Anthropologie de la nuit

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I- PRESENTATION DU GROUPE DE TRAVAIL ADN : L’ETAT DE LA QUESTION
ANTHROPOLOGIE DE LA NUIT: INTERROGER LA NOCTURNITÉ 1
Présentation La nuit, des fantômes volans, claquetans leurs becs violans,
en sifflant mon âme espovantent
P. De Ronsard
Parmi les sciences humaines, l’anthropologie a pour vocation d’étudier le lointain pour
s’en approcher et le proche pour s’en éloigner. Or nul domaine plus que celui de la nuit ne se
prête autant à ce double exercice tant notre regard, nos habitudes et notre vécu nous semblent
universels et rationnels, tandis que ceux des autres, exotiques de l’espace ou du temps,
paraissent étonnants, incompréhensibles sinon follement déraisonnables. Dans leur approche,
les anthropologues se sont surtout attardés sur les événements exceptionnels qui ponctuent le
temps nocturne, tels les rituels d’initiation, de sorcellerie, les séances chamaniques, les
veillées funèbres ou le culte des ancêtres, mais jusqu’à une époque récente, ils n’avaient pas
accordé une attention suffisante aux pratiques du quotidien nocturne, aux préparations
minutieuses du corps avant sommeil, aux routines du temps consacré ou volé au sommeil, tant
dans les sociétés qu’ils étudient que dans la leur.
La nuit place les sociétés humaines devant des défis majeurs — obscurité, abandon de la
vigilance dans le sommeil, perceptions modifiées, évaluations sensorielles altérées… —
auxquels elles répondent par des échafaudages de règles, de contraintes, qui enserrent les
individus dans des cadres rigides destinés à contrôler des forces étranges et délétères, à
réparer les corps brisés ou malades des hommes, et aussi à assurer leur protection ou à
favoriser leur sommeil. Tout comme les épuisantes nuits d’apprentissage des chamanes
amazoniens, les rythmes soutenus du travail en milieu hospitalier, sur les routes, ou sur les
chalutiers de la pêche hauturière témoignent d’un ressenti dans lequel s’exprime le sentiment
de vivre dans un « ailleurs » du social, au prix parfois d’une souffrance insigne. Mais l’on sait
que la nuit permet aussi l’ouverture au champ infini des possibles, laissant libre cours à la
création, au désordre, au débordement, à la fête, aux jeux de Thanatos et aux larmes d’Eros.
Cette contradiction, que nous ressentons particulièrement en termes de contraintes et de
libertés, nous paraît généralisable partout et de tous temps. Or il n’en est pas exactement ainsi.
De fait, nous avons l’habitude de penser et de vivre sur un certain nombre d’alternances
qui nous semblent évidentes ou naturelles : clarté diurne/obscurité nocturne, veille/sommeil,
activité/repos, sécurité/danger. Il nous est ainsi difficile de nous convaincre que d’autres
sociétés ne les conçoivent pas et ne les vivent pas de la même façon. Historiens, sociologues
et psychologues nous en donnent d’excellents exemples : les uns remontent le temps et les
autres scrutent la modernité, dans des visées comparatives 2. L’ethnographie prend acte du fait
que la nuit n’est pas « l’envers du jour » mais qu’elle a, dans chaque culture, des propriétés
1
Notion introduite par le groupe « Anthropologie de la nuit » de Nanterre. Voir Galinier, J. et al., 2010.
Anthropology of the night. Cross-disciplinary investigations, Current Anthropology, 51(6) : 819-847.
2
Koslofsky, Craig. 2011. Evening’s Empire. A History of the Night in the Early Modern Europe. Cambridge,
Cambridge University Press. Cabantous, A. 2009. Histoire de la nuit. XVIIe-XVIIIe siècle. Paris, Fayard.
Gwiazdzinski, L. 2005. La nuit, dernière frontière de la ville. La Tour d’Aigues, Editions de l’Aube. Ekirch, A.
R. 2005. At day’s close: Night in times past. London, New York, Norton. Steger, B. and L. Brunt (eds). 2003.
Night-time and sleep in Asia and the West: Exploring the dark side of life. London, Routledge. Simon, W. 2005.
Sleep and society: Sociological ventures into the (un)known, London, Routledge.
1
spécifiques. Dans sa quête d’exhaustivité et son désir jamais comblé d’inventorier toutes les
figures possibles du vivre dans l’obscurité, l’ethnographie peint l’infinie diversité des modes
de traitement de la nuit, et la complexité de ses représentations et des modes d’agir qui lui
sont afférents. Que se passe-t-il aujourd’hui durant la longue nuit hivernale de deux-trois mois
chez les Inuit du haut Arctique Les jeunes, conditionnés par l’éclairage a giorno, bien souvent
24h sur 24, dans les habitations en préfabriqué, inventent des modes de relation rétifs au
respect de la marche des horloges et de la régularité des pauses réservées au repos. La
répulsion pour le sommeil dans ces populations met à mal le calcul d’un repos réparateur pour
chaque nycthémère 3. Les chamanes amérindiens, comme les Huichol du Mexique, luttent
jusqu’à épuisement contre le sommeil pour rendre propice une visite épiphanique, favoriser
un état d’accueil des forces de l’esprit, seul capable d’apprivoiser les interlocuteurs du monde
autre. Les Wolof du Sénégal, rompus au respect méticuleux d’une étiquette de la nuit,
s’assurent par des paroles et des gestes que leur voisin est bien assoupi pour lui souhaiter une
nuit harmonieuse. Les Yukuna de Colombie amazonienne n’accordent aucune confiance aux
états éveillés du jour pour transmettre les connaissances de leurs experts chamanes : seule la
nuit est susceptible de faire circuler les savoirs, d’en asseoir l’autorité, grâce à des mises en
condition précises — alimentaires, sexuelles, et à l’aide raisonnée de psychotropes —, et par
l’ouverture des dispositifs perceptifs indispensables à la transmission des chants, des mythes
et des prières 4. Les Mohave d’Arizona, vivant au milieu du désert dans le dénuement le plus
total, disposaient d’une véritable « science des rêves » servant à alimenter une mythologie
nocturne étourdissante. Dans les textes védiques, la nuit, que Charles Malamoud qualifie
d’« onctueuse », cède la place à l’Aurore, objet de contemplation et matrice d’où surgira la
civilisation 5. Dans la Chine taoïste, à la nuit qui tombe, le Yang reprend ses droits sur le Yin
et les équilibres du masculin et du féminin se recomposent. Partout à travers le monde, la nuit
pose une redoutable interrogation aux pouvoirs en place, contraignant à instituer, comme dans
certaines royautés du Sahel, un rôle de « gardien du sommeil » du souverain afin de préserver
la vigilance d’un porteur d’autorité, ou encore, en Afrique orientale, à concéder au chef une
fonction de surveillance de l’activité onirique de ses sujets, décrétant quels rêves peuvent être
autorisés tandis que d’autres doivent rester interdits. En Papouasie, les rêves assoient la
légitimité du pouvoir en place alors que chez les Diegueños de Californie, ils pouvaient être
hiérarchisés en deux catégories, avec une prédominance du masculin sur le féminin. Si dans
ces sociétés du bout du monde les rêves font l’objet d’un traitement aussi systématique, c’est
qu’ils permettent de définir les modes de délimitation et de transgression des frontières des
différents états psychiques, conscients et inconscients, dans leurs rapports à l’état de la société
et du cosmos. Encore aujourd’hui, les indiens Zapara d’Equateur interrogent chaque jour leurs
rêves avant de prendre la moindre décision engageant la vie de la communauté, quitte à
solliciter ceux de l’anthropologue sur internet pour fortifier leur jugement. Les Maya Tzotzil
peuvent arriver à engager des travaux communautaires d’importance à la suite d’un rêve dont
l’interprétation prescrit de telles opérations 6.
