10 stanley kubrick une odyssée philosophique
toujours la marque distinctive de leur auteur. Cette singularité de Kubrick
est si inhabituelle à Hollywood, que certains critiques eurent parfois du mal
à l’accepter. « Le cinéma, écrivait l’un d’eux dans Variety à la sortie de 2001,
coûte trop cher pour un film si personnel »
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1. Mais le cinéma d’auteur à
grande diffusion, dont Kubrick est l’un des rares représentants, n’a jamais
cessé de fasciner les spectateurs ni de rencontrer un succès qui ne s’est pas
démenti
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2.
La particularité de Kubrick est donc d’avoir su préserver sa liberté
artistique en conjuguant le grand spectacle avec la réflexion et le ques-
tionnement. Fait peu courant dans l’histoire du cinéma
4F
3, Kubrick a réussi à
imposer aux producteurs les plus puissants d’Hollywood des films parfois à
la limite de l’abstraction, comme ce fut le cas pour 2001, l’Odyssée de l’espace,
par exemple. Les résonances philosophiques des thématiques abordées par
Kubrick sont indéniables, mais cela suffit-il pour affirmer qu’il est le
« cinéaste philosophe » par excellence ?
Les films de Kubrick ont inspiré aux critiques de nombreux rap-
prochements avec des philosophes tels que Nietzsche, Heidegger, Hegel ou
encore Pascal. Dans une étude sur Orange mécanique, Robert Benayoun
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s’est proposé de montrer que Kubrick affichait des positions libertaires qui
n’étaient pas sans rappeler celles de Max Stirner dans L’Unique et sa
propriété. À l’instar du philosophe, Kubrick se serait posé la question de
savoir si la volonté de libérer l’homme n’avait pas pour conséquence obligée
sa déshumanisation. Michel Ciment, pour sa part, n’a pas manqué d’insister
sur les accents nietzschéens et hégéliens des films de Kubrick.
Outre le contenu narratif des films qui semble mettre constamment en
relief la dérisoire vanité des ambitions humaines et la terrible emprise d’une
1. Ibid., p. 43.
2. Ibid., p. 42 : « Car si les grandes compagnies — M. G. M. et Warner — lui ont
laissé depuis vingt ans carte blanche pour ses projets les plus audacieux et ses dépenses
les plus folles, c’est que le succès commercial ne s’est jamais démenti, à l’exception, sans
doute, de Barry Lyndon (bien que ce dernier film, sur la durée, doive lui aussi devenir
bénéficiaire). »
3. Si l’on excepte des cas comme celui de Terrence Malick qui, avec La Ligne rouge
(The Thin Red Line, 1998), est parvenu à réaliser, au sein du système hollywoodien, un
film à la fois épique et introspectif dont les visées sont résolument philosophiques.
4. Robert Benayoun, « Stanley Kubrick, le libertaire », Positif, n° 139 (juin 1972).