UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE
ÉCOLE DOCTORALE III
Littérature française
XIX
e
-
XXI
e
siècles
POSITION DE T H È S E
pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE
Discipline : littérature française
Présentée et soutenue par :
Jeanne Imbert
le 5 décembre 2014
Édouard Dujardin : un cas exemplaire au sein du symbolisme,
genres et formes entre 1885 et 1893
Sous la direction de :
M. Bertrand Marchal, Professeur, Paris - Sorbonne
Membres du jury :
M. Jean-Nicolas Illouz –Professeur, Paris
VIII
M. Bertrand Vibert –Professeur, Stendhal - Grenoble 3
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Délaissé par la critique, Édouard Dujardin a été vu, pour les plus avertis,
comme l’inventeur du « monologue intérieur ». Pourtant, il a joué un rôle capital
dans l’histoire du symbolisme, en tant que directeur de revues et créateur de
formes. Le présent travail retrace le parcours de cet écrivain entre 1885 et 1893,
période la plus emblématique de sa production, les huit années d’effervescence et
de révolution poétique au cours desquelles, il explore tous les genres : la nouvelle,
le poème en prose, le roman, le vers libre et le théâtre. Notre perspective n’a pas
été linéaire, au sens nous n’avons pas suivi un ordre chronologique, mais un
questionnement spécifique déterminé en fonction de la problématique générique
que soulevait chaque ouvrage.
Notre première partie, Genres, a ouvert le débat par le théâtre, la trilogie
dramatique, La légende d’Antonia, avec le personnage anonyme, et l’incidence que
cette conception entraîne sur l’action. En effet, le prénom Antonia, utilisé en titre et
en citation intertextuelle, ne correspond à aucun personnage de la pièce, il est
pourtant important dans la mesure il réapparaît presque dans chaque ouvrage.
À la croisée des genres, présent aussi bien dans son théâtre que dans les poèmes
en prose, le vers libre ou le roman, Antonia joue un rôle de symbole poétique.
Nous avons poursuivi notre traversée dans les genres par la poésie,
choisissant d’étudier le poème, Pour la vierge d’un roc ardent, en raison de
l’exemplarité du dilemme porté par la relation entre vers et prose. Ce poème
inaugure par un choix typographique distinct, caractères romains et italiques, un
nouveau rapport au sein de la poésie, en introduisant au cœur de la composition
une alternance entre prose et vers. Une fois ces problèmes soulevés, nous nous
sommes dirigés vers le poème en prose lui-même, avec À la gloire d’Antonia.
Première tentative poétique de l’écrivain, elle présente à l’état brut, le mécanisme
de répétition, fonctionnant sur un principe de reprise systématique de certains
mots. Procédé emprunté au leitmotiv wagnérien, dévidé de tous motifs, son
mouvement tourne à vide dans une contemplation spéculaire.
Le deuxième poème en prose étudié, Réponse de la bergère au berger, bien
que plus tardif, souligne de manière assez aigue un parti pris optant pour le
déséquilibre entre ses parties. Nous avons interrogé la pertinence du découpage en
paragraphes, qui en ne répondant pas à une organisation linéaire, renvoyait vers
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l’idée de « strophe » au sens latin de partie chantée. Écho lointain de la pastorale,
ce duo amoureux entre homme et femme est particulièrement disloqué par le
changement fréquent de focalisation et par l’absence volontaire de toute
temporalité chronologique.
Nous ne pouvions achever cette partie sans avoir abordé le vers libre avec
le recueil, La comédie des amours, qui paradoxalement montre un certain retrait
dans l’exploration formelle. Cependant, il dévoile à travers un de ses poèmes,
« Dialogue des Courtisanes », l’ébauche de la pièce théâtrale, Le chevalier du passé.
La parenté entre les deux textes était troublante, ils avaient perdu tout critère
discriminatoire de genre, le poème arborant à l’égal du texte théâtral les
didascalies, par exemple. Surtout, ce parallèle mettait en lumière une composition
essentiellement centrée sur ses parties, fonctionnant comme les facettes
interchangeables d’un déroulement unique et infini. L’absence de décompte
syllabique ne s’affranchissait pas totalement de la rime et ne présentait rien de
notable par rapport à la charge des allitérations, assonances, anaphores et refrains.
Après le théâtre et la poésie, notre seconde partie, Formes, se consacre à la
prose poétique avec le roman, Les lauriers sont coupés, et le recueil de treize
nouvelles, Les Hantises. Nouvelle occasion de débat, certains passages du roman
découvrent des morceaux appartenant au poème en prose, À la gloire d’Antonia.
Cette intrusion de la poésie dans le roman dévoile un processus inverse à celui de
notre première partie dans laquelle la prose se mêlait au vers. Ce n’est pas un
hasard si nous retrouvons aussi dans Les lauriers sont coupés, le prénom Antonia.
Contrairement au reste de la production de l’auteur, le roman s’appuie sur un
cadre spatio-temporel précis et sur des personnages. Toutefois, le traitement
manifeste un parti pris spécifique, puisque d’après les notes manuscrites, l’écrivain
l’envisageait comme le drame d’un seul personnage.