Si nous nous tournons vers nos sociétés, au-delà d’une apparente uniformité, de
nombreuses questions relatives à la nuit restent ouvertes et demandent des enquêtes de terrain
3
Bordin, Guy. 2011. On dansait seulement la nuit. Fêtes chez les Inuit du nord de la Terre de Baffin. Nanterre,
Publications de la Société d’ethnologie, coll. « Anthropologie de la nuit ».,
4
Fontaine, Laurent. 2014. La nuit pour apprendre. Le chamanisme nocturne des Yucuna. Nanterre, Publications
de la Société d’ethnologie, coll. « Anthropologie de la nuit ».
5
Malamoud, Charles. 2014. Communication personnelle.
6
Laughlin, Robert. 1988. The people of the bat: Mayan tales and dreams from Zinacantán. Washington,
Smithsonian Institution.
2
précises qui déferont bien des préjugés. Les formes diverses de percevoir, concevoir et vivre
la nuit montrent l’urgence de la regarder non seulement comme un complément du jour —
parfois un substitut, dans ses formes extrêmes —, mais comme générant une multiplicité
d’espaces, de temps et de modes de pensée spécifiques. Comprendre comment on pense la
nuit, comment on pense dans la nuit, et quelles sont les capacités cognitives exercées,
différentes de celles qui sont mobilisées le jour, voilà, entre autres, les tâches que s’assigne
l’anthropologie. On observe alors que les unités spatiales et temporelles diurnes sont
transposées en « mesures nocturnes » : l’espace est dilaté ou rétréci par les perceptions et
l’expérience, et traduit dans des concepts et des comportements (par exemple les propriétés
attribuées à des lieux « privés », « publics », « secrets », « intimes », « interdits » etc. dont le
statut change au cours du cycle circadien). La psychophysiologie met d’ailleurs elle aussi
l’accent sur la variabilité et l’élasticité des espace-temps perçus et vécus dans différents
contextes.
Le sommeil lui-même n’échappe pas à cette malléabilité ; il a été libéré des conditions
dites « naturelles » : on ne se couche plus guère avec les poules pour se lever dès potronminet. Les experts indigènes eux aussi modifient volontairement les cycles du sommeil des
apprentis chamanes, ouvrant l’accès à des états de conscience altérés. Témoins aussi les faits
d’activité rituelle, de guerre, de travail, de fêtes (cérémonies, initiations, rave parties, etc.),
occasions pour lesquelles, et selon l’urgence, les psychotropes retardent le sommeil tandis que
les somnifères le favorisent. Le sommeil et sa gestion ne sont donc pas des universaux
intouchables, ils sont aussi objets de contraintes et de stratégies déployées par les acteurs, et le
déterminisme physiologique est culturellement aménagé. En scrutant les habitudes et les
croyances de mères florentines et napolitaines à propos du sommeil de leur enfant avant et
après la naissance, les neurophysiologistes expliquent le contraste entre les configurations
différentes du sommeil de leurs nouveaux nés 7. En sont aussi les témoins des diverses
interventions relatives à ce temps consacré au repos : apprentissage des veilles, injonctions
aux enfants, actes à portée persécutrice, militaire, répressive, ce qui relève de la violence
individuelle ou de ce qui fait intervenir la nuit comme un des paramètres de l’action politique.
Autre point fascinant abordé par les neurophysiologistes et touchant en même temps au
formatage culturel du sommeil et aux croyances qui y sont attachées, l’activité cérébrale dans
cet état d’absence périodique de conscience et de vigilance permet de poser des hypothèses
fortes sur les relations entre le savoir et la part nocturne de ses sources, de sa conservation, ou
de sa transformation. S’ils analysent de façon de plus en plus fine les réseaux
extraordinairement complexes existant entre les nombreuses et différentes sortes de
mémoires, les anthropologues doivent de leur côté montrer que chaque société dispose de tout
un corpus de savoirs et d’imaginaires portant sur les liens entre l’apprentissage et la nuit, et
sur les interactions entre humains, entités surnaturelles, rêves et savoirs, seulement alors
possibles. A partir de cette corrélation se construisent des ensembles mnémotechniques
sophistiqués, et des procédés d’utilisation ou d’oblitération de la mémoire.
Du travail nocturne, l’abondante littérature sociologique nous donne, à l’aide de
statistiques et de questionnaires, les différents décors, les dramatis personnae, les costumes de
la hiérarchie, le script ou sous un autre terme, les scénarios. Sur cet essentiel canevas,
l’ethnographe de terrain sonde les reins et les cœurs des acteurs, analyse les inférences sous le
discours, et tente d’atteindre le niveau profond où le rôle social s’ancre dans la culture ou
plutôt, dans nos sociétés globalisées, dans les cultures. Pour ne prendre qu’un seul exemple,
l’hôpital est le cas emblématique du travail de nuit et nombreuses sont les études qui
7
Toselli, M., P. Farneti et P. Salzarulo. 1998. Maternal representation and Care of Infant sleep, Early
development and parenting, 7 : 73-78.
3
analysent des récits à ce propos mettant en évidence des cadres nocturnes très différents de
ceux fonctionnant pour le même travail de jour, différents dans la gestion du temps, dans le
type de tâches à effectuer, dans celle des relations interindividuelles et dans l’acception même
de la notion de « nuit » 8. Dans une usine automobile, au dernier tiers des 3/8, il n’y a que les
chaînes de production qui fonctionnent. Point de secrétaire, de cadre, de réunion syndicale, de
cantine : la nocturnité ancre un vécu différent. Dans un rapport étonnant sur l’économie
nocturne d’un site minier dans le nord de la Tanzanie, une ethnologue a montré le contraste
entre les conceptions de la nuit des mineurs-squatters issus des villages noirs proches du site,
déferlant au soleil tombé pour s’emparer clandestinement des outils et des lieux, et celles des
agents miniers blancs enfermés dans leurs habitations à la nuit qui se lève 9.
