Les topiques Les topiques sont les lieux de l’argumentation, les topoï, les loci latins. Métaphoriquement, le lieu constitue un point de départ d’un argument (GreenPedersen 1987 : 408). Il est intéressant de relever que le mot lieu est susceptible d’une interprétation métaphorique, qui signifie la source, la raison d’un argument, et d’une interprétation littérale : un espace. La théorie de l’argumentation oscillera entre le sens littéral et le sens métaphorique du topos. Ainsi, on peut considérer que l’art de la mémoire, qui existe à la fois dans l’Antiquité et au Moyen Âge, se développe selon une conception toujours plus littérale des lieux. En effet, au Moyen Âge, les lieux deviennent – littéralement – architecturaux et on se les représente volontiers dans des peintures ou des dessins. L’humanisme, du moins l’humanisme protestant de Ramus, mettra le holà à la représentation figurative des lieux de la mémoire, y préférant une représentation abstraite. Les lieux de l’argumentation sont une simple image, presqu’une façon de parler, chez Aristote, image qui deviendra une véritable représentation, tangible, au Moyen Âge, et qui retournera au statut de simple façon de parler avec la fin de l’art de la mémoire à l’aube de la Modernité. ANTIQUITÉ Socrate cherchait toujours les raisons qui présidaient aux dires de ses interlocuteurs, il scrutait ces raisons, et semblait en déduire d’autres affirmations, qui n’était, elles, pas acceptées par l’interlocuteur, qui était dès lors invité à préciser sa pensée. Aristote, par sa théorie des lieux, systématise cette pratique de la dialectique socratique (Green-Pedersen 1987 : 409). Les lieux sont pour lui des raisons ou des instructions permettant de passer d’une thèse à l’autre. Au début du livre des Topiques, le syllogisme est défini par Aristote comme « un discours dans lequel certaines choses étant posées, une autre chose différente d’elles en résulte nécessairement, par les choses mêmes qui sont posées ». Aristote distingue ensuite plusieurs types de syllogismes : - Le syllogisme démonstratif part de prémisses vraies et premières. - Le syllogisme dialectique part de prémisses probables. - Le syllogisme éristique part de prémisses qui, quoique apparemment probables, sont en fait fausses : il ne s’agit pas d’un syllogisme à proprement parler. La notion de dialectique a donc chez Aristote deux sens : ou bien elle est relative aux lieux, ou bien elle est relative à la nature des prémisses probables des syllogismes. La probabilité des arguments relève non pas de la forme mais de la matière de l’argumentation. Pour Boèce, les lieux ont partie liée avec le probable, comme chez Aristote, mais Boèce est beaucoup plus intéressé par le rôle inférentiel des lieux. Boèce distingue les lieux-différences et les lieux-maximes. Les lieux-différences nous aident à établir les prémisses, alors que les lieux maximes autorisent à passer d’une thèse à l’autre. Autrement dit, les lieux-différences portent sur la dimension matérielle des arguments, les lieux-maximes sur leur dimension inférentielle. MOYEN ÂGE AVANT 1050, la théorie topique est basée sur les Topiques de Cicéron et les textes de Martianus Capella, Cassiodore et Isidore, tous trois dépendants de Cicéron. L’idée de cette philosophie est que les lieux et les syllogismes hypothétiques sont liés, thèse étrangère à Aristote, Cicéron et Boèce. DÈS LE MILIEU DU 11ÈME SIÈCLE, les œuvres de Boèce dominent, alors que la théorie topique de Cicéron n’est presque plus utilisée. Même les Topiques d’Aristote ne sont lues qu’À PARTIR DE LA MOITIÉ DU 12ÈME SIÈCLE et ce sera à travers la grille de lecture de Boèce. De toute manière, l’innovation dans théorie des topiques va s’interrompre ÈME ÈME APRÈS LE 12 SIÈCLE. Les HUMANISTES DU 15 SIÈCLE, comme Agricola, considèrent que les lieux appartiennent non à la logique, mais à la rhétorique. Sans doute les auteurs du Moyen Âge ont-ils été ralentis dans leurs recherches car ils ont toujours accordé un certain crédit à l’idée de Boèce selon laquelle la liste des loci était exhaustive. Cette idée est sans doute erronée (Green-Pedersen 1987 : 416). Quelle est la fonction des lieux ? Ils ne rendent pas les arguments valides, mais expliquent comment on peut atteindre une conclusion. Les lieux-différences comme l’homme est une espèce et les lieux-maximes comme tout ce qui est dit de l’espèce est aussi dit du genre font partie d’un métalangage. Les lieux sont des intentions secondes, c’est-à-dire des méta-représentations. À la différence de la logique contemporaine, la logique des lieux au Moyen Âge n’est pas inspirée des mathématiques.