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difficile de ne pas noter l'influence du lyrisme de Stefan George ainsi que du pathétique
du O-Mensch que l'on trouve dans le premier expressionisme (dont l'œuvre de Franz
Werfel en est un exemple). Qualifier l'Étoile de chef-d'œuvre, c'est nécessairement
poser, en même temps qu'un jugement philosophique, un jugement esthétique à son
propos.
Que l'Étoile ne laisse pas indifférent son lecteur, tient à son sens, à son style, mais
aussi à la relation singulière qui la lie à son auteur. Peu d'ouvrages se trouvent à ce point
inscrits dans la vie de leurs auteurs. Aborder la pensée de Rosenzweig pour un lecteur,
c'est à un moment ou à un autre devoir aborder l'existence de son auteur. Ce qui
explique pourquoi il est souvent moins question de ce chef-d'œuvre qu'est l'Étoile de la
Rédemption que du chef-d'œuvre de Franz Rosenzweig. Par-delà l'iconographie
traditionnelle de l'Étoile née dans les tranchées et du martyre d'un Rosenzweig souffrant
d'une sclérose amyotrophique latérale, l'intrication de la pensée dialogale avec
l'existence en dialogue de son auteur est telle que l'omettre constituerait un obstacle à
l'interprétation de l'œuvre. Il faut être conscient en effet de l'intensité avec laquelle
Rosenzweig a rédigé son ouvrage ; une intensité qui n'a que peu à voir avec la rédaction
d'un travail universitaire. « Tout en moi est tendu vers cet instant, où le Tout sera
accompli
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. »
Dans un texte publié peu de temps après la parution des Gritli-Briefe, Reinhold
Mayer et Inken Rühle, les deux coéditeurs de cette correspondance, ont mis en avant les
axes principaux qui devraient selon eux orienter la recherche future sur la pensée de
Rosenzweig.
Les études singulières toujours plus spécifiques portant sur des aspects précis de
l'œuvre littéraire de Rosenzweig ne sont plus nécessairement une priorité. Bien plutôt, il
s'agirait tout d'abord de produire un travail de fond afin de faire connaître à un plus large
public la vie et l'activité de ce grand enseignant, philosophe et théologien. C'est pourquoi
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„Denn alles in mir drängt nach dem Augenblick, wo das Ganze fertig ist…” Franz R
OSENZWEIG
, Die
Gritli Briefe,
Briefe an Margrit Rosenstock-Huessy (GB), éd. par Inken Rühle et Reinhold Mayer avec
une préface de Rafael Rosenzweig, Tübingen, Bilam Verlag, 2002, S. 167.