Article original Ann Biol Clin 2012 ; 70 (2) : 199-206 Risque d’hyperthyroïdie dans une population de fumeurs tunisiens Risk of hyperthyroidism in a Tunisian population of smokers Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Dhouha Haj Mouhamed1,2 Asma Ezzaher1,2 Fadoua Neffati1 Wahiba Douki1,2 Lotfi Gaha2 Mohamed Fadhel Najjar1 1 Laboratoire de biochimie-toxicologie, Hôpital universitaire Fattouma Bourguiba, Monastir, Tunisie 2 Laboratoire “vulnérabilité aux psychoses”, Service de psychiatrie, Hôpital Universitaire Fattouma Bourguiba, Monastir, Tunisie <[email protected]> Résumé. Objectifs : Étudier les effets du tabac sur les concentrations de la TSH et la FT4, la variation de ces concentrations selon les caractéristiques de la consommation (nombre de cigarettes fumées/j et ancienneté de l’exposition/an) et leurs associations avec les deux marqueurs biologiques du tabagisme (cotininurie et thiocyanates plasmatiques (SCN- )). Matériel et méthodes : Notre étude a concerné 162 fumeurs (F), 27 anciens fumeurs (AF) et 111 non-fumeurs (NF) âgés respectivement de 35,4 ± 16 ; 31,6 ± 1,8 et 38,0 ± 14,6 ans. La TSH et la FT4 ont été déterminées par électrochimiluminescence, la cotininurie par immunoenzymologie et les thiocyanates par électrode sélective. Résultats : Une diminution significative de la TSH et une augmentation progressive de la FT4 en fonction du statut tabagique ont été notées avant et après ajustement. La TSH est significativement plus basse et la FT4 significativement plus élevée chez les F et AF par rapport aux NF. La TSH était significativement plus basse chez les sujets fumant plus de 40 cigarettes/j par rapport à ceux fumant moins de 20. Elle était également significativement plus basse chez les F dont le tabagisme datait de plus de 5 ans par rapport à ceux fumant depuis moins de 5 ans. La cotininurie et les thiocyanates présentent une corrélation négative avec la TSH et une corrélation positive avec la FT4. Conclusion : Chez les F, les variations de la FT4 et de la TSH reflètent un risque d’hyperthyroïdie plus élevé, et sont étroitement corrélées aux caractéristiques de la consommation. De plus, l’arrêt du tabac peut entraîner de légères réductions de la FT4 et des augmentations de la TSH, par conséquent des effets réversibles du tabac sur la thyroïde. doi:10.1684/abc.2012.0689 Mots clés : tabac, fonction thyroïdienne, cotinine, thiocyanates Article reçu le 30 juillet 2011, accepté le 27 octobre 2011 Tirés à part : D. Haj Mouhamed Abstract. Objectives: This study aimed to examine the effect of cigarette smoking on thyroid function especially TSH and FT4 levels and to determine the correlation between these parameters and the biological tobacco markers: plasma thiocyanate and cotininuria. Methods: The initial study was conducted on 300 voluntary subjects, 162 current smokers, 27 former smokers and 111 nonsmokers aged respectively 35.4±16.1, 31.6±1.8 and 38.0±14.6 years. TSH and FT4 levels were determined using electrochemiluminescence, cotinine by homogenous enzymes immunoassay and thiocyanate by selective electrode. Results: Before and after adjustment for potentials confounder factors, we found a significant decrease of TSH and a significant increase of FT4 levels according to smoking status. In current and former smokers, we found significant decrease in TSH and increase in FT4 levels compared to nonsmokers. Moreover, we noted a significant decrease of TSH levels in subjects smoking more than 40 cigarettes/day compared to those smoking less than 20 cigarettes/day. Additionally, TSH levels were significantly reduced in subjects smoking more than 5 years compared to those who smoked < 5 years. In smokers, cotininuria and plasma thiocyanates presented a negative correlation with TSH and a positive correlation with FT4 levels. Conclusion: cigarette smoking is associated to Pour citer cet article : Haj