Sciences-Croisées Numéro 4 : La communication Communiquer des approches contradictoires en sciences de l’éducation Bruno Goloubieff Université de Provence (Département des Sciences de L’éducation ; UMR ADEF) [email protected] Michel Vial Université de Provence (Département des Sciences de L’éducation ; UMR ADEF) [email protected] COMMUNIQUER DES APPROCHES CONTRADICTOIRES EN SCIENCES DE L’EDUCATION : UN POINT DE VUE PLURIEL SUR LES CONCEPTS AU SERVICE DE LA PROFESSIONNALISATION Résumé : A partir d’un questionnement portant sur le statut du symptôme en thérapie brève et en psychanalyse, il est tenté d’extraire les fondements et les enjeux des deux approches pour entrevoir quelles pourraient être leur possible complémentarité en terme de professionnalisation. A travers la signification et l’utilisation de concepts scientifiques est ainsi posée la question du pouvoir et des limites de toute approche ainsi que leurs enjeux politiques et praxéologiques. Aussi, croiser les approches, ce n’est pas se contenter de les opposer, mais faire naître, à partir d’un point de vue pluriel, un autre questionnement issu de la mise en tension de deux approches contradictoires. Mots clés : symptôme, point de vue, posture, projet, débat, contradiction, professionnalisation. COMMUNICATING CONTRADICTORY APPROACHES IN EDUCATIONAL SCIENCES: A PLURAL POINT OF VIEW ABOUT CONCEPTS APPLIED TO PROFESSIONAL TRAINING 1 Abstract : After studying (a series of questions about the symptom status in short therapy as well as in psychoanalysis, we have tried to highlight the fundaments and stakes of each approach in order to define how they could possibly complement in the professional training. Through the significance and use of scientific concepts, we can wonder about the efficiency and limits of any approach as well as its political and praxeological stakes. Thus, using both approaches is not merely opposing them but creating from a plural start another argument emerging from the tension of two contradictory approaches. Key-words : symptom, point of view, posture, project, argument, contradiction, professional training. 2 Introduction Aborder le thème de la communication par l’entremise des sciences de l’éducation est une occasion de partir de termes, de notions et de concepts identiques pour tenter de comprendre comment ils ont été travaillés par différentes disciplines. L’intérêt est ici de questionner les aménagements nécessaires à la transposition de concepts et d’idées importées des sciences mères par les sciences de l’éducation pour y construire une réflexion dans le champ de la professionnalisation. 1. Quel statut pour le symptôme en sciences de l’éducation ? 1.1. Supprimer le symptôme ? L’école de Palo Alto a construit son approche en mêlant des principes empruntés à la cybernétique, à l’anthropologie et à la biologie. Elle s’attache principalement aux effets de la communication sur le comportement, notamment dans le champ de la thérapie brève. Elle peut être qualifiée d’approche pragmatique. Elle a montré que la communication a une influence sur le comportement et qu’il s’agit de changer les interactions pour que le comportement change. Pour cela, le problème doit être identifié comme récurrent, afin d’être stoppé et empêcher le renforcement du symptôme. En prescrivant le symptôme (Watzlawick, Beavin, Jackson, 1972), la thérapie brève 1 va tenter d’éliminer ce dernier. C’est sur ce point qu’il convient de revenir. La suppression du symptôme pose un certain nombre de questions quant à son statut. Loin de renier l’efficacité de la thérapie brève en terme de réussite et de succès, c’est justement la visée d’efficacité liée à l’intervention du thérapeute qui est à interroger, parce qu’elle tend à considérer le symptôme comme élément nuisible. Or, il existe d’autres points de vue sur le symptôme. La psychanalyse, en particulier les travaux de Lacan (1966), lui confère un tout autre statut. En cela, le symptôme est éminemment respecté, parce qu’il fait partie du sujet. Il est le signifiant qui échappe au contrôle du sujet. Il est le sujet-même chez Lacan, en ce qu’il le représente, divisé à lui-même, en sa propre méconnaissance ; il le frappe au coin de l’Autre, dans une altérité énigmatique qui lui pose problème et souffrance. L’éliminer reviendrait à gommer ce qui parle à travers lui. Ces deux écoles ne partagent pas le même point de vue quant à la souffrance humaine et c’est ce qui les amène à se positionner différemment quant à la façon de concevoir et de traiter le symptôme. Pour l’école de Palo Alto, il n’y a pas d’inconscient. Elle ne s’intéresse donc pas aux forces inconnues, ni à une clinique du sujet. Ce sont les interactions qui sont traitées. L’apport de la thérapie brève se situe bien au niveau de son savoir sur les effets du symptôme dans la communication. En d’autres termes, elle connaît les effets d’une communication pathologique et tente d’y remédier efficacement. On voit 1 Les principes de la thérapie brève ont largement dépassé le cadre thérapeutique pour être utilisés ailleurs, c’est pourquoi une telle popularité requiert d’interroger la pertinence de tels principes dans le champ de la professionnalisation. 