Les pratiques de l’économie sociale dans la communauté francophone de l’Ontario
Rachid Bagaoui1 et Monique Beaudouin2
1 Département de Sociologie, Université Laurentienne, Sudbury, Ontario, Canada
2 Centre de santé communautaire de Sudbury, Ontario, Canada
Résumé
Si les organisations de l’économie sociale
et les appuis institutionnels dont elles
bénéficient sont largement documentés au
Québec ou ailleurs, il n'en va pas de même
en Ontario. L’économie sociale bénéficie
de peu d’intérêt de la part des
chercheur.es et elle ne semble pas très
répandue. Le but de ce texte est de faire le
point sur l’émergence de l’économie chez
les francophones de cette province et
examine quelques initiatives.
While there exists a relatively extensive
literature on social economy in Quebec
and elsewhere, the same cannot be said for
Ontario where the subject matter is largely
ignored by academics and researchers.
This might reflect the fact that there are
few social economy enterprises in Ontario.
This article aims to describe and analyze
the emergence of some social economy
initiatives amongst Franco-Ontarians.
Aunque las organizaciones de la economía
social al igual que los diferentes apoyos
institucionales de los cuales se benefician
están muy bien documentados en Québec y
en otros lugares, la situación en Ontario
es muy distinta. La economía social
suscita poco interés por parte de los
investigadores y no parece ser muy
conocida. El objetivo de este texto es de
hacer un balance sobre la aparición de la
economía en los francofonía de esta
provincia y examinar algunas iniciativas.
L’article présente une synthèse des
résultats d’une recherche portant sur les
organisations de l’économie sociale dans
les communautés francophones du Nord de
l’Ontario, de Manitoba et de
Saskatchewan1. Vue l’avancement de
l’enquête, nous nous limiterons dans ce
texte à l’expérience francophone de
l’Ontario. Le but principal est de donner
une vue d’ensemble de la présence de
l’économie sociale dans cette région.
L’expression de l’économie sociale est
récente en Ontario. Bien que les
francophones s’intéressent depuis
longtemps à l’expérience québécoise dans
ce domaine, c’est la reconnaissance depuis
2004 de l’économie sociale, par le
gouvernement fédéral, qui a suscité
l’intérêt pour cette nouvelle stratégie de
développement. Le congrès pancanadien
de développement économique
communautaire et d’économie sociale, qui
s’est tenu en 2005 à Sault Ste. Marie, a été
d’ailleurs l’occasion pour les intervenants
et intervenantes de se familiariser avec
cette notion et de réfléchir sur les liens à
1. Cette recherche s’inscrit dans le cadre de la
recherche de SRSH Linking, Learning, Leveraging
Social Enterprises, Knowledgeable Economies, and
Sustainable Communities/Réseaux, connaissances,
synergies : entreprises sociales, économies
intelligentes et communautés durables (dirigée par
Lou Hammond).
1
établir entre l’économie sociale et le
développement économique
communautaire2. Sur le plan pratique, on
voit émerger des organisations qui se
réclament de l’économie sociale, comme,
par exemple, l’organisme Économie
Solidaire de l’Ontario (crée en 1995). A
côté des coopératives, il existe également
plusieurs initiatives amorcées sous la
direction du Conseil de la coopération de
l’Ontario. Contrairement aux coopératives,
cependant, les entreprises sociales ne sont
très répandues et ne jouissent pas d’une
grande visibilité.
S’il vrai que l’utilisation de l’expression
économie sociale n’est pas encore très
répandue, les organisations qu’elle désigne
sont bien implantées en Ontario français et
ce, depuis longtemps. L’implantation des
institutions sont indissociables de la lutte
que menaient et mènent les francophones
pour sortir de la précarité et résister à la
domination politique, matérielles et
2. S. Franck et E. Bastien, « Les Congrès
pancanadiens de développement économique
communautaire et de l’économie sociale 2004-
2005 », Horizons, vol. 8, n0 2, février 2006, p. 1.
symboliques qui s’exerçait sur eux. Ces
organisations ont pris des formes
différentes selon les époques. Dans les
sections suivantes, nous allons examiner
brièvement ces générations de l’économie
sociale.
