International Colloquium ‘Dār al-islām/dār al-ḥarb: territories, people, identities’
Houari TOUATI (EHESS, Paris)
Chrétiens et musulmans en Syrie au début du VIIIe siècle
À en juger par ce qu’en dit le dictionnaire lexicographique de la langue arabe d’al-Ḫalīl
b. Aḥmad (mort entre 776 et 791), l’idée que le domaine de l’Islam constitue une «
demeure » et que le reste des territoires l’environnant en forme une autre est familière au
VIIIe siècle. Son inscription est triple : géographique, religieuse, politique. Conçue comme
une entité spatiale homogène, le domaine de l’Islam est d’abord et avant tout défini par sa
religion officielle qui en fait une « demeure de la foi » (dār al-īmān) au contraire du reste
du monde qui reste la « demeure de l’Infidélité » (dār al-kufr). Par leur « refus » (imtināʿ) et
leur « désobéissance » (ʿisyān), les Infidèles sont conduits à faire de leur demeure une terre
de « conquête » (iftitāḥ). Le souverain des musulmans a l’obligation légale de prendre
possession par la force ou le consentement de leurs terres en même temps qu’il doit veiller
à la protection de la « demeure de l’Islam » de leurs agressions en instaurant le long des
zones frontalières les plus vulnérables des places-fortes (ṯuġūr).
Après le VIIIe siècle, ce schéma s’est enrichi de toutes sortes de développements. Mais
sa structure ne s’en est pas trouvée bouleversée. La recherche moderne s’est beaucoup
préoccupée d’étudier ses caractéristiques qu’elle a parfois illustrées par des monographies
historiques ayant porté en particulier sur la frontière avec Byzance et les royaumes
chrétiens d’Espagne. Mais elle ne s’est pas suffisamment penchée sur l’autre frontière qui a,
de l’intérieur du domaine de l’Islam, séparé les musulmans des non-musulmans. Autant et
parfois davantage que la frontière extérieure, cette frontière intérieure a œuvré à la
consolidation des contours de la communauté islamique au miroir de l’autre. Montrer à
travers un certain nombre d’exempla légaux empruntés à la Syrie du début du VIIIe siècle
comment, de part et d’autre de cette ligne de partage, chrétiens et musulmans ont œuvré
au renforcement de leur principe d’identité collective est l’objet de ma communication.