la physique de la mati ere condens ee en basse dimension

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LA PHYSIQUE DE LA MATIE RE CONDENSE E EN BASSE
DIMENSION
Vivien BRUNEL
Service de Physique Theorique, CEA Saclay, France
(April 20, 1998)
"La physique moderne est la physique de basse dimension ", pourrait clamer
un physicien de Marseille (en exagerant un peu, comme toujours). Ce conte
philosophique s'adresse au non specialiste et a pour objectif de montrer l'inter^et de
l'etude des systemes physiques complexes de basse dimension. J'insisterai tout particulierement sur la grande richesse d'etats quantiques (qui echappent a l'intuition)
que presentent les systemes uni- et bi-dimensionnels.
I. PRE AMBULE
Representation spinorielle, operateur vectoriel, variable anticommutante, integration fonctionnelle, groupe d'homotopie, geometrie dierentielle... La physique moderne puise dans les
mathematiques des outils si puissants qu'elle appara^t quelque peu absconse au beotien, qui ne
voit bien souvent la dedans (un peu comme en art moderne ou en philosophie) que billevesees et
faceties d'intellectuels. Ce n'est pourtant en general pas le cas, et je vais m'employer, dans les
pages qui suivent, a vous en convaincre...
La demarche premiere du physicien est la modelisation ; il cherche a simplier la nature pour
tenter de la representer mathematiquement. Ainsi, il isole des morceaux d'univers qu'il appelle
systemes et enonce les hypotheses qui vont les simplier au maximum, tout en captant l'essentiel
de la physique1.
FIG. 1. Piet Mondrian, Composition en gris, 1919.
Il existe cependant deux limites a la modelisation : la premiere est que si le physicien simplie trop son etude, celle-ci n'aura plus de realite physique. En revanche, s'il ne retient pas de
son systeme les seules composantes physiquement importantes, il se heurtera a un probleme trop
complexe pour ^etre resolu mathematiquement.
1 Cette
demarche est tres exactement similaire en art moderne en particulier, et en art de facon generale
(Nathalie Pires, 1998, non publie).
1
Il existe toutefois un cas ou un systeme physique, bien qu'inniement complexe, peut ^etre etudie
par les outils mathematiques du physicien : il s'agit des systemes comprenant un tres grand nombre
de particules, de l'ordre du nombre d'Avogadro (1023 particules) ; on parle alors d'un systeme a
grand nombre de degres de liberte. Il est par exemple impossible de suivre une a une toutes les
molecules d'un gaz, de tenir compte de leurs chocs et d'en deduire la position et la vitesse de
chacune a un instant ulterieur. En revanche, il est possible d'etudier ce gaz de facon statistique
et d'en tirer des grandeurs moyennes mesurables a l'echelle macroscopique comme l'energie, la
temperature... C'est cela l'uvre de la physique statistique.
La physique statistique a permis l'etude de systemes de plus en plus complexes et proches d'une
description realiste. C'est ainsi que la physique de la matiere condensee a connu un veritable essor
depuis quelques dizaines d'annees.
La physique de la matiere condensee est la science des solides et des liquides, qui sont les etats
de la matiere ou les atomes sont si proches les uns des autres qu'ils interagissent simultanement
avec un grand nombre de leurs voisins. C'est aussi la science des etats intermediaires entre liquide
et solide (cristaux liquides, gels, verres...), des plasmas et gaz denses, mais aussi de certains etats
quantiques (superuides, supraconducteurs). Tous ces etats constituent les etats condenses de la
matiere.
La physique de l'etat condense est doublement importante : elle fournit tout d'abord les bases
microscopiques de la mecanique, l'hydrodynamique, la thermodynamique, l'electronique, la chimie
du solide... Ensuite, elle contribue au developpement des hautes technologies, du laser de nos
lecteurs de cederoms aux aimants supraconducteurs.
L'innie complexite de l'etat condense requiert de la part des scientiques une grande creativite
an de trouver des moyens conceptuels, mathematiques et experimentaux d'apprehender, de comprendre et de decrire de tels systemes ou un traitement exact et rigoureux n'est que pure utopie.
De plus, la physique de la matiere condensee est un stimulant tant intellectuel qu'industriel de
par la richesse des phenomenes observes et des etats de la matiere engendres. Car c'est un domaine ou des phenomenes qui ne se manifestent habituellement qu'aux echelles (sub)atomiques
(phenomenes quantiques) se produisent aussi couramment a l'echelle macroscopique. Il existe de
nombreux etats tres exotiques engendres par des mecanismes exclusivement quantiques et tout a
fait non intuitifs, mais aux consequences scientiques, technologiques et industrielles importantes.
Trains supraconducteurs, transistors semiconducteurs, ordinateurs miniaturises, imagerie medicale,
telecommunications optiques... autant de revolutions passees ou a venir amenees par la physique
de la matiere condensee.
C'est dans ce cadre que la physique de basse dimension a pu prendre son essor, avec le succes
que je vais vous narrer. En physique, la dimension n'a rien a voir avec la taille d'un systeme, mais
plut^ot a la dimension de l'espace (au sens mathematique du terme) dans lequel on le considere
: notre univers quotidien possede trois dimensions, plus une dimension de temps. La dimension
est cependant une quantite variable et le theoricien ne se gene pas pour etudier des systemes
physiques de dimension D, ou D est un parametre arbitraire, pas forcement entier. Les solides
habituels sont tri-dimensionnels, mais on sait aujourd'hui fabriquer des systemes bi-dimensionnels
(constitues de couches isolees les unes par rapport aux autres) ou (quasi) uni-dimensionnels (ce sont
des solides tri-dimensionnels dont les interactions entre chaque atome et ses voisins presentent une
forte anisotropie dans une direction). Il se trouve que les uctuations quantiques, qui engendrent
des comportements non intuitifs, sont d'autant plus fortes que la dimension du systeme est petite.