3 donc des axiomes très différents selon le champ adopté, axiomes que nous éviterons d’opposer simplement, pour y trouver une possible complémentarité selon les moments et le contexte. La façon qu’a Lacan de considérer le symptôme est non pas de le rejeter, mais de faire qu’à travers la cure, il soit assumé le plus possible. Le symptôme en psychanalyse renvoie au principe de plaisir-déplaisir (Freud, 1986) et à la jouissance qui en découle. Le symptôme exprime le refoulement de la castration du sujet, en ce sens que ce dernier refuse le manque né de la castration. A travers ce refoulement, le sujet veut se vivre encore comme complet et absolu, mais cela l’isole parce que sa jouissance est en même temps source d’angoisse, corrélée à la pulsion de mort visant un retour à l’inorganique, par la recherche infinie et éperdue du même état de plaisir et empêche ainsi une relation de sujet à sujet. Elle tend à mettre les autres en position d’objets à son service2. Le refoulement de la castration se complait dans une relation imaginaire de sujet à objet. Une telle jouissance n’est pas acceptable socialement (répréhensible). Pour cette raison, elle est la plupart du temps refoulée (renvoie à l’interdit) pour permettre une vie sociale. 1.2. Une problématique de reconnaissance Pourtant, le symptôme peut être vu sous diverses formes et modalités déclinées, selon ce qu’il exprime, ce qu’il montre dans son rapport au réel. Toutes ses expressions ne sont pas égales entre elles. Par exemple, l’alcoolisme est considéré comme une maladie psychologique et sociale et se trouve donc globalement rejeté ou/et traité. En revanche, l’individu qui collectionne les timbres ou celui qui est l’objet d’une obsession moins nocive pour l’entourage, c’est-à-dire socialement tolérable3, n’encourra pas l’opprobre. Toutes ses déclinaisons du symptôme semblent toucher le sujet dans sa double quête de reconnaissance et d’expression de sa souffrance. S’il est vrai que l’idée de sens à construire a souvent été mise en avant par les recherches en sciences de l’éducation, la question de la reconnaissance du sujet nous semble liée à la construction de sens. Se peut-il que la reconnaissance du sujet se réduise à la reconnaissance de son symptôme ? A cette question pourrait être objectée l’idée de suppression du symptôme par la thérapie brève. S’il est établi que le symptôme est supprimé, l’individu ne cesse pas cependant de vivre. Ceci ne contredit pas pour autant notre questionnement. Bien au contraire, la suppression n’interdit pas le déplacement du symptôme4, c’est-à-dire qu’il peut prendre une autre forme, moins gênante pour l’interaction, ou du moins plus discrète. La vie d’un sujet qui ne représente apparemment pas un danger pour lui-même ni pour autrui n’interdit pas non plus la possibilité 2 En épistémologie génétique, les travaux de Piaget ont montré que le bébé utilise des conduites de détours (signe d’intelligence) pour parvenir à ses fins. La mère est utilisée en tant qu’objet (d’amour) pour la satisfaction de ses besoins. 3 On peut envisager des modalités qui s’exercent dans divers catégories du réel, tels que le rapport au savoir, le travail, la famille…, bref tout ce à quoi l’individu peut consacrer du temps. 4 Peut-être s’agit-il du patient qui déplace son symptôme et le fait changer de forme. L’idée de déplacement tient au fait que le symptôme peut investir une autre facette de la vie du patient. 4 d’expression du symptôme. Il peut s’agir comme nous l’avons dit d’un symptôme plus socialement acceptable, mais il peut aussi s’agir d’une succession d’assujettissements à des activités, qui peuvent même sembler ne pas avoir de liens entre elles5. Dans cette perspective, tout sujet vivant charrie ses obsessions et donc ses propres symptômes 6 plus ou moins dérangeant pour la société. En l’occurrence, de grands écrivains et artistes ont fondé leurs œuvres sur et à partir de leur symptôme. La différence se situe ici dans l’idée que ces humains ont suivi l’inspiration que leur conférait le symptôme et l’ont pleinement assumé à travers des formes sublimées7, sans que ce dernier change forcément de domaine d’expression (peinture, sculpture…). Dans cette autre façon de considérer le sujet, il s’agirait d’assumer que le symptôme signe le manque qui le constitue en tant que sujet parlant (et communiquant). En prenant une forme socialement acceptable ou du moins tolérable, il offre au sujet la possibilité de travailler à sa reconnaissance d’être inachevé. 2. Peut-on jouir socialement ? 2.1. Des symptômes socialement acceptables La jouissance est socialement condamnable, en partie parce que notre société est imprégnée, irriguée par la morale judéo-chrétienne8. Pourtant, on peut se demander si la jouissance n’existe pas en prenant des formes socialement plus acceptables. Aller sur la lune, par exemple, si noble que fût un tel défi, n’en est pas moins l’expression d’une jouissance collective du prestige de conquête de l’homme sur la matière, tout en étant également une jouissance de la maîtrise d’une technologie. Aussi, ce qui la distingue, c’est la forme qu’elle prend, le contexte et la cause qu’elle sert, cause issue de l’appareil politique en place. Dans cette optique la jouissance tout comme le symptôme accède à un autre statut dès lors qu’il est partageable par convenance sociale. On pourrait donc jouir à plusieurs, ce qui n’invalide pas pour autant l’idée d’isolement. Au contraire, le pouvoir lié à la constitution d’un ordre procède également d’un isolement. Bachelard (1986) le pensait lorsqu’il disait qu’une communauté scientifique se développe en rupture avec le sens commun tout en protégeant ses principes et théories des disciplines extérieures. Ce passage du symptôme comme jouissance isolé à une forme socialement partagée ouvre un questionnement sur le symbole. A la dimension imaginaire du petit autre de Lacan, conscience moïque isolée 5 Par exemple, passer d’une obsession de la maîtrise d’une langue étrangère au culte du corps comme symptôme, à interpréter pour devenir signifiant pour le sujet. 