retirées d’Irak: y a-t-il pour autant aujourd’hui une démocratie dans ce pays? On peut y
voir plutôt une expérience empruntée au confessionnalisme politique libanais, mais en fait
ce partage du pouvoir ne fonctionne pas. L’expérience démocratique irakienne reste une
expérience embryonnaire.
Est-ce mieux dans les autres pays où il y a eu «révolution», en Tunisie, en Libye, en
Égypte? Beaucoup disent que les islamistes n’ont pas été à l’origine de ces mouvements
mais les ont exploités, qu’ils ont pris le train en marche et l’ont rattrapé. C’est une lecture
un peu réductrice des événements car dans ces sociétés il y a des forces lourdes, comme
une nouvelle jeunesse d’Internet, de nouvelles classes moyennes, des intellectuels, des libé-
raux, des francophones, des gens très cultivés à l’occidentale. Mais, parti politique inscrit
dans les profondeurs de la société, les Frères musulmans en Égypte labourent le terrain
depuis 1927. Ils ont même été, au temps de Moubarak comme à celui de Sadate, l’un des
piliers du régime aux côtés des militaires. C’est le cas aussi en Tunisie, du fait d’une réac-
tion épidermique à la laïcisation de la société opérée par Bourguiba et par Ben Ali. La véri-
table force d’opposition était islamiste, à cause de la répression. Mais Ennahda a pris lui
aussi le train en marche et aurait pu dominer la scène politique en nouant des alliances
artificielles avec l’actuel président de la République ou avec des forces dites démocratiques.
Ainsi, on aboutit partout à une situation où la parenthèse islamiste devient indispen-
sable à une évolution vers la démocratie. Ici, une question fondamentale s’impose: un
parti comme celui des Frères musulmans, pour qui le Coran est la Constitution, peut-il
accepter le jeu démocratique? Le parti tunisien Ennahda (la Renaissance) témoigne-t-il
d’une possibilité d’articuler religion et démocratie?
Quelques réflexions intéressantes de Tocqueville donnent une réponse à cette question
concernant l’islam. Pour lui, l’homme est naturellement religieux et la religion offre la
possibilité pratique de modérer efficacement les passions démocratiques en soumettant la
société à un «dehors» relevant de la pure nature. Mais la nature de l’homme étant reli-
gieuse, la religion doit admettre, pour subsister et exister sainement, la séparation du reli-
gieux et du politique, donc son entière dépendance par rapport à l’ordre démocratique.
Cette articulation est-elle applicable à l’islam? Dans sa lecture littérale, non. La religion
musulmane n’est pas adaptée à un exercice démocratique normal, si l’on prend l’islam à la
lettre, comme le fit Mohammed Arkoun, pour qui l’islam associe religion et État, et donc
spirituel et temporel. Ainsi si l’on prend l’islam tel quel, il doit aboutir à un système totali-
taire. En revanche, ce n’est pas le cas si l’on admet que l’islam implique une chaoura, c’est-
à-dire une possible consultation des gens, et accepte qu’il y ait pour seule obligation que
l’obligation religieuse émanant des textes musulmans.
Tant qu’il n’y aura pas une révolution culturelle dans l’islam, il sera très difficile d’éta-
blir une démocratie dans le monde arabe de l’autre côté de la Méditerranée. Il faut donc
parvenir à faire la liaison entre démocratie et citoyenneté. Il y a une théorie fort intéres-
DÉMOCRATIE, MUTATIONS DU MONDE ARABE ET ISLAM
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colloque
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