Texte extrait de « leçons sur l`histoire de la logique » UE de Logique

Texte extrait de « leçons sur l’histoire de la logique »
UE de Logique – licence SDL par Tadeusz Kotarbinski, 1964
LES CONQUÊTES DE LA LOGIQUE
DU MOYEN AGE
1. Œuvres significatives pour la culture logique
du Moyen Age
Dès le Ve siècle de notre ère, par conséquent à l’époque de la décadence de Rome,
Marcianus Capella écrivait un ouvrage intitulé Satyricon, qui renfermait le programme de
l'enseignement général de niveau moyen, selon une division des matières en trivium et
quadrivium, tierce et quarte (1). Le trivium embrassait les humanités, appelées alors artes, le
quadrivium, les matières mathématiques, appelées disciplinae. Le trivium comportait la
grammaire, la dialectique et la rhétorique, et le quadrivium, l'arithmétique, la géométrie,
l'astronomie et la musique. La dialectique en question, c'était la logique. On enseignait donc
un peu de logique dans les écoles médiévales, qui avaient adopté, s'inspirant du manuel de
Capella, ce programme de spéculation verbale destiné à une élite, à l'aide duquel les religieux
formaient les futurs ecclésiastiques à l'époque où la théologie régnait en maître et interdisait
que l'on avançât la moindre chose qui ne fût pas conforme à ses dogmes. Dans les universités
de cette époque, une faculté commune préparatoire, facultas artium, conduisait aux études
supérieures de théologie, de droit ou de médecine; on y étudiait les principes de la
philosophie, essentiellement au moyen d'un commentaire des écrits d'Aristote,
notamment de ses écrits logiques.
Cependant, ce n'est qu'au milieu du XIIe siècle que l'on commença à étudier les
principaux ouvrages dont se compose l’Organon. Jusqu'alors on n'en connaissait que les
Catégories et le De interpretatione, dans les traductions de Boèce accompagnées de ses
commentaires, ainsi que l’Isagoge de Porphyre et un certain nombre d'écrits de Boèce
traitant divers sujets logiques, de même qu'un certain nombre d'autres ouvrages d'auteurs
moins importants. La logique fondée uniquement sur ces sources fut appelée par la suite
ars vêtus, art ancien. S'y opposait l’ars nova, autrement dit le nouvel art de la logique,
se fondant sur la totalité de l’Organon, donc également sur les Analytiques, les Topiques
et la dissertation sur les Réfutations sophistiques (2). L'œuvre d'Albert de Bollstädt, ou
Albert le Grand, dont il a déjà été question, a une importance cruciale à cet égard; dans
une rie de trais (qu'il écrivit peut-être en collaborations) il a fait la paraphrase de
l'héritage logique d'Aristote, le résumant à sa manière et commentant tous les écrits du
Stagirite qu'il connaissait, touchant à cette matière (3). Par contre, celui qui a le plus
parfaitement et le plus considérablement contribué à cette époque à la diffusion de la
logique d'Aristote est Pierre de Lisbonne, dit Petrus Hispanus, auteur d'un manuel fort
populaire et qui circulait en de nombreuses copies, intitulé Summulae Logicales
(XIIIe s.). C'est là que nous trouvons maintes adaptations des idées abstraites d'Aristote
pour les besoins scolaires, par exemple sous l'aspect du nom des modes, Barbara, Celarent,
etc. (4).
2. La science des «conséquences»
La science des «conséquences» n'était en fin de compte que la redécouverte du monde des
théorèmes du domaine du calcul propositionnel; les spécialistes supposent que cela se
produisit non pas à la suite de l'adoption de la logique stoïcienne, mais sans doute
essentiellement par la formalisation des moyens de raisonnement non syllogistiques, qui sont
abondamment esquissés dans les Topiques d'Aristote (5). Voici quelques relations tirées de
l'ouvrage de Guillaume d'Occam, la Summa logicae (6):
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1) p < (p + q) 2) p . q < p
3) (p . q)’ < (p’ + q’) 4) (p + q)’ < p’ . q’
5) (p < q) < (q’ < p’) 6) (p < q) . q’ < p’
7) (p + q) . q’ < p 8) (p . q’) < (p < q)’
9) (p . q’)’ < (p < q) 10) (p . q < r) < (r’ . p < q’)
11) (p < q) < [(q < r) < (p < r)]
12) (p < q) < [(r < p) < (r < q)]
13) (p < q) < (p . r < q . r)
14) (p < q) < [(q . r)’ < (p . r)’]
Dans les théorèmes 3 et 4, le lecteur aura reconnu ce qu'on a appelé par la
suite les lois de De Morgan. Nous pourrions du reste faire figurer sous le n° 4 une
formule d'équivalence, puisque l'auteur accepte également l'implication inverse, ce
qui n'exclut évidemment pas que l'implication inverse de l'implication 3 puisse être
acceptée elle aussi. Ajoutons que Duns Scot, le mtre d'Occam, aurait déjà, à ce que l'on
sait, énoncé en outre, entre autres lois, celle qui s'exprime par la formule: p < (p'
< q). Lukasiewicz l'a baptisée la loi de Duns Scot et l'a choisie comme l'un des trois
axiomes de son axiomatique implicativo-négative du calcul propositionnel bivalent (7).
