Le Courrier de l’algologie (5), n° 4, octobre-novembre-décembre 2006 101
Singularité
Singularité
Le rapport aux médicaments
Catherine Breton*
* Psychiatre, psychanalyste, hôpital Lariboisière (AP-HP), Paris.
Mots-clés : Ambivalence - Désir conscient et inconscient -
Rationalité de l’irrationalité apparente - Maladie et blessure -
Défense psychique.
En effet, la maladie, plus particulièrement la maladie chronique,
mais aussi la maladie ressentie, voire imaginée, confronte cha-
cun d’entre nous à sa fragilispécifiquement humaine, puisque
nous nous savons mortels.
Elle nous confronte également à l’imaginaire de notre corps,
puisque nous sommes des êtres parlants et désirants et que
nous nous représentons ce corps, certes biologique, mais aussi
symbolique et imaginaire. Enfin, prendre un médicament nous
confronte aux inventions humaines et aux différentes théories
médicales.
Il s’agit d’un véritable nœud de représentations que le médica-
ment va actualiser lors de sa prise. Transmettre aux médecins
prescripteurs ce que les patients, souvent, ne pensent pas à
leur dire et qui compte pour eux à propos du médicament et de
leur maladie me paraît essentiel tout particulièrement lorsqu’il
s’agit d’une maladie dite chronique, sans atteinte apparente. Je
m’attacherai avant tout à décrire ce qu’expriment les patients qui
consciemment veulent suivre la thérapeutique et l’oublient.
Je voudrais d’emblée souligner le fait que la complexité et
l’ambivalence de chacun d’entre nous dans son rapport au
médical sont considérablement majorées à l’heure actuelle
par les éléments suivants :
La théorie médicale centrée sur le biologique, excluant ainsi
la personne humaine dans son rapport au langage et à sa sub-
jectivité.
L’information, qui est très importante mais qui privilégie le
plus souvent la rationalité et nie les réactions spécifiquement
humaines (le refoulement, le déni, les formations réactionnelles,
l’inconscient donc dans le rapport au médical). Mais peut-on
parler objectivement de quelque chose qui touche la subjectivité,
sans avoir une position cléricale ?
É
coutant depuis de nombreuses années des patients
exprimer leurs rapports aux médicaments, je voudrais
transmettre l’extrême complexité, ambivalente, rarement
évoquée, de ce rapport.
Les progrès mêmes des thérapeutiques (en
particulier la possibilité de guérir, lors de la
découverte des antibiotiques, des patients
marqués par une mort prochaine) ont for-
midablement développé le fantasme de la
toute-puissance médicale. Ainsi, il est sou-
vent nécessaire de renoncer à la guérison pour
réinvestir le soin, et il faut donc se confronter
à une frustration.
La maladie est une violence, et si cette violence était autre-
fois attribuée à Dieu dans ses rapports énigmatiques à l’intimité
du sujet (“Je le pansais, Dieu le guérit”, disait Ambroise Paré),
elle est maintenant déplacée sur les médecins, les politiques,
les patients dans certaines théories psychosomatiques, ou les
médicaments ; c’est dire qu’il n’y a plus de tiers divin dans la
relation médecin-patient. Les médecins et leur savoir devien-
nent souvent imaginairement responsables de la violence de
la maladie et de la fragilité qu’ils nomment, en dehors d’une
atteinte ressentie d’ailleurs. Cela dans une société qui nie le
manque et fantasme son absence, comme l’exprime si bien
cette expression “droit à la santé” ; que l’on parle de droit à
l’accès aux soins, soit, mais un droit à la santé est impossible,
car nous sommes mortels.
Enfin, le patient est le plus souvent dans une fragilité nar-
cissique qui nécessite de mettre en place des défenses, et, aussi
délicat que soit le médecin, le patient a parfois besoin de s’en
protéger et ne pourra élaborer ses difficultés que dans un autre
lieu et devant une autre personne. En effet, souvent le patient
veut protéger le médecin dans son rôle, et parlera beaucoup
plus facilement de ses difficultés face à un médecin qui ne
prescrit pas et qui s’intéresse à la complexité du rapport aux
médicaments sans en être blessé.
Que transmettre d’autre au médecin ?
La relation au médicament, et par là même à la médecine,
à la maladie et au médecin, est ambivalente, tout simplement
parce qu’elle concerne à la fois la vie et la mort, comme l’ex-
prime d’ailleurs l’étymologie du mot pharmakon : poison et
remède.
