Sur la voie de l`allègement

publicité
MA VIE DE PATIENT
Trithérapie antirétrovirale
Sur la voie de l’allègement
Ils ont décidé de diminuer leur trithérapie. Laure et Noëlle, séropositives depuis de nombreuses
années, vivent cette expérience intuitive sans savoir qu’elle est le cœur du programme
ICCARRE, pour lequel Richard Cross, personnalité publique, milite vigoureusement.
N
Noëlle Maurey a découvert sa séropositivité en 1998. Depuis, elle se rend à l’hôpital
tous les 3 à 4 mois pour une consultation
de suivi. Mais elle prenait son traitement
chez son pharmacien, jusqu’à ce que ses
problèmes osseux l’empêchent de se déplacer et l’obligent à quitter Bayonne pour
intégrer récemment un foyer résidence en
Alsace, auprès de l’un de ses huit enfants.
Sa trithérapie a masqué son ostéoporose.
« Pendant une dizaine d’années, mon problème squelettique a été négligé, insiste-telle. La surveillance devrait être systématique. Je pense que j’aurais dû commencer
le traitement contre l’ostéoporose bien plus
tôt. » Elle a certes 73 ans, mais ce n’est pas
que l’âge, assure-t-elle. Ses nausées, quotidiennes, elle est parvenue à les dompter
22Ma pharma et moi
Discrétion indispensable
Richard Cross préfère l’officine à l’hôpital : « Même dans l’état satisfaisant
de santé où je suis actuellement, je n’aurais plus envie d’aller chercher
mes médicaments à l’hôpital. » Fils de pharmacienne, Richard Cross
n’est peut-être pas très objectif. Mais tout de même. « Historiquement,
le pharmacien reste un partenaire important dans la vie de santé des
personnes. Mais je pense que, fondamentalement, tout est lié à la
personnalité du pharmacien. Je me suis toujours rendu à la pharmacie où
je me sentais bien, pas forcément la plus proche de chez moi mais celle
où j’avais un rapport privilégié avec le pharmacien. » « Mon pharmacien,
très aimablement, se déplaçait parfois jusque chez moi pour me livrer mes
médicaments. À l’officine, toute l’équipe savait parfaitement être discrète »,
se souvient Noëlle Maurey. « C’est vrai qu’à la pharmacie la délivrance de
mon traitement se passe en toute discrétion », reconnaît Laure, qui ne peut
toutefois éviter une certaine appréhension en passant la porte d’une officine
pour acheter sa trithérapie.
30
• N°110 • novembre 2015
Par Audrey BUSSIÈRE
en mettant au point « des petites techniques
personnelles ». Mais le plus difficile à gérer
pour elle, c’était les diarrhées. « J’ai fini
par manger du riz à tous les repas. » Elle
déplore aussi le manque d’informations
transmises par les médecins. L’association
AIDES, en revanche, l’a éclairée sur bien
des points, en particulier qu’elle ne risquait
pas de contaminer ses petits-enfants.
L’hôpital, cet univers stigmatisant
Richard Cross s’est fait connaître du grand
public par son travail de coach vocal dans
des émissions de téléréalité musicale. Depuis 2009, il utilise sa célébrité pour défendre un protocole, ICCARRE, qui porte
le même nom que l’association qu’il préside. Sa trithérapie, il l’a commencée en
1997, deux ans après que le sida se soit
déclenché et 12 ans après avoir été déclaré séropositif. « Tout était contraintes, raconte-t-il. D’abord la douleur et l’angoisse
des cancers opportunistes venus avec le
déclenchement du sida, ensuite les médicaments, à prendre toutes les 3 à 4 heures.
Comme beaucoup de gens, j’avais acheté
une montre avec une alarme pour ne pas
rater les prises. » Et puis, cerise pourrie sur
le mauvais gâteau, les files d’attente à l’hôpital, seul lieu de délivrance du traitement
à l’époque. « Cela rajoutait de la fatigue, du
stress et je le vivais comme un retour difficile dans cet univers hostile, peu familier,
anonyme et stigmatisant. » Alors, quand les
médicaments arrivent en officine dans les
années 2000, les choses deviennent plus
« Liberté extraordinaire »
« Pendant une journée, on n’a plus de
contrainte », souffle Richard, qui aujourd’hui prend ses quatre comprimés en
deux fois chaque semaine, et c’est « une
liberté extraordinaire ». Il envisage même
de passer à une seule prise par semaine
en 2017-2018. La délivrance des médicaments devient ainsi moins fréquente. « Le
rapport avec la maladie, le traitement devient très distancié lorsqu’il s’agit d’aller
acheter des médicaments une fois tous les
3-4 mois seulement. » Le danger de la méthode, c’est l’oubli. « J’ai choisi le rythme
lundi-mardi pour que mon inconscient ne
me joue pas de tour », explique-t-il.
