1) Dans ses deux commentaires sur l’introduction aux Catégories d’Aristote, c’est la réponse
d’Aristote qui prévaut. Boèce démontre d’abord l’impossibilité que des idées générales soient des
substances. A titre d’exemple, prenons l’idée du genre « animal » et celle de l’espèce « homme ». Les
genres et les espèces sont, par définition, communs à des groupes d’individus ; or, ce qui est commun
à plusieurs individus, ne peut être soi-même un individu. C’est d’autant plus impossible que le genre,
par exemple, appartient entièrement à l’espèce (un homme possède entièrement l’animalité), ce qui
serait impossible si, étant lui-même un être, le genre devait se partager entre ses diverses
participations.
2) Mais supposons au contraire que les genres et les espèces représentés par nos idées
générales (universaux) ne soient que de simples notions de l’esprit ; en d’autres termes, supposons
qu’absolument rien ne réponde dans la réalité aux idées que nous avons : dans cette deuxième
hypothèse, notre pensée ne pense rien en les pensant. Mais une pensée sans objet n’est qu’une
pensée de rien ; ne n’est même pas une pensée. Si toute pensée digne de ce nom a un objet, il faut
que les universaux soient des pensées de quelque chose, si bien que le problème de leur nature
recommence aussitôt à se poser.
Peu importe ici la solution apportée par Boèce à ce dilemme (un léger avantage aux points
en faveur d’Aristote).
III- La dramatisation (de la logique à la théologie) : Anselme de Canterbury (1033-1109).
La solution donnée à ce problème engage désormais le théologien, puisque adopter l’une ou
l’autre thèse conduit à des difficultés dans l’ordre du dogme.
— Si l’on admet le nominalisme, c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’autre substance que les
substances individuelles et que le genre n’est rien en dehors des individus qui le composent, qu’il
n’est qu’un nom pour désigner la collection de ces individus : alors les dogmes les plus fondamentaux
deviennent inintelligibles :
- la Sainte Trinité : si l’individu seul existe, alors il faut reconnaître qu’il s’agit là de trois
individus, de trois substances distinctes et irréductibles, et admettre, par conséquent, un véritable
polythéisme ; ou alors considérer que les trois personnes n’en font qu’une (Unitarisme) et ne sont que
des aspects d’une même substance (ce que l’orthodoxie réprouve également).
- l’Eucharistie : comment comprendre la présence réelle dans l’eucharistie ? Si un
fragment de pain est une substance une et indivisible, comment expliquer que cette substance puisse
disparaître et être remplacée par une autre, tout à fait différente et qui pourtant conserve les
apparences extérieures de la première ?
- le péché originel : si les individus sont irréductibles les uns aux autres, comment la
faute du premier homme aurait-elle pu se transmettre à tous les autres ?
— Il faut donc admettre le réalisme, d’après lequel les genres existent, pour comprendre
l’orthodoxie. Ainsi pour le réalisme toute chose est formée de deux éléments : d’une part, le principe
génésique (le même chez tous les individus du genre : l’âme de ces individus, qui est invisible,
impalpable, purement spirituel) ; d’autre part, l’enveloppe sensible, sous laquelle ce principe
s’individualise, et qui fait qu’il présente des formes différentes aux différents lieux et temps.
Mais pourtant le réalisme soulève d’autres difficultés tout aussi considérables : si le genre
existe, la réalité la plus haute c’est la sienne : ce qu’il y a de réel, ce n’est pas ce que nous avons en
propre, mais ce qui est commun avec toutes les choses du même genre. On aboutit alors à une
disparition de l’individu dans le genre et une conception panthéiste de l’univers.
V- L’apothéose de la querelle : Thomas d’Aquin contre Guillaume d’Ockham
Contexte : l’âge de la scolastique.
Le réalisme revisité de St Thomas (1225-1274)
L’apogée du nominalisme Guillaume d’Ockham (1285-1349). Le grand scolastique
franciscain de la première moitié du XIVe siècle est généralement reconnu comme le premier
théoricien l’individualisme. Il s’oppose, dans le cadre de la « querelle des universaux », au réalisme de
St Thomas d’Aquin. Cette opposition et quelques autres polémiques lui vaudront d’être excommunié
et exilé. A la question de savoir si les concepts généraux ou universels ont une existence objective au-
delà des objets qu’ils définissent ; s’ils ont plus que de simples « noms » désignant ces ensembles
d’objet, Ockham répond par la négative : les termes généraux ne signifient rien par eux-mêmes, si ce
n’est qu’ils trahissent par leur abstraction les entités individuelles qu’ils prétendent rassembler.
Conséquence qu’Ockham déploiera dans l’ordre juridique et politique : rien n’existe qui ne soit
individuel.