Un autre point important, qui nécessite également une fine description, concerne les
marges qu’offrent les frontières entre jour et nuit. Aube et crépuscule, dans nos termes, sont
peu étudiés, quoique ces étapes limites recouvrent des mouvements annonciateurs de la phase
qui suit. Si nous nous écartons de la ville et de l’Occident, chez les Nahua du Mexique comme
dans d’autres communautés mésoaméricaines, l’anthropologue des temporalités montre le
déclenchement progressif des rituels nocturnes dans la partie défaillante du jour, minime sous
ces latitudes, ce qui signifie que les frontières sont mouvement et que la nuit n’est pas
coextensive à l’obscurité, ni la clarté au jour.
Domestiquer ou familiariser la nuit (ou l’administrer ?), c’est d’abord en comprendre les
différentes textures, analysées jusque dans les profondeurs des pratiques conscientes et
inconscientes et des croyances qui leur sont associées. Traditions et représentations changent :
entre l’arrivée de « la lumière artificielle » — évolution depuis le Moyen Âge jusqu’au XIXe
siècle si heureusement analysée par Ekirch, Koslofski ou Cabantous en Europe— et « la
pollution lumineuse » d’aujourd’hui cernée par les géographes associés aux écologues et aux
médecins, l’évolution des conceptions relatives à la nuit est manifeste. Idées et mœurs
peuvent aller jusqu’à l’inversion. La littérature, la tradition orale, les rumeurs, les sermons et
les chansons portent un ensemble de croyances qui se structurent autour d’attracteurs cognitifs
et font et défont les physionomies de la nuit fatale ou celles de la nuit faste ou fastueuse. La
promotion de la vie nocturne peut transformer la nuit en « hyper-jour », comme le font les
spectacles de music-hall dans lesquels le corps transfiguré des jeunes femmes les rend non
reconnaissables par leurs proches, tant l’intensité d’une lumière « solaire » associée à des
artifices destinés à la magnifier, aveugle littéralement les spectateurs10. Il ne s’agit alors plus
de jour ni de nuit. En accroissant désirs et exigences la nuit durant, comme s’il s’agissait de la
journée — manger, travailler ou s’instruire, se divertir ou se cultiver — en même temps que
les activités, s’instaure une gigantesque mobilité avec ses impératifs 11. Il existe aussi des
effets de « mode » qui touchent à la nuit : sur les précautions à prendre pour le sommeil des
nourrissons ou les moments propices à la somnolence sans manquer à la bienséance. Modes
des « happy hours », mode de la Nuit de la Déprime à Paris, des Nuits Blanches, tous
intervalles de moments plus ou moins longs qui font surgir, en même temps en des lieux
spécifiques, un arsenal d’objets et de comportements adéquats. Qu’en est-il des étudiants
japonais qui s’abandonnent à de petits sommes plusieurs fois dans la journée pendant leurs
8
Soliveres, Anne. 2001. Infirmières, le savoir de la nuit. Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Partage
du savoir ».
9
Bourgoin, France. (Danish Institute for International Studies), Communication au séminaire « Anthropologie
de la nuit » du 25 mars 2010.
10
Fourmaux, Francine. 2009. Belles de Paris. Une ethnologie du music-hall. Paris, Editions du Comité des
Travaux Historiques et Scientifiques.
11
Gwiazdzinski, Luc. 2002. La ville 24 heures sur 24. La Tour d’Aigues, Editions de l’Aube.
4
cours ou s’appuient sur l’épaule du voisin dans le métro, introduisant, au pays du Soleil
Levant, la nocturnité du repos, procédé de survie… mal vu dans les amphithéâtres de la
Sorbonne. Mode ? Trait culturel ? Il n’est que de relire le jésuite portugais L. Fróis qui, au
XVIe siècle, compare le Japon et l’Europe et y décrit un contraste structurel d’habitus de la
nuit à partir d’un inventaire cocasse d’oppositions, tel celui qui s’offre à notre époque
moderne 12.
Penser la nuit ne se réduit pas à organiser, telles que nous les voyons surgir de nos jours,
des promenades touristiques pour « la nuit de la chouette », « des chercheurs », « de l’eau »,
« des musiques », « des étoiles », ou à prôner « la nuit européenne des musées ». 13 La nuit,
nous l’avons dit, est à la mode, sert de prétexte à l’invention de shows extravagants, à nommer
des parfums et s’emparer de mille et un produits de consommation. Comme s’il fallait se
rattraper d’un oubli. Mais elle est bien davantage. La nuit englobe des phénomènes des plus
divers et de tailles prodigieusement différentes. Elle est un enjeu majeur aussi bien pour le
fonctionnement d’un micro-organisme que pour la défense nationale. Et l’anthropologie n’a
qu’à se dépêcher pour suivre à rebours ce fil d’Ariane qui, loin cette fois, de nous faire sortir
du labyrinthe vers la lumière, nous emmène au cœur de la nocturnité, sous le règne du
Minotaure.
12
Fróis, Luís. 2003. Européens et Japonais. Traité sur les contradictions et différences des mœurs. Écrit par le
R.P. Luís Fróis au Japon, l’an 1585. Paris, Chandeigne.
13
Signalons, pour une information de dernière minute, que « La nuit des Maths » vient de se produire le 4 juillet
2015 à Tours.
5
II- L’ORIGINE DU GROUPE DE TRAVAIL AdN
BREF HISTORIQUE DES QUESTIONNEMENTS
L’origine du groupe Anthropologie de la nuit provient d’une question posée par un
collègue médecin et psychophysiologue aux deux anthropologues fondateurs du groupe AdN,
Aurore Monod Becquelin et Jacques Galinier. Chercheur de l’INSERM à la Pitié Salpetrière
en lien avec l’équipe Jouvet de Lyon, puis professeur au département de psychologie de
l’université de Florence, il travaillait avec son équipe sur le thème suivant : un des axes pour
aborder une représentation globale de la nuit et des habitudes du sommeil dans une société
donnée est d’analyser la façon dont les interactions, comportements et attitudes parentales
concernant le sommeil des nouveau-nés affectent et/ou modulent de facto le sommeil de ces
derniers.
Les quelques études conduites dans une perspective transculturelle concernant les
courbes du sommeil des nouveau-nés et des enfants étaient rares, mais leurs résultats
convaincants : ils démontraient l’existence de variations remarquables sur les différents
continents concernant le sommeil (voir, par exemple, les comparaisons entre enfants kényans,
américains et néerlandais dans Harkness et al. 1995) et même dans différentes villes d’un
même continent (Bruni 1998, Toselli et al. 1995). Autrement dit, tout type de comportement
parental (“sleep parenting”) conditionné par le sommeil des nouveau-nés et, de façon
complémentaire, toute intervention sur l’environnement et tout formatage des habitudes
inculquées aux nourrissons et aux enfants pourraient jouer un rôle dans la conformation du
sommeil, d’où l’apparition de différences d’une société à l’autre.