Mouhamed D, Ezzaher A, Neffati F, Douki W, Gaha L, Najjar MF. Risque d’hyperthyroïdie dans une population de fumeurs tunisiens. Ann Biol Clin 2012 ; 70(2) : 199-206 doi:10.1684/abc.2012.0689 199 Article original perturbations in FT4 and TSH levels, these perturbations were strongly correlated with smoking status parameters. The associations with smoking cessation suggest that smoking may have reversible effects on thyroid function. Therefore, it is recommended to stop or reduce smoking and to introduce testing of thyroid estimation as a routine test, especially in subjects at risk. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Key words: cigarettes smoking, thyroid function, cotinine, thiocyanates Le tabagisme est l’une des principales causes évitables de décès dans le monde. Chaque année, environ 4 millions de personnes décèdent en raison du tabagisme et on estime que le tabac entraîne environ 8,8 % des décès dans le monde. L’importance de ce problème de santé publique est croissante et les estimations suggèrent que presque 10 millions de personnes peuvent décéder de causes liées au tabac en 2025. Le tabagisme, à l’origine de pathologies graves, demeure un véritable problème de santé publique d’autant plus que cette toxicomanie touche de plus en plus les enfants et les adolescents avec des conséquences néfastes sur leur santé [1, 2]. Si les complications bronchopulmonaires et cardiovasculaires du tabagisme sont bien connues, d’autres effets du tabagisme le sont moins, notamment ceux qui touchent la thyroïde. Le tabac semble impliqué dans la survenue de diverses anomalies de la fonction et de la structure thyroïdiennes [3]. De multiples facteurs extrathyroïdiens peuvent influencer les tests de fonction thyroïdienne, comme la prise de certaines médications, l’âge ou d’autres affections. Les effets du tabagisme sur la fonction thyroïdienne ont fait l’objet de plusieurs travaux. Ces effets ont été décrits comme thyréostimulateurs ou comme antithyroïdiens, selon les conditions étudiées (chez le sujet normal ou en cas de pathologie thyroïdienne sous-jacente) [3]. En l’absence de pathologie thyroïdienne, les effets du tabagisme sur les tests thyroïdiens sont controversés [4, 5]. Notre travail avait pour objectif d’étudier les effets du tabac sur les concentrations plasmatiques de la TSH et de la FT4, la variation de ces concentrations selon les caractéristiques de la consommation (nombre de cigarettes fumées/j et ancienneté de l’exposition/an) et leurs associations avec les deux marqueurs biologiques du tabagisme (cotinine urinaire et thiocyanates plasmatiques (SCN-)). Population d’étude Notre étude a concerné 300 sujets volontaires dont 162 fumeurs âgés de 35,4 ± 16,1 ans, 27 anciens fumeurs âgés de 31,6 ± 1,8 et 111 non-fumeurs âgés de 38,0 ± 14,6 ans (tableau 1). Tous les sujets présentant des antécédents de diabète, de dyslipidémie, de pathologie cardiovasculaire et/ou de pathologie thyroïdienne ont été exclus de l’étude. Méthodes Recueil des données Les données ont été recueillies par le biais d’un questionnaire comportant divers renseignements à propos du sujet de l’étude : statut démographique (âge, sexe), tabagisme (âge à la première cigarette, quantité moyenne de tabac consommée, âge auquel les anciens fumeurs ont cessé de fumer), les pathologies liées à la consommation du tabac et les antécédents (alcoolisme, pathologies respiratoires, pathologies cardiovasculaires). Prélèvements Pour chaque sujet qui a consenti à participer à l’étude, 5 mL de sang ont été prélevés sur un tube contenant l’héparinate de lithium. Ces échantillons ont été apportés rapidement au laboratoire pour éviter toute détérioration et contamination extérieure, centrifugés à une vitesse de 2 000 g pendant 10 min, aliquotés et conservés à - 80 ◦ C jusqu’au moment de l’analyse. Dix mL d’urines ont été recueillis dans un flacon stérile sans conservateur. Tableau 1. Caractéristiques sociodémographiques de la population d’étude. Fumeurs n = 162 35,4 ± 16,1 Anciens fumeurs n = 27 31,6 ± 11,8 Non-fumeurs n = 111 38,0 ± 14,61 p 26,3 ± 4,5 0,6 2 25,6 ± 4,4 0,8 14 < 0,001 < 0,001 Oui 24,2 ± 3,2 8 37 Non 125 25 97 Age (ans) IMC (kg/m2 ) Sexe ratio (H/F) Consommation alcoolique 0,05 < 0,001 H : hommes ; F : femmes ; p Anova. 