Rapport Santé | 15.9 Mo

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Couv rapport de santé
7/12/11
18:20
Page 1
Avant-propos
Dès sa première session, le Conseil de l’ONDH
travail avec l’objectif d’initier des activités de nature à
derniers, selon trois grandes thématiques: croissance
pauvreté ; convergence, intégration et gouvernance et
territoriales et accessibilité aux biens et services de base.
a mis en place trois groupes de
éclairer les orientations de ces
économique et lutte contre la
enfin diversité, disparités socio
Ce dernier groupe a été mandaté pour mener des réflexions concernant les politiques
publiques d’accès aux biens et services et d’aider à leur évaluation qualitative.
Après avoir réalisé une étude sur l'accès à l’éducation de base, une deuxième étude
a été également menée sur l'accès aux soins de santé dont il présente dans ce document les
résultats.
L'accès aux soins étant un droit humain, lié directement au droit à la vie, de même que les
paramètres de la santé sont au cœur de l’INDH, nous avons fait le choix de mener cette
étude du point de vue qualitatif, tout en étant conscients que des données plus exhaustives
et de nombreuses statistiques existent par ailleurs.
Ce choix de la thématique de l’accès aux soins est en partie inspiré par le rapport du
cinquantenaire, qui rappelait que l’accès aux soins est encore inégalitaire et faisait de la
santé un des cinq nœuds du futur à dénouer pour le plein développement du Maroc.
Il est à préciser qu’il s’agit là d’une thématique très large que l’on peut étudier selon
différentes approches : "droits de l’homme", "déterminants sociaux de la santé", "politique
s’interrogeant sur la gouvernance "ou une approche " santé publique " mesurant et analysant
les besoins et l’utilisation de l’offre. Mais le groupe de travail a priorisé trois axes dans
cette thématique : l’accès aux prestataires, aux médicaments et aux structures de
soins.
Pour ce faire, il a dans un premier temps, décidé de mobiliser l’expertise nécessaire à
travers une table ronde organisée le 17 juin 2010. L’objectif était de confirmer l’intérêt qui a
incité les membres du groupe à définir les trois axes précités en tant que priorité.
A la lumière des questions formulées lors de cette table ronde, le groupe a mené,
dans un second temps, des études de cas pour évaluer les améliorations constatées en
matière d’’accès aux soins. Il a ainsi ciblé les provinces d’Azilal et Figuig et la préfecture de
Salé.
L’étude a mis en évidence des situations extrêmes et, à ce titre, sans doute
illustratives des difficultés rencontrées, même dans une moindre mesure, dans d’autres
parties du Royaume.
Elle a fait apparaître une multitude d’acteurs, confrontés à des enjeux très divers et
qui touchent aussi bien aux politiques publiques nationales en tant que parties prenantes de
dynamiques internationales qu’à des situations très spécifiques.
Les contextes distincts considérés mettent en évidence des différences de degré plus
que de nature. Chaque type d’acteur adopte des attitudes au plus près de ses intérêts, et la
très grande segmentation des actions que l’étude a mise en évidence, invite à une régulation
accrue de l’action collective et publique.
3
L’ensemble de ce travail a été rendu possible grâce à la collaboration, à la
disponibilité et à l’aide d’un nombre très important d’interlocuteurs et d’institutions :
-
les Gouverneurs des provinces d’Azilal et de Figuig et de la Préfecture de Salé, les
secrétaires généraux ainsi que les caïds et pachas.
les représentants des Ministères de la santé et surtout la Direction des hôpitaux et
des soins ambulatoires,
les Délégués de la santé des provinces d’Azilal et de Figuig, le Délégué de la santé
de la préfecture de Salé, et le personnel de santé de tout statut,
les responsables provinciaux et préfectoraux de l’Initiative Nationale de
Développement Humain et leurs équipes,
les présidents des communes et leurs équipes,
les élus qui ont apporté leur contribution,
Les habitants des différents quartiers et des différentes communes couverts par
l’étude, qui ont accepté de répondre aux enquêteurs et de faire état d’expériences
parfois douloureuses.
Je tiens à remercier les membres du groupe de travail pour leur apport, l’équipe
exécutive de l’ONDH pour le suivi et les moyens mis en œuvre et notamment M. El Hassan
El Mansouri, animateur auprès du groupe pour son appui et sa persévérance ainsi que les
membres de l’équipe des chercheurs pour la qualité notoire des productions.
Enfin, ce travail ne pouvait aboutir sans le soutien et la contribution de nos
partenaires, les agences des Nations Unies : PNUD, UNICEF, FNUAP, ONUFEMMES.
Qu’ils en soient tous remerciés à cette occasion.
.
M. Hammou OUHELLI
Président du groupe
«Diversité, disparités socio-territoriales
et accessibilité aux biens»
4
AVERTISSEMENT
L’ONDH attire l’attention des utilisateurs potentiels de cette publication,
commanditée par l’ONDH, qu’il s’agit d’un document de travail qu’il se
réserve le droit d’utiliser en vue d’en tirer les conclusions qui lui
semblent pertinentes.
L’ONDH décline toute responsabilité quant à la reproduction et/ou à
l’utilisation, même partielle, des informations qui sont contenues dans
cette publication qui n’engage que ses auteurs.
5
L’équipe de recherche
-
Marc-Éric GRUÉNAIS, anthropologue, coordonateur de l’équipe, Directeur de
recherche à l’Institut de recherche pour le Développement (IRD) et Enseignantchercheur à l’Institut National D’administration Sanitaire (INAS), Marseille et
Rabat
- Mohamed AMINE, médecin de santé publique, Professeur agrégé, Faculté de
Médecine et de Pharmacie - Université CADI AYYAD, Marrakech
- Vincent De BROUWERE, médecin de santé publique, Professeur à l’Institut de
Médecine Tropicale (IMT), Anvers
- Élise GUILLERMET, anthropologue, Ingénieur de recherche, Institut de recherche
pour le Développement (IRD), Marseille
- Samira GUENNIF, économiste, Maître de conférences à l’Université Paris 13
- Hafid HACHRI, médecin de santé publique, Enseignant-chercheur à l’Institut
National D’administration Sanitaire (INAS), Rabat
- Mohamed Wadie ZERHOUNI, pharmacien inspecteur, Direction des Hôpitaux et
des Soins Ambulatoires (DHSA) - Ministère de la Santé, Rabat
6
SOMMAIRE
Avant propos
03
Introduction
L’accès aux structures de soins................................................................................ 14
L’accès aux prestataires de soins : l’exemple du médecin généraliste ..................... 14
L’accès aux médicaments ........................................................................................ 15
Échelles d’observation et sites d’étude ..................................................................... 16
Première partiH/DTXHVWLRQGHO¶DFFHVVLELOLWpHWOHVVLWHVGH
O¶pWXGH........... 19
Chapitre1- A propos de l’accessibilité .................................................................. 21
L’accessibilité, un problème complexe ..................................................................... 21
Quelques éléments sur la situation au Maroc ........................................................... 24
Les structures de soins et leur fréquentation ............................................................ 25
Les barrières identifiées ........................................................................................... 28
L’accès aux médicaments ........................................................................................ 33
Conclusion : des déficits importants et des insatisfactions ....................................... 34
Chapitre 2- Présentation des sites de l’étude : Provinces de Figuig et d’Azilal,
Préfecture de Salé .................................................................................................. 37
La Province de Figuig ............................................................................................... 37
La Province d’Azilal .................................................................................................. 41
La Préfecture de Salé ............................................................................................... 47
Conclusion : trois sites, trois contextes spécifiques .................................................. 52
DeXxiéme partie: l'accés aux soins et aux préstations54
Chapitre 3- Acteurs institutionnels dans les systèmes de santé locaux ........... 55
Les principaux problèmes de santé perçus par les acteurs de santé et les autorités
locales ...................................................................................................................... 56
Les recours de proximité .......................................................................................... 59
Le manque de ressources humaines dans les établissements publics .................... 59
Les conditions de travail dans le secteur public........................................................ 60
Les alternatives privées à l’offre publique de soins : une complémentarité par défaut
................................................................................................................................. 62
L’accès aux spécialistes et aux hôpitaux .................................................................. 64
Accéder aux maternités ............................................................................................ 67
Les évacuations et la gestion des ambulances ........................................................ 74
7
Favoriser l’accessibilité financière aux prestations de soins ..................................... 79
Essais de mutuelles de santé & mutualistes............................................................. 79
Quelques observations à propos de la mise en place du Ramed ............................. 80
Rapprocher les soins de la population ...................................................................... 84
Les équipes mobiles ................................................................................................. 84
Les « caravanes médicales » ................................................................................... 85
Acteurs, système de santé et gouvernance locale ................................................... 87
Les élus .................................................................................................................... 87
Les autorités locales ................................................................................................. 88
Les associations ....................................................................................................... 89
Les personnels du Ministère de la santé .................................................................. 90
L’INDH ...................................................................................................................... 92
Conclusion ................................................................................................................ 94
Chapitre 4- Les problèmes d’accès vus par la population.................................. 95
Les personnes interrogées ....................................................................................... 95
Parcours de soins ..................................................................................................... 97
Les femmes .............................................................................................................. 97
Les enfants ............................................................................................................. 101
Les hommes ........................................................................................................... 102
Trois types de parcours .......................................................................................... 103
Les obstacles en amont du centre de santé ........................................................... 103
Le transport ............................................................................................................ 104
Le coût .................................................................................................................... 104
Franchir les obstacles dans les structures de soins ............................................... 106
L’entrée des structures de santé : connaître ou payer ............................................ 107
L’attente .................................................................................................................. 107
L’indisponibilité des soignants ................................................................................ 108
Le mauvais accueil : des médecins qui n’auscultent pas ; des soignants qui parlent
mal aux patients ..................................................................................................... 109
Les choix et stratégies mis en œuvre ..................................................................... 110
La rupture du pacte de confiance : ne plus consulter ............................................. 110
Procéder par essais-erreurs ................................................................................... 111
S’adapter à l’offre ................................................................................................... 111
Consulter le médecin privé ou le pharmacien ......................................................... 113
La figure du bon médecin ....................................................................................... 113
8
Le soignant familier ................................................................................................ 114
La valorisation du spécialiste étranger ................................................................... 116
Conclusion .............................................................................................................. 118
Chapitre 5- Formation, pratiques et conditions de travail de médecins
généralistes........................................................................................................... 120
Méthodologie .......................................................................................................... 121
Situation des effectifs au niveau national et au niveau local ................................... 123
Au niveau national .................................................................................................. 123
L’inégale répartition des médecins généralistes par région .................................... 126
Situation des médecins généralistes dans les trois sites de l’étude ....................... 127
Points de vue des différents acteurs institutionnels sur le rôle du médecin généraliste
............................................................................................................................... 128
Les acteurs du Ministère de la santé ...................................................................... 128
Les responsables des facultés de médecine .......................................................... 131
Synthèse des points de vue des différents acteurs institutionnels .......................... 133
Avis des étudiants en fin de cursus de formation médicale .................................... 133
Les médecins généralistes du secteur public et privé dans les sites ...................... 134
La définition de médecine générale par les médecins ............................................ 134
Le médecin généraliste est-il un « spécialiste raté » ? ........................................... 135
Point de vue des médecins sur leur formation ........................................................ 136
Choix du secteur de pratique : public versus privé ................................................. 138
Points de vue sur la pratique du métier : une pratique non valorisée ..................... 139
Conditions de travail ............................................................................................... 140
Conditions de vie .................................................................................................... 142
Conclusion .............................................................................................................. 143
Chapitre 6- Enquête quantitative sur l’accès aux soins auprès de la population
Résultats par site.................................................................................................. 148
Méthodologie .......................................................................................................... 148
Stratégie d’échantillonnage .................................................................................... 148
Collecte de données ............................................................................................... 149
Analyse des données ............................................................................................. 150
Aspects éthiques .................................................................................................... 150
Résultats................................................................................................................. 150
Le Recours aux soins ............................................................................................. 151
Renonciation aux soins .......................................................................................... 15
Prise en charge des maladies chroniques et de la maternité ................................. 15
9
Accès géographique ............................................................................................... 157
Évaluation des difficultés de respect des ordonnances médicales ......................... 160
Satisfaction globale ................................................................................................ 161
Conclusion .............................................................................................................. 16
Troisième Partie L’accès aux médicaments ......................................... 164
Chapitre 7- Problématique et méthodologie de l’accès au médicament au Maroc .. 16
État des dépenses de médicaments au Maroc ....................................................... 165
Qu’est-ce que l’accessibilité du médicament ? ....................................................... 166
Le circuit du médicament ........................................................................................ 169
Méthode d’analyse de l’accessibilité du médicament au Maroc ............................. 171
Chapitre 8 - Au niveau national, la question de l’accessibilité du médicament ...... 175
Le point de vue des administrations centrales du Ministère de la Santé ................ 175
La Direction des hôpitaux et des soins ambulatoires (DHSA) ................................ 175
La Division de l’approvisionnement (DA) ................................................................ 178
La Direction du médicament et de la pharmacie (DMP) ......................................... 180
Selon les professionnels du secteur pharmaceutique ............................................ 187
Les producteurs de médicaments........................................................................... 188
Les distributeurs ..................................................................................................... 199
Les pharmaciens .................................................................................................... 202
Les médecins ......................................................................................................... 207
Conclusion .............................................................................................................. 210
Chapitre 9 -L’accessibilité du médicament en pratique au niveau périphérique
dans les trois sites de l’étude.............................................................................. 213
L’accessibilité du médicament à Salé ..................................................................... 213
L’avis en délégation et en pharmacie préfectorales................................................ 213
L’avis des professionnels médicaux exerçant en centre de santé à Salé ............... 216
L’accessibilité du médicament à Azilal ................................................................... 219
L’avis en délégation et en pharmacie provinciale ................................................... 219
L’avis des professionnels médicaux exerçant en centre de santé à Azilal ............. 220
L’accessibilité du médicament à Figuig .................................................................. 224
L’avis en délégation et en pharmacie provinciale ................................................... 224
L’avis des professionnels médicaux exerçant en centre de santé .......................... 224
Conclusion .............................................................................................................. 228
Chapitre 10 - L’accès aux médicaments selon la population ........................... 229
Choix du recours au pharmacien ............................................................................ 230
10
Combler les manques matériels des structures de soins publiques ....................... 230
Le docteur de la pharmacie .................................................................................... 231
La disponibilité, l’expérience et l’attention .............................................................. 231
Obtenir le médicament ........................................................................................... 232
Le coût .................................................................................................................... 232
La réinterprétation de la gratuité par les personnels soignants .............................. 234
Le médicament : objet de don ................................................................................ 235
Le rôle de l’entourage ............................................................................................. 235
Les dons humanitaires ........................................................................................... 236
Conclusion .............................................................................................................. 23
Liste des tableaux, illustrations et cartes ................................................................ 245
11
INTRODUCTION
L‟accès aux soins de santé est déterminé par une multitude de facteurs de
nature très diverse. La distance peut influencer sur le recours aux services de santé
mais est un facteur très insuffisant pour expliquer les difficultés d‟accès. Le niveau
d‟utilisation des services de santé tant curatifs que préventifs peut notamment être
associé au niveau de vie des ménages 1 ; les systèmes de santé offrent souvent
davantage de services et de meilleure qualité aux plus riches, alors que les plus
pauvres, qui en ont le plus besoin, ne peuvent les obtenir (Gwatkin, Bhuiya & Victora
2004)2. Les inégalités d‟accès aux soins de santé sont aussi associées à l‟existence
de gradients importants de revenus, de niveau d‟éducation et de statut social en
général (Rainham 2007). Les déterminants comme le genre, la culture, l‟éducation,
l‟emploi, le revenu, le lieu de résidence sont tous étroitement liés à l‟accès aux
bénéfices des soins de santé (Marmot et al. 2008).
L‟OMS souligne toute l‟importance de la réactivité du système de santé (sa
capacité à répondre aux attentes de la population quant à la façon dont elle souhaite
être traitée par les prestataires de soins) et de l‟amélioration de son efficience pour
un meilleur accès et une meilleure fréquentation des services de santé (en quantité
et en qualité). Les résultats attendus peuvent être atteints en optimisant les
prestations de services et de soins, la gestion des personnels de santé, l‟information
sur le niveau de santé de la population et sur le déroulement des interventions
sanitaires, les choix de médicaments, de vaccins et de technologies adéquates, les
modalités de financement des soins et des services, et la gouvernance (OMS 2008).
L‟accès à des soins de santé de qualité pour tous constitue un des droits humains
fondamentaux.
Ces dernières années, l‟État marocain a opéré des investissements
importants dans le domaine de la santé. Mais, « en dépit de tous ces efforts et des
améliorations constatées, des insuffisances demeurent dans un certain nombre de
domaines. De même que des inégalités entre milieux urbain et rural, population
aisée et pauvre, régions et provinces, persistent encore aussi bien au niveau des
indicateurs relatifs à l’état de santé de la population qu’à ceux de l’accès aux soins et
de la couverture par les services de santé publique… Des inégalités persistent dans
un certain nombre de régions où l’écart avec le ratio national de desserte en milieu
rural reste relativement élevé »3.
Dès sa première session, le Conseil de l‟ONDH a mis en place trois groupes
de travail avec l‟objectif de constituer des creusets d‟idées et des propositions de
travaux à mener, et d‟initier des activités et des manifestations de nature à éclairer
les orientations de ces derniers selon trois grands axes thématiques : 1) croissance
1
« Dans tous les cas, les personnes appartenant à des groupes socio-économiques désavantagés ont tendance
à avoir des taux de morbidité, d’incapacité et de mortalité plus élevés, à utiliser moins de services préventifs et
de soins spécialisés que ce à quoi on pourrait s’attendre sur la base de leurs besoins, et à payer une plus large
part de leur revenu pour se procurer certains biens et services de santé » (de Looper & Lafortune 2009).
2
Les besoins sont définis à partir de critères objectifs tels que la fréquence (incidence, prévalence) et la gravité
(estimée par la létalité et la probabilité de séquelles handicapantes). Une augmentation de l’offre, par exemple
du secteur privé, qui s’adresse aux quintiles les mieux nantis de la population, n’est pas synonyme d’une
réponse adaptée aux besoins les plus pressants du plus grand nombre.
3
Ministère de la Santé (2008) Plan d’action santé 2008-2012. Réconcilier le citoyen avec son système de santé,
Rabat.
13
économique et lutte contre la pauvreté ; 2) convergence, intégration et gouvernance
et 3) diversité, disparités socio-territoriales et accessibilité aux biens et services de
base.
Le Groupe de travail « Disparités socio-territoriales et accessibilité aux biens
et services de base » de l‟ONDH a été mandaté pour assurer une veille et une
prospective des politiques publiques d‟accès aux biens et services et d‟aider à leur
évaluation qualitative, en particulier sur l‟accès aux soins de santé. Il a mis en
évidence l‟intérêt de documenter trois catégories de questions sur cette
problématique : l‟accès aux structures de soins, l‟accès aux prestataires de soins, et
l‟accès aux médicaments. En collaboration avec l‟Institut de recherche pour le
développement (IRD), il a mobilisé l‟expertise nécessaire sur ces questions en
organisant une table ronde le 17 juin 2010 qui a confirmé l‟importance de
documenter les trois thèmes à partir d‟études de cas sur l‟accès aux soins et a
permis d‟arrêter les principaux axes de l‟étude que nous rapportons ci-dessous.
L’accès aux structures de soins
La question générale concerne le recours aux soins (quel type, quelle
fréquence, pour quels motifs ?) et les obstacles ressentis à l‟accès aux soins, mais
aussi les réactions des usagers et des professionnels vis-à-vis de solutions possibles
identifiées par les uns et les autres. Nous avons cherché à faire entendre les voix
des usagers, mais aussi des autorités locales et des associations en tant qu‟acteurs
du développement local intervenant également dans le domaine de la santé et à la
recherche de solutions. Plus spécifiquement, il s‟est agi, à partir des perceptions des
différents acteurs interrogés, de décrire ce qui est actuellement réellement offert aux
populations selon le type d‟environnement, de mettre en évidence les barrières
ressenties à l‟accès aux soins et services, et si possible de faire émerger les
solutions qu‟ils préconisent pour réduire les barrières. Nous avons eu recours à une
étude qualitative par entretiens auprès des différents acteurs institutionnels et auprès
de la population sur les problèmes ressentis, et à une enquête par questionnaires
auprès de 1200 personnes dans les trois sites retenus pour l‟étude.
L’accès aux prestataires de soins : l’exemple du médecin
généraliste
Pour apporter un début de réponse aux questions soulevées lors de la Table
ronde sur le thème de l‟accès aux prestataires de soins, nous avons exploré la
question de la médecine générale comme enjeu stratégique de l‟amélioration de la
couverture sanitaire de base. Le médecin généraliste exerce le plus souvent dans
des services de santé primaires où la majorité des problèmes de soins curatifs peut
être pris en charge. Au Maroc, et dans un souci de proximité d‟offre de soins
médicaux de qualité, la politique du Ministère de la santé s‟est orientée ces dernières
années vers la médicalisation des services de santé de premier échelon,
particulièrement du monde rural4. La pratique de la médecine générale requiert de
tenir compte non seulement des aspects biomédicaux de la maladie, mais aussi et
surtout de considérer les besoins globaux de l‟individu étant donné l‟environnement
dans lequel il vit afin de prodiguer des soins centrés sur le patient. La formation
actuellement dispensée prépare-t-elle suffisamment le médecin généraliste à
répondre aux besoins essentiels de la population, notamment en termes de
4
Recommandations du Forum National sur les Soins de Santé Primaires, Rabat, 27-29 avril 2009.
14
communication avec la communauté et de soins centrés sur le patient ? Quelles
perceptions le médecin généraliste a-t-il de sa formation et de sa profession ?
Des entretiens ont été réalisés avec des décideurs du Ministère de la santé et
des responsables de facultés de médecine pour mettre en évidence leur analyse sur
la situation de la médecine générale au Maroc. Nous nous sommes également
attachés à partir d‟entretiens avec des jeunes médecins et des médecins
expérimentés, tant du secteur public que du secteur privé, aux représentations des
médecins sur la médecine générale et à leur contexte de travail en zones rurale et
urbaine.
L’accès aux médicaments
La possibilité d‟obtenir un traitement accessible et efficace est à l‟évidence
une motivation importante de l‟accès aux soins, mais en même temps le coût élevé
d‟un traitement peut contribuer à l‟appauvrissement des ménages et le faire entrer
dans un cycle de « dépenses catastrophiques ». Or, selon l‟une des conclusions de
la Table ronde, le prix du médicament au Maroc reste élevé comparativement à la
situation d‟autres pays et l‟achat des médicaments représente une part très
importante des dépenses de santé des ménages. Quelles sont les politiques
adoptées pour réduire les disparités d‟accès et rendre le médicament disponible et
accessible aux plus pauvres ? L‟approvisionnement et la disponibilité au niveau
périphérique, notamment en médicaments génériques, sont-ils satisfaisants ?
Le secteur pharmaceutique a connu différentes évolutions récentes (nouveau
code de la pharmacie, nouvelles réglementations sur la propriété intellectuelle,
évolution de l‟industrie locale et de ses relations avec les firmes étrangères). Il s‟agit
d‟un contexte nouveau dont il faut tenir compte pour appréhender les politiques du
médicament et relever le défi d‟un élargissement de l‟accès aux produits de santé
notamment pour les populations les plus pauvres.
Au-delà de la question d‟un accord entre le Ministère de la santé, l‟industrie
pharmaceutique et le syndicat des pharmaciens, il faut que les médecins prescrivent
des médicaments génériques et que les pharmaciens les aient en stock. La
disponibilité des médicaments est liée à différents facteurs et le volume global est
notamment influencé par le budget et le coût des médicaments, mais aussi par la
prescription. La disponibilité des médicaments dans les structures publiques est sans
conteste un problème très sensible pour les usagers des services publics, et un
facteur pouvant aggraver ou réduire les iniquités.
Des entretiens ont été menés auprès de responsables du Ministère de la
santé, des institutions sanitaires ou impliquées dans le remboursement (assurancemaladie), ainsi qu‟auprès de représentants de firmes pharmaceutiques. Ces
entretiens avaient pour objectif d‟établir un état des lieux de la situation et de
recueillir l‟opinion de ces acteurs notamment sur les évolutions et l‟avenir du secteur
pharmaceutique au Maroc et sur l‟utilisation et la promotion des médicaments
génériques. Afin de documenter les modalités et les problèmes d‟approvisionnement
des centres de santé des études de cas dans les sites retenus ont été réalisées en
utilisant une liste des médicaments qui doivent être disponibles dans les centres de
santé et pour connaître les modalités de commande et d‟approvisionnement. Les
enquêtes par entretiens et par questionnaires en population générale dans les sites
de l‟étude ont permis d‟obtenir des informations sur les modalités concrètes d‟accès
des ménages aux médicaments.
15
Échelles d’observation et sites d’étude
Afin d‟apprécier les différents types de contraintes qui peuvent influer sur
l‟accès aux soins et aux médicaments, les niveaux macro (national), meso
(provincial) et micro (localités et centres de santé) ont été appréhendés. Nous
venons de préciser, pour l‟accès aux médicaments, que nous avons cherché à saisir
les positionnements des acteurs nationaux, mais aussi la réalité au niveau le plus
périphérique (disponibilité des médicaments et prescriptions dans les centres de
santé). Les missions attendues et les pratiques des médecins généralistes ont été
également appréhendées au niveau central, à partir de la question des formations
dans les facultés de médecine et des conceptions que des acteurs du niveau central
se font de la médecine générale ; nous nous sommes également attachés à recueillir
l‟information sur la pratique de la médecine générale auprès des praticiens exerçant
dans les sites d‟études. La question de l‟accès aux structures de soins a été en
priorité envisagée à partir du niveau micro (localités et centres de santé des sites
retenus). Mais dès lors que sont abordées les questions de la référence et les
itinéraires de soins des populations, le niveau meso, au minimum (problème du
recours à des structures de référence provinciales voire nationale) est apparu.
Afin de saisir un large éventail de situations existantes, et pour identifier les
différences et les régularités par comparaison de situations très contrastées en
matière d‟accès aux soins, aux prestataires et aux médicaments, trois sites ont été
retenus en concertation avec les membres du Groupe de travail « Diversité,
disparités socio-territoriales et accessibilité aux biens et services de base ». Pour le
choix des sites, nous avons tenu compte des indices de développement humain, de
l‟éloignement des populations de référence par rapport aux structures de soins, et de
la diversité de contextes géographiques et socioculturels.
L‟espace urbain est représenté par la préfecture de Salé. En ville on trouve
une concentration de populations à besoins spécifiques, qui peuvent rencontrer de
grandes difficultés d‟accès aux services de santé même s‟ils en sont
géographiquement proches. De plus, comme c‟est le cas pour Salé, il peut aussi
comprendre des zones périurbaines qui confinent au milieu rural.
Un second site choisi est la province d‟Azilal où est expérimenté le Régime
d‟assurance médicale pour les économiquement démunis (Ramed). Cette province a
la particularité d‟inclure à la fois des zones de montagne parfois très difficiles d‟accès
en fonction des aléas climatiques et des zones de plaine.
Un troisième site d‟observation est la province de Figuig. Cette zone a été
retenue du fait de son éloignement par rapport aux grand centres de décision et aux
structures de santé de référence, par la dispersion de la population et la spécificité
du contexte saharien, et par la diversité des modes de vie de ses populations
(sédentaires et éleveurs vivant dans des campements et qualifiés de « nomades »).
Nous avons donc procédé par études de cas dans des contextes très
particuliers qui ne sauraient en aucune manière être considérés comme étant
représentatifs de la situation marocaine. Bien plus, étant donné l‟objectif de l‟étude,
qui a largement privilégié une approche qualitative, et dans tous les cas sur des
échantillons non représentatifs, ce sont parfois des situations que l‟on pourrait
qualifiées d‟extrêmes que nous avons privilégiées. Aussi, il ne saurait être question
de généraliser à partir des informations recueillies. Le choix de contextes et de
situations particulières et parfois extrêmes est conforme à la « philosophie » de
16
l‟ONDH, et en particulier de son groupe de travail « Diversité, disparités socioterritoriales et accessibilité aux biens et services de base », qui cherche notamment
à documenter les écarts en matière de développement humain. S‟il ne saurait être
question de prétendre à quelle que généralisation que ce soit à partir des résultats
de l‟étude, il n‟en reste pas moins que la mise en parallèle des différentes situations
observées permet de faire émerger des régularités et renvoient à des problèmes
récurrents au Maroc.
Références bibliographiques
De Looper M. & Lafortune G. (2009) Measuring disparities in health status and in
access and use of health care in OECD countries. OECD health working papers no.
43, Directorate for Employment, Labour and Social Affairs, OECD, Paris.
Gwatkin DR, Bhuiya A & Victora CG (2004) “Making health systems more equitable”,
Lancet, 364 : 1273-1280.
Marmot M, Friel S, Bell R, Houweling TA & Taylor S (2008) “Closing the gap in a
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OMS (2008) Measuring health systems strengthening and trends: a toolkit for
countries.
Rainham D. (2007) “Do differences in health make a difference ? A review for health
policymakers”, Health Policy, 84 : 123-132.
17
PREMIERE PARTIE
LA QUESTION DE L’ACCESSIBILITÉ
ET LES SITES DE L’ÉTUDE
19
« The big idea is that what matters in determining
mortality and health in a society is less the overall wealth of
that society and more how evenly wealth is distributed. The
more equally wealth is distributed the better the health of that
society » (British Medical Journal editorial, 1996)
« Les inégalités en santé résultent aussi des
inégalités en matière de disponibilité, d’accès et de qualité
des services, de la charge financière qu’elles imposent aux
individus et même des barrières linguistiques, culturelles et
fondées sur les différences de sexe qui sont souvent
inhérentes à la manière dont la pratique clinique est mise en
œuvre » (OMS 2008) .
Chapitre-1A propos de l’accessibilité
Marc-Éric Gruénais
L’accessibilité, un problème complexe
Lorsque l‟on évoque la question de l‟accès aux soins de santé, c‟est en
première lieu à l‟accès géographique à un prestataire auquel on pense. A l‟évidence,
la distance séparant le domicile du lieu de pratique d‟un prestataire de soins et les
difficultés pour franchir cette distance influent négativement sur le recours aux
services de santé. Cependant, la distance ne saurait être le seul facteur explicatif du
difficile accès à des soins de santé ; si elle est souvent un facteur déterminant, ses
effets peuvent être amplifiés par une multitude de causes qui sont autant de
barrières qui contribuent à limiter l‟accès à des prestataires de soins. Si l‟on est
suffisamment fortuné, que l‟on dispose d‟une très bonne assurance, d‟une très bonne
couverture sociale, la distance n‟est pas nécessairement un obstacle insurmontable
comme l‟illustre à l‟envi les évacuations sanitaires qui permettent en un temps
relativement court d‟assurer la prise en charge dans les meilleures conditions dans
une structure spécialisée disposant du meilleur plateau technique dans un pays
d‟Europe du nord, par exemple, pour un blessé ou un malade nécessitant une
intervention très spécialisée en provenance d‟un pays à ressources limitées.
Inversement, des études menées en Inde ont montré qu‟il n‟y avait pas
nécessairement de corrélation entre une densité importante de structures de soins
situées à proximité en milieu urbain et une bonne accessibilité (Ergler, Sakdapolrak
& al. 2001).
Le domaine des soins obstétricaux d‟urgence a donné lieu à de nombreux
travaux plaçant au cœur de la problématique les questions d‟accessibilité. Les
conséquences de l‟absence d‟une prise en charge rapide et adaptée par un
personnel qualifié en cas de complications obstétricales peuvent aller, dans le pire
des cas, jusqu‟au décès de la mère et de l‟enfant. Classiquement, pour expliquer les
retards à la prise en charge des complications obstétricales, on met en avant les
« trois délais » : i) le délai lié au temps de la décision, de l‟individu et/ou de la famille,
de recourir à des soins de santé ; ii) le délai pour atteindre une structure ou un
prestataire de soins ; iii) le délai de prise en charge médicale effective de la
21
parturiente une fois qu‟elle a accédé à une structure de soins (Thaddeus & Maine
1994). Ce modèle des trois délais mis en évidence pour les complications
obstétricales peut aussi être retenu pour tous les problèmes de santé. Accéder à des
soins de santé, en général, renvoie d‟abord à une décision de l‟individu concerné et
de son entourage immédiat de recourir à un prestataire de soins ; ici, comme le
souligne Thaddeus et Maine dans leur article, la perception de la gravité du problème
est un élément important de la prise de décision. Une fois la décision prise, il faut
pouvoir accéder à un prestataire de soins ; la distance, certes, mais aussi la qualité
des infrastructures de communication et le niveau socio-économique de l‟intéressé
(par exemple, la possibilité de faire face au coût du transport) sont à prendre en
compte. Enfin, à l‟évidence, l‟accès à un prestataire n‟a d‟intérêt que si celui-ci prend
effectivement en charge, dans les meilleurs délais, la personne qui vient jusqu‟à lui.
Il y a déjà 40 ans, Penchansky et Thomas (1981) identifiaient cinq facteurs qui
influent sur l‟accès à une prise en charge médicale : i) la disponibilité (availability),
soit une proposition adaptée au problème de santé à traiter ; ii) l‟accessibilité
(accessibility), qui dépend de la localisation respective du prestataire et du
bénéficiaire, ici le coût et le temps de transport importent ; iii) « l‟adaptabilité »
(accomodation), qui renvoie à l‟organisation de la prise en charge (temps d‟attente,
heures d‟ouverture, etc.), mais aussi à l‟aptitude du patient à utiliser la nature de
l‟offre proposée ; iv) l‟accessibilité financière (affordability), soit la nécessité pour les
patients de disposer des moyens suffisants pour recourir 00aux prestataires de
soins ; v) l‟acceptabilité (acceptability), qui a trait à la nature de la relation entre
usagers et prestataires (voir aussi Obrist, Iteba et al. 2007).
