1 Chapitre 2 : Les historiens des Activités Physiques Il est possible

Bertrand DURING, ‘’Histoire Culturelle des Activités Physique XIXe et XXe Siècle’’
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Chapitre 2 : Les historiens des Activités
Physiques
Il est possible, quoiqu'un peu simplificateur d'opposer une histoire-récit, forme plus ancienne,
et une histoire critique, plus actuelle. La première se donne pour tâche de décrire, afin de
garder mémoire. Et, certes, la description, même lorsqu'elle s'affirme objective, dépend
toujours du point de vue de celui qui la propose. On lui demande en tout cas d'être agréable à
lire, et elle se donne souvent, en outre pour fonction, tout en frappant l'imagination et la
sensibilité, d'apporter une leçon, d'élever le lecteur. Si bien que l'histoire ainsi faite nous
renseigne autant sur le système de valeurs qui guide ceux qui l'écrivent que sur ce dont ils
parlent.
Aujourd'hui relues, les anciennes chroniques nous intéressent pour ce qu'elles nous révèlent
sans l'avoir délibérément voulu des comportements quotidiens, des attitudes et des
représentations, plus que pour les faits sur lesquels elles font elles-mêmes porter l'accent.
Ainsi, lorsqu'il reprend le long poème de vingt mille vers consacré à la vie de Guillaume le
Maréchal, proclamé de son vivant "le meilleur des chevaliers", G. Duby nous propose un
tableau des moeurs de la chevalerie du XII° siècle, l'exploit, qui tient dans la chronique un
rôle central, devient le chemin d'accès à l'ensemble des savoirs, des croyances, des valeurs de
ceux qui l'accomplissent. Et le tournoyeur est saisi à la fois dans sa solidarité au sportif, et
dans sa différence.
Autres sont, par exemple, les rapports au pouvoir, à la violence, à la mort alors que, au
contraire, la morale du guerrier préfigure le fair-play du sportif.
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Georges Duby : Guillaume le Maréchal. Paris, Fayard, 1984 (pp. 66-67)
Analysant l’épisode au cours duquel Guillaume le Maréchal, accusé d’avoir séduit la
Reine, s’éloigne sans se défendre de la Cour d’Henri le Jeune, G. Duby conclut :Je
tiens en tout cas le Maréchal, dans l’attitude que lui prête sa biographie, honoré par la
qualité de la femme dont on lui attribuait la conquête, pour le plus sûr témoin de ce
que fut, dans sa vérité sociale, l’amour que nous disons courtois. Une affaire
d’hommes, de honte et d’honneur, d’amour –dois-je me contraindre à parler plutôt
d’amitié ? viril. Je le répète : seuls les hommes sont dits s’aimer dans un récit dont
les femmes sont presque totalement absentes. Genre littéraire particulier, l’apologie
funéraire peut-être se devait d’observer une telle discrétion. Quoi qu’il en soit, dans ce
qu’on peut tenir pour ses mémoires, le Maréchal ne nous révèle rien de déports que
nous dirions, nous, amoureux. Ce silence en dit long sur la considération que les
hommes avaient en ce temps pour les femmes. Elles sont, lorsqu’ils parlent d’elles,
quantité négligeable.
Mais beaucoup d’hommes ne comptent guère plus pour le Maréchal et ses amis.
Aucune allusion à ceux, innombrables, dont la fonction était de travailler la terre. Sauf
une, en passant, à ce que les paysans souffraient dans les guerres. Prenons garde. Non
pas pour s’apitoyer sur leur sort, mais pour déplorer les effets de leur misère : quand
les pauvres, pillés, dévorés par les combattants, n’ont plus de quoi, abandonnent les
champs et s’enfuient, les seigneurs sont eux-mêmes appauvris. Ce sont ceux-ci qui
sont à plaindre. Point de bourgeois non plus, ou presque, car ces gens sont
méprisables : ils amassent leurs deniers aux dépens des chevaliers qu’ils grugent…
Au plan des actions, la logique du tournoi diffère de celle des sports d'affrontement actuels :
pas de délimitation de l'espace, de la durée, une violence parfois plus meurtrière que celle des
faits de guerre. Et pourtant, aussi, l'analyse met en évidence certaines permanences.
D'ailleurs, G. Duby souligne avoir choisi "très volontairement le vocabulaire de "L'Equipe",
tant, sur certains points, le parallélisme entre les tournois médiévaux et ceux d'aujourd'hui
apparaît comme évident : "championnat", "saison sportive", "match", "équipe", "capitaine"
s'appliquent en effet aussi bien à la réalité du XII° siècle qu'à celle d'aujourd'hui.
Cet exemple rapidement évoqué peut fonder la réflexion sur le sens et l'usage des chroniques,
particulièrement nombreuses dans le domaine des activités physiques. D'une part, l'exploit et
la performance ne sont rien sans les récits qui les constituent, les accompagnent, leur donnent
leur signification. Dans le prolongement de l'activité quotidienne des journalistes spécialisés,
véritable chronique au jour le jour, se publient de nombreux ouvrages d'histoire des sports et
des événements sportifs, souvent rangés dans une même collection, dont les titres
commencent tous de manière significative par "La Fabuleuse Histoire de...". D'autre part,
dans le domaine de l'éducation physique, nous ne manquons pas non plus d'ouvrages
consacrés à la description des "méthodes", organisés de telle manière que la biographie des
pionniers et autres précurseurs apparaisse souvent comme l'explication des formes de pratique
qu'ils ont été amenés à développer. Parfois, les deux démarches se croisent, en particulier
lorsque, avec des personnages comme Pierre de Coubertin, le sport se présente comme œuvre
éducative.
Il était certes nécessaire de dépasser cette forme d'histoire, et d'en proposer une lecture
critique. Il était inévitable que la critique conduise à une phase de rejet : il fallait faire une
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place à d'autres formes de travail, dépasser la description des pratiques, pour se donner les
moyens de les comprendre. Aujourd'hui on peut adopter vis à vis de ces productions une
attitude plus modérée : elles ont contribué et contribuent encore à l'identité des sports, des
éducations physiques. Elles en façonnent la représentation. Elles témoignent, de façon pas
toujours fidèle, et souvent naïve, ce qui doit nous inciter, non au rejet, mais à une lecture
critique qui permettra d'y trouver matière à réflexion.
Au delà de ses formes narratives, l'histoire peut en effet adopter une attitude plus curieuse,
plus scientifique. Elle se donne alors pour but d'analyser ce qu'elle rapporte, en liant des
causes et des effets. Ainsi, au lieu d'expliquer l'émergence d'une pratique sportive ou d'une
forme d'éducation physique par le génie de leur créateur, par son itinéraire personnel,
l'historien va, tout en précisant la définition de l'objet dont il s'occupe, mettre en évidence un
ordre de causes jouant sur lui. Une fois précisée la définition de l'éducation physique, ou du
sport, il devient possible de faire des choix parmi les facteurs qui les transforment, et de
construire la chronologie des principales modifications qui les caractérisent. L'histoire critique
est une histoire construite, et non le compte rendu d'événements qui s'imposent.
Dans ses formes actuelles, l'histoire des sports et de l'éducation physique élabore avant tout
travail, une définition de ce dont elle parle. Elle repère ensuite les transformations en les
rapportant aux causes qui les provoquent. Elle construit, en se référant à ces changements
majeurs, à ces moments de discontinuité, la chronologie qui en résulte, et apparaît comme la
mieux adaptée à mettre l'essentiel en lumière.
Histoire des Idées, des Sciences et des Techniques
La première des voies ouvertes, dans cette perspective critique, témoigne du prolongement,
fécond dans notre domaine, des travaux d'histoire des idées, des sciences et des techniques.
On peut considérer que G. Bachelard et A. Koyré sont à l'origine d'une "école" qui a pour
point d'attache l'Institut d'Histoire des Sciences et des Techniques. Une part de ses
productions est rassemblée dans la collection "Galien" des Presses Universitaires de France
l'on trouve, par exemple, avec "Le Normal et le Pathologique" de G. Canguilhem, "La
Naissance de la Clinique" de M. Foucault, "La Raison et les Remèdes" de F. Dagognet,
d'autres titres, dont "De la Gymnastique aux Sports Modernes", pour sa première édition, en
1965.
Dans cette riche mouvance, où s'illustrent quelques uns des philosophes parmi les plus connus,
s'inscrit en effet l'ouvrage de J. Ulmann, par lequel s'ouvre une nouvelle manière de faire
l'histoire des activités physiques.
De quoi s'agit-il ? L'éducation physique s'adresse au corps. Elle occupe l'espace, provoque
l'activité. Mais celle-ci ne peut être considérée comme éducative qu'à partir du moment
elle est organisée et orientée vers des fins clairement définies. Si bien que les idées dirigent
l'éducation physique, dont l'histoire devient celle des "doctrines" qui la sous-tendent, ainsi
qu'il apparaît dans le document qui suit.
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J. Ulmann : De la Gymnastique aux Sports Modernes. Paris, Vrin, ed 1971, p.
5.
Notre point de vue nous interdit le genre narratif. L'histoire de l'Education Physique ne
se ramène pas pour nous à la description de comportements si intéressants soient - ils.
Elle se présente, comme la philosophie, sous la forme de conceptions structurées,
cohérentes, de véritables systèmes d'éducation physique. Et nous usons, à l'égard de
ces systèmes, si proches des systèmes philosophiques puisqu'ils les imitent, des
méthodes de l'historien de la philosophie. Nous tentons de saisir les idées maîtresses,
de dégager des filiations, de noter la naissance, quelquefois sous l'identité trouble des
mots, de concepts nouveaux. C'est en effet être dupe, que de ramener l'histoire de
l'éducation physique à celle d'un agencement de mouvements. Les idées comptent, en
éducation physique, plus que les gestes; elles se renouvellent plus qu'eux. Ce sont elles
que nous avons retenues de préférence...