Cette loi est l'équivalent logique de p.p' < q, formule que l'on peut considérer comme
correspondant au dictum médiéval: ad impossibile sequitur quodlibet, autrement dit:
d'une impossibilité (d'une conjonction contradictoire) découlent logiquement toutes les
propositions arbitraires que l'on veut.
Nous avons transcrit les fonctions propositionnelles correspondant aux théorèmes sur
les «conséquences» énoncés par Occam. Nous devons pourtant dire et souligner que
ces théorèmes ne sont pas formulés de la sorte dans son œuvre. Il les énonce sans
recourir à la moindre symbolique spéciale. Bien plus, ce qu'il énonce, ce sont plutôt leurs
équivalents métalogiques. Voici par exemple comment il formule la thèse correspondant
à la formule 13: quidquid stat cum antécédente, stat cum conseqïiente, tout ce qui se trouve
avec l'antécédent, se trouve avec le conséquent, ce qui doit s'entendre comme suit: on
peut ajouter par conjonction la même chose aux deux membres d'une implication. La
thèse correspondant à la formule 11 s'énonce: quidquid sequitur ad consequens, sequitur ad
antecedens, tout ce qui découle du conquent, découle de l'antécédent (l'une des
façons possibles d'énoncer dans le langage courant un syllogime hypothétique sans con-
jonction). La loi correspondant à la formule 2 s'énonce comme suit: semper a copulativa ad
utramque partent est consequentia bona, la conséquence qui mène de la conjonction à l'une
quelconque de ses deux parties est toujours bonne. Il est clair qu'un énoncé de ce genre
vaut également pour la formule p. q < q (8).
(1) Cf. C. PRANTL, Geschichte der Logik im Abendlande, tome I p. 672, ainsi que UEBERWEG-HEINZE,
Grundriss der Gesoschichte der Philosophie des Altertums, p. 331; K. TWARDOWSKI, O filosofii srednio-
wiecznej wykladéw szesé, p. 24 et 119.
(2) UEBERWEG-HEINZE, Grundriss der Gesoschichte der Philosophie
der patristischen und scholastischen
Zeit,
p. 190
(3)
.
PH
.
BOEH
NER,
Médieval Logic, An Outline of its Development from 1250 to c. 1400,
Manchester
University Press, 1952, p. 1 et suiv.
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(4) On trouve Barbara, Celarent, etc, un peu plus tôt déjà chez
William Shyreswood. Cf. C. PRANTL, op. cit., t. II, 1867, p. 15 et suiv.
(5) PH.BOEHNER, op.cit.,p.52 et suiv. «Lalogique des conséquences [...] se rattache sans doute
historiquement par Boèce et Alard [...]aux théories stoïciennes». La question est controversée.
Boèce a-t-il eu un accès direct aux sources stoïciennes ?Moody et Mates le pensent, rr et Bochenski le
contestent.Ya-t-il eu influence de De syllogismo hypothetico de Boèce, directement ou par l'intermédiaire
d'Abélard, sur la théorie diévale des conséquences? Oui,selonMoody, non, selon Boehner et
Bochenski. Cf.R.BLANCHE,Vuesnouvelles sur l'ancienne logique, Les Études Philosophiques, n° 2 (1956)
p. 201.
(6) Cf. PH. BOEHNEK, op. cit., p. 61 et suiv.
(7) Cf. J. LUKASIEWICZ, Aristotle's Syllogistie..., p. 80.
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(8) Cf. Pu. BOEHNER, op. cit., p. 67.
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