La maladie touche chaque personne dans son rapport à sa
propre fragilité, ce qui est la base même de la structuration de
notre psychisme, ainsi que de multiples croyances, de la religion
et de toute civilisation. Le dicament est le support de multiples
représentations, parfois énigmatiques et contradictoires. C’est
en essayant d’en entendre la rationalité derrière l’irrationali
apparente que l’on pourra découvrir avec le malade l’extrême
Le Courrier de l’algologie (5), n° 4, octobre-novembre-décembre 2006102
Singularité
Singularité
complexité de son rapport au médical, qui peut expliquer bien
des comportements de rejet ou d’évitement thérapeutique.
L’ordonnance. Le terme même est source de rejet du médi-
cament, car certains se sentent identifiés à une position passive
et enfantine. C’est dire l’importance de l’alliance entre médecin
et patient à propos de la thérapeutique. Cependant, ce qui est
voulu consciemment est souvent différent de ce qui est désiré
inconsciemment.
Mais (paradoxalement, apparemment, parfois) le médicament
sépare le médecin du patient. Comme le disait Marty-Lavau-
zelle au congrès d’AIDES de Grenoble (1996) à propos du sida :
“Le risque existe que beaucoup de médecins, à travers la pres-
cription de médicaments, retrouvent un pouvoir de vie et de mort
qu’ils avaient tout juste évité du temps de leur impuissance.
Pouvoir de vie et de mort, ce qui souligne bien la violence
déplacée sur les médecins et les médicaments. Cela parce que
la part de Dieu dans la violence de la maladie et de la possibili
thérapeutique a été déplacée sur les médecins. Il faut trouver
un autre tiers qui ne peut être, à mon avis, qu’une recherche
épistémologique sur la part de l’humain dans la thérapeutique,
très différente d’une “psychologisation”.
Parfois, le médicament représente la maladie, d’autant que
celle-ci est nommée biologiquement et non pas ressentie. Pour
certains, la prescription et le médicament représenteront non
pas le soin, mais la mort, plus particulièrement dans l’atteinte
par le VIH, d’autant que la prescription est alors assimilée à
une phase sida, vécue comme une maladie mortelle.
La dépression. Le désir de se soigner implique au minimum
le désir de prendre soin de soi et d’accepter ce médicament-
là. Il faut toujours rechercher une dépression, éventuellement
masquée, d’autant qu’elle est parfois liée à une culpabilité, car
maladie et faute sont encore bien souvent associées.
Les effets indésirables. La notice où sont inscrits tous les
effets indésirables est par même un “faux vrai”. Certains
patients voyant écrite la multiplicité de ces effets acceptent le
médicament comme une puissance destructrice de la maladie ;
d’autres, au contraire, sont effrayés et craignent une atteinte
de leur corps intact. C’est parfois tout le problème de l’effet
nocebo des représentations conscientes et inconscientes. Effet
majeur lorsqu’on étudie les effets indésirables souvent inconnus
du public, voire des médecins.
Le rapport aux théories médicales.
– Certains patients sont pour la théorie biologique et préfèrent
acquérir un savoir médical, mais, de temps en temps, l’irruption
de la subjectivité devient alors blessante, car elle dévoile aussi
une souffrance dont la plupart de ces patients protègent les
médecins. Les deux se confortent dans un rôle idéal de bon
médecin et de bon patient très rationnels, évitant l’expression
de la souffrance.
– D’autres, au contraire sont contre une thérapeutique biolo-
gique, le médicament étant identifié à une destruction, à une
violence, à thanatos. Certains refusent le médicament parce que
“chimique” et fabriqen usine. D’autres se sentent “cobayes”,
le médicament traitant la partie biologique et animale en eux,
alors qu’ils revendiquent d’être traités en humains avec un
corps imaginaire et symbolique.
– Le médicament est parfois vécu comme destructeur de la
notion “d’équilibre psychosomatique”. Souvent, certains patients
expriment leur volonté de lutter, ce qui leur donne une idée
de leur valeur et de leur force et n’est pas compatible avec
l’expression “être sous thérapeutique”, qui les met en position
psychiquement passive. Mais les théories psychosomatiques
identifient souvent l’atteinte somatique à une fragilité psychi-
que, fragilité qui, dans ce cas, est vécue comme redoublée par
la thérapeutique.
– De multiples théories et croyances sont exprimées, théories
qui sont déplacées sur l’idée du médicament. En effet, l’objet
médicament, répétons-le, est investi de représentations, repré-
sentations de la maladie, du médicament, opérant dans l’intimité
du corps, “représentations” qui sont souvent surdéterminées et
relèvent de causes multiples et souvent contradictoires, conflic-
tuelles ou issues de différentesriodes de la vie de la personne.
