Pathologie
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Bulletin Infirmier du Cancer Vol.8-n°2-avril-mai-juin 2008
Les cancers bronchopulmonaires (CBP) repré-
sentent en France près de 20 % des cancers mas-
culins et environ 10 % des cancers féminins. Ils
sont responsables d’un tiers des décès par cancer chez
l’homme (soit la première cause de mortalité par can-
cer) et de 20 % des décès par cancer chez la femme (soit
la troisième cause de mortalité par cancer, après le can-
cer du sein et le cancer colorectal). L’âge moyen de sur-
venue est de 60 ans. La survie globale reste faible, de
l’ordre de 15 % à 5 ans, toutes formes et tous stades
confondus. Dans la stratégie thérapeutique, on diffé-
rencie les cancers bronchiques non à petites cellules
(CBNPC) regroupant les carcinomes épidermoïdes, les
adénocarcinomes et les carcinomes neuroendocrines à
grandes cellules, et les cancers bronchiques à petites
cellules (CPC). Le pronostic est très différent entre les
CBNPC (survie de l’ordre de 15 % à 5 ans) et les CPC
(moins de 5 % de survivants à 5 ans). Nous aborderons
dans cet article les évolutions récentes des techniques
d’irradiation des CBNPC.
Forme locorégionale évoluée
La chirurgie constitue le traitement de première inten-
tion pour les patients opérables porteurs d’un CBNPC
localisé (stades I et II). Pour 30 à 40 % des patients atteints
d’un CBNPC, le diagnostic est porté à un stade localement
avancé, apparaissant souvent comme non résécable. Le
pronostic de ces patients de stade III reste aujourd’hui
assez péjoratif avec des taux de survie entre 20 % et 40 %
à 2 ans, et entre 5 % à 10 % à 5 ans. Le traitement stan-
dard des CBNPC de stade III inopérables localement avan-
cés est actuellement fondé sur une association de chi-
miothérapie comportant un sel de platine et d’une
radiothérapie ; les meilleurs résultats en terme de survie
sont obtenus si cette chimiothérapie est délivrée de
manière concomitante à la radiothérapie, à la condition
que les patients soient en bon état général. L’étude ran-
domisée 9501 du Groupe français de pneumologie can-
cérologique a mis en évidence un taux de survie de 25 %
à 3 ans [1] ; la dose de 66 Gray (Gy) en 33 séances
Évolution de la
radiothérapie des cancers
bronchopulmonaires :
l’asservissement
respiratoire
Olivier Gallocher1,
Muriel Garcia2
1Oncorad Garonne
6, rue Mespoul,
31400 Toulouse
2Institut Bergonié,
229, cours de l’Argonne,
33076 Bordeaux
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(1 séance par jour, 5 séances par semaine) était délivrée
en technique « classique » (c’est-à-dire non conforma-
tionnelle), associée à 4 cycles de cisplatine-vinorelbine
(pendant les 1re et 5esemaines de la radiothérapie, puis
2 cycles seuls supplémentaires en consolidation).
La radiothérapie, comme tout traitement en oncolo-
gie, est soumise au délicat compromis entre destruction
tumorale et protection des tissus sains. Or, dans le cas des
tumeurs bronchiques, la radiothérapie « classique en
2 dimensions », fondée sur des radiographies de simula-
tion, ne permettait pas une précision suffisante pour obte-
nir un index thérapeutique (rapport contrôle de la mala-
die/toxicité) satisfaisant. Les volumes étaient reportés
manuellement sur les clichés de simulation à partir de
l’imagerie TDM et de la description obtenue par la fibro-
scopie. Une marge de sécurité uniforme de 1,5 à 2 cm
était recommandée afin de prendre en compte les incer-
titudes du report tumoral, du positionnement et des mou-
vements du patient, de la « pénombre » des faisceaux. Il
en résultait une exposition de larges volumes de tissus
sains, dont la tolérance imposait de limiter les doses déli-
vrées. Son imprécision pouvait conduire à une mauvaise
couverture du volume cible (responsable d’un mauvais
contrôle local) et/ou à des complications aiguës et tardives
par surdosage au niveau des organes critiques avoisinants
(pneumopathies, œsophagites et myélites radiques).
Radiothérapie thoracique
conformationnelle
La radiothérapie actuelle dite « conformationnelle »
est un mode d’irradiation intégrant des moyens d’ima-
gerie moderne pour aboutir à une irradiation de haute
précision (meilleure adaptation au volume tumoral et
limitation de l’exposition des organes sains) avec l’am-
bition d’augmenter la dose à la tumeur (minimum de
60-66 Gy), donc le contrôle locorégional.
