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« L’Algérie, est un pays arabe. »
« Nous sommes des Arabes, des Arabes, des Arabes !.. »
Ahmed Ben Bella, 1962
L’Algérie est-elle arabe ou berbère ? C’est
généralement la question qui fâche ! Surtout si l’on
répond de manière univoque et tranchée : « Oui,
l’Algérie est arabe ! » ou à l’inverse : « Bien sûr qu’elle
est berbère ! ». Et la querelle ne divise pas que ceux qui
s’intéressent à ce pays. Elle touche très souvent les
Algériens eux-mêmes, tellement ballottés dans leur
identité multiple, tellement marqués par les manipulations successives de leur histoire. Le phénomène se
vérifie d’ailleurs au niveau de tout le Maghreb, même
si deux pays sur les cinq de la région y sont confrontés plus que d’autres : l’Algérie et le Maroc (avec,
respectivement, 35 % et 45 % de berbérophones).
Sortir de ce débat sans fin suppose de bien
comprendre tout d’abord qu’il ne s’agit en aucun cas
d’un problème ethnique… mais d’un problème
purement linguistique, qui s’explique aisément par
l’histoire.
Premier point : il s’agit non pas d’oppositions ethniques, comme on l’avance trop souvent (les « anciens » Berbères contre les « occupants » arabes). La
population d’Algérie, comme celle de tout le
Maghreb, est essentiellement de type méditerranéen.
Mais elle présente aussi une infinie variété d’autres
typologies, depuis le « grand blond aux yeux bleus »
jusqu’au « Noir couleur d’ébène », tant cette région
du monde a connu (à l’instar de la France)
d’incessantes migrations, invasions, flux et reflux de
populations extérieures qui y ont toujours laissé des
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traces. Cette variété de populations caractérise tout le
Maghreb et il suffit de sillonner l’Algérie et le Maroc
pour mesurer l’inanité de cette image galvaudée des
« Berbères blonds aux yeux bleus » face aux « Arabes
bruns aux yeux noirs ». Les deux types existent bien
sûr, avec tant d’autres, mais on les rencontre dans
tout le Maghreb, sans qu’une région soit plus
« typée » que l’autre en fonction de la langue qu’elle
pratique.
Deuxième point : c’est bien de langue qu’il s’agit
et, si distinction il doit y avoir, elle n’est pas entre
« Arabes » et « Berbères », mais entre arabophones et
berbérophones. En effet, si l’on peut affirmer qu’il y
a bien une seule population maghrébine, avec toute
sa variété, on n’en constate pas moins qu’il y a des
Maghrébins arabophones (une majorité) et des
Maghrébins berbérophones. Et cela s’explique aisément par l’histoire. La langue originaire (c’est d’ailleurs le territoire historique de cette langue qui définit les limites du Maghreb : du Sud de la Mauritanie
à l’Est de la Libye) est bien la langue berbère, le
tamazight*, pratiquée par toute la population de
l’Afrique du Nord antique, mâtinée de punique au
temps de Carthage puis de latin au temps de Rome,
résistant aux Vandales et aux Byzantins mais vacillant
au moment de la conquête arabe des VIIe et XIe siècles.
étape, par vagues successives, s’agrègent, de plus en
plus nombreux, aux « vrais » Arabes, pour poursuivre
un peu plus loin. On sait, par exemple, que les
« Arabes » qui ont conquis l’Espagne étaient, pour
leur très grande majorité, des Berbères convertis.
L’expansion de l’islam à travers le monde eut également ceci de particulier qu’elle véhiculait à la fois la
nouvelle religion de Mohammed : l’islam et la langue
de la révélation du Coran : l’arabe. Les populations
conquises se voyaient donc proposer un ensemble a
priori indissociable : la religion musulmane et la langue arabe. Beaucoup de ces peuples adoptèrent ainsi,
rapidement, la nouvelle religion et la langue qui la
portait. Mais ce fut loin d’être toujours le cas. Ainsi
certains adoptèrent-ils progressivement la langue
arabe sans pour autant abandonner leur religion juive
ou chrétienne : des îlots parfois très importants de
judaïsme et de christianisme ont pu dès lors survivre
jusqu’à nos jours au Maghreb et au Machrek*, ce qui
permet d’évoquer à juste titre des chrétiens arabes*
et des juifs arabes*. A l’inverse, des populations
intégrées au vaste empire musulman (il atteint son
apogée au IXe siècle) se convertirent très vite à l’islam
sans pour autant abandonner leur langue : ainsi les
Turcs et les Persans islamisés refusèrent ils d’adopter
la langue arabe, pour se contenter de transcrire leur
propre langue en caractères arabes.
L’expansion de l’islam à partir de la péninsule
arabique est tout d’abord le fait de cavaliers arabes,
accompagnés de théologiens et de marchands. Mais ils
sont peu nombreux et, au fur et à mesure qu’ils
conquièrent le Proche-Orient vers le Nord, puis
l’Égypte, le Maghreb et l’Espagne vers l’Ouest, la
Perse et l’Asie centrale vers l’Est, ce sont souvent les
peuples nouvellement convertis qui, d’étape en
Au Maghreb, les populations des plaines du Nord
adoptèrent assez vite la religion musulmane et la
langue arabe mais les habitants des massifs montagneux et des zones désertiques, s’il se convertirent
aussi à l’islam, surent préserver leur langue : le berbère. La carte des zones berbérophones est très parlante, elle correspond très exactement, pour s’en tenir
à l’Algérie, aux massifs du Chenoua, de la Kabylie et
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des Aurès au Nord, aux territoires du M’ Zab et du
Hoggar au Sahara : Kabyles, Chaouïas, Mozabites et
Touaregs représentent ensemble quelque 35 % de la
population algérienne. Tout en pratiquant pour la
plupart l’arabe maghrébin, ils ont conservé leur
langue maternelle : le berbère. Une langue qui utilise
indifféremment un alphabet spécifique, le tifinagh*
(hérité du punique et essentiellement en usage chez
les Touaregs), l’alphabet arabe ou l’alphabet latin.
Après les premières décennies des indépendances, où
sa pratique fut plutôt réprimée, le berbère, ou plutôt
le tamazight, a peu à peu conquis droit de cité, grâce
aux luttes menées en sa faveur et à la lente maturation
des esprits.
Alors, arabe ou berbère, l’Algérie ? Les deux à la
fois, on l’aura compris : sur un soubassement berbère
séculaire, la langue arabe s’est peu à peu imposée à
l’ensemble du Maghreb. La prépondérance de ce
soubassement a pourtant marqué la langue dominante, donnant naissance à un arabe populaire maghrébin qui se différencie quelque peu de l’arabe de
la vallée du Nil (avec le copte) ou de celui du ProcheOrient (avec l’araméen) et a fortiori de l’arabe parlé
dans la péninsule arabique (le plus proche bien sûr de
l’arabe classique). Les quarante dernières années ont
été marquées, paradoxalement, par la reconnaissance
officielle du tamazight dans les deux principaux États
intéressés : l’Algérie et le Maroc, alors même que
l’usage de l’arabe moderne, cette langue médiane
utilisée dans les journaux, la radio, la télévision et
surtout à l’école, favorisait partout l’appropriation de
cette langue, y compris par les Maghrébins
berbérophones. Cette situation, qui a pu alimenter
bien des « schizophrénies », impose donc, aujourd’hui
plus que jamais, la notion complexe mais bien réelle
d’une Algérie arabo-berbère.
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