“Cette surdétermination dessine l’épistémologie intérieure
s’affrontent chez le même individu des processus de pensée
conformes aux exigences rationnelles et d’autres filant au plus
court vers un acte manqué, vers la répétition d’un événement
traumatique ou quelques représentations imaginaires dusir”.
(M. Neyrau. Les raisons de l’irrationnel. Paris, PUF, 1997).
Le médicament représente aussi un lien entre le corps de
chair et le savoir humain. Il fait donc lien entre l’idée de la vie
et de la mort, entre le corps biologique et la spiritualité.
Enfin, dans son rapport au manque lié à l’idée de la maladie,
le médicament est sollicité entre deux positions opposées : il
doit combler tous les manques et permettre la réussite sociale
ou intellectuelle, l’exploit physique, voire abolir la fragilité
humaine, ou, au contraire, il est vécu comme destructeur.
Conclusion
Je dirais qu’il faut aller au-delà de la théorie de Balint, certes
très importante mais qui a privilégié la relation médecin-
patient, pour travailler sur le rapport du patient lui-même
(et du médecin aussi) à l’objet thérapeutique et aux théories
médicales, en découvrant si l’on peut dire l’épistémologie
interne du patient. Mais aussi, et cela est très important à
mon avis, il faut couvrir la part humaine dans l’effet de
la thérapeutique.
C’est l’énigme de l’effet placebo/nocebo, effet réduit à un effet
de croyance : mais de quelle croyance s’agit-il ? On a en effet
découvert chez les enfants que si, avant l’âge de la parole,
on leur donne la nourriture nécessaire, mais sans affect, sans
relation, sans parole, ils risquent de mourir, c’est-à-dire que la
substance ne suffit pas chez l’être humain.
ADVIL ENFANTS & NOURRISSONS 20 mg/ml. COMPOSITION : Ibuprofène 20 mg par ml.
Excipients dont saccharose, sorbitol, glyrol, rouge cochenille A. FORME PHARMACEUTIQUE :
Suspension buvable en flacon de 200 ml. INDICATIONS THÉRAPEUTIQUES : Traitement sympto-
matique des affections douloureuses et/ou fébriles. POSOLOGIE ET MODE D’ADMINISTRATION :
Réservé au nourrisson et à l’enfant de 3 mois à 12 ans (soit environ 40 kg). Voie orale. cf. Vidal.
CONTRE-INDICATIONS : - Au-delà de 24 semaines d’aménorrhée (5 mois de grossesse révolus).
- Antécédent d’allergie ou asthme déclenché par la prise d'ibuprofène ou de substances d'activité
proche telles qu’autres AINS, aspirine. - Antécédents d’allergie à l’un des excipients. - Ulcère gastro-
duodénal en évolution. - Insuffisance hépatocellulaire sévère. - Insuffisance rénale sévère. - Insuffisance
cardiaque sévère non contrôlée. - Lupus érythémateux disséminé. MISES EN GARDE/ PRÉCAUTIONS
D’EMPLOI : En cas d’asthme associé à une rhinite chronique, à une sinusite chronique et/ou à une
polypose nasale, risque majode manifestation allergique lors de la prise d’aspirine et/ou d’AINS.
Possibilité de crise d’asthme, notamment chez certains sujets allergiques à l’aspirine ou à un AINS.
Les hémorragies gastro-intestinales ou les ulcérations/perforations peuvent se produire à n’importe
quel moment en cours de traitement sans qu’il ait nécessairement de signes avant-coureurs ou
d’antécédents. Risque augmenté chez le sujet fragile, de faible poids corporel, sous traitement -
anti-coagulant ou antiagrégant plaquettaire. En cas d’hémorragie gastro-intestinale ou d’ulcère,
interrompre immédiatement le traitement. La varicelle peut exceptionnellement être à l’origine de
graves complications infectieuses cutanées et des tissus mous. Éviter l’utilisation en cas de varicelle.
