3. Comment les acteurs locaux, politiques ou de la culture, tiennent-ils
compte du public dans leurs actions ?
L'adéquation entre l'offre et la demande culturelle est loin d'être évidente : les
producteurs de spectacles, par exemple, ont beaucoup de difficultés à prévoir leurs
recettes. Quelles sont les raisons de ce hiatus ? A côté de la complexité, déjà
abordée plus haut, de la relation triangulaire, public, produit culturel, environnement
social, l'offre semble jouer un rôle majeur. Ainsi, en matière cinématographique le
circuit de distribution choisi, le nombre de salles réservées pour la projection d'un
film va aussi conditionner la réponse du public.
De même, les orientations données aux politiques culturelles par les acteurs
institutionnels locaux, sont souvent conditionnées par d'autres priorités politiques,
dont la construction d'une image pour la collectivité considérée ; des considérations
d'ordre plus "privé" semblent aussi intervenir : le "flair" qui masque plus ou moins
bien des penchants personnels, et les poids des attitudes, des groupes sociaux ou
famille. La structure de l'offre se construit trop souvent sans que les attentes du
public ne soient prises en considération, quoi qu'on en dise, sinon a posteriori, à
travers des statistiques de fréquentation le plus souvent, ou à titre de faire valoir,
dans un souci de légitimation, dans l'élaboration des actions.
3.1. Evaluations et autres jeux de l'esprit...
Ce constat pose la question de l'évaluation, qui a déjà fait l'objet d'une intervention
l'année dernière, mais une évaluation des attentes n'est pas possible sans
construction préalable d'un référentiel. Celui-ci ne peut évidemment se limiter à un
système d'information statistique dédié à la fourniture de données à des instances de
décision de l'action publique.
Il n'est pas plus possible de se borner à une transposition analogique d'images, plus
ou moins idylliques, souvent en porte-à-faux par rapport à la réalité sociale. Ainsi,
l'idée qu'un quartier urbain est la réplique d'une communauté villageoise idéalisée ne
constitue certes pas un guide d'action pertinent pour gérer les réseaux complexes et
morcelés de la sociabilité de la ville.
En fait, la réalité locale est très mal traduite par ces métaphores ; elle ne parvient
pas à mettre en communication des réseaux qui s'ignorent, à valoriser leur proximité
spatiale. Dans le cas de la reconversion de friches industrielles de la SEITA en centre
d'art à Marseille , ce qui est perçu par les populations locales, c'est la disparition de
l'activité économique, et par transfert, ces derniers développent un rejet des
occupants de la Belle-de-Mai, considérés comme des "parasites" et des "fabricants
d'inutile". Les acteurs locaux semblent surestimer le caractère manipulable des
représentations qu'une société locale peut se donner d'elle-même.
3.2. "Deux crocodiles dans un marigot..."
Cette situation n'est sans doute pas sans rapport avec l'issue du conflit qui, vers la
fin des années soixante-dix a opposé les animateurs et les élus associatifs, tenants
d'une conception de "culture populaire", dont la primauté allait à l'élargissement du
public, aux artistes et professionnels de l'art pour qui l'action des pouvoirs publics
devait être avant tout un soutien à la création artistique, et qui s'est terminé par la
victoire de ces derniers. Cet aspect a été développé par Alain Lefebvre dans un
précédent séminaire sur les indicateurs culturels.
Les politiques culturelles ont dès lors adopté essentiellement des politiques de
soutien de l'offre, selon un point de vue du succès des industries culturelles, au
détriment du soutien à la demande : "Les équipements de quartier acquièrent peu à
peu le caractère "neutre" des services urbains de proximité... Ils perdent pour la
plupart, leur rôle de lieu de revendications ou d'expressions de demandes adressées
au pouvoir local" . Le phénomène marquant est la professionnalisation des acteurs