Eglise de Drancy – Alain Le Négrate le 10 février 2004
Parcours de Formation – Approfondissement de la foi 2003 – 2004
Réincarnation ou Résurrection ?
Rencontre du mardi 10 février 2004
A) D’où vient la question ?
Selon une enquête réalisée en 1990 sur les valeurs européennes, les catholiques de France croient plus facilement à la réincar-
nation que l’ensemble de la population française : 27% contre 24%. Pourtant les deux mots de résurrection et de réincarnation
ne vont pas ensemble. Déjà au Concile Vatican 2 une centaine d’évêques avait proposé un amendement au §48 de Lumen
Gentium (21 novembre 1964) pour préciser ce qui sortait déjà de l’évidence : « Ignorants du jour et de l’heure, il faut
que…nous restions vigilants quand s’achèvera le cours unique de notre vie terrestre ». Depuis le temps du Concile, la
croyance en la réincarnation a pris une ampleur considérable. Il ne faut donc pas s’étonner que les catéchumènes à Drancy
nous aient apporté ce sujet aujourd’hui. Ce phénomène est lié d’une part à la montée de l’individualisme et du subjectivisme
ambiant (l’importance de la réalisation du ‘Moi’) et du recul de l’intelligence de la foi chrétienne au Dieu trinitaire. Le New
Age s’en mêle au travers de grandes confusions selon lesquelles Jésus est un sage et toutes les religions se valent etc. Or toutes
les confessions religieuses ne donnent pas le même sens de l’homme, de la vie en société, de la foi. Ni la réincarnation ni la
résurrection ne se prouvent objectivement, mais il convient de choisir.
B) Le New Age
Paul Le Cour (1871-1954) a annoncé le premier la nouvelle ère du Verseau en 2160, à la fin de l’ère du Poisson dominée par la
symbolique chrétienne [Ichthus (poisson) est le signe des premiers chrétiens]. Ce nouvel âge – New Age d’après Alice Ann
Bailey (1889-1949) – serait celui de l’homme quasi-divin, un âge d’or de bonheur et de plénitude. Ce mouvement possède en
Californie l’Institut Esalen de Psychothérapie depuis 1961. Il emprunte au christianisme, au bouddhisme, aux gnoses anciennes
et aux psychologies pour proposer un grand nombre de pratiques afin que les gens vivent mieux : le yoga, le zen, la sophrolo-
gie, les voyages hors du corps. Tout est un, tout est conscience, tout est énergie… « L’univers c’est toi ». Le Moi illimité saura
se perfectionner au cours de ses expériences successives dans des corps successifs. Dans ce modèle, la réincarnation rassure
devant la mort qui n’est plus que transitoire, devant les handicaps et la souffrance qui sont liées au karma (=actes et leurs
conséquences) des existences précédentes et explique les questions relatives au sens de la vie, sur l’origine et sur la fin. A noter
que dans la vision positive et progressive du New Age, le karma est non pas source de punitions à subir au long de la ronde des
existences mais comme une chance d’un progrès continuel vers davantage de sagesse et de pouvoir.
C) La réincarnation en Occident
Le mot même de ‘réincarnation’ ne vient pas du New Age. Il apparaît dans la langue française en 1857 dans le Livre des Es-
prits d’Allan Kardec. Cet auteur est l’autre nom d’Hippolyte Léon Denizard Rivail (1804-1869), l’instituteur lyonnais qui a
établi une doctrine du spiritisme. Au cours d’une séance de spiritisme il découvre qu’il est la réincarnation d’Allan Kardec qui
vivait autrefois en Gaule. Selon lui il y a 2 mondes : le monde visible et le monde invisible des esprits. Les espris connaissent 3
étapes : 1) l’âme incarnée appelée à se perfectionner sur terre, 2) l’esprit errant qui se manifeste parfois et communique au
travers de mediums ; il peut se réincarner, 3) l’esprit définitivement dégagé de la matière, à l’abri de toute réincarnation.