Encore plus stimulant pour nous, Toselli et ses collaborateurs (ibid.) avaient souligné
l’importance des croyances, des représentations et des attentes des mères enceintes dans le
formatage du sommeil de l’enfant à naître. Ces chercheurs pensaient qu’il s’agissait là d’une
recherche cruciale puisque c’est dans les toute premières interactions avec le fœtus que les
mères peuvent ébaucher des idées et des opinions sur les habitudes de sommeil et programmer
des stratégies d’intervention dans le sommeil de leur nouveau-né, idées et habitudes modelées
évidemment par la culture. C’était dans cette direction qu’ils envisageaient comme nécessaire
une collaboration dans les domaines encore peu explorés en dehors des laboratoires.
De cette discussion nous est venue l’idée d’une ethnographie de la nuit et, si possible,
d’une véritable anthropologie de la nuit.
Ces discussions aboutirent en juin 1995 à une journée d’études de la MSH :
L’anthropologie de la nuit, considérations exploratoires. Il s’agissait d’une présentation
globale de la nuit et des habitudes/pratiques du sommeil. Nous avions écarté une grande partie
de la littérature sur les rêves (depuis la clef des songes jusqu’aux travaux de psychanalyse), ne
gardant que ce qui est inséparablement lié à la nuit dans le contexte anthropologique —
rencontres, prescriptions sur les activités diurnes à partir des narrations oniriques, formes des
narrations de rêves… Tout le reste du « nocturne » nous intéressait, depuis les Folies Bergère
jusqu’au droit nocturne, des Inuit aux Mayas ou aux Otomis, de la musique de nuit aux
paroles de nuit. Les séances de travail réunissaient une ou plusieurs disciplines : ethnologie,
psychologie, psychanalyse, économie, iconographie, sociologie, médecine… Nous avons
écouté des ethnographies de la nuit et de ses temporalités, avec un grand nombre d’études de
cas — Afrique, Amérique, Europe et des discussions. Le Colloque de Florence, deux ans
après, a offert une synthèse de cette longue période d’accumulation de documents.
6
Un deuxième temps de recherche s’est concrétisé en 2000 par un projet intitulé : Danger,
réparation, dépense. Ce qui nous avait frappé après avoir entendu un certain nombre de
présentations était — surtout en Amérique indienne — un dérèglement de composition, de
circulation et de communication des flux énergétiques intra et extracorporels, lié aux
conceptions de la personne, et de là des dangers inhérents à la nocturnité, qui produit des
dépenses énergétiques intenses.
Sous cet angle, des recherches précises et concentrées devenaient nécessaires, ce à quoi
nous nous sommes appliqués tout en poursuivant la multiplicité et la variété des terrains :
l’environnement du sommeil, les entrées et sorties du sommeil, les marqueurs du sommeil
(plaintes, mouvements, ronflements, apnées, etc.), les contraintes, les veilles, les états
liminaires ou altérés de la conscience comme les visions, et même les obligations entraînées
par l’activité consciente ou inconsciente menée de nuit, c’est-à-dire non seulement les
dépenses énergétiques, économiques, symboliques mais les dépenses en émotions,
transgressions, obligations (de raconter les rêves pour contrer les mauvais présages et régler la
vie diurne), etc. Dans ces enquêtes, nous nous sommes heurtés à de grandes difficultés dans
l’établissement des protocoles, en particulier pour ce ce qui relevait des questionnaires sur le
sommeil. De plus l’utilisation des instruments techniques pour de véritables mesures sur le
sommeil (actimètres) n’était pas encore à notre portée.
Cette orientation a donné lieu à l’article publié dans Current Anthropology en 2010.
Cependant, extrêmement réduit pour des impératifs éditoriaux, toute l’ethnographie qui en
était la base ayant quasiment disparu, nous y avons suppléé par la création de la collection
Anthropologie de la nuit dont cinq exemplaires sont déjà publiés.
Pour des raisons conjoncturelles, le congrès de Mexico, en octobre 2012, Las cosas de la
noche, nous a poussés à resserrer notre recherche. Gardant à l’esprit le vif besoin de nouer de
nouvelles collaborations, nous avons choisi une dynamique à laquelle chaque discipline peut
apporter un point de vue explicatif. Sa formulation est : processus de construction et
communication, dialogues, interactions, dans les mondes nocturnes. Cette orientation nous
permet maintenant de construire une anthropologie de la nuit qui dispose d’outils de réflexion
et d’analyse permettant un véritable travail d’interdisciplinarité et de comparaison.
7
III- LES THEMES DU GROUPE DE TRAVAIL ADN
UN LONG CHEMINEMENT DANS LA NUIT
Ce plaidoyer pour la nuit ne vient pas ex abrupto parce que le jour nous lasserait : au
contraire. Cette orientation sur les conceptions et les interrelations qui ont lieu la nuit —
réelle ou imaginée — nous permettra de repenser les grands champs de l’ethnographie sous
un éclairage « de nuit ». Citons quelques thèmes privilégiés par des ateliers du groupe AdN :
– Existe-t-il, la nuit, une suspension des représentations sociales de la personne, ou
au contraire, une prise en charge encore plus contraignante des modèles culturels de
représentation et d’action sur les événements ? Ce qui concerne l’intégrité de la personne, la
maladie, les opérations de type persécutoire ou de réparation doit être considéré.
– L’inscription de la féminité dans la symbolique de la nuit est un des points mis en
évidence par les anthropologues (Héritier 2004, Durand 1969). Plus important que l’inventaire
des significations symboliques un tant soi peu pétrifiées, sont à examiner les chemins par
lesquels la nuit s’empare des représentations culturelles du dimorphisme sexuel comme le
vecteur de constructions mythologiques complexes, en écho à une pensée du féminin comme
« le continent noir » selon Freud, à la fois occulte, sombre, une terre inexplorée. Cette
perspective ouvre la voie à une transdisciplinarité féconde avec la psychanalyse en replaçant
la nuit, par le biais des croyances natives, au cœur d’une réflexion sur ces images de la
féminité perçue comme énigme, dans une constante tension avec le pôle institutionnel, très
largement balisé, de la masculinité.
– Les scénarios de l’origine de la nuit et des contraintes sur sa conservation sont un
objet de comparaison qui n’a jamais été vraiment abordé en Amérique indigène, depuis les
Inuit et les Amérindiens du nord jusqu’en Patagonie.
– L’économie, le droit, la propriété nocturnes, qui ancrent également tous les
problèmes de travail et de santé sont, dans nos propres sociétés, fondés sur la rupture. Cet
outil conceptuel (ou mathématisé en topologie) peut servir à réviser un certain nombre de faits
qu’historiens, sociologues et anthropologues connaissent déjà : rupture sociale mais aussi à
l’inverse, besoin de nocturnité.