La nature des relations entre usagers et personnels de santé joue donc un
rôle important dans l‟accès aux soins. Le capital social, économique et culturel du
patient et de son entourage sont aussi des éléments à prendre en considération.
Ainsi, par exemple, pour en rester au domaine de l‟accouchement, les études
montrent que l‟attachement à des pratiques et des croyances traditionnelles à propos
de la grossesse et de l’accouchement considéré comme « tests d‟endurance »
pour les femmes est en partie explicatif de l‟absence de suivi médical de la
grossesse ainsi que de l‟accouchement à domicile (Bantebya Kyomuhendo 2003).
Néanmoins, il ne faudrait pas exagérer le poids du niveau d‟éducation des usagers ;
comme l‟ont montré depuis longtemps des travaux restés célèbres menés au Nigéria
(Orubuloye & Caldwell 1975), la baisse continue de la mortalité est moins une
question « d‟ignorance » (ce terme renvoyant chez les auteurs notamment à un
faible niveau de scolarisation) qu‟une question d‟offre de soins de santé adaptés et
suffisamment dense. Ces mêmes auteurs, qui évoquent l‟importance de
l‟attachement à des valeurs et à des pratiques traditionnelles comme une des causes
de la faible médicalisation de la grossesse et de l‟accouchement, soulignent
également que les réticences des femmes à accoucher en milieu surveillé et à
recourir à des soins de santé en cas de complications s‟expliquent aussi par le
manque de personnel qualifié au niveau des soins primaires, les attitudes des
personnels de santé, la négligence et la mauvaise qualité des traitements médicaux,
le peu d‟informations délivrées aux femmes, et « l‟ignorance » des femmes supposée
par les personnels de santé (voir aussi Bantebya Kyomuhendo 2003).
22
Depuis les années 1970, toutes les études convergent pour souligner que la
qualité importe tout autant, sinon plus, que la quantité mesurable par exemple par la
réduction de la distance kilométrique, le nombre de structures, etc., pour expliquer la
plus ou moins grande propension du recours aux structures de soins. Pour améliorer
l‟accès aux structures de soins et augmenter leur fréquentation, il ne suffit pas de
multiplier les structures de soins et de respecter les standards de distance, mais il
convient aussi entre autres que les structures de soins soient placées aux bons
endroits (Benson 2001).
D‟une manière générale, toutes les analyses montrent que la perception de
l‟offre de soins par les usagers est un facteur déterminant de la décision de recours,
et partant de l‟accessibilité (Acharya & Cleland 2000). D. Mechanic (1996) insistait
d‟ailleurs sur l‟importance de la dimension « affective » (soit la qualité de la relation
entre patients et prestataires) pour expliquer la décision et le choix du recours. Or les
observations montrent que les relations entre soignants et soignés sont souvent
conflictuelles (voir par exemple, Walker & Gilson 2004 ; Jewkes & al. 1998 ; Richard
et al. 2003). Les attitudes négatives du personnel de santé envers les patients
dressent des obstacles à l‟utilisation des soins pourtant disponibles, les raisons de
ces attitudes étant régulièrement attribuées aux rémunérations insuffisantes et aux
mauvaises conditions de travail (Asuquo, Etuk, Duke 2000). La confiance envers le
prestataire apparaît comme facteur essentiel de l‟accès à des soins de santé : par
exemple, une relation de confiance entre usagers et prestataires peut conduire les
premiers, même lorsqu‟ils sont peu fortunés, à opter pour une prestation payante,
alors que des soins gratuits sont également disponibles à proximité, parce qu‟ils sont
assurés d‟une relation de qualité dans le secteur privé (Riewpaiboona,
Chuengsatiansupc et al. 2005). A cet égard, des économistes comme L. Gilson
(2003) proposent, à côté des analyses « comptables » mettant l‟accent sur
« l‟individualisme économique » qui prend surtout en compte le rapport entre niveau
socio-économique des individus et coût des prestations, de privilégier la
« confiance » comme piste alternative d‟analyse.
Ce trop rapide état de la question permet tout de même de souligner la
complexité de la question de l‟accès aux soins. La distance et les embûches
physiques à surmonter pour aller du domicile à la structure de soins peuvent jouer un
rôle essentiel, comme le montrera notamment ci-dessous le contexte de l‟accès aux
soins dans la Province d‟Azilal. Le nombre, et partant la densité de l‟offre de soins
(équipements et personnel), face à l‟augmentation de la population et à la nécessité
de prendre en charge toujours davantage de problèmes de santé est également
déterminant, en particulier en milieu urbain. Mais une vision uniquement comptable,
privilégiant quantité et mesure, ne suffit pas pour cerner la question comme le
confirment les études menées dans les pays à ressources limitées, mais aussi dans
les pays développés, depuis une quarantaine d‟années. Afin de mieux cerner le
problème, il convient de privilégier une perspective cumulative : face à une situation
de pénurie quantitative, à l‟éloignement géographique, les éléments qualitatifs (telles
l‟adhésion de l‟usager et de son entourage à certaines valeurs, la confiance, les
inégalités de genre, etc.) ont des effets multiplicateurs qui favorisent ou aggravent
les possibilités d‟accéder à des soins adaptés à la situation à prendre en charge.
23
Quelques éléments sur la situation au Maroc
La question de l‟accès aux soins au Maroc a pris une importance toute
particulière avec la reconnaissance, tant au niveau international que national, qu‟il
s‟agit là, avec l‟éducation, d‟un facteur clef du développement humain. On peut lire
dans un des rapports du Cinquantenaire sur le développement humain : « Il est aussi
remarquable de constater que ce débat [sur le développement humain] a permis
l‟émergence d‟un consensus international en matière de santé : le souci d‟équité et
de solidarité dans l‟accès aux soins est devenu un facteur majeur de développement
humain avant d‟être une condition de l‟efficacité des systèmes de santé » (RDH 2 :
11). Le Maroc a consenti des efforts très importants pour accroitre l‟offre de soins, et
notamment les soins primaires à partir des établissements de soins de santé de base
(ESSB), ou centres de santé dans la suite du texte :
« … de façon continue, des efforts [ont été déployés] pour assurer à sa
population les soins de santé primaires, doter [le pays] d’une infrastructure
suffisante aussi bien d’action ambulatoire qu’hospitalière et assurer la
formation du personnel médical et paramédical. Le modèle mis en place
comportait deux structures distinctes : l’une urbaine et hospitalière, et l’autre
rurale et légère, axée sur la vaccination de masse, la prophylaxie, l’hygiène du
milieu, assurées en grande partie par des équipes mobiles. Si ce dispositif a
globalement permis une amélioration substantielle des conditions des soins de
base, il n’a pas été en mesure d’atténuer l’exacerbation des déficits et de
permettre la réduction des différenciations socio-spatiales en matière d’accès
à ces services. Ce n’est que durant la décennie 90 que s’est affirmée la
volonté d’accorder une attention particulière aux services de soins de santé
primaires et aux zones rurales. Les indicateurs montrent une amélioration
constante de l’infrastructure et un élargissement de l’accès aux soins et aux
services médicaux » (RDH 1 : 60).
Le bilan global que l‟on trouve dans nombre de rapports ayant trait à l‟offre de
soins au Maroc fait état d‟une fréquentation des structures de soins stagnante, de
disparités régionales très importantes, en particulier entre le milieu urbain et le milieu
rural, en dépit de tous les efforts fournis (cf. par exemple Belghiti & Hachri 2007). Les
déséquilibres et les disparités sont encore accentués par la difficile gestion des
ressources humaines :
« … la problématique de la disponibilité et de la stabilité des médecins est
ressentie par l’ensemble des acteurs comme un frein dans le développement
des soins de santé primaires et pour laquelle une réflexion approfondie doit
être menée. La pénurie du personnel paramédical empêchant même
l’ouverture des formations sanitaires, ainsi que le problème de la rareté du
personnel de sexe féminin, du vieillissement du personnel et des départs en
retraite se pose avec acuité particulièrement en milieu rural » (Belghiti &
Hachri 2007 : 22).
Or certains bilans sur l‟accès aux soins, certes plus intuitifs que documentés,
émanant de milieux non spécialisés, et que l‟on peut entendre ou lire çà et là, font
des constats sévères sur la situation. Citons à titre d‟illustration un extrait d‟un article
paru en avril 2011 dans la presse et consacré au « Droit à la santé pour tous » :
« Le secteur de la santé vit un sérieux malaise… Partout, c’est le même
reproche, les mêmes plaintes, le même constat qui est fait : mauvais accueil
24
des patients et de leurs familles, baisse de la qualité des soins, absences
répétées et injustifiées de certains médecins, attentes trop longues pour être
soigné, manque de certains produits, agissements et comportements
contraires à la moralisation des services… La répartition équitable de tous les
moyens humains et matériels sur l’ensemble du territoire national, la qualité
des soins, la disponibilité des médicaments, sont quelques uns des éléments
du discours officiel qui est certes empreint de bonnes intentions mais qui en
réalité est un mythe, alors que la médecine à deux vitesses est une réalité qui
pénalise les plus pauvres, une réalité choquante dont souffrent les plus
démunis, en particulier les citoyens qui habitent les zones périurbaines, les
bidonvilles, les zones enclavées… Nous ne pouvons pas dire que tout est
négatif, loin s’en faut. De belles réalisations ont vu le jour, des hôpitaux
flambants neufs ont été construits ici et là. Des efforts considérables ont été
consentis, des rallonges budgétaires ont été octroyées… Quant on parle des
problèmes liés à la santé ou plus exactement ceux qui découlent de
comportements contraires de certains professionnels, nous oublions de dire
que le citoyen a lui aussi une très grande part de responsabilité dans ce qui se
passe »5.
Il faut relever combien ce type de critique ne dit au bout du compte rien d‟autre
que ce que nous avons souligné plus haut à partir de la littérature scientifique et des
rapports d‟experts. La majorité des variables identifiées ci-dessus dans la revue de la
littérature sont évoquées dans cet article de presse : reconnaissance des efforts
fournis par le Ministère de la santé ,en quantité (y compris en termes budgétaires) et
en qualité pour améliorer l‟offre de soins, responsabilité de l‟usager, disparités
géographiques, non disponibilité et non « adaptabilité » de l‟offre de soins,
mauvaises relations entre usagers et personnels de santé.
Les structures de soins et leur fréquentation
Des disparités régionales
Le réseau des établissements de soins de santé de base (ESSB) qui constitue
la porte d‟entrée du système public de soins, s‟est singulièrement densifié durant les
deux dernières décennies, le nombre de centres de santé est passé de 1.653 en
1990, à 2.578 en 2006, soit une progression de 56% ; en milieu rural leur nombre
atteint 1.887 en 2006 soit 74% des ESSB existant. La desserte globale est passée
d‟un établissement pour 14.600 habitants en 1990, à 12.000 en 2006, enregistrant
une amélioration de 18%. La desserte en milieu rural est passée quant à elle d‟un
établissement pour 10.100 habitants en 1990 à un établissement pour 7.200
habitants en 2006 soit une amélioration de 28,6%. Des inégalités persistent
cependant dans un certain nombre de régions où l‟écart avec le niveau national et le
niveau du milieu rural reste relativement élevé. En ce qui concerne la couverture
hospitalière, la desserte mesurée à partir du nombre d‟habitants par lit pour l‟année
2006 s‟est légèrement détériorée par rapport à 1997 : de 868 habitants en 1997, elle
a atteint 919 en 2006, enregistrant un déclin d‟environ 6%. La répartition par région
montre que 9 régions ont un ratio de desserte inférieur à la moyenne nationale
(variant entre 0,39 et 0,97) alors que 7 régions ont un ratio de desserte supérieur à la
moyenne nationale (variant entre 1,03 et 1,74) (Belghiti & Hachri 2007).
5
A. Aouardirhi, « Le droit à la santé pour tous. Plaidoyer pour des soins porteurs de sens et d’humanité », Al
Bayane, 9-10 avril 2011, p. 7.
25
L‟offre de soins privée a également singulièrement augmenté. Mais sa
répartition sur l‟ensemble du territoire montre un important déséquilibre entre milieu
rural et milieu urbain, et aussi entre les régions. En 2005, on observe un ratio de un
cabinet médical pour 3.047 habitants en milieu urbain contre un cabinet pour 59.561
habitants en milieu rural. L‟offre se trouve concentrée dans les grandes
agglomérations urbaines : 52% des cliniques se trouvent dans les grandes villes
avec plus de 48% de la capacité litière totale des cliniques. L‟analyse de l‟offre
globale publique et privée montre une faible complémentarité entre les deux
secteurs. Généralement, cette offre globale n‟a pas permis de rétablir l‟équilibre entre
les différentes régions et encore moins entre les différentes provinces en matière de
services de santé de base (Ministère de la santé 2007 b : 22).
La sous utilisation des structures de soins
Grâce à l‟augmentation de l‟effectif des médecins et du personnel
paramédical, au nombre de 13.955 et de 27.644 en 2002, le ratio médecins/habitants
n‟a pas cessé de s‟améliorer : d‟un médecin pour 12.120 habitants en 1967, il atteint
un médecin pour 1.900 habitants aujourd‟hui (RDH 1 : 60). Néanmoins, le système
de soins continue de souffrir d‟une sous-utilisation des services. Le taux d‟utilisation
de la consultation médicale est estimé à 0,4 contact par habitant et par an, soit 18
consultations médicales/médecin/journée ouvrable en moyenne. La fréquentation
des services de soins préventifs montre une couverture globale de 59% dans la
prévalence contraceptive (écart de 15 points entre milieux urbain et rural), 56% pour
les soins prénatals (écart de 47 points entre milieux), 46 % pour les accouchements
en milieu surveillé (écart de 50 points entre milieux), 87 % pour la vaccination (écart
de 13 points entre milieux) (OMS 2003). C‟est dire aussi combien les disparités
régionales sont importantes.
L‟utilisation des services de santé de base reste limitée et a peu évolué au
cours des cinq dernières années :
Tableau 1 : Évolution du nombre moyen de consultations médicales et paramédicales
dans les ESSB de 2000 à 2005.
2000
2001
2002
2003
2004
Nbre moyen de consultations médicales
0,4
0,4
0,5
0,5
0,5
Nbre moyen de consultations paramédicales
0,7
0,6
0,9
0,9
1,0
Source : Ministère de la Santé, DPRF, Santé en chiffres 2005
6
Une qualité des prestations insuffisantes et une mauvaise distribution spatiale
sont là aussi avancées comme causes de cette sous-utilisation des structures
publiques : « si le recours alternatif au secteur privé peut partiellement expliquer la
faible fréquentation du réseau public des ESSB, l‟insuffisance de qualité des services
offerts, d‟accessibilité physique et financière sont les causes essentielles de cette
sous utilisation des services » (Belghiti & Hachri 2007 : 18).
6
Le rapport entre milieu rural et milieu urbain est de 1 à 2 : en 2002, le nombre de consultations médicales en
milieu urbain s’établissait à 0,6 consultations par habitant et par an, en milieu rural, à 0,3. Par co mparaison, en
2000, la médiane des consultations médicales par habitant et par an était de 0,8 en Tunisie, et 5 en France.
26
Néanmoins, grâce aux efforts en matière de santé maternelle, on a assisté à
une augmentation continue du nombre d‟accouchements en milieu surveillé : 28% en
1992, 46% en 1997 (Laabid 2005 : 112), 63% en 2003, 74% en 2010 7. Mais cela
signifie aussi qu‟une proportion non négligeable des accouchements se déroule
toujours à domicile : en 2003-2004, environ un cinquième des naissances ont
bénéficié de l'assistance d'accoucheuses traditionnelles (21%), et une proportion
relativement élevée d‟accouchements (15 %) s‟est déroulée avec l‟assistance de
parents ou d‟amis (Laabid 2005 : 114). Par ailleurs, dans le rapport de Belghiti et
Hachri cité ci-dessus (2007), il est fait remarquer que « parmi les 282 maternités
rurales, rares sont celles qui réalisent plus d‟un accouchement tous les deux jours ».
Nous verrons ci-dessous, à partir des observations faites dans les sites de l‟étude,
que l‟activité de certaines maternités reste toujours très faible .
Il faut également faire remarquer que tous les usagers potentiels des services
de soins n‟ont pas le même accès aux services de santé. A cet égard, face au
vieillissement de la population marocaine constaté d‟une manière générale par le
Haut Commissariat au Plan8, le Ministère de la santé avait déjà soulevé la question
d‟une sous-utilisation des structures de santé tout particulièrement chez les
personnes âgées : « La non utilisation des services de santé est observée davantage
dans la tranche d‟âges 70 ans et plus avec un pourcentage de 44,4% de répondants
dans cette tranche déclarant ne pas utiliser un service de santé ou ne pas exprimer
un besoin de santé » (Ministère de la santé 2007 a : 89). Il y a donc nécessité de
prendre en compte non seulement la question des disparités régionales en matière
d‟accès aux soins, mais aussi les disparités selon l‟âge et le sexe.
Personnels et structures fréquentés
Une des raisons du non recours à des prestataires de soins médicaux
fréquemment évoquée est le recours à des pratiques et des soins traditionnels. Dans
le domaine du diabète, par exemple, le recours aux plantes médicinales est une
pratique très courante (Ababou 2009). Mais quelle est l‟ampleur du phénomène ?
Dans le cadre de l‟enquête nationale sur les valeurs réalisée à l‟occasion du
Cinquantenaire de l‟Indépendance du Maroc, il avait été demandé à la population
enquêtée de choisir, par ordre de priorité, deux options parmi les solutions suivantes,
les soins traditionnels, la zaiara, le pharmacien, le médecin et l‟infirmier ; les résultats
ont montré que « Le recours au médecin vient en premier lieu (46%), puis les soins
traditionnels (25%), la pharmacie (24%) La zaiara n‟est citée que par 2% [des
enquêtés]. Si on groupe les recours selon qu‟ils sont traditionnels (soins traditionnels
et zaiara) ou modernes (pharmacien, médecin et infirmier), nous remarquons que la
majorité (72%) recourt aux pratiques modernes » (RDH 3 : 37). Si les préférences
vont aussi massivement en faveur des soins médicaux, cela amène alors à relativiser
le poids des facteurs dits « culturels », c‟est-à-dire ici liés à l‟attachement à des
recours traditionnels, dans le retard à la prise de décision pour recourir à un
prestataire de soins (premier délai).
Pour en rester aux recours aux soins médicaux dont il sera presque
exclusivement question dans ce rapport, le choix du lieu et du type de consultation,
sans surprise, est lié au niveau de vie : selon des chiffres se rapportant à la période
2006/2007, 31,3% des malades les moins favorisés ont fréquenté un dispensaire,
7
« Résultats de l'enquête nationale démographique à passages répétés 2009-2010 », Ahmed Lahlimi Alami
Libération, Mercredi 22 Mars 2011.
8
Résultats de l'enquête nationale démographique à passages répétés 2009-2010 ibid.
27
12,2% un centre de santé, 5,7% une clinique privée, et 24,7% un cabinet privé pour
se faire soigner ; ces proportions atteignent respectivement 7,8%, 5,1%, 13,8% et
52,5% pour les malades les plus favorisés (Direction de la statistique : 39). On notera
tout de même ici que le recours des plus pauvres aux structures privées représente
une proportion non négligeable (30% si l‟on cumule le recours à une clinique privée
et le recours à un cabinet privé). D‟une manière générale, le médecin apparaît
toujours comme le recours privilégié : l‟Enquête nationale de la consommation et des
dépenses des ménages (ENCDM 2000/2001) établit que le personnel médical le plus
consulté est le médecin pour 94,4% des maladies, le pharmacien vient loin derrière
en seconde position avec 2,8%, suivis des infirmiers avec 1,9% ; selon le lieu de
consultation, les cabinets privés attirent la proportion la plus importante des malades
(51,9%), ils sont suivis par les dispensaires et les centres de santé (24,7%) et par les
hôpitaux publics (17,7%) (Ezzrari & El Alami El Fellousse 2007 : 6), ces chiffres
confirmant donc l‟attractivité du secteur privé.
Les barrières identifiées
La santé, quelle priorité pour les ménages ?
Les raisons quant au retard de décision pour accéder à des structures de
soins sont sans doute davantage liées à une hiérarchie des priorités en fonction de la
situation socio-économique des ménages qu‟aux facteurs dits « culturels ». La santé
ne figure pas parmi les priorités des ménages : parmi les problèmes socioéconomiques perçus par les ménages comme très importants, la santé ne vient
qu‟en 4ème position avec 88% des ménages la classant comme priorité, après le
chômage (98%), le coût de la vie (92%), les déchets, la propreté, la pollution (91%),
et ex-æquo avec la corruption dans le secteur public (88%) (Ministère de la santé
2008).
Néanmoins, si l‟on prend une perspective diachronique, on s‟aperçoit, à la
lecture du tableau ci-dessous, qu‟entre 1996 et 2009, les besoins en santé, tout en
restant loin derrière d‟autres préoccupations comme l‟emploi, les infrastructures
routières ou l‟habitat, sont passés du 7 e rang au 5e rang des préoccupations des
ménages, et que le besoin ressenti en milieu rural en 2009 vient presque à égalité
avec l‟emploi.
Tableau 2 :
Répartition des besoins selon la proportion des ménages qui les
déclarent comme première priorité (en %)
Besoins
Électricité
Eau potable
Construction des routes
Emploi
Habitat économique
Égout, assainissement
Infrastructure de santé
Goudronnage et
pavement des rues ou
des pistes
Éducation
Sécurité des citoyens
(Taamouti 2010 : 8)
Urbain
4,7
6,4
8,8
19,8
18,1
7,6
1,1
4,8
1996
Rural
26,5
23,2
20,6
7,9
2,4
0,6
4,9
0,2
Ensemble
15,2
14,4
14,4
14,1
10,6
4,3
2,9
2,6
Urbain
1,1
2,2
8,1
22,4
14,5
3,8
2
1,6
2009
Rural
1,9
21,3
27,6
9,9
2,9
3,3
9
0
Ensemble
1,4
9,2
15,2
17,9
10,2
3,6
4,5
1,0
0,4
3,3
4,5
0,1
2,4
1,8
1,6
4,6
0,1
0,4
1,1
3,1
28
Par ailleurs, si l‟on se tourne vers les dépenses des ménages, et les
déclarations sur les postes de dépenses qui leur posent le plus de problèmes, la
santé vient là aussi loin derrière l‟alimentation et l‟habillement ou l‟habitat ; mais la
situation n‟a pas évolué entre 2001 et 2007, voire a empiré.
Tableau 3 : Répartition des ménages selon les postes de dépenses qui leur posent le
plus de problèmes.
Poste de dépenses
Alimentation et habillement
Transport
Habitation et équipements
Scolarisation des enfants
Soins de santé et
médicaments
Voyage, loisirs et activités
culturelles
Autres
Total
(Taamouti 2010 : 6)
% des ménages pour
lesquels le poste pose
problème
2001
2007
53
35
6
10
10
19
12
12
16
16
Coefficient budgétaire (en %)
2001
46
6
26
2
5
2007
44
9
24
3
7
Variation en points
-2
3
-2
1
2
2,4
6
2
2
0
4
100
3
100
14
100
12
100
-2
0
Accessibilité physique
L‟accessibilité physique à un centre de santé reste un problème majeur en
milieu rural. Malgré l‟effort soutenu de création de nouveaux centres, la population
demeure encore mal desservie en raison de la distance qui la sépare de
l‟établissement de soins le plus proche. Une étude réalisée par le Ministère de la
santé en octobre 2003 conclut que 25% de la population se trouvait toujours à plus
de 10 km d‟un établissement de soins, avec cependant une légère amélioration par
rapport à 1987 où ce pourcentage atteignait 36%.
Tableau 4 : Répartition de la population rurale par rayon kilométrique
l’établissement de SSB le plus proche (1987, 1996 et 2003)
Distances
1987
1996
2003
moins de 3 Km
26
29
41
3 à 6 km
15
18
17
6 à 10 Km
23
22
18
plus de 10 Km
36
31
25
de
Source : Ministère de la Santé, DPRF, DHSA (Ministère de la santé 2008)
Au niveau national, la distance moyenne parcourue pour rejoindre le lieu de
consultation est de 21,9 km, mais des disparités importantes sont observées entre le
milieu rural et le milieu urbain : elle est de 13,8 km en milieu urbain, et de 38,5 km en
milieu rural. La distance parcourue a bien évidemment des conséquences sur le
temps moyen nécessaire pour arriver au lieu de consultation : 49 minutes au niveau
national en 2007, soit 35 minutes en milieu urbain, et 77 minutes en milieu rural. Une
proportion de 11,1 % des malades citadins contre une proportion de 41,4% de leurs
homologues ruraux est obligée de consacrer plus d‟une heure pour se rendre au lieu
de consultation (Direction de la statistique : 39). Les utilisateurs résidant en milieu
29
rural semblent être encore plus défavorisés pour l‟accès aux soins hospitaliers : ils
mettent en moyenne 90,3 minutes pour atteindre l‟hôpital contre 53 minutes pour les
urbains. Dans les 2 cas, 24 à 27% des patients hospitalisés ont utilisé un moyen de
transport privé pour accéder à l‟hôpital (Ministère de la santé 2007 a : 97). Le
manque de transport représente à lui seul 46,2 % des raisons de non recours aux
services de prise en charge de l‟accouchement (Ministère de la santé 2008)
Rien d‟étonnant alors à relever que les femmes, dans l‟enquête nationale sur
la santé familiale de 2003-2004 ont déclaré parmi les principaux problèmes
rencontrés la distance à parcourir pour atteindre un établissement de santé (pour
60% de l‟échantillon), et l‟obligation de prendre un moyen de transport (pour 56%
d‟entre elles) ; « ces problèmes sont beaucoup plus fréquents dans le milieu rural
que dans le milieu urbain, et ils sont d‟autant plus fréquents que le niveau
d‟instruction est faible » (Laabid 2005 : 119). Les femmes ont également évoqué
d‟autres problèmes comme la méconnaissance de l‟endroit pour trouver le traitement
(52%), le souhait de ne pas vouloir se rendre seule au centre de santé (49%), et le
fait d‟avoir à demander la permission d‟aller se soigner (47%) (Laabid 2005 : 119).
La durée moyenne pour atteindre un établissement de santé est estimée non
satisfaisante par 50% des femmes et 49,5% des hommes. Elle est jugée comme telle
par près de 39% des répondants du milieu urbain et par 71% des répondants du
milieu rural. Selon le prestataire, il semble que les utilisateurs des services privés
accèdent plus rapidement aux structures (47%) que ceux qui utilisent les services
publics, avec 51% de réponses défavorables à propos de la durée du temps d‟accès
(Ministère de la santé 2007 a : 91).
Au-delà de la distance et du temps nécessaire pour accéder à une structure
de soins, c‟est aussi « l‟adaptabilité » qui est en cause. Une étude publiée en 2009
sur la couverture des besoins sanitaires conclut à une inadaptation des horaires de
travail dans les centres de santé publique :
« La population qui a une activité professionnelle est confrontée à des heures
d’ouverture des structures publiques (ou de présence d’un médecin) peu
compatibles avec sa disponibilité. Pour la population du monde rural qui se
lève très tôt et cherche à consulter avant d’aller aux champs, c'est-à-dire tôt,
un service qui n’est opérationnel au plus tôt qu’à partir de 9 h, n’est pas un
service accessible… les principes élémentaires d’accueil des patients
[voudraient] que les patients venus de loin soient accueillis en priorité afin de
leur permettre de repartir dans un délai de temps raisonnable. Ceci n’est
probablement jamais appliqué et il faut constater – là où l’on a pu étudier la
situation – que ce sont les patients venant de plus loin qui attendent le plus.
Par exemple dans l’enquête [dans la localité X], 88 % des patients qui ont eu
un trajet d’au moins 60 minutes attendent au moins 1 heure afin de voir le
médecin. A l’inverse, les habitants les plus proches de la structure attendent
quelques minutes » (Conseil santé 2009 : 22-23).
Et les auteurs de l‟étude de poser la question : « Est-ce à la population à
s‟adapter aux heures d‟ouverture des services ou l‟inverse ? En d‟autres termes,
assurer la couverture sanitaire implique une modification des comportements de la
population, mais aussi une adaptation des ESSB ». Le Ministère de la santé
reconnaît que 100% des usagers des structures de soins trouvent que le délai
d‟attente est insatisfaisant ou très insatisfaisant dans le cas de l‟utilisation des
services ambulatoires pour les accouchements, les utilisateurs des services privés
30
accédant plus rapidement aux structures (47%) que ceux qui utilisent les services
publics, avec 51% de réponses défavorables à la durée du temps d‟accès (Ministère
de la santé 2007 a : 91).
Afin de pallier en partie ce problème d‟accessibilité physique, une stratégie de
mise en place d‟équipes mobiles a été développée afin d‟atteindre les populations les
plus éloignées pour compléter la couverture de l‟offre fixe. Nous n‟avons pas
connaissance d‟une réelle évaluation de cette stratégie mobile. Cependant, le
rapport du Cinquantenaire spécifiquement consacré à la santé émet quelques
réserves sur l‟efficacité de cette initiative : « … les performances de ce mode mobile
en terme de couverture et de contribution à l‟offre de soins sont faibles, si bien que
l‟on peut dire qu‟une partie de la population rurale n‟a que peu accès aux soins.
Cette situation est due essentiellement à la diminution du nombre d‟infirmiers
itinérants (moins 10% entre 1992 et 1997), à l‟insuffisance des moyens de
déplacement, aux conditions de travail dans les localités et aussi à des
dysfonctionnements dans l‟organisation et la gestion » (RDH 2 : 28).
Accessibilité financière
Le manque d‟argent constitue bien évidemment un obstacle à l‟accès aux
soins, surtout pour les femmes. Dans l‟enquête EPSF, ce sont 74% des femmes qui
ont déclaré être confrontées à un problème d‟accessibilité financière pour accéder
aux soins de santé et obtenir un traitement (74 %), ce problème affectant davantage
les femmes du milieu rural (85%) que celles du milieu urbain (66%). En outre, ce
problème financier se pose de manière plus aiguë pour les femmes qui n‟ont pas
d‟instruction, pour celles qui ne travaillent pas ou travaillent sans être payées, et pour
les femmes appartenant aux ménages les plus pauvres (Laabid 2005 : 119).
Une enquête, certes déjà un peu ancienne, avait tenté d‟identifier les raisons
pour lesquelles les femmes n‟avaient pas consulté un médecin à l‟occasion de leur
dernier épisode de maladie. On remarquera que le refus du mari, à la fin des années
1990, intervenait très peu, et que le manque d‟argent était surtout évoqué par les
populations urbaines. La très grande majorité des répondantes semblaient alors ne
pas ressentir le besoin de recourir à une structure de soins, déclarant parvenir à faire
face à leur mal sans rien faire, et par recours à l‟automédication, au pharmacien et à
la pharmacopée traditionnelle (entre 65 et 70% selon le milieu).
Tableau 5 : Raisons pour lesquelles les femmes n’ont pas consulté un médecin à
l’occasion de leur dernier épisode de maladie (%) selon le lieu de
résidence.
Raisons invoquées pour ne pas avoir consulté
Consultation d‟un fqih ou d‟un voyant
Urbain
Rural
-
1.9
Recours à la médicine traditionnelle
21.8
26.7
Automédication ou recours au pharmacien
41.1
22.2
8.0
16.8
24.5
2.9
Refus du mari
0.5
1.4
Autres raisons
4.1
6.1
Mal passager ou bénin
Manque d‟argent
Source: Survey on the time budget of women (1997/98) (Yaakoubd 2009: 31).
31
Une enquête nationale plus récente (2006/2007), et dont les résultats ne font
pas apparaître des distinctions par sexe, montre que « l‟incapacité matérielle »,
expression que l‟on peut traduire vraisemblablement par « incapacité financière », en
est venue à être la principale raison du non recours à un personnel de santé, surtout
en milieu rural. Une telle évolution est très difficile à interpréter, et il serait sans doute
inopportun d‟en déduire ipso facto des difficultés accrues liées à un renchérissement
de l‟accès et des prestations. Elle témoigne peu-être aussi d‟une part relative plus
importante accordée à la santé et à son coût dans le budget des ménages. Il
convient aussi de noter combien la perception de la gravité, ou plutôt ici de la non
gravité d‟un épisode, peut influer sur le recours aux soins, notamment en milieu
urbain.