La procédure intègre les développements technolo-
giques en matière de contention (interne ou externe),
d’imagerie médicale, de dosimétrie, d’appareils de trai-
tement et d’assurance de qualité.
Planification du traitement
La première étape consiste en une tomodensitomé-
trie (TDM) en position de traitement (patient en décu-
bitus dorsal, calé dans un système de contention, bras
au-dessus de la tête) ; des marques arbitraires sont pla-
cées sur la peau du thorax et matérialisées par des
repères radio-opaques (dosimétrie prévisionnelle),
visibles sur la TDM, utiles au repositionnement du patient
et des faisceaux.
Une étape capitale de la procédure [2, 3] est la déli-
néation sur chaque coupe scanographique du volume
cible correspondant au volume tumoral macroscopique
GTV (tumeur, ganglions), au volume anatomoclinique
(« maladie microscopique ») CTV (espace péritumoral et
périganglionnaire autour du GTV, espace ganglionnaire
prophylactique) et des organes à risque (OAR) (pou-
mons, moelle épinière, œsophage, cœur).
Le volume cible prévisionnel (planning target volume
ou PTV) ajoute au CTV les incertitudes liées aux mou-
vements des organes et des erreurs de positionnement
du patient. Il est théoriquement scindé en deux selon
les causes d’incertitudes : le volume cible interne (inter-
nal target volume ou ITV) prend en compte les mouve-
ments internes du patient et un second volume défini
par l’addition d’une marge de mise en place (set-up mar-
gin) autour de l’ITV prend en compte les incertitudes
de positionnement pendant le traitement. Le PTV est le
volume de prescription : il doit être entouré par la sur-
face isodose choisie et spécifiée par l’oncologue radio-
thérapeute comme appropriée (par exemple, l’isodose
95 %) de façon à ce que la distribution de dose soit adé-
quate dans le CTV. Le volume traité (treated volume ou
TV) est le PTV entouré des marges radiophysiques (qui
augmentent avec l’énergie des faisceaux et à l’inverse
avec la faible densité pulmonaire).
OAR particulier : les poumons
Il existe des modèles permettant de prédire le risque
de complications radiques pulmonaires en fonction de
la proportion de poumon irradié. Pour la réalisation des
histogrammes dose-volume, on définit une unité « (pou-
mon droit + poumon gauche) – PTV » faite du volume
total des 2 poumons auquel on soustrait le volume cible
prévisionnel. On relève ainsi V20 et V30 qui corres-
pondent aux volumes recevant respectivement au moins
20 et 30 Gy. V20 semble un paramètre fiable : Graham
[4] a montré l’absence de pneumopathie radique de
grade 3 (requérant une oxygénothérapie) lorsque moins
de 25 % du parenchyme pulmonaire recevait une dose
totale de 20 Gy, et, à l’inverse, un taux de 19 % lorsque
plus de 37 % du parenchyme pulmonaire était irradié à
une dose supérieure à 20 Gy.
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Radiothérapie asservie
à la respiration
L’existence de mouvements respiratoires est une pré-
occupation majeure de la radiothérapie des tumeurs tho-
raciques (poumons, seins, médiastin) et abdominales
(foie, reins). Ces mouvements doivent être pris en
compte dans l’ITV selon les définitions du rapport ICRU
62. Avec le développement de la radiothérapie confor-
mationnelle, plusieurs équipes ont mesuré les mouve-
ments des organes internes avec la respiration, en com-
parant des acquisitions TDM faites à différents temps du
cycle respiratoire [5]. Les déplacements moyens du lobe
inférieur du poumon sont plus importants que ceux du
lobe supérieur dans les 3 directions de l’espace. Les
déplacements du diaphragme sont les plus importants :
ils sont de l’ordre de 16 mm mais peuvent atteindre une
amplitude de 52 mm. Les sommets pulmonaires sont
en revanche beaucoup moins mobiles, leurs déplace-
ments étant estimés en moyenne à 2 mm dans toutes
les directions (maximum 3 mm). La carène bouge éga-
lement peu dans le plan latéral avec une valeur moyenne
de 3 mm, mais ses déplacements longitudinaux sont
plus importants, mesurés en moyenne à 5 mm (maxi-
mum 12,5 mm). Ross [6] a analysé les mouvements
rapides du cœur grâce à un scanographe particulier. Il
a observé que les tumeurs proches du cœur bougent de
façon importante, de 10 à 15 mm en moyenne ; à l’in-
verse, les tumeurs fixées à la paroi se déplacent peu, de
l’ordre de 3 mm. En résumé, les mouvements de la
tumeur en fonction du cycle respiratoire sont d’impor-
tance variable en fonction du site anatomique (ils sont
d’autant plus importants que la tumeur est plus proche
du diaphragme), mais aussi de ses extensions à des struc-
tures relativement fixes (gros vaisseaux de médiastin)
ou au contraire relativement mobiles (paroi thoracique).
