proportions. […] Bien peu ont saisi le cœur de son propos : l’importance
qu’il accorde à la proportionnalité. S’inspirant de lui, beaucoup sont
allés jusqu’à chérir tout ce qui est petit1. » Il est bien certain que dans le
monde actuel, en proie au gigantisme, aux excroissances monstrueuses,
à la mondialisation compulsive, le sens des proportions doit pousser par-
tout à la réduction d’échelle. Pourtant, cet aspect circonstanciel ne doit
pas faire oublier le principe directeur : non pas l’apologie du petit en
tant que tel, mais la recherche, en toutes choses, de la taille la plus
appropriée pour l’épanouissement de la vie humaine.
L’Anschluss, en 1938, a conduit Kohr à quitter l’Autriche où il était
né, en 1909, dans la petite ville d’Oberndorf. Il n’en a pas moins gardé,
toute sa vie, la conviction que l’unité de distance pertinente pour orga-
niser une société saine était de l’ordre de celle séparant Oberndorf de
Salzbourg, la capitale du Land, située à vingt-deux kilomètres2. Afin
d’étayer son propos — pour chaque chose humaine, il existe une juste
mesure —, Kohr n’a pas hésité à recourir à l’analogie avec la nature.
De fait, une des idées qui se dégage des études morphologiques menées
en biologie par D’Arcy Thompson ou J.B.S. Haldane est que la taille
des organismes n’est pas une donnée indépendante de leur organisa-
tion. Au contraire, un certain type d’organisation ne saurait se déve-
CONFÉRENCE
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1«The Wisdom of Leopold Kohr », 1994. Une traduction française de cette
conférence est disponible dans le recueil de textes d’Ivan Illich intitulé
La Perte des sens (trad. Pierre-Emmanuel Dauzat, Fayard, 2004).
2Kohr, dans son exil, est devenu citoyen américain. De 1943 à 1955, il a
enseigné l’économie et la philosophie politique à l’Université de Rut-
gers (New Jersey) puis, de 1955 à 1973, a été professeur d’économie et
d’administration publique à l’Université de Porto Rico.Aux grands pro-
grammes de développement, déracinant les populations et détruisant
leurs modes de vie, il a opposé sa théorie et sa pratique du développe-
ment endogène. C’est sur ses conseils qu’en 1967, la nouvelle répu-
blique d’Anguilla refusa de livrer ses côtes aux sociétés hôtelières amé-
ricaines et au projet portuaire d’Aristote Onassis, qui prétendaient
« développer » l’île. Kohr est revenu en Europe en 1973 et, après avoir
encore enseigné quelque temps au pays de Galles, a vécu à Gloucester
où il s’est éteint en 1994.