– Un autre thème intéressant concerne les relations interhumaines, inter-non humaines
et celles entre humains et non-humains au cours de la nuit. En effet, communication et
interaction dans les mondes nocturnes font dans de nombreuses sociétés intervenir des
ancêtres, des entités non humaines et même des objets.
– La question omniprésente dès que l’on parle de nuit : le sommeil. La gestion de
l’alternance veille/sommeil, qu’elle soit inscrite dans l’environnement (situation
géographique, territoire et écologie, pollution lumineuse), dans les villes (sécurité,
divertissements, travail de nuit), dans les croyances et les comportements relatifs au sommeil,
etc.
– L’apprentissage et la mémoire : comment étudier le lien entre le sommeil et
l’apprentissage conscient ou inconscient ? Comment comprendre l’activité mentale nocturne,
les arts de la mémoire (en prenant les exemples des griots africains, des mantras indiens ou
des Mayas Quichés relativement bien documentés) ?
– Le traitement des intermédiaires entre jour et nuit : crépuscule et aube, qui sont
plus ou moins longs (inexistants à l’équateur, d’une extrême durée en certaines périodes dans
8
l’Arctique), stigmatisés, énoncés comme phases de préparatifs (ou non) à l’entrée dans une
des moitiés du nycthémère.
– Le secret et les trois domaines souvent liés à la nuit : le sexe, la peur et le vécu de
la maladie , sont à étudier par rapport aux dangers liés à sa révélation. La nuit, par-delà le
temps et l’espace, apparaît comme l’espace-temps le plus approprié à la transmission ou à la
préservation de discours fondateurs, par des « maîtres de vérité » à l’instar des anciens Grecs.
– La sieste est une pratique sociale dont les usages et les conceptions diffèrent d’une
société et d’une époque à l’autre, mais aussi selon les individus qui la pratiquent (classe d’âge,
état de santé, genre). Des études de cas sont disponibles pour penser la sieste, par exemple,
chez les Yucuna d’Amazonie, les Japonais, les Inuit ou encore les Grecs (des études ont
montré une recrudescence des problèmes cardiaques chez les Grecs qui ne font plus la sieste).
– Les rêves : ils font partie [en l’absence de recherche sur les clefs de songes et sur le
versant analytique des rêves] à la fois du sommeil et de la nuit, mais l’axe selon lequel nous
les abordons s’intitulerait les fardeaux de la nuit : non seulement les dépenses énergétiques,
économiques, symboliques et les états altérés du sommeil, mais les dépenses en émotions,
transgressions, obligations (par exemple raconter les rêves pour contrer les mauvais présages
et régler la vie diurne chez de nombreuses sociétés amérindiennes).
– L’histoire et la géographie de la nuit montre des changements dans les
conceptions et un modelage des pratiques (Ekirch, Klofskofsky, Garnier). Part essentielle de
cette étude, le sommeil lui-même est soumis au double règne de la physiologie et de la
culture, relations dynamiques et dépendantes d’un nombre considérable de facteurs
technologiques, culturels, économiques, législatifs. La construction d’un nouveau bien
environnemental « la nuit », à implications nombreuses est un thème en plein développement.
9
IV- ACTIVITÉS : SÉMINAIRES, COLLABORATIONS, COLLOQUES, PUBLICATIONS,
BILLETS D’INFORMATION
SÉMINAIRES
Anthropologie de la Nuit, site du LESC : propositions initiales du séminaire
Le séminaire de recherche « Anthropologie de la Nuit » réunit des chercheurs de
plusieurs disciplines ayant pour objectif de contribuer à la construction de l’objet « nuit » en
anthropologie. Phénomène physique dont la durée varie selon la position géographique et le
moment de l’année, la nuit est l’objet de perceptions et de représentations culturelles
diverses ; celles-ci impliquent des constructions du temps, de l’espace, des êtres et de leur
agentivité, qui sont jusqu’à présent moins étudiées en elles-mêmes que comme complément
du savoir et des activités diurnes. Abordée depuis plusieurs disciplines, la nuit se révèle bien
davantage que le cadre du sommeil ou des activités non diurnes. Ce champ de recherche
concerne l’ensemble des objets et des processus étudiés par l’anthropologie (le corps et ses
techniques, la notion de personne, la culture matérielle, les échanges économiques, les
croyances et les représentations du monde surnaturel, les conceptions de l’espace et du
temps).
Quelques-unes des séances au cours des cinq dernières années :
2009-2010
vendredi 27 novembre
Brigitte Baptandier (LESC) : Le regard inversé. Randonnée nocturne au Mont de la
Splendeur
vendredi 11 décembre
Gilles Tarabout (LESC) : Avant l’aube. Esthétique des guerres divines au Kérala
vendredi 15 janvier
Antoinette Molinié (LESC) : La part maudite de la fête : rites nocturnes à Séville
vendredi 19 mars
Deborah Puccio-Den (EHESS) : Topographie de la nuit : un juge antimafia à Palerme
vendredi 2 avril
Marie-Paule Ferry (CNRS) : La nuit africaine au Sénégal oriental, ses dangers et ses joies
mercredi 5 mai
Philippe Simonnot : Economie de la nuit et propriétés
mardi 1er juin
Dr Katie Glaskin (University of Uwa, Australia) : Dreams, memory and the ancestors :
creativity, culture and the science of sleep
2010-2011
vendredi 26 novembre
Boris Charcossey (LESC) : Entre terre et mer. La distorsion du temps chez les marins
embarqués sur les chalutiers de pêche lointaine
10
vendredi 10 décembre
Laurent Fontaine (Lacito) : Les règles de la nuit chez les Yucuna d’Amazonie colombienne :
du mythe d’origine aux incantations
vendredi 28 janvier
Samuel Challéat (Université de Bourgogne) : De l’abolition de la nuit à sa sauvegarde.
Causes, acteurs et enjeux d’un renversement de paradigme
vendredi 11 février
Séance de travail en vue de la préparation de la journée du Lesc (novembre 2011) sur la Nuit
et du colloque international et pluridisciplinaire du Cemca en octobre 2012 au Mexique
vendredi 25 février
« La traversée des frontières »
Jacques Galinier (LESC) : Des circulations nocturnes
Anne-Gaël Bilhaut (LESC) : Techniques et apprentissages pour préparer la nuit
vendredi 25 mars
France Bourgoin (Danish Institute for International Studies) : L’économie nocturne d’un site
minier à grande échelle dans le nord de la Tanzanie
vendredi 8 avril
Deborah Puccio-Den (GSPM-Institut Marcel Mauss, CNRS-EHESS) : La nuit d’un juge antimafia
Brigitte Baptandier (LESC) : L’oubli de soi. Le corps nocturne des métamorphoses
vendredi 6 mai
Guy Bordin (Inalco) : Entre obscurité et sommeil : où se nichent les peurs nocturnes ?
