Introduction Le suicide a fait et fait encore l’objet de plusieurs recherches menées au sein de différentes disciplines comme la philosophie, la psychologie, la psychanalyse et la sociologie. Celles-ci contribuent, chacune à leur manière, à apporter une meilleure compréhension de ce phénomène problématique qui ne cesse de s’amplifier. Elles contribuent à éclairer et à enrichir les réflexions et la pratique de celles et ceux qui interviennent auprès des personnes ayant des pensées suicidaires. Le suicide soulève des questions d’ordre éthique. Cet ouvrage a pour but d’en préciser la teneur afin de permettre aux intervenantes et aux intervenants de les aborder de la manière la plus large et la plus ouverte possible pour pouvoir enrichir leur relation d’aide auprès des suicidaires. Dans ce guide, nous n’abordons pas la problématique du suicide d’une façon purement théorique : les questions soulevées et les réflexions qui y sont proposées se basent sur le témoignage d’hommes et de femmes qui œuvrent dans un centre de prévention du suicide, et qui nous ont aidés à cerner les problèmes que l’on rencontre dans l’intervention auprès des personnes suicidaires. En quoi le suicide suscite-t-il des questions d’ordre éthique ? Une intervenante écrit : « Le suicide comme choix soulève une question fondamentale, sociale, personnelle, mystérieuse et ne laisse personne indifférent. » Une autre confie : « La problématique du suicide nous 2 Le suicide interpelle constamment ; elle nous désarme même. » En effet, le suicide soulève la question du sens de la vie humaine. Il met en jeu des valeurs, individuelles et collectives, ainsi que des règles et des normes qui encadrent nos comportements. Depuis fort longtemps, le suicide fait l’objet d’un débat au sein même de notre culture. Au cours des âges, plusieurs philosophes, théologiens, psychologues et sociologues se sont penchés sur ce phénomène pour en comprendre les causes et pour proposer ou imposer des règles à suivre face au suicide. Il peut être particulièrement éclairant de nous référer à ces auteurs pour apprécier la pertinence et la justesse de nos positions personnelles à l’égard de ce phénomène. De plus, la problématique du suicide soulève actuellement plusieurs questions sur la qualité de notre tissu social. Une bénévole souligne le fait que « notre société est malade : de plus en plus de gens sont seuls et tristes ». Au Québec, où le taux de suicide chez les jeunes prend des proportions alarmantes, on ne peut donc pas faire l’économie d’une réflexion éthique à ce sujet. Voici comment nous aborderons la problématique du suicide dans ce guide. Dans le premier chapitre, nous présenterons un certain nombre de concepts utiles pour éclairer quiconque s’engage dans une réflexion éthique, puis nous attirerons l’attention sur quelques exigences inhérentes au souci que cette réflexion apporte dans l’intervention. Pour ce faire, nous étudierons la question de la pertinence, mais aussi des limites d’un code de déontologie ; nous distinguerons la morale, la déontologie et l’éthique, pour ensuite mettre l’accent sur les exigences de la responsabilité éthique dans le quotidien de l’intervention ; nous terminerons ce chapitre par une réflexion sur les exigences inhérentes à toute démarche éthique, en nous référant à la conception de l’éthique proposée par le philosophe français Paul Ricœur. Nous nous pencherons dans le deuxième chapitre sur le sujet du bénévolat dans un centre de prévention du suicide. En présentant ce qu’implique le bénévolat nous soulèverons un certain nombre de questions à propos de ce type particulier d’intervention. Dans le troisième chapitre, nous dégagerons les valeurs auxquelles les intervenantes et les intervenants réfèrent généralement dans leur relation d’écoute et d’aide auprès des personnes. Cette Introduction 3 analyse nous permettra d’attirer l’attention sur un certain nombre d’enjeux éthiques en cause dans certaines situations où les intervenants doivent conjuguer leurs propres valeurs avec celles des personnes qui font appel à leurs services et celles du centre dans lequel ils travaillent. Dans le quatrième chapitre, nous aborderons la question de la justification du suicide, en faisant référence aux points de vue exprimés par des bénévoles à propos de leur perception de la mort et du suicide, de même qu’à leur expérience des situations difficiles qu’ils ont dû surmonter au cours de leur vie. Dans le cinquième chapitre, nous présenterons un certain nombre de points de vue sur le suicide qui ont marqué l’histoire de notre civilisation, afin d’aider les intervenantes et les intervenants à aborder la question du suicide d’une façon appropriée et de faire la lumière sur leur propre représentation de cette réalité qui les interpelle parfois de manière dramatique. Ce guide de réflexion éthique sur les interventions auprès des personnes suicidaires n’est pas un livre de recettes, ni un manuel de morale qui propose des principes et des règles valables pour tous les cas et dans toutes les circonstances. Ses auteurs l’ont conçu comme un outil au service de la créativité et de la responsabilité de ceux et celles qui veulent voir un peu plus clair dans la nature et la portée de leurs interventions. Ce guide ne constitue pas non plus un manuel proposant un ou des modèles d’intervention auprès des personnes suicidaires. Ses auteurs visent d’abord à permettre aux intervenantes et aux intervenants dans un centre de prévention du suicide de réfléchir sur les principaux enjeux moraux et éthiques soulevés dans et par leur relation d’aide. Notre conception de l’éthique nous conduit non pas à aborder toute problématique éthique à partir d’une théorie, mais à tirer de la pratique les enjeux éthiques qu’elle soulève, afin de les soumettre à la discussion, faisant ainsi appel à la créativité et à la capacité de responsabilité des personnes concernées. Ainsi, pour tirer profit de ce guide de réflexions éthiques, nous estimons qu’il devrait faire l’objet de discussions au sein d’équipes de travail, de manière à favoriser le dialogue et le partage d’expériences. 4 Le suicide En annexe 1, on trouvera le tableau de l’objectif terminal visé par l’ensemble de la démarche éthique proposée dans ce guide ainsi que les objectifs intermédiaires permettant de l’atteindre par des étapes successives. Si on désire se doter d’un code de déontologie, les auteurs de ce guide suggèrent de consulter l’ouvrage Guide de déontologie en milieu communautaire, dans lequel on trouvera des suggestions pouvant être utiles en vue de procéder à la formulation et à l’élaboration d’un tel code1. 1. Pierre FORTIN, Guide de déontologie en milieu communautaire, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec (coll. Éthique, n°3), 1995, 148 pages.