Des réactions cutanées sévères et des allergies mettant en jeu le pronostic vital peuvent se produire
avec tous les AINS. Interrompre le traitement par l’ibuprofène en présence d’effets indésirables
cutanéo-muqueux. Des cas d’infertilité secondaire anovulatoire par non rupture du follicule de
De Graaf, réversibles à l’arrêt du traitement, ont été décrits chez les patientes traitées au long cours
par certains inhibiteurs de synthèse des prostaglandines. En raison de la présence de saccharose et
de sorbitol, ce médicament est contre-indiq en cas d'intolérance au fructose, de syndrome de
malabsorption du glucose et du galactose ou de déficit en sucrase-isomaltase. En cas de diabète
ou de régime hypoglucidique, tenir compte de la teneur en saccharose (0,5 g/ml). Prudence et
surveillance particulière chez les malades ayant des antécédents digestifs (ulcère gastro-duodénal,
hernie hiatale, hémorragies digestives...). En début de traitement, surveillance attentive du volume
de la diurèse et de la fonction nale chez les insuffisants cardiaques, patiques et naux chroniques,
chez les patients prenant un diurétique, après une intervention chirurgicale majeure ayant entraîné
une hypovolémie et particulièrement chez les sujets âgés. Effectuer un examen ophtalmologique
complet en cas de troubles de la vue. Traitements prolongés : Contrôler la formule sanguine, les
fonctions hépatique et rénale. INTERACTIONS MÉDICAMENTEUSES, GROSSESSE, ALLAITEMENT,
EFFETS SUR L’APTITUDE À CONDUIRE DES VÉHICULES ET À UTILISER DES MACHINES, EFFETS
INDÉSIRABLES, SURDOSAGE, PROPRIÉTÉS PHARMACOLOGIQUES. Cf. Vidal. AMM 336 406.2
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Le rapport au médicament, mais aussi son effet au-delà de
la substance, implique ainsi ce qu’il y a de spécifiquement
humain : le rapport à l’autre, à l’histoire, à l’objet. L’effet de cet
objet médicament a peut-être un lien avec l’objet transitionnel,
l’objet phallique ou, au contraire, l’objet destructeur dans les
réactions dites thérapeutiques négatives.
Humaniser la médecine ne consiste pas seulement à se montrer
humain avec les malades, mais à reconnaître ce qu’il y a de
spécifiquement humain dans la construction de leur corps et au
sein même des processus morbides dont ils sont affectés. C’est
ce travail épistémologique que je propose de faire.
Je terminerai en citant quelques patients :
“Moi, j’ai une très bonne relation au médecin et je prends les
médicaments, parce que je pense que le savoir des médecins
et des découvertes faites, c’est Dieu qui l’a donné au médecin.
Les médecins sont pour moi des messagers de Dieu. Cependant,
j’ajoute quelque chose qui est dans le Coran.
“J’avais une excellente relation à mon médecin tant qu’il n’avait
pas de médicament, car je le sentais impuissant comme moi,
nous étions deux personnes fragiles. Depuis qu’il a des médi-
caments, je ne peux plus le supporter, parce que je me sens
inférieur à lui ; d’ailleurs, on le dit bien, je suis ‘sous théra-
peutique’ et donc passif face à lui. Je ne le supporte pas. Et je
préfère prendre d’autres médicaments que ces médicaments
je suis passif, par exemple des médecines parallèles.
Une patiente venant d’Haïti : “Je viens d’Haïti. Dans mon
pays, on prend des tisanes, des décoctions plus que des
médicaments ; c’est quelque chose de doux que l’on prend
naturellement. J’ai besoin de cet héritage transmis de géné-
ration en génération. Il y a de la violence dans la rationalité
occidentale. J’ai l’impression qu’il y a une sorte d’aliénation,
que je m’oublie, que je me livre à l’inconnu de la science.
Néanmoins, je reconnais le bien-fondé de la science et je
veux jouir du confort relatif qu’elle peut proposer. C’est
une douleur dans ma famille de parler de médicament. Les
plantes, en revanche, il y a une connivence entre elles et
nous, c’est notre famille, un berceau, une autre mère. Le
médicament, c’est drastique, c’est la peur, si je ne le prends
pas je vais mourir. Le médicament, c’est cette bouteille qui
est en verre et peut se casser si jamais elle tombe ; et puis
on doit les avaler, c’est une forme de violence, ce n’est pas
naturel et il y a la tyrannie de la dose, il faut contrôler, pas
une goutte de plus, pas une goutte de moins. Je manie le
danger, ce que j’ai peut me tuer, le médicament peut me tuer.
La plante est peut-être aussi un danger, mais je suis dans
une sorte de béatitude inconsciente, comme un bébé. Vous
savez, le médicament, ce serait comme le monde du père, une
contrainte, la loi, la sentence ; mais au fond, c’est vrai, je
suis née d’un père et d’une mère et puis j’étudie. Il faudrait
que j’allie les deux, les médicaments et les plantes.
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