Ensuite, nous avons examiné le personnage de dandy du roman et avons
retrouvé son ébauche au sein du recueil de nouvelles. Fin du cycle que nous avions
suivi avec le prénom Antonia, l’étude de ce recueil s’est organisée autour du lien
que les nouvelles établissaient avec le poème en prose, d’une part, et le conte
d’autre part. Première publication de l’écrivain, ces nouvelles ont décelé des
procédures d’expérimentation touchant les modes énonciatifs de la première et de
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la troisième personne mais aussi un fonctionnement ambigu entre les catégories
du pluriel et du singulier. Elles explorent un nouveau fantastique, centré sur
l’angoisse bien plus que sur le surnaturel, qui interroge la folie, l’occultisme, la
religion, la vie et le sens de l’existence.
La réception des Lauriers sont coupés et du recueil de nouvelles, Les Hantises, par
la presse ou dans la correspondance, nous a informé de la manière dont ces
ouvrages avaient été perçus à l’époque.
Dans notre troisième et dernière partie consacrée à la confrontation entre
les arts, nous avons abordé la question du monologue intérieur et la musique.
Notre étude a pris pour point de départ les commentaires de l’écrivain sur son
roman, à partir du brouillon de lettre qu’il adressa au critique italien, Vittorio Pica,
en 1888. Puis, nous sommes revenus sur le destin singulier du roman Les lauriers
sont coupés, dont James Joyce déclarait s’être inspipour Ulysses, fut réédité en
1924. L’écrivain et critique, Valery Larbaud, en écrivit la préface et utilisa pour la
première fois l’expression de « monologue intérieur », pour décrire le procédé
utilisé par l’écrivain. Cette formulation, reprise au roman de Paul Bourget,
Cosmopolis suscita un débat terminologique au sein de la critique entre Gérard
Genette et Dorrit Cohn, le premier préférant le terme de « discours immédiat »,
tandis que le second optait pour celui de « discours autonome ». Le saut temporel
entre les deux éditions 1888 et 1924 a contribué à brouiller les repères entre une
œuvre quasiment passée inaperçue au moment de sa création, puis redécouverte
grâce à James Joyce. Les circonstances historiques ont fait sortir de son cadre
contextuel le récit, Les lauriers sont coupés, en ne l’envisageant que sous l’angle du
procédé en « monologue intérieur », « discours immédiat » ou « monologue
autonome », etc.
Pour cette raison, nous avons tenune nouvelle définition du phénomène
textuel et stylistique des Lauriers sont coupés en considérant le texte tel qu’en lui-
même. Le point de départ de notre réflexion a porté sur la relation entre le
dialogue et les apartés ou commentaires du personnage, en fonction du
déroulement des neuf chapitres. Nous y avons vu une mise en relief permettant un
rapport de contraste. Le distinguo entre dialogue et commentaire est emblématisé,
lors de l’échange entre interlocuteurs. Dès lors qu’il disparaît, comme aux
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chapitres IV et V, une nouvelle procédure le remplace : la lettre (chapitre V). Cette
hypothèse est toutefois peu satisfaisante car elle exclut le chapitre IV. Son intérêt
serait plutôt de mettre en évidence la dualité entre parole et écrit, crise
appartenant en propre à la relation entre vers et prose.
Notre questionnement s’est alors tourné vers le modèle d’union des arts, et
la forte empreinte qu’il laisse sur la littérature. Ce programme est envisagé à
l’époque dans une perspective de rénovation, donc de destruction des modèles
anciens. Cet aspect nous semble avoir été minoré car, s’il y a bien un renvoi vers la
peinture ou la musique, ce n’est pas dans leur acception traditionnelle. En ce qui
concerne la peinture, il s’agit moins de « tableau » que de surface. En ce qui
concerne la musique, l’influence du compositeur Richard Wagner ne procède pas
de façon littérale, bien au contraire, elle est transposée dans une esthétique avant-
gardiste, qui dégage, de la mélodie continue, le principe de répétition. Ensuite,
nous avons resitué Les Lauriers sont coupés dans le cadre d’une logique des genres.
Il nous a semblé que, malgré l’instabilité que manifeste ce roman entre le mode
dramatique et le mode épique, il relève de la poésie lyrique. Sa modernité réside
dans une redéfinition de la poésie lyrique envisagée dans une perspective
impersonnelle. Elle est à l’origine de ce brouillage de la conscience et de l’identité
du sujet introduisant avec force une rupture vis-à-vis de la représentation, au sens
de mimèsis.
Dernier chapitre de notre étude, Les litanies, mélopées pour chant et piano
mettent en regard poésie et musique. Le texte poétique en vers libres est soumis à
une nouvelle distribution imposée par la partition musicale, le piano. La relation
entre le piano et le chant n’est pas d’une facture classique pour l’époque. Le piano
intervient parfois seul, le chant, lui non plus n’est pas toujours soutenu par un
accompagnement. Cet ensemble reposant sur la disjonction des éléments qui en
font partie, montre un travail de résistance, celui d’une forme poussée à ses
limites, que cela soit pour la musique ou pour la poésie, ni mélodie, ni récit. La
relation entre les arts établit un lien intra-générique, qui autorise les passerelles
entre les genres, le roman est un théâtre et le théâtre un poème. Charpente même
du rêve d’union entre les arts, la composition se veut l’expression d’un ensemble.
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