Les eets quantiques seront tres faibles, voire nuls, lorsque la dimension sera grande (D ! +1)
et seront, en revanche, tres importants en dimension 1 et 2 et conduiront frequemment le systeme
vers des etats exotiques.
En consequence, la physique de basse dimension ore une variete impressionnante d'etats de la
matiere qui rev^etent un inter^et certain, tant des points de vue intellectuel et experimental que du
point de vue des applications aux hautes technologies.
Ce travail est organise comme suit : dans une premiere partie, on introduit quelques notions
essentielles de mecanique quantique, utiles en matiere condensee. Dans un deuxieme temps, on
evoque la necessite d'utiliser des outils statistiques pour decrire les systemes comprenant un grand
nombre de particules. Fort de ces deux outils fondamentaux, le lecteur sera capable d'apprecier
2
toute la subtilite des etats quantiques realises a l'echelle macroscopique, notamment ceux responsables de la supraconductivite et de l'eet Hall quantique, esquisses dans les paragraphes 4 et 5
respectivement. A ce niveau, l'inter^et du magnetisme unidimensionnel devient palpable, et une
longue discussion lui est consacree. Enn, l'eet du desordre est discute dans le dernier paragraphe.
II. LES PHE NOME NES QUANTIQUES
A. Les etats quantiques
En physique classique, la notion d'etat est aussi claire qu'intuitive. Si l'on considere une particule,
son etat est entierement determine par sa position et sa vitesse. Pour un systeme plus complexe,
l'etat est entierement deni par la valeur de l'ensemble de ses degres de liberte en fonction du temps.
Par exemple un solide est decrit par ses six degres de liberte (3 degres de liberte de translation et
3 degres de liberte de rotation). Lorsqu'un systeme est en interaction avec le reste de l'univers, il
existe un etat privilegie dans lequel le systeme prefere se trouver ; c'est l'etat qui rend son energie
minimale : on l'appelle etat fondamental ou plus simplement, le fondamental.
Ainsi, une bille dans une cuvette constitue un systeme. Le fondamental est l'etat de la bille qui
va minimiser son energie : c'est l'etat ou la bille est immobile au fond de la cuvette. Par exemple,
si a t = 0, la bille a une energie E > E0 (ou E0 est l'energie du fondamental), et qu'elle subit des
forces de frottement, alors l'energie du systeme n'est pas conservee, dE=dt < 0 et E ! E0. La bille
atteint alors son fondamental et ne peut, par denition, atteindre un etat d'energie inferieure. On
peut toutefois remarquer que lors de la dissipation, la bille a occupe tous les etats intermediaires
entre les energies E (t = 0) et E0, et qu'elle a atteint son etat fondamental de maniere continue.
C'est la la dierence cruciale avec la mecanique quantique, qui regit les phenomenes physiques a
l'echelle microscopique. Au debut du XX e siecle, pour palier certaines dicultes que la mecanique
newtonienne ne pouvait contourner, les theoriciens ont ete contraints de supposer que les echanges
d'energie s'eectuaient de facon discontinue : un systeme ne passe pas contin^ument d'un etat a
un autre, mais saute instantanement d'un etat a un autre avec une certaine probabilite. Pour un
systeme macroscopique comme la bille dans une cuvette, les etats sont si nombreux et si rapproches
les uns des autres que l'observateur a l'impression de continuite car ni lui ni ses appareils de mesure
ne sont capables de discerner les sauts d'un etat a un autre, mais le systeme se comporte aussi de
facon discontinue.
En mecanique quantique, un etat n'est pas decrit par la position et la vitesse des particules du
systeme, mais par un objet abstrait j >, qu'il faut voir comme un vecteur. Dans le cas d'un
systeme non dissipatif, on n'ecrit pas la conservation de l'energie comme en mecanique classique.
L'analogue quantique de la conservation de l'energie est l'equation de Schrodinger qui indique que
j > est un vecteur propre d'une espece de matrice2 (qui peut ^etre de taille innie) H :
Hj >= E j > :
(1)
La forme de H (qu'on appelle le hamiltonien) depend explicitement du systeme que l'on considere.
Les valeurs possibles de l'energie du systeme sont donc, dans cette theorie, les valeurs propres du
hamiltonien ; elles peuvent ^etre en nombre inni mais toujours denombrable.
Prenons l'exmple d'un systeme ne pouvant occuper que deux etats j 0 > et j 1 > associes aux
energies E0 et E1 (de tels systemes existent!). Ce systeme peut ^etre decrit par un hamiltonien qui
est tout simplement une matrice 2 2.
2 C'est
un operateur.
3
E1
EXCITE
E0
FONDAMENTAL
E1
E0
FIG. 2. Systeme a deux etats
Si le systeme est dans son etat fondamental il ne pourra passer dans l'etat j 1 > que si l'on
apporte au systeme une energie exactement egale a E1 ? E0. Une fois dans l'etat excite j 1 >,
le systeme pourra retourner dans son fondamental, en rejetant dans le cosmos une energie egale a
E1 ? E0. Dans l'exemple d'un atome, ces transferts d'energie s'eectueront sous forme de photons.
Considerons a present un systeme a une particule. Son spectre (ensemble des valeurs permises
pour son energie) est theoriquement calculable en resolvant l'equation de Schrodinger (1). Imaginons maintenant que l'on regarde le spectre d'un systeme compose d'un tres grand nombre N
de particules, interagissant entre elles. Le spectre ne se deduit pas simplement du spectre a une
particule (et il est dierent) a cause des interactions. Ce qui interesse le physicien est, a la limite
thermodynamique (N ! 1), la dierence d'energie entre le fondamental (etat d'energie minimale)
et le premier etat excite (etat d'energie minimale apres le fondamental), car ce renseignement permet de comprendre certaines proprietes macroscopiques du systeme.
Deux situations caracteristiques peuvent se presenter :
Au dessus du fondamental, les niveaux s'accumulent et se resserrent a mesure que le nombre
de particules augmente. A la limite d'un nombre inni de particules, les niveaux sont si
resserres que l'on ne percoit qu'un continuum de niveaux : on peut passer contin^ument du
fondamental a un etat d'energie plus elevee, comme dans le cas de la bille.
Une autre situation se rencontre lorsque, en revanche, le premier etat excite se trouve a une
energie nie du fondamental pour N ! 1. On dit alors qu'on a un gap dans le spectre
d'excitations. Cette situation est radicalement dierente de notre experience quotidienne :
c'est comme s'il fallait fournir une energie nie pour faire bouger la bille au fond de la cuvette
alors que l'on sait tres bien qu'a la moindre action de notre part, celle-ci se mettra a osciller,
m^eme faiblement, au fond de la cuvette.
ENERGIE
GAP
FONDAMENTAL
(a)
(b)
FIG. 3. Systeme sans gap (a) et systeme avec gap (b).
4
B. Le spin
La mecanique quantique inclut une nouvelle notion dans sa theorie, qui doit ^etre admise comme
un postulat si l'on ne veut pas s'immerger dans le formalisme de la theorie quantique des champs :
c'est le spin. Imaginons un electron parcourant une orbite circulaire. Ce systeme est identique a
une boucle de courant, et possede un moment magnetique (quantite d'induction magnetique) et
un moment cinetique (quantite de rotation) qui sont d'ailleurs proportionnels. Il se trouve que les
particules elementaires, ainsi que les atomes, possedent un moment cinetique intrinseque, comme
si ces particules ou atomes tournaient continuellement sur elles-m^eme. Ce moment intrinseque
s'appelle spin. Mais, fait remarquable tant du point de vue de ses consequences physiques que
philosophiques, ce spin ne peut pas prendre n'importe quelle valeur. De m^eme que l'energie ne
peut prendre que certaines valeurs discretes (on dit que l'energie est quantiee), de m^eme le moment
cinetique intrinseque (le spin) est quantie. Par exemple, le spin d'un electron ne peut prendre
que deux valeurs : +1/2 ou -1/2. On dit que l'electron a un spin 1/2. Une particule dite de spin
1, aura un spin qui ne pourra prendre que trois valeurs : -1,0 ou +1. Le spin peut ^etre vu comme
une petite ^eche portee par la particule et qui prendrait seulement trois positions dans le cas d'un
spin 1 par exmple3.
!
et
En presence d'un champ
magn
e
tique,
l'
e
nergie
d'interaction
entre
un
moment
magn
e
tique
!
!
! !
un champ magn
etique B est
W = ? : B . Il en est de m^eme pour un spin S dans un champ
!
! !
magnetique B : H = ? B : S . En termes math
ematiques, H est un terme du hamiltonien
!
representant l'energie magnetique d'interaction, et B est! un vecteur4 . Mais nous avons vu que le
hamiltonien est un operateur, donc H aussi. Des lors, S n'est pas un veritable vecteur, c'est un
operateur vectoriel. Dans le cas d'un spin 1/2, chaque composante de cet operateur vectoriel est
un operateur qui ne peut avoir que deux valeurs propres : 1=2.
On peut! aussi! considerer l'interaction entre deux spins. Suivant la nature des atomes portant
ces spins S1 et S2 , les spins vont preferer ^etre paralleles ou antiparalleles. Le terme correspondant
du hamiltonien (fonction d'energie) est :
! !
H = J S1 : S2 :
(2)
! !
Si J > 0, l'energie est classiquement minimisee lorsque S1 : S2 < 0 ("# ou #") ; le couplage
est dit antiferromagnetique.
! !
Si J < 0, l'energie est classiquement minimisee lorsque S1 : S2 > 0 ("" ou ##) ; le couplage
est dit ferromagnetique.
Enn, un electron libre porte un spin 1/2. Cet electron peut interagir avec un spin localise avec
couplage ferromagnetique ou antiferromagnetique.
C. Fluctuations quantiques
En physique classique, le principe clef est la minimisation de l'energie. Cette procedure predit un
certain comportement pour le systeme ; par exemple, une assemblee de spins ayant des interactions
antiferromagnetiques, minimiseront leur energie lorsque deux spins voisins seront antiparalleles.
3 Pour
une particule de spin S (S est toujours un nombre entier ou demi-entier), les valeurs possibles du
spin sont au nombre de 2S+1, et forment l'ensemble f?S; ?S + 1; :::; S ? 1; S g.
4 Plus exactement, c'est un pseudovecteur : il reste constant par symetrie centrale (sous parite).
5
Ceci est une solution classique du probleme. Mais cette solution ne correspond pas forcement a la
realite physique, celle qu'on peut par exemple observer par une experience. En eet, la mecanique
quantique peut conduire le systeme vers un etat fondamental dierent de la solution classique.
Comment se peut-ce ?
De m^eme que la temperature induit des uctuations thermiques (voir plus loin), de m^eme la
mecanique quantique induit des uctuations quantiques. Heisenberg a montre dans les annees
20 qu'un systeme pouvait spontanement changer d'etat pendant un certain temps. Ceci est une
uctuatiuon quantique, totalement interdite en mecanique classique (pour reprendre l'exemple
de la bille dans sa cuvette, on n'a jamais vu de bille se remettre en mouvement spontanement
pendant quelques fractions de secondes). Ces uctuations quantiques peuvent aussi modier le
systeme de facon dramatique : elles sont responsables de l'emission spontanee dans les atomes, de la
desintegration des atomes radioactifs... Enn, elles peuvent engendrer un etat fondamental dierent
du fondamental classique, et ceci est source d'une grande richesse des phenomenes physiques. Cette
situation se produira en particulier lorsque la dimension du systeme sera faible, car on peut montrer
que les uctuations quantiques sont d'autant plus fortes que la dimension est basse5 .
A titre d'exemple, c'est ce qui se produit dans les cha^nes de spin antiferromagnetiques, ou l'etat
fondamental n'est pas antiferromagnetique. Le magnetisme ore une grande variete d'exemples de
ce phenomene.
III. PHYSIQUE STATISTIQUE
A. Probabilites et grand nombre de particules
La description d'un systeme compose d'un nombre de particules tres grand (de l'ordre du nombre
d'Avogadro : 1023) ne saurait echapper a un traitement statistique qui seul est pertinent et contient
de plus les reponses aux veritables questions que l'on se pose. En eet, les choses qui nous importent
se situent a l'echelle globale, macroscopique du systeme : on veut conna^tre les dierentes phases
d'un materiau, on veut mesurer ses proprietes magnetiques, thermiques, electriques ; la position
et la vitesse de tel ou tel atome nous importe peu ! La physique statistique a pour but de donner
une description macroscopique du systeme a partir de sa composition microscopique.
En realite, le grand nombre de particules, loin de nous mettre des b^atons dans les roues, va
constituer notre salut, de m^eme que la loi des grands nombres est l'outil de base des statisticiens et
probabilistes. A ce stade de la discussion, il serait fort a propos de s'attarder sur des notions comme
l'aleatoire ou l'equilibre. Je ne discuterai pas la notion d'aleatoire car cela nous conduirait un peu
loin, mais je souhaiterais evoquer l'equilibre. Lorsqu'il y a transport dans un systeme (de chaleur,
de matiere...), ce systeme est dit hors equilibre, mais on peut neanmoins se situer plus ou moins
loin de l'equilibre. En fait, la notion d'approche de l'equilibre est reliee a celle d'irreversibilite. On
sait tres bien que l'evolution d'un systeme ne s'eectue que dans un seul sens, vers le desordre le
plus grand : l'entropie (ou desordre) est toujours une fonction croissante du temps (regardez votre
chambre sur une periode susante) ; une craie qui se brise ne se ressoudera jamais d'elle m^eme,
une goutte d'encre versee dans un verre d'eau va s'y diluer a jamais. Ainsi, une transformation
hors equilibre implique dissipation d'energie, donc irreversibilite et par consequent augmentation
d'entropie. A l'inverse, une transformation du systeme ou l'on passe de facon quasi-statique (c'est
a dire par des etats d'equilibre) d'un etat a un autre, est une transformation reversible, et l'entropie
du systeme ne varie pas.
5 Dans
les calculs, les uctuations quantiques sont proportionnelles, en dimension D, a :
Z D?1
k
0
k
n
dk
:
Une telle integrale, pour n entier naturel, est d'autant plus divergente (en 0) que la dimension D est faible.
6
B. Fluctuations thermiques
Une des grandeurs physiques qui caracterisent les etats macroscopiques est la temperature. La
temperature est une quantite purement statistique et n'a de sens qu'au niveau macroscopique. A
titre d'exemple, la temperature d'un gaz (atomes ponctuels sans interactions) est proportionnelle
a l'energie cinetique moyenne des particules qui le composent :
T / < Ec > :
(3)
Considerons un systeme macroscopique. Soit j0 > son etat fondamental d'energie 0 et Ej>
l'energie d'un etat excite (Ej> 0) j > du systeme. A temperature nulle (en Kelvins !!!), le
systeme, s'il est isole, ne pourra recevoir aucune excitation (exceptees les uctuations quantiques);
il sera dans son etat fondamental j0 >. A temperature nie T > 0, le systeme pourra recevoir des
excitations puisque la temperature mesure l'agitation de ce systeme : plus la temperature est elevee,
plus les atomes qui composent le materiau sont agites. Avec une probabilite non nulle, le systeme
se trouvera dans l'etat j > d'energie Ej> . Cette probabilite est donnee par la distribution de
Gibbs :
P (j >) = A e?Ej> =T :
(4)
ou A est la constante de normalisation. On peut alors calculer des valeurs moyennes de grandeurs
sujettes aux uctuations thermiques, de facon tres habituelle en probabilites :
X
< fj> >= fj> P (j >):
j>
La constante de normalisation A semble tout a fait anodine ; c'est en fait la grandeur centrale
de toute la physique statistique ; elle est appelee fonction de partition et est notee :
X
(5)
Z = e?Ej> =T :
j>
Son importance reside dans le fait que les grandeurs thermodynamiques decoulent de Z par
simple derivation6.
Une remarque importante est que dans l'expression de Z , la somme s'eectue sur tous les etats
j > du systeme et non sur les valeurs d'energie possibles. Generalement, on ne parle pas d'etat
mais de conguration du systeme (ce qui est equivalent) : par exemple, si chacune des N particules
constituant le systeme peut se trouver dans 2 congurations, le systeme lui-m^eme pourra occuper
2N etats ou congurations possibles.
IV. LES E TATS SUPRACONDUCTEURS
Un des plus merveilleux mariages de la physique quantique et de la physique a N corps, a sans
doute ete obtenu dans la theorie BCS de la supraconductivite, du nom de ses 3 auteurs Bardeen,
Cooper, Schrieer. Cette theorie decrit avec une grande precision les etats supraconducteurs
dits conventionnels, qui sont des exemples particulierement frappant de phenomenes quantiques a
echelle humaine, au m^eme titre que la superuidite.
termes mathematiques, Z est la fonctionnelle generatrice de toutes les fonctions de correlation, qui
sont les grandeurs mesurables par l'experience.
6 En
7
A. Supraconductivite conventionnelle
Si on baigne un morceau d'etain dans l'helium liquide a 3.7 K (-269.3 degres Celsius), on constate que sa resistance electrique est nulle. On peut mesurer cette resistance en fonction de
la temperature, et on constate qu'elle chute brutalement a zero pour une valeur donnee de la
temperature appelee temperature critique.
ρ
Tc
T
FIG. 4. Resistance d'un materiau supraconducteur en fonction de la temperature.
C'est en 1911 que Onnes a decouvert le premier etat supraconducteur dans le mercure. La
decouverte de ces nouveaux etats condenses de la matiere sont la concretisation d'un des r^eves fous
des physiciens : comment transporter l'electricite sans resistance ? Les consequences technologiques
sont colossales ; lignes a haute tension, trains magnetiques, composants electroniques, aimants
surpuissants, accelerateurs de particules, sans parler du mouvement quasi perpetuel (on est capable
d'emprisonner un courant electrique dans un anneau supraconducteur pendant plusieurs annees
sans baisse notable de l'intensite)... Mais il reste un probleme crucial a resoudre : comment
augmenter la fameuse temperature critique jusqu'a la temperature ambiante ? Jusqu'en 1986, les
plus grandes temperature critiques etaient de l'ordre de 35 K (-238 degres Celsius), et aujourd'hui
on arrive a des temperatures critiques de 130 K (-143 degres Celsius) gr^ace a une nouvelle generation
de materiaux ; on est cependant encore relativement loin des applications dans la vie de tous les
jours.
La physique des etats supraconducteurs a mis pres de 50 ans pour ^etre comprise sur le plan
theorique apres la decouverte d'Onnes. La raison en est que ces etats sont des etats quantiques
macroscopiques complexes. Dans un metal normal, il n'y a pas de gap entre le fondamental et
le premier etat excite, si bien que les excitations thermiques (et elles sont grandes a temperature
ambiante) permettent au metal de se retrouver frequemment dans des etats excites ; il n'y a aucune
correlation entre les electrons du systeme, chacun menant son petit bonhomme de chemin. On peut
demontrer qu'en abaissant susement la temperature, les electrons du metal vont avoir tendance
a se regrouper par paires. Dans un etat supraconducteur, une fraction importante des electrons
se sont apparies pour former un sorte de particule composite appelee paire de Cooper : on dit
qu'il y eu condensation de Bose des electrons (en quelque sorte, le gaz d'electrons s'est condense
en un liquide de paires de Cooper). Cet appariement resulte d'une attraction des electrons entre
eux (malgre la repulsion coulombienne) via les mouvements des atomes du metal qui sont peu
desordonnes a faible temperature. A faible temperature, lorsqu'un electron se deplace, il attire
un peu vers lui les ions qui constituent le materiau car ceux-ci sont charges positivement. Mais
dans leur deplacement, ces ions positifs vont aussi attirer les autres electrons, creant ainsi une
attraction entre electrons. En revanche, a haute temperature, les uctuations thermiques noieront
les attractions des electrons sur les ions du solide, et il n'y aura plus d'attraction entre electrons,
donc plus d'appariement.
Lors de la condensation de Bose, les premiers etats excites se sont eux aussi agglomeres sur
le fondamental, creant a present un gap entre le fondamental et le premier etat excite. Si la
8
temperature est trop faible, les excitations thermiques seront insusantes pour que le systeme
atteigne un etat excite : le systeme va donc rester conne dans son fondamental. Ainsi, une
dierence de potentiel va-t-elle engendrer un deplacement de charges dans le materiau, mais le
systeme restera toujours dans le m^emeetat. C'est la l'origine de la nullite de la resistance electrique.
Comme on le voit, c'est la mecanique quantique qui est responsable de ces nouveaux etats
supraconducteurs, en creant un gap entre le fondamental et le premier etat excite. Cependant, et
contrairement a ce que croient beaucoup de physiciens, supraconductivite n'est pas synonyme de
gap. Sous certaines conditions, on peut avoir une supracondictivite sans gap, par exemple si le
materiau contient des impuretes magnetiques (impuretes qui portent un spin) en faible concentration.
B. Supraconductivite a haute temperature
Les interactions entre electrons et impuretes magnetiques sont tres complexes et pourraient
peut-^etre fournir un mecanisme d'appariement dierent de celui decrit ci-dessus et capable de
creer une transition supraconductrice a plus haute temperature. Depuis plus de dix ans, on bat
record sur record en matiere de temperature critique, qui a ete multipliee par quatre pendant
cette periode, mais le mecanisme theorique du phenomene est encore un mystere. Il est tres
important de comprendre le phenomene theoriquement car la theorie peut predire de nouveaux
eets, mais surtout, elle peut permettre une comprehension plus profonde des phenomenes et
peut-^etre declancher une nouvelle augmentation consequente de la temperature critique.
V. L'EFFET HALL QUANTIQUE
L'eet Hall est, depuis presque 20 ans, un des sujets de la physique fondamentale (tant sur le plan
theorique qu'experimental) les plus etudies, et aussi les plus mysterieux. L'eet Hall date en realite
du dix-neuvieme siecle, et n'est qu'une consequence immediate de l'electromagnetisme classique.
Si on considere un conducteur bi-dimensionnel (rectangulaire par exemple) auquel on impose une
dierence de potentiel aux extremites, nul ne sera surpris d'observer un courant electrique dans ce
conducteur. Si on plonge a present le dispositif dans un champ magnetique perpendiculaire au plan
conducteur, on observe alors une dierence de potentiel transverse, entre les deux autres c^otes du
conducteur (voir gure). L'explication est extr^emement simple : les electrons en mouvement dans
champ magnetique sont devies vers l'un des c^otes lateraux du conducteur en vertu de la fameuse loi
de Lorentz (ou de Laplace, comme on veut). Ces electrons qui sont en exces sur l'un des c^otes du
conducteur creent une dierence de potentiel transverse. A cette dierence de potentiel transverse
est associe un courant tranverse qui n'est rien d'autre que le ux transverse des electrons, et le
rapport du courant par l'intensite est une resistance transverse, appelee resistance de Hall, et qui
est inversement proportionnelle au champ magnetique applique.
Mais, voila : si on refroidit considerablement le systeme jusqu'a des temperatures de l'ordre du
Kelvin, et si on applique un champ magnetique intense, on constate que la conductance (inverse de
la resistance) de Hall ne varie pas lineairement avec le champ magnetique, mais presente une serie
de plateaux : la resistance de Hall est quantiee sur ces plateaux, et vaut un multiple entier d'un
certain nombre 0. De plus, la largeur des plateaux augmente avec la temperature. Les experiences
ont prouve que les electrons sont presque libres dans de tels etats, c'est a dire que leur repulsion
coulombienne est negligeable.
D'autres experiences ont mis en evidence une quantication fractionnaire de la conductance de
Hall : on a observe des plateaux pour des valeurs fractionnaires de 0. Il s'agit de l'eet Hall
quantique fractionnaire.
Ces deux phenomenes sont appeles respectivement eet Hall entier et fractionnaire, mais il
semblerait que l'origine physique de ces deux types d'etats soit radicalement dierente. Quoi qu'il
en soit, ces etats quantiques (eux aussi macroscopiques) sont toujours inexpliques.
9
FIG. 5. L'eet Hall quantique
VI. MAGNE TISME EXTRE^ MEMENT QUANTIQUE : LES CHA^INES DE SPIN
A. Le magnetisme de basse dimension
Le lecteur possede a present tous les rudiments de physique quantique et statistique, ainsi que
le contexte physique pour palper l'inter^et du magnetisme unidimensionnel.
A l'origine, c'est la simplicite mathematique qui a motive toutes les etudes des systemes unidimensionnels. Si on considere un materiau unidimensionnel et qu'on regarde la diusion de deux
electrons, on se rend vite compte qu'il n'existe pas 36 possibilites : soit les deux electrons "rebondissent" l'un sur l'autre, soit ils "se traversent" l'un l'autre et continuent leur chemin dans le
m^eme sens. Cette constatation simple a permis une etude mathematique plus poussee que dans
les materiaux de dimension plus elevee, et a souvent donne des resultats exacts sur ces systemes.
Cependant, ces systemes ne sont pas seulement etudies en raison de leur relativement frequente
solvabilite, mais aussi parce qu'ils possedent une richesse physique etonnante (uctuations quantiques, desordre) et fournissent des tests ecaces des methodes et des approximations. Enn, et
c'est la le plus important, les systemes quasi-unidimensionnels existent reellement, soit en tant
que systeme physique reel, soit en tant que modelisation d'un probleme bi ou tri-dimensionnel.
Cette derniere situation est importante car elle a permis de resoudre simplement des problemes
compliques et surtout parce qu'elle illustre de maniere remarquable l'equivalence formelle entre des
systemes qui n'ont a priori rien en commun.
C'est ainsi que certains modes d'excitation de l'eet Hall quantique (qui est un eet bidimensionnel) peuvent ^etre modelises par un gaz d'electrons a une dimension. Un autre exemple
est fourni par l'eet Kondo : il s'agit d'etudier les interactions entre un gaz d'electrons et une impurete magnetique localisee. La seule dimension importante est la dimension radiale par rapport a
la position de l'impurete. Ce probleme complique se ramene a un gaz d'electrons unidimensionnel
semi-inni.
De ce fait, une des idees de la physique statistique est d'etablir des correspondances
mathematiques entre dierents systemes. Un autre exemple d'une correspondance tres fructueuse
entre modeles est fourni par la cha^ne de spin 1/2. Il s'agit d'un cristal (les atomes de ce cristal
sont immobiles) normal dont chaque atome porte un spin 1/2. Mais, pour une raison donnee,
chaque atome interagit fortement avec ses semblables dans une direction, et tres faiblement dans
les autres directions, donnant naissance a des cha^nes de spin. Il se trouve qu'une cha^ne de spin
1/2 s'exprime en termes mathematiques exactement de la m^eme facon qu'un gaz d'electrons a une
dimension.
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B. La conjecture de Haldane
La conjecture de Haldane, formulee en 1983, a completement relance le magnetisme unidimensionnel car elle a prouve l'impact des uctuations quantiques sur les systemes de basse dimension.
Haldane a lance une nouvelle physique et a promu les techniques de theorie des champs pour
etudier les etats condenses de la matiere. Vue de tres loin, une cha^ne de spin para^t continue,
c'est a dire que les atomes sont si proches les uns des autres, qu'on ne les distingue pas individuellement ; il est alors possible, en regardant la cha^ne de tres loin, d'en donner une description
continue. Mathematiquement, au lieu de considerer le spin Si au site i, on considerera la fonction
S (x), continue pour tout x reel.
Il est alors possible d'ecrire le hamiltonien a la limite ou la cha^ne est continue, et l'etude des
proprietes du systeme est souvent simpliee. Haldane a considere des cha^nes de spin 1/2, 1, 3/2,
2,... En utilisant une certaine limite continue, valable lorsque le spin S ! 1, Haldane a prouve que
les cha^nes de spin se comportent tres dieremment suivant que leur spin est entier ou demi-entier.
Il a prouve dans la limite de spin inni, que les cha^nes de spin entier ont un gap entre l'etat
fondamental et le premier etat excite, alors que les cha^nes de spin entier n'en ont pas. Haldane
a alors emis la conjecture que cette propriete n'etait pas seulement valable dans limite de grand
spin, mais devait aussi ^etre vraie pour toutes les valeurs du spin.
Cette conjecture a, depuis, ete confortee par de nombreuses etudes theoriques, numeriques
et experimentales, et les consequences physiques sont importantes. Neanmoins, aucune preuve
rigoureuse de la conjecture de Haldane n'a jusqu'a present ete trouvee.
C. La phase de Haldane
Pour donner un peu plus d'intuition a ce resultat, je vais decrire la phase de Haldane, c'est
a dire l'etat fondamental des cha^nes de spin entier, et en particulier la cha^ne de spin 1. Mais
auparavant, je apporter au propos quelques rudiments sur les transitions de phase.
Un systeme physique peut se trouver dans dierentes phases. Par exemple, l'eau est dans une
phase solide, liquide ou gazeuse, suivant la temperature et la pression a laquelle on se place. On
sait ainsi dessiner le diagramme des phases de l'eau en fonction de ces 2 parametres.
Il en est de m^eme pour tous les systemes physiques, et en particulier les systemes de spins : une
cha^ne spin peut exhiber dierentes phases suivant les valeurs des couplages entre les spins, et on
peut tracer des diagrammes de phase tout a fait similaires a celui de l'eau. Ces phases peuvent
^etre des phases classiques (intuitives) ou des phases non intuitives, engendrees par les uctuations
quantiques.
Chaque phase possede un parametre d'ordre. Le parametre d'ordre est une grandeur caracteristique de la phase, qui est non nulle lorsque le systeme se trouve dans la phase consideree
et qui vaut 0 ailleurs. Par exemple, dans la phase ferromagnetique, lorsque tous les spins sont
orientes dans la m^eme direction, la valeur moyenne du spin est une constante non nulle, et elle est
nulle si on ne se trouve pas dans l'etat ferromagnetique.
La cha^ne antiferromagnetique ne se trouve pas dans une phase antiferromagnetique, mais dans la
phase de Haldane, car en basse dimension, les uctuations quantiques modient l'etat fondamental
par rapport a sa conguration classique. Une vision intuitive du fondamental est la suivante : l'etat
de Haldane est un etat antiferromagnetique dilue, ou les spins +1 alternent rigoureusement avec
les spins -1, mais deux spins non nuls consecutifs sont separes par un nombre arbitraire de spins
0. Un tel etat n'est evidemment pas solution d'equations classiques de minimisation de l'energie
car le nombre de spins nuls entre deux spins non nuls est arbitraire.
Ainsi, on voit pourquoi un tel etat est impossible pour la cha^ne de spin 1/2, ou demi-entier de
facon generale. Un spin demi-entier ne peut prendre que des valeurs demi-entieres (par exemple,
un spin 1/2 ne peut valoir que 1/2 ou -1/2) et ne peut donc jamais valoir 0, contrairement au cas
du spin entier.
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j1
i
j2
FIG. 6. Vue d'artiste de l'etat fondamental de la phase de Haldane.
Dans cette phase, le parametre d'ordre antiferromagnetique est nul puisqu'on n'est pas dans
une phase antiferromagnetique, mais il existe un parametre d'ordre pour la phase de Haldane. On
comprend qu'un parametre d'ordre existe pour cette phase, car hormis l'alea dans la repartition
des spins nuls, les spins non nuls sont rigoureusement situes les uns par rapport aux autres. On
dit que l'ordre est cache. Le parametre d'ordre est non local7, c'est a dire qu'il n'est pas egal a la
valeur moyenne d'une quantite en un seul site, mais plut^ot a la moyenne d'une quantite dependant
de plusieurs sites :
Pj?1 S i
Oij = Si e i+1 k Sj :
(6)
Sur la gure precedente, on xe le site i et on calcule la valeur de Oij pour deux valeurs de j
dierentes (j1 et j2 ). On verie bien que le parametre d'ordre est le m^eme dans les deux cas. Bien
entendu, les arguments fournis dans ce paragraphe ne souscrivent pas a la rigueur mathematique
requise dans ce genre de probleme et ne sont pas non plus valables sur le plan de la physique.
Neanmoins, ils donnent une intuition des phenomenes qu'il serait impossible d'acquerir autrement.
VII. LE DE SORDRE
A. Inuence du desordre
Cela fait maintenant un dizaine de pages que j'essaie de convaincre le lecteur que les interactions
en basse dimension sont beaucoup plus virulentes et peuvent par consequent conduire a l'apparition
d'etats tres originaux et parfois surprenants. Un autre phenomene du m^eme acabit se produit en
presence de desordre : a une dimension, le desordre piege toujours les particules libres, m^eme s'il
est tres faible. Il est bien connu que s'il n'existe qu'une seule route joignant deux villes A et B,
on ne pourra jamais aller de A a B si celle-ci est coupee ; en revanche, s'il existe plusieurs routes
joignant A et B (ce qui est le cas en dimension 2), on ne pourra pas joindre A et B si toutes les
routes sont coupees, c'est a dire si le desordre est fort. On voit deja sur cet exemple simpliste
qu'en dimension 1 le desordre aura des consequences dramatiques des qu'il sera non nul, alors
qu'en dimension superieure, il faudra un desordre superieur a une valeur critique pour observer un
changement qualitatif dans le comportement du systeme.
Considerons un systeme physique plus serieux : soit une particule classique se mouvant le long
d'une droite (de gauche a droite), dans un potentiel aleatoire et telle que son energie totale soit
constante (systeme non dissipatif) (ce probleme revient a considerer une particule d'energie xee
se mouvant sur un prol d'altitude aleatoire).
7 On
retrouve un parametre d'ordre non local dans l'eet Hall quantique. Les analogies entre l'eet Hall
et la cha^ne de spin 1 sont tres nombreuses et tout a fait stupeantes. Cela donne une bonne raison
supplementaire d'etudier le magnetisme unidimensionnel.
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ENERGIE
FIG. 7. La particule n'ira jamais a droite de la montagne (le lecteur astucieux constatera l'absurde de
ce graphique).
On voit sur la gure que la hauteur des obstacles est aleatoire, et si on prend une distribution de
hauteur gaussienne, il existera toujours8 une montagne de hauteur plus grande que l'energie de la
particule qui l'emp^echera d'aller jusqu'a l'inni sur la droite, ainsi que sur la gauche ; la particule
est dite localisee. En dimension superieure, les montagnes peuvent, elles aussi, ^etre tres hautes,
mais la particule a la possibilite de les contourner si le desordre n'est pas trop important.
Le probleme du desordre en mecanique quantique est assez similaire si ce n'est qu'il est formule
dieremment en termes mathematiques. L'equation de Schrodinger qui gouverne le comportement
du systeme contient un terme de potentiel aleatoire ; donc notre hamiltonien H est une enorme
matrice aleatoire. La theorie des matrices aleatoires permet toutefois de dire des choses sur la
distribution des valeurs propres, c'est a dire sur l'energie du systeme. Enn, on peut demontrer
qu'a une dimension, la quantite j < xj 0 > j2 (j 0 > decrit l'etat fondamental) se comporte
asymptotiquement comme e?x= , ce qui signie que la particule ne s'eloignera9 pas de sa position
initiale (x = 0) plus que d'une distance typique . En d'autres termes, la particule est piegee,
localisee autour de sa position initiale. Ceci est vrai m^eme pour un desordre inniment faible et
non nul.
En revanche, en dimension superieure, on demontre que la particule n'est localisee que si le
desordre excede une certaine valeur critique.
B. Desordre et interactions
On est donc legimement en droit de s'interroger sur ce qui se passe lorsqu'on considere des
particules en interaction en milieu desordonne. A ce point, l'aaire devient de plus en plus
speculative, et les arguments rigoureux se font rares. A une dimension, nous venons de voir que
le desordre, aussi faible soit-il, piegeait toujours les particules sans interactions. Par ailleurs, nous
avons passe plusieurs pages a comprendre pourquoi les correlations entre particules en interaction
devenaient tres fortes en basse dimension. Que se passe-t-il en presence simultanee d'interactions
et de desordre ? Le desordre tend a localiser les particules, les interactions ont tendance a les
delocaliser. Comment ces deux eets entrent-ils en competition ? On peut montrer que dans
certains cas, les interactions peuvent delocaliser les particules malgre la presence de desordre.
8 Presque s^urement, au sens des probabilites.
9 Cette quantite s'interprete comme la densite
trouve a la position x.
de probabilite que l'electron dans son etat fondamental se
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L'inuence du desordre est complexe, et depend de chaque cas particulier. Le desordre peut
prendre une multitude de formes dierentes (impuretes, champs aleatoires, couplages aleatoires...)
et chacune aura des consequences speciques.
Une phase d'un systeme peut ^etre stable (par exemple, les supraconducteurs conventionnels en
presence d'impuretes) ou instable (modele d'Ising en champ aleatoire) sous faible desordre. Le
desordre peut modier une phase d'un systeme sans toutefois la desordonner ; c'est ce qui se passe
pour les supraconducteurs en presence d'impuretes magnetiques qui, lorsque leur concentration
augmente, font baisser la temperature critique. Le systeme entre ensuite dans une phase supraconductrice sans gap, et devient enn un metal ordinaire. Dans les systemes magnetiques, une
question importante est la stabilite de la phase de Haldane sous faible desordre. De nombreuses
etudes, numeriques et analytiques ont montre que la phase de Haldane restait stable sous faible
desordre, quel qu'il soit.
VIII. POSTAMBULE
Le magnetisme de basse dimension n'est pas seulement une science, mais surtout un espoir. La
mecanique quantique peut realiser des r^eves inaccessibles classiquement. On l'a vu pour les lasers,
pour les materiaux supraconducteurs, semiconducteurs, mais la route de la matiere condensee est
encore longue ; nul ne sait ou elle conduit, mais la mecanique quantique et la physique statistique
y seront sans doute pour quelque chose. Revolutions technologiques, revolutions philosophiques :
qui, plus que la science, peut s'enorgueillir de succes aussi varies ?
Je suis bien conscient de la faiblesse litteraire de cette conclusion, mais, bien entendu, c'est au
lecteur qu'appartient le devoir de conclure, de faire lui-m^eme le bilan de sa lecture, comme il le
ferait devant une uvre d'art.
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