© Albert Huber/ACO
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De l’Iran à la Syrie en passant par le Liban, les chrétiens sont présents depuis vingt siècles
sur une terre qui constitue leur berceau culturel. En dépit d’un long enracinement, ils survivent
en minorités au bulletin de santé alarmant : les listes de migrants n’en finissent pas de s’allonger.
Sur les 70 millions d’Iraniens, ils ne sont plus que quelque 70 000 chrétiens face à une imposante
majorité de musulmans chiites. Le régime islamiste les surveille de près. En Syrie, ils représentent
autour de 10 % des 20 millions d’habitants musulmans sunnites et se disent libres.
Dans le minuscule Liban, on dénombre un tiers de chrétiens - maronites en majorité - sur
4 millions de Libanais dans une société composite multiculturelle et multireligieuse. Et dans
les trois pays, minorité de la minorité : les protestants des Eglises appelées évangéliques au pays
du Levant. En huit images fortes rapportées d’une récente mission pour l’Action chrétienne
en Orient, un bref voyage à l’intérieur d’une mosaïque chrétienne en terre d’islam, ses Eglises
et sa géopolitique, entre Téhéran, Damas et Beyrouth.
eglise univeRselle
La mosaïque
des chrétiens d’Orient
Reportage
6 le messageR 7 juin 2009
Dossier
Chrétiens d'Orient
En Iran : présents depuis 2 000 ans
Dans le quartier chrétien de Téhéran, les portes de son évêché sont tou-
jours grandes ouvertes. Sous un portrait de Benoît XVI, Mgr.Ramzi
Garmou, évêque chaldéen catholique d’origine irakienne et ancien prêtre du
Prado de Lyon, parle très librement.
« Dans ce pays les chrétiens [photo] sont
présents depuis 2 000 ans, bien avant l’arrivée de l’islam. Ce sont des chrétiens
perses qui ont porté l’Evangile en Chine du VIe au XIIIe siècle. Notre espoir
aujourd’hui est de rester ici jusqu’à l’avènement du Christ dans sa gloire ! »
Il souligne combien la Révolution islamique de 1979 et le régime qui en est
issu font peur en Occident et traînent une image faussée.
« Les Perses sont des
gens de culture et ne sauraient être aussi fanatiques que ne prétendent certains
médias ! »
Mais, constat actuel, la population se rend compte qu’on lui a
menti lorsque l’ayatollah Khomeyni a promis le pétrole, le gaz et l’eau gra-
tuits. Et le chômage, la drogue et la corruption minent le pays.
Conséquence :
« les Iraniens choisissent l’exil vers l’étranger, surtout les chré-
tiens. Nous ne sommes plus que 1 pour 1
000
: 700
000
chrétiens sur 70
mil-
lions d’Iraniens… »
Iran : « A toi la gloire »
La nuit enveloppe Téhéran et ses
17 millions d’habitants en ce
dimanche matin de Pâques. Dans
un quartier du centre, l’église
protestante perse Emmanuel
brille de toutes ses lumières. Il est
6 h et les derniers fidèles pénè-
trent d’un pas pres dans l’église
remplie jusqu’à la dernre place.
Il y flotte un air de solennité et de
recueillement lorsque [photo]
Thomas à la guitare et Philippe au
piano - le fils de Bahman, pédia-
tre et conseiller presbytéral -, lan-
cent les notes du premier canti-
que. Un videoprojecteur en
découvre les paroles en farsi - la
langue persane - sur un écran géant. Le pasteur Serguei est assis au
premier rang tout au long du culte : c’est le groupe de jeunes adultes
et l’importante chorale qui officient ce matin. Le pasteur n’inter-
viendra qu’au final pour donner la bénédiction. Le jour est le
lorsque l’assemblée
entonne « A toi la
gloire ».
Un petit déjeuner réu-
nit l’ensemble des fidè-
les au sous-sol de
l’église. Deux charman-
tes et souriantes jeunes
femmes distribuent un
œuf de Pâques à chaque
paroissien. Lambiance
est conviviale et déten-
due. Ce n’est qu’au
détour des conversa-
tions que pointe une
autre réalité. Trois jeu-
nes adultes confient que
«
la situation des protes-
tants perses, les convertis,
se détériore. La paroisse est étroitement surveillée
: à chaque culte, un
agent anonyme de la police religieuse assiste quelque part dans l’assem-
blée. Le mois dernier, un membre de la paroisse a fait 15
jours de prison
pour avoir lu la Bible avec les voisins de son immeuble...