Boris Charcossey (LESC) : Les pêcheurs de haute mer : la nuit n’existe pas
vendredi 20 mai
Samuel Challéat (Université de Bourgogne) : Nostalgie de la nuit
vendredi 10 juin
Florence Brunoy (LAS) : La nuit pour apprendre le jour
Silvia Macedo (Université Fédérale de São Paulo Centre EREA du Lesc) : La communication
de nuit : bavardage, boisson et rituel chez les amérindiens Wayãpi (Guyane française et
Brésil)
2012
vendredi 6 janvier
Laurent Fontaine (Lacito) : Les incantations de la nuit des indiens Yucuna d’Amazonie
colombienne
vendredi 20 janvier
Guy Bordin (Inalco) : La paralysie du sommeil chez les Inuit
vendredi 3 février
Samuel Challéat (Université de Bourgogne) : Nostalgie de la nuit. De la construction d’un
nouveau bien environnemental
vendredi 17 février
Anne-Gaël. Bilhaut (LESC) : La traversée onirique des frontières. Un exemple zápara (Haute
Amazonie)
11
vendredi 9 mars
Boris Charcossey (LESC) : Difficultés d’un protocole d’enquête bi-disciplinaire (ethnologie
et médecine du sommeil) sur le sommeil et la nuit
vendredi 23 mars
Équipe des médecins de l’Hôtel-Dieu : Atelier 1 sur les questionnaires : choix des objectifs et
des questionnaires
vendredi 13 avril
Équipe des médecins de l’Hôtel-Dieu : Atelier 2 sur les questionnaires : discussion sur les
adaptations possibles aux différents terrains
2013-2014
vendredi 18 octobre
Jacques Galinier (LESC), Aurore Monod Becquelin(LESC) : Introduction à l’anthropologie
de la nuit
vendredi 29 novembre
Emmanuel Désveaux (LIAS-IMM, EHESS) : Jour, nuit et ontologie amérindienne
mercredi 13 décembre
Virginie Leroux (CRIMEL, Université de Reims) : Représentations et usages du sommeil
chez les philosophes et les poètes latins
vendredi 10 janvier
Raymond Jamous (LESC) : Les jeunes, les rituels de mariage et la nuit dans le Rif marocain
vendredi 24 janvier
Véronique Flanet : Gitans et Roms : vivre la nuit un obstacle à l’intégration ?
2015
jeudi 8 janvier
Danièle Dehouve (LESC) : Les deux nuits des Indiens tlapanèques (Guerrero, Mexique)
vendredi 23 janvier
Thomas Alam (Candela) : Un orchestre sans chef ? Un exercice de réflexivité collective
autour d’une enquête sur les politiques de la nuit
jeudi 5 février
Jean-Pierre Desclés (LaLIC, Université Paris-Sorbonne) : La nuit comme lieu quasitopologique (avec frontières épaisses)
mercredi 4 mars
Perig Pitrou (LAS) : Passer la nuit, transmettre le pouvoir. Sacrifice et politique chez les
Mixe de Oaxaca
jeudi 19 mars
Adeline Herrou (LESC) : Au cœur de la nuit, le Yang reprend ses droits sur le Yin. Les heures
propices aux rituels à la culture de soi chez les moines taoïstes en Chine
vendredi 10 avril
Olivier Herrenschmidt (LESC) : Le jour, la nuit, le crépuscule. L’hindouisme du haut et du
bas
jeudi 16 avril
Vincent Hirtzel (LESC) : Les couche-tard et les lève-tôt : note sur les veilles et les réveils
12
yurakaré (Amazonie bolivienne)
jeudi 7 mai
Véronique Nahoum-Grappe (Centre Edgar Morin, EHESS) : Le temps courbe de la nuit Les virées festives nocturnes dans l’espace péri-urbain parisien contemporain
vendredi 22 mai
Steve Hugh Jones (King’s College, Cambridge) : The Origin of Night - and Why the Sun is
Called “Thatching Leaf”. Instruments of Darkness and of Light in Northwest Amazonian
Mythology
vendredi 5 juin
Luc Gwiazdzinski (Pacte, Université Grenoble) : Entre colonisation et protection : tensions,
conflits et innovations dans les nuits de la ville contemporaine
COLLABORATIONS
– Dipartimento de psicologia de Firenze
– Collectif RENOIR : Ressources Environnementales Nocturnes et territOIRes [Universités
de Toulouse 2, de Bourgogne, de Paris]
– Centre de sommeil et vigilance de l’Hôtel-Dieu AP-HP, Paris et Laboratoire d’Ethnologie
et de Sociologie Comparative CNRS-UMR7186, Nanterre
– Centre d’Etudes Mexicaines et Centraméricaines, Mexico
COLLOQUES
Mai 1994 : 12ème Congrès de la European Sleep Research Society, Florence
Juin 1995 : Journées d’étude de la Maison des Sciences de l’Homme, Paris.
L’anthropologie de la nuit. Considérations exploratoires
Octobre 1997 : Colloque franco-italien Recherches
psychophysiologiques sur la nuit. Universita degli Studi, Florence
anthropologiques
et
Octobre 2012 : Colloque international Las Cosas de la noche, Mexico
Février 2015 : Colloque international Les métamorphoses de la noirceur dans le
Nord/The dynamics of darkness in the North, Reykjavik (participation de plusieurs membres
du groupe AdN)
QUELQUES MANIFESTATIONS ET JOURNÉES
– Juin 1995 : réunion franco-italienne, anthropologie de la nuit. Université Paris Ouest,
Nanterre La Défense
- Octobre 2011 : LESC séminaire générale : Anthropologie de la nuit
13
– 2013 La nuits blanche, Centre de documentation en sciences humaines, Paris
– Débat au Muséum national d’histoire naturelle, 28 avril 2014 : A-t-on tous peur de la nuit ?
Exemples amérindiens (avec la participation de plusieurs membres du groupe AdN)
– LESC : journée du 7 octobre 2014 : L’anthropologie de la nuit.
– Journée Toulouse-Le Mirail, 1er juillet 2014 : Nuits et territoires 1
– Journée Toulouse-Le Mirail, 11 septembre 2014 : Nuits et territoires 2
– Paris, 18 décembre 2015, Nuit des nocturnes : la nuit se lève
ENSEIGNEMENT JACQUES GALINIER :
Séminaire de recherche « Anthropologie de la nuit – Méthodologie et projets
transdisciplinaires » dans le cadre du département d’anthropologie (Université Autonome de
Querétaro, Mexique). Novembre 2011.
Cours « Anthropologie de la nuit – Une introduction » dans le cadre des études doctorales du
département d’anthropologie (Université Fédérale du Rio Grande do Norte, Brésil). Mars
2015.
