J. Ulmann : De la Gymnastique aux Sports Modernes. Paris, Vrin, 2° ed 1971, p.
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Notre point de vue nous interdit le genre narratif. L'histoire de l'Education Physique ne
se ramène pas pour nous à la description de comportements si intéressants soient - ils.
Elle se présente, comme la philosophie, sous la forme de conceptions structurées,
cohérentes, de véritables systèmes d'éducation physique. Et nous usons, à l'égard de
ces systèmes, si proches des systèmes philosophiques puisqu'ils les imitent, des
méthodes de l'historien de la philosophie. Nous tentons de saisir les idées maîtresses,
de dégager des filiations, de noter la naissance, quelquefois sous l'identité trouble des
mots, de concepts nouveaux. C'est en effet être dupe, que de ramener l'histoire de
l'éducation physique à celle d'un agencement de mouvements. Les idées comptent, en
éducation physique, plus que les gestes; elles se renouvellent plus qu'eux. Ce sont elles
que nous avons retenues de préférence...
Dans ce court extrait, en introduction à son étude de la succession des systèmes d'idées qui
structurent l'éducation physique des grecs à nos jours, J. Ulmann définit le sens de son travail
tout en caractérisant ce qui, pour lui, fait celui de l'éducation physique et des sports qui s'y
trouvent inclus. L'éducation physique, les sports, ou bien sont dépourvus d'histoire puisque les
possibilités biomécaniques du corps humain sont remarquablement stables dans le temps, ou
bien apparaissent sous la forme de systèmes d'idées organisant les pratiques, et qui dépendent
de ceux que produit la philosophie. De telle sorte que l'histoire des gymnastiques et des
exercices corporels redouble, avec quelque retards celle de la philosophie. J. Ulmann
introduit dans le domaine des activités physiques, gymnastiques, sports, formes successives
d'éducation physique, les exigences de l'histoire critique. Pour garantir le passage de la
description à l'explication, il lui faut d'abord construire la définition de l'objet dont il envisage
l'étude : "conceptions structurées, cohérentes,...véritables systèmes...". Ensuite, en précisant
les causes dont on retient l'efficacité, il s'agit d'énoncer le point de vue retenu, la grille qui
détermine le traitement des données : "Nous affirmons seulement le droit, pour l'historien, de
prélever dans la masse indistincte des faits historiques certains ordres de faits spécifiques, et
celui d'examiner quels types de liens s'établissent entre eux". (Ibid, p. 4)
Ainsi, des Grecs à nos jours, l'éducation physique occidentale marche sur la tête - se fonde sur
des doctrines philosophiques : voilà, si l'on y réfléchit, le constat proposé par J. Ulmann, et
qui justifie son projet. Il y a là un double paradoxe. Le premier consiste à dire que les "idées
comptent, en éducation physique, plus que les gestes". Le second à proposer une histoire qui
se développe sur une aussi longue durée. Serait-ce que J. Ulmann ignore que l'histoire,
comme les sciences est tenue de construire ses objets, et que les ruptures comptent plus que
les longues chronologies ? Sûrement pas, puisqu'il fait partie de ceux qui ont fait connaître ces
conceptions, en fondant sur elles leurs recherches, comme en témoigne par exemple son étude
sur "Les Débuts de la Médecine des Enfants" (1967, 1993). Le paradoxe n'est pas dans la
démarche de J. Ulmann, mais dans la réalité même de l'éducation physique qui ne peut se
définir autrement, lorsqu'on l'envisage dans notre tradition culturelle, que comme systèmes
d'idées. Ces systèmes constituent un objet qui, tout en connaissant suffisamment de variations
pour avoir une histoire, traverse la longue durée. Comme il n'est pas envisageable, sauf à
refaire le parcours suivi par J. Ulmann, de traiter l'ensemble de ces variations, intéressons
nous plutôt à la structure qui les contient toutes, et fonde, sous la diversité des apparences,
une véritable permanence. Depuis environ vingt cinq siècles, puisque l'analyse peut partir de