»
Les Perses, des mystiques
S
eptuanaire, né en France, à près de 40 ans de
ministère en Iran, le père Claude Tessier est
fatigué et serein. Son centre chrétien, à la périphé-
rie de Téhéran, a été fermé par la police religieuse il
y a 5 ans. Alors il fonctionne
« comme un dentiste,
en consultations individuelles… Ils sont 45 jeunes
adultes perses à venir chez moi pour travailler en vue
d’une formation chrétienne. »
Pour Claude, les
Perses sont un peuple séduisant. [photo]
« Des
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En Syrie : lislam nest pas la religion de Satan
« Un homme musulman est venu me voir un jour pour demander le baptême. Je
n’ai pas donné suite. Mais depuis, nous sommes de bons amis. »
C’est le pasteur
syrien Bchara qui raconte. A Alep en Syrie, haut lieu du christianisme histo-
rique - plus que 5 % de chrétiens aujourd’hui contre 50 % en 1950 - il
consacre beaucoup d’énergie aux relations avec l’islam et les autres religions.
Le re Pedro et le jeune soufi Mahmoud comptent parmi ses proches.
« L’islam n’est pas la religion de Satan : les musulmans se sentent souvent humi-
liés. Le vrai terreau de l’islamisme, c’est la misère, la pauvreté et le chômage. Si
l’islam arrive à évoluer, la situation du Proche-Orient se stabilisera. En tant que
chrétiens, aidons l’islam à se réformer. »
Et plus tard :
« Pourquoi nous, arabes,
avons à souffrir de l’holocauste ? C’est la mauvaise conscience de l’Occident face
aux juifs après l’holocauste qui nous aura plongés dans un malheur sans fin au
Proche-Orient ! »
Quant aux autorités politiques de son pays, il estime
qu’elles
« vont dans la bonne direction et aident nos minorités religieuses.
Comme pasteur, je n’ai rien à critiquer. Comme citoyen, je leur demande plus au
vu de la mauvaise situation économique de la Syrie. »
Iran : fidélité à lArménie
Tout ce que le Synode des trois petites Eglises protes-
tantes d’Iran compte comme ministres entoure ce
jeudi le jeune pasteur Michel qui, événement exception-
nel au pays des mollahs, est solennellement ordonné en
l’église arménienne Saint-Jean, au centre de Téhéran. Il
y a [photo de gauche à droite] les pasteurs Ninous, Elia et
Sargez de l’Eglise assyrienne, Serguei de l’Eglise armé-
nienne et aussi de l’Eglise persane. Au centre, venu spé-
cialement de Beyrouth, le président de l’Union des
Eglises protestantes arméniennes de tout le Proche-
Orient, le pasteur Karagoesian, maître d’œuvre de la
cérémonie. Deux heures durant, dans une église comble
et recueillie, en présence des 4 évêques orthodoxes et
catholiques du pays, se déroule une liturgie festive tout
en arménien. Le jeune ministre ordonné, formé à la
NEST de Beyrouth - Ecole de théologie du Proche-
Orient -, va promettre fidélité à Dieu et à son Eglise mais
aussi fidélité à l’Arménie, la mère patrie.
Au sous-sol de l’Ecole arménienne Saint-Jean jouxtant l’église et
le foyer protestant, une réception très officielle ponctue l’événe-
ment. Alignés au bout de la salle, tous les responsables religieux
serrent les mains des fidèles avant le thé rituel. Mgr. Ramzi
Garmou, évêque chaldéen catholique, commente la rencontre :
« A Téhéran, des réunions d’Evangile rassemblent régulièrement prêtres
et pasteurs d’Eglises diverses. Une profonde amitié les lie, source de
confiance, de collaboration. Dans leur pauvreté, chacune de nos Eglises
ne peut seule répondre à tous ses besoins. Notre fragilité nous conduit à
l’œcuménisme et à la collaboration. »
mystiques, avec un fond de culture d’une richesse
incroyable. Leurs poètes parlent de trinité et du Dieu
amour. Blessés par l’islam, dégoûtés par un lavage de
cerveau continu, les gens viennent frapper à ma porte.
Hélas, beaucoup glissent vers la drogue et la vie à
l’Occidentale. Il y a plus de convertis à la drogue qu’au
christianisme… »
Quel avenir pour ce pays berceau de la chrétienté ?