Tableau 6 : Malades (en%) n'ayant pas consulté un personnel de santé selon les
causes
Raisons de non consultation
Urbain
Rural
47.1
54.4
Éloignement du lieu de consultation
1.0
10.4
Coût élevé du transport
0.2
2.7
Difficulté d'accès
0.4
1.9
Manque de médecin ou infirmier
0.2
0.7
Manque d'une femme médecin ou
infirmière
Manque des services de soins
médicaux
Maladie passagère ou banale
0.0
0.0
0.3
0.7
37.1
20.0
1.6
0.8
12.2
8.3
Incapacité matérielle
Mauvaise qualité du service
Autres causes
(Direction de la statistique)
Les problèmes liés à l‟accessibilité financière et à l‟inéquité sont encore
aggravés par des versements « non officiels » aux agents de santé. Selon un rapport
de Tranparency International (Transparency s.d.)9, « En ce qui concerne la
fréquence de la corruption, le système de santé est classé en troisième position
après les agents de la circulation et les moqqadems et chioukhs » (p. 53). Il est
précisé plus loin (p. 54) que « Parmi les personnes qui ont répondu et ont été en
contact avec le personnel de la santé publique, 40% affirment avoir fait, elles-mêmes
ou un des membres de leur famille étendue, un versement illicite, soit 23% de
l’ensemble des répondants… Plus des deux tiers des chefs de ménage considèrent
que parmi le personnel de la santé publique, les infirmiers sont les principaux
bénéficiaires des versements non officiels. Ces versements sont dans la majorité des
cas inférieurs à 50 Dhs (61%) mais la moyenne est de 140 Dhs. En ce qui concerne
le résultat de ces versements, 81% des chefs de ménage pensent que le résultat
attendu a été atteint contre seulement 3% qui reconnaissent l’inutilité du
versement ». Ces pratiques, et la nécessité de « moraliser » la situation dans les
structures de soins est une priorité affichée ; le Ministère de la santé cherche à les
combattre notamment lorsqu‟il reconnaît, dans un document stratégique que, 80%
9
Ce rapport n’est pas daté, mais on peut en déduire qu’il a été établi à partir d’informations recueillies au début
des années 2000 puisque l’on peut lire, à la p. 7 du rapport que "La situation ne s’est pas améliorée au cours
des trois dernières années précédant l’enquête : 1998-2001".
32
des ménages disent que la corruption est très courante ; dans ce même document,
on peut lire : « Pour les montants des versements, 50% des ménages les situent
entre 20 et 100 Dh, 8% affirme avoir versé entre 100 et 500 Dh et 4% plus de 500
Dh. Quant à la fréquence des versements, 29% affirment le faire toujours, 35%
fréquemment et 30% rarement. Le profil de la personne ayant reçu le versement, 2%
des ménages disent l’avoir versé à des administrateurs, 4% à des secrétaires et
réceptionnistes, 7% à des sages femmes, 7% à des médecins, 17% à des infirmiers
majors et 74% à des infirmiers » (Ministère de la santé 2008).
L’accès aux médicaments
Selon l‟OMS, au début des années 2000, 35 % des Marocains n‟avaient pas
accès aux médicaments essentiels (OMS 2003). La structure des dépenses en soins
de santé montre que l‟achat des médicaments occupe la première place dans le
budget des ménages alloué au poste de la santé avec un coefficient budgétaire de
44,2%. La dépense annuelle par personne consacrée à l‟achat des médicaments
atteint en 2006/2007 241,7 Dh (contre 229,5 Dh en 2001) avec une forte disparité
selon le milieu de résidence et la classe de dépense. En effet, cette dépense s‟établit
à 306,8 Dh par personne en milieu urbain contre 157,2 Dh en milieu rural et passe
de 62,6 Dh (51 Dh en 2001) à 571,6 Dh (574,9 Dh en 2001) entre le premier et le
dernier quintile de dépense (Direction de la statistique : 41). Entre les pauvres et les
non pauvres, on retrouve également des différences importantes dans la structure
des dépenses de santé. En effet, les médicaments représentent 70,4% de la
dépense de santé pour les pauvres et 26,8% pour les non pauvres. A l‟inverse, les
soins hospitaliers représentent 1,5% et 17,2% respectivement chez ces deux
catégories de ménages (Ministère de la santé 2007 a : 110).
La presse se fait régulièrement l‟écho des débats autour du médicament et
que l‟on pourrait caricaturer de la manière suivante : les médicaments au Maroc sont
chers, les génériques ne sont pas suffisamment prescrits, les relations entre les
pharmaciens, les industries pharmaceutiques, les caisses qui assurent les
couvertures sociales, et le Gouvernement autour de la fixation des prix des
médicaments sont régulièrement très tendues.
Selon le Ministère de la santé, malgré les acquis enregistrés par le secteur du
médicament et de la pharmacie, des problèmes persistent encore et sont liés
essentiellement à :
-
-
La faiblesse de la production du médicament générique (pour le Ministère de la
santé, en 2001, les génériques ont représenté 91% du volume des achats et 77%
en valeur des appels d‟offres). En 2002, en volume, les génériques représentent
49,9 Millions d‟unités (boîtes) soit 24,6% en volume du marché pharmaceutique
privé. En valeur, ils représentent 1,3 Milliards de Dh (2,7 Milliards de Dh en
dépenses) soit 24,4% du marché. En 2006, les génériques ont représenté en
nombre de boites 24,6% et en valeur 24,4%.
La multiplicité des unités de fabrication dont la taille ne permet pas d‟affronter la
concurrence et la mondialisation.
Une gestion de l‟approvisionnement en médicaments dans le secteur public
notamment au niveau des hôpitaux qui pâtit de l‟absence de missions claires, de
procédures rigoureuses standardisées, de normes d‟entreposage et de gestion
des stocks et de mesures de suivi des médicaments après leur sortie des
pharmacies (problème de traçabilité) (Ministère de la santé 2008).
33
L‟accessibilité au médicament souffre aussi de la concentration des officines
en milieu urbain et d‟un déficit que ne peut pallier un secteur public sous financé, ce
qui engendrerait une disponibilité partielle du médicament nécessaire aux soins
curatifs dans les structures de soins publiques (RDH 2 : 8).
Conclusion : des déficits importants et des insatisfactions
L‟offre de soins au Maroc souffre donc globalement de déficits importants,
l‟ONDH qualifiant « d‟inacceptable » le faible niveau d‟accès aux services de santé
de base, surtout pour les habitants des campagnes et les couches pauvres de la
population (ONDH 2009 : 90). On peut déplorer la faible complémentarité entre les
secteurs publics et privés ; l‟offre globale (publique et privée) n‟a pas permis de
rétablir l‟équilibre entre les différentes régions, et encore moins entre les différentes
provinces, en matière de services de santé de base (Ministère de la santé 2008). Au
déficit quantitatif et aux disparités régionales s‟ajoutent un déficit en qualité : « 12%
des malades (hommes ou femmes) n‟ont pas trouvé une réponse à leurs besoins de
soins au moment de la demande. Il est aussi paradoxal de constater que même en
milieu urbain 11,8% de la population est concernée par ce constat (13,5% en rural) »
(Ministère de la santé 2007 a : 89). Les habitants du milieu urbain ne se sentent donc
pas toujours mieux lotis que ceux du milieu rural.
Une insatisfaction générale s‟exprime dans la population, et parmi les usagers
des structures de soins, il apparaît que les utilisatrices des services ambulatoires
pour des prestations d‟obstétrique sont les moins satisfaites du respect de la dignité
dans ces structures (51,5% d‟insatisfaites en milieu rural, 39% en milieu urbain). Ceci
expliquerait en partie la non utilisation de ces services censés fournir des prestations
de proximité aux parturientes et leur éviter des déplacements vers des structures
hospitalières éloignées, ce qui pourrait être une des explications du choix de
l‟accouchement à domicile. Les moins insatisfaits de ces critères de respect de la
dignité sont les patients suivis pour affections chroniques (22% d‟insatisfaits en
milieu rural, 13% en milieu urbain). Relativement au secteur d‟activité, les répondants
utilisateurs du secteur public sont les plus insatisfaits en ce qui concerne le respect
de la dignité (38% d‟insatisfaits en milieu rural, 24.5% en milieu urbain, contre
respectivement seulement 7% et 4% dans le secteur privé) (Ministère de la santé
2007 a : 92).
Les études sur l‟accès aux soins que nous avons consultées font donc état de
disparités régionales importantes sur l‟ensemble du territoire, mais aussi entre milieu
rural et milieu urbain (ce dernier étant cependant loin d‟être toujours synonyme de
facilité d‟accès et de qualité des soins) et d‟insatisfactions : difficultés d‟accès
géographique, coût des prestations et des médicaments, indisponibilité des
prestataires, absence de complémentarité entre offres publique et privé,
indélicatesses des soignants, tels sont quelques uns des items revenant
régulièrement dans la littérature pour expliquer la sous-utilisation des services de
santé, autant de thèmes sur lesquels l‟étude dans les trois sites reviendra.
34
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36
Chapitre - 2Présentation des sites de l’étude:
Provinces de Figuig et d’Azilal, Préfecture de Salé
Marc-Éric Gruénais
Comme nous le précisions dans l‟introduction, l‟étude a principalement
procédé par études de cas dans trois régions du Maroc : deux zones que l‟on
pourrait qualifier de « rurales », tant elles puisent leurs ressources essentiellement
de l‟agriculture et de l‟élevage, avec des centres urbains de taille réduite, les
provinces de Figuig et d‟Azilal ; et une zone urbaine, la préfecture de Salé. Ce choix
de procéder par études de cas dans un nombre limité de régions se justifie tout
d‟abord par la perspective essentiellement qualitative de l‟étude (même, pourrait-on
dire dans ses aspects quantifiés – cf. chapitre 4) afin d‟obtenir l‟information la plus
précise possible sur la question de l‟accès aux soins ; ce qu‟une telle perspective fait
perdre en extension (ce que permet une enquête sur des sites plus nombreux et
représentatifs), elle permet de le gagner en compréhension (la précision de
l‟information). Le choix a été guidé par le souci de mettre en évidence les situations
relatives à l‟accès aux soins dans des contextes particulièrement contrastés ; les
provinces de Figuig et d‟Azilal, pas davantage que la préfecture de Salé, ne sont
représentatives du milieu rural et du milieu urbain. Les informations rapportées dans
ces sites particuliers mettent en évidence des difficultés parfois extrêmes d‟accès
aux soins. Néanmoins, gageons que les connaisseurs d‟autres régions du Maroc
retrouverons dans les situations rapportées des réalités connues, et que la différence
sera bien souvent davantage de degré que de nature.
Ce chapitre présente quelques spécificités des trois sites choisis, tant du point
de vue géographique, que de celui des systèmes de santé locaux. Les informations
restituées ci-dessous proviennent de sources très différentes, qui paraîtront parfois
un peu anciennes, et nous sommes bien conscients et que des actualisations
conséquentes puissent paraître nécessaires. Précisons cependant que s‟il existe
beaucoup d‟informations sur les régions du Maroc, la localisation des sources est
parfois difficile, et l‟information précise doit souvent être recherchée aux niveaux les
plus localisés, sans compter qu‟elle n‟est pas toujours de nature homogène.
Néanmoins, nous espérons que les informations sur les trois sites telles qu‟elles sont
ici présentées permettront aux lecteurs d‟avoir un aperçu suffisamment précis pour
se faire une idée de la spécificité et de la disparité des contextes.
La Province de Figuig
Selon le recensement de 2004, la Province de Figuig totalisait 129.430
habitants sur une superficie de 55.990 km² ; il s‟agit donc d‟un territoire
particulièrement étendu et avec une très faible densité de population : en moyenne
2,3 habitants/km² ; 1,6 habitants/km² pour les seules communes rurales. La Province
ne comprend que deux communes urbaines : Bouârfa, le chef lieu, où sont
regroupés les services déconcentrés de l‟État, et la ville de Figuig à la frontière avec
l‟Algérie. L‟élevage extensif (essentiellement d‟ovins et de caprins) est l‟activité
prédominante dans la province qui est aussi connue pour sa population rurale dite
37
« nomade ». En fait de population nomade il s‟agit surtout de populations vivant dans
des campements très dispersés, composés d‟une famille plus ou moins élargie,
combinant fréquemment habitat sous une tente et petites habitations ou hangars en
pierre (cf. illustration ci-dessous). Ces campements, particulièrement dispersés et
très faiblement peuplés, restent fixes désormais pour la plupart. Cette
sédentarisation, et parfois les regroupements de campements sont expliqués
localement par la sécheresse, la dégradation des terres, et la mise en défens
corrélatives de certaines zones qui limite les zones de pâturages ; elle s‟expliquerait
aussi par le souci des « nomades » d‟avoir un accès permanent aux services de
base de l‟État : administration territoriale, école, services de santé notamment,
parfois eau et électricité.
Photo 1 : Un campement de « nomades » dans la province de Figuig (photo M.E. Gruénais)
Outre la dispersion et la faible densité de la population et la distance à
parcourir pour aller d‟une commune à une autre, on est frappé en sillonnant la
province combien la population de cette province se répartit en fonction de trois axes
principaux : au centre, un axe nord-sud, regroupant les communes de Tendrara,
Bouârfa et Matarka s‟organisant dans la proximité de la route menant de Bouârfa
jusqu‟à Oujda ; à l‟est, les communes de Figuig et Abou Lakhal, le long de la
frontière algérienne ; à l‟ouest, les communes de Bouanane, Beni-Tadjit, Aïn Chair,
Talsint, Boumérieme, Bouchaouène plus montagneuse, et plutôt tournée vers
Missour au nord, ou vers Errachidia à l‟ouest.
Comme l‟illustre la carte n°1 ci-dessous, la province de Figuig fait partie des
provinces particulièrement pauvres du Royaume. Alors qu‟en 2004, au niveau
national, le taux de pauvreté s‟établissait à 14,2% (7,9 % en milieu urbain, 22% en
milieu rural), la Région de l‟Oriental accusait alors un certain retard par rapport à la
moyenne nationale (moyenne 17,9%, 13,8% en milieu urbain, 24,8% en milieu rural),
et la Province de Figuig encore davantage (moyenne 27,1%).
38
Carte 1 : La Province de Figuig (Document INDH)
Le tableau n°7 ci-dessous, fondé sur les données du recensement de 2004,
donne les informations de population et de pauvreté pour chacune des communes
avec des taux qui dépassent parfois 60%. Les chiffres de 2007 attestent cependant
d‟une réelle amélioration de la situation globale puisque le taux de pauvreté pour la
Province de Figuig est passé à 13,8% (8,9 % au niveau national), la Région de
l‟Oriental étant celle où la pauvreté a le plus baissé entre 2004 et 2007 (-43,9%),
après la Région de Laâyoune-Boujdour-Sakia El Hamra (-65,9%) (HCP 2010).
39
Tableau 7 : Les communes de la province de Figuig
Communes
CR Abbou Lakhal
CR Boumérième
CR Maatarka
pop
rurale
CR Tendrara
pop
urbain
e
pop
CR Bouanane rurale
pop
& Aïn Chair
urbain
e
pop
rurale
CR Talsint
pop
urbain
e
pop
rurale
CR Beni-Tadjit pop
urbain
e
CR Bouchaouène
CR Bni Guill
CR Aïn Chouatter
CU Bouarfa
CU Figuig
Province
1 497
7 488
8 030
Taux de
pauvreté
en %
66.85
62.68
62.53
5 803
48.93
22.96
6 254
22.31
22.89
7 564
44.47
22.77
3 254
12.28
18.21
7 553
43.81
23.81
7 098
17.89
20.07
6 902
39.85
24.23
8 029
9.85
15.89
11 231
9 059
1 144
25 947
12 577
129 430
37.74
31.67
13.33
19.32
15.46
27.09
24.64
22.49
19.50
20.02
17.40
20.41
Population
Taux de
vulnérabilité
en %
16.07
20.32
19.42
Taux
d‟analphabétisme
en %
72.7
77.3
83.6
Superficie
en km²
3102
2900
9000
60.5
8359
53.7
5010
59.4
3700
41.2
2630
91.0
71.9
41.7
29.2
22.6
52.7
4491
8834
7922
7
35
55 990
Source INDH – Province de Figuig
La Province de Figuig est desservie par un hôpital provincial localisé à
Bouârfa, deux centres de santé urbain localisés dans la ville de Figuig (dont un
ancien hôpital local), et douze centres de santé ruraux auxquels viennent s‟ajouter 7
dispensaires ruraux ; 5 centres de santé disposent d‟un module d‟accouchement. La
répartition des formations sanitaires est représentée dans la carte n° 2 ci-dessous.
Dans la Province de Figuig comme ailleurs, l‟INDH, de 2005 à 2010 a appuyé
le secteur de la santé en participant au financement de 17 projets pour un total
dépassant 4,7 millions de Dh, ce qui représente environ 5,4% de la totalité des
dépenses de l‟INDH pour cette période. La plupart des projets soutenus par l‟INDH a
consisté soit en achats d‟ambulances, soit en construction.
40
Carte 2 : les établissements de santé de la province de Figuig
CSUA :
CSU :
CSCA :
CSCA :
DR :
Centre de santé urbain avec module d‟accouchement
Centre de santé urbain
Centre de santé communal avec module d‟accouchement
Centre de santé communal
Dispensaire rural
Document SIAAP Province de Figuig
La Province d’Azilal
La Province d‟Azilal s‟étend sur une superficie de 9.800 Km², essentiellement
montagneuse à l‟exception d‟une partie au nord de la Province qui relève de la plaine
de Tadla et du Haouz (cf carte n°3 ci-dessous). Sa position à cheval sur le Moyen
Atlas et le Haut Atlas lui confère un relief très accidenté. En hiver surtout, mais aussi
parfois au printemps, les intempéries (neige et pluies rendent temporairement les
routes impraticables et/ou les gués infranchissables) font que certaines communes
sont parfois inaccessibles une partie de l‟année, et les autorités reconnaissent
l‟existence de douars « enclavés » : « … en dehors de la route régionale n°304 qui
traverse la Province et quelques autres tronçons revêtus, plusieurs voies de
communication ne sont pas encore construites. Quant aux pistes existantes, elles
sont pour la plupart défectueuses et deviennent impraticables lors des intempéries,
ce qui accentue davantage l’enclavement d’un grand nombre de localités pendant la
saison hivernale en particulier. De ce fait des efforts sont déployés par tous les
intervenants concernés, à savoir l’administration et les conseils communaux pour
rétablir la situation des pistes pour assurer le désenclavement de plusieurs douars ».
(Azilal 2010 a : 52). Le taux de couverture par le téléphone mobile est de 85% (ibid.).
41
Carte 3 : La Province d’Azilal (source Délégation provinciale de la santé)
42
La Province regroupait 504.501 habitants en 2004, dont 453.023 en milieu
rural. Pour l‟ensemble de la Région Tadla-Azilal, les commentaires du RGPH de
2004 évoquaient pour cette région un faible taux d‟urbanisation, un rythme
d‟accroissement annuel de la population très inférieur à la moyenne nationale (0,9%
pour cette région contre 1,4% pour la moyenne nationale), et partant une tendance
au vieillissement de la population pour ce site (RGPH 2004 a). La Province d‟Azilal
comprend 2 pachaliks (Azilal et Demnate), 4 cercles (Azilal, Bzou, Demnate,
Ouaouizerth), 16 caïdats, 42 communes rurales, et 2 municipalités. Selon un des
responsables de l‟administration provinciale, la Province compterait 14 communes
rurales « enclavées », inaccessibles en hiver. Sans surprise, étant donné le
caractère particulièrement rural de cette province, l‟essentiel de l‟activité est tournée
vers l‟agriculture (principalement céréales et arboriculture) et l‟élevage (caprins et
ovins essentiellement) (Azilal 2010 a).
La Région de Tadla Azilal, au regard des chiffres sur la pauvreté, pourrait être
qualifiée de « moyennement pauvre » se situant au milieu du tableau du classement
des régions en fonction de leur pauvreté (7 e rang). Le taux de pauvreté en milieu
urbain, pour l‟ensemble de la région, est plus élevé que la moyenne nationale (6,2%
contre 4,8%), quant au taux de pauvreté du milieu rural, il est plutôt moins élevé
(11% contre 14,4%). Cependant, on peut supposer que ce « bon score » pour le
milieu rural est surtout du a l‟activité économique agricole importante dans la plaine
de Tadla, car si l‟on se concentre sur la seule Province d‟Azilal, essentiellement
rurale, le taux de pauvreté global en 2007 est très supérieur au niveau national
(14,4% contre 8,9%). Il convient cependant de relever que la situation s‟est
nettement améliorée au regard des derniers chiffres puisque le taux de pauvreté
global pour cette province était de 14,4% en 2004, et de 9,3% en 2007 (HCP 2010).
Dans la province, la pauvreté est très inégalement répartie comme le montre la carte
n°4 qui confirme bien que les communes les moins pauvres sont pour l‟essentiel
celles situées dans la plaine.
43
Carte 4 : Répartition du taux de pauvreté par commune –
Province d’Azilal (Azilal 2010 b)
La quasi-totalité des communes situées dans la zone montagneuse de la
province a été ciblée par l‟INDH, comme le montre la carte 5 ci-dessous. De 2006 à
2010, l‟INDH a soutenu 30 projets relatifs à la santé pour un total de 8 804 420
dirhams. Il s‟agit le plus souvent d‟achats d‟ambulance ou de constructions, plus
rarement d‟appui à des mutuelles communautaires ou des actions de
sensibilisation10. Dans la Monographie d‟Azilal (Azilal 2010 a) on relève que les
projets concernant la santé représentent 7% du budget total du budget de l‟INDH
pour la Province, les premiers postes des dépenses de l‟INDH sont consacrés à
l‟appui à la construction des routes, à l‟adduction d‟eau et à l‟agriculture.
10
DAS d’Azilal – communication personnelle
44
Carte 5 : les communes INDH dans la province d’Azilal (source : INDH)
La province d‟Azilal est desservie par un hôpital provincial d'une capacité de
130 lits. Par ailleurs, s‟agissant des soins hospitaliers, la commune de Demnate à
l‟ouest bénéficiait des prestations d‟un hôpital local, avec une capacité
d‟hospitalisation de 26 lits et un bloc opératoire ; à ce titre, jusqu‟en juillet 2010, un
gynécologue y était affecté. Dans la carte sanitaire actuelle, la dénomination
« hôpital local » a disparu, et cette structure de Demnate est devenue un « centre de
santé urbain avec module d‟accouchement » (CSUA), dès lors il n‟a plus à bénéficier
de prestations de spécialistes, et le gynécologue est donc parti. Néanmoins, il existe
un projet de construction d‟un nouvel hôpital à Demnate.
En incluant l‟ex-hôpital local devenu centre de santé de Demnate, la province
d‟Azilal totalise 76 formations sanitaires de base qui se répartissent de la manière
suivante :
Tableau 8 : Le réseau de soins de santé de base de la Province d’Azilal
Structures
Centres de santé urbains
Centres de santé communaux avec module d‟Accouchement
Nombre
3
19
Centres de santé communaux
23
Dispensaires ruraux
30
TOTAL formations sanitaires y compris le CSUA Demnate
(Azilal 2010 b)
45
76
Il convient d‟ajouter que l‟on trouve également dans la Province 12 cabinets
de consultation privée et 36 pharmacies ou dépôts pharmaceutiques. Près de 30%
de la population vit à plus de 10 km d‟une formation sanitaire. Au 11/11/2010 62
médecins généralistes et 42 sages femmes étaient recensés par la Délégation
provinciale de la santé. On recensait également 46 ambulances dont 24 ambulances
du Ministère de la santé (10 de celles-ci sont identifiées comme étant « en panne ») ;
les autres relèvent des communes (13)11, de la Protection civile (3), du Croissant
rouge (1), d‟associations (2) ou encore du secteur privé (3) (Azilal 2010 b). On peut
donc en conclure que l‟essentiel des transports par ambulance est réalisé par des
véhicules qui n‟appartiennent pas au Ministère de la santé. La répartition
géographique des formations sanitaires est présentée dans la carte 6 ci-dessous :
Carte 6 Les infrastructures sanitaires de la Province d’Azilal (Azilal 2010 b)
Ait Oukabli
INFRASTRUCTURE SANITAIRE DE LA PROVINCE D'AZILAL
Province de BENI MELLAL
Issekssi
Sidi ali Tizgui
Ait Tamajoute
Afourer Timoulilte
ben brahim
Bouazier
Rfala
Ait
Guirte
Tanfarda
Oued
Indaren
Ouaouizerth Taglefte
Ait
Taghrarte
Attab
Tisqui
Laabid
Ait W aarda
Tabarouchte
Guimi
Bzou
Province
Tirste
Tiferte
Nait
Hamza
Foum
Jema
Tamda
Tislite
AZILAL
taguel.
Ait wirar
Ifrane
Tissa
Tanant
Bouhrazen
Skoura
DES
SRAGHNAS
Anergui
Tilouguite
Ouaoula
Ait Maj den
Ait Chouarite
Imlil Ait Salah
Sguat
Tidili
DEMNATE Mahda
Draa
Iwariden
Ihoudjine
Iminifri
Bouachiba
Ait
Maalla
Province
d'EL
HAOUZ
D'ERRACHIDIA
Taounza Bin El Ouidan
InguirteAgoudid
Ait Mazigh
Ibarag. Tabia Ouzoud
d'EL KELAA
Province
Zaouit Ahansal
Ait Mhamed
Ait Blal Igmir
Tizgui Ait
Toutline
Tifni
Abachkou
Sremte
Tabant

: Hôpital Provincial
: Centre de Santé Urbain (C.S.U.)
: Hôpital local
: Centre de Santé Communal
+ Accouchement ( C.S.C.A.)
Issoulane
: Centre de Santé Communal (C.S.C.)
Ait Tamlil
: Dispensaire rural ( D.R. )
Province d'OUARZAZATE
Une étude effectuée en 2004 dans la province d‟Azilal illustre bien la réalité
des difficultés d‟accès aux soins pour une part importante de la population : « Le
temps de déplacement de 62 % de la population est d’environ 60 minutes pour
arriver à pied au centre de santé et 15 % réside à au moins 20 km de la première
structure de soins. Certaines familles sont encore bien plus éloignées. L’on cite des
chiffres de familles à 60 ou même à plus de 100 km d’un ESSB. Dès lors certaines
populations ne cherchent à recourir aux structures de soins que pour les urgences.
Dans certaines zones leur éloignement est tel que le décès arrive parfois avant
l’accès à la structure et oblige à rebrousser chemin » (Conseil santé 2009). Dans une
11
Il s’agit essentiellement de véhicules achetés dans le cadre de projets soutenus par l’INDH.
46
des circonscriptions sanitaires où nous avons plus particulièrement travaillé (Aït
M‟Hmed) il nous a été précisé que le douar le plus éloigné du centre de santé en
était distant de 30 km, et que 15 douars sur 45 que compte la commune rurale
étaient inaccessibles en voiture. Pour l‟année 2009, le taux de couverture
d‟accouchement en milieu surveillé s‟établissait à 36,74 %, le taux de recrutement en
consultation prénatale à près de 60%, et le nombre moyen de consultations
médicales par habitant, à 0,69 (Azilal 2010 b). La très précise monographie sur la
santé de la Province d‟Azilal, dont nous avons extrait la majorité des informations
rapportées ci-dessus, s‟achève par la mention des points forts et des points faibles
du système de santé local que nous reproduisons ci-dessous.

Points forts :
o Amélioration relative des indicateurs de résultats des programmes
sanitaires ;
o Infrastructure sanitaire renforcée ;
o Partenariat avec les collectivités locales assez développé ;
o Participation communautaire assez développée ; Existence du projet MOR
(FNUAP) et du Programme d‟appui à la régionalisation, à la
déconcentration et au renforcement des soins de santé de base
(REDRESS Agence française de développement).
o Soutien des projets par l‟INDH.

Points faibles :
o Performances du système sanitaire insuffisantes ;
o Milieu rural très défavorisé ;
o Accès aux soins faible (plus de 15% de la population non couverte) ;
o Insuffisance en moyen de mobilité et en personnel pour la stratégie
mobile ;
o Parc auto peu développé (35% des véhicules à réformer) ;
o Instabilité du personnel.
La Préfecture de Salé
La population de la Préfecture de Salé est passée de 586.419 en 1994 à
769.500 en 2004, avec un taux d‟accroissement de 2,8% qui est le plus important de
l‟ensemble de la Région Rabat-Salé-Zemmour-Zaër (RSZZ) ; la part de la population
rurale représentait 12,1% en 2004 (RGPH 2004 b). Le recensement général de la
population pour l‟année 2004, à propos de la région RSZZ relevait combien
l‟accroissement démographique important de l‟ensemble de la région créait des
besoins supplémentaires en investissements qui, pour absorber les effets de
l'augmentation de la population, risqueront d'être importants ne serait-ce que pour
maintenir les niveaux de vie actuels : « Au rythme actuel de l'accroissement
démographique, il faudra renforcer l'infrastructure et l'encadrement social existant
pour maintenir les niveaux de fréquentation scolaire, les niveaux d’activité et des
prestations sanitaires ainsi que les conditions d'habitation de la population » (RGPH
2004 b).
Pour la région RSZZ, le taux de pauvreté global était de 5,1% en 2007, avec
3,6% en milieu urbain, et 11,4% milieu rural (au niveau national il se situe à 8,9%,
soit 4,8% en milieu urbain et 14,4% en milieu rural). Pour la seule Préfecture de
Salé, entre 2004 et 2007, ce taux est passé de 6,5% à 4,9% (HCP 2010). Dix zones
de Salé ont été plus particulièrement ciblées par l‟INDH : Souani, dans
47
l‟arrondissement de Lamrissa ; El Guezara, Amal Mabrouka, Daya Abdelmoula,
Jnane, El Houat et Mazza, dans l‟arrondissement de Laayayda ; Hay Rachad, Hay Al
Kifah et Hay Al Wahda, dans l‟arrondissement de H‟Ssein. La carte 7 ci-dessous
représente les quartiers urbains de la préfecture de Salé et les zones ciblées INDH.
Carte 7 : les quartiers urbains ciblés INDH de la Préfecture de Salé (source : INDH).
Dans la Préfecture de Salé, les interventions de l‟INDH dans le domaine de la
santé sont beaucoup plus diversifiées que dans les autres sites, avec moins de
construction mais davantage d‟aides à des associations et à des initiatives
d‟accompagnement de populations à besoins spécifiques.
Les projections faites à partir du recensement de 2004 donnent une
population totale estimée à 940.000 personnes en 2010, chiffre retenu aujourd‟hui
par la Délégation préfectorale de la santé de Salé. Selon le dernier découpage
administratif de juin 2009, quatre communes composent la Préfecture de Salé : deux
communes urbaines, Salé, avec 5 arrondissements qui totalisent 887.000 habitants
et Sidi Bouknadel, qui était une commune rurale il y a encore peu de temps, avec
17.000 habitants ; et deux communes rurales, Ameur (née d‟une division de
l‟ancienne commune rurale de Bouknadel), avec 20.800 habitants ; et S‟houls, avec
15.200 habitants.
48
Carte 8 : Carte sanitaire, communes et arrondissements de la Préfecture de
Salé (source : Délégation préfectorale de la santé de Salé)12.
La fréquentation des établissements de santé publics s‟établit à 0,8
consultations par habitant et par an. En 2010, la population de la Préfecture de Salé
était desservie par 26 établissements de soins, dont 2 dispensaires ruraux et 2
centres de santé avec module d‟accouchement. Les disparités en matière de
population desservie par centre de santé sont considérables, allant de 4.000 à plus
de 80.000 habitants, comme le montre la répartition démographique par
circonscription sanitaire présentée ci-dessous dans le tableau 9.
12
On aura remarqué que cette carte a été établie avant le découpage de la commune de Bouknadel en deux,
avec la commune urbaine de Bouknadel, et la communre rurale de Ameur.
49
Tableau 9 Population par circonscription sanitaire (estimation) Année 2010
CIRCONSCRIPTIONS
SANITAIRES
BAB KHEMISS
BAB SEBTA
BETTANA
BOUKNADEL
DCM
EL KARIA
HAY EL KIFAH
HAY ER-RAHMA
HAY ESSALAM
HAY SALAM 2
HSSAINE
JARDA
LAARJATE
TYPES D‟ÉTABLISSEMENT DE SOINS
Centre de santé urbain
Centre de santé urbain
Centre de santé urbain
Centre de santé urbain
Centre de santé communal avec module
d‟accouchement
Centre de santé urbain
Centre de santé urbain
Centre de santé urbain
Centre de santé urbain
Centre de santé urbain
Centre de santé urbain
Centre de santé urbain
Centre de santé communal avec module
d‟accouchement
Centre de santé urbain
Centre de santé urbain
Centre de santé urbain
Centre de santé urbain
Centre de santé urbain
Centre de santé urbain
Centre de santé urbain
Dispensaire rural
Dispensaire rural
Centre de santé urbain
Centre de santé urbain
Centre de santé urbain
Centre de santé urbain
LAAYAYDA
LAAYAYDA 2
MOULAY SMAIL
PEPINIERE
SAID HAJJI
SALA AL JADIDA
SALA ALJADIDA 2
S'HOUL
SIDI AZOUZ
SIDI HMIDA
SIDI MOUSSA
SOUANI
TABRIKET
TOTAL
Source : Ministère de la santé – Délégation Salé Médina
POPULATION
25000
22000
35000
37800
56000
84000
60000
82000
22000
64000
9000
20000
3900
80000
64000
24000
27000
36000
27000
36000
4300
7000
4000
32000
33000
45000
940000
Salé bénéficie également des services d‟un hôpital préfectoral ancien, l‟Hôpital
My Abdellah d‟une capacité litière de 169 lits, dont une maternité de 45 lits (un
nouvel hôpital est en construction) auxquels viennent s‟ajouter deux services du
CHU : l‟Hôpital de Réadaptation Al Ayachi, et l‟Hôpital de Psychiatrie Razi. Il faut
encore ajouter un certain nombre de structures d‟appui comme un Centre Diagnostic
Polyvalent, un Centre de Diagnostic et de traitement des maladies respiratoires, un
Centres d‟Hémodialyse, Centre Médico-social scolaire.
Le secteur privé est également bien représenté avec 5 cliniques et 128
médecins généralistes dénombrés en 2007 (Salé 2007).