PUBLICATIONS
– 2010 Anthropology of the night. Cross-disciplinary investigations. Current Anthropology
Vol. 51 (6). Galinier, Monod Becquelin, Bordin, Fontaine, Fourmaux, Roullet Ponce,
Salzarulo, Therrien et Zilli
– sous presse : Las cosas de la noche. CEMCA, México
– Collection « Anthropologie de la nuit »
GALINIER Jacques, Une nuit d’épouvante. Les Indiens Otomi dans l’obscurité [Mexique] (2011),
130 p. ISBN 978-2-901161-97-4
Dans le Mexique indien, les ténèbres sont le théâtre d’expériences sensorielles violentes. Les humains y sont confrontés
au retour des ancêtres, à la résurgence de forces inquiétantes. Elles suscitent des « visions », rencontres fugaces avec
ces entités qui envahissent tant le monde sauvage que l’espace domestique, et troublent les rêves et le sommeil. Chez
les Otomi orientaux, la nuit appartient au féminin, « ce qui épouvante ». En conséquence, le chamane, « celui qui sait »,
découpe patiemment des cohortes d’idolos, représentant les « maîtres du grand noir » et leurs assistants, afin de
négocier avec ces prédateurs de fragiles armistices, capables d’endiguer tous les crimes rituels qui menacent les
humains. Ils font de la nuit un véritable laboratoire de recréation du vivant, et des Otomi les penseurs d’une
étourdissante philosophie de l’obscurité.
BILHAUT Anne-Gaël, Des nuits et des rêves. Construire le monde zápara en Haute Amazonie
(2011), 148 p. ISBN 978-2-901161-95-0
En offrant aux Zápara le rêve pour communiquer avec lui, le démiurge Piatsaw leur a donné les moyens de penser le
monde, de retrouver la connaissance et la mémoire, et d’envisager l’avenir — la nuit permettant d’atteindre l’essence
des choses. En Equateur, les Zápara recherchent désormais dans les visions oniriques les réponses aux questions que
leur pose l’existence, qu’il s’agisse d’un accord politique à trouver ou d’un évènement historique à comprendre. Ancrée
dans le quotidien,l’expérience du rêve est ainsi constamment interrogée par les Indiens Zápara pour faire face aux
nouveaux défis de la mondialisation.
BORDIN Guy, On dansait seulement la nuit. Fêtes chez les Inuit du nord de la Terre de Baffin
(2011), 118 p. ISBN 978-2-901161-98-1
Être actif la nuit est un « art de vivre » chez les Inuit, en particulier ceux des hautes latitudes. Leur langue possède
d’ailleurs un terme qui désigne spécifiquement « la veille nocturne jusqu’au matin ». Toute activité semble ainsi à
même, au gré des saisons, de repousser autant que possible le moment de l’endormissement. Au-delà de leur spécificité
14
rituelle, les nombreuses fêtes — avec leurs jeux, leurs chants et leurs danses — permettent à chacun d’être pleinement
un unnuaqsiuti, un « être de la nuit ».
FERRY Marie-Paule, Ceux de la nuit. Les sorciers tenda du Sénégal oriental (2014), 78 p. ISBN 978-236519-003-9
Une inquiétude… une angoisse dans l’obscurité — c’est le domaine de « ceux de la nuit », êtres qu’on ne peut
identifier car leur qualité de sorcier et sorcière se perçoit seulement par ses effets nocifs ou même létaux. Ce récit vif et
souvent poignant décrit comment, principalement dans la société bedik du Sénégal, seul le malheur révèle la présence
néfaste de figures incertaines ; les aveux, la rumeur ou les accusations les désignent comme « ceux qui mangent la
viande », c’est-à-dire les dévoreurs d’âmes. Se protéger de l’invisible, voilà l’axe de cet ouvrage, exposant plusieurs cas
de sorcellerie par la transcription de dialogues et d’actes pris sur le vif, enrichie de photographies, retraçant « ce qui se
passe », comme des visions de l’intérieur de ces sociétés. de repousser autant que possible le moment de
l’endormissement. Au-delà de leur spécificité rituelle, les nombreuses fêtes — avec leurs jeux, leurs chants et leurs
danses — permettent à chacun d’être pleinement un unnuaqsiuti, un « être de la nuit ».
FONTAINE Laurent, La nuit pour apprendre. Le chamanisme nocturne des Yucuna d’Amazonie
colombienne (2014), 144 p. ISBN 978-2-36519-005-3
Pour les Yucuna, la nuit libère les entités nuisibles en quête de proies. C’est pour cela qu’elle n’est pas faite pour
dormir, mais pour veiller et écouter les savoirs enseignés par le chamane. Grâce à tous les sens dont la nuit permet
pleinement l’utilisation, la mémoire des paroles rituelles, des mythes, des incantations, peut s’amplifier. C’est à un
parcours des pratiques quotidiennes et des profondeurs de la langue que nous invite ce livre. On y apprend l’origine des
heures de repas aussi bien que les prières contre les maladies ; pourquoi le verbe « trancher à la hache » est celui qui
décrit le miracle de la lumière dans l’obscurité de la canopée épaisse ; comment on use de la morphologie arawak pour
décrire les objets… C’est au creux de la langue que Fontaine nous parle de la « poudre d’obscurité », celle qui se
répand et qui enferme le monde : la nuit.
LES DIFFÉRENTS BILLETS D’INFORMATION
– Libération/Journal du CNRS, 3 octobre 2014 : « La nuit, terra incognita » (Jacques Galinier
et Aurore Monod Becquelin)
– Journal du CNRS, 2014 : Voyage scientifique au bout de la nuit (Jacques Galinier)
– Interview dans la revue inexploré n° 25 1er trimestre 2015 : « La nuit dévoile ses secrets »
(Aurore Monod Becquelin)
– Journal des anciens élèves de l’ENA, 4 juin 2015 : « De mille et une nuits. Interroger la
nocturnité » (Aurore Monod Becquelin et Jacques Galinier)
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V- PROJETS
– Médecins
Santé publique et travail de nuit
Projet Somnopro (2015-2016, en cours)
En collaboration avec l’équipe du Professeur Damien Léger du Centre du Sommeil et de la Vigilance de
l’Hôtel Dieu et avec l’Association française de Narcolepsie-Cataplexie et d’hypersomnies rares (ANC)
nous menons une recherche sur la narcolepsie. Cette recherche bénéficie du soutien de la Fondation pour
les Maladies Rares.
