commencement ni fin des morts et des naissances dont tout être vivant est prisonnier. La
deuxième est celle du karma, l'acte et sa conséquence, inséparables l'un de l'autre.
C'est le karma en effet qui emprisonne chaque être dans le cycle des morts et des naissances,
car selon la loi karmique tout acte consciemment posé pendant cette vie porte obligatoirement
un fruit qui doit mûrir soit dans cette vie soit dans une vie ultérieure. Les actes négatifs, c'est-
à-dire égocentriques, que pose l’homme, conduisent à des renaissances malheureuses –
comme homme, comme animal, comme esprit affamé - voire en différents enfers effrayants.
Les actes positifs, en revanche, conduisent à des renaissances extrêmement heureuses, comme
homme ou comme divinité (deva). Et c’est ce passage d’une existence à une autre qui est
normalement désigné par le terme de réincarnation ou de renaissance.
L’homme peu sensé qui s’attache aux plaisirs de la vie, à son propre soi, ou même aux joies
spirituelles, fait tout, bien sûr, pour renaître dans une condition heureuse après la mort. Il peut,
en effet viser très haut, jusqu’à une existence divine qui durera des kalpa (c'est-à-dire une
période de temps qui échappe à toute quantification : on dit qu’un kalpa représente le temps
qu’il faudrait pour faire disparaître l’Himalaya si une fois tous les trois siècles on l’effleurait
avec un tissu extrêmement fin !). Mais même des divinités restent prisonnières du samsara car
la durée de cette heureuse condition, tout comme celle de la vie humaine et de tout autre être
vivant, demeure limitée. Elles vont donc un jour tomber dans d’autres existences, peut-être
même dans les enfers les plus horribles, à cause des actes karmiques posés au cours
d’innombrables vies antérieures. Et en passant par l’existence humaine, ces êtres poseront
encore d’autres actes karmiques. C’est ainsi qu’ils restent, quoi qu’ils fassent, prisonniers du
monde du samsara. Le Bouddha souligne la condition douloureuse de ceux qui s’attachent à
leur existence samsarique. Sa position apparaît très clairement dans un ancien texte où il dit
ceci : « Quelle est la plus grande (masse d’eau) ? Le torrent des larmes que vous répandez en
gémissant et en pleurant dans votre course, votre interminable voyage, unis comme vous
l’avez été à ceux qui ne vous sont plus chers, séparés de ceux qui vous sont chers, ou bien les
ondes des grands océans. C’est le torrent de larmes que vous avez répandues dans votre
course, dans votre voyage qui l’emporterait. Pendant bien des jours vous avez souffert la
mort d’une mère, d’un fils, d’une fille, la ruine de vos parents riches, les calamités des
maladies… Il n’est point facile, ô moines, de trouver un être qui pendant ces jours
innombrables n’a pas été une fois une mère, un père, un frère, une sœur, un fils, une fille.
Comment cela ? Inconnaissable, ô moines, est le début de ce voyage. La première phase n’est
point révélée de la course continue du voyage des êtres que retarde l’ignorance, qu’entravent
les appétits. Et c’est ainsi, ô moines, que vous avez longtemps souffert des maux, de la
douleur, de la misère, et que les charniers se sont agrandis
Le passage d'une existence à une autre – quand bien même cette autre serait-elle qualifiée de
divine - ne permet donc pas à l'être de sortir du samsara, d'aller au-delà de ce monde
éphémère. C'est la raison fondamentale pour laquelle la réincarnation dans le contexte
bouddhique n'a rien à voir avec l'idée de l'au-delà telle qu'elle est conçue habituellement en
Occident.
Que la réincarnation ne soit pas considérée comme quelque chose de positif au sein d'une
tradition qui y a réfléchi pendant des millénaires n'est évidemment pas en accord avec
l'attitude de ceux qui voudraient y voir une arme de plus pour lutter contre l'angoisse qui
assaille l'homme face à la dure réalité de la mort. Mais le fait est là. Renaître après la mort ne
change rien pour un être, sauf si dans sa nouvelle existence il arrive à dissiper l'ignorance
foncière qui le conduit à agir comme s'il pouvait trouver un bonheur durable dans ce monde
Samyutta-Nikaya,II, 178 sq., traduction française dans La pensée de Gautama, Le Bouddha, Textes choisis et présentés par Ananda K.
Coomaraswamy et I.B. Horner, Pardès, p. 232-233.