Ne pour tuer - Full Metal Jacket

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Séminaire d'Histoire et politique internationale
18 décembre 2003
Travail d'heuristique de M.Ovando Ivan
Full Metal Jacket ou la barbarie US au cinéma
Démarche:
Mon sujet ayant pour but d'analyser une fiction portée à l'écran, ma démarche en regardant le film a
été de prendre des notes et, ce faisant, à réfléchir d'avantage sur une problématique pour mon travail. Cette
manière « plus active » d'être spectateur m'a apporté une meilleure compréhension de certaines répliques
ou d'un thème en particulier auxquels je n'avais pas forcément prêté attention la première fois que je l'ai vu.
Ma première source de documentation a été une encyclopédie du cinéma qui m'a permis de dégager des
thèmes généraux comme celui de la répression mentale. J'ai ensuite pu trouver des articles traitant du film
dans deux ouvrages collectifs remarquables sur comment les cinéastes d'Hollywood ont envisagé le conflit
du Vietnam. Ce genre d'articles ciblés et précis a le mérite de mettre d'emblée dans la perspective d'une
analyse critique de film.
Pour arriver à cerner ma question par rapport au terme de "barbarie" l'approche pluridimensionnelle de
l'encyclopédie Agora m'a aidé à définir mon sujet et à l'envisager aussi d'un point de vue philosophique.
Full Metal Jacket étant un film très dense et riche en critique anti-guerre, j’ai choisi dans la perspective de
la « barbarie » de me concentrer sur comment les comportements inhumains des soldats ont été engendrés.
1
La deuxième moitié des années 80 a vu un genre nouveau de films sur le Vietnam qui s’est centré
sur le comportement des soldats en guerre. Cette nouvelle orientation1 démarre en 1986 avec Platoon
d’Oliver Stone et sera suivie par Full Metal Jacket (FMJ) de Stanley Kubrick l’année suivante. Dans ce
film, la perversité de l’appareil militaire américain n’y est pas représentée par exemple par l’utilisation de
« l’agent orange » qui brûlait indistinctement les populations civiles ou bien en se focalisant sur les crimes
ignobles qui furent perpétrés2. Full Metal Jacket est un film qui détonne sur le «Vietnam de l’esprit3» (à
l’image d’Apocalypse Now. Voyons comment Kubrick a voulu mettre l’accent sur les répressions
psychiques endurées par les soldats et les comportements inhumains que celles-ci ont engendrés. Le centre
d'intérêt de mon étude va être de comprendre comment la transformation d’adolescents incrédules en
machines de guerre insensibles était une nécessité pour stimuler leurs instincts destructeurs primaires une
fois "lâché" au Vietnam.
Michel Henri définit la barbarie comme " procédant d'un développement du savoir scientifique et de
ses implications psychologiques qui se suffisent à eux-mêmes, qui se veulent objectifs et qui se passent
très bien de la culture4". Cette définition correspond en plusieurs points à la formation administrée dans le
camp de "rééducation" militaire aux futurs soldats. L'armée est d'une rigueur scientifique et les jeunes
recrues reçoivent des surnoms qui les dépouillent de leur identité. A cette première perte de repères
culturels va suivre un lent processus de déshumanisation qui va les pousser à réprimer leur nature par
"domination de leur sexualité5" et finalement à nier l’humanité chez autrui (par des conceptions misogyne,
chauvine et raciste). L’instructeur martèle aux soldats qu’ils sont des «ministres de la mort» et on leur fait
mémoriser par des chants que leur seul but dans la vie est de «tuer, tuer, tuer» (FMJ: chapitre 11, 32min) le
but recherché étant des combattants «qui ne s’identifie pas avec l’objet potentiel du génocide6».
qui a aussi voulu se démarquer de films tels que First Blood-Rambo- ou Missing in Action tournant autour de scènes d’action
-violentes par définition- et qui, par des manichéismes simplistes, donnent une version plus triomphante de la guerre du
Vietnam pour les Américains
1
A ce sujet voir l’article d’Ignacio Ramonet Documentaires contre une « sale guerre » Filmer le conflit du Vietnam , Avril
2000, où l’on apprend qu’une série de documentaires est beaucoup plus explicite que les films de fictions quant aux « viols,
tortures, villages incendiés, exécutions sommaires, enfants pris pour cible, etc. .