6 Là où le symptôme peut se voir, l’obsession se vit davantage de l’intérieur, ce qui peut faire du symptôme une manifestation comportementale de l’obsession. L’obsession est un symptôme et, en tant que tel, il constitue un signe qui demande à être interprété. 7 Le symptôme pourrait ainsi être assumé dès lors qu’il est reconnu socialement. La sublimation qui fait appel à la transcendance, est un des trois principaux destins de la pulsion que sont le refoulement, la sublimation et le fantasme, selon Freud (Nasio, 2001). 8 Jouir est la plupart du temps considéré comme un pêché. 5 jouissant dans son monde propre, s’articule la dimension symbolique du grand Autre (Lacan, 1966), sujet relié socialement, culturellement par le langage. Le symptôme dans son évolution vers le social impliquerait alors un changement. Aussi, peut-on se demander si la socialisation n’implique pas de reconsidérer le symptôme originel comme forme dérivée plutôt que son évincement par le social. Le symptôme, dans ses multiples expressions présente un intérêt, fût-il foncièrement stratégique9. 2.2. La fonction sociale du langage Ces propos ne sont pas incompatibles avec l’acceptation de la castration du sujet pour assumer le manque dans la théorie psychanalytique. Seulement, il convient de considérer que le langage permet l’accès au symbolique en provoquant le manque. Le symptôme peut être lu comme l’expression d’un manque qui n’est pas assumé par le sujet. Pour cette raison, le symptôme enferme ce dernier dans la répétition10 et le paradoxe, paradoxe tout à la fois rassurant parce qu’il infantilise en interdisant le changement, mais aussi angoissant parce qu’il empêche d’aller vers un ailleurs. Dire le manque peut permettre de faire évoluer la situation et le symptôme. Mais il est difficile d’affirmer que ce dernier soit totalement supprimé. Il l’est en apparence. En revanche, parler le symptôme, lui-même signifiant du manque, peut permettre au sujet de sortir progressivement de sa position, voire de sa place d’enfant pour grandir. Aussi, faire ce travail à sa place dans la thérapie brève lui permet peut-être de se sentir mieux, mais ne lui redonne pas une position d’adulte assumant ses manques. C’est là une limite de la thérapie brève. La réflexivité dont le patient aurait besoin pour sortir du paradoxe et guérir du symptôme ne lui est pas permise. La thérapie brève semble confisquer cette réflexivité, elle en fait une propriété de son dispositif. En fait, on ne sait pas ce qui se passe exactement dans la tête du patient. Il est vrai qu’elle s’adresse à des cas d’urgence et constitue souvent la dernière chance pour le patient qui a déjà, semble-t-il, tout tenté. Il y a donc consentement de ce dernier et légitimité à intervenir pour le thérapeute. Dans l’approche clinique, travailler sur le symptôme comme signifiant semble impliquer un remaniement de ce dernier vers une autre forme par l’entremise du langage ou d’autres formes d’expressions. Les apports de la linguistique ont montré que dans l’énoncé se reflète le fait de son énonciation (Récanati, 1979). Exprimer le manque via le symptôme introduit une réflexivité, dont la teneur est faite de culture, de symboles grâce au langage ou à d’autres formes esthétiques11. Le symptôme, expression visible du manque peut s’assumer dans son énonciation vers une reconnaissance, parce qu’il peut aussi signifier ce qui me distingue d’autrui et ce qui mérite d’être travaillé par moi-même. 9 Le sport par exemple renvoie à un imaginaire mis au service du contrôle social politique (Ardoino, Bröhm, 1991). 10 C’est un des avatars de la pulsion de mort en tant qu’elle revient au même, au non-changement, contrairement à la vie qui est non seulement répétition nécessaire, mais aussi variations. 11 Si l’esthétique fait appel à la réflexivité, l’hypothèse selon laquelle plus la réflexivité est forte, plus le sens de l’esthétique est aigu et développé, ne semble pas déplacée. 6 C’est alors considérer que le sujet se construit avec, autour du manque, faisant du symptôme sa partie visible, mais partageable avec autrui12 dans son expressivité. A défaut, il peut isoler et couper des autres. 3. Un dispositif qui privilégie l’efficacité des résultats Il est important de resituer la constitution du modèle systémique dans le contexte des années 60-70, période pendant laquelle la modernisation du travail et des technologies était florissante et ne rencontrait pas de problème majeur sur son propre terrain. Comparé aux autres conflits territoriaux plus familiers des pouvoirs en place, le modèle systémique en s’appuyant sur le modèle cybernétique, renforçait sa position dans le ciel des idées sans pour autant générer d’hégémonie. Elle a bien sûr évolué vers un modèle plus complexe en flirtant même avec la pensée complexe. Si le contexte a peu changé depuis les années 60-70, la visée praxéologique semble toujours faire partie du modèle tant elle devient primordiale à l’ère de la mondialisation. L’école de Palo Alto et la thérapie brève semblent en avoir quelque peu héritée. Qu’impliquerait donc de fâcheux une visée d’efficacité ? La critique qui peut être faite à la thérapie brève a partie liée avec sa visée praxéologique. Eliminer ou déplacer le symptôme revient à résoudre un problème. Cette résolution, si elle soulage le patient dans ses interactions, fait l’économie d’un travail sur soi (Vial, 1996) en conférant au patient une position de client, de consommateur, voire d’enfant. Une telle approche ne présente rien de très dérangeant dans le cadre de la vie privée (encore que), mais pose question dès lors qu’il s’agit de la sphère professionnelle et de la formation d’adultes. Nous avons brièvement évoqué les principes théoriques de la thérapie brève, mais si l’on considère un autre point de vue sur le symptôme, notamment plus clinique, il apparaît que sa suppression par cette dernière renvoie indirectement à un travail de normalisation opéré par le thérapeute. En ce sens, supprimer le symptôme reviendrait à « couper ce qui dépasse », ce qui déborde le sujet. Bien entendu, le sujet est d’abord patient, il souffre, ce qui légitime l’intervention 13 du thérapeutique pour mettre fin à la tourmente. Pourtant, hors de la vie privée, la souffrance au travail existe belle et bien et mériterait tout autant l’intervention d’un thérapeute. Or, la plupart du temps, l’usure professionnelle est intervenue avant le thérapeute. 4. Le pouvoir de l’intervention en thérapie brève 4.1. L’intervention comportements comme 12 régularisation des Cette réflexion ouvre un questionnement initialisé par l’école de Palo Alto entre le normal et le pathologique, relativisant ainsi ces deux statuts disjonctifs, à partir du moment où ces deux qualificatifs sont regardés d’un point de vue anthropologique dans l’histoire des idées. 13 Le terme est tout à fait à propos, si l’on considère l’intervention sur son versant chirurgical allant jusqu’à l’amputation. 7 Le dispositif mis en place par l’école de Palo Alto met en scène une supervision du thérapeute en interaction avec le patient. Or, cette supervision a souvent consisté à placer d’autres chercheurs derrière une vitre sans tain, de façon à ne pas être vu du patient. Si ce dispositif repose sur un principe de bienveillance, il pose néanmoins un problème éthique. Il s’inscrit en ligne directe avec la pédagogie par les objectifs dans la mesure où la fin justifie les moyens. La thérapie dissimule sa structure de manière à maîtriser le cours des événements. Ceci permet au thérapeute un travail de régulation qui le préserve du risque d’enfermement lié à la situation paradoxale du patient. La fin de la thérapie qui correspond à la disparition du symptôme, semble-t-il, peut aussi être interprétée comme un travail de régularisation du comportement, une rationalisation permettant au patient de rentrer dans la norme. La décentration de la pathologie du patient sur l’interaction permet d’anticiper certains reproches et d’exercer une logique de résolution de problème, sans avoir à tenir compte de l’histoire du sujet et faire l’économie d’un questionnement sur les limites d’une telle approche. En effet, la thérapie brève n’en a pas besoin, comme l’illustre l’analogie du jeu d’échecs (Watzlawick, Weakland, Fisch, 1975), il suffit de connaître les règles de l’interaction et de la communication pour contrer les effets du symptôme et sortir du paradoxe. L’important est ici que l’individu redevienne fonctionnel, opérationnel et sociable. Sur un plan politique, il s’agit alors de contrôle social. 4.2. Les limites de l’intervention en thérapie brève Le dispositif constitue un milieu protégé et artificiel. Il représente un cas particulier de la relation que le patient ne retrouvera pas dans sa vie quotidienne. Ceci constitue une limite expérimentale, car la technique de la position méta s’est toujours située du côté du dispositif et non du côté du patient. C’est par l’aide et la facilitation que ce dernier a pu éventuellement se réapproprier une part de réflexivité dans l’aprèscoup. Dans la thérapie brève, la technique « méta » n’est pas autre chose qu’une réflexivité assujettie à une logique mathématique qui comporte plusieurs degrés (niveaux de réflexivité). Pour la rendre intelligible et opératoire, les chercheurs la figent en niveaux de communication alors que cette dernière semble davantage relever d’un mouvement et d’un processus. En revanche, aucune réflexion sur l’appropriation d’une telle technique par un patient n’a pu être envisagée, semble-t-il. En cela, une réflexion sur le pouvoir allant de pair avec la constitution d’une telle élaboration scientifique (Stengers, Schlanger, 1988) n’a pas été menée. La place du thérapeute peut d’abord être questionnée du point de vue du pouvoir tu. L’argument consistant à dire que ce n’est pas le patient qui dysfonctionne mais la communication relationnelle, a certes une légitimité pour sortir d’un sens commun cherchant souvent un coupable, mais mérite tout de même certaines critiques, notamment celle d’évacuer la question. Cela semble commode, particulièrement lorsque cela confère un certain prestige et facilite la diffusion, mais c’est faire l’impasse sur les implications politiques du modèle. 5. Les limites d’une approche synchronique 8 5.1. Le paradoxe et le politique On peut remarquer à travers l’histoire des idées, que le paradoxe peut être aussi lu comme un point limite avant la rupture d’un système. En cela, les paradoxes sont autant de signes avant-coureurs des limites d’une approche, d’une façon de voir les choses. Ils évoquent le concept de dépassement sartrien : l’humain contient ce qui le détermine et les conditions de son propre dépassement. Le problème du paradoxe est que le système ne peut que se détruire en l’assumant, puisque l’acceptation de la remise en cause des limites du système par le paradoxe implique la destruction des principes qui constitue le système, il s’auto-détruit en quelque sorte. Lorsque l’école de Palo Alto pense le paradoxe comme confusion des niveaux de communication, elle le situe encore du côté d’une approche pragmatique résolument praxéologique, parce qu’elle limite son élaboration théorique à la dimension comportementale. Elle fait l’économie d’une réflexion diachronique sur le politique. Diachronie et synchronie désignent les deux points de vue selon lesquels on peut étudier un objet ou un domaine en fonction du temps : une vue synchronique le montrera dans ses relations à d’autres événements ou structures à un instant donné, tandis qu’une vue diachronique en retracera l’évolution antérieure ou postérieure (Durozoi, Roussel, 1997, p. 109). L’hypothèse selon laquelle cette approche en serait directement issue pourrait même être soulevée, car elle semble assujettie aux modèles de pensée dominant privilégiant l’efficacité. Sa portée est donc effective au sein d’une conception du monde, d’une visée politique. La transposition des principes de la thérapie brève peut servir d’instrument à l’appareil politique. Mais sa portée est en même temps limitée à servir une politique dont la visée principale est l’amélioration des pratiques. 5.2. Un dispositif à interroger hors de la thérapie En omettant l’aspect politique d’une telle approche dans ses nombreuses applications hors du champ de la thérapie comportementale d’origine, les chercheurs, psychothérapeutes, formateurs, enseignants, éducateurs et autres professionnels de la relation éducative s’exposent à une dérive idéologique, d’abord vis à vis d’eux-mêmes : ne pas reconnaître le pouvoir de la place de l’intervenant, c’est justement se soustraire à la critique et jouir d’un prestige et d’une popularité entretenus par cette illusion. Mais, c’est aussi se leurrer vis-à-vis de l’utilité du dispositif qui, s’il n’est pas questionné peut être réduit à sa fonction thérapeutique, de soulagement ou d’aide, alors qu’il contribue à promouvoir implicitement une approche éducative consistant davantage à nourrir qu’à faire sortir de. En ce sens, les principes en question relèvent davantage du guidage que de l’accompagnement. Privilégier une telle approche limite l’émancipation d’un sujet, parce que le contrôle est beaucoup trop important pour lui permettre de s’émanciper. Les risques sont ici limités, le sujet est protégé, ce qui laisse peu de place à l’initiative. Si le dispositif-type de la thérapie brève est orienté vers la 9 résolution de problème et sous-tendu par un critère politique d’efficacité, sa transposition au domaine de la formation professionnelle d’adultes mériterait donc quelques aménagements par rapport au public et au projet professionnel ou de formation14. C’est d’autant plus dommage qu’une telle prise en compte permettrait peut-être de relier cette élaboration à visée praxéologique à une approche plus problématologique (Meyer, 1986) pour fonder un complexe complémentaire, c’est-à-dire faire que ce qui manque à l’une des approches se retrouve dans l’autre et réciproquement. 6. Une question de posture 6.1. Quel positionnement choisir pour appréhender un problème ? Dans la pratique éducative, un problème peut être résolu, travaillé ou les deux, voire aucun des deux15. Mais, si certains problèmes peuvent trouver rapidement une réponse, ce n’est pas toujours le cas. Dans certaines circonstances, ils doivent faire l’objet d’une réflexion, d’un processus de problématisation (Fabre, 1999), ce qui implique un ajournement de la réponse (Menccaci, 2003). Par ailleurs, si cette dernière apparaît clairement pour l’encadrant, l’éducateur, l’enseignant, le soignant…, ce n’est peut être pas le cas du côté de l’éduqué, l’élève, le patient… Le pouvoir est bien du côté de l’intervenant, celui-ci est en possession d’un savoir, de compétences lui permettant d’influer sur le devenir d’autrui. Or, la question est de savoir comment se positionner professionnellement par rapport à cela, sachant que ma façon d’intervenir peut faciliter ou empêcher le questionnement. Quelle posture adopter et en fonction de quels critères ? A quels moments16 convient-il de privilégier une logique de résolution de problème plutôt qu’une logique de problématisation17 ? Il semble que deux façons de considérer un problème 18 se dégagent à travers deux points de vue impliquant deux postures (Mencacci, 2003, p. 81). 6.2. Problématiser et résoudre : deux façons de prendre un problème 14 La même remarque peut être faite pour une approche clinique. Le moment n’est pas propice à l’une ou l’autre des réponses (résolution ou problématisation). Le problème nécessite d’être différé. 16 Le moment est une « courte tranche temporelle dans laquelle quelque chose d’important, d’essentiel pour le futur arrive » (Stern, 2000, p. 74). 17 La problématisation est un « problème pour lequel il n’existe pas de corpus de savoirs et de lois générales permettant une réponse exempte de questionnement » (Mencacci, 2003, p. 485). 18 Le mot problème contient quatre réseaux sémantiques : la question posée impliquant le débat et la controverse ; l’initiative du projet ; l’obstacle, la protection ; et enfin la saillance, le promontoire. De cela peut être extrait deux points de vue indissociables, complémentaires et contradictoires à propos du problème (Mencacci, 2003). 15 10 La première est représentative de la conception de l’école de Palo Alto et de la thérapie brève. Il tend à faire figurer spatialement 19 le problème en le considérant comme un obstacle, l’externalisant du même coup en le rendant observable. Ceci permet de le rationaliser en menant un travail d’identification, de catégorisation, de classements, de stratégies, etc. dans un temps chronologique en vue de prévoir (Danino, 1999), évacuant ainsi l’histoire du sujet. Cette conception sera plus appropriée à une logique de résolution de problèmes. L’autre conception, au contraire, prend en compte l’histoire d’un sujet inscrit dans une temporalité-durée (Ardoino, 2000). Le problème est ici interprétable en fonction du vécu du sujet et mérite donc de se pencher sur son histoire, altérité nécessaire pour comprendre ce qui lui pose problème. Cette conception se centrera davantage du côté d’une problématisation20 en tant que processus nécessitant une maturation du sujet. Ces deux logiques semblent nécessaires dans la pratique professionnelle car elles sont étroitement mêlées. Il s’agit en fait, de deux paradigmes distincts, qui renvoient à deux postures professionnelles. La première posture engendre une logique apocritique alors que la deuxième perpétue une logique problématologique21 (Meyer, 1986). Aucune n’est supérieure à l’autre. Elles sont contradictoires l’une par rapport à l’autre. Chaque situation peut être abordée de l’une ou de l’autre de ces postures. Encore importe-t-il de les reconnaître, parce qu’une telle approche peut permettre d’éviter : -De les confondre. -D’ignorer l’une ou l’autre et se trouver dans l’exclusivité. -D’utiliser l’une quand l’autre est appropriée. Chaque situation peut être abordée de l’une ou de l’autre façon. La difficulté professionnelle consiste à se demander quelle posture adopter et au nom de quoi tel type d’intervention est plus légitime qu’un autre. Ce questionnement à la portée éthique est le cœur du projet, quel qu’il soit22. 7. Une problématique de repérage : situer la thérapie brève et la psychanalyse 19 « Le problème ne naît pas dans le vide mais dans un espace », il constitue « le contexte fixé […] par l’ensemble des règles […] et l’interprétation qui en est faite » (Andler, 1987, p. 123). 20 Il s’agit de mettre en tension des idées qui ne vont pas ensemble naturellement, de relier deux contraires et d’essayer de les faire tenir ensemble (Eymard, Thuilier, Vial, 2004). 21 Une logique apocritique (Menccaci, 2003, p. 131) réduit les possibilités de questionnements des sujets alors qu’une réponse problématologique l’alimente en questionnant le questionnement (Meyer, 1986, p 41). 22 Le statut de l’erreur diffère selon le champ d’intervention, la pratique, le public, mais aussi le contexte et la vision du sujet, il ne va pas de soi. Derrière tout projet ou toute élaboration théorique se pose la question des visées politiques sous-jacentes. 11 Le tableau qui suit distingue et synthétise le débat ouvert sur le statut du symptôme et ses enjeux. Précisons qu’il s’agit de tendances, de dominantes, ce qui ne peut constituer une taxonomie, mais un tableau de repérages des caractéristiques propres à chacune des approches. Prendre la thérapie brève et la psychanalyse pour les insérer dans un tableau est bien sûr schématique, réducteur et dichotomique, mais nécessaire pour les situer. Convenons que l’une comme l’autre ne sont pas emblématiques ni homogènes, mais qu’elles recèlent à l’intérieur d’ellesmêmes des divergences et divers positionnements qui ne sont pas évoqués ici. Par ailleurs, elles ont évolué. Il est néanmoins d’à propos de rappeler de telles approches car elles semblent représentatives d’un positionnement professionnel toujours d’actualité et d’un choix postural à prendre au sérieux tant dans ses conséquences pratiques que philosophiques. Champ Thérapie brève Psychanalyse Positionnement Symptôme à supprimer, vivre sans Symptôme à travailler, vivre avec Logique Résolution Problématisation Réponse Apocritique Problématologique Critère Efficacité Pertinence Fonction Normalisation, régularisation Emancipation, régulation Visée du projet Contrôle, guidage, aide Accompagnement Moyen Recadrage « méta » Transfert Centration Ici-et-maintenant Vécu Situation Urgence Elucidation Tableau 1 Deux statuts contradictoires pour le symptôme ? 8. Des implications praxéologiques derrière chaque projet 8.1. Questionner les visées du projet La construction de la problématique concernant la reconnaissance et le maniement de la contradiction peut sembler faire fi des implications praxéologiques. L’élaboration d’un modèle théorique qui supporte des points de vue contradictoires et qui se sert des divergences en s’ouvrant à la multiplicité des regards implique dans un premier temps de se doter d’une culture professionnelle suffisamment 12 large, afin de ne pas réduire l’objet de ses préoccupations à la volonté d’un seul ou à un pseudo-consensus qui voudrait faire croire que chacun des acteurs place les mêmes enjeux et aspire aux mêmes visées d’un projet alimentant la praxis éducative. Rien n’est moins vrai d’un point de vue pluriel. Si les divergences sont gommées, c’est parce qu’elles risquent d’amener l’individu-acteur-sujet à s’exposer par l’intermédiaire des savoirs qu’il expose (Moles, 1995). Ainsi, faire l’économie d’un travail sur les visées du projet (Ardoino, 1978) revient à faire comme si chaque professionnel était animé d’un désir semblable, niant par là-même la part irréductible d’intentionnalité (Honoré, 1990) en risquant d’enfermer la pratique dans une approche fonctionnaliste ou une pédagogie par les objectifs. Ces deux modèles de pensée ne sont pas forcément les plus pertinents dans tous les cas, mais semblent correspondre aux nécessités d’un projet politique délibérément praxéologique. Ils sont peut-être plus facilement accessibles et pérennisables parce qu’ils se donnent plus facilement à voir et offrent une certaine tranquillité d’esprit par le mesurable et le quantifiable de leurs effets. Pourtant, de nombreux projets se voient avorter faute d’entente ou parce ce dernier n’est plus suffisamment fédérateur pour le groupe. C’est dans ces moments-là que les conflits et les malentendus surviennent alors que l’on croyait justement les avoir évités en mettant de côté le travail sur les implications (Vial, 1997). En souhaitant gagner du temps pour mettre en place un projet permettant d’atteindre des objectifs, une étape capitale à été supprimée. 8.2. Les contradictions des points de vue On peut donc reprocher à notre élaboration théorique de couper les cheveux en quatre et de s’éloigner des préoccupations pratiques en réintroduisant la nécessité d’un temps pour le débat et la confrontation d’idées allant de pair. Pourtant, la praxéologie, si elle ne semble pas directement abordée est bien présente, parce qu’il est supposé ici que l’amélioration de la pratique ne peut se faire qu’au prix d’un tel effort23. Il est tenté de relier contradiction et problématisation. Problématiser est bien sûr construire un problème, mais c’est aussi prendre en compte différents points de vue sur le dit-problème ou sur une question qui touche la pratique, sachant qu’ils peuvent être contradictoires. Permettre la contradiction, c’est considérer le problème depuis plusieurs points de vue à des moments différents et se servir de chacun d’eux pour avancer dans la question. Et, c’est ensuite faire un choix en connaissance de cause, c’est-à-dire connaître les implications du choix, savoir à quoi s’en tenir du point de vue des intérêts comme des limites. Ceci nécessite un débat. A l’issue de ce débat, si issue il y a, le choix effectué ne sera pas le fruit d’un consensus vide, mais d’un consensus négocié porteur de contradictions à assumer. Le choix renvoie ici à une option déterminée en fonction d’une hiérarchisation des priorités (une évaluation), sachant qu’elle ne convient pas forcément à tout le monde. 9. Accueillir des points de vue contraires dans la pratique professionnelle 23 Ce travail sur soi implique un travail des valeurs, la découverte de la pluralité des points de vue et ce que Michel Vial (2000) a appelé la référenciation. 13 9.1. L’expression du rapport aux valeurs contre le malentendu L’intérêt d’un tel travail lorsqu’il s’agit d’équipe, est que les professionnels en exprimant leur rapport singulier aux valeurs apprennent à se connaître et peuvent ainsi appréhender la teneur des relations comprenant la dimension comportementale sans la réduire à cette dernière, parce qu’elle est reliée à un travail des valeurs. Ceci amène les professionnels à se situer eux-mêmes ainsi qu’autrui. Par exemple, le respect ne restera plus le terme consensuel et abstrait sur lequel chacun s’entend préalablement sans chercher à dire ce qu’il représente pour soi. C’est encore vouloir faire l’économie d’un travail sur les valeurs (et sur soi). Pourtant, la valeur respect est éminemment plurielle et polémique. Elle peut s’incarner dans le rapport à l’hygiène, autant que dans l’esthétique, la politesse, la ponctualité, l’écoute, ou encore le discours.24 Aussi, le parler revient à dire de quelle façon chacun l’entend et comment il le hiérarchise par rapport à un autre. Dans la pratique éducative, cela peut aider à comprendre pourquoi un professionnel rencontre certaines difficultés d’intervention ou adopte certains comportements. Il ne s’agit plus de mauvaise volonté ou autres réactions. La difficulté peut provenir d’un très grand écart entre deux sujets à propos du rapport à une valeur. Pour exemple, si le rapport à l’hygiène est très développé, important, primordial pour une personne et tout le contraire pour une autre, il est fort à parier que cet écart risque de jouer négativement dans la relation et l’interaction (comme un repoussoir). 9.2. Sortir de l’implicite à propos des problèmes A partir du moment où ce rapport singulier à l’hygiène a fait l’objet d’un travail de conscientisation et d’échange, il peut être appréhendé au lieu d’insinuer la relation et diffuser un malentendu plus ou moins partagé25. La communication implique une dimension polémique (Ardoino, 1988), mais n’interdit pas pour autant d’aborder cette dimension26. L’ignorance du contradictoire, du potentiellement paradoxal, de l’incohérent et des multiples facettes et niveaux de lectures en jeu engendre une réduction et une simplification des problèmes. L’urgence d’une solution à trouver semble justifier cette décision. C’est dans l’après-coup que d’autres difficultés apparaissent, sans que les acteurs aient forcément conscience qu’elles sont le fruit de leur précipitation. 24 Tous ces éléments sont eux-mêmes déclinables. Derrière l’écoute se manifestent des attitudes et des règles sociales et idéales (elles peuvent être transgressées) : regarder le locuteur, ne pas couper la parole, répondre à une question qui vous est posée, etc. 25 Le rapport à l’hygiène n’est qu’un aspect parmi d’autres difficultés. Nous pourrions citer plus globalement le rapport à la norme et la violence symbolique qui en émane. 26 Les adeptes de l’école de Palo Alto diraient ici méta-communiquer. 14 10. Débattre en formation professionnelle 10.1. Accueillir la multiplicité des points de vue en formation La formation professionnelle et continue peut servir à appréhender la multiplicité des points de vue en question dans la pratique. Prendre en compte différents points de vue ne doit pas laisser entendre que tous ont la même valeur. Ce serait prôner implicitement un relativisme peu constructif. Au contraire, les débats et les hiérarchisations issues de la pratique peuvent déboucher sur une amélioration de cette dernière, lorsque la réflexivité permet de se dégager d’une doctrine représentationaliste (Récanati, 1979), ou d’un idéalisme trop abstrait. Pour cela, la formation suppose d’être un lieu où se pratique la diversité et l’échange comme faisant partie du projet de formation. Former les gens à appréhender la multiplicité des points de vue peut favoriser le processus de problématisation via le maniement de la contradiction nécessaire à l’articulation pratico-théorique. Voici notre hypothèse. Pourquoi ? 10.2. Un travail du problème en creux Les implications d’un maniement de la contradiction relèvent également de préoccupations praxéologiques. L’idée ici est de concevoir qu’une question ou une situation puisse aussi se travailler en creux. Les mécanismes de l’efficacité se travaillent aussi dans un paradigme dont ils ne se reconnaissent pas. Ce n’est pas en se centrant uniquement sur l’efficacité que la pratique s’améliorera forcément. L’important est de ne pas renier la position contraire. Se tenir dans l’exclusivité provoquerait une fermeture idéologique qui conduirait à un appauvrissement conceptuel. Le paradoxe ici se présente au point limite, à l’entre-deux, entre inertie et destruction du système. Donc, travailler pour l’efficacité, peut se faire aussi indirectement, même si cela ne se présente pas comme tel. C’est en quelque sorte accepter de perdre du temps pour en gagner par la suite. C’est relier par la contradiction deux postures complémentaires qui travaillent le problème à leur manière. Par ailleurs, l’apparente absence de l’une au profit de l’autre n’en est pas moins présente et effective, parce que le professionnel a construit cette posture en intériorisant son contraire et il peut basculer ainsi au moment opportun vers cette autre façon de prendre le problème en situation. Conclusion La communication est un thème qui traverse de nombreux champs. Chaque discipline élabore ses propres concepts, les théorise et les diffuse à partir d’un point de vue. Aborder ce thème d’un point de vue pluriel est une occasion pour tenter de ne pas tomber dans la simple opposition ou le parti pris. En partant d’une différence d’approche sur le statut du symptôme, un des enjeux était de situer comment la thérapie brève et la psychanalyse s’en saisissaient pour le mettre en mouvement à 15 leur manière et comment de telles approches pouvaient être interprétées par les sciences de l’éducation, en particulier dans le champ de la professionnalisation. Un autre enjeu portait, quant à lui, sur une possible complémentarité entre les approches. Les champs de la thérapie brève et de la psychanalyse ne sont, à ce titre, qu’un exemple parmi d’autres. A travers cela a été posée la question du pouvoir et des limites de toute approche ainsi que les enjeux politiques sous-jacents. Mettre en tension deux conceptions peut permettre une avancée du questionnement, parce que la rencontre de leurs contradictions les amène à appréhender leurs portées et limites pour une professionnalisation, tout en dégageant une possible complémentarité potentiellement heuristique. 16 Bibliographie : Andler, D. (1987). Problème, une clé universelle ? In I. Stengers & J. Schlanger, D’une science à l’autre, Des concepts nomades (pp. 119159). Paris : Editions du Seuil. Ardoino, J. (1978). Propos actuels sur l’éducation. Paris : Bordas, 6ème édition. Ardoino, J. (1988). Logique communication. Pour, n° 114. de l’information, stratégies de la Ardoino, J. (2000). Les avatars de l’éducation. Paris : Éducation et formation. Ardoino, J. Bröhm, J. M. (1991). Repères et jalons pour une intelligence critique du phénomène sportif contemporain. Actes du colloque international francophone, 19-20 avril 1991 : Anthropologie du sport Perspectives critiques (pp. 153-174). Paris-Sorbonne. Bachelard, G. 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