FABIEN GRANJON ET ARMELLE BERGÉ De quelques considérations sur la notion d’éclectisme culturel
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de contenus et contribueraient du coup à diversifier l’éventail des genres approchés sinon
des goûts. À la multiplication des occasions de fréquentation de contenus culturels
répondrait une diversification des rapports à la culture qui se concrétiseraient notamment
par une variété toujours plus importante des formats de réception, de participation et
d’action accentuant « la porosité des frontières entre culture et loisirs, entre le monde de
l’art et celui du divertissement » (Donnat, 1998, p. 311). Les TIC ouvrent, nous dit-on, de
nouvelles complémentarités contribuant potentiellement à l’entrelacement de pratiques
nouvelles et plus anciennes, au déplacement de pratiques culturelles stabilisées, à l’émer-
gence de nouvelles formes d’appropriation, à l’initialisation de couplages originaux de
contenus plus dispersés au regard de l’échelle des légitimités culturelles et sur lesquels les
pressions symboliques sont moins fortes. À la fois producteur de loisirs, diffuseur de la
culture de masse, mais aussi passeur de certaines formes de culture plus consacrées, voire
creuset de nouvelles formes de consécration culturelle, le continent médiatico-publicitaire
tendrait à prendre une importance considérable et à devenir l’acteur-référent de l’offre
culturelle pour le plus grand nombre.
Philippe Coulangeon montre par exemple que « la télévision exerce, dans l’organisation
quotidienne du temps libre, une concurrence de plus en plus affirmée à l’égard de la
culture populaire » (in Donnat, 2003 ; 2004). Le renforcement du poids de la télévision
affecte de manière assez significative l’écologie des pratiques de loisirs des classes
populaires et participe au délitement d’une certaine culture qui lui était liée, bien que
l’allongement du temps d’exposition à la télévision soit sans aucun doute davantage un des
symptômes de cette déliquescence plutôt que l’une de ses causes principales. Mais la
télévision est également une « instance de reconnaissance et de légitimation pour tous ceux
qui ne font pas partie des milieux cultivés et ne bénéficient pas des réseaux d’informations
courts et spécialisés » (Donnat, 1994, p. 147). Les industries culturelles, le continent
médiatico-publicitaire et la diffusion des TIC contribueraient donc, d’une part, à l’assise
d’un nouveau régime de participation culturelle, et, d’autre part, à l’amenuisement de
l’indignité culturelle des moins bien dotés en capital culturel ainsi qu’à la décomplexion
des classes populaires qui, de fait, partagent un minimum culturel et quelques goûts avec
une part de plus en plus importante de la population. Par ailleurs, si la culture de masse fait
aujourd’hui référence pour bon nombre d’individus, les technologies de l’information et
de la communication par le biais desquelles elles se diffusent ouvriraient également un
champ de possibles pour de nouvelles stratégies distinctives. On peut en effet penser que si
l’on écoute ou visionne de plus en plus les mêmes culturèmes, l’étendue de l’offre des
contenus et des services permet sans doute de déployer des stratégies de fréquentation et
d’instrumentation plus inhabituelles et aussi d’appréhender les objets culturels selon des
logiques plus ou moins distinctives, mobilisant notamment des ressources cognitives (des
connaissances), des savoir-faire (e. g. une forme spécifique de capital technique) et des
compétences plus rares (e. g. comprendre une langue étrangère), ainsi que des appétences
(le goût pour la lecture, la recherche documentaire, etc.) singulières qui continuent à être
le fait de catégories de population bénéficiant d’un volume de capital culturel important :
« Il existe de plus en plus d’usages cultivés de la culture non cultivée liés à la consécration
de certains genres ou formes d’expression jusqu’alors considérées comme infraculturelles,
mais aussi de plus en plus d’usages non cultivés de la culture cultivée en raison de
l’insertion partielle de la culture cultivée dans cette économie médiatico-publicitaire »
(Donnat, 1994, p. 359). Pour ne prendre qu’un exemple, Philippe Le Guern (2002) montre
bien que la « fanitude », si elle se présente en première instance comme une pratique
plutôt illégitime, épouse en fait des formes fortement différenciées d’intéressement allant
du culte et de la vénération la plus béate à des attachements plus distants, de type
exégétiques, déclinés depuis des dispositions cultivées.