À l’extrême, une tumeur périphérique lobaire inférieure
est beaucoup plus mobile qu’une tumeur proximale
lobaire supérieure partiellement fixée au médiastin.
Les études précédentes ont permis des mesures pré-
cises des déplacements des organes intrathoraciques,
mais pour les tumeurs situées près du diaphragme dont
les mouvements ont une amplitude moyenne de 35 mm
dans l’étude de Giraud [7], les marges théoriques seraient
telles que le volume des tissus sains irradié deviendrait
rapidement inacceptable. Si on considère arbitrairement
que la forme de la tumeur contourée GTV est une sphère
(alors qu’elle ressemble plus généralement à une masse
patatoïde), en appliquant la formule mathématique de
calcul menant du rayon (R) d’une sphère à son volume
(4/3 πR3), on obtient un volume exponentiellement
majoré (figure 1) difficile à traiter. Ces constatations ont
conduit les équipes à réfléchir à des moyens de contrô-
ler les mouvements respiratoires, afin de réduire les
marges entre CTV et PTV : c’est ce que l’on appelle « la
radiothérapie asservie à la respiration (RAR) » ou respi-
ratory gating en terminologie anglo-saxonne.
L’intérêt théorique de la RAR est de réduire et de maî-
triser les incertitudes de traitement liées aux mouve-
ments respiratoires conduisant à une limitation des com-
plications, en irradiant moins de tissus sains, avec
également l’espoir d’augmenter la dose au GTV pour
améliorer le contrôle local. La RAR procède de deux
grandes approches : soit la respiration du patient est blo-
quée pendant l’acquisition de l’imagerie pré-thérapeu-
tique et l’irradiation (« gating the patient »), soit le patient
respire librement, et le déclenchement des différents
appareils s’effectue à un niveau respiratoire donné
gating the machine »). Une troisième stratégie, plus
futuriste, propose de suivre les mouvements de la tumeur
– « tracking » – ou d’intégrer les déplacements respira-
toires dans les mouvements des lames d’un collimateur
multilame.
L’approche la plus physiologique, que tout patient
est capable de supporter, consiste à suivre en temps réel
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Volume des cibles (cm
3
)
1000
950
900
850
800
750
700
650
600
550
450
400
350
300
250
200
150
100
50
0
123456789
Rayon
10 11 12 13 14 15 16
PTV CTV GTV
Figure 1. Augmentation exponentielle du volume du PTV en fonc-
tion du GTV.
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le rythme ventilatoire spontané et à déclencher le scan-
neur ou l’accélérateur linéaire à un niveau toujours iden-
tique du cycle respiratoire. Les mouvements respira-
toires peuvent être détectés grâce à plusieurs types de
capteurs. Par exemple, le real-time position manage-
ment (RPM) de la société Varian®comporte un bloc de
plastique posé sur la partie haute de l’abdomen sur
lequel sont collés des réflecteurs renvoyant la lumière
d’un illuminateur infrarouge vers une caméra reliée à
un ordinateur. Le mouvement des réflecteurs lors de la
respiration est analysé par un logiciel qui commande
le déclenchement du scanneur ou de l’accélérateur en
fonction de critères prédéfinis. Cependant, les mouve-
ments mesurés à la surface du corps d’un patient ne
sont pas forcément reproductibles et corrélés de manière
précise aux mouvements internes de la tumeur et des
organes. De plus, le temps de traitement est allongé
puisque le canon ne tire que dans une certaine posi-
tion du réflecteur (correspondant au moment choisi
dans l’ensemble du cycle respiratoire continu). La toute
dernière innovation en termes de synchronisation res-
piratoire consiste à effectuer une acquisition tomoden-
sitométrique 4D (la quatrième dimension étant le
temps), chaque coupe scanographique ayant sa situa-
tion dans le cycle respiratoire (enregistrement d’un
grand nombre de coupes scanographiques jointives en
continu avec simultanément l’enregistrement de l’am-
plitude respiratoire du patient) [8].