Les personnes atteintes de cette pathologie rare présentent un trouble de l’éveil sévère caractérisé par de
nombreux, subits, et irrépressibles endormissements diurnes parfois accompagnés de cataplexie (perte du
tonus musculaire d’une partie ou de tout le corps). Le tableau clinique de la narcolepsie peut également
comporter des épisodes de « paralysie du sommeil » et la survenue d’états hypnagogiques (hallucinations à
l’endormissement ou au réveil). Cette affection chronique, invalidante et très handicapante persiste tout au
long de la vie et va retentir sur tous les aspects de la vie personnelle, sociale, scolaire et professionnelle du
patient. Cette pathologie ouvre droit au statut de « travailleur handicapé » ainsi que, après reconnaissance
d’un taux d’invalidité, à l’obtention d’une pension d’invalidité. En tant que pathologie chronique, elle
soumet cependant également les personnes narcoleptiques à une interdiction ou à des contrôles réguliers de
leur aptitude à la conduite automobile (permis de conduire), elle contraint leur orientation professionnelle
en réglementant l’accès à certaines activités professionnelles (inaptitude aux « postes de sécurité » par
exemple) et elle les astreint le plus souvent à un traitement et suivi médical à vie.
Dans le cadre de cette étude deux volets de recherche conjoints sont ouverts :
– l’un par l’équipe médicale de l’Hôtel-Dieu qui suivra une vingtaine de personnes diagnostiquées
et suivies pour narcolepsie (avec ou sans cataplexie) et équipées pour l’occasion d’actimètres et
d’agenda du sommeil. L’objectif est de documenter le rythme activité/repos propre aux
narcoleptiques hors contexte d’hospitalisation et sur une longue durée (3 mois). Pour lors, de telles
données n’existent pas ou portent sur des durées plus courtes ou sur des contextes expérimentaux
(laboratoire, hospitalisation) ;
– l’autre par Mickaële Lantin Mallet, pour l’équipe AdN du LESC, qui recueillera des entretiens
auprès de personnes atteintes de narcolepsie et de leurs proches (milieu familial, amical et
professionnel). Ces entretiens visent à mieux connaître et comprendre l’expérience de la maladie
telle qu’elle est vécue et perçue par les malades et par leur entourage social. Nous décrirons en
détail les parcours scolaires et professionnels de ces personnes et nous porterons une attention
particulière au travail quotidien de gestion des effets de la maladie qu’elles engagent : anticipation
des crises, résistance au sommeil, modification des choix professionnels ou personnels,
automédication, refus de certaines activités sociales ou professionnelles, masquage du handicap en
situation professionnelle et parfois sociale, production de rationalisations quant à l’état de fatigue/à
la maladie, etc. D’autre part et en lien avec les thématiques privilégiées de l’équipe AdN, nous
nous intéresserons de manière privilégiée dans les récits des narcoleptiques aux processus de
mémorisation et d’apprentissage, à leurs conceptions du sommeil et de la veille ainsi qu’aux
expériences du rêve qui peuvent être les leurs. Enfin et en lien avec le projet d’un séminaire
« Anthropologie du sommeil et de la vigilance », une réflexion pourra être menée sur le type de
questionnaire et d’outil de mesure du rythme activité/repos utilisé dans cette enquête par l’équipe
médicale, l’ « agenda du sommeil ». En quoi et comment cet outil pourrait-il être adapté dans le
cadre d’enquêtes ethnographiques dans des contextes non occidentaux ?
– Collectif de géographes Renoir
Pollution lumineuse et pollution sonore urbaines. Pollution et santé
Les économies écologiques
– Colloque « Anthropologie de l’invisible et des fantômes » en Ecosse ou au Brésil
– Séminaires 2016-2017:
La nuit américaine : penser l’obscurité chez les Amérindiens
Cet axe sera centré sur la validité postulée de l’unité du continent américain (voie ouverte depuis les
systèmes de transformation lévi-straussien jusqu’aux analyses critiques de Désveaux) pour tester
l’hypothèse construite à partir des documents et des comparaisons dans le monde mésoaméricain : la nuit
serait la matrice des systèmes rituels majeurs en Mésoamérique, unité analysée à partir de la récurrence de
faits de condensations et contractions temporelles, spatiales et notionnelles qui mettent en évidence leurs
liens avec la nocturnité (l’idée d’inframonde, la relation aux ancêtres, les mondes souterrains comme les
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grottes, les temps anté-humains…). Cet axe sera avant tout amérindien mais se permettra des comparaisons
avec la Nouvelle Guinée et la Mélanésie — ancêtres, territoires, modes d’expression comme le parallélisme
et d’autres éléments ont déjà fait l’objet de séminaires comparatifs avec les chercheurs du CREDO d’AixMarseille, A. Rumsey de Australian National University et d’autres chercheurs.
L’obscurité dans les sociétés contemporaines : du noir absolu à l’hyper-lumière
Avec des géographes, des économistes, des sociologues du travail de nuit, que ce soit dans les lieux de
divertissement nocturnes ou sur les chantiers de réfection des autoroutes, chez les pêcheurs de haute mer ou
les danseuses du Crazy horse, dans l’économie de nuit ou en suivant les législations différentes concernant
les faits de jour et les faits de nuit, cet axe décrira les aménagements que les sociétés contemporaines, sous
les effets de la globalisation, imposent à l’alternance jour/nuit en la modifiant. On observera comment se
transforment les relations jour/nuit, obscurité/clarté, conceptions du diurne et du nocturne etc… Des
spécialistes de la pollution lumineuse nocturne — exemple des protestations des écologuees et des
médecins —, du travail de nuit légal et institutionnalisé ou illégal — exemple des squatters nocturnes de
mines d’or de Tanzanie —, ou encore des conséquences anthropologiques et économiques d’un éclairage
urbain seront sollicités pour approfondir les hypothèses présentées dans de précédents séminaires.
Anthropologie du sommeil et de la vigilance
En empruntant le titre de cette thématique à l’unité Centre du sommeil et de la vigilance de l’Hôtel-Dieu
avec lequel nous avons déjà engagé un premier projet sur les troubles de l’hypersomnie, il s’agira d’adapter
et de produire des protocoles de recherche sur le sommeil, sur la mémoire nocturne et sur les rêves dans des
sociétés autres que les sociétés occidentales, afin de dégager, par des résultats comparables, des universaux
du sommeil et les modalités de sa gestion culturelle.
Quelques études ont été produites par des psychologues ou des neurophysiologistes sur des populations non
occidentales, mais les recherches ont été principalement menées sur des sociétés complexes, et non sur des
populations de sociétés simples pour des raisons évidentes : protocoles mal adaptés et donc inutilisables,
expérimentations en laboratoire impossibles, problématiques tournées vers la santé. La réflexion
pluridisciplinaire entamée avec l’équipe médicale — médecins du sommeil, neurophysiologises,
psychologues — en se servant d’outils modernes comme les actimètres, et en faisant l’ethnographie de la
gestion du sommeil par différentes sociétés dans des conditions variées et à des latitudes différentes, doit
déboucher sur un projet conjoint avec des questions relevant de ces disciplines et concernant les
conceptions attachées à la mémoire nocturne et aux rêves.
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