Dans ce court extrait, en introduction à son étude de la succession des systèmes d'idées qui
structurent l'éducation physique des grecs à nos jours, J. Ulmann définit le sens de son travail
tout en caractérisant ce qui, pour lui, fait celui de l'éducation physique et des sports qui s'y
trouvent inclus. L'éducation physique, les sports, ou bien sont dépourvus d'histoire puisque les
possibilités biomécaniques du corps humain sont remarquablement stables dans le temps, ou
bien apparaissent sous la forme de systèmes d'idées organisant les pratiques, et qui dépendent
de ceux que produit la philosophie. De telle sorte que l'histoire des gymnastiques et des
exercices corporels redouble, avec quelque retards celle de la philosophie. J. Ulmann
introduit dans le domaine des activités physiques, gymnastiques, sports, formes successives
d'éducation physique, les exigences de l'histoire critique. Pour garantir le passage de la
description à l'explication, il lui faut d'abord construire la définition de l'objet dont il envisage
l'étude : "conceptions structurées, cohérentes,...véritables systèmes...". Ensuite, en précisant
les causes dont on retient l'efficacité, il s'agit d'énoncer le point de vue retenu, la grille qui
détermine le traitement des données : "Nous affirmons seulement le droit, pour l'historien, de
prélever dans la masse indistincte des faits historiques certains ordres de faits spécifiques, et
celui d'examiner quels types de liens s'établissent entre eux". (Ibid, p. 4)
Ainsi, des Grecs à nos jours, l'éducation physique occidentale marche sur la tête - se fonde sur
des doctrines philosophiques : voilà, si l'on y réfléchit, le constat proposé par J. Ulmann, et
qui justifie son projet. Il y a un double paradoxe. Le premier consiste à dire que les "idées
comptent, en éducation physique, plus que les gestes". Le second à proposer une histoire qui
se développe sur une aussi longue durée. Serait-ce que J. Ulmann ignore que l'histoire,
comme les sciences est tenue de construire ses objets, et que les ruptures comptent plus que
les longues chronologies ? Sûrement pas, puisqu'il fait partie de ceux qui ont fait connaître ces
conceptions, en fondant sur elles leurs recherches, comme en témoigne par exemple son étude
sur "Les Débuts de la Médecine des Enfants" (1967, 1993). Le paradoxe n'est pas dans la
démarche de J. Ulmann, mais dans la réalité même de l'éducation physique qui ne peut se
définir autrement, lorsqu'on l'envisage dans notre tradition culturelle, que comme systèmes
d'idées. Ces systèmes constituent un objet qui, tout en connaissant suffisamment de variations
pour avoir une histoire, traverse la longue durée. Comme il n'est pas envisageable, sauf à
refaire le parcours suivi par J. Ulmann, de traiter l'ensemble de ces variations, intéressons
nous plutôt à la structure qui les contient toutes, et fonde, sous la diversité des apparences,
une véritable permanence. Depuis environ vingt cinq siècles, puisque l'analyse peut partir de
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Platon, l'éducation physique s'inscrit dans le développement d'une définition a priori de
l'Elève, sujet universel composé d'une âme et d'un corps.
Commentons rapidement ce système de relations : au point de départ, le choix dualiste,
fondement de la pensée occidentale, condition de possibilité du développement scientifique,
même si certaine démarches scientifiques s'efforcent aujourd'hui de le dépasser. Ensuite, du
côté du corps, la nécessité de le penser en prenant appui sur des modèles extérieurs à lui,
mécanistes ou vitalistes. Ces modèles fournissent un fil directeur dans la recherche des
exercices. L'éducation physique est soit référée à l'anatomie -corps machine simple, faite de
leviers osseux, de cordes musculaires et tendineuses, de poulies articulaires-, comme c'est le
cas dans les gymnastiques analytiques et construites. Soit à la machine thermodynamique, qui
brûle ses ressources énergétiques à l'aide de l'oxygène de l'atmosphère pour produire de la
chaleur, du travail et des déchets, comme c'est le cas dans les conceptions actuelles de
l'entraînement. Soit enfin à la machine cybernétique, qui traite de l'information et régule son
fonctionnement, comme c'est le cas lorsque sont prises en compte les données neuro-
biologiques. Ces modèles complémentaires permettent de construire des progressions
d'exercices satisfaisantes pour la raison.
Mais des exercices, même rationnels, ne font pas une éducation : le corps machine ne
s'éduque pas, il s'entretient. D'ailleurs, se tourner vers les démarches qui définissent le corps
comme la partie animale de l'homme nous place devant une difficulté semblable : l'animal ne
s'éduque pas plus que la machine, il se dresse. Il reste alors à l'éducation physique une seule
solution, clairement énoncée par Platon : reconnaître que les exercices sont secondaires, et
que l'éducation physique ne s'adresse pas au corps mais à l'âme, à son "principe courageux",
celui qui fait les hommes d'action. "C'est donc en vue de cette double fin qu'un dieu, disais-je
a fait don aux hommes, autant qu'il me semble de deux arts, musique et gymnastique, et non
pas en vue de l'âme et du corps, à moins que ce ne soit à titre purement secondaire, mais bien
plutôt en vue de ces deux grands penchants de notre âme en sorte qu'on puisse établir entre
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