Néanmoins, rapportée aux moyennes nationales, l‟offre de soins publique
apparaît très insuffisante : alors que le ratio habitants/ESSB s‟établissait, en 2009, à
1 ESSB pour 11.890 habitants au niveau national, et à 1 ESSB pour 20.504
habitants au niveau régional, pour le milieu rural, à Salé, il s‟établissait à 1 ESSB
pour 14.000 habitants, et pour le milieu urbain à 1 ESSB pour 39.364 habitants,
atteignant des ratios de 1 ESSB pour 69.000 habitants dans l‟arrondissement de
Laayayda. Les déficits en matière de ratio par soignants sont à l‟avenant :
50
Tableau 10 : ratios habitants par médecin & par infirmier et par région
(Salé 2009)
Habitants/médecin
Habitants/infirmier
Salé
4677
2410
Région
1084
1538
National
1782
1099
Le diagnostic sur l‟offre de soins de base fait par la Délégation préfectorale de
la santé est sans appel ; nous en reproduisons ci-dessous un long extrait :
« Au problème de sous couverture se surajoute celui de la vétusté des
bâtiments, des installations et du mobilier. En effet, 8 centres de santé
dépassent 30 ans d’âge. Et les budgets alloués annuellement ne permettent
pas de répondre à tous les besoins de réhabilitation
- Plateau technique :
Les équipements médico-techniques sont largement insuffisants et les
ressources financières mobilisées ne permettent pas d’en assurer le
renouvellement régulier. Ce problème est aggravé par la quasi absence de
maintenance curative et préventive… ; problèmes qu’il devient impératif de
solutionner au regard des nouvelles missions que doivent remplir les ESSB
(prise en charge des maladies chroniques, examens complémentaires,
échographie obstétricale, examens biologiques…).
- Ressources humaines :
Contrairement aux idées reçues, les ressources humaines, paramédicales
surtout mais aussi médicales, sont insuffisantes en quantité et en qualité.
Certaines activités commencent à être franchement menacées par cette
situation. C’est le cas des activités de santé scolaire où on ne compte plus
que 4 infirmiers, de l’espace santé jeunes toujours non fonctionnel en
raison de l’absence de personnel paramédical. C’est le cas également des
activités de lutte antituberculeuse qui ne compte plus que 4
bacilloscopistes dont 2 partiront en retraite dans les 2 années à venir, et
des activités de dialyse. Certains profils, comme par exemple les
assistants dentaires, les psychologues… sont carrément inexistants.
- Moyens de mobilité
Ils constituent une contrainte majeure pour les activités de supervision,
d’approvisionnement des ESSB, et pour toutes les autres activités
requérant le déplacement des professionnels de santé (Santé scolaire,
Enquêtes épidémiologiques, relances de malades tuberculeux, Enquêtes
préliminaires sur les décès de femmes en âge de procréer et autopsies
verbales…).
- Budget pharmacie
Le budget dédié à la pharmacie reste insuffisant pour répondre aux
besoins de la population. Prés de 73% vont à la prise en charge des
maladies chroniques (45 % pour le diabète), sans qu’on soit en mesure de
satisfaire l’ensemble de la demande » (Abdelmoumen & El Amrani 2010).
51
Le taux de recrutement pour les consultations prénatales est resté stable entre
2008 et 2009. En revanche, les femmes enceintes ont été recrutées plus tôt et ont
bénéficié de plus de visites prénatales. Le résultat a été une détection plus
importante des grossesses à risque. Il a également été enregistré une augmentation
de prés de 15% du nombre d‟accouchement dans les structures de santé sous l‟effet
de l‟entrée en vigueur de la gratuité dans les hôpitaux. La même tendance à la
hausse a été constatée pour les césariennes. Mais la proportion d‟accouchements
en milieu surveillé s‟établit à 50,4% en 2009 (Abdelmoumen & El Amrani 2010).
Conclusion : trois sites, trois contextes spécifiques
Chacun des trois sites de l‟étude a des spécificités très marqué en regard du
contexte géographique, social, économique, culturel, mais aussi de son système de
santé local. La Province de Figuig est caractérisée par une faible densité d‟une
population très dispersée, ce qui constitue en soi un frein à l‟efficience de l‟offre de
soins. On y relève aussi une importante centralisation des services dans la principale
commune de la zone, Bouârfa. L‟offre de services publics, dans la Province d‟Azilal
est plus diffuse, avec notamment les deux « pôles » constitués par les communes
d‟Azilal et de Demnate, et des accès relativement faciles à Beni Mellal et Marrakech.
Néanmoins, le relief très accidenté et montagneux est à l‟origine de réels problèmes
d‟accès géographiques – incontestablement les plus importants des trois sites – avec
des douars et des villages « coupés du monde » à certaines périodes de l‟année. A
Salé, a priori, l‟accessibilité géographique aux formations sanitaires ne se pose pas,
d‟autant moins si l‟on considère la proximité de Rabat avec les structures de soins
offrant les plateaux techniques parmi les plus élevés du pays, d‟une part, et d‟autre
part, l‟importance de l‟offre privée. Néanmoins, eu égard à la concentration et à
l‟accroissement de la population, la « pression » sur les centres de santé augmente
également et l‟enjeu principal est le maintien à niveau de l‟offre de services publics,
notamment sanitaire. Partout, à considérer les principaux indicateurs, la situation
s‟améliore (recul de la pauvreté, densification de l‟offre de soins). Partout,
également, on rencontre des problèmes analogues liés à la gestion des ressources
humaines, à la vétusté du parc automobile du Ministère de la santé, et, comme nous
le verrons aux chapitres suivant à l‟insuffisante disponibilité et « adaptabilité » de
l‟offre de soins.
52
Références bibliographiques
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au titre de l‟année 2009 et Plan d‟action 2010. Salé, Ministère de la santé - Délégation
préfectorale de Salé.
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l'Intérieur - Province d'Azilal
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Régionalisation, à la Déconcentration et au Renforcement des Soins de Santé de Base.
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démographiques et socio-économiques - Région Tadla Azilal, Rabat - Haut commissariat au
plan.
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Rabat-Salé-Zemmour-Zaer d'après le recensement général de la population et de l'habitat
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Salé (2009) Annuaire statistique. Bilan des Activités de la Délégation du Ministère de La
Santé à la Préfecture de Salé. Salé, Ministère de la Santé - Préfecture médicale de Salé.
53
DEUXIÈME PARTIE
L’ACCÈS AUX SOINS ET AUX PRESTATIONS
54
Chapitre -3Acteurs institutionnels dans les systèmes
de santé locaux
Marc-Éric Gruénais & Élise Guillermet
Les déterminants de l‟accès aux soins sont bien documentés dans la
littérature, on connaît moins la manière dont les obstacles sont ressentis par les
populations et les principaux acteurs locaux. Investiguer les barrières selon
l‟environnement (urbain, périurbain, rural plaine, rural montagne), écouter les
solutions préconisées par les usagers, les représentants des collectivités locales et
du Ministère de la santé, ainsi que leurs réactions à différentes pistes de solutions,
permettent d‟identifier les perceptions mais aussi les pratiques liées à l‟utilisation
effective des recours au niveau périphérique. Les études de cas identifient les
facteurs explicites et implicites liés à la diversité et à la différenciation des situations
socio-spatiales, socio-économiques et culturelles qui affectent l‟accès à des soins
appropriés et de qualité. Les discussions avec les représentants des collectivités
locales et les gestionnaires des systèmes de santé locaux amènent aussi à apprécier
le niveau de gouvernance de l‟offre des services.
Nous avons mis l‟accent sur les perceptions des acteurs, sachant que les
perceptions influent grandement sur les décisions et attitudes des différents
protagonistes, notamment celles des autorités locales vis-à-vis des directives
nationales, et des prestataires quant aux positions à adopter l‟égard des usagers des
structures de soins. Entre décembre 2010 et mars 2011 nous nous sommes rendus
plusieurs fois dans les trois sites de l‟étude et nous avons rencontré différents types
d‟acteurs susceptibles d‟intervenir dans le domaine de la santé : gestionnaires locaux
du Ministère de la santé et personnels de santé des formations sanitaires publiques,
élus, représentants d‟association, responsables et animateurs de l‟INDH,
représentants du Ministère de l‟Intérieur (pachas, caïds, personnels des
gouvernorats), médecins et pharmaciens privés. Dans chaque site, nous ne pouvions
prétendre à l‟exhaustivité, mais nous avons cherché à rendre compte de la diversité
des situations faisant varier les points de vue selon les types d‟acteurs. Lors
d‟entretiens de groupe et d‟entretiens individuels nous avons questionné nos
interlocuteurs en particulier sur les points suivants :
les principaux problèmes de santé ressentis ;
les facilités et les difficultés d‟accès aux centres de santé et aux hôpitaux de
référence les plus proches ;
la mesure dans laquelle l‟offre offerte répond aux attentes ;
les attitudes des personnels de santé (disponibilité, accueil, efficacité, etc.) ;
les rôles joués par chaque niveau de la hiérarchie pour contribuer à améliorer la
santé de sa population de référence.
les activités d‟associations locales dans le domaine de la santé.
55
Afin d‟obtenir des informations en rapport avec des problèmes de santé
prioritaires identifiés par le Ministère de la santé, une attention particulière a été
accordée aux questions de la prise en charge de la grossesse et des maladies
infantiles, d‟une part, et sur celle de maladies chroniques d‟autre part (en particulier
du diabète). Mais afin de ne pas limiter nos interlocuteurs dans leur propos, nous les
avons laissés libres d‟évoquer tous les sujets en rapport avec les questions
d‟accessibilité afin de laisser émerger des réalités locales auxquelles nous ne
pouvions pas penser a priori. Cette partie est consacrée exclusivement aux discours
des acteurs institutionnels. Dans les chapitres suivants, il sera question des
perceptions et attitudes des usagers (patients) des structures de soins, puis de celles
des médecins généralistes en tant que principale figure du prestataire de soins au
niveau local, avant d‟en venir aux résultats de l‟enquête par questionnaire auprès de
la population des sites de l‟étude.
Dans les chapitres qui suivent, les résultats sont présentés par thème et non
par site. En effet, les régularités qui apparaissent dans la perception des situations
auraient inévitablement conduit à des redondances fastidieuses si nous avions
privilégié l‟entrée géographique. Néanmoins, pour chaque thème abordé, nous
insistons bien évidemment sur les particularités locales, faisant varier la focale, pour
mettre en évidence plusieurs facettes d‟un même problème en fonction des
contextes.
Les principaux problèmes de santé perçus par les acteurs de santé
et les autorités locales
Sur les trois sites, parmi les principaux problèmes de santé évoqués, on
trouve de la part de tous les acteurs, mais surtout dans les discours des personnels
de santé, l‟évocation de symptômes dont la cause est à rechercher dans
l‟environnement. Des infections respiratoires aiguës sont très souvent mentionnées :
bronchite et pneumopathie, surtout chez les enfants, mais également asthme,
notamment pour le milieu urbain mais pas seulement. Ici les conditions d‟habitat
(densité, humidité, manque d‟aération et de chauffage entre autres dans les habitats
urbains) sont mises en cause.
Un autre type de problème fréquemment mentionné a trait aux maladies et
symptômes intestinaux, qui vont de la diarrhée à la colopathie fonctionnelle en
passant par la gastro-entérite. Là aussi, ce sont des mauvaises conditions d‟habitat
et d‟hygiène qui sont mises en cause. Parfois, c‟est une mauvaise qualité de l‟eau
qui est mise en avant ; pour d‟autres interlocuteurs, des intoxications liées à la
consommation d‟aliments de mauvaise qualité, ou encore une alimentation
déséquilibrée (une surconsommation de viande et de produits laitiers dans les zones
d‟élevage, par exemple) sont avancées comme facteurs explicatifs.
La mauvaise hygiène et la promiscuité serait également responsable de
dermatoses et de maladies très contagieuses comme la gale ; l‟importance des
infections génito-urinaires relevées ont été liées aux IST, mais aussi au manque
d‟hygiène. Des cas de tétanos néonatal ont également été signalés. Il faut noter,
toujours à propos de pathologies liées à l‟environnement, la persistance de foyers de
leishmanioses dans les sites d‟Azilal et de Figuig, soit une des dernières maladies
parasitaires persistantes au Maroc, dont le principal réservoir est un rongeur. Des
campagnes de dératisation sont régulièrement menées pour supprimer les foyers de
leishmaniose bien identifiés mais avec semble-t-il des réinfestations régulières. La
56
cohabitation des rongeurs et des humains, et partant une mauvaise salubrité du
milieu, constitue donc un facteur qui favorise le maintien de cette maladie parasitaire.
Un autre grand domaine de problèmes de santé évoqué ressortit aux maladies
chroniques : hypertension artérielle et diabète principalement. Le fardeau croissant
de ces pathologies a été explicitement lié par le personnel de santé, au vieillissement
de la population, notamment en milieu rural. Dans les deux zones rurales où nous
avons enquêté, l‟accès à une offre de soins adaptée est d‟autant plus difficile que
ces pathologies concernent des personnes relativement âgées, habitant dans les
montagnes et/ou très loin d‟axes routiers. De plus, pour les patients
insulinodépendants, certains médecins émettaient des doutes quant à l‟efficacité des
traitements donnés : l‟insuline requiert des conditions de conservation particulière, or,
nous confiait un médecin, à quoi sert de donner de l‟insuline, lorsque le patient
insulinodépendant place le flacon d‟insuline dans son turban et repart à pied, chez
lui, en pleine chaleur et en plein soleil, sachant qu‟il n‟a pas de réfrigérateur chez lui
pour sa conservation. Un facteur aggravant du mauvais accès des personnes âgés à
des traitements appropriés seraient les mauvais traitements qu‟elles subissent de la
part de leur entourage, voire l‟abandon dont elles seraient parfois victimes.
Une préoccupation importante des personnels de santé rencontrés, mais
aussi de représentants du Ministère de l‟Intérieur, surtout dans les sites d‟Azilal et de
Figuig, avait trait aux « malades mentaux ». Certes, les structures de santé disposent
de dotation en psychotropes ; mais une prise en charge spécialisée reste nécessaire
et ces soignants évoquaient les difficultés importantes auxquels ils devaient faire
face pour assurer une prise en charge adéquate en l‟absence de toute possibilité de
suivi psychiatrique de proximité.
Ce rapide inventaire des principaux problèmes de santé ressentis par les
acteurs chargés de la délivrance des soins permettent de mettre en évidence la
nécessité de deux types de besoins totalement différents. D‟un côté, on trouve ce
que l‟on pourrait appeler des « maladies de la pauvreté » liées au manque d‟hygiène
et à un environnement immédiat peu salubre ; les soins de première ligne délivrés
par les établissements de base, et notamment les activités préventives et
d‟éducation pour la santé qui relèvent des compétences spécifiques des ESSB sont
adaptés à la prise en charge de ces problèmes. D‟un autre côté, il y a les maladies
chroniques qui réclament un suivi au long cours, que peuvent assurer les ESSB,
mais qui requièrent aussi des consultations spécialisées, des analyses et des
examens de contrôle qui sont peu disponibles dans l‟immédiate proximité des
malades des sites de l‟étude, en particulier d‟Azilal et encore plus de Figuig, et qui
amènent à devoir s‟adresser à des spécialistes, au minimum dans les établissements
de première référence (hôpitaux provinciaux ou préfectoraux), et parfois au niveau
régional voire au niveau national, évidemment beaucoup plus difficiles d‟accès. Rien
d‟étonnant alors à entendre prestataires de soins et autorités locales incriminer la
pauvreté et la déscolarisation, en milieu urbain comme en milieu rural, mais aussi la
dispersion des populations en milieu rural qui aggrave les problèmes d‟accessibilité
géographique. On verra aussi ci-dessous combien en milieu urbain, la proximité des
structures de soins n‟est pas toujours synonyme de facilité d‟accès.
Nous avons également entendu chez plusieurs de nos interlocuteurs, par
exemple, que certains enfants ne voyaient jamais un médecin durant toute la durée
de leur scolarisation, ou encore que les femmes enceintes, y compris en milieu
urbain, ne faisaient pas suivre leur grossesse. La pauvreté, les difficultés d‟accès ou
57
encore une offre de soins insuffisante en quantité (densité insuffisante des structures
de soins) et en qualité (suivi non réalisé) sont explicatifs du peu de contacts de la
population avec les prestataires. Ici, l‟insuffisance des ressources humaines,
reconnue par tous les acteurs, à tous les niveaux de la pyramide sanitaire et
administrative, est unanimement avancée comme une des raisons majeures d‟une
situation insatisfaisante. Il faut compter aussi avec l‟importance parfois relative
accordée par la population aux problèmes de santé. Nous avons rappelé dans le
chapitre 1 que la santé venait loin derrière l‟emploi et les conditions d‟habitat dans
les priorités des Marocains. Certains représentants du Ministère de l‟Intérieur
confirmaient ce constat en précisant qu‟ils recevaient peu de doléances de leurs
administrés concernant spécifiquement la santé ; d‟autres ne semblaient pas
partager cette opinion à en juger par les manifestations de rue auxquelles ils étaient
confrontés avec parfois des revendications explicites se rapportant à la non
disponibilité de prestations sanitaires.
Un pédiatre, évoquant le « faible niveau » culturel des habitants de sa région,
soulignait que les familles en général, et les pères en particulier, accordaient peu
d‟importance aux prématurés, considérés comme « condamnés d‟avance », et qu‟il
était alors très difficile de les convaincre de la nécessité d‟une prise en charge
médicale de ces enfants. Acteurs de santé et de la gouvernance locale, en particulier
pour le milieu rural pastoral, expliquaient que des éleveurs, parfois nantis,
dépensaient beaucoup plus facilement pour la santé de leurs troupeaux (pour
l‟alimentation et pour les soins) que pour la santé des membres de leur famille. Nous
ne sommes évidemment pas en mesure de confirmer ou d‟infirmer de tels propos.
N‟oublions pas cependant que la bonne santé du troupeau est un gage de revenu, et
donc une garantie pouvoir assurer une bonne santé à tous les siens. Le faible
recours aux soins que suggère cette remarque peut aussi être lié à une certaine
défiance vis-à-vis de certaines prestations de soins jugées insatisfaisantes. Un
pédiatre d‟un hôpital provincial, faisant le constat d‟une fréquentation importante du
service des urgences de son hôpital, et de la tendance au recours aux spécialistes
sans respecter les heures de rendez-vous, pointait comme explication à ces
comportements le manque de confiance dans l‟offre de soins de première ligne, et en
particulier envers les médecins généralistes des centres de santé publics. Peut-être
convient-il ici alors de dissocier l‟importance accordée à la santé et l‟importance
accordée à accéder à des soins.
Cette digression sur les perceptions des principaux problèmes de santé par
les acteurs rencontrés permet de revenir, à partir de nos données, sur l‟aspect
multidimensionnel de la problématique de l‟accès aux soins : des situations de
pauvreté, et de faible scolarisation, dessinent un contexte favorable à des
pathologies liées à l‟insalubrité du milieu de vie et défavorable au recours aux soins ;
de réelles difficultés d‟accessibilité géographique aux prestataires de soins ; une
offre de soins insuffisantes en quantité et en qualité, notamment pour des
pathologies chroniques dont le poids croissant requiert aussi des prestations
spécialisées ; une priorité relative accordée à la prise en charge médicale des
problèmes de santé qui retarde l‟accès aux soins, parce qu‟il y a d‟autres priorités,
mais aussi en raison de mauvaises expériences passées, comme le montrera le
chapitre 4.
58
Les recours de proximité
Nous entendons par « recours de proximité » les recours de première ligne,
soit les centres de santé et les dispensaires publics, ou encore les médecins
généralistes privés et les pharmaciens. Nous rapporterons ici les difficultés
identifiées surtout par les personnels de santé des centres de santé publics pour
satisfaire les demandes, mais aussi les complémentarités reconnues entre les
différents prestataires.
Le manque de ressources humaines dans les établissements publics
L‟insuffisance du personnel médical et paramédical a été soulignée dans tous
les sites et par tous les types d‟acteurs. Selon certains de nos interlocuteurs la
pénurie, notamment de médecins dans le secteur public, s‟expliquerait désormais
par le manque d‟attrait en général pour la profession médicale lié aussi au risque
d‟affectation dans des zones éloignées des principaux centres urbains, les provinces
d‟Azilal et de Figuig étant ici particulièrement pénalisées. Nous reviendrons
longuement sur la dévalorisation de la profession de médecin généraliste au chapitre
5.
Le déficit en médecins, en milieu rural, est attesté dans tous les centres de
santé que nous avons visités. Tous nos interlocuteurs ont reconnu qu‟il y a moins de
médecins aujourd‟hui en poste dans les centres de santé qu‟auparavant. Cette
pénurie peut être liée à des réajustements techniques. La création de nouvelles
circonscriptions sanitaires dans une même zone, ou encore la baisse du nombre
d‟habitants dans la zone peut conduire à un redéploiement et partant à une
diminution du nombre de médecins dans certains centres de santé. Elle peut
également être liée au changement de statut de certaines structures de santé
périphériques, ainsi de la perte du statut « d‟hôpital local » de certains
établissements et qui permettait antérieurement de bénéficier des prestations d‟un ou
plusieurs spécialistes (gynécologue, pédiatre, notamment). Les autorités et les
personnels de santé locaux voient surtout dans ces reconfigurations des cartes
sanitaires locales une baisse en chiffre absolu du nombre de médecins dans les
centres de santé concernés par le changement de statut. Les centres de santé
peuvent aussi être confrontés au non remplacement immédiat de jeunes médecins
nouvellement affectés qui se sont rapidement engagés à suivre une spécialité en
accédant au résidanat, parfois pour échapper à l‟affectation dans des zones
considérées comme trop reculées. Là aussi, il y a alors une pénurie ressentie du
nombre de médecins, mais qui est susceptible de corrections ultérieures.
Les affectations sont gérées à partir du niveau central et les représentants
locaux du Ministère de la santé (les délégués provinciaux de la santé) n‟ont pas de
pouvoir dans ce domaine. Tout au plus, ceux-ci ont la possibilité de redéployer au
sein du territoire de leur délégation les personnels qui y sont présents pour pallier, en
fonction de l‟effectif disponible, les déséquilibres occasionnés par les départs ou les
absences, justifiés ou non. Ainsi, par exemple, un effectif insuffisant de sages
femmes pour assurer les gardes au service de gynécologie-obstétrique d‟un hôpital
provincial peut amener un délégué de la santé à affecter temporairement à cet
hôpital une sage femme d‟une maternité de sa délégation ayant une très faible
activité. Un tel redéploiement peut être mal perçu par les habitants de la localité du
centre de santé : les populations desservies par ce centre ont alors le sentiment que
le Ministère de la santé, donc l‟État, retire du personnel de « leur » centre.
59
Pour Salé, les responsables rencontrés nous confiaient que les représentants
locaux du Ministère de la santé devaient désormais assurer le fonctionnement de
quatre nouveaux centres de santé construits depuis peu, mais avec une réduction
budgétaire et, au sein de la délégation de la santé, avec le remplacement prévu au
moment de l‟enquête de seulement d‟un tiers des infirmiers partant à la retraite en
2011 (6 sur 19). Les médecins des centres de santé sont également très préoccupés
par le manque d‟infirmiers, avec les risques de désorganisation des prestations dès
que l‟un d‟entre eux doit s‟absenter. L‟insuffisance de personnel s‟exprime aussi en
terme relatif, étant donné l‟accroissement de la population, et donc du nombre
d‟habitants par personnel soignant, surtout en milieu urbain. Pour beaucoup, la
population de référence que les centres de santé doit desservir est sous-estimée
dans les chiffres officiels ; nos interlocuteurs prenaient pour preuve des couvertures
vaccinales très supérieures à 100% (donc du fait d‟un dénominateur insuffisant
rapporté au nombre de vaccinations effectivement réalisées). Dès lors, les standards
(ratio personnels/habitants) peuvent sembler respectés si l‟on s‟en tient aux chiffres
officiels, mais non si l‟on considère la population effective desservie. Il nous a
également été fait remarquer que la charge de travail par personnel de santé, à
effectif constant, aurait tendance à augmenter régulièrement, d‟autant plus que le
nombre de programmes du Ministère de la santé à mettre en œuvre a également
tendance à s‟accroître (par exemple, certains évoquaient la charge de travail
supplémentaire représentée par la nécessite de procéder désormais au dépistage du
cancer du sein). Tout ceci concourt à accentuer l‟indisponibilité de certains
personnels et le constat de manque de personnel.
Les conditions de travail dans le secteur public
Les personnels de centres de santé publics s‟avèrent relativement satisfaits
des dotations en médicaments, surtout pour la prise en charge des maladies
chroniques comme le diabète ou l‟hypertension artérielle. On relève çà et là des
doléances à propos des ruptures de stocks de certains consommables, à propos de
dotations standards en médicaments pas toujours adaptées au contexte (par
exemple, un surplus de médicaments à usage pédiatrique ou pour le planning
familial alors que la population est vieillissante), ou encore de l‟absence
d‟antibiotiques efficaces dans les dotations. Les personnels de santé ne manifestent
pas de revendications aiguës en ce qui concerne les équipements et reconnaissent
souvent disposer du minimum nécessaire pour travailler. Parfois, çà et là, on
constate même la présence de matériel non utilisé, faute de technicien (par exemple
pour la radiologie voire même pour le laboratoire), ou faute de formation (dans de
nombreux cas nous avons pu constater la présence d‟échographeq dans des
maternités mais n‟ayant jamais servi faute de personnel formé à leur utilisation). En
milieu rural, y compris pour des dispensaires non médicalisés, on constate les efforts
fournis en matière de construction, d‟équipement et de dotations en médicaments.
60
Photo 2 : un centre de santé récent dans la province d‟Azilal
Le cadre de travail en milieu urbain est tout autre, et est souvent beaucoup
plus dégradé qu‟en milieu rural, toujours d‟après nos observations sur un nombre
limité de centres de santé dans chaque site. Dans les zones les plus centrales de
Salé, on trouve des bâtiments très vétustes, des ordures s‟entassant parfois dans
l‟immédiate proximité, sans eau ni électricité dans une partie du bâtiment, et/ou avec
une disposition des pièces inadaptées, parfois sans véritable salle d‟attente et avec
un nombre très restreint de chaises et de bancs pour les patients. L‟humidité rend
certaines pièces inutilisables. Agents de nettoyage et agents de sécurité font défaut
le plus souvent.
Photo 3 : une salle d‟attente d‟un centre de santé de Salé
61
D‟une manière générale, qu‟il s‟agisse du milieu urbain ou du milieu rural, la
question du confort minimal pour le patient est loin d‟être toujours prise en compte, et
on est frappé, par exemple, par le froid qui peut régner en hiver dans les centres de
santé, et entre autres dans les maternités, ou encore par l‟absence de siège en
nombre suffisant dans les salles d‟attente. Nombre de personnels de santé
rencontrés avancent qu‟il ne saurait être question de procéder à quel que
aménagement que ce soit dans le centre de santé pour accroître le confort des
patients et/ou du personnel sans un accord de la hiérarchie. Néanmoins, certains
médecins chefs prennent eux-mêmes la décision, parfois avec l‟aide d‟associations
ou de bienfaiteurs, d‟améliorer l‟aménagement de leur centre (étagère pour les
médicaments, chaises et bancs pour les patients, fermeture de certains espaces
pour limiter les courants d‟air, achat de radiateurs, etc.).
En milieu urbain, surtout, mais aussi en milieu rural, les personnels de santé
sont très préoccupés par la sécurité. Dans un centre de Salé, on nous a précisé :
« Ici, on reçoit des malades qui viennent avec des couteaux, on a eu plusieurs fois
des armes à feu ici. Il y a eu une marche des commerçants pour réclamer davantage
de sécurité ». Dans un autre centre, toujours à Salé, nous avons pu nous-mêmes
constater que la porte de l‟entrée d‟un centre avait volé en éclats ; il nous a alors été
expliqué qu‟une patiente avait eu une altercation avec un agent de sécurité qui
n‟avait pas voulu la laisser pénétrer dans le centre parce qu‟elle ne relevait pas de la
zone géographique desservie par le centre. En réaction, la femme était revenue avec
certains de ces parents et avait forcé l‟entrée au point de briser la porte vitrée. La
demande d‟un agent de sécurité est récurrente de la part des personnels de santé,
surtout en milieu urbain, et tout particulièrement lorsque l‟équipe soignante est à
majorité ou en totalité féminine. Les craintes des personnels de santé s‟expriment
surtout lorsque les centres ne sont pas clôturés, ce que nous avons pu constater tant
en milieu urbain qu‟en milieu rural. La clôture peut s‟avérer nécessaire, pour des
raisons de sécurité mais aussi de délimitation précise de l‟espace du centre de
santé. Il peut aussi avoir un effet dissuasif pour les usagers si la clôture équivaut à la
fermeture du centre. Un des centres de santé avec module d‟accouchement visité en
milieu rural était fermé le soir après les heures de services : les femmes qui viennent
accoucher dans ce centre, nous a-t-on rapporté, se pressent de sortir après
l‟accouchement de crainte de rester enfermées toute la nuit sans possibilité de visite.
Au bout du compte, ce qui semble poser le plus de problèmes relève de
l‟entretien, de l‟organisation de l‟espace, de l‟hygiène, de la sécurité des locaux, mais
aussi parfois de l‟équipement en eau et en électricité, ce qui contribue à faire des
centres de santé des lieux souvent peu accueillants, alors même qu‟ils disposent des
dotations et d‟équipements médicaux suffisants.
Les alternatives privées à l’offre publique de soins : une complémentarité par
défaut
A Azilal et à Figuig, dans les chefs lieu (Azilal, Bouârfa) et dans les autres
petites localités des sites de l‟étude (par exemple Demnate, Talsint, Figuig),
quelques médecins généralistes privés sont installés (deux à Bouârfa, quatre à
Azilal, un à Talsint, etc.), et souvent de longue date : l‟installation d‟un cabinet privé
dans ces localités procèdent d‟un choix délibéré des médecins ; étant donné
l‟investissement financier représenté par une telle installation, ces médecins
généralistes privés sont beaucoup plus stables que les médecins du secteur public.
Ils connaissent bien leur clientèle, la vie de leurs patients, surtout lorsqu‟ils sont
62
originaires de la région où ils exercent. Certains médecins généralistes privés
rappellent volontiers combien ils savent se rendre disponibles à tout moment, et se
laissent contacter à leur domicile13 ; l‟l‟importance de leur clientèle, et partant de
leurs revenus, en dépend. Le nombre de médecins généralistes privés est en
revanche particulièrement conséquent à Salé, et comme on le verra au chapitre
suivant, les médecins du secteur libéral s‟installent préférentiellement dans les
grands centres urbains. On verra également par la suite combien, y compris à Salé,
les médecins généralistes privés sont parfois préférés à ceux du secteur public.
Les pharmaciens d‟officine constituent aussi bien souvent des recours de
première intention pour les patients :
« Je dirais que 70 à 80% des gens viennent directement sans ordonnance. On reçoit
peut-être 10 ordonnances par jour… Depuis 16 ans, j‟ai ouvert ma pharmacie. Je
suis le médecin de [la ville de X] ! Une fois les gens ont fait une manifestation devant
l‟hôpital et ils ont dit que le pharmacien est leur médecin. Les gens m‟appellent à la
maison la nuit. Tout le monde a mon numéro de téléphone » (un pharmacien de la
province de Figuig).
Le nombre de pharmacies privées semblent être en nombre encore plus élevé
que celui des cabinets de médecins généralistes privés, et on trouve des dépôts
pharmaceutiques dans les gros villages, parfois là où il n‟y a pas de médecins. Les
pharmaciens d‟officine viennent compléter l‟offre publique en médicament, lorsque
certains produits sont absents des centres de santé, ou encore lorsque le traitement
requis nécessite des produits qui ne figurent pas dans la liste des médicaments
disponibles dans les centres de santé publics ; ils sont dès lors amenés à fournir des
médicaments prescrits par des médecins publics. Il nous a été rapporté, par les
pharmaciens eux-mêmes, que les structures publiques, y compris les hôpitaux, ne
procédaient pas aux prélèvements pour des examens qui ne pouvaient pas être
réalisés au sein de la structure. Les pharmaciens d‟officine sont alors parfois
sollicités pour réaliser des prélèvements pour certains examens, à la demande des
patients, prélèvements qu‟ils font acheminer alors par leur propre moyen vers des
laboratoires privés de Oujda, de Beni Mellal, de Salé ou de Rabat. Des
complémentarités s‟instaurent parfois entre pharmaciens et médecins généralistes
privés, tel ce couple, avec l‟époux pharmacien qui tient boutique au rez-de-chaussée,
et l‟épouse, médecin, au premier étage du même bâtiment ; ou encore ce
pharmacien d‟une petite localité qui a mis gracieusement à disposition une pièce
attenante et qui communique avec son officine pour un médecin privé qui vient une
fois par semaine le jour du marché qui se tient le samedi, lorsque le centre public est
fermé.
On trouve régulièrement dans les cabinets privés des échographes et des
appareils pour réaliser des électrocardiogrammes qui sont utilisés par des médecins
qui n‟ont pas toujours reçus de formations formelles en la matière. En matière
d‟échographie notamment, la complémentarité de fait entre secteur privé et secteur
13
Il faudrait cependant se méfier des généralisations hâtives sur la disponibilité permanente des médecins
généralistes privés qui serait en revanche inexistante chez les médecins généralistes du secteur public. Les
médecins du secteur privés ne sont pas toujours disponibles, d’autant qu’ils exercent seuls dans leur cabinet,
mais ils savent être présents lorsque les centres de santé publics ne reçoivent plus les patients (fin d’après-midi
et week-end). Nous avons par ailleurs rencontré de jeunes soignants (médecins et surtout infirmiers) du
secteur public, venant d’être affectés dans une zone reculée, qui savaient se rendre disponibles en permanence.