Dans la seconde technique, la respiration du patient
est bloquée, habituellement en inspiration, soit par l’oc-
clusion d’une valve (active breath control, ABC), soit
par une apnée volontaire (blocage en inspiration pro-
fonde BIP ou en anglais deep inspiration breath hold,
DIBH). La technique de contrôle actif de la respiration
la plus répandue consiste à utiliser un spiromètre com-
portant une valve qui peut bloquer la respiration à un
moment déterminé du cycle respiratoire (commerciali-
sée en France par la société Elekta®).
Le blocage volontaire de la respiration, en général
inspiratoire, est plus étudié que le blocage actif. La
méthode utilisée pour l’asservissement respiratoire peut
être le blocage volontaire en inspiration profonde grâce
à un pneumotachygraphe Spirodyn’R®de DYN’R®, inté-
grateur d’une différence de pression du flux respiratoire.
Ce spiromètre est relié à un micro-ordinateur PC sur
lequel le logiciel Spirodyn’R®est installé. Ce logiciel per-
met d’intégrer l’archivage des données de chaque
patient. Une représentation graphique dynamique du
cycle respiratoire du patient est projetée en temps réel
sur écran pour le personnel, et dans les lunettes vidéo
pour le patient (figure 2). Le patient visualise ainsi sa
courbe respiratoire et par sa participation active peut
diriger son rythme respiratoire et réaliser une inspi-
ration bloquée dans le niveau d’apnée de référence
(75 % de l’inspiration maximale).
À toutes les étapes de la radiothérapie (apprentis-
sage, scanner, simulation, traitement), le patient est ins-
tallé en décubitus dorsal, allongé sur un système de
contention thoracique, les bras maintenus au-dessus de
la tête (figure 3). Une cale est souvent placée sous les
genoux pour améliorer le confort du patient.
Robin Garcia [9] a testé cette technique sur 5 patients
porteurs d’un CBNPC. Après une phase d’apprentis-
sage, tous les patients ont pu être traités en inspiration
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Niveau de référence
Rythme respiratoire de base Durée (s)
Blocage en inspiration
profonde
Figure 2. Courbe spirométrique d’un cycle respiratoire normal
suivi d’un blocage en apnée de référence. En ordonnées, la courbe
représente un volume en litres par rapport à une calibration.
Figure 3. Position de traitement, contention et spiromètre.
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profonde avec une bonne tolérance. La réduction des
mouvements respiratoires et l’inflation du volume pul-
monaire ont permis de diminuer le volume de paren-
chyme sain non irradié (réduction de 30 % du volume
pulmonaire recevant plus de 25 Gy selon Hanley [10]),
offrant à terme des perspectives d’augmentation de
dose dans le volume cible sans toxicité pulmonaire
majorée.
Au moment de l’acquisition de la TDM en position
de traitement, le blocage inspiratoire permet d’amélio-
rer la qualité des images [11, 12]. En effet, l’inspiration
bloquée est utilisée depuis toujours en radiologie pul-
monaire pour supprimer les artefacts liés à la mobilité
respiratoire des organes intrathoraciques et améliorer
la qualité des images diagnostiques. En radiothérapie
conformationnelle, les TDM en position de traitement
sont réalisées habituellement en respiration libre pour
obtenir une position moyenne des organes et de la
tumeur, et permettre une dosimétrie prévisionnelle dans
les conditions de traitement. Il en résulte des images de
qualité médiocre avec un flou cinétique responsable de
striations multiples (figures 4 et 5), gênant la délinéa-
tion des volumes cibles et des organes à risque. En plus
de ces difficultés de visualisation précise des volumes,
de nombreuses études ont montré qu’il existait une
variabilité de définition suivant les médecins. Grâce à
une étude prospective sur un petit échantillon de
5 patients [13], dont le GTV était défini en RL et en AR,
nous avons montré une tendance à l’amélioration de la
variabilité de délinéation du GTV par le blocage respi-
ratoire au sein d’une équipe de 6 observateurs (4 radio-
thérapeutes et 2 radiologues). Les méthodes les plus
accessibles pour améliorer la variabilité inter-observa-
teur semblent être la concertation à plusieurs (en par-
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Figure 4.
Coupes frontales
en RL à gauche et
en AR à droite.
Figure 5.
Coupes sagittales
en RL à gauche et
en AR à droite.
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