Dans le monde occidental, la croyance en la transmigration des âmes est ancienne. Les Egyptiens croyaient en un cycle de
réincarnation des âmes des défunts (Le Livre des morts). Dans la Grèce antique, Socrate et Platon : « Je suis persuadé que nous
pouvons véritablement renaître et que les vivants sont issus des morts » (Le Phédon). De même les Celtes comme César les
décrit dans La guerre des Gaules. A la Renaissance, le dominicain Giordano Bruno a été brûlé en Italie l’an 1600 pour avoir
enseigné la transmigration des âmes. Au siècle des Lumières (18ème siècle) Voltaire croyait en la métempsychose (différents
états de l’âme lors des réincarnations). Il faudrait encore citer Lessing, Lamartine, Victor Hugo, Goethe, Schopenhauer, Tolstoï
etc. La croyance en la réincarnation est répandue en Occident de façon continue mais elle n’est jamais majoritaire parce qu’elle
est constamment combattue par le christianisme.
La réincarnation est une croyance qui a pour avantage certain d’expliquer la souffrance, de comprendre l’inexplicable,
l’injustice des coups du sort. Elle est en même temps bon auxiliaire pour faire la morale en jouant le rôle de la peur de l’enfer
des religions dominantes.
A la différence de l’Inde, en Occident la réincarnation offre des chances nouvelles alors qu’en Extrême-Orient c’est une puni-
tion. Le Bouddhisme se présente comme une sagesse dont le but est d’échapper précisément au cycle infernal des réincarna-
tions, le samsara.
D) Le Bouddhisme
Dans le bouddhisme, la transmigration/réincarnation est indissociable d’une démarche spirituelle.
Dans l’Inde hindouiste, au 6ème siècle avant J.-C., Siddhârta Gautama naît dans une famille princière et mène une vie de grand
luxe à Kapilavistu, non loin du Gange. A 16 ans il épouse une princesse dont il a un fils, Raula. Ce n’est qu’à l’âge de 29 ans
qu’il sort de son palais et découvre le monde. Il rencontre successivement un vieillard, un cadavre, un malade et un moine
hindou. Il y a de la souffrance dans le monde ; cela le décide à devenir un religieux errant qui s’adjoint 5 compagnons de route.
Il pratique le jeûne et la méditation. A Bodh-gayâ, alors qu’il est prêt à mourir à force de jeûner, il accepte l’offrande d’une
femme pour se nourrir. Il trouve là le motif qu’il développera dans son enseignement : la voie moyenne qui consiste à renoncer
à la fois aux plaisirs et aux pénitences. Il s’assoit en position du lotus sous un arbre pendant plusieurs jours. Triomphant de
Marâ (dieu des plaisirs et des tentations), il reçoit l’illumination. Siddhârta devient le Bouddha, c’est-à-dire l’Eveillé. Il com-
prend toute la vérité de l’existence humaine, à savoir le samsara (le cycle incessant des naissances et des morts), le karma
(l’ensemble des actes qui conduisent à ces renaissances), et les 4 nobles vérités. Ces 4 vérités sont : l’universalité de la souf-
france, l’origine de la souffrance qu’est le désir, le nirvana qui coïncide avec la cessation de la souffrance par extinction du
désir, et enfin l’octuple voie, la voie moyenne qui prône la paix et la non-violence, la justesse des actes, pensées et paroles, la
moralité, l’effort, la concentration, la sagesse, la compassion. Ayant reçu cette révélation, le Bouddha l’enseigne la première
fois à ses 5 compagnons à Sarnath près de Bénarès puis tout au long de 45 années de prêche. A l’âge de 80 ans, il meurt à Kus-
hinagar où il est incinéré. Ses cendres recueillies sont déposées comme reliques dans les lieux de pèlerinages bouddhiques.
Bouddha a mesuré le tragique de la situation de l’homme attaché à ce monde. L’ « Éveillé » a découvert que la douleur pro-
vient de ce qu’on ne peut pas accepter que le monde soit éphémère. Attaché à ce monde, l’homme s’enferme dans le samsara
car il ne connaît pas sa nature profonde. Pour se libérer des cycles d’existences il lui faut déraciner en lui-même tout désir
égoïste et néfaste.