De plus, dans les petites localités, tout le monde sait où habite le médecin ou l’infirmier du centre de santé, qui
sont dès lors susceptibles d’être contactés en dehors des heures de service.
63
public semble totale : les femmes enceintes suivis dans des structures publiques qui
disposent d‟échographes mais inutilisés faute de formation des personnels sont
renvoyées vers les cabinets privés pour la réalisation d‟une échographie payante (le
prix moyen de la consultation avec échographie dans un cabinet privé se situe aux
environs de 150 MAD, y compris dans les localités secondaires). Cette situation
semble plus fréquente dans les sites d‟Azilal et de Figuig que sur le site de Salé. La
complémentarité peut jouer également pour d‟autres prestations comme la
surveillance de la glycémie pour les diabétiques quand le centre de santé publique
ne dispose pas de l‟appareil ou des réactifs nécessaires (bandelettes) pour réaliser
ce type d‟examen, plus rarement pour la radiologie, certains cabinets privés étant
parfois équipés d‟un appareil radiologique.
Mais existe-t-il véritablement une complémentarité entre médecins publics et
médecins privés ? Les premiers reprochent au second de proposer par exemple de
réaliser des radiographies ou des échographies à leurs clients qui ne sont pas
toujours justifiées. Un médecin chef de centre à Salé nous disait que les médecins
privés ne constituaient pas vraiment une aide, le flux des patients reçus dans son
centre ne diminuant pas. De plus, les médecins privés auraient tendance à renvoyer
leurs patients vers les centres publics pour qu‟ils s‟y procurent des médicaments
(puisque les médicaments délivrés par les centres de santé publics sont gratuits) tout
en continuant de les suivre. Les médecins généralistes privés sont également
critiqués par leurs homologues du secteur public du fait de leur méconnaissance des
programmes du Ministère de la santé et parce qu‟ils ne s‟impliquent guère dans les
activités préventives :
« J‟ai essayé d‟établir un dialogue avec les médecins généralistes privés, par
exemple, pour qu‟ils incitent les enfants à compléter leurs vaccinations. Je les fais
inviter à des réunions du secteur public… Il faudrait qu‟ils déclarent les rougeoles,
qu‟ils veillent aux maladies épidémiques. Ils considèrent que le secteur public est
concurrent, à cause des médicaments donnés gratuitement [par les centres publics].
On pourrait les initier pour faire une formation sur les diabétiques » (un médecin
public de la Province d‟Azilal).
La complémentarité public/privé se fait par défaut, si l‟on peut dire, lorsque
l‟offre attendue n‟est pas proposée par le secteur public. Certains patients ne s‟y
trompent pas et se rendent directement chez le généraliste privé sachant que pour
certaines prestations (comme l‟échographie) ils seront de toute façon renvoyés vers
eux. La complémentarité joue aussi lorsque les centres de santé publics sont fermés.
L’accès aux spécialistes et aux hôpitaux
La densification du réseau des établissements de soins de santé de base,
ainsi que l‟amélioration de leurs équipements et de leurs dotations en médicaments,
parfois avec l‟aide d‟institutions nationales et internationales14, ont incontestablement
amélioré l‟offre de soins de première ligne. Une telle amélioration au niveau le plus
périphérique entraîne logiquement une augmentation de la demande : comme nos
interlocuteurs l‟ont fait remarquer, dès qu‟un médecin, un technicien, un nouvel
équipement, ou encore une nouvelle dotation de médicaments arrivent dans un
14
Nous pensons, par exemple, pour les institutions nationales, à l’Initiative de Développement Humain pour la
construction et la réhabilitation de centres de santé, et pour les institutions internationales, à la contribution
importante de UNFPA pour l’équipement des maternités, ou encore aux constructions et à l’équipement de
centres de santé dans le cadre du programme REDRESS soutenu par l’Agence française de développement.
64
centre de santé, la fréquentation augmente. La demande pour des soins spécialisés
pourrait s‟accroître proportionnellement auprès des structures de référence de
premier niveau (hôpitaux provinciaux et préfectoraux) ; la pression sur ces hôpitaux
sera d‟autant plus grande que, par exemple, dans le cadre des initiatives en faveur
de la réduction de la mortalité maternelle, la référence et la prise en charge des
accouchements à risque dans les hôpitaux est désormais gratuite, ou encore grâce
aux mesures en faveur d‟une meilleure accessibilité financière pour des soins
hospitaliers (cf. la mise en place du Régime d‟assurance maladie pour les
économiquement démunis - Ramed). Nous reviendrons spécifiquement ci-dessous
sur la question des accouchements, particulièrement illustrative de l‟ensemble des
problèmes d‟accès aux soins, et sur le Ramed. Nous voulions surtout souligner pour
l‟instant combien l‟amélioration de l‟offre de soins de première ligne requiert aussi
une réactivité plus grande de l‟offre de soins spécialisés.
Dans ce contexte, la réforme de la carte sanitaire, et la suppression des
hôpitaux locaux dans les provinces, c‟est-à-dire la transformation de ces hôpitaux
locaux en centres de santé évoquée ci-dessus a été très mal perçue, notamment par
les autorités locales. Pour les élus et les autorités locales, la disparition d‟un hôpital
local dans leur localité est synonyme d‟un « déclassement » de leur commune. Les
arguments techniques de la santé publique justifiant cette évolution par la
rationalisation de la carte sanitaire sont très peu audibles par les autorités locales qui
opposent alors aux standards de la santé publique l‟impérieuse nécessité de tenir
compte des spécificités locales, et en particulier de la distance qu‟il faut désormais
franchir pour accéder à des spécialistes. Des établissements qui sont passés du
statut d‟hôpital local à celui de centre de santé, avec pour conséquence la disparition
de spécialités (entre autres de la gynécologie), font état d‟une baisse de
fréquentation liée à ce changement de statut. La disparition de ces spécialités dans
ces établissements conduit nécessairement à référer davantage les patients vers les
hôpitaux provinciaux, parfois situés à une centaine de kilomètres de l‟ex-hôpital local
devenu centre de santé, situation à laquelle les populations n‟étaient guère
habituées. Le retour de spécialistes dans les ex-hôpitaux locaux est une
revendication permanente des autorités locales.
A Salé, des spécialistes consultent dans des centres de santé publics, ,mais
l‟offre semble ne pas parvenir à répondre à la demande. Les spécialistes en question
(pédiatres, gynécologues, kinésithérapeutes, endocrinologues) se partagent souvent
entre plusieurs centres de santé, et ont aussi un service à assurer à l‟hôpital
préfectoral. Les délais de rendez-vous avec ces spécialistes sont très longs. Par
ailleurs, certains quartiers de Salé, notamment les plus « populaires » et les plus
densément peuplés, ne sont pas très faciles d‟accès (étroitesses des voies et
mauvais état de la voierie dans des quartiers « irréguliers ») ; le manque
d‟ambulances accroît les difficultés d‟accès pour des malades qui ont des difficultés
à se déplacer et qui sont alors conduits vers les spécialistes dans de très mauvaises
conditions15.
En dépit des difficultés réelles d‟accès aux structures à des soins spécialisés
pour les habitants de Salé, l‟offre de soins située à proximité (à laquelle il faut ajouter
les structures de Rabat) est importante et la situation est sans commune mesure
avec les situations rencontrées dans les provinces de Figuig et d‟Azilal. Si l‟on
15
Parfois, nous a-t-on fait remarquer, le seul véhicule disponible relevant du service public est un corbillard qui
peut servir alors d’ambulance.
65
n‟habite pas dans les localités de Bouârfa ou à d‟Azilal, où sont situés les hôpitaux
provinciaux de première référence pour les centres de santé de ces deux provinces
et où l‟on peut trouver quelques spécialistes, l‟offre de soins spécialisés devient très
difficile d‟accès. L‟éloignement se fait notamment ressentir dès qu‟il y a un besoin
d‟examen biologique car les seuls laboratoires dans ces deux provinces sont situés
dans les hôpitaux provinciaux ; les laboratoires de ces hôpitaux permettent de
réaliser un nombre conséquent d‟examens, mais pas tous ; pour certains examens
les patients sont parfois contraints de se rendre jusqu‟à Oujda (pour la province de
Figuig), ou à Marrakech ou Beni Mellal (pour la province d‟Azilal).
Les médecins généralistes des centres de santé périphériques de ces deux
provinces sont parfois embarrassés pour référer les patients qui ont besoin d‟une
consultation spécialisée à l‟hôpital de leur province : « Il y a un planning [des
consultations spécialisées] à respecter à l’hôpital de Bouârfa. Si j’ai besoin, par
exemple, de référer un patient un dimanche, à Bouârfa, il n’y a rien, et je suis alors
obligé d’envoyer le malade à Oujda, et le trajet coûte 150 dh », nous confiait un
médecin d‟un centre de santé de la province de Figuig. La question ici n‟est donc pas
toujours une question d‟adéquation de l‟offre de l‟hôpital de première référence mais,
encore une fois, de disponibilité du spécialiste eu égard au manque de personnel.
Le problème de la référence vers les hôpitaux provinciaux peut se compliquer
singulièrement lorsque tous les postes de spécialités ne sont pas pourvus en
permanence. Les spécialistes ne se pressent pas toujours pour rejoindre leur poste
dans ces hôpitaux éloignés des grands centres urbains. Tant à Bouârfa qu‟à Azilal,
jusqu‟à la fin de l‟année 2010, certaines spécialités (notamment la gynécologie et la
chirurgie) étaient notamment assurées par des coopérants chinois. Lors de notre
première visite dans les sites à la fin de l‟année 2010, une certaine crainte était
manifeste chez tous les personnels de santé, de l‟hôpital comme des centres de
santé, avec la fin prévue de la coopération sanitaire chinoise pour ces hôpitaux, et
par conséquent avec le départ programmé de la plupart des spécialistes. Lors d‟une
visite ultérieure dans ces hôpitaux en mars 2011, le remplacement de l‟équipe
chinoise avait été assuré à Bouârfa par une équipe de trois spécialistes marocains
(deux chirurgiens et un gynécologue) venant de Marrakech ; le directeur de l‟hôpital
de Bouârfa se félicitait alors d‟une augmentation de la fréquentation de l‟hôpital par
rapport à la situation préalable lorsque les spécialistes chinois étaient présents, et
cela grâce au dynamisme de la nouvelle équipe. Cette nouvelle équipe manifestait
des exigences en termes d‟élévation du plateau technique de l‟hôpital comme
condition du maintien de leur présence pendant quelques temps à Bouârfa. En
revanche, les spécialistes chinois n‟avaient toujours pas été remplacés à l‟hôpital
d‟Azilal et la province d‟Azilal avait par exemple un service de gynécologieobstétrique où les gardes n‟étaient alors plus assurées.
L‟alternative, en cas de manque de spécialistes à Bouârfa et Azilal, est la
référence à Oujda, d‟une part, à Beni Mellal ou à Marrakech, d‟autre part. Ces
localités sont très difficiles d‟accès respectivement pour les habitants résidant à l‟est
de la province de Figuig, ou dans les montagnes du Moyen Atlas de la province
d‟Azilal. Néanmoins, selon la localisation, la référence attendue des centres de santé
des provinces de Figuig et d‟Azilal vers les hôpitaux provinciaux de Bouârfa ou
d‟Azilal, conformément à la carte sanitaire, s‟avère parfois particulièrement
contraignante. Pour les habitants de l‟ouest de la province d‟Azilal, la référence et
l‟évacuation est plus facile et plus rapide vers Marrakech que vers l‟hôpital provincial
de référence d‟Azilal. Pour les habitants de la province d‟Azilal qui résident au pied
66
de la montagne (à Afourer, par exemple), l‟hôpital régional de Beni Mellal est à une
trentaine de minutes par une route de plaine, alors que l‟hôpital provincial de
référence d‟Azilal et à 1h30 au minimum par une route sinueuse de montagne. Pour
les habitants de l‟ouest de la province de Figuig, il est également beaucoup plus aisé
et plus rapide d‟envisager une référence vers les hôpitaux d‟Errachidia ou de Missour
que vers l‟hôpital provincial de référence de Bouârfa. Personnels de santé et
populations de ces localités situées aux confins de ces provinces préfèrent d‟autant
plus se rendre à Marrakech, Beni Mellal ou Missour, donc au-delà des limites des
délégations provinciales, que les plateaux techniques des structures de ces grandes
villes sont beaucoup plus développés que ceux des structures provinciales de
référence, et que le nombre et la diversité des spécialités qui s‟y trouvent sont
beaucoup plus importantes. De plus, bien souvent, nous confiait les personnels de
santé, les habitants de ces zones préfèrent se rendre à Marrakech, Errachidia ou
Missour où ils ont de la famille, alors qu‟ils se sentent « étrangers » à Azilal et
Bouârfa.
La référence vers des hôpitaux qui ne relèvent pas de la province dans
laquelle sont inscrits les centres de santé ne va pas sans soulever quelques
problèmes. Elle augmente la charge de travail de ces hôpitaux « extra-provinciaux »
qui ont déjà suffisamment à faire avec les malades de leur propre province ; les
personnels de santé de ces hôpitaux manifestent parfois leur mécontentement à
l‟égard des personnels qui adressent des patients qui ne relèvent pas de leur
province et dont ils ne sont pas censés s‟occuper, en première référence, compte
tenu de la carte sanitaire, ce qui rejaillit parfois sur l‟accueil de ces patients. Pour
surmonter les rigidités administratives et faire accepter ces patients, les
arrangements locaux et les relations interpersonnelles entre cliniciens des hôpitaux
de deux provinces différentes permettent parfois d‟apaiser les tensions. Ici, les
relations interpersonnelles viennent donc pallier les incohérences ressenties liées au
découpage de la carte sanitaire.
Accéder aux maternités
La question de la prise en charge des accouchements est particulièrement
illustrative des problèmes d‟accès aux soins et présente un condensé de l‟ensemble
des difficultés identifiables et des initiatives pour les résoudre. Rappelons que la lutte
contre la mortalité maternelle et la « maternité sans risque » figurent parmi les
principales préoccupations du Ministère de la santé, tant les performances au Maroc
sont jugés encore médiocres. Le Gouvernement a à cet effet pris de nombreuses
initiatives pour améliorer la situation et parvenir à l‟objectif 5 du millénaire pour le
développement qui enjoint de « réduire de trois quarts, entre 1990 et 2015, le taux de
mortalité maternelle, et de rendre l‟accès à la médecine procréative universel d‟ici à
2015 », mesures qui commencent à porter leurs fruits16.
Pour souligner toute l‟importance de la question de l‟accès aux soins ici, on
pourrait dire que, dans la très grande majorité des cas, les accouchements se
déroulent très bien et peuvent se dérouler avec une aide minimale ; mais si le
moindre problème survient, sachant que tous les problèmes qui peuvent survenir à
l‟accouchement ne sont pas prévisibles même avec une bonne surveillance de la
16
On pourra se reporter au « Forum international sur la réduction de la mortalité maternelle au Maroc » qui
s’est tenu à Rabat au début du mois de juillet 2011 et dont on trouve le compte rendu sur le site du Ministère
de la santé http://srvweb.sante.gov.ma/pages/actualites.aspx?IDActu=29.
67
grossesse, il faut pouvoir évacuer la parturiente dans les plus brefs délais vers des
structures offrant des prestations spécialisées de gynécologie-obstétrique
(césarienne, en particulier) pour être assuré de sauver l‟enfant, voire la mère. Le
délai d‟évacuation et la réactivité du système de santé sont alors des facteurs
primordiaux pour éviter le pire.
Dans les trois sites de l‟étude, presque tous les personnels des différents
centres de santé visités ont fait état dans les années passées d‟une expérience de
décès néonatal et/ou de décès maternel, soit à domicile, soit au cours du transfert,
soit au moment de l‟accouchement dans la structure de référence, plus rarement au
sein de leur structure de soins17. L‟évocation de cas de décès était moindre à Salé
que dans les deux autres sites, sans doute parce que l‟offre de soins spécialisée est
plus immédiatement disponible en ville, mais aussi parce que la plupart des centres
de santé urbains de Salé ne comportent pas de modules d‟accouchement, les
personnels de santé étant donc moins « exposés » au constat direct d‟un décès18.
Ce constat n‟a évidemment aucune valeur de représentativité, d‟autant moins qu‟il se
rapporte à des zones où la question de l‟accès et de la réactivité du système de
santé local se posent avec une acuité particulière, il atteste cependant qu‟il ne s‟agit
pas là d‟une expérience rare19. S‟agissant du site d‟Azilal, le constat d‟un des élus
rencontrés est particulièrement sévère : « Ici, il y a beaucoup de communes
enclavées. Une femme qui accouche, c’est la sélection naturelle ! La femme meurt,
ou l’enfant, ou les deux ».
Dans les trois sites, y compris à Salé, la proportion d‟accouchements à
domicile reste importante. Pour Salé, nous avions déjà relevé que le nombre
d‟accouchements en milieu surveillé, en général, et à l‟hôpital préfectoral, en
particulier avait augmenté de 15% entre 2008 et 2009 en raison de l‟entrée en
vigueur de la gratuité de l‟accouchement et des soins obstétricaux d‟urgence dans
les hôpitaux ; mais la proportion d‟accouchements assistés dans les structures de
santé à Salé se situait encore à 50% en 200920. Des femmes de la province de
Figuig qui résident dans des campements isolés d‟éleveurs, ou encore dans des
villages de montagne de la province d‟Azilal ont déclaré ne jamais avoir fait de
consultations prénatales et toujours accouché à domicile. Mais est-ce toujours par
choix ? A la question pourquoi ne vous rendez-vous pas au centre de santé pour le
suivi de la grossesse et l‟accouchement, la réponse est souvent, notamment chez les
plus jeunes, le manque d‟argent, et le fait que l‟accouchement ne nécessite une
intervention médicale qu‟en cas de complication. Fort des expériences passées de
femmes plus âgées, et si la grossesse se passe bien, la décision de recours à la
structure de soins est repoussée.
17
Le décès d’une mère qui met au monde un enfant, à juste titre, est souvent considéré comme un des pires
événements auquel un personnel de santé peut être confronté, au Maroc comme ailleurs. Sans remettre en
cause la réalité de la survenue de décès maternels en dehors de leurs structures de soins, le fait de préciser
que le décès a eu lieu à domicile, au cours du transfert ou dans la structure de référence, mais pas dans sa
structure, procède aussi sans doute de personnels de santé qui ne veulent surtout pas se voir imputer une
quelconque responsabilité dans le décès.
18
A Salé, seuls deux centres de santé sur un total de 24 que compte la Préfecture sont dotés d’une maison
d’accouchement, et les personnels de santé du centre de santé avec maison d’accouchement de Bouknadel
auquel nous nous sommes plus particulièrement intéressés n’ont pas fait état de décès maternel dans un passé
récent.
19
S’il fallait faire une comparaison on peut rappeler qu’en Europe les personnels des maternités de référence
peuvent faire toute une carrière de soignant sans jamais avoir été confronté à un décès néonatal, et encore
moins à un décès maternel.
20
R. Abdelmoumen & K. El Amrani, Bilan des réalisations des programmes sanitaires au titre de l’année 2009 et
plan d’action 2010, Ministère de la santé, Délégation préfectorale de Salé.
68
La non fréquentation des maternités peut aussi être liée à l‟attitude des
personnels de santé. Nous avons eu connaissance des premiers résultats d‟une
enquête réalisée par l‟association en charge de la dar al oumouma (DAO) de la
commune rurale de Aït M‟Hmed, localité située à une vingtaine de kilomètres d‟Azilal,
en préalable à une campagne de sensibilisation pour favoriser l‟utilisation de la DAO
de cette commune ; cette enquête montrait que 90% des personnes interrogées
dans la commune (n=175) valorisaient l‟accouchement en milieu surveillé. Nous
avons pu consulter, grâce à l‟obligeance des membres de l‟association, les fiches
des rapports des séances de sensibilisation de cette initiative rédigées par les
animateurs ; parmi les justifications avancées par les femmes interrogées pour
expliquer leurs réticences à recourir aux structures de soins on trouvait les « mauvais
comportements des sages femmes ».
L‟accouchement à domicile peut certes procéder d‟un choix, mais en partie
par défaut. Dans la région d‟Azilal, certaines communes rurales étaient encore
inaccessibles à partir de la ville d‟Azilal, au mois de mars 2011, en raison de la
neige. Si le chef lieu de la commune rurale peut être doté d‟un centre de santé,
certains douars de la commune en sont distants de plus de 100 km. Le problème
d‟accessibilité ne se réduit pas à la distance kilométrique en chiffre absolu par
rapport à un établissement de soins. Après tout, être distant d‟une centaine de
kilomètres d‟une structure de soins lorsque celle-ci peut être atteinte en empruntant
une route goudronnée et rapide reste un obstacle surmontable21. Certains douars ne
sont parfois accessibles que par des sentiers étroits de plusieurs kilomètres
inaccessibles aux véhicules automobiles. La seule possibilité est alors de devoir
parcourir avec les moyens du bord (à pied, à dos d‟âne, avec un cyclomoteur au
mieux) les quelques kilomètres qui séparent le douar de la route goudronnée où l‟on
est susceptible de trouver un véhicule.
Comme on nous l‟a rapporté, et comme nous avons pu nous même le
constater, fort heureusement, en cas d‟urgence, l‟issue la plupart du temps est
heureuse. Lorsque le réseau téléphonique est disponible, la commune, le centre de
santé, voire l‟hôpital sont avertis de l‟urgence, une ambulance se positionne sur la
route goudronnée à l‟intersection du sentier qui permet d‟accéder au douar et attend
la parturiente qui sera accompagnée à pied depuis le douar jusqu‟à l‟ambulance, ce
qui peut prendre plus d‟une heure si par exemple le douar en question est distant de
5 kilomètres de la route goudronnée. L‟issue est parfois nettement moins favorable, y
compris lorsque les douars éloignés sont accessibles aux véhicules par la piste,
comme dans le cas suivant.
Un douar est situé dans une zone non couverte par le réseau téléphonique. La
famille ne dispose d‟aucun véhicule. Un membre de la famille de la parturiente doit
trouver un point dans la montagne où le réseau téléphonique est présent pour
appeler un parent ou une connaissance qui dispose d‟un cyclomoteur. Le conducteur
du cyclomoteur va jusqu‟à la route goudronnée dans l‟espoir de trouver un véhicule.
Le temps d‟attente peut être très variable selon l‟heure de la journée, le jour de la
semaine et donc selon la fréquentation de la route goudronnée par des véhicules 22. Il
21
C’est une des raisons (mais pas la seule, bien évidemment) pour laquelle les habitants et les professionnels
de santé de la ville de Demnate, située à l’ouest de la province d’Azilal, préfèrent la référence vers Marrakech à
celle vers Azilal qui est la structure de référence pour Demnate. Marrakech et Azilal sont équidistantes de
Demnate, mais la route Demnate-Marrakech est droite est donc beaucoup plus rapide que la route DemnateAzilal qui sillonne dans les vallées.
22
Parfois, en dehors des jours de marché, certaines portions des routes goudronnées des deux provinces
d’Azilal et de Figuig sont très peu fréquentées.
69
finit par décider un véhicule d‟un commerçant de bien vouloir se rendre jusqu‟au
douar de la parturiente. Une fois la parturiente conduite jusqu‟à la route goudronnée,
il faut encore trouver le moyen de la conduire à la maternité, le commerçant peut ou
non accepter ; dans la seconde hypothèse, il faudra alors attendre un autre véhicule
qui emprunte régulièrement (à certaines heures) la route pour que la parturiente
arrive jusqu‟à la maternité. On peut certes parvenir à mobiliser une ambulance ; mais
encore faut-il que l‟ambulance soit disponible rapidement23, et le problème du
franchissement de la distance entre le douar non couvert par le réseau téléphonique,
par ailleurs parfois difficile à trouver en l‟absence d‟un guide très bon connaisseur de
la zone, et l‟accès à l‟ambulance reste entier. Dans un cas qui nous a été rapporté, la
femme a succombé avant d‟arriver à la maternité de l‟hôpital.
La situation à Salé est sans commune mesure avec la situation que nous
venons de décrire. Mais, s‟agissant des évacuations des femmes enceintes, à
entendre les personnels de santé ou à lire les rapports de la Délégation préfectorale
de la santé, il semble que la différence est davantage de degré que de nature. A la
question posée aux personnels de santé de savoir comment les femmes font pour
accéder aux maternités de référence surtout en cas d‟urgence, la réponse était en
général que les femmes doivent « se débrouiller elle-même ». En fait cette situation
est liée à un important déficit en ambulances et à la vétusté du parc automobile de la
Délégation : « Concernant le transport à partir des maisons d’accouchement vers les
structures de référence, la gratuité a depuis toujours été la règle. Cependant, les
ambulances affectées aux maisons d’accouchement, dépassant les 10 ans d’âge,
connaissent des pannes fréquentes, ce qui risque de compromettre cette mesure. La
maison d’accouchement de Bouknadel est sans moyen d’évacuation depuis près de
10 mois »24.
Le Ministère de la santé, avec l‟aide d‟autres institutions, a fait un effort
important pour densifier le réseau des centres de santé, en mettant un accent
particulier sur le suivi et la prise en charge des grossesses et de l‟accouchement, en
construisant ou en réhabilitant des maternités périphériques, en les équipant, et en y
affectant du personnel. De nombreuses initiatives ont été prises pour favoriser
l‟accouchement en milieu surveillé et la prise en charge des complications
obstétricales. Ces initiatives ont eu un impact positif si l‟on en juge par les derniers
indicateurs. Mais localement, comme nous allons le voir à propos des sites de notre
étude, le « système » de prise en charge de la grossesse et de l‟accouchement se
heurte encore parfois à des dysfonctionnements importants. Revenons sur ces
initiatives et le parcours d‟une parturiente.
Afin qu‟une femme sur le point d‟accoucher arrive à temps à une structure de
soins, notamment en cas de complication, un Samu obstétrical a été mis en place.
La description qui nous en a été faite par les personnels de santé était la suivante.
Des téléphones portables ont été distribués à certains relais dans la communauté ou
aux infirmier(e)s ou sages femmes des dispensaires ruraux. Lorsqu‟un problème
survient, la personne relais appelle le centre de santé de référence et un dialogue
s‟engage avec le médecin ou la sage femme du centre de santé pour apprécier le
degré d‟urgence de l‟intervention. Si au terme de l‟appréciation de la situation par
téléphone la décision d‟évacuation s‟impose, une ambulance est alors envoyée pour
aller chercher la parturiente et l‟amener, dans un premier temps, au centre de santé
23
Nous traiterons en détail ci-dessous la question des ambulances.
R. Abdelmoumen & K. El Amrani, Bilan des réalisations des programmes sanitaires au titre de l’année 2009 et
plan d’action 2010, Ministère de la santé, Délégation préfectorale de Salé.
24
70
de proximité ; si la situation l‟exige, dans un second temps, la femme sera référée à
l‟hôpital. Cette initiative est trop récente (elle venait de débuter lors de notre passage
dans la province de Figuig au début de l‟année 2011) pour apprécier la mesure dans
laquelle elle a pu avoir un effet bénéfique (les appels sont-ils toujours justifiés ? la
mesure contribue-t-elle à augmenter de manière critique la charge de travail des
maternités des centres de santé et/ou des hôpitaux ? etc.). Pour Salé également,
cette initiative était en 2010 en cours de mise en place et la Délégation préfectorale
de la santé semblait être en attente de résultats : « Concernant cette action, les
besoins ont été identifiés et communiqués à la DHSA. En guise de préparation à sa
mise en application, la délégation a jugé bon de doter les moyens d’évacuation
opérant en milieu rural en moyens de communication. C’est ainsi que les parturientes
originaires de la commune rurale de S’houls peuvent théoriquement faire appel aux
services de l’ambulance du CSCA El Arjate depuis leurs domiciles »25. Une telle
initiative, dont l‟apport est évidemment lié à la couverture téléphonique des zones
« enclavées », peut certainement résoudre les problèmes d‟accès de la parturiente à
un véhicule. Elle requiert cependant une disponibilité en ambulances. Un
représentant du Ministère de l‟intérieur de la province de Figuig soulignait à cet égard
la difficulté du démarrage de cette opération. Il nous rapportait que les chauffeurs
des ambulances26 n‟y étaient pas favorables, se disant trop souvent sollicités, et
étant réticents à effectuer des trajets de nuit dans la montagne ; dans la pratique,
poursuivait notre interlocuteur, le personnel de santé du dispensaire rural appelle la
personne référente du Samu obstétrical de la commune où l‟ambulance est
stationnée, qui appelle alors le chauffeur de l‟ambulance, qui refuse parfois de se
déplacer, surtout la nuit. La personne référente appelle alors l‟autorité locale (pacha
ou caïd) qui ordonne au chauffeur de l‟ambulance d‟aller chercher la parturiente.
Il est bien sûr préférable que les parturientes puissent accéder suffisamment
tôt aux maternités avant le début du travail et pour éviter de devoir recourir à une
ambulance. C‟est dans cette perspective qu‟a été lancée, au départ avec l‟appui de
l‟Unicef, l‟initiative des dar al oumouma (DAO), encore appelés « maisons
d‟attente ». Ces maisons d‟attente sont des bâtiments non médicalisés mais proches
de maternités périphériques qui offrent des prestations d‟hôtellerie pour des femmes
habitant des zones « enclavées », sur le point d‟accoucher ou qui viennent
d‟accoucher, afin qu‟elles puissent attendre gratuitement et confortablement leur
accouchement et/ou le retour au domicile après l‟accouchement. Il s‟agit par là
d‟éviter de venir à la maternité « au dernier moment », et permettre à la femme de se
reposer quelques temps (48 heures au moins) après l‟accouchement en disposant
d‟une surveillance avant de rentrer chez elle. Il s‟agit là d‟initiatives communautaires,
gérées par des associations, et financées par les communes. Une étude spécifique
menée dans la province d‟El Haouz à propos des effets de la mise en place d‟une
des plus anciennes maisons d‟attente avait conclu à l‟impossibilité de porter au seul
crédit de cette initiative une amélioration de la situation de la morbidité et de la
mortalité maternelle ; par ailleurs, il apparaissait que cette maison d‟attente était très
appréciée par les femmes qui continuaient cependant d‟accéder tardivement à la
maternité et restaient peu de temps dans la maison d‟attente après
25
R. Abdelmoumen & K. El Amrani, op.cit.
Nous verrons ci-dessous que les chauffeurs des ambulances sont le plus souvent des chauffeurs des
communes qui ont par ailleurs d’autres activités que la seule conduite des ambulances.
26
71
l‟accouchement27. Les maisons d‟attente se sont multipliées sur le territoire
marocain, et les provinces de Figuig et Azilal ont vu l‟implantation de ces DAO,
notamment avec l‟appui de l‟INDH.
Nous avons visité les maisons d‟attente de Aït M‟Hmed, près d‟Azilal, et de
Talsint, dans la province de Figuig. La maison d‟attente de Aït M‟Hmed a ouvert en
janvier 2010 ; lors de notre passage en janvier 2011, elle n‟avait accueilli que 4
femmes ; deux mois plus tard, lors de notre second passage, elle avait reçu deux
femmes supplémentaires originaires de la localité même, soit 6 femmes au total en
un peu plus d‟un an ; la maternité à proximité avait reçu 126 femmes au cours de
l‟année 2010. Une campagne de sensibilisation destinée aux habitants des différents
douars de la commune devait débuter au mois de mars 2011 pour faire connaître la
DAO et augmenter sa fréquentation. Mais, nous confiait un des membres de
l‟association qui gère cette DAO, si les femmes ne veulent pas rester à la DAO c‟est
parce que « elles ne veulent pas laisser leurs petits à la maison ». La DAO de Talsint
dans la province de Figuig semblait avoir un peu plus de succès : après un mois et
demie de fonctionnement (1er novembre – 15 décembre 2010) elle avait reçu 18
femmes dont plus de la moitié venait de la commune même de Talsint, soit de
l‟immédiate proximité, 3 seulement l‟avaient utilisée avant leur accouchement ; le
centre de santé de Talsint avait réalisé 31 accouchements pendant le mois de
novembre 2010. Là encore, l‟initiative est trop récente pour pouvoir tirer des
conclusions, mais pour ces deux maisons d‟attente, une tendance analogue à la
situation bien documentée pour la DAO de la province de El Haouz (cf. l‟étude citée)
semble se dessiner, soit une utilisation par les parturientes comme une suite de
couches, pour des femmes venant plutôt de l‟immédiate proximité, mais avec une
fréquentation encore réduite.
Accéder à temps à la localité où se trouve la maternité est sans conteste un
facteur positif. Mais encore faut-il que la maternité soit accessible, et le personnel
disponible. Les dispensaires ruraux que nous avons pu visiter bénéficient des
prestations de deux personnes (en général une infirmière et une sage femme en tout
début de carrière) qui habitent sur place, s‟entraident et se complètent, notamment
pour les accouchements et en cas d‟absence de l‟une des deux. L‟entraide et la
complémentarité sont également la règle parmi les personnels des centres de santé
où les effectifs sont plus importants que dans les dispensaires ; cependant, le travail
y semble plus segmenté, ne serait-ce qu‟en raison d‟une fréquentation plus
importante et des activités plus diversifiées que dans les dispensaires ruraux. Par
ailleurs, selon les cas, tous les personnels n‟habitent pas toujours tous sur place.
Dès lors, il peut arriver, par exemple en raison de l‟absence de la seule sage femme
du centre (pour cause de formation, de congés, de maladie, etc.) que la parturiente
trouve parfois la porte de la maternité de proximité close.
Afin de s‟assurer que l‟accouchement s‟est déroulé dans de bonnes conditions
et que la mère et l‟enfant « se portent bien », la femme est censée devoir rester à la
maternité au minimum 48 heures après l‟accouchement. Ce délai, notamment en
milieu rural, est très difficile à faire respecter : les femmes ont hâte de retrouver leur
domicile immédiatement après leur accouchement, pour retrouver leurs enfants
qu‟elles y ont laissé, pour s‟occuper des bêtes, etc. ; de plus, dans les montagnes de
Figuig ou d‟Azilal, dans les maternités non chauffées, il règne un froid glacial dans
27
Abaacrouche M., Belghali A., Meski F.Z., Gruénais M.E., De Brouwere V. (2009) La maison d’attente : une
solution efficace pour favoriser l’accouchement en milieu surveillé, Rapport de recherche pour l’OMS, Rabat,
INAS, décembre 2009, 75 p.
72
les établissements non chauffés, ce qui n‟invite guère à y rester. En milieu urbain,
c‟est bien davantage l‟importance de l‟activité de l‟hôpital qui rend difficile d‟organiser
le maintien de la parturiente dans la maternité deux jours après l‟accouchement :
« Le séjour de 48 h a été institué dès sa mise en place en 2008. Certaines difficultés
ont émergé au fil du temps. Au niveau de l’hôpital, le nombre de lits étant limité (45),
le service de maternité s’est retrouvé, à certains moments, avec un sureffectif de
parturientes (2 / lit), ce qui rendait peu acceptable cette mesure par les femmes et
leurs familles. Ça a, en plus, généré des problèmes connexes difficiles à gérer
(doublement du nombre de visiteurs, augmentation de la masse des déchets à
traiter, détérioration du niveau d’hygiène du service et de ses équipements
sanitaires, potentialisation du risque infectieux, etc.). Au niveau des maisons
d’accouchement : la mesure a été mal acceptée par la population au départ en
raison du fait que les familles devaient supporter de multiples allers et retours afin
d’approvisionner les parturientes en nourriture et linge »28.
C‟est sans doute l‟ensemble de ce contexte (préférence pour l‟accouchement
à domicile entre autres pour ne pas délaisser son foyer, perception de
l‟accouchement comme un événement ne nécessitant pas d‟intervention sauf
exception, difficulté d‟accès à des maternités par ailleurs parfois peu accueillantes,
incertitude quant à la disponibilité du personnel) qui fait que les parturientes
fréquentent peu les maternités périphériques en milieu rural qui affichent souvent
une très faible activité29. De plus, si la gratuité de l‟accouchement et des soins
obstétricaux d‟urgence est une mesure que l‟on ne peut que saluer, elle pourrait être
une invitation pour les sages femmes des maternités périphériques à ne pas vouloir
prendre le moindre risque et à référer assez systématiquement vers les hôpitaux
provinciaux ou régionaux puisque l‟évacuation est désormais gratuite. Certains
chiffres de référence de parturientes relevés dans des maternités ayant par ailleurs
une activité relativement faible nous ont semblé élevés (dans plusieurs cas, près
d‟une femme sur deux). La tendance des centres de santé périphériques à évacuer
« trop facilement » des femmes vers des hôpitaux de référence pour des
accouchements normaux est une plainte récurrente des gynécologues-obstétriciens
des hôpitaux, mais nous ne sommes pas en mesure d‟évaluer la mesure dans
laquelle ce type de plainte est fondé ou non. Un administrateur d‟une délégation
nous disait, qu‟en cas de transfert, l‟obligation pour la sage femme d‟accompagner la
parturiente jusqu‟à l‟hôpital de référence, une fois la décision d‟évacuation prise,
devait être aussi envisagée comme moyen de limiter des évacuations « abusives ».
Mais, poursuivait-il, cette mesure pouvait amener certaines sages femmes exerçant
dans des centres de santé à déconseiller aux parturientes d‟accoucher dans leur
centre et de les inviter à se rendre directement à la maternité de l‟hôpital de
référence.
L‟ensemble des mesures prises pour favoriser l‟accouchement en milieu
surveillé et la prise en charge des grossesses à risque qui concernent le niveau le
plus périphérique des systèmes de santé locaux aura sans doute pour conséquence
une augmentation de l‟activité dans les maternités de référence hospitalières. Cela
suppose une augmentation de la capacité de réactivité de ces maternités
hospitalières. Nous avons signalé plus haut les craintes des personnels de santé des
28
R. Abdelmoumen & K. El Amrani, ibid.
Le chiffre maximal relevé au cours de l’étude a été enregistré dans une maison d’accouchement de la
préfecture de Salé avec en moyenne un accouchement par jour. Dans les deux autres sites, les chiffres vont
d’une moyenne d’un à deux accouchements par semaine à un minimum rencontré, certes dans des dispensaires
ruraux, de 5 accouchements réalisés en 8 mois.
29
73
provinces de Figuig et d‟Azilal face au départ programmé des médecins chinois
exerçant dans les deux hôpitaux provinciaux, et en particulier des gynécologues. A la
période à laquelle nous avons recueilli nos données, il n‟y avait plus qu‟un seul
gynécologue en exercice dans un des hôpitaux qui réalisait 800 césariennes par an
avec préalablement 3 gynécologues. Ce gynécologue, qui déclarait n‟avoir pu
prendre que 15 jours de congés en deux ans, nous disait alors qu‟en l‟absence de la
venue d‟un autre gynécologue, « il va y avoir des morts ! ».
La question des accouchements met en évidence le grand nombre d‟éléments
à prendre en compte en matière d‟accès aux soins : l‟état des routes, la couverture
du territoire par le réseau téléphonique, les préférences des populations qui décident
de ne pas toujours recourir au système de santé notamment parce qu‟elles sont
informées des modalités d‟accueil dans les maternités, le niveau socio-économique
des ménages, l‟état du parc automobile, l‟engagement des associations et des
autorités locales, la plus ou moins bonne volonté de certains agents (du chauffeur au
gynécologue en passant par les sages femmes et les médecins) à fournir les
prestations requises, et les affectations des personnels de santé. Nous avons vu
notamment ci-dessus combien la question des évacuations et de la disponibilité des
ambulances était un élément particulièrement important dans l‟amélioration de
l‟accès aux structures de soins. Nous y consacrerons la partie suivante.
Les évacuations et la gestion des ambulances
A Salé, la situation est critique pour les évacuations du fait du manque
d‟ambulance et du vieillissement du parc automobile, mais la question de
l‟accessibilité géographique des structures de soins et de parvenir à trouver un
véhicule quel qu‟il soit, se pose peu comparativement à la situation des provinces de
Figuig et d‟Azilal dont il sera surtout question dans cette section. Les difficultés
d‟accès géographique, dans la province de Figuig, sont notamment liées à la
dispersion de la population, à son éloignement vis-à-vis des grands axes de
communication, et aux distances, mais une fois le lieu localisé, son accès est en
général possible toute l‟année. Dans la province d‟Azilal, dans la zone montagneuse,
la situation est parfois beaucoup plus délicate en raison de la neige l‟hiver, des crues
et des inondations au printemps ; parfois des glissements de terrain viennent
entraver la progression des véhicules, et certains douars, comme nous l‟avons déjà
signalé, ne sont accessibles que par un sentier trop étroit pour être emprunté par un
véhicule automobile. Plusieurs heures de marche sont parfois nécessaires pour
parvenir jusqu‟au centre de santé ou le dispensaire rural de sa commune 30. En cas
d‟urgence et/ou de nécessité d‟évacuation, iI faudra atteindre la structure
communale, pour les premiers soins et la mise en condition pour l‟évacuation, mais
aussi pour obtenir la fiche de liaison, document indispensable qui vient justifier
médicalement la référence, le recours à l‟ambulance, et permettra l‟accès à l‟hôpital
provincial.
30
Un infirmier d’un dispensaire rural de la province d’Azilal nous faisait remarquer que pour atteindre certains
douars qui entraient dans sa zone de responsabilité il fallait jusqu’à 5 heures de marche. Prenant conscience
des distances et des difficultés d’accès, il finit par accepter de donner des médicaments aux personnes
originaires de ces douars qui venaient occasionnellement (les jours de marché notamment) dans le village du
dispensaire pour d’autres personnes, malades, restées dans les douars en question.
74
Rappelons que seules les évacuations pour les femmes enceintes réalisées
par des ambulances du secteur public (relevant du Ministère de la santé ou des
communes) sont gratuites. Pour toute autre situation, l‟évacuation est payante ; de
plus, toute évacuation, y compris pour des femmes enceintes, réalisée par une
ambulance qui ne relève pas du secteur public est également payante. Ainsi,
certains centres de santé disposent d‟ambulances qui ont été données dans le cadre
d‟une opération de coopération ponctuelle et qui sont gérées alors par une
association locale ; ces « ambulances associatives » relèvent alors totalement d‟une
gestion privée, certes à but non lucratif ; tout déplacement de ce type de véhicule, y
compris pour les évacuations des femmes enceintes, est alors payant. Dans tous les
cas de figure, lorsque le déplacement est payant (par des ambulances associatives
ou de communes), il est demandé au patient et à son entourage de s‟acquitter, en
totalité ou en partie, du prix du carburant nécessaire pour atteindre l‟hôpital de
référence et du défraiement du chauffeur. Les coûts varient évidemment en fonction
de la distance ; pour donner un ordre d‟idée, le coût d‟une évacuation de Figuig à
Bouârfa s‟élève à 225 dh, et le patient doit s‟acquitter d‟une somme de 160 dh (la
différence étant prise en charge par la commune) ; le coût d‟un déplacement par une
« ambulance associative » entre le centre de santé auprès de laquelle l‟ambulance
est placé et l‟hôpital d‟Azilal pour un trajet d‟environ 2h30 s‟élève à 500 dh qui doit
être entièrement acquitté par l‟utilisateur de l‟ambulance, y compris s‟il s‟agit d‟une
femme enceinte.
A Azilal, Figuig, mais aussi à Salé, certaines zones ne sont pas couvertes par
le réseau de téléphonie mobile ce qui contribue à retarder encore un peu plus la
possibilité d‟accès à un moyen de transport, en général, et à une ambulance, en
particulier. Trouver une ambulance disponible est une chose, la faire parvenir
jusqu‟au domicile de la personne à évacuer en est une autre. Des employés de la
Sécurité civile nous confiaient qu‟un des problèmes qu‟ils rencontraient était que
« les gens n’ont pas encore un esprit d’intervention ; ils essayent d’abord d’arranger
entre eux et ils appellent très tard » ; trouver les domiciles, dans les localités ou
quartier, en l‟absence d‟adresse précise, en se trouvant confrontés parfois à des
ruelles trop étroites pour que l‟ambulance parvienne jusqu‟à l‟entrée du domicile,
constitue une autre difficulté. Quand il s‟agit d‟aller chercher une personne dans la
montagne, surtout la nuit, il faut trouver un guide bon connaisseur de la zone. Dans
la préfecture de Salé également, des difficultés d‟accès des ambulances nous ont
été signalées, auxquelles venaient s‟ajouter les problèmes de sécurité lorsqu‟il
s‟agissait de procéder à des évacuations de nuit. Mais les ambulances ne vont pas
toujours chercher les malades à domicile : la personne à transporter doit arriver
jusqu‟au centre de santé ou au siège de la commune où l‟ambulance est stationnée
pour être alors évacuer, nous a-t-on dit à plusieurs reprises.
Hormis à Salé, les ambulances ne semblent pas manquer dans les deux
provinces de Figuig et d‟Azilal. Au moins quatre types d‟acteurs interviennent dans
ce secteur des ambulances et des évacuations : les associations qui gèrent des dons
d‟ambulance, comme le cas évoqué plus haut, ou qui ont leurs propres ambulances,
comme le Croissant rouge ; la Sécurité civile, qui dépend directement du Ministère
de l‟Intérieur ; le Ministère de la santé ; et les communes, qui gèrent en partie ou en
totalité les ambulances achetées dans le cadre de projets appuyés par l‟INDH.
75
Pour certains responsables de l‟INDH, l‟achat d‟ambulance fait partie des
« meilleurs projets » soutenus par l‟Initiative. Tout d‟abord, bien évidemment, parce
qu‟elles sont utiles, surtout aujourd‟hui pour lutter contre la mortalité et la morbidité
maternelle et néo-natale dans le cadre du programme du Ministère de la santé.
L‟achat d‟ambulances répond à des demandes récurrentes des autorités
communales, surtout pour les zones éloignées des grands centres. Ensuite parce
qu‟il s‟agit d‟un produit dont la mise à disposition auprès des bénéficiaires ne
nécessite par de suivi particulier (en comparaison d‟une construction, d‟un
programme de sensibilisation, etc.) : il suffit d‟acheter le véhicule. Enfin, et c‟est nous
qui ajoutons cela, il s‟agit là d‟une opération de visibilité immédiate de l‟INDH puisque
tous les véhicules achetés dans le cadre de tel projet sont clairement identifiables
comme étant des « ambulances INDH ». L‟achat d‟ambulance par l‟INDH se fait
conformément aux procédures de tous les projets soutenus par l‟INDH, avec un
« porteur de projet » (ici généralement une commune) qui réceptionnera l‟ambulance
après signature d‟une convention entre les deux parties ; le « porteur de projet » sera
alors le gestionnaire de l‟ambulance qui prendra en charge l‟entretien du véhicule, le
carburant et la rémunération du chauffeur.
Dans une même localité, peuvent coexister les quatre types d‟ambulance
(ambulances associatives, du Ministère de la santé, de la Sécurité civile, de la
commune) sans qu‟il y ait toujours une coordination optimale entre les différentes
institutions. Les « ambulances associatives », mises à disposition d‟un centre de
santé public ou d‟un centre de santé associatif (tels les centres du Croissant rouge)
relèvent d‟une gestion totalement autonome et indépendante du système de santé
public local. En d‟autres termes, si elles rendent d‟importants services, l‟État, dans
l‟ensemble de ses composantes locales, n‟a pas à réglementer leur utilisation, et
l‟association gestionnaire ne bénéficie d‟aucune aide publique.
La situation des ambulances de la Sécurité civile est bien différente. Ces
ambulances sont par nature destinées à la prise en charge des accidentés de la
route, des brûlés, au secours aux blessés en général, notamment en cas de
catastrophe. Mais elles ont aussi à répondre à toutes les sollicitations. Certains
agents de la Sécurité civile que nous avons rencontrés nous ont précisé qu‟il leur
était déjà arrivé d‟aller chercher une femme enceinte, voire de devoir procéder à
l‟accouchement dans l‟ambulance. L‟intervention est totalement gratuite, les
ambulances sont très bien équipées, et les agents ont une formation de secouriste,
très importante pour savoir manipuler les blessés sans risquer d‟aggraver le mal. La
Sécurité civile n‟a aucun lien institutionnel avec le Ministère de la santé ni avec les
communes et même, informellement, leurs agents ne sont guère invités à participer
aux débats locaux sur les questions d‟évacuation concernant la commune où ils sont
implantés, ce que certains ont regretté d‟ailleurs. Leur périmètre d‟intervention est
limité : par exemple, les agents de la Sécurité civile de la ville de Figuig ont une
compétence territoriale limitée et n‟ont pas le droit de procéder à des évacuations
directement vers l‟hôpital de Bouârfa, hormis un cas d‟accident de la circulation
survenant sur la route Figuig-Bouârfa ; s‟ils recueillent un malade, ils doivent alors
nécessairement se rendre au centre de santé de Figuig, et c‟est celui-ci qui aura la
charge de l‟évacuer éventuellement vers l‟hôpital de Bouârfa, mais avec un autre
véhicule. En fait, la décision d‟évacuation ne peut être prise que par un médecin,
d‟où l‟obligation du recours préalable au médecin du centre de santé de référence
pour obtenir une fiche de liaison.
76
Les centres de santé publics disposent quelques fois de leurs propres
véhicules qui appartiennent alors au Ministère de la santé. On aura vu ci-dessus,
avec le cas des véhicules de Salé, combien le parc automobile du Ministère de la
santé est vieillissant. Les dotations en gasoil venant du Ministère de la santé et dont
les centres de santé disposent désormais dans le cadre du programme de maternité
sans risque pour les évacuations gratuites des femmes enceintes, sont
essentiellement destinées à ces véhicules. Les médecins chefs des centres qui
disposent de tels véhicules ont toute latitude pour les utiliser. Tous les centres de
santé ne disposent cependant pas d‟une ambulance, et les centres de santé qui en
sont dotés n‟ont pas toujours de chauffeur attitré pour les conduire. En l‟absence
d‟un chauffeur attitré, et en cas d‟urgence, il n‟est pas toujours envisageable, ne
serait-ce que pour des questions d‟assurance, qu‟un personnel du centre de santé
puisse conduire le véhicule. Mais si cette possibilité existait réellement, les
personnels de santé accepteraient-ils de conduire une ambulance en plus de leur
travail au centre de santé ?
Dans ces conditions, la solution est le recours au personnel de la commune,
pour le chauffeur et/ou pour « l‟ambulance INDH », elle aussi le plus souvent placée
auprès de la commune. Rappelons que la gestion des ambulances communales,
achetées avec le soutien de l‟INDH, est à la charge de la commune qui doit alors
acheter le gasoil, rémunérer le chauffeur et assurer l‟entretien du véhicule ; et hormis
en cas d‟évacuation des femmes enceintes, une participation financière est
demandée au malade et à son entourage dans tous les autres cas. Les personnels
de santé ne peuvent recourir qu‟à l‟ambulance communale de « leur » commune. Si
le centre de santé ou le dispensaire est localisé dans un village qui ne dispose pas
d‟ambulance, il n‟a pas légitimité à recourir à l‟ambulance relevant d‟une commune
voisine, même si celle-ci est très proche. Nous avons relevé le cas d‟un infirmier d‟un
dispensaire qui devait faire appel à l‟ambulance positionnée auprès du chef lieu de
« sa » commune, qui était relativement éloigné, avec un temps d‟attente pour voir
arriver l‟ambulance de « sa » commune plus long que s‟il avait fait appel à la
commune voisine qui disposait également d‟une ambulance.
Les communes emploient un nombre limité de chauffeurs et ne peuvent pas
en affecter spécifiquement à la conduite des ambulances communales. Les
chauffeurs communaux, qui n‟ont pas de formation spécifique d‟ambulanciers ni de
notion de secourisme, ont bien d‟autres tâches à accomplir que celle de conduire
une ambulance (ramassage des ordures ménagères, conduite d‟engins de
terrassement, etc.). Lorsque l‟ambulance communale doit être utilisée, il se peut que
le chauffeur soit en train de travailler à une extrémité du territoire de la commune
pour réaliser des travaux de terrassement, par exemple. Un secrétaire général d‟une
des provinces nous a précisé que si les communes avaient des budgets propres
pour assurer le fonctionnement des ambulances, voire même pour acheter des
ambulances, elles n‟ont pas d‟autonomie pour recruter du personnel, le personnel
communal étant rémunéré sur un poste de la fonction publique relevant du Ministère
de l‟intérieur. Pour pouvoir recruter un chauffeur, qui serait spécifiquement attaché à
la conduite de l‟ambulance communale, la commune n‟a d‟autre moyen que
d‟attendre qu‟un poste soit libéré par le départ d‟un agent communal. Reste à savoir
si l‟utilisation très irrégulière des ambulances communales justifie l‟emploi à plein
temps d‟un chauffeur.
77
Enfin, et c‟est sans doute là le point le plus important, il n‟y a aucun rapport
hiérarchique ni institutionnel entre les autorités et personnels communaux et les
agents du Ministère de la santé que sont les personnels des dispensaires et des
centres de santé et les délégués provinciaux de la santé. Dès lors, la réponse à la
requête d‟agents du Ministère de la santé pour l‟utilisation d‟une ambulance
communale dépend du bon vouloir des présidents de commune et des élus. Un
pacha nous résumait la situation dans sa localité dans les termes suivants : « Nous
avons 4 ambulances dans la ville de X, dont deux véhicules 4x4 : une du Ministère
de la Santé, une de la Fondation Mohamed V, deux en partenariat entre la
municipalité [et une association]. Nous avons 3 chauffeurs polyvalents de la
municipalité, qui s’occupent aussi du ramassage des ordures, etc. La commune a
des ambulances pour aider mais, selon le maire, c’est à la santé d’avoir ses
ambulances et ses chauffeurs ». On nous a rapporté des situations où les autorités
communales se montraient très réticentes à répondre aux demandes d‟utilisation de
« leurs » ambulances formulées par les délégués provinciaux de la santé, les
premières arguant que le Ministère de la santé devait avoir ses propres ambulances
et que ce n‟était pas aux communes à suppléer aux défaillances du Ministère de la
santé. Certains de nos interlocuteurs communaux, parfois peu avares de critiques
envers les autorités d‟autres communes, ont pu avancer que le maire de la localité
voisine utilisait l‟ambulance de sa commune à des fins personnelles. Dans certains
cas, seule l‟intervention directe d‟une des plus hautes autorités locales représentant
le Ministère de l‟intérieur (caïd, raïs, pacha, voire secrétaire général de la province)
peut permettre de débloquer la situation, qu‟il s‟agisse de la mobilisation d‟un
chauffeur ou du véhicule ou des deux. Dans de nombreux cas, tout se passe au
mieux, et les autorités communales acceptent bien volontiers de positionner
l‟ambulance communale dans l‟enceinte du centre de santé et de laisser le soin au
seul médecin chef du centre de décider de son utilisation.
L‟achat d‟un véhicule relève d‟une opération relativement simple ; le budget
pour faire rouler le véhicule (achat de gasoil, frais d‟entretien) est souvent disponible.
En revanche, l‟analyse des modalités concrètes de son utilisation nous amène vers
des questions complexes de gouvernance locale : faire rouler une ambulance
soulève à la fois des problèmes de ressources humaines, d‟organisation et de
responsabilité (trouver le chauffeur qui pourra sans risque conduire l‟ambulance
quand cela est nécessaire), de compétences territoriales (quelle ambulance pour
quel centre de santé ou dispensaire), de côtoiement de « territoires » institutionnels
(ceux des associations, du Ministère de l‟intérieur, du Ministère de la santé, des
communes), et partant parfois de rapports de force, de positionnement, de rivalités,
voire de conflits entre des acteurs relevant de ces différentes institutions. L‟achat
d‟ambulances dans le cadre de projets soutenus par l‟INDH figure parmi les « bons
projets », comme nous le rappelait un responsable provincial de l‟INDH ; ce même
responsable, par ailleurs excellent technicien du montage et du suivi de projets
comme beaucoup de ces collègues que nous avons rencontrés, qui avait une claire
conscience des problèmes soulevés par l‟utilisation des véhicules que nous venons
d‟évoquer, proposait parmi les solutions d‟établir des conventions entre l‟INDH, qui
achète le véhicule, et les délégations provinciales de la santé pour que la gestion des
ambulances soit assurée par leurs premiers utilisateurs : les agents du Ministère de
la santé.
78
Favoriser l’accessibilité financière aux prestations de soins
Jusqu‟à présent, nous avons surtout traité de tout ce qui avait trait à
l‟accessibilité géographique et à la disponibilité des offres de soins. Nous avons peu
évoqué les questions d‟accessibilité financière, qui sont pourtant une préoccupation
majeure des populations, comme l‟atteste les entretiens que nous avons réalisés
dans les différents sites et dont il sera fait état au chapitre suivant. Dans les
établissements publics de santé de base, toutes les prestations et tous les
médicaments sont gratuits. Des efforts importants ont été consentis pour que tout ce
qui a trait à la prise en charge de la femme enceinte et des complications liées à la
grossesse soit désormais gratuit. Les évacuations pour toutes les autres situations,
et d‟une manière général le transport restent un poste budgétaire important à la
charge des patients et de leur famille. Tous les médicaments nécessaires à un
traitement ne sont pas tous disponibles dans les centres de santé publique ; les
prescriptions, ainsi que les examens, sont aussi le plus souvent à la charge du
patient. Citons également les hospitalisations qui sont en théorie payantes, y compris
dans les structures publiques. Néanmoins, nombre de mesures et d‟initiatives ont été
prises pour alléger le poids des dépenses de santé directes pour les ménages.
Essais de mutuelles de santé & mutualistes
Afin de couvrir, en partie ou en totalité, les frais liés aux achats de
médicaments, mais aussi des évacuations, des associations locales ont tenté de
mettre en place des mutuelles.
La gestion d‟une mutuelle de santé est une entreprise particulièrement
complexe qui oblige ses responsables à entrer dans une dynamique assurantielle
dont un des écueils majeurs, dans des zones pauvres, est la « sélection adverse »
que l‟on pourrait caricaturer maladroitement de la manière suivante : si la mutuelle
couvre une population très vulnérable, si le montant de la cotisation est relativement
faible et que les cotisants attendent qu‟elle couvre le plus large éventail possible de
dépenses (médicaments, évacuations, consultations, opérations, etc.), attentes
légitimes des plus pauvres, la mutuelle aura du mal à faire face à toutes les
dépenses31. On s‟orientera vers une baisse progressive du montant des
remboursements, avec un mécontentement accru des cotisants, une perte de
confiance dans le mécanisme, jusqu‟au point où la trésorerie de la mutuelle n‟y
suffira plus et la faillite devient inévitable. Afin d‟éviter de creuser le déficit, il convient
également, s‟agissant du remboursement des médicaments, que le montant des
prescriptions reste à un niveau raisonnable. Or, dans la province d‟Azilal, une
mutuelle communautaire a été confrontée à une augmentation progressive du coût
des ordonnances, ce qui a fini par creuser un déficit impossible à combler avec la
stagnation, puis la baisse du nombre des cotisants. De plus, selon les membres de
l‟association gestionnaire de cette mutuelle communautaire, deux initiatives du
Ministère de la santé sont venues la concurrencer : la décision de gratuité de la prise
en charge des complications obstétricales et des évacuations pour les femmes
enceintes, et la mise en place du Ramed dans la Région de Tadla-Azilal. En d‟autres
termes, les habitants de la commune ne voyaient plus l‟intérêt de verser
régulièrement de l‟argent à une mutuelle alors qu‟il y avait désormais la possibilité
d‟accéder gratuitement à des prestations sans rien payer.
31
Pour une analyse complète des contraintes (et des risques d’échec) des mutuelles de santé locales, on pourra
se reporter notamment à Criel B. (1998) District-based health insurance in sub-Saharan Africa, ITG Press
(SHSOP 9 & 10) (http://www.itg.be/itg/GeneralSite/Default.aspx?WPID=391&MIID=394&L=F).
79
A une toute autre échelle il existe des couvertures médicales pour les salariés.
Ce dispositif ne concerne qu‟une population bien particulière, et plutôt urbaine32.
Mais l‟Assurance médicale obligatoire (AMO) et les mutuelles des salariés sont-elles
toujours d‟une aide décisive pour faciliter l‟accès aux soins et aux médicaments ? A
Salé, les médecins nous faisaient remarquer très justement qu‟un mutualiste peut
être pauvre. La difficulté que rencontrent les mutualistes est l‟obligation qui leur est
faite de devoir avancer le coût des soins et des médicaments et d‟attendre parfois
longtemps avant d‟être remboursés ; dès lors, les mutualistes, comme les non
mutualistes, ont des difficultés pour acheter des médicaments. De plus ni les patients
mutualistes, qui perdent parfois les factures et les documents, ni même les médecins
ne semblent très à l‟aise pour faire face aux exigences administratives pour établir un
dossier de remboursement : « on n’a jamais appris à un médecin à remplir une feuille
de mutuelle. On ne connaît pas le code des actes, ni les ‘valeurs clés’. Il faut écrire le
traitement sur l’ordonnance, s’occuper du malade, écrire le bilan, et remplir la feuille
de soins ! J’ai dû aller sur internet pour aller chercher mon identifiant national de
médecin [qui doit être reporté sur la feuille de soins] » (un médecin de Salé). Si
l‟AMO constitue à l‟évidence une avancée sociale, dans son fonctionnement actuelle
elle n‟est pas toujours pour tout le monde une aide permettant d‟améliorer de façon
décisive, tant pour les patients que pour les soignants, l‟accès aux soins et aux
médicaments. Un médecin de Salé portait ce jugement très sévère : « Dans l’AMO,
ce qui est obligatoire, c’est la cotisation, non le remboursement ».
Quelques observations à propos de la mise en place du Ramed
Azilal est une des provinces pilote choisie pour l‟expérimentation du Régime
d‟assurance maladie pour les économiquement démunis, et c‟est une des raisons qui
a justifié le choix de cette province pour la présente étude. Les informations
concernant le Ramed présentées ici ne correspondent qu‟à une photographie de la
situation à un moment donné. Certains dysfonctionnements qui seront soulignés ont
peut-être été corrigés depuis le moment de l‟enquête, tant la situation est évolutive
avec la perspective d‟une généralisation du Ramed à l‟ensemble du pays d‟ici la fin
de l‟année 2011.
Il est indéniable que la mise en place du Ramed augmente le « confort » de la
population, mais aussi des cliniciens des centres de santé : « Cela nous facilite la
tâche pour les bilans et les consultations spécialisées » (un médecin d‟un centre de
santé). Auparavant, face à un patient pauvre, un clinicien de première ligne pouvait
hésiter voire renoncer à prescrire certains traitements, à demander certains examens
de laboratoire, ou encore, comme le dit ce médecin, à renvoyer le patient vers un
spécialiste d‟un hôpital de référence provincial ou régional. Le Ramed, qui concerne
rappelons-le uniquement la prise en charge hospitalière, permet d‟augmenter la
qualité des soins pour les plus pauvres. Mais si le Ramed est surtout perçu comme
un moyen pour un médecin de première ligne de référer plus facilement les patients
à des niveaux supérieurs de la pyramide sanitaire, et considérant, comme l‟affirmait
ce même médecin que « ici, tout le monde est pauvre », les hôpitaux de référence
auront-ils toujours la possibilité de faire face à l‟augmentation éventuelle de la
demande de soins qui leur sera désormais adressée ? Ici, comme pour le cas de la
gratuité de la prise en charge de la grossesse et de ses complications,
l‟augmentation de la qualité de l‟offre de première ligne requiert une réactivité accrue
32
En 2010, à l’hôpital provincial de Bouârfa, il y a eu, pour une période de 11 mois, 2800 entrants ; l’hôpital n’a
eu à traiter que 26 dossiers d’AMO pour la même période.
80
des structures de référence. A cet égard, un administrateur s‟inquiétait pour
l‟équilibre budgétaire d‟un hôpital pour l‟année 2010, remarquant que l‟hôpital
recevait une subvention de 1 million pour le Ramed alors que la facture s‟élevait à 3
millions.
Les médecins de première ligne nous disaient qu‟ils encourageaient leurs
patients à s‟inscrire pour être éligible au Ramed. La promotion du Ramed et
l‟information sur le dispositif semble encore souffrir d‟un important déficit de
communication. Selon nos interlocuteurs, les personnes s‟inscriraient pour le Ramed
au moment où elles sont malades et ont besoin d‟une hospitalisation. Dans cette
mesure, le temps que l‟ensemble de la procédure soit engagée et aboutisse, la
personne risque d‟être bénéficiaire effective du Ramed lorsque l‟épisode nécessitant
son hospitalisation sera passé. Les certificats d‟indigence qui sont aujourd‟hui encore
généralisés en 2011 pour l‟accès à des soins hospitaliers gratuits, ont été supprimés
dans la province d‟Azilal, précisément en raison de la mise en place du Ramed. Que
se passe-t-il alors lorsque la personne démunie ne bénéficie pas encore du Ramed
mais ne peut plus obtenir de certificat d‟indigence qui lui donne droit à la gratuité des
soins ? Une des solutions est le recours systématique au service des urgences, où il
y a une obligation de soins, mais qui risque d‟être assez vite engorgé pour des cas
qui ne relèvent pas toujours des urgences33. Le manque d‟information se manifeste
aussi lorsque les médecins des centres de santé constatent que des bénéficiaires du
Ramed leur présentent leur carte, alors que, rappelons-le, tout est gratuit pour tout le
monde dans les centres de santé et que le Ramed ne vaut que pour le recours à
l‟hôpital. Enfin, des médecins et des administrateurs ont évoqué des
incompréhensions. Pour être bénéficiaire du Ramed, et si l‟on entre dans la catégorie
« vulnérable » et non pas « démuni », la cotisation s‟élève à 120 dh par an, dans la
limite de 600 dh par an et par foyer en fonction du nombre de bénéficiaires. Bien
souvent, nous faisaient remarquer nos interlocuteurs, le seul contact des populations
avec les centres de santé se fait autour de l‟accouchement, qui est gratuit. Dès lors,
certains bénéficiaires « vulnérables » du Ramed ne comprendraient pas pourquoi ils
doivent payer de 120 à 600 dh par an pour une prestation qui est également délivrée
pour des personnes qui ne cotisent pas. « On n’a pas suffisamment expliqué les
droits. On explique que le Ramed est fait pour les maladies lourdes, graves, pour
l’hospitalisation, mais ils ne veulent rien entendre. [Pour les bénéficiaires] la carte
devrait donner droit à 100% de gratuité et à la priorité », selon un médecin d‟un
centre de santé.
Autour de la question de l‟éligibilité règne également certaines incertitudes.
Les critères semblent inadaptés pour certains : un administrateur nous signalait
qu‟un homme qui était propriétaire d‟une vache était considéré comme pauvre, alors
que selon lui, une vache équivaut à un revenu, et donc son propriétaire ne devrait
pas nécessairement être identifié comme éligible au Ramed. Les changements de
situation familiale, non officialisée, sont difficiles à prendre en compte, ainsi, une
femme mariée, délaissée par son mari mais toujours officiellement en couple, ne
pourra prétendre à bénéficier en son nom propre du Ramed car on ne pourra pas la
faire entrer dans la catégorie de « veuve », nous disait un administrateur de l‟INDH.
Et les personnels de santé sont parfois confrontés à des arrangements assez
grossiers de la part de bénéficiaires qui changent de situation mais ne veulent pas
33
Précisons qu’il s’agit là d’une problématique bien connue en Europe où les services des urgences des hôpitaux
sont souvent des recours de premier contact pour les patients les plus pauvres qui ne bénéficient pas de
couverture sociale.
81
recommencer toute la procédure : un homme qui change de femme, changera la
photo sur la carte, mais le nom de l‟épouse restera inchangé. Il existerait cependant
une certaine latitude quant à la décision d‟éligibilité : « pour encourager le Ramed, on
ferme un peu les yeux. Dès qu’une personne dit ne pas avoir les moyens, on lui
conseille de monter un dossier. Il suffit de déclarer la personne auprès du cheikh »,
nous disait un médecin. Désormais, nous précisait un administrateur impliqué dans
la mise en place du Ramed, le comité local pour statuer sur l‟éligibilité au Ramed est
présidé par le caïd et non plus par le président de la commune. Peut-être s‟agit-il là
d‟une mesure pour éviter le clientélisme, mais aussi pour favoriser une meilleure
fluidité dans la circulation du dossier.
Le montage des dossiers et l‟aboutissement de la procédure est une
préoccupation de tous les types d‟acteur, personnels du Ministère de la santé et
administrateurs à la Province. Le remplissage des formulaires du dossier par les
comités locaux, puis son acheminement vers le niveau provincial, les va-et-vient
entre les deux niveaux pour compléter certaines informations, ne se font pas toujours
aisément. Les techniciens qui saisissent les données sont parfois mal formés et font
alors beaucoup de fautes : c‟est ainsi qu‟en raison d‟une erreur de saisie, la
personne éligible identifiée comme « pauvre », donc exonérée de cotisation, devient
« vulnérable », et soumise à cotisation ; la classification est opérée automatiquement
par une application informatique après l‟attribution d‟un score résultant des données
saisies pour chaque critère d‟éligibilité. Des bénéficiaires préfèreraient être classés
comme « pauvres », nous a-t-on dit, plutôt que comme « vulnérables » afin de ne
pas payer la cotisation de 120 dh. Les dossiers sont établis par chef de ménage, qui
signe, parfois avec quelques difficultés lorsqu‟il n‟a pas été scolarisé. Ajouter un
nouvel enfant parmi les ayants droit se ferait difficilement, les changements de
situation devant être enregistrés par le niveau central, à Rabat. Les dossiers
n‟auraient pas prévus la situation de polygamie ; ajouter une seconde épouse parmi
les ayants droit du Ramed exigerait de monter un nouveau dossier. Le Ramed, en
soi, est une mesure appréciée et qui rend de nombreux service ; les critiques portent
surtout sur la rigidité et la centralisation du dispositif, ce qui se traduit en particulier
par des délais importants avant que le bénéficiaire entre en possession de sa carte
établie au niveau central, à Rabat.
Entre le moment de la décision d‟éligibilité et l‟obtention de la carte, le
bénéficiaire se voit établir un reçu, valable trois mois, qui lui permet d‟accéder à des
soins gratuits au titre de bénéficiaire du Ramed. Il arrive que la carte ne soit pas
délivrée après trois mois, et le reçu n‟étant plus valable, l‟hôpital n‟est plus censé
alors délivrer des prestations gratuites. Dans ce cas de figure, faut-il faire payer le
bénéficiaire du Ramed au seul prétexte qu‟il n‟a pas encore reçu sa carte ? En
théorie, oui, car les hôpitaux, désormais autonomes, doivent justifier toute
exonération en présentant des justificatifs valides, au risque de voir leur direction
accusée de détournement, nous faisait remarquer des administrateurs. En pratique, il
y a des arrangements locaux, comme la rétention de la carte d‟identité du
bénéficiaire du Ramed par l‟hôpital, ou encore l‟intervention directe de l‟autorité
locale (Caïdat, Province) qui pèse alors de tout son poids pour exiger et prendre la
responsabilité de la gratuité de la délivrance de soins et de médicaments à un
« ramédiste » qui n‟est pas encore entré en possession de sa carte.
82
Un autre problème évoqué ressortit à la « territorialisation » du Ramed. Le
Ramed est pour l‟instant organisé à l‟échelle de la région de Tadla-Azilal, et les
bénéficiaires du Ramed de la province d‟Azilal, doivent suivre la filière de soins telle
qu‟elle est organisée dans la carte sanitaire. En d‟autres termes, dans la situation qui
nous a été décrite, un « ramédiste », avec sa carte, ne pouvait bénéficier de
l‟exonération de paiement qu‟auprès de l‟hôpital provincial d‟Azilal. Par ailleurs, du
fait de l‟instauration du Ramed dans cette province, les certificats d‟indigence
habituellement délivrés par les autorités locales pour pouvoir bénéficier de la gratuité
dans les hôpitaux ont été supprimés. Nous avons fait remarquer ci-dessus, que pour
certaines localités, en fonction de leur localisation dans la Province, il était plus aisé,
moins risqué, moins onéreux et plus rapide, de procéder à des évacuations vers
Marrakech ou vers Beni Mellal. Or comme ces villes relèvent d‟autres provinces,
d‟une part, et que le Ramed n‟est pas encore instauré pour Marrakech, où seuls les
certificats d‟indigence sont pris en compte pour pouvoir bénéficier de la gratuité, le
bénéficiaire du Ramed devra donc payer pour les soins qui lui seront délivrés par un
établissement de Marrakech. Cette situation devrait être prochainement corrigée du
fait de la généralisation du Ramed dans l‟ensemble du Maroc. Nous ignorons
cependant si, à l‟avenir, les bénéficiaires du Ramed, une fois que la généralisation
sera effective, devront strictement respecter la filière de soins conformément à la
carte sanitaire, ou s‟ils pourront recourir à n‟importe quel hôpital, situé à n‟importe
quel niveau de la pyramide sanitaire, et bénéficier toujours et partout d‟une
exonération. Plus précisément, en cas de nécessité, du fait par exemple de
l‟absence de certaines consultations spécialisées à l‟hôpital provincial, ou pour des
raisons de proximité géographique qui rend le recours à un hôpital d‟une autre
province que sa province de résidence plus aisé, le bénéficiaire du Ramed devra-t-il
nécessairement passer par l‟hôpital de « sa » province, pour obtenir une fiche de
liaison, avant d‟atteindre l‟hôpital « extra-provincial » plus adapté à sa situation, avec
tout ce que cela peut entraîner de retard et de complication pour réaliser la prise en
charge ? D‟un autre côté, en l‟absence d‟une régulation minimale, certains hôpitaux
risquent peut-être de devoir faire face à une augmentation de fréquentation difficile à
absorber.
Beaucoup de questions restent en suspens à propos de la mise en place du
Ramed, et des améliorations sont à apporter dans le fonctionnement du dispositif. Le
journal L’Économiste, à la fin de l‟année 2010, se faisait l‟écho, comme d‟autres
organes de presse, des conclusions des résultats de l‟évaluation faite par le cabinet
EMC sur l‟expérience du Ramed dans la région de Tadla Azilal, avec un article au
titre évocateur : « Ramed. Un an après. Pourquoi ça ne marche pas ? » 34. L‟article
pointait de nombreux dysfonctionnements comme le manque de clarté sur l‟éligibilité,
des problèmes de gestion, des inégalités selon les provinces, l‟insuffisance de
ressources humaines pour traiter les dossiers, une absence de cadre claire quant
aux contributions des communes, et une offre de soins pas toujours satisfaisante,
autant de points qui, peu ou prou, ont été évoqués par nos interlocuteurs. Dans un
article plus récent de ce même journal35, consacré à la généralisation du Ramed, il
était fait état d‟une réunion technique dont une des conclusions était la nécessité de
mettre l‟accent « sur les spécificités du monde rural et la rationalisation des
opérations de distribution des cartes pour bénéficier du régime ». L‟État semble donc
bien conscient des difficultés identifiées.
34
35
Edition du 26/11/2010 disponible sur le site internet du journal.
« Dernière ligne droite pour le Ramed ! », L’Economiste, n° 3542 du 1/06/2011.
83
Rapprocher les soins de la population
Une alternative complémentaire aux mesures prises en faveur de
l‟amélioration de l‟accès aux prestataires consiste à aller vers la population, et là
aussi plusieurs initiatives sont prises, soit par le Ministère de la santé dans le cadre
des campagnes mobiles, soit par des associations à l‟occasion de « caravanes
médicales ».
Les équipes mobiles
Afin de faire bénéficier certaines populations localisées dans des zones
difficiles d‟accès, des « équipes mobiles » sont organisées à partir des centres de
santé publics. Ce sont les personnels d‟un centre de santé qui se déplacent pour
offrir des prestations dans la limite du territoire de leur circonscription sanitaire. En
milieu rural, ce sont les communes qui mettent à disposition véhicule, chauffeur et
carburant, et qui permettent donc aux personnels soignants du Ministère de la santé
de délivrer des prestations en dehors de leur centre de santé. A notre connaissance,
ces initiatives ont essentiellement pour objectif de proposer des prestations
préventives : vaccination des jeunes enfants, consultation prénatale, santé scolaire,
notamment. Les sorties effectuées peuvent être des sorties « à thème » : une fois
pour la vaccination, une autre fois pour les maladies respiratoires ou pour l‟hygiène
scolaire, etc.
De telles « campagnes mobiles » sont organisées aussi dans la préfecture de
Salé, pour de nouveaux quartiers, soit des zones qui sont mal desservies par des
centres de santé, difficiles d‟accès, et pour lesquelles la couverture téléphonique,
voire l‟électrification sont incomplètement assurées. Des autorités sanitaires ont
aussi évoquées des zones « qui ne veulent recevoir aucun officiel ». Dans ces
zones, existe un local, construit parfois avec l‟appui de l‟INDH, qui est le point où
l‟équipe mobile de santé va stationner pour délivrer ses prestations. De telles zones
ne sont pas toujours nécessairement ciblées comme « quartiers INDH », au plus
grand désarroi des responsables locaux de l‟INDH. Procéder à des campagnes
mobiles exige une équipe disponible qui peut s‟abstraire des contraintes des
prestations délivrées dans son centre de santé, suffisamment motivée (il semble que
les personnels ne touchent aucune indemnité particulière en lien avec leur
participation à ces équipes mobiles), mais également un véhicule fonctionnel. Nous
avons déjà évoqué, pour Salé, la question du vieillissement du parc automobile.
Les équipes mobiles ne rencontrent pas toujours un franc succès. Elles ne
sont pas toujours médicalisées, faute de médecin disponible. Si elles se déplacent
avec quelques médicaments, cela ne leur permet cependant pas de faire face à
toutes les demandes, ce qui est un motif de déception des populations. De plus, des
médecins ou des autorités locales nous ont signalé que certains habitants de leur
région préféraient le recours au centre de santé : « il y a des douars dans lesquels
les femmes refusent l’équipe mobile. Elles préfèrent venir au centre. C’est l’occasion
pour elles de faire le souk ou de voir leurs familles » (un caïd).
Théoriquement, les déplacements sont programmés une fois par trimestre à
partir du centre de santé. L‟équipe mobile, normalement composée d‟un médecin,
d‟une sage femme et d‟un infirmier, va se positionner le plus souvent dans une école,
notamment pour voir les enfants mais pas seulement. Certaines équipes mobiles, en
zone d‟élevage, se positionnent au point où les éleveurs ont l‟habitude d‟emmener
leurs bêtes pour une inspection vétérinaire. Néanmoins, le lieu où l‟équipe mobile va
84
stationner peut être parfois situé dans une zone contestée par deux tribus en conflit à
propos des zones de pâturages. Les conflits peuvent aussi avoir pour origine, nous
a-t-on dit, des rivalités politiques liées aux élections : telle école, point de
stationnement retenu par l‟équipe mobile, est située sur le territoire de telle tribu dont
le leader est affilié à un parti politique rival de celui dont se réclame le leader des
ressortissants de la tribu voisine. Dans un tel contexte, les ressortissants de la tribu
A sous aucun prétexte ne se rendront au lieu de stationnement de l‟équipe mobile
situé sur le territoire de la tribu B. Dans ces circonstances, afin de pouvoir toucher le
maximum de personnes, l‟équipe mobile sera contrainte de multiplier les arrêts dans
une même zone.
Les « caravanes médicales »
Des associations prennent également des initiatives pour rapprocher les soins
du patient en organisant des « caravanes médicales » qui réunissent ponctuellement
des spécialistes du secteur public et/ou du secteur privé. L‟initiative en revient
généralement à des « bienfaiteurs » et des originaires d‟une région ayant émigré
dans une autre région du Maroc ou à l‟étranger, et soucieux de rendre service à leur
communauté d‟origine. Nous avons eu connaissance de l‟organisation de telles
caravanes dans les deux provinces de Figuig et d‟Azilal. L‟organisation de caravanes
dans la province de Figuig est particulièrement illustrative : une forte identité liée à
l‟histoire ancienne et récente, avec le sentiment des ressortissants originaires de
cette région qu‟il est de leur devoir d‟agir pour « leur région » ; une diaspora
importante au Maroc et aussi à l‟étranger de chefs d‟entreprises, de commerçants,
mais aussi de médecins qui ont la possibilité de mobiliser des fonds et des
personnes ; le sentiment d‟une zone délaissée par les pouvoirs publics, tout
particulièrement dans le domaine de la santé ; une population très dispersée qui a
peu accès aux prestations sanitaires. L‟exemple de Figuig est également très
illustratif des contraintes et limites de telles initiatives.
Contrairement aux équipes mobiles dont les activités sont plutôt orientées
vers la prévention en soins primaires, les caravanes médicales rassemblent
ponctuellement des spécialistes qui proposent des consultations curatives. Un
médecin ayant participé à ces caravanes nous confiait qu‟elles pouvaient rassembler
jusqu‟à une vingtaine de spécialistes, Marocains du Maroc, Marocains résidant à
l‟étranger ou encore étrangers, et qui pouvaient, dans l‟ensemble, consulter jusqu‟à
3000 personnes par jour. Ce chiffre est sans doute surévalué ; une infirmière d‟une
association de Figuig nous dressait le bilan suivant quant aux types et au nombre de
consultations réalisées pendant trois jours au cours d‟une de ces caravanes en mai
2009, soit au total 523 :
- Consultations ophtalmologiques : 134
- Consultations cardiologie
: 80
- Consultations diabétologie
: 80
- Consultations de néphrologie
: 59
- Consultations chirurgie dentaire : 62
- Consultations ORL
: 76
- Circoncisions
: 32
85
Un médecin a même évoqué la proposition de consultations de psychiatrie, au
cours de telles caravanes. Des personnes interrogées en population générale ont
précisé que des médicaments étaient distribués gratuitement au cours de ces
caravanes. Ces caravanes viennent avec leur matériel (on nous a parlé
d‟échographe, d‟appareil de radiologie), et leurs réactifs, dont l‟envoi précède
l‟arrivée des spécialistes. Les consultations peuvent être itinérantes ou délivrées à
partir d‟un local fixe déjà équipée appartenant à une association. Ces caravanes sont
organisées avec l‟appui des autorités locales (pachas, caïds, maires) et des
délégations provinciales de la santé qui peuvent autoriser médecins et infirmiers de
la Santé publique à y participer.
Ces caravanes, en première intention, dans les propos de tous les types
d‟acteurs, sont souvent présentées comme une alternative à développer pour pallier
le manque de consultations spécialisées localement, notamment pour les
populations les plus éloignées des grands centres urbains. Néanmoins, un certain
scepticisme finit aussi par transparaître, tant à propos de l‟impact que de la finalité et
de l‟organisation de telles initiatives.
Des médecins ont évoqué leur frustration de ne livrer que des diagnostics au
cours de ces caravanes sans possibilité de réelle prise en charge. Un médecin, au
cours d‟une caravane itinérante dans les montagnes et plus particulièrement axée
sur la santé des enfants scolarisés, se félicitait d‟avoir pu diagnostiquer plus d‟une
dizaine d‟ectopies36 chez des jeunes garçons. A la question de ce qui était conseillé
de faire après un tel diagnostic, la réponse était que la seule solution était une
opération chirurgicale à Oujda, une lettre de recommandation adressée à un
chirurgien était remise à la famille. Ce type de situation nous a été confirmé par un
bénéficiaire de prestations offertes lors d‟une caravane et qui souffrait des yeux : « le
weekend dernier, une caravane passait à Bouârfa et un ophtalmologue m’a dit que je
devais subir des séances de laser car ma rétine était touchée par le diabète ».
L‟absence de proposition concrète de prise en charge après une consultation
spécialisée laisse donc parfois le patient, désormais informé de son mal, seul avec
son nouveau problème de santé identifié.
Avant la venue des spécialistes, une préparation préalable de l‟opération est
nécessaire, et, il n‟est pas aisé de pouvoir tout contrôler à distance. Des médecins se
sont plaints que les patients qu‟ils ont vus avaient été présélectionnés : « Les gens
que nous avions vus pour la plupart ne présentaient pas de pathologie. C’étaient des
gens qui n’avaient pas besoin de radio que nous avions radiographiés. C’étaient les
gens sur place qui nous avaient envoyé leurs parents et leurs proches » (un médecin
privé ayant participé à une caravane). Ce même médecin nous confiait aussi que les
réactifs envoyés en avance pour réaliser des examens au cours de la caravane
avaient déjà été utilisés avant que l‟équipe n‟arrive sur place.
Ces caravanes mobilisent un équipement important, telle la mise en place
d‟un bloc ophtalmologique dans une clinique associative, ou encore l‟achat
d‟échographe ou d‟appareil de radiologie. Ces appareils, au statut incertain 37,
risquent de n‟être utilisés qu‟à l‟occasion de la venue du spécialiste compétent. Dans
d‟autres cas, en revanche, les spécialistes participant à ces caravanes peuvent être
36
L’ectopie testiculaire désigne l’existence d’un testicule en position anormale. Elle comporte un risque de
stérilité et de cancer du testicule, et la solution est chirurgicale.
37
A qui appartiennent-ils ? Au « bienfaiteur » qui les aura achetés ? A l’association organisatrice de la
caravane ? A l’association qui les réceptionnera ? Peuvent-ils ou non être remis au Ministère de la santé par la
suite ?
86
amenés à utiliser du matériel de la Santé publique et habituellement inutilisé par les
personnels de santé faute de formation, comme les échographes.
Dès lors, faut-il ou non favoriser ces caravanes ? Des médecins, participant à
ces caravanes, ont déploré l‟absence d‟une collaboration réelle des autorités
locales : ces initiatives leur échapperaient totalement, nous disait-on en substance,
et ces autorités préfèrent pouvoir contrôler l‟ensemble des opérations qui se
déroulent sur « leur » territoire. Cependant, aucun fait précis ne nous a été
communiqué à propos de cette « mauvaise volonté » des autorités locales. Un élu,
pour sa part, rejetait la responsabilité des difficultés à organiser de telles caravanes
sur le niveau central du Ministère de la santé : « La solution [pour répondre aux
besoins de la population] serait 4 à 5 caravanes de santé chaque année, avec l’appui
de bienfaiteurs, et l’appui logistique fourni par [une association]. Mais le Ministère
refuse les caravanes ». D‟autres interlocuteurs s‟interrogent sur la finalité réelle de
telles caravanes : « Ce sont des commerçants ! Ils font des caravanes mobiles pour
l’ophtalmo, ils donnent des montures, et demandent à la population d’acheter les
verres. Je ne peux pas accepter cela » (un membre d‟une équipe d‟une délégation
de la santé). Pourtant, c‟est sans doute dans le domaine de l‟ophtalmologie que les
caravanes s‟avèrent les plus efficaces.
En conclusion, nous citerons cette analyse d‟un élu à propos des enjeux et
contraintes liés à l‟organisation de ces initiatives : « … comme la situation s’est
dégradée, nous avons décidé avec les médecins d’arrêter [de favoriser les
caravanes médicales] pour ne pas cacher la réalité. Nous avons des médecins… qui
sont prêts à venir 4 fois par an, mais ce n’est pas la solution. Ils ont la crainte de
créer un besoin qu’on ne peut pas résoudre. Et si un cancer et dépisté, qu’est-ce
qu’il est possible de faire après ? C’est la responsabilité du Ministère mais les
associations ont pris la santé en charge, comme le Ministère s’est désengagé ».
Créer un besoin à partir de consultations spécialisés proposées ponctuellement par
des médecins venant de l‟extérieur, c‟est aussi peut-être exposer les médecins qui
restent sur place à recevoir des demandes qu‟ils ne pourront pas satisfaire, et à les
décrédibiliser aux yeux de la population.
Acteurs, système de santé et gouvernance locale
L‟organisation des caravanes médicales, ou encore la gestion des
ambulances, nous a conduits au cœur des interactions entre les différents types
d‟acteurs qui interviennent dans les systèmes de santé locaux. Nous voudrions
achever la présente partie sur les questions de gouvernance locale dans le domaine
de la santé en revenant sur les positionnements de ces différents acteurs.
Les élus
Ils ont à l‟évidence une claire conscience de l‟importance des problèmes de
santé et d‟accessibilité. Dans des régions comme les provinces de Figuig ou d‟Azilal,
qui sont considérées comme ayant un fort potentiel pour le tourisme, l‟absence d‟un
système de santé local performant et réactif fait figure aussi de handicap pour le
développement : avoir l‟assurance de pouvoir être soigné rapidement et efficacement
en cas d‟accident lors d‟une randonnée, par exemple, serait un argument
supplémentaire pour attirer les touristes. Par ailleurs, disposer d‟un hôpital, c‟est
aussi maintenir des emplois et avoir une infrastructure permettant de favoriser une
fixation de populations qui optent actuellement pour l‟exode en faveur des localités
plus grandes et mieux équipées. On aura vu également combien, la modification de
87
la carte sanitaire qui a transformé des hôpitaux locaux en centres de santé urbain est
considérée par ces élus comme un déclassement, voire un abandon relatif de leur
commune par l‟État.
Les élus réclament davantage de médecins, des spécialistes, des hôpitaux de
proximité, déplorent d‟une manière générale le manque de ressources humaines ; ils
constatent parfois dans leur commune une assiduité très relative des médecins du
secteur public à leur poste. Ils manifestent leur mécontentement par des courriers
adressés au Ministère de la santé, et lorsqu‟ils sont aussi parlementaires, ils
interpellent directement la Ministre de la santé au Parlement sur le thème de la
santé. Ils se montrent aussi parfois plutôt favorables à des manifestations se rue
dans leur commune qui revendiquent une amélioration du système de santé local.
Ils insistent sur les spécificités locales : la dispersion de la population, les
difficultés liées au relief et au climat, ou au contraire la densité de la population pas
toujours très bien évaluée dans des zones urbaines où la population est très instable.
Parfois, ce sont aussi les particularités historiques qui sont mises en avant. Un élu de
la province de Figuig, par exemple, nous déclarait : « Il faut un rideau de la santé,
face à l’Algérie. Il y a la distance, c’est un lieu stratégique. Et Figuig a vécu : on ne
peut pas parler de réparation communautaire si on ne parle pas d’accès à la santé.
Une vraie réparation communautaire serait un hôpital avec un spécialiste ». Face à
leurs demandes, voire à leurs revendications, le Ministère de la santé leur répond
normes et standards (en matière d‟équipements, de ratio personnels de
santé/habitants), ce qui ne les satisfait guère, précisément du fait des spécificités de
leur commune et de leur région qui devraient inviter, selon eux, à réviser les normes.
Des administrateurs nous ont fait remarquer que parfois, les élus communaux
n‟avaient pas toujours la formation suffisante pour pouvoir établir et suivre un dossier
de financement. Tous ne parlent pas, et a fortiori n‟écrivent pas le français. La
maîtrise des procédures et de la passation des marchés, la transparence budgétaire,
la rédaction de procès-verbaux de réunion, demandent un savoir faire dont ils ne
disposent pas toujours. L‟appui d‟un administrateur pour la mise en place de projets
est parfois mal vécu par les élus qui ont alors l‟impression que la Province, l‟INDH, le
Ministère de la santé, empiètent sur leurs prérogatives.
Certaines revendications semblent justifiées, mais à l‟évidence ouvrir un
hôpital où exerceraient des spécialistes dans des communes de taille modeste, aussi
« reculées » soient-elles, apparaît peu réaliste. L‟existence préalable d‟hôpitaux
locaux exacerbe de telles revendications. Aux dires de certains de nos interlocuteurs,
sans aller jusqu‟à l‟ouverture d‟un hôpital, les pouvoirs publics accèdent parfois aux
demandes politiques de manière injustifiée, comme cette ouverture, dans la province
d‟Azilal, d‟un centre de santé avec un médecin et un infirmier distant de 3 kilomètres
d‟un autre centre de santé médicalisé.
Les autorités locales
Les autorités locales (caïds, pachas, gouvernorats) sont également très
engagées dans le domaine sanitaire. Elles ont à intervenir directement dans le
domaine de la surveillance et ont été impliquées dans la gestion des mesures prises
pour prévenir l‟épidémie de grippe H1N1. C‟est également sous leur responsabilité
directe que se font, par exemple, les abattages des chiens pour lutter contre la rage,
ou encore les campagnes de dératisation pour lutter contre la leishmaniose.
88
Elles sont également impliquées en participant, et en présidant le plus souvent
les réunions des commissions locales de santé, entre autres lorsqu‟il s‟agit
d‟examiner des projets soumis à l‟INDH. Dans ce cas, elles président, mais ne
prennent pas part au vote. Rappelons également que les activités locales de l‟INDH
sont menées sous couvert des directions provinciale ou préfectorale des affaires
sociales, elles-mêmes placées directement sous l‟autorité du Gouverneur.
Elles reçoivent régulièrement des plaintes des administrés se rapportant à la
santé, plaintes qu‟elles répercutent auprès des agents locaux du Ministère de la
santé. Elles sont aussi amenées à intervenir directement, et donc à peser de tout
leur poids de représentants du Ministère de l‟intérieur, pour régler certaines
situations, comme la mise à disposition d‟une ambulance avec un chauffeur ou
encore l‟accès à des soins gratuits pour les bénéficiaires du Ramed qui n‟ont pas
encore reçu leur carte.
Les associations
Selon les sites, elles sont plus ou moins présentes et plus ou moins actives.
Les élus, les agents communaux, mais aussi des personnels de santé sont
régulièrement impliqués dans l‟animation de ces associations. L‟ampleur de leurs
activités est très variable. Il peut s‟agir d‟activités de sensibilisation, de suivi de projet
de dar al oumouma, de montage de mutuelle, de soutien à un infirmier bénévole qui
fait du porte à porte pour le suivi des femmes et des enfants, par exemple ; les
projets sont alors limités à une commune et bénéficient d‟un financement local,
parfois avec le soutien de l‟INDH. Cependant, même localement, des associations
ont des activités de plus grande ampleur, réalisées notamment grâce à des bailleurs
étrangers (électrification de dispensaires, création d‟infrastructures sanitaires,
campagne de lutte contre le VIH/sida, etc.). Les caravanes médicales, on l‟a vu, sont
organisées dans un cadre associatif ayant une dimension nationale et bénéficiant de
soutiens internationaux. Citons également ici le Croissant rouge, qui a été très actif
dans la région de Figuig notamment, et qui gère des infrastructures sanitaires parfois
de dimensions conséquentes.
Le manque d‟associations dans une zone est ressenti comme un handicap par
les responsables de l‟INDH. L‟absence de dynamique associative a surtout été mise
en avant pour Salé. Certaines zones étaient totalement dépourvues d‟associations et
il a fallu en « importer », selon l‟expression utilisée par un représentant de l‟INDH.
Quand on trouve des associations, leurs membres sont souvent instables et
précaires : « il y a beaucoup de chômeurs », ce qui n‟est guère une garantie de
pérennité de l‟activité de l‟association. De plus la majorité des associations de Salé
seraient peu concernées par les problèmes de santé, donnant la priorité aux
questions relatives à l‟emploi (et aux activités génératrices de revenus), surtout des
femmes, à la scolarisation et à l‟organisation des loisirs des enfants (colonies de
vacances, par exemple). Des représentants de l‟INDH de Salé regrettaient que les
activités dans le domaine de la santé se limitent le plus souvent à des campagnes de
sensibilisation. Néanmoins certaines associations, à Salé comme dans les autres
sites, peuvent être d‟un apport non négligeable pour la prise en charge et
l‟accompagnement de certains malades chroniques, comme les diabétiques,
proposant examens à prix réduit et éducation thérapeutique.
Dans le cadre associatif, comme dans le cadre des institutions publiques, le
problème des ressources humaines se posent, en termes quantitatif, mais aussi
statutaire. La participation de médecins ou de personnels de santé en général non
89
fonctionnaires à des missions de service public dans le domaine des soins primaires
apparaît, à écouter des « médecins associatifs » ou encore des administrateurs, faire
l‟objet d‟une certaine réserve de la part des pouvoirs publics. Le bénévolat de
médecins privés exerçant dans le cadre associatif, nous disait un médecin, est peu
considéré par le Ministère de la santé qui craindrait le « détournement des patients
du publics à leur profit ; mais aussi la peur de révélation de dysfonctionnements [du
secteur public] », sous entendu, l‟activité associative peut réussir là où le secteur
public échoue. Pour pallier le manque de ressources humaines dans les structures
publiques, des associations, voire des élus, seraient prêts à rémunérer un personnel
formé dans des écoles privées, « qui chôme » (en particulier des infirmier/es), et qui
pourraient travailler dans les centres de santé publics. Cependant, en l‟absence
d‟accréditation de ces formations privées et d‟accord entre le Ministère de la santé et
ces écoles, cette alternative n‟est pas réglementairement recevable. A l‟inverse, des
associations disposant d‟infrastructures équipées souhaiteraient pouvoir bénéficier
de l‟affectation d‟un personnel du secteur public, éventuellement rémunéré par
l‟association. La réponse à de telles demandes serait alors moins l‟insuffisance
chronique de personnels dans la fonction publique que les incertitudes, d‟une part,
sur le statut juridique des infrastructures associatives en question, et d‟autre part sur
le statut des fonctionnaires une fois dans l‟association.
Ces arguments ayant trait aux incertitudes réglementaires et juridiques
s‟agissant du personnel et des relations entre le secteur public et le secteur
associatif ne sont sans doute valables que pour les soins primaires, avec les
contraintes spécifiques de rationalisation de la carte sanitaire. Il est sans doute plus
facile d‟envisager l‟affectation d‟un personnel de la fonction publique dans des
associations dont les activités concernent une pathologie en particulier, comme le
VIH/sida ; en effet nombre d‟associations opérant dans ce domaine, à notre
connaissance, bénéficient de prestations de personnels de santé du secteur public
qui sont alors en situation de détachement. Soulignons que le débat sur la
complémentarité entre le secteur privé à but non lucratif et le secteur public, pour les
pays à ressources limitées a été lancé au moins depuis la fin des années 1990 38, et
des expériences de contractualisation précisant les obligations de service public des
institutions privées à but non lucratif, y compris dans le domaine des soins primaires,
existent depuis longtemps en Afrique subsaharienne, donc dans des pays où les
ressources humaines sont encore plus rares.
Les personnels du Ministère de la santé
Dans ce contexte, le travail des agents du Ministère de la santé au niveau
provincial, et notamment au sein des délégations de la santé n‟est pas toujours très
facile. Les médecins et personnels de santé des structures publiques, qui certes ne
manifestent pas toujours une assiduité exemplaire à leur poste de travail, sont donc
soumis à des pressions importantes de la part des populations et des autorités
locales, et pas toujours pour de bonnes raisons selon eux. Témoins impuissants de
manifestations devant leur centre, ou encore pris à parti dans des plaintes qui
remontent jusqu‟à la Ministre de la santé, ils peuvent avoir le sentiment d‟être les
boucs émissaires d‟une situation générale de dégradation des conditions de vie :
« Les revendications de la population sont n’importe quoi ! Elles renvoient aux
problèmes internes de la municipalité, et la population ne sait pas toujours pourquoi
38
Cf. par exemple D. Giusti, B. Criel, X. De Béthune (1997) « Viewpoint : public versus private health care
delivery : beyond the slogans », Health Policy and Planning, 12 (3) : 193-198.
90
elle manifeste [devant le centre de santé]. Il y avait des revendications qui n’avaient
rien à voir avec la santé, par exemple sur la régularisation des taxis clandestins. Si tu
prenais quelqu’un dans la manifestation et que tu lui demandais pourquoi il était là, il
ne pouvait pas répondre… Au début, ces manifestations t’affectent et tu essayes de
comprendre ; après, tu t’en fiches ! » (un médecin chef d‟un centre de santé).
Certains des personnels de santé rencontrés ont le sentiment de ne pouvoir prendre
aucune initiative et que toute décision concernant leur centre suppose l‟aval du
Délégué provincial de la santé : « ll faut toujours l’accord du Délégué pour tout, y
compris pour l’achat d’étagères » (un médecin chef). Cependant, nous avons pu
constater que dans certains centres de santé, les médecins chefs n‟hésitaient pas à
prendre des initiatives quant à l‟aménagement de leur établissement ; l‟absence de
possibilité d‟initiatives due au strict respect de la ligne hiérarchique n‟est donc pas
inéluctable.
Les délégués provinciaux et préfectoraux de la santé sont souvent en
« première ligne » pour recevoir les récriminations des acteurs de leur délégation, et
les demandes d‟explication venant du niveau central. Comme nous l‟avons entendu
dans le milieu associatif, lorsque l‟appui à des caravanes médicales est jugé
insuffisant, lorsque des personnels du Ministère de la santé ne sont pas affectés
dans un établissement de santé qui vient d‟être construit dans le cadre d‟un projet
associatif, lorsque le Ministère tarde ou refuse l‟équipement de cet établissement, la
responsabilité en est volontiers imputée aux délégués. C‟est le délégué aussi,
comme nous en avons pu en être les témoins directs, qui reçoit les appels du
Gouverneur, du Secrétaire général de la province, notamment, pour autoriser
l‟exonération d‟un « ramédiste » qui n‟a pas encore obtenu sa carte, ou pour obtenir
des explications sur l‟absence de tel spécialiste, ou de tel personnel de l‟hôpital face
à une urgence. Lorsqu‟il faut fournir des informations sur une situation particulière
(une grève, la gestion d‟une épidémie, une information sanitaire précise à fournir
pour une réunion au niveau central, etc.), les directions du Ministère de la santé,
voire le cabinet de la Ministre s‟adressent au directeur régional, qui s‟adressera aux
délégués. Il est vrai que le seul lieu où l‟on peut trouver des informations précises
s‟agissant de la situation dans les différentes régions sont les délégations, et en
particulier leurs services d‟infrastructure et d‟action ambulatoire provinciaux/
préfectoraux (SIAAP), qui disposent de techniciens compétents et où, effectivement,
on peut obtenir des informations à la demande et très rapidement, comme nous en
avons pu faire l‟expérience.
Sollicités et interpellés de toute part, les délégués doivent aussi parfois se
protéger en prenant les devants et informer alors préventivement, si l‟on peut dire,
leur hiérarchie de certaines situations afin d‟éviter les plaintes : « J’ai dû écrire à la
Ministre [pour me plaindre de l’action d’une personnalité locale]. Si j’en reste au
niveau local, je vais avoir des plaintes qui vont évoquer le fait que je ne favorise pas
les actions de proximité, etc. » (un délégué). En fait tous nos interlocuteurs
(délégués, mais aussi élus, représentants du Ministère de l‟Intérieur, représentants
de l‟INDH, membres d‟association) reconnaissent que les délégués ont un pouvoir
limité, notamment dans le domaine de la gestion des ressources humaines : « Le
délégué [de la santé] fait ce qu’il peut. Il n’y a pas de vraie décentralisation… il n’a
pas de pouvoir. Il devrait avoir la possibilité de proposer des mutations » (un élu).
91
L’INDH
L‟INDH est un acteur important du développement sanitaire des provinces et
préfectures. Les projets élaborés et retenus requièrent un appui technique important
de la part des sections locales de l‟INDH. Ces projets parviennent à voir le jour à la
suite d‟un processus participatif très élaboré, qui répond à un code de procédure
strict, et qui exigent des analyses de situation, des visites des experts de l‟INDH, des
circulations de dossier entre les porteurs de projet et les comités
provinciaux/préfectoraux de développement local pour une validation définitive. Des
conventions doivent être établies pour chaque projet et un suivi est réalisé sous la
supervision d‟agents des directions des affaires sociales en charge localement des
projets INDH.
Les représentants de l‟INDH sont confrontés eux aussi à des problèmes de
disponibilité et de formation de leurs personnels et de leurs interlocuteurs. Tout
d‟abord, au sein même des équipes de l‟INDH, les personnels n‟ont pas toujours les
formations suffisantes pour assurer le montage et le suivi de projets, qui exigent des
connaissances particulières sur le dispositif participatif et le code de procédures.
Leurs interlocuteurs des communes, des quartiers, des associations, ne disposent
pas toujours de toutes les compétences nécessaires pour élaborer et suivre un projet
avec toute la rigueur nécessaire. Pour la validation des projets, ils rencontrent des
difficultés pour composer et réunir les comités locaux et provinciaux/préfectoraux de
développement qui exigent notamment la présence de représentants de services
déconcentrés de l‟État (au minimum, santé, école, eaux et forêts). Les projets sont
suivis par des équipes d‟animation qui sont en majorité composées de fonctionnaires
de la commune et des DAS, parce qu‟ils sont les plus disponibles et qu‟ils sont déjà
rémunérés (ce qui n‟est pas le cas avec des représentants de la communauté). Ces
problèmes sont valables pour tous les projets soutenus par l‟INDH et non seulement
pour les projets sur la santé.
Pour les projets sur la santé, une des principales difficultés rencontrées et
souvent la nécessité de devoir gérer la tension entre, d‟une part, les demandes de la
population et/ou les besoins ressentis par les autorités communales et en particulier
les élus (les porteurs de projet sont souvent des présidents de commune), et les
impératifs du Ministère de la santé relayés par le délégué qui se trouve dans la
position que l‟on vient de décrire. Le délégué veut-il, peut-il, a-t-il les moyens
localement, au moins au moment de l‟instruction du projet, de ne pas prendre en
compte les requêtes des populations et de leurs représentants ? Un responsable de
l‟INDH nous confiait que l‟INDH « peut créer un besoin » ; les projets sur la santé
requièrent l‟aval du délégué (on se tournera vers lui par la suite pour équiper un
centre ou pour disposer du personnel nécessaire) et il est souhaitable parfois « de ne
pas considérer les requêtes de la population - comme la demande d’un médecin comme une priorité ».
Nous ne saurions dire si, au début de l‟instruction d‟un projet sur la santé, il y
a un accord tacite ou non de la délégation de la santé, ou si celle-ci est toujours
réellement consultée. Cependant, à plusieurs reprises a été évoquée l‟existence de
centres de santé construits dans le cadre de projets soutenus par l‟INDH et qui
restent « non fonctionnels », faute de personnel et d‟équipements. En effet, il est
attendu dans ce cas du Ministère de la santé, dans le cadre d‟une convention qui
devrait être partie intégrante du projet soutenu par l‟INDH, qu‟il équipe le centre de
santé et qu‟il mette à disposition le personnel nécessaire pour le faire fonctionner.
92
Mais « l’intervention du Ministère de la santé [dans les projets soutenus par l’INDH]
reste très rudimentaire… Le Ministère de la santé ne suit pas les actions de l’INDH »
(un responsable de l‟INDH). On peut alors en arriver au cas suivant, sans doute
extrême, que des personnels de l‟INDH nous ont décrit : un centre de santé est
réclamé par la population et les élites locales ; le Ministère de la santé répond qu‟il
n‟a pas les moyens de le construire ; un projet INDH est alors élaboré, validé,
concrétisé pour construire le centre de santé. Pour le Ministère de la santé, ce centre
de santé, construit en dehors de son plan d‟action, n‟existera pas : il n‟est alors pas
possible de le réceptionner, ni de l‟équiper, ni de mettre à disposition des personnels,
d‟autant moins que l‟on ignore quel pourra être le statut de ces personnels
fonctionnaires du Ministère de la santé dans un centre qui ne lui est pas lié
institutionnellement et pour lesquels il n‟y a pas de modalités administratives
existantes pour leur affectation. C‟est ainsi que des centres de santé restent « non
fonctionnels ». Le délégué de la santé, qui n‟a aucun pouvoir sur les affectations, et
vers lequel on se retournera, ne pourra rien faire, comme l‟ont reconnu nos
interlocuteurs de l‟INDH.
La mission de l‟INDH est de contribuer à répondre aux besoins/demandes de
la population et de leurs représentants, et cela conformément à la philosophie de
l‟Initiative de développement humain en suivant une démarche participative. Il
n‟existe pas dans sa mission d‟exigence de respect des normes et standards de la
carte sanitaire du Ministère de la santé : « Pour nous, INDH, peu importe la carte
sanitaire : il y a un équipement, un bâtiment, un personnel, autant répondre à une
demande de la population » (un responsable de l‟INDH). Par ailleurs, les sections
locales de l‟INDH ont un rôle technique, très important, pour l‟aboutissement des
projets, mais n‟ont aucune autonomie de décision ; « il faut toujours référer à la
hiérarchie », nous confiait ce même responsable de l‟INDH. L‟absence de
coordination, encore appelée « convergence » est alors régulièrement dénoncée :
« INDH, ministères, CCDH, associations de ressortissants… Il n’y a pas de
coordination ; il existe des problèmes de définition des territoires d’intervention de
chacun » (un médecin privé de l‟Oriental engagé dans des actions associatives). On
en arrive alors à produire des centres accessibles, éventuellement équipés et
disposant de médicaments, qui répondent à un besoin et à des demandes, et qui
restent « non fonctionnels ». L‟INDH et les délégués provinciaux de la santé sont
alors parfois les témoins impuissants de la segmentation des territoires
institutionnels.
93
Conclusion
Le présent chapitre était consacré à l‟analyse du fonctionnement des
systèmes de santé locaux à partir des informations recueillies dans les trois sites de
Salé, de Figuig et d‟Azilal. Il était centré sur le point de vue et le rôle des différents
types d‟acteurs intervenant localement en faveur d‟une amélioration de l‟offre de
soins et de l‟accès aux formations sanitaires. Ces acteurs sont très nombreux :
soignants travaillant dans des structures de soins publiques situées à différents
niveaux de la pyramide sanitaire (centres de santé, hôpitaux), gestionnaires du
Ministère de la santé, médecins privés, représentants d‟associations à envergure
locale, nationale voire internationale, élus, représentants du Ministère de l‟intérieur,
techniciens de l‟Initiative de développement humain. Tous ces acteurs ont à
composer avec des initiatives qui se multiplient, sous l‟égide du Ministère de la
santé, mais aussi du Ministère de l‟intérieur et des associations : gratuité de
certaines prestations, initiatives en faveur d‟une amélioration de l‟accessibilité
financière, campagnes mobiles pour rapprocher les soins de la population,
équipements des centres, achats d‟ambulances, etc. Ces initiatives augmentent
(légitimement) les exigences de la population et de la société civile envers les
soignants. Tous ces acteurs n‟ont pas les mêmes intérêts, ni les mêmes objectifs, et
les positionnements respectifs face à ces différentes initiatives nous plongent au
cœur de la gouvernance locale. Des tensions sont alors inévitables entre acteurs
porteurs de rationalités différentes, certaines d‟ordre techniques qui s‟accordent plus
ou moins facilement avec certaines exigences administratives et politiques (par
exemple, des élus ou des représentants de services relevant du Ministère de
l‟intérieur) ou avec certains rapports de force s‟exprimant au niveau les plus localisés
(relevant de spécificités historiques et culturelles parfois portées par des
associations). Si l‟on relève inévitablement des dysfonctionnements au niveau
technique, il y a aussi les intérêts particuliers de chaque type d‟acteur qui ne facilitent
pas toujours la « convergence ». Au-delà des améliorations techniques nécessaires
pour augmenter la performance des dispositifs locaux de santé et pour dépasser
certains dysfonctionnements, une coordination accrue entre les différents types
d‟acteurs pourrait sans doute permettre une meilleure utilisation de certains
équipements ou de certaines structures.
94
Chapitre - 4 Les problèmes d’accès vus par la population
Élise Guillermet & Marc-Éric Gruénais
Nos équipes ont sillonné la préfecture de Salé et les provinces de Figuig et
Azilal dans le but de recueillir les récits des hommes, des femmes et des jeunes
adultes sur leurs expériences de recours aux soins. Des différences sont apparues,
nous permettant de reconstituer à grands traits des « parcours de soins types »
dépendant du genre, du positionnement dans la hiérarchie générationnelle, d‟un
statut socioéconomique inscrit dans des enjeux locaux de différenciation (pour ceux
appelés « nomades » dans la région de Figuig, « berbérophones » dans la province
d‟Azilal, travailleurs du secteur informel et femmes seules à Salé). Au-delà des
différences, des obstacles récurrents sont apparus en amont de l‟accès aux soins
(trouver un moyen de transport et pouvoir le payer) et au sein mêmes des structures
sanitaires. Si ces contraintes peuvent décourager certains de recourir aux
prestataires de soins, notamment publics, d‟autres mettent en œuvre des stratégies
pour faciliter leur accès. Ces pratiques nous renseignent sur l‟accomodation et
l‟acceptabilité évoquées au chapitre 1, qui renvoient à la capacité des usagers à
s‟adapter au système existant et à ce qui se joue dans les interactions entre
praticiens et usagers.
Les personnes interrogées
Ce sont au total 127 personnes qui ont été interrogées dans les principales
zones d‟études de chaque site (Bouknadel, Kifah, Laayayda, Souani, pour la
Préfecture de Salé ; Talsint, Tendrara, Fuiguig, pour la province de Figuig ; Aït
M‟Hamed, pour la province d‟Azilal, mais aussi Zaouiat Hahansal, et Aït Bou Oulli,
pour cette province soit deux zones inaccessibles en hiver). Ces personnes ont été
choisies au hasard, les entretiens ayant été réalisés à domicile, à proximité du lieu
de travail, dans les souks ou encore à proximité de centres de santé. Les deux tiers
des personnes interrogées sont des femmes.
Tableau 11 : personnes interrogées - enquête par entretien
en population générale
Figuig
Azilal
Salé
Total (n)
Femmes
29
15
37
81
Hommes
16
15
12
43
Jeunes adultes
3
3
Total
48
30
49
127
Total (%)
64%
34%
2%
100%
La très grande majorité des personnes interrogées s‟est déclarée mariée
(n=102), ce qui est assez compréhensible du fait que les questions portaient
notamment sur l‟accouchement, la prise en charge des maladies des enfants ou
encore sur les maladies chroniques.
95
Tableau 12 : situation matrimoniale des personnes interrogées
Statut
Figuig
Azilal
Salé
matrimonial
Marié(e)
36
27
39
Divorcé(e)
1 (f)
1 (f)
4 (f)
Veuf(ve)
6
2
4
(1h et 5f)
(1h et 1f)
(f)
Célibataire
5
0
2
(1f et 1h)
Total
48
30
49
Total (n) Total (%)
102
6
12
80%
5%
9,5%
7
5,5%
127
100%
Les personnes interrogées sont membre d‟un ménage qui comporte au moins
un actif. Dans le tableau ci-dessous sont présentées le secteur d‟activité du chef de
ménage qui est le plus souvent un homme. Les quelques femmes chefs de ménage
seules travaillent toutes dans le secteur informel. On relève cinq ménages dans
lesquels le mari et l‟épouse travaillent tout deux : deux couples de fonctionnaires,
deux couples d‟artisans et un couple salarié dans la même entreprise privée.
Tableau 13 : activités des chefs de ménage
Branche d‟activités
Figuig
Azilal
Militaires
1
0
Fonctionnaires
8
1
Salariés du privé (ouvriers)
6
15
Travailleur
du
secteur 8
1
informel
(artisans
et
commerçants)
Éleveurs, agriculteurs
9
10
Scolaires
2
Sans emploi
16
1
Total
50
28
Salé
7
2
10
22
Total (n)
8
11
31
31
Total (%)
6%
8,7%
24,5%
24,5%
1
20
2
24
127
15,7%
1,6%
19%
100%
7
49
Plus des deux tiers des personnes interrogées sont membres d‟un ménage
qui ne dispose d‟aucune couverture médicale.
Tableau 14 : couvertures médicales des personnes interrogées
Couverture médicale
Figuig
Azilal
Salé
Total (n)
Avec (militaire + CNSS) 10
1
11
22
Ramed
0
12
0
12
Associatif
2
1
1
4
Sans
34
17
36
87
Non documentée
2
0
1
3
Total
48
30
49
127
On pourrait dire que les personnes
socio-démographiques, constituent une
disposant de revenus peu élevés, étant à
mais aussi confrontée aux difficultés de
doute la majorité des Marocains.
Total (%)
17%
9,5%
3%
68,5%
2%
100%
interrogées, au vu de ces caractéristiques
population très «ordinaire» de familles,
même de faire face à certaines dépenses
la vie quotidienne que rencontrent sans
96
Parcours de soins
Les femmes
Être femme n‟est pas un facteur explicatif en tant que tel de parcours de soins
spécifiques, et le genre influe différemment sur les situations selon les contextes. Au
cours de nos entretiens, trois variables associées sont apparues déterminantes : le
lieu de résidence selon qu‟il permet la proximité avec le centre de santé, le statut
matrimonial lié au statut socioéconomique, et la situation dans la hiérarchie
générationnelle.
Les femmes rencontrées à Salé ou dans les centres urbains de Figuig ou
d‟Azilal ont l‟habitude de se rendre au centre de santé. Comme la plupart des
usagers, elles y vont surtout pour le suivi de leur pathologie chronique ou pour des
problèmes de santé qui « durent ». Elles s‟y rendent en matinée, dans l‟espoir d‟y
trouver le médecin et reviennent le lendemain si celui-ci est absent. Elles sont celles
qui décrivent avec le plus de précisions les comportements des personnels
soignants, étant familières de ces structures. Elles se rendent au centre de santé
parfois seules, pour les plus âgées, ou accompagnées d‟une parente vivant à
proximité de chez elles, ou encore parfois avec leur mari si lui aussi veut consulter.
Elles choisissent d‟elles même de se déplacer ou sur le conseil d‟une parente ; la
proximité avec la structure de soins leur permet parfois de le faire sans en rendre
compte à leurs proches. Ces femmes sont celles qui ont le parcours de soin le plus
court et le plus individuel.
Il se complique pour celles qui, bien qu‟habitant à proximité du centre de
santé, n‟ont pas de revenu (elles ne travaillent pas elles-mêmes, leur mari ne
bénéficie pas d‟une rémunération suffisante ni d‟une couverture médicale, ayant une
activité dans le secteur informel, et leurs enfants ne participent guère à leurs frais
quotidiens). La situation la plus difficile est celle des femmes seules (veuves,
divorcées, célibataires) qui ont des enfants à charge. Elles peuvent a priori aller et
venir sans avoir à rendre de compte, mais la nécessité pour elles d‟avoir une activité
économique contraint leurs horaires. Les coûts de santé sont par ailleurs trop élevés
pour elles (nous reviendrons sur la question des coûts ci-dessous). Les parcours de
ces femmes sont morcelés, interrompus, aléatoires. Elles se rendent de manière
irrégulière au centre de santé, sélectionnent les médicaments prescrits, ne peuvent
pas effectuer les examens, ni faire face à la prise en charge médicale simultanée de
plusieurs membres de leur foyer. Leurs itinéraires sont caractérisés par la sélection à
toutes les étapes du parcours. Ces femmes sont actrices de leurs choix, bien que
ceux-ci soient extrêmement contraints.
« Mon garçon qui a sept ans a toujours mal au niveau de son côté gauche et il n’arrive
pas à marcher normalement comme les autres.
- Vous avez vu un médecin ?
- Non, je lui fais boire que les plantes et je le laisse comme ça.
- Pourquoi ?
- Parce que moi aussi j’étais malade, j’avais des ganglions au niveau de mon sein
droit, je suis partie chez un médecin privé, j’ai payé 100 dh… Après je suis partie à
l’hôpital et j’ai payé 60 dh chez un médecin spécialiste… Quand elle m’a vue, elle m’a
dit de faire une radio qui coûte 500 dh… J’attends le résultat qui sera prêt pour la
semaine prochaine… J’ai dû emprunter la somme à ma famille et à mes voisines…
Alors il ne me reste plus d’argent pour emmener mon fils chez un médecin. Je me dis
que s’il répond bien aux plantes que je lui donne, tant mieux ! Mon fils doit voir un
97
spécialiste et je sais qu’il va me demander beaucoup de choses à faire, des radios, des
analyses, un traitement tellement cher, ou qu’il va m’adresser chez un autre spécialiste
qui va me demander la même chose et tout cela avec de l’argent y compris le transport
d’ici jusqu’à Rabat... Et moi, comme je vous ai dit, à cause de ma maladie qui m’a
obligée à dépenser beaucoup d’argent, je ne peux même plus emprunter de l’argent »
(Femme veuve à Salé).
La sélection est également au cœur des parcours des femmes vivant dans
des zones dites « enclavées », mais l‟éloignement du centre de santé vient encore
compliquer l‟accès à un prestataire de soins, en raison des frais de déplacement,
mais aussi des risques de désorganisation temporaire de la cellule domestique qui
peuvent être liés à une absence prolongée du foyer (nécessité de trouver un
substitut pour l‟exécution des tâches quotidiennes et le gardiennage des enfants). La
négociation précédant la décision de partir consulter caractérise ce troisième type de
parcours. Il nous renseigne sur le quotidien de ces femmes, sur la répartition des
rôles et sur les rapports hiérarchiques à l‟intérieur de la cellule domestique. Le choix
de recourir à un prestataire de soins apparaît ici clairement comme un choix collectif.
Prenons l‟exemple d‟une famille « nomade » installée à plusieurs dizaines de
kilomètres de la route entre Figuig et Bouârfa. Son « campement » est constitué de
constructions en dur servant de greniers ou de lieu de sociabilité pour les hommes,
tandis que la tente en laine tissée à la main par les femmes du campement est
l‟espace journalier des femmes et des enfants, et le lieu du foyer où les repas sont
préparés et où l‟on peut avoir chaud la nuit. Une autre tente est normalement
occupée par une seconde épouse mais celle-ci habite à Figuig durant la période
scolaire. Les autres femmes et enfants non scolarisés demeurent au campement
toute l‟année, tandis que les hommes sont amenés à se déplacer pour faire paître le
bétail, le vendre, ou pour trouver du travail. Les femmes vont exceptionnellement en
ville. Le mariage d‟une parente ou simplement un événement familial obligeant à se
rendre en ville leur donne une opportunité de consulter le médecin si un problème
est apparu au cours des précédents mois. Sans cela, la décision de quitter la tente
pour se rendre au centre de santé est prise lorsque la pathologie s‟est aggravée au
point d‟être considérée comme une urgence. Le rapport aux consultations et aux
soins se lit comme une histoire commune dans laquelle interviennent plusieurs
protagonistes. La belle-mère raconte n‟avoir jamais eu recours au centre de santé au
cours de ses grossesses, et « on s’en remet à Dieu », l‟assistance lors de
l‟accouchement est assurée par les femmes expérimentées des campements
voisins.
Mais, raconte la belle-mère, il arrive qu‟il y ait des complications, comme pour
sa belle-fille qui en est à son huitième mois de grossesse et qui, à 6 mois de
grossesse, a souffert de douleurs et de pertes de sang. La jeune femme a attendu
avant de faire part de ses saignements à sa belle-mère. Après quelques jours, la
doyenne a décidé de parler au chef de famille pour que la belle-fille soit conduite
chez le médecin privé qui peut faire les échographies. Le médecin a informé la jeune
femme que son enfant était mal placé et qu‟elle aurait pu le perdre si elle n‟était pas
venue. Elle devait revenir pour un suivi le mois suivant et accoucher au centre de
santé. La jeune femme n‟a pas honoré ce rendez-vous. Le premier motif énoncé est
que les médicaments prescrits par le médecin n‟ont pas soulagé ses douleurs et
donc que de l‟argent a été dépensé inutilement.
98
Une seconde belle-fille prend la parole pour raconter son dernier
accouchement. Elle n‟avait pas suivi les consultations prénatales. Elle est restée trois
jours sans parler, sans pleurer, sans crier, juste trop faible pour accoucher, selon la
belle-mère. La doyenne a attendu et a essayé avec la mère de la parturiente de la
faire s‟asseoir et de l‟aider à accoucher, mais la jeune femme était trop faible. Une
étrangère de passage, constatant l‟état de la jeune femme, a conduit la parturiente à
l‟hôpital de Bouârfa où elle a subi une césarienne. La première belle-fille, enceinte, à
la fin de l‟entretien, explique pourquoi elle n‟est pas retournée voir le médecin : il est
difficile de trouver un véhicule pour se déplacer ; la dernière fois, elle est partie dans
un véhicule avec les moutons du voisin. Et elle conclut en disant qu‟elle attend son
mari qui travaille sur le chantier de la route ; elle attend son retour : il lui donnera
l‟argent pour aller chez le médecin.
Dans ce récit à trois voix se lisent plusieurs aspects du quotidien intervenant
dans la possibilité de déplacement des femmes qui vivent en zone enclavée, qu‟il
s‟agisse de femmes « nomades » de la province de Figuig ou de celles vivant en
zone montagneuse dans la province d‟Azilal. Il ne leur est pas facile de quitter leur
foyer, parce que leur rôle assigné consiste à veiller sur les enfants et à réaliser les
tâches quotidiennes, mais aussi parce que les véhicules sont rares. Ce sont les
situations exceptionnelles qui offrent des occasions de déplacement : événements
sociaux (mariages, baptêmes), ou urgences sanitaires.
La prise en considération du besoin de recourir à un prestataire de soins
répond à plusieurs étapes. La femme concernée doit d‟abord estimer que les
désagréments physiques dont elle souffre constituent un « problème de santé »
suffisamment grave pour justifier un déplacement vers une structure de soins. Elle
doit ensuite se confier à sa belle-mère ou à sa mère. Celle-ci doit estimer qu‟il s‟agit
effectivement d‟une pathologie et en faire part au chef de famille. Il faut enfin que ce
dernier accepte cet avis.
« Je souffre des douleurs dans mon dos et maintenant même aux pieds ; parfois je
n’arrive pas a quitté mon lit. Je cherche à voir le médecin mais mon mari n’accepte
pas. Il dit que ce n’est pas une grave maladie même si je reste immobile sur ma litière
plus de quinze jours… Quand je pense à la nouvelle mundawana, je suis en colère, je
me dis que ça ne sert à rien !» (Province de Figuig).
L‟entourage de la femme ne parle pas toujours d‟une seule voix face à la
nécessité du recours, et l‟intervention de parents directs de la femme peut venir
contrecarrer les positions du mari, dans des situations parfois conflictuelles
révélatrices alors d‟une mise en cause du statut de chef de famille du dernier.
« On est parti à la pharmacie pour prendre les médicaments qu’elle m’a prescrits mais
ils coûtaient trop chers. Mon mari m’a dit de prendre du ‘ze3ter’ jusqu’à ce qu’il ait
l’argent. Une fois à la maison, il a commencé à me dire de me mettre au régime et de
ne plus manger autant, de ne boire que du ‘ze3ter’» et d’arrêter de me plaindre. On a
commencé à se disputer pour rien et je suis partie en pleurant chez mon frère. Je lui ai
tout raconté, surtout à propos de mon mari qui ne voulait pas m’acheter mon
médicament, et qu’à force de boire du ‘ze3ter’ la bouche de mon estomac s’est
infectée. Je lui ai même dit que ça m’a étonnée quand mon mari a payé la consultation
chez le médecin privé. Mon frère m’a dit que même les plantes peuvent guérir et que
l’homme a tendance à perdre son argent pour rien. Je lui ai quand même demandé de
me prêter de l’argent parce que le médecin m’a dit que je devais absolument prendre
le médicament et de revenir la voir après. Il m’a prêté l’argent et j’ai immédiatement
acheté le médicament. Quand je suis rentrée à la maison, mon mari m’a fait toute une
99
scène parce que j’ai pris de l’argent de chez mon frère. Il n’a pas du tout aimé que je le
fasse mais entre nous, il n’avait qu’à me l’acheter » (Salé).
Dans le cas où la mère ou la belle-mère s‟impliquent dans la décision, la
chaîne est plus courte du fait de leur ascendant sur le mari de la femme. Dans le cas
où le fils, parti travailler sur un chantier, revient avec de l‟argent, la chaîne sera
également raccourcie pour sa jeune épouse. Quels que soient les sites, les
contributions de frères, de sœurs et/ou d‟enfants actifs permettent d‟accélérer les
parcours de soins de leurs parents et notamment de leur mère. Quand ils sont en
mesure de payer les frais de santé de leur proche, ils en deviennent responsables.
Cette négociation intergénérationnelle corrélée à la dépendance financière se
retrouve aussi dans la province de Salé. Mais la belle-mère ou la mère trouvent des
interlocutrices parmi leurs filles ou belles-filles qui ont été scolarisées et qui émettent
des avis divergents et pouvant emporter la décision.
« J’ai accouché ‘avec les points de sutures’ [césarienne] et j’ai passé quatre jours à
l’hôpital. Je suis rentrée à la maison et après deux ou trois jours, vers le coup de deux
heures du matin, j’ai commencé à avoir très mal au ventre. J’ai pensé que c’était
normal après l’accouchement, mais la douleur augmentait de plus en plus. J’ai
commencé à saigner et à hurler le nom de Dieu qui m’a fait naitre, tellement j’avais
mal. Quand j’ai vu la quantité de sang par terre, je me suis évanouie directement. Ma
belle-sœur a couru à mon secours, elle a demandé qu’on m’emmène à l’hôpital sinon
je risquais de mourir, mais ma belle-mère était contre. Elle disait que perdre du sang
dégonflerait mon ventre. Ma belle-sœur persistait à croire que le fait de saigner était
anormal, en dépit de ce que sa mère disait. Elle a convaincu tout le monde qu’ils
devaient absolument m’emmener à l’hôpital » (Salé).
En milieu rural, la parole de l‟aînée reste déterminante même si dans le cas
cité précédemment, l‟intercession d‟une femme au statut social et intellectuel
confirmé par sa fonction, et qui dispose d‟un véhicule, a également eu un impact sur
la décision de la mère et de la belle-mère pour accompagner la parturiente à
l‟hôpital. Les changements familiaux (divorces) et les déplacements qui leur font
suite peuvent aussi être des moments déclencheurs pour débuter un parcours de
soin du fait alors que certains acteurs réticents à accompagner une prise en charge
médicale ne participent plus à la décision.
«J’ai découvert ma maladie en 2003 quand j’habitais au douar à la campagne, j’avais
treize ans. Je sentais toujours des vertiges et beaucoup de soif et à chaque fois je
fréquentais les toilettes. Maman disait à mon père que je souffre de quelque chose
d’anormal mais il refusait toujours de m’amener à l’hôpital vu le manque de moyens. Et
vu l’éloignement de notre douar du centre de santé et d’autres hôpitaux, je suis restée
dans la même situation jusqu’au divorce de mes parents. A cause des problèmes
familiaux, je suis venue avec ma mère à X chez ma petite sœur. Elle était à la
recherche d’un emploi pour nous faire manger et boire et éventuellement pour me
soigner. Alors que mon père s’est remarié à une autre femme et est restée au douar.
Ainsi je suis venu à X et ma mère à emprunté de l’argent. Elle m’a amenée [jusqu’à la
ville de Y]. J’ai fait les analyses et le médecin spécialiste m’a informée que je suis
diabétique et que je dois poursuivre le suivi de temps à l’autre. Je suis revenue à X
portant ma maladie et chargé de médicaments et de dettes » (Province de Figuig).
100
Les enfants
Des conditions d‟accès analogues se retrouvent pour les enfants dont les
situations sont directement dépendantes de celles de leurs mères. Quels que soient
les contextes, on constate toujours une forte prise en compte de la santé de l‟enfant,
mais avec des modalités d‟accès variables liées à la proximité du prestataire, aux
choix opérés au cours du parcours de soins, ou aux négociations.
On constate les accès les plus rapides pour les enfants vivant à proximité des
centres de santé, surtout si les médicaments nécessaires y sont accessibles et
gratuits. En milieu rural, les mères déplorent que les enfants ne soient que vaccinés
et non auscultés. Les équipes mobiles qui viennent leur rendre visite ponctuellement
n‟apporteraient pas les solutions attendues.
La sélection apparait ensuite pour des pathologies coûteuses, sur l‟ensemble
des sites. La proximité d‟un centre de santé n‟est pas une condition suffisante pour
accéder à des soins. Se dessinent une nouvelle fois des inégalités liées au statut
social, économique et matrimonial des parents. Les mères seules souffrent
particulièrement de leur incapacité à assurer l‟ensemble des frais nécessaires à la
santé de leur enfant, et elles sélectionnent par nécessité les médicaments, les
examens voire même les opérations, comme en témoigne l‟extrait d‟entretien
suivant.
« Mon fils, âgé de 5 ans, a souvent des angines. Il trouve des difficultés à parler, vue la
gravité de l’infection. Quand j’ai emmené mon fils au dispensaire, on m’a conseillé une
opération, pour lui enlever les amygdales. Mais je n’ai pas les moyens de payer
l’opération. Je ne fais que le ménage les week-ends » (femme divorcée, Salé).
La négociation surgit dans les mêmes conditions que pour la santé des
femmes. A quel moment faut-il emmener l‟enfant à la pharmacie ou au centre de
santé avec les coûts que cela comporte?
Revenons à la famille dont le campement se situe à plusieurs dizaines de
kilomètres de la route Figuig-Bouârfa. Une fillette y est décédée lorsqu‟elle avait 6
ans. Elle souffrait depuis plusieurs jours de maux de ventre et de diarrhées. Quand la
fillette est apparue très faible et a perdu connaissance, sa mère a demandé au chef
de famille, son époux, d‟appeler une ambulance. Celui-ci a dû faire 15 kilomètres en
motocyclette pour trouver un point d‟accès au réseau téléphonique, puisqu‟à
proximité seul le réseau algérien est accessible. L‟ambulance de la commune n‟étant
pas disponible, il a tenté de joindre l‟ambulance de la Sécurité civile qui ne pouvait se
rendre sur les lieux avant une heure. Dans l‟urgence, des voisins du campement qui
faisaient conduire leur bétail au souk ont mis la fillette dans le camion à bétail pour la
conduