NAOS*
Agnès Blanc
un système dʼoptique adaptative pour le VLT**
«L’acuité visuelle de cet instru-
ment d’optique adaptative est
telle qu’il pourrait permettre de
distinguer 2 pièces de 10 centi-
mes côte à côte à 70 km du point
d’observation ou encore deux
cheveux qui se touchent à 700
mètres de distance !» (Anne-Ma-
rie Lagrange, responsable scien-
Qui ne s’est pas une fois dans sa
vie, émerveillé devant la beauté
d’un ciel étoilé ? Le velours noir
de la voûte céleste, constellée de
points de lumière scintillante en
a fait rêver plus d’un... Mais ce
qui en fait rêver certains pose un
réel problème pour d’autres !
En effet, les astronomes et as-
trophysiciens se seraient bien
passé - non pas des étoiles, bien
évidemment ! mais - du scin-
tillement qui n’est autre qu’un
phénomène à la turbulence
atmosphérique, laquelle cause
une perte énorme à la qualité
des images obtenues par les té-
lescopes.
A n de pallier le plus possible à
ce phénomène, on construit les
observatoires sur des lieux éle-
vés, secs et dégagés. L’idéal en
termes de qualité d’observation
est de s’affranchir de l’atmos-
phère, ce qui a d’ailleurs été fait
avec les télescopes spatiaux ISO
et Hubble.
Les chercheurs ont donc mis au
point un système d’optique adap-
tative qui permet de corriger en
temps réel l’image déformée que
l’on perçoit d’une étoile et de la
restituer comme si nous étions
au dessus de l’astmosphère.
Le Laboratoire d’Astrophysique
de Grenoble
fort de son
expérience
a pris part à
cette grande
aventure
technologique
et scienti que
que constitue
la réalisation
et l’assemblage de NAOS, le sys-
tème d’optique adaptative de l’un
des plus grands télescopes euro-
péens (ESO, VLT, ...).
Au travers des chapîtres suivant
nous vous invitons à découvrir
plus en détail ce que recouvre
le terme de turbulence atmos-
phérique, d’aller à la rencontre
de quelques télescopes, de dé-
couvrir les premiers pas et le
principe de l’optique adaptative
et en n, de voir ce qui a été réa-
lisé au sein du Laboratoire d’As-
trophysique de l’Observatoire de
Grenoble.
LA TURBULENCE
ATMOSPHERIQUE
Lorsque nous admirons le scin-
tillement d’une étoile, il ne s’agit
pas de l’éclat intrinsèque de
celle-ci, mais d’une des consé-
quences d’un phénomène qui
se produit dans l’atmosphère :
la turbulence. En effet, l’atmos-
phère se caractérise par un bras-
sage continuel de masses d’air
de tailles et de températures dif-
férentes ; or, l’air chaud et froid
ont des caractéristiques optiques
différentes.
Cette turbulence n’est générale-
ment pas perceptible à l’œil nu
dont l’accuité n’est pas suf sante
pour être gêné par la perte de
qualité. Toutefois, il existe des
cas l’on peut voir l’effet de
cette turbulence. Par exemple,
le long d’une route
goudronnée, sur-
chauffée par le
soleil ou au-des-
sus d’une amme,
il nous arrive de
voir l’air «danser» et les images
devenir  oues. C’est la rencontre
d’une masse d’air chaud et d’une
masse plus froide qui génère des
mirages.
En ce qui concerne l’astronomie,
la lumière que l’on cherche à
percevoir doit traverser toute
l’atmosphère terrestre. Lorsque
l’on tente de grossir cette image
à l’aide d’instruments optiques
(jumelles, lunettes, télesco-
pes...) la turbulence est d’autant
plus perceptible, les points lu-
mineux d’autant plus ous et
«dansants». De fait, lorsque l’on
utilise un télescope dont le dia-
mètre est supérieur à dix centi-
mètres les effets de la turbulence
perceptibles.
LES OBSERVATOIRES
Pour s’affranchir le plus possible
de ce phénomène, les astrono-
mes construisent
des observatoires
en altitude, car
les mouvements
d’air y sont plus
stables et la cou-
che atmosphérique
moins épaisse.
Les premiers grands télescopes
de la n du XIXe et du début
du XXe siècle ont des diamè-
tres avoisinants le mètre. Pour
pro ter au maximum de leur
capacité, ils ont été placés en al-
titude parfois malgré les dif cul-
tés techniques de l’époque pour
déplacer et transporter sur le site
de tels instruments et leur infras-
tructure. L’observatoire du Pic du
Midi (à 2876 m d’altitude) est un
dé à la volonté humaine.
Au cours du siècle, les techniques
d’optique s’améliorent, et les té-
lescopes s’agrandissent jusqu’à
atteindre des diamètres remar-
quables de 10 m dans les années
90 (Keck, Gemini, Subaru...)
Mais, outre les problèmes liés à
la turbulence, apparaissent les li-
mites techniques à la capacité de
réaliser de si gros miroirs.
Comme nous venons de le voir,
l’atmosphère est une barrière op-
tique très restrictive. Le meilleur
moyen pour obtenir une qualité
d’image optimale est donc d’ob-
server hors de celle-ci. C’est ce
qui a été fait avec le célèbre té-
lescope spa-
tial Hubble
(2,40 m de
diamètre),
qui a réalisé
des images
d’une qualité et d’une nesse
jusque-là inégalées sans optique
adaptative...
Mais encore, la technologie
a ses limites, car au-delà d’un
certain diamètre, les contrain-
tes techniques, de maintenance
et nancières ne permettent
pas de réaliser (actuellement)
des télescopes spatiaux aussi
grands que leurs homologues
terrestres (toutefois, vers 2008,
le télescope spatial NGST avec
6,5 m de diamètre devrait être
opérationel). Or, plus le diamètre
du télescope est grand, plus des
détails  ns (piqués) peuvent être
détectés.
Loin de se plier à cet état de
faits, les chercheurs ont mis au
point de nouvelles techniques
d’optique qui permettent de
repousser encore plus loin les
limites du perceptible. En effet,
le Very Large Telescope (VLT)
du mont Paranal au Chili est un
ensemble de quatre télescopes
de 8,20 m de diamètre chacun,
qui seront associés entre eux en
mode interférométrique ce qui
équivaudra à observer dans un
télescope de 200 m de diamètre.
De plus, ces instruments seront
assistés par la technique de l’op-
tique adaptative qui décuplera
leur pouvoir de résolution (c’est
la taille du plus petit détail que
l’on peut observer sur l’image).
En bref, on peut dès à présent
repousser des limites qui jusqu’à
maintenant nous semblaient in-
franchissables en attendant d’al-
ler peut-être encore plus loin.
L’OPTIQUE ADAPTATIVE
Un peu d’histoire...
«L’optique adaptative est une
technique dont le but consiste à
restaurer en temps réel la qualité
des images déteriorée par la tur-
bulence atmosphérique».
Horace W. Babcock publie en
1953 un article concer-
nant une méthode qui
permettrait de corriger
en temps réel les effets
de la turbulence atmos-
phérique, sur l’acqui-
sition d’images. Il faut attendre
1977 et certains progrès tech-
niques pour que l’idée prenne
forme dans le domaine militaire
avec le projet de la «guerre des
étoiles» (SDI = Strategic Defen-
se Initiative).
En astronomie, les français sont
les pionniers dans cette techni-
que avec en1989 la réalisation
du système Come-on, prototype
d’optique adaptative qui après
une série d’améliorations pren-
dra le nom d’Adonis (Adaptative
Optics Near Infrared System)
en 1993. Il est installé sur le té-
lescope de 3,60 m de la Silla au
Chili.
Quelques éléments techniques...
Comme nous l’avons vu précé-
demment, la turbulence brouille
l’image reçue de l’étoile. L’opti-
que adaptative a donc pour but
de restituer l’image de la source
lumineuse dans son intégrité
(telle qu’elle aurait pu être faite
avant de pénétrer dans l’atmos-
phère), en «élimant» les effets
de déformation créés par l’at-
mosphère.
Pour parvenir à un tel résultat,
les trésors de la technologie de
pointe sont requis.
Les perturbations dues à la turbu-
lence sont de deux ordres. D’une
part, l’image reçue est décalée
(translatée, l’étoile semble pro-
venir d’ailleurs) mais également
oue à cause du signal lumineux
de la source (front d’onde) qui
est déformé par l’atmosphère.
Pour résoudre
le problème du
décalage, un
miroir bascu-
lant (dit «tip-
tilt») compense
le déplacement
de l’image. C’est un miroir de
stabilisation qui permet de faire
de la «poursuite» de l’étoile.
Quant à la déformation du front
d’onde, elle est mesurée par un
analyseur de front d’onde puis
analysée (en temps réel) par des
calculateurs qui envoient des or-
dres à des actuateurs piezo-élec-
triques (pistons) qui déforment
la surface du miroir (plus de 500
fois par seconde) a n d’annuler
la perturbation engendrée par la
turbulence atmosphérique.
NAOS
Fort de ces succès, l’ESO (Eu-
ropean Southern Observatory)
lance un appel d’offre européen
en 1996 pour la réalisation d’un
système d’optique adaptative qui
doit équiper un des télescopes de
8,20 m du VLT.
L’ONERA (Of ce National d’Etu-
des et de Recherches Aérospatia-
les) devient le maître d’œuvre de
ce chantier de haute technologie
et s’associe avec le département
de recherche spatiale de l’Obser-
vatoire de Paris et le Laboratoire
d’Astrophysique de Grenoble,
tous deux rattachés au Centre
national de la recherche scienti-
que (CNRS).
Le grand hall
d’intégration
du Labora-
toire d’As-
trophysique
grenoblois a
été le lieu de
l’assemblage
de l’énorme
anneau mé-
tallique de 2
tonnes qu’est Naos*. Utilisant un
miroir déformable animé par 240
actuateurs, couplé à deux ana-
lyseurs de front d’onde qui me-
surent les déformations causées
par l’atmosphère (l’un en infra-
rouge, l’autre dans le visible).
Avant de partir pour sa destina-
tion nale (Chili) il est remonté
dans le hall d’intégration de
Bellevue-Meudon, L’ESO ayant
demandé à la division technique
de l’INSU de prendre en charge
la construction d’un enrouleur
de câbles, dit «Cable Twist»,
représentant le système d’ali-
mentation et de maintenance de
l’instrumentation NAOS associée
à son récepteur CONICA cons-
truit par le Max-Planck Institut à
Heidelberg en Allemagne..
Cet instrument d’extrême préci-
sion aura coûté quelque 40 MF
et mobilisé environ 60 années-
hommes.
L’équipe NAOS au Laboratoire d’Astro-
physique de Grenoble est composée
des personnes suivantes : J-L. Beuzit, F.
Bouillet, J. Charton, G. Chauvin, A. Del-
boubé, P. Feautrier, T. Forveille, P. Kern,
A-M. Lagrange, Y. Magnard, D. Mouillet,
F. Ménard, C. Perrier, P. Puget, P. Rabou,
E. Stadler, N. Ventura.
* Nasmyth Adaptative Optical
System
** Very Large Telescope
Agnès Blanc est chargée de communi-
cation à lʼObservatoire des Sciences de
lʼUnivers de Grenoble
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