La mutuelle Saint-Joseph et les
coopératives
Lorsque la mutuelle d’assurance vie du
Mouvement Desjardins s’engage en
Ontario auprès des Communautés
canadiennes-françaises hors Québec, elle
emboîte le pas à bien d’autres sociétés
mutuelles francophones à travers
l’Amérique. Parmi les premières
institutions fondées par la communauté
francophone, une place particulière doit
être accordée à la mutuelle Saint-Joseph
d’Ottawa3. Elle a été fondée en 1863, par
quelques cordonniers de la Basse-Ville
d'Ottawa. Elle est considérée comme le
premier outil d’envergure que les
3. Voir
http://www.crccf.uottawa.ca/passeport/III/B/B1a/II
IB1a.html. Aussi: B. Bureau, Un passeport vers la
liberté. Les caisses populaires de l’Ontario de 1912
à 1992, Le mouvement des caisses populaires,
Ontario, 1992.
2
Canadiens-français se sont donnés pour
faire face à la précarité socioéconomique.
On vise par cette institution à aider et à
secourir ses membres dans l'éventualité
d'une maladie et de protéger la famille de
ces derniers en cas de décès. Les membres
étaient composés entre autres de
cordonniers, de forgerons, de tailleurs de
pierre, etc. Les critères d’adhésion se sont
élargis avec le temps pour inclure toute la
population canadienne-française et toute
référence à l'appartenance à une classe ou
une autre est éliminée en 1893. La
Mutuelle prend de l'expansion et ouvre de
nombreuses succursales sur le territoire
canadien et absorbe d'autres sociétés de
secours mutuels qui poursuivaient le même
objectif à l’époque. Aujourd’hui, la
mutuelle existe à travers le Canada sous le
nom d’Union du Canada. La Société prend
l'aspect d'une compagnie d'assurance
comparable à toutes les grandes
institutions modernes de ce secteur
d'activité économique et répondant à une
clientèle variée.
Mais cet objectif économique était aussi un
moyen visant à renforcer la position des
Canadiens français dans la société. La
mutuelle avait des visées sociales et
nationales. Elle a joué un rôle clé dans le
mouvement qui donne naissance, en 1910,
à l'Association canadienne-française
d'éducation d'Ontario (ACFEO). La
mutuelle a aussi ouvert la voir au
mouvement coopératif en Ontario français
au XXe siècle avec la naissance et la
multiplication des caisses populaires. Au
début, appartenir à l'Union Saint-Joseph,
c'était accepter de s’engager à défendre les
intérêts nationaux canadiens-français et
catholiques. À l'obligation de payer ses
cotisations, s'ajoute aussi toute une série de
devoirs et d'engagements qui permettent
d’atteindre ce but (cotisation à la fête
Saint-Joseph, obligation d’embaucher un
confrère, obligation d’assister à tout
événement culturel ou religieux, etc.).
L’engagement pour le patriotisme, pour la
langue française, pour la religion
3
catholique et pour l'importance nationale,
est considéré comme la seule voie pour
renforcer et protéger les canadiens-français
des menaces du socialisme, de la langue
anglaise, du protestantisme et des autres
religions.
Les caisses populaires sont une autre
forme d’institution que se sont données les
francophones. Les premières caisses ont vu
le jour à partir de 1912. Comme pour les
mutuelle de l’époque, l’élite canadienne-
française trouve dans le principe de la
coopération une la base idéale pour la
survie linguistique culturelle et religieuse
des canadiens-français. La caisse populaire
se concevait comme un prolongement de la
paroisse catholique. Le Catéchisme des
caisses populaires, publié plusieurs fois au
Québec, demeure longtemps la référence
du mouvement4. Le curé jouait un rôle
actif dans la création des caisses. Les
valeurs morales dont il faut faire preuve
4. B. Bureau, Un passeport vers la liberté. Les
caisses populaires de l’Ontario de 1912 à 1992, Le
mouvement des caisses populaires, Ontario, 1992,
p. 13.
pour obtenir du crédit de sa caisse
populaire sont celles d’être un bon
catholique et un bon canadien-français
(honnêteté, probité).
Alphonse Desjardins participait
directement à la fondation des premières
caisses populaires ontariennes, mais
toujours avec la bénédiction du curé.
Généralement, c’est le curé de la paroisse
qui invite lui-même Alphonse Desjardins,
et plus tard les autres chefs de file du
mouvement des caisses populaires, à venir
aider les paroissiens à fonder une caisse
populaire. De 1910 à 1913, seulement,
Alphonse Desjardins aide à fonder 18
caisses populaires à Ottawa et dans les
environs, ainsi que dans le nord de
l'Ontario. Plusieurs caisses ont vu le jour
au début du siècle. Mais nombre d'entre
elles ne survivent pas aux années de
Grande Dépression. A partir des années
1940, on assiste, cependant, un regain
d’intérêt pour les coopératives. L’élite
canadienne-française voit en effet dans la
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