparition et le
maintien du trouble rapporté par le patient. Les
données biographiques sont également considérées. À partir de cette conceptualisation, des techniques comportementales adaptées et toujours
discutées et acceptées par le patient peuvent
être appliquées, tout comme des techniques
cognitives, souvent regroupées sous le terme de
“restructuration cognitive”. Ces dernières visent à
faire prendre conscience au patient de son mode
de fonctionnement actuel et tentent de lui faire
acquérir progressivement de nouvelles façons
de percevoir, d’interpréter, de ressentir et d’agir.
Par exemple, un patient souffrant d’une phobie
sociale présentera des schémas cognitifs d’incompétence sociale et de dévalorisation qui
sélectionneront les stimuli renforçant ce schéma.
Cette perception de l’information est biaisée par
les distorsions cognitives. L’inférence arbitraire,
qui consiste à tirer des conclusions sans preuves,
est une distorsion particulièrement fréquente.
Imaginons notre patient phobique social qui
cherche à joindre une connaissance par téléphone. Personne ne lui répond. Parmi toutes
les explications possibles de ce silence peuvent
figurer, entre autres, l’absence de la personne,
le fait qu’elle soit occupée… Cependant, notre
patient se dira plutôt que la personne ne souhaite
LE SYMPTÔME
pas lui répondre (inférence arbitraire), ce qui vient
en renforcement d’un schéma cognitif postulant, par exemple, qu’il n’est “nullement intéressant”, que consolide un monologue intérieur
dévalorisant, du type “on m’évite”, “je n’intéresse
personne”, etc.
Le symptôme selon la vague
émotionnelle
La troisième vague, tout en restant fortement
influencée par les théories et les applications
cliniques comportementales et cognitives, a
développé une approche davantage centrée
sur les émotions.
Dans les 2 premières vagues, l’objectif thérapeutique est le contrôle, la diminution ou la gestion
des comportements problématiques. En TCC, par
exemple, après la mise à jour de la dynamique
reliant pensée, émotion et schéma cognitif, un
changement vers des pensées et des comportements plus rationnels et adaptatifs est recherché.
Dans la troisième vague, après la mise en évidence
de cette même dynamique pensée-émotion et
schéma cognitif, l’objectif est davantage, en fonction de la technique considérée, de développer une
position d’observateur, une position “méta”, favorisant la distanciation et la “pleine conscience” des
phénomènes cognitifs en mouvement, révélant
leur caractère transitoire.
Cette troisième vague est actuellement
composée de la thérapie dialectique de Marsha
Linehan, la thérapie des schémas précoces
inadaptés de Jeffrey E. Young, la thérapie de
pleine conscience et la thérapie d’acceptation
et d’engagement.
Dans la thérapie dialectique comportementale,
M. Linehan propose 4 modules d’entraînement
spécifiques consacrés aux 5 catégories regroupant
l’ensemble des dysrégulations comportementales, émotionnelles et cognitives rencontrées
dans le trouble de personnalité état-limite (2).
Un premier module propose l’enseignement de
compétences destinées à réguler les émotions
et à faire ainsi face à la dysrégulation et à l’instabilité émotionnelle rencontrées dans ce trouble
de la personnalité. Un deuxième nodule aborde
la dysrégulation des relations interpersonnelles
pour développer des compétences relationnelles
efficaces. Un troisième module cherche à déve-
lopper les aptitudes à tolérer la détresse pour
limiter les comportements impulsifs du type des
automutilations ou des passages à l’acte suicidaires. Enfin, la dysrégulation du sens de soi et
les perturbations brèves, telles la dépersonnalisation, sont abordées par le développement
de compétences de prise de conscience, afin
que le patient s’entraîne à expérimenter toute
chose consciemment et à s’observer autant qu’à
observer les événements.
Dans la thérapie dialectique comportementale
sont présentes autant l’approche comportementale que les approches cognitive et émotionnelle.
La troisième vague n’est donc pas le développement d’une approche émotionnelle qui vient
remplacer les approches plus comportementales
et cognitives mais bien un enrichissement de
celles-ci.
Selon Jeffrey E. Young et son équipe, les schémas
précoces inadaptés sont constitués de souvenirs, d’émotions, de pensées et de sensations
corporelles (3). Ils concernent la personne et ses
relations avec les autres. Ils se sont développés
au cours de l’enfance ou de l’adolescence et se
sont enrichis tout au long de la vie. Cinq grands
domaines de fonctionnement sont étudiés :
séparation et rejet, manque d’autonomie et de
performance, manque de limites, orientation vers
les autres, sur-vigilance et inhibition. La thérapie
des schémas est une expansion de la TCC qui
insiste sur l’exploration de l’origine des problèmes
dans l’enfance et l’adolescence, sur les techniques
émotionnelles, sur la relation thérapeutique et
sur les styles d’adaptation dysfonctionnels.
L’idée de base de J.E. Young et al. est que les
schémas précoces sont la conséquence de
besoins affectifs fondamentaux qui n’ont pas
été comblés au cours de l’enfance. Cinq besoins
affectifs fondamentaux sont décrits par les
auteurs : la sécurité liée à l’attachement aux
autres ; l’autonomie, la compétence et le sens
de l’identité ; la liberté d’exprimer ses besoins
et ses émotions ; la spontanéité et le jeu ; les
limites et l’autocontrôle.
Dans ce modèle, l’individu sain sur le plan
psychologique est une personne qui parvient à
combler de façon adaptée ses besoins affectifs
fondamentaux.
Le but de la thérapie des schémas est d’aider
les patients à trouver des moyens adaptés pour
satisfaire leurs besoins affectifs fondamentaux.
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LE SYMPTÔME
Références
bibliographiques
Nouvelles
de l’industrie
pharmaceutique
1. Cottraux J. Les thérapies
comportementales et cognitives. Paris : Masson, 2001.
2. Linehan MM. Manuel d’entraînement aux compétences pour
traiter le trouble de personnalité
état-limite. Genève : Médecine
et Hygiène, 2000.
3. Young JE, Klosko JS, Weishaar
ME. La thérapie des schémas –
Approche cognitive des troubles
de la personnalité. Bruxelles : De
Boeck, 2005.
4. Segal ZV, Williams MG, Teasdale JD. La thérapie cognitive
basée sur la pleine conscience
pour la dépression. Bruxelles :
De Boeck, 2006.
Dans le modèle de la thérapie cognitive basée
sur la pleine conscience (4), les patients sont
amenés à reconnaître leur mode de fonctionnement habituel, qui les assujettit à l’activation de schémas cognitifs où les pensées
et les sentiments sont évalués comme des
“bonnes choses” ou des “mauvaises choses”,
et où l’esprit fixe des buts pour être sûr que,
selon les cas, ces bonnes ou mauvaises choses
continuent ou cessent. À partir de ce travail, la
pratique de la pleine conscience cherche à développer un mode mental particulier orientant
vers l’acceptation, une aptitude à la décentration, dans lequel les pensées et les sentiments
deviennent objets de conscience puis passent.
Ainsi, peu à peu, le patient est amené à observer
la manière dont la pensée ou la sensation
dépressive prend forme et peut contribuer à
une rechute, le but étant justement de l’éviter.
La symptomatologie dépressive est décryptée
au travers de ce modèle afin de proposer, dans
cette troisième vague de TCC, une approche
renouvelée et complémentaire de la prévention
de la rechute.
Conclusion
Nous avons vu la manière dont les TCC ont
évolué ces dernières années et comment le
symptôme est conceptualisé en fonction du
modèle considéré. Il ne faut pas perdre de
vue, comme nous l’avons dit précédemment,
que chaque vague évolutive ne remplace pas
la précédente mais l’enrichit. Ainsi, la vague
émotionnelle puise ses sources dans les vagues
précédentes et s’en inspire pour proposer de
“nouvelles” techniques, toujours soumises à
un esprit d’évaluation qui permet leur enrichissement et leur perfectionnement.
■
Communiqués des conférences de presse, symposiums, manifestations
organisés par l’industrie pharmaceutique
Du plaisir du jeu au jeu pathologique :
100 questions pour mieux gérer
la maladie
Dans la collection “100 questions pour mieux gérer la
maladie” dirigée par le Pr Maxime Dougados (hôpital
Cochin, Paris), Maxima-Laurent du Mesnil Éditeur publie,
avec le soutien institutionnel de la Française des jeux, un
livre intitulé Du plaisir du jeu au jeu pathologique, coécrit
par le Dr A. Belkacem et le Pr M. Renaud de l’hôpital PaulBrousse de Villejuif (Centre d'étude, de recherche et de
traitement des addictions [CERTA] Albatros) ainsi que par
le Pr J.L. Venisse du Centre de référence sur le jeu excessif
(CHU de Nantes).
Cet ouvrage, vendu en librairie au prix de 14,50 euros, est
consacré à l’addiction aux jeux de hasard et d’argent, qui
posent des problèmes à 2 à 3 % de la population (à 2 fois
plus d’hommes que de femmes), ainsi qu’aux jeux vidéo
sur Internet, nouveau type d’addiction qui apparaît dès
l’adolescence, constituant un nouvel habit de la crise propre
à cette période. Un des objectifs de ce livre est de bien
faire la différence entre le jeu social récréatif, le jeu excessif
(ou problématique) et le jeu véritablement pathologique.
À la base, le jeu remplit une double fonction psychique
et sociale : distraction dans un monde imaginaire et mode
d’expression de la créativité. Le comportement addictif
prend racine dans un besoin d’augmenter ou de diminuer le
niveau d’excitation et de soulager un état dépressif. Le jeu
remplit, alors, le rôle de stratégie d’adaptation alternative.
Le risque addictif concerne les jeux de hasard et d’argent
(PMU, casino, jeux de la Française des jeux) et les jeux vidéo
en ligne du type MMORPG (massively multiplayer online
role-playing game). Dans l’évolution de l’addiction, il y a
2 stades cliniques aux frontières floues : le joueur problématique qui garde la capacité de contrôler ou d’arrêter le jeu et
le joueur pathologique qui perd la liberté d’arrêter de jouer.
Plusieurs types de psychothérapies comportementalistes
ou psychanalytiques, ou les groupes de paroles, peuvent
aider le joueur à combattre son addiction.
Cet ouvrage, richement illustré, est concret et accessible, apportant des réponses efficaces, didactiques, et
compréhensibles aux questions les plus fréquentes sur le
jeu excessif. Il répond à l’objectif d’éducation thérapeutique du patient grâce à plusieurs tests d’auto-évaluation.
Les questions abordées sont très variées : Qu’est-ce que le
jeu pathologique ? Qu’est-ce que le jeu excessif ? Dois-je
interrompre l’accès à Internet ? Il ment sur le jeu et l’argent
perdu, que faire ?
MP
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