3
Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier 50ans de cinéma américain, Paris, Omnibus Nathan, 1991, p.601
4
Henri Michel Encyclopédie Agora sur le site http://www.dicoweb.levillage.org/Dictionnaires.php consulté le 16 décembre
2003
5
Cawley Leo, The War about the War: Vietnam Films and American Myth in From Hanoi to Hollywood, New Brunswick and
London, Rutgers University Press, 1990, p.77
6
Klein Michael, Historical Memory, Film, and the Vietnam Era in From Hanoi to Hollywood, New Brunswick and London,
Rutgers University Press, 1990, 387p.30
2
2
Cet entraînement en laboratoire militaire de lobotomie a ”conditionné7” des marines dans un moule afin de
devenir des machines à tuer, assoiffées de sang, «prêts à bouffer leurs propres tripes, et à en redemander»
(FMJ: Chapitre 12, 36min.). On tombe là dans le registre du cannibalisme, d’un côté animal et finit par
renvoyer à des aspects immondes et non-civilisés de l’homme. Ces soldats ont été vidé de leur intelligence
et ont atteint la phase de "décomposition d’une culture qui a perdu sa raison d’être en l’homme8". La
barbarie n’est pas loin...
Dénué de sensibilité, Kubrick fait aussi remarquer9 à propos des soldats qu'ils «n’étaient pas culturellement
préparés» et que ceci les a empêchés de «communiquer humainement avec les Vietnamiens, les
considérant avant tout comme des putes, des maquereaux ou des vietcongs”. Le sergent Joker laisse
exprimer sa violence intérieure contenu jusqu’alors lorsqu'il dit: «Je voulais rencontrer des gens
intéressants, de culture ancestrale, et les tuer» (FMJ: Chapitre 29, 79min). Michael Klein10 souligne
justement que la «culture vietnamienne est une autre victime de la guerre», prostituée par le matérialisme
US et colonisé de force par la «botte» idéologique que l’on voit à l'écran dans une ville de Hué placardée
de symboles de la culture occidentale (scène de la prostitué «pour occupant», en mini-jupe et qui parle en
anglais, avec la chanson de Nancy Sinatra en arrière-fond: «ces bottes vont vous marcher dessus» (FMJ:
Chapitre 16, 44min). Un colonel va jusqu’à expliquer à Joker dans une perspective messianique de
libération qu’ils «aident les vietnamiens car en chaque bridé il y a un américain qui sommeille» (FMJ:
Chapitre 22, 61min). Dans la dernière scène du film une référence satirique à Hollywood est faite lorsque
les soldats concluent une journée où ils ont "écrit leurs noms dans les pages de l'Histoire"(FMJ: Chapitre
38, 110min) et entonnent la chanson de Mickey Mouse, «le leader de leur club" tout en laissant une ville
détruite et en feu derrière eux.
Le sergent Joker, le protagoniste, est un personnage très révélateur dans le film quant à la dualité chez
l'homme que Kubrick a mis en exergue dans toute son oeuvre. Il porte sur lui un badge de paix et a inscrit
sur son casque "né pour tuer". Le "truc de Jung" auquel il fait allusion pour expliquer ce paradoxe renvoit
au concept jungien de "l'ombre", notre inconscient personnel, "tous ces désirs barbares et ces émotions
incompatibles avec les normes sociales et notre personnalité idéale11". La répression endurée a fait grandir
délibéremment cette part d'ombre chez les marines afin de ne pas trembler en passant à l'acte.On peut voir
cela avec le sergent Joker lorsqu'il est face à la combattanteVietnamienne à l'agonie (FMJ: Chapitre 37,
105min), son regard se remplit de rage au moment de l'achever sans qu'on puisse distinguer ce sentiment
7
idée reprise du chapitre "Society, power and conditionning" du mémoire de Röösli Michael, Technology and Scopic
Economies in the works of Stanley Kubrick, University of Geneva, 18 september 2002, p.46
8
Henri Michel, Opus Cit.