Aujourd’hui les pays entièrement bouddhistes sont le Sri Lanka, la Birmanie, la Thaïlande, le Laos et le Cambodge. Le Japon
compte 40 millions de bouddhistes. Le Tibet connaît un bouddhisme particulier, le lamaïsme (de lama : moine). Le Boudd-
hisme a progressé jusqu’au 13ème siècle, à l’arrivée de l’islam en Inde.
C’est une philosophie et un humanisme très tolérants aux autres religions. En bouddhisme il n’y a pas vraiment de Dieu, sur-
tout pas de monothéisme. Il n’y a pas de livre unique, ni de langue unique, ni de conquêtes guerrières. Il repose moins sur une
croyance qu'une discipline axée sur l’effort personnel. L’homme y est au centre, non pas Dieu.
La loi karmique tenant que la souffrance d’aujourd’hui résulte d’actions négatives des vies antérieures exclut le jugement divin
et donc aussi la notion de pardon.
E) Réincarnation et Résurrection
La condition humaine commune fait expérimenter le besoin de salut. Mais il y a différentes formes de salut. On appelle reli-
gions de salut habituellement les religions qui proposent le salut qui avance dans l’histoire des hommes. Le judaïsme et le
christianisme sont des religions de salut. L’islam et le bouddhisme, en rigueur de termes, ne sont pas des religions de salut.
Pour le bouddhiste, le salut vient quand il assimile l’enseignement du Bouddha et découvre sa vérité (au bout de l’extinction du
désir). Pour le chrétien, le salut vient de Dieu, il est indissociable de l’événement Jésus-Christ qui a radicalement transformé le
destin de l’homme et du monde. Ayant triomphé de la mort une fois pour toutes (Epître aux hébreux), le Christ invite
l’humanité à partager une nouvelle vie qui sera accomplie dans une résurrection à laquelle tout le cosmos est promis.
Le salut de Dieu librement offert par le don d’un Dieu Amour fait grande place au pardon qui en découle.
Les conceptions du temps divergent en le Bouddhisme et le Christianisme. Le temps cyclique fait place au « temps droit » qui
a donné en Occident sécularisé la notion de progrès où l’avenir est associé à la notion très judéo-chrétienne d’espérance. Celse,
le païen d’Alexandrie a écrit un pamphlet Contre les chrétiens en 178, combattu pied à pied par Origène (5 tomes de son
Contre Celse dans les Editions des Sources chrétiennes, le Cerf) où il ridiculise la foi en la résurrection afin de mieux affirmer
que « la nature de l’univers est une et toujours identique à elle-même… les choses roulent sempiternellement dans le même
cercle, et, partant, qu’il est nécessaire que, suivant l’ordre immuable des cycles, ce qui a été, ce qui est et ce qui sera, soit
toujours le même » au §49. Jean-Claude Guillebaud a évoqué récemment Celse, l’inspirateur de Nietzsche, pour inviter à re-
trouver l’idée judéo-chrétienne subversive qu’est la notion d’espérance dans son ouvrage Le goût de l’avenir (Seuil 2003, 359
p.)
Dans La Vie du 28.03.2003, Guillebaud écrit : « Serions-nous en train de revenir à ce paganisme-là ? Peut-être bien. En per-
dant l’avenir, en nous détachant avec lassitude de l’idée de progrès, c’est avec ce “ temps droit ” qui fonda l’Occident lui-
même que nous rompons sans nous en rendre compte. Or, ce temps rectiligne, cette continuité orientée – salut pour les uns,
progrès pour les autres –, orientait notre histoire et lui donnait un sens. »
F) Quelques références :
1) Dossier Résurrection-réincarnation, Questions actuelles N°2 Mai 1998 Bayard 51 p.
2) La réincarnation Jean Vernette, Que sais-je ? 3002 1995 128 p.
3) Le New Age Christus n°153 janvier 1992 (l’article de Dennis Gira).
4) L’enseignement du Bouddha Walpola Rahula, Seuil Points Sagesse n°13 1978 191 p.
5) La résurrection des morts Isabelle Chareire, Les Editions de l’Atelier 1999 128 p.
G) Prochaine rencontre le mardi 30 mars 2004 :
Sur le thème de la souffrance, le mal et le malheur. Une certaine idée de Dieu est morte sur la croix.
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