200 Ann Biol Clin, vol. 70, n◦ 2, mars-avril 2012 Risque d’hyperthyroïdie chez les fumeurs tunisiens Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Méthodes de dosage Cotinine urinaire La cotinine urinaire a été dosée par une technique immunoenzymatique en phase liquide homogène. Le dosage repose sur la compétition entre une enzyme, la glucose6-phosphate déshydrogénase (G6PDH) marquée par la cotinine et la cotinine libre de l’échantillon d’urine pour une quantité fixe de sites de liaisons spécifiques de l’anticorps. En l’absence de cotinine libre dans l’échantillon, la G6PDH marquée est fixée par l’anticorps spécifique et l’activité enzymatique est inhibée. Ce phénomène crée une relation directe entre la concentration de la cotinine dans l’urine et l’activité enzymatique. L’activité enzymatique de la G6PDH est déterminée par spectrophotométrie à 340 nm en mesurant sa capacité à convertir le nicotinamide adénine dinucléotide oxydé (NAD+ ) en NADH, H+ . Nous avons utilisé la trousse de dosage de la cotinine urinaire de Thermo Electron corporation (Réf : 981632). Thiocyanates plasmatiques Le dosage des thiocyanates plasmatiques a été réalisé par potentiométrie (Ionometer Seven Multi S80, Mettler Toledo, Schwerzenbach, Switzerland). L’ionomètre permet de convertir le potentiel de mesure (mV) développé entre une électrode spécifique et une électrode de référence à jonction double en une valeur de concentration. Dans cette étude, nous avons utilisé une méthode par ajout dosé qui consiste à mesurer le potentiel d’électrode d’un volume connu de l’échantillon à doser, à ajouter ensuite un petit volume de solution connue au volume de départ et à mesurer de nouveau le potentiel de l’électrode, ce qui permet d’obtenir la variation de potentiel (E). La concentration de l’échantillon est alors calculée à l’aide de l’équation suivante : Cu = Cs [Vs/(Vu + Vs)] [10E/S – (Vs/Vs + Vu)]-1 (Cu : concentration non connue ; Cs : concentration de la solution étalon ; Vs : volume de la solution étalon ; Vu : volume de la solution échantillon ; E : variation du potentiel en mV ; S : pente de l’électrode en mV). Hormones thyroïdiennes Les dosages de la TSH et de la FT4 ont été réalisés par électochimiluminescence sur Elecsys 2010TM (Roche Diagnostics). Les réactifs comprennent une phase solide constituée de microparticules magnétiques tapissées de streptavidine. Deux lots et deux étalonnages de chaque réactif ont été utilisés. Le dosage de la thyroxine libre (FT4) est aujourd’hui un élément essentiel du bilan d’exploration de la thyroïde. La FT4 est déterminée parallèlement à la TSH lors de présomption de dysfonctionnement thyroïdien. Le dosage de la TSH est un test très sensible et spécifique pour l’exploration de la thyroïde, il permet de dépister ou d’exclure précocement un Ann Biol Clin, vol. 70, n◦ 2, mars-avril 2012 dysfonctionnement du système de régulation au niveau de l’hypotalamus, de l’hypophyse ou de la thyroïde elle-même. Les résultats du dosage de la TSH et de la FT4 sont interprétés par rapport aux valeurs usuelles présentées ci-dessous : – Fonction thyroïdienne normale : FT4 : 9-16 ng/L et TSH : 0,25-0,4 mUI/L – Hyperthyroïdie : FT4 > 16 ng/L et/ou TSH < 0,25 mUI/L – Hypothyroïdie : FT4 < 9 ng/L et/ou TSH > 4 mUI/L Créatinine urinaire La créatinine urinaire (Cr) a été dosée par une méthode colorimétrique cinétique fondée sur la méthode de Jaffé, par la formation d’un complexe jaune orangé avec l’acide picrique en milieu alcalin. La vitesse de formation de la coloration est proportionnelle à la concentration en créatinine dans l’échantillon. Analyse statistique Les résultats ont été exprimés en moyenne ± écart type. La saisie des données a été effectuée à l’aide du logiciel SPSS/PC version 18.00. La comparaison des moyennes a été réalisée à l’aide du test t de Student et les corrélations sont exprimées par le coefficient r de Pearson. Pour la comparaison de certaines valeurs, nous avons utilisé le test Anova avec ajustement par rapport aux facteurs confondants. Les résultats ont été considérés significatifs pour des valeurs inférieures à 5 %. Résultats Nous avons noté une diminution significative de la concentration moyenne de la TSH et une augmentation progressive de celle de la FT4 en fonction du statut tabagique avant et après ajustement aux potentiels facteurs confondants (l’âge, le sexe, l’IMC et la consommation alcoolique). La concentration moyenne de la TSH est significativement plus basse chez les fumeurs (1,60 ± 0,85 mUI/L) et les anciens fumeurs (1,90 ± 1,03 mUI/L) par rapport aux non-fumeurs (2,14 ± 1,02 mUI/L ; p = 0,001). Par ailleurs, la concentration de la FT4 est significativement plus élevée chez les fumeurs par rapport aux non-fumeurs (13,71 ± 2,50 vs. 12,45 ± 1,51 ng/L ; p = 0,001) (tableau 2). Nos résultats montrent que 28,3 % des fumeurs ont des concentrations de FT4 supérieures à 16 ng/L, avec des concentrations de la TSH situées dans l’intervalle des valeurs usuelles. Une association significative a été notée entre le statut tabagique et le risque d’hyperthyroïdie avant et après ajustement aux potentiels facteurs confondants (OR = 9,5 [2,07-43,5], p = 0,001). Une régression significative entre la concentration moyenne de la TSH et une augmentation progressive de la concentration moyenne de la FT4 en fonction du statut tabagique 201 Article original Tableau 2. Variation de la TSH et de la FT4 en fonction du statut tabagique. Non-fumeurs (n = 111) Anciens fumeurs (n = 27) Fumeurs (n = 162) TSH (mUI/L) 2,14 ± 1,02a 1,90 ± 1,03 1,60 ± 0,85a FT4 (ng/L) 12,45 ± 1,51a 12,67 ± 1,45 13,71 ± 2,50a p 0,001 < 10-3 *p 0,01 0,03 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. p Anova, TSH : a p = 0,001 ; FT4 : a p < 10-3 ; *p ajusté aux potentiels facteurs confondants (âge, sexe, IMC et consommation alcoolique). indépendamment de l’âge, du statut alcoolique et de l’IMC est également notée. De plus, chez les fumeurs et les anciens fumeurs, la concentration moyenne de la TSH est légèrement plus basse et celle de la FT4 est plus augmentée, comparativement aux sujets non-fumeurs quel que soit le sexe, l’âge, le statut alcoolique et l’IMC (tableaux 3 et 4). Une association significative entre l’augmentation de la cotinine urinaire et les thiocyantes plasmatiques avec le statut tabagique a été notée (p = 0,001). De plus, ces deux marqueurs sont significativement plus élevés chez les fumeurs et les anciens fumeurs par rapport aux non-fumeurs (tableau 5). Chez les fumeurs, nous avons noté une diminution significative de la concentration moyenne de la TSH en fonction du nombre de cigarettes/j et avec l’ancienneté de l’exposition (tableau 6). En effet, une diminution significative de la concentration moyenne de la TSH est observée chez les sujets fumant plus de 40 cigarettes/j par rapport à ceux fumant moins de 20 cigarettes/j. Une diminution significative de la TSH chez les fumeurs dont le tabagisme date de plus de cinq ans est également retrouvée par rapport à ceux fumant depuis moins de 5 ans. Concernant la concentration moyenne de la FT4, nous avons noté une forte corrélation avec l’ancienneté de l’exposition (p = 0,03). La cotinine urinaire et les thiocyanates plasmatiques présentaient une corrélation négative avec la concentration moyenne de la TSH (r = - 0,4908 ; r = -0,4334 ; respectivement) et une corrélation positive avec la concentration moyenne de la FT4 (r = 0,3730 ; r = 0,3830) (figures 1 et 2). Enfin, une association significative entre l’augmentation de ces deux marqueurs biologiques du tabagisme (cotinine urinaire et SCN- plasmatiques) et le risque d’hyperthyroïdie (TSH < 2,04 mUI/L) est montrée (OR = 4,57 ; IC95% [1,13-18,43] ; OR = 6,32 ; IC95% [1,7-5,92]) ; et FT4 > 15,44 ng/L (OR = 2,71 ; IC95% [1,4-3,4]; OR = 1,16 IC95% [1,2-2,4]) respectivement pour la cotinine et les SCN- (tableau 7). Discussion Le dosage de la thyroxine libre (FT4) est aujourd’hui un élément essentiel du bilan d’exploration de la thyroïde. La FT4 est déterminée parallèlement à la TSH lors de présomption de dysfonctionnement thyroïdien. Le dosage de la TSH est un test très sensible et spécifique pour l’exploration de la thyroïde, il permet de dépister ou d’exclure Tableau 3. Variation de la TSH (mUI/L) en fonction des caractéristiques de la population d’étude. Sexe Hommes Femmes p Consommation alcoolique Oui Non p Age (ans) < 20 [20-40[ ≥ 40 p* IMC (kg/m2 ) < 25 [25- 30[ ≥ 30 p* Fumeurs n = 162 Anciens fumeurs n = 27 Non-fumeurs n = 111 p* 1,65 ± 0,41 1,80 ± 0,50 0,594 1,82 ± 0,68 1,74 ± 0,13 0,07 2,19 ± 1,92 2,21 ± 1,07 0,589 0,01 0,01 1,52 ± 0,44 1,73 ± 0,42 0,39 1,74 ± 0,98 1,90 ± 1,03 0,76 1,94 ± 0,84 2,14 ± 1,02 0,73 0,01 0,006 1,60 ± 0,98 1,70 ± 0,48 1,50 ± 0,30 0,45 1,48 ± 0,67 2,10 ± 0,80 1,89 ± 1,13 0,292 1,80 ± 0,40 2,22 ± 1,22 2,30 ± 1,60 0,647 0,04 0,02 0,01 1,98 ± 0,26 1,73 ± 0,34 1,60 ± 0,47 0,653 1,73 ± 2,25 2,14 ± 0,9 1,62 ± 0,81 0,811 2,08 ± 1,12 2,24 ± 0,86 2,28 ± 0,99 0,792 0,04 0,01 0,01 p*: Anova test ; p : test student. 202 Ann Biol Clin, vol. 70, n◦ 2, mars-avril 2012 Risque d’hyperthyroïdie chez les fumeurs tunisiens Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Tableau 4. Variation de la FT4 (ng/L) selon les caractéristiques de la population d’étude. Sexe Hommes Femmes p Consommation alcoolique Oui Non p Age (ans) < 20 [20-40[ ≥ 40 p* IMC (kg/m2 ) < 25 [25- 30[ ≥ 30 p* Fumeurs n = 162 Anciens fumeurs n = 27 Non-fumeurs n = 111 p* 14,05 ± 2,40 13,31 ± 2,27 0,35 12,76 ± 1,79 12,62 ± 1,27 0,83 13,27 ± 1,21 12,27 ± 1,51 0,1 0,35 0,06 13,40 ± 1,90 13,00 ± 2,40 0,4 13,17 ± 2,04 12,67 ± 1,45 0,5 12,70 ± 1,50 12,45 ± 1,51 0,3 0,43 0,001 13,90 ± 2,40 14,90 ± 2,90 13,30 ± 1,90 0,57 13,06 ± 1,21 12,81 ± 1,48 11,85 ± 1,56 0,28 11,90 ± 1,40 12,50 ± 1,25 12,25 ± 1,50 0,25 0,01 0,01 0,006 14,26 ± 2,13 13,06 ± 2,52 14,61 ± 3,93 0,72 13,06 ± 1,47 12,24 ± 1,50 13,19 ± 1,65 0,16 12,73 ± 1,63 11,97 ± 1,24 12,19 ± 1,13 0,28 0,02 0,02 0,15 p*: Anova test ; p : test student. Tableau 5. Variation de la cotininurie et des thiocyanates en fonction du statut tabagique. Fumeurs n = 162 Anciens fumeurs n = 27 Non-fumeurs n = 111 p Cotinine urinaire (mol/L) 1 790 ± 74ab 451 ± 50b 444 ± 49a 0,001 Cotinine urinaire/Cr (g/mol Cr) 231 ± 25ab 85 ± 15b 70 ± 24a 0,001 Thiocyanates plasmatiques (mol/L) 100 ± 1ab 98 ± 0,1b 90 ± 0,5a 0,001 p : test Anova ; a : p < 0,05 ; b : p < 0,05. Tableau 6. Variation de la TSH et de la FT4 en fonction du nombre de cigarettes fumées/j et de l’ancienneté de l’exposition. Nombre de cigarettes/j < 20 [20-40[ > 40 p Ancienneté de l’exposition/ans <5 [5-10[ > 10 p TSH (mUI/L) FT4 (ng/L) 1,94 ± 0,43ab 1,57 ± 0,30a 1,32 ± 0,33b < 0,0001 13,90 ± 2,27 13,66 ± 2,50 14,49 ± 2,46 0,65 1,89 ± 0,41a 1,50 ± 0,34a 1,60 ± 0,43 0,03 13,50 ± 2,10 14,58 ± 2,29 14,14 ± 2,70 0,03 p Anova, a : p = 0,02 ; b : p = 0,0001. précocement un dysfonctionnement du système de régulation au niveau de l’hypotalamus, de l’hypophyse ou de la thyroïde elle-même. Dans notre travail, nous avons noté une diminution significative de la concentration moyenne de la TSH et une augmentation progressive de celle de la FT4 en Ann Biol Clin, vol. 70, n◦ 2, mars-avril 2012 fonction du statut tabagique avant et après ajustement aux potentiels facteurs confondants (l’âge, le sexe, l’IMC et la consommation alcoolique). La concentration moyenne de la TSH est significativement plus basse chez les fumeurs et les anciens fumeurs par rapport aux non-fumeurs. Par ailleurs, la concentration de la FT4 est significativement plus élevée chez les fumeurs par rapport aux non-fumeurs. Nos résultats sont similaires à ceux trouvés par Utiger [6]. Les mécanismes des effets thyroïdiens du tabac sont mal connus. Ils pourraient être directs (effet de la nicotine ou d’autres composants de la fumée du tabac) ou indirects par l’activation synaptique de la nicotine susceptible d’augmenter la sécrétion thyroïdienne. Selon Roohi et al. [7], les effets thyroïdiens du tabac ont été souvent attribués aux thiocyanates, présents dans la fumée du tabac. Les thiocyanates sont des inhibiteurs compétitifs de l’iode au niveau de la pompe à iodure et constituent de ce fait un facteur “goitrigène” puissant. Ils inhibent le transport intrathyroïdien de l’iodure et la synthèse des hormones thyroïdiennes, et augmentent la sortie de l’iodure de la glande. Certains aliments 203 (chou, moutarde, manioc, etc.) sont riches en précurseurs des thiocyanates et sont de ce fait considérés comme potentiellement goitrigènes, leur consommation entraînant une augmentation des concentrations biologiques des thiocyanates. Cependant, le tabagisme aurait également un effet thyréostimulant direct, diminuant ainsi le niveau de TSH chez les fumeurs. Les thiocyanates ne peuvent à eux seuls expliquer les effets thyroïdiens du tabac et d’autres composants de la fumée du tabac interviendraient également, essentiellement les métabolites hydroxypyridines et benzopyrènes [5, 6]. Chez les anciens fumeurs, nous avons noté une légère réduction de la concentration moyenne de la FT4 et une augmentation de celle de la TSH. Nos résultats sont similaires à ceux d’Asvold et al. [8]. Ces derniers ont montré que l’arrêt du tabac peut entraîner en outre de légères réductions de la concentration moyenne de la FT4, des augmentations de celle de la TSH, suggérant ainsi des effets réversibles du tabac sur la fonction thyroïdienne. Ces modifications peuvent s’expliquer par le fait que le tabagisme stimule la fonction thyroïdienne qui se normalise après l’arrêt du tabac. Nous avons noté que 28,3 % des fumeurs ont des concentrations de FT4 supérieures à 16 ng/L, avec des concentrations de la TSH situées dans l’intervalle des valeurs usuelles, et une association significative entre le statut tabagique et le risque d’hyperthyroïdie avant et après ajustement aux potentiels facteurs confondants (OR = 9,5 [2,07-43,5], p = 0,001) est retrouvée. Ces données confirment bien les résultats précédents et le risque d’hyperthyroïdie chez les fumeurs ; nos résultats confirment donc ceux de Roohi et al. [7]. Nous avons également retrouvé une régression significative de la concentration moyenne de la TSH et une augmentation progressive de la concentration moyenne de la FT4 en fonction du statut tabagique indépendamment de l’âge, du statut alcoolique et de l’IMC. De plus, chez les fumeurs et les anciens fumeurs, la concentration moyenne de la TSH est légèrement plus basse et celle de la FT4 est plus élevée, comparativement aux sujets non-fumeurs quels que soient le sexe, l’âge, le statut alcoolique et l’IMC. Chez les anciens fumeurs, les concentrations moyennes de la TSH augmentaient progressivement après l’arrêt du tabac, suggérant des effets réversibles sur la fonction thyroïdienne [9]. B 105 104 r = -0,4334 103 102 101 100 99 98 0,5 1 1,5 2 2,5 3 Cotinine urinaire (µg/µmol Cr) SCN- plasmatiques (µmol/L) A 1000 r = -0,4908 750 500 250 0 0,5 1 1,5 TSH (mUI/L) 2 2,5 3 TSH (mUI/L) Figure 1. Corrélation entre les concentrations de la TSH et les concentrations des thiocyanates plasmatiques (A) et avec la cotinine urinaire (B) chez les fumeurs. A B 105 104 r = 0,3830 103 102 101 100 99 98 10 12 14 16 FT4 (ng/L) 18 20 Cotinine urinaire (µg/µmol Cr) SCN- plasmatiques (µmol/L) Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Article original 1000 900 800 700 600 500 400 300 200 100 0 10 r = 0,3730 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 FT4 (ng/L) Figure 2. Corrélation entre les concentrations de la FT4 et les concentrations des thiocyanates plasmatiques (A) et avec la cotinine urinaire (B) chez les fumeurs. 204 Ann Biol Clin, vol. 70, n◦ 2, mars-avril 2012 Risque d’hyperthyroïdie chez les fumeurs tunisiens Tableau 7. Association entre l’augmentation des deux marqueurs biologiques du tabac et les paramètres de l’hyperthyroïdie chez les fumeurs. Cotinine urinaire (> 373 g/mol Cr) TSH (< 2,04 mUI/L) FT4 (> 15,44 ng/L) OR 4,57 2,71 IC95% 1,13-18,43 1,4-3,4 Thiocyanates plasmatiques (> 100 mol/L) p 0,02 0,04 OR 6,32 1,16 IC95% 1,7-5,92 1,2-2,4 p 0,004 0,05 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Quartile 4 : 2,04 mUI/L pour la TSH ; 15,44 ng/L pour la FT4 ; 373 g/mol Cr pour la cotinine urinaire ; 100 mol/L pour les thiocyanates plasmatiques. De plus, chez les fumeurs, la concentration moyenne de la TSH est légèrement plus basse et celle de la FT4 plus élevée chez les hommes par rapport aux femmes. Ce résultat peut s’expliquer par le fait que les hommes fument beaucoup plus que les femmes comme le confirment Khan et al. [10] qui ont rapporté que l’hyperthyroïdie est plus fréquente chez les hommes. L’âge n’est pas un facteur d’influence. Par ailleurs, chez les fumeurs âgés de plus de 40 ans, nous avons noté que la concentration de la TSH est légèrement plus basse, et que la concentration moyenne de la FT4 est légèrement plus élevée par rapport aux autres groupes. Nos résultats ne sont pas en accord avec ceux de Schlienger et al. [11] qui ont montré que le vieillissement s’accompagne d’anomalies potentielles de la synthèse, du métabolisme et de l’action des hormones thyroïdiennes. Ces anomalies portent pour une bonne part sur le métabolisme de l’iode dont la diminution de la clairance rénale est associée à une diminution de la fonction thyroïdienne ainsi qu’à une diminution de la capacité de capture iodée thyroïdienne. Il en résulte une diminution modérée de la production de thyroxine dont la clairance métabolique augmente [11]. Chez les consommateurs d’alcool, la concentration de la TSH est légèrement plus basse par rapport aux non consommateurs, quel que soit le statut tabagique. De plus, la concentration de la FT4 est plus élevée chez les consommateurs d’alcool, indépendamment du statut tabagique. Ces résultats peuvent s’expliquer par le fait que les consommateurs d’alcool fument beaucoup plus que les non consommateurs, et la possibilité que l’alcool accentue les effets du tabac sur les hormones thyroïdiennes. Chez les fumeurs, nous avons noté une régression de la concentration moyenne de la TSH en fonction de l’IMC, et une légère augmentation de la concentration moyenne de la FT4 chez les obèses par rapport à ceux dont l’IMC est inférieur à 25 kg/m2 . Nos résultats sont similaires à ceux de Shalitin et al. [12] qui ont montré que l’axe hypothalamo-hypophyso-thyroïdien et le rétrocontrôle négatif de l’hypophyse peuvent être affectés par le surpoids et les habitudes alimentaires, expliquant que la prévalence des maladies thyroïdiennes puisse augmenter dans la population obèse. Ann Biol Clin, vol. 70, n◦ 2, mars-avril 2012 Nous avons noté une diminution significative de la concentration moyenne de la TSH chez les sujets fumant plus de 40 cigarettes/j par rapport à ceux fumant moins de 20 cigarettes/j. De plus, nous avons retrouvé une diminution significative de la TSH chez les fumeurs dont le tabagisme date depuis plus de 5 ans par rapport à ceux fumant depuis moins de 5 ans. Nous avons aussi noté une augmentation de la FT4 en fonction du nombre de cigarettes fumées/j et avec l’ancienneté de l’exposition. Le nombre de cigarettes est en lien direct avec les effets thyroïdiens. En effet, plus le nombre de cigarettes fumées augmente, plus les composants de la fumée du tabac augmentent et plus l’effet sur la glande thyroïde est important. La forte association entre la perturbation des concentrations des hormones thyroïdiennes et l’ancienneté d’exposition peut s’expliquer par les propriétés cumulatives des différents composants de la fumée du tabac qui sont des toxiques cumulatifs à long terme [13]. Par ailleurs, les concentrations moyennes de la cotinine urinaire et des thiocyanates plasmatiques sont significativement plus élevées chez les fumeurs par rapport aux non-fumeurs. Ces deux paramètres sont deux marqueurs spécifiques de l’imprégnation tabagique suffisamment sensibles pour permettre l’évaluation du statut tabagique et pour distinguer clairement les fumeurs actifs des non-fumeurs [14]. La cotinine est le marqueur le plus couramment utilisé, car elle est lentement éliminée de l’organisme : sa demi-vie varie entre 10 et 37 heures en fonction des sujets et son dosage reflète l’imprégnation tabagique des deux ou trois jours précédents [15]. Nous avons noté que la cotinine urinaire et les thiocyanates plasmatiques présentent une corrélation négative avec la concentration moyenne de la TSH et une corrélation positive avec la concentration moyenne de la FT4. Ces résultats confirment ainsi les corrélations entre les hormones thyroïdiennes et les caractéristiques du tabagisme (nombre de cigarettes fumées/j et ancienneté de l’exposition), puisque ces deux paramètres constituent deux marqueurs spécifiques de l’imprégnation tabagique. D’autres auteurs ont rapporté une forte corrélation entre la concentration de cotinine urinaire et la quantité de nicotine consommée, évaluée par le nombre de cigarettes consommées par le fumeur [14]. 205 Article original Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Enfin, une association significative entre l’augmentation de des deux marqueurs biologiques du tabac (cotinine urinaire et thiocyanates plasmatiques) et le risque d’hyperthyroïdie a été observée. Le dosage de ces deux marqueurs biologiques peut donc être utile pour le dépistage de l’hyperthyroïdie chez les fumeurs. Les hormones thyroïdiennes (TSH et FT4) dont le dosage est simple et peu onéreux, constituent des paramètres dont l’intégration dans le suivi biologique des fumeurs est parfaitement justifiée. Conclusion Le tabagisme s’accompagne d’une perturbation des concentrations de la FT4 et de la TSH avec augmentation du risque d’hyperthyroïdie. Ces perturbations sont étroitement corrélées au nombre de cigarettes fumées par jour et avec l’ancienneté de l’exposition. De plus, l’arrêt du tabac peut entraîner de légères réductions de la FT4 et des augmentations de la TSH, par conséquent des effets réversibles du tabac sur la thyroïde. Le dosage de la FT4 et de la TSH devrait être réalisé périodiquement chez les fumeurs, notamment chez les sujets à risque (antécédents familiaux de dysthyroïdie, de maladies auto-immunes. . .). 3. Pontikides N, Krassas GE. Influence of cigarette smoking on thyroid function, goiter formation and autoimmune thyroid disorders. Hormones 2002 ; 1 : 91-8. 4. Donckier JE. Endocrinopathie et tabagisme. Louvain Médecine 2003 ; 122 : 7-13. 5. Duron F, Dubosclard E, Ballot E. Thyroïdites. EMC-Endocrinologie 2004 ; 1 : 3-18. 6. Utiger RD. Effects of smoking on thyroid function. Eur J Endocrinol 1998: 138 ; 368-9. 7. Roohi N, Nazir R. Thyroid and its regulatory hormonal homeostasis in current and the formers Smokers. Pakistan Journal Zoology 2010 ; 42 : 759-64. 8. Asvold BO, Bjoro T, Nilsen TIL, Vatten LJ. Tobacco smoking and thyroid function. A population-based study. Arch Intern Med 2007 ; 167 : 1428-32. 9. Underner M, Hajdhajd S, Beauchant M, Bridoux F, Debiais F. 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