9
Stanley Kubrick : Propos in Stanley Kubrick, Michel Ciment Calmann-Levy, 1980 p.241
10
Klein Michael, Opus Cit, p. 31
3
de la compassion premièrement ressentie. La pitié s'est trouvée dépassée par le devoir d’éxécution de leur
tâche, à savoir"tuer, tuer, tuer". Son côté "barbare" a en quelque sorte pris le dessus sur le "civilisé"
Kubrick a réussi à expliquer ce que peu avant lui avait tenté de faire. Full Metal Jacket démontre
que le comportement immoral des soldats aux Vietnam était en grande partie le produit du microcosme
militaire des camps d'entraînement. Des individus écervelés en sont sortis avec pour instruction de dominer
un peuple et une culture. C'est ce qui, à mon sens, constitue l'acte d'un barbare.
L'année 1987 fut aussi celle d'autres grands films sur la guerre du Vietnam tels que Good Morning,
Vietnam ou Hamburger Hill mais ces deux n'abordèrent pas avec la même force la psychologie des soldats
que Full Metal Jacket.
On ne peut s’empêcher de faire une analogie négative avec le conflit aujourd’hui en Irak si l’on constate
qu’une grande incompréhension perdure entre les militaires et la population autochtone ce qui a souvent
provoqué des actes irréfléchis avec son lot d'horreur et de morts.
Critique :
L’heuristique est un bon moyen pédagogique pour apprendre à synthétiser une recherche holistique sur un
sujet plutôt précis. Il m’a permis de me focaliser sur un aspect essentiel de l’œuvre afin d’envisager le
sujet à travers une problématique. Compte tenu de la richesse critique du film et de l’espace imparti, ce
dernier point à aussi représenté une difficulté parce que j’ai dû par conséquent me limiter.
11
Fordham, Freida, Introduction à la psychologie de Jung, Paris, Editions Imago pour la traduction française, 1999, p. 53
4
Bibliographie
1. Sources
Témoignages:
Propos de Kubrick Stanley et entretien avec Michel Herr, (scénariste) in Ciment Michel, Stanley
Kubrick, 2e éd., Paris, Calmann-Levy, 1987, pp 241-249.
Source audiovisuelle:
Full Metal Jacket DVD Warner Bros- Collection Stanley Kubrick
2. Travaux
Ouvrage non publié:
Röösli H. Michael Mémoire: Technology and Scopic Economies in the works of Stanley Kubrick,
Genève, Université de Genève /Departement d’Anglais, (BFLMan 389), 18 septembre 2002, 60p.
Ouvrages généraux:
Portes Jacques, Les Américains et la guerre du Vietnam, Bruxelles, Editions Complexe, 1993, 360p.
Fordham Freida, Introduction à la psychologie de Jung, Paris, Editions Imago pour la traduction
française, 1999, 173p.
Encyclopédie Agora sur http://agora.qc.ca/mot.nsf/Dossiers/Encyclopedie
Aricles:
Cawley Leo, The War about the War: Vietnam Films and American Myth in From Hanoi to Hollywood,
New Brunswick and London, Rutgers University Press, 1990, pp.69-81
Klein Michael, Historical Memory, Film, and the Vietnam Era in From Hanoi to Hollywood, New
Brunswick and London, Rutgers University Press, 1990, pp.19-41
Ramonet Ignacio, Irak "Le Merdier" in Le Monde Diplomatique, décembre 2003
White Susan, Male Bonding, Hollywood Orientalism, and the Repression of the Feminine in Kubrick’s
Full Metal Jacket in Inventing Vietnam, Philadelphia, Temple University Press, 1991, 312p.
Ciment Micher, Full Metal Jacket: le douzième film in Stanley Kubrick, 2e éd., Paris, Calmann-Levy,
1987, pp 227-239
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