À l’officine, toute
l’équipe savait être
parfaitement discrète
Noëlle MAUREY
❙❙Côté associations
■■AIDES
Pour sa part, Noëlle y va de sa petite cuisine depuis plus d’une année. « Je fais cela
avec beaucoup de sérieux », assure-t-elle,
je tiens même une petite fiche. Pour elle,
ce sont les mercredis et jeudis qui sautent.
Elle l’a caché à son médecin traitant, qui
“arbore toujours un grand sourire à la vue
de mes analyses”, mais compte bien le
dire à son nouveau médecin. Et elle note
la différence. Depuis 17 ans qu’elle est
malade, elle dort sous somnifères. La trithérapie est selon elle responsable de ses
graves troubles du sommeil. Depuis qu’elle
prend moins de médicaments, finies les
nuits blanches systématiques, elle dort
« un petit peu mieux » : « il m’arrive d’avoir
quelques plages de sommeil de 2 heures
sans interruption ».
Laure, aussi, fait l’expérience de l’allègement des doses de sa trithérapie. Déclarée séropositive très jeune, à 23 ans,
elle en a aujourd’hui 49. « Je craignais
plus le traitement que la maladie ellemême », confie-t-elle. Il y a un an et demi,
l’hôpital lui a proposé de participer à un
protocole qui consistait en la réduction
du traitement. Mais c’est tombé à l’eau,
le nombre de participants étant déjà
atteint. Écoutant toutefois son intuition,
elle fait l’expérience depuis un mois de
ne prendre ses médicaments que 6 jours
sur 7. Et jusqu’ici… tout va bien. n
Créée en 1984, à l’initiative du
sociologue Daniel Defert et
reconnue d’utilité publique en
1990, AIDES est la première
association française de lutte
contre le VIH/sida et les
hépatites virales en France et
l’une des plus importantes au
niveau européen. AIDES est
aujourd’hui présente dans plus
de 70 villes françaises.
www.aides.org
■■ICCARRE
Diminuer la prise des
antirétroviraux sous forme
de cycles courts (2 ou 3 jours
par semaine) est le pilier de
la recherche au sein du projet
ICCARRE.
Cette association, composée
initialement de 90 patients
séropositifs, a pour but
d’informer le public sur le
programme ICCARRE, sa
promotion auprès du grand
public, ainsi que la défense, la
formation et l’accompagnement
des receveurs de ce traitement et
de leur famille.
www.association-iccarre.org
Quand on achète son
traitement tous les
3 mois, le rapport avec la
maladie devient distancié
François Gaillard
simples. Par ailleurs, les doses sont moins
fortes, avec « seulement » deux prises par
jour, matin et soir. Les effets indésirables
restent néanmoins très lourds : démangeaisons insoutenables, diarrhées monstrueuses, inflammation des terminaisons
nerveuses provoquant des paresthésies et
d’irrépressibles crises de fatigue.
De son propre chef, Richard décide alors
de diminuer ses doses. Il s’explique : « à
partir de 2001, j’avais décidé de “suspendre” le traitement le dimanche (puis le
samedi, puis le vendredi), pause qui stoppait pour un jour ou deux les effets secondaires handicapants », ce qui lui permettait d’assurer le tournage des émissions de
téléréalité auxquelles il participait alors.
Il s’interroge cependant sur la validité de
cette intermittence médicamenteuse et
consulte abondamment Internet en quête
d’informations. Il rencontre alors en 2008
le Dr Leibowitch, codécouvreur du VIH et
spécialiste de la trithérapie, qui justement
préconise l’adaptation de la posologie à
l’organisme de chacun et l’allègement thérapeutique. Richard rejoint alors le protocole ICCARRE. Il reprend un « traitement
d’attaque » pendant la première année
de trithérapie pour passer ensuite à une
phase d’entretien (4 jours d’arrêt pour 3
jours de médicament). Depuis 2009, il se
sent bien mieux et sa charge virale reste
indétectable.
Richard Cross
N°110 • novembre 2015 •
31
Téléchargement