« L’histoire est là pour nous montrer qu’une théocratie
et une tyrannie ne tiennent jamais plus de 50 ans. Les
Iraniens sont des gens
intelligents. Tout est tel-
lement boulonné ici que
le jour ça va sauter,
l’islam radical va sauter
avec ! »
Comme un
clin d’œil au drapeau
US géant peint sur un
immeuble du cœur de
Téhéran : avec des têtes
de mort à la place des
étoiles, des bombes
tombant du bout des
bandes verticales rou-
ges du drapeau et ce
slogan central : Down
with USA (A bas les
USA).
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Dossier
Chrétiens d'Orient
Textes et photos Albert Huber
La Perse : ni lArabie, ni lOrient, ni lOccident
E
n pleine oasis, à Ispahan, ville historique de l’islam, à l’ombre de ce
joyau qu’est la mosquée bleue de l’Imam, Ibrahim, jeune universi-
taire et galeriste de miniatures perses, évoque dans un français impec-
cable le récent passage ici du président Ahmadinejad, en campagne
électorale.
« La place de l’Imam noire de monde : pas les habitants d’Is-
pahan, des gens de la campagne transportés par bus. »
Et d’expliquer
qu’il ne vote plus, car on connaît toujours les résultats à l’avance.
« Pourquoi choisir entre le mauvais et le pire, et jamais pour le bon… ?
C’est le guide suprême qui décide, pas le président. Nos politiques ne sont
préoccupés que de religion, leurs vues sont étroites. »
A propos de culture,
ce constat cinglant :
« Nous, les Perses, n’avons pas d’affinité avec la
culture arabe environnante. Nous avons notre propre civilisation [photo]
loin de l’Arabie, de l’Orient, de l’Occident... »
La Syrie : un pays mosaïque
Une grande dame d’un âge certain et qui inspire le respect. Colette
Khouri, Syrienne jusque dans l’âme, est fraternelle avec le visiteur dans
ses bureaux au centre de Damas. Cette protestante presbytérienne, petite
fille d’un ancien premier ministre chrétien de Syrie en 1946, écrivain,
vient d’être nommée conseillère culturelle du président Bachar, après avoir
siégé par deux fois au Parlement, élue avec des voix de musulmans.
« Notre
gouvernement respecte les chrétiens, il nous écoute. Si on m’aime dans ce pays,
c’est parce que je suis chrétienne. La Syrie n’est pas un pays musulman mais un
pays mosaïque. Damas est une oasis de verdure avec beaucoup d’eau. Des
caravanes de partout y ont passé et sont restées. Aussi, toutes les religions sont
représentées, toutes les opinions du monde, tous les modes de vie. »
[photo]
Nourrie de politique, elle évoque le conflit Israël-Palestine.
« Il est faux de
dire qu’il s’agit d’une guerre entre juifs et musulmans. Elle oppose en fait le
sionisme - pas les juifs - et les arabes, c’est-à-dire les chrétiens et les musul-
mans côte à côte. Nous, chrétiens, vivons très bien ici. Ce ne sont pas les
musulmans qui nous persécutent, mais le sionisme… ! »
Au Liban : des anges envoyés par lOccident
Rita, jeune libanaise d’origine arménienne, [photo, à droite]
est travailleuse sociale du Comité d’action sociale de l’Eglise
protestante arménienne. Dans le très populaire quartier de Bourj
Hammoud de Beyrouth, baigné de saveurs de cardamome et de
sons de doudouk, à force de courage et de foi, elle assiste au quo-
tidien des familles éprouvées. Elle incarne aujourd’hui la suite de
tous ces envoyés de l’ACO - Action chrétienne en Orient - pré-
sents au Liban et en Syrie de 1922 à nos jours. Ces témoins de
l’Evangile, portés par le souci des plus faibles. Le pasteur
Karagoesian, président de l’Union des Eglises arméniennes au
Proche-Orient, évoque ainsi tous ces envoyés :
« Quand je pense à
l’ACO, je pense aux anges de Dieu venus aider mon peuple en détresse
après le génocide arménien de 1915 : le pasteur Paul Berron, Hedwige
Bull, Anne-Marie Tartar ou Hélène Hartmann (1)… »
(1) Pasteur luthérien alsacien fondateur de l’ACO en 1922 et les premières envoyées de
l’ACO en Syrie et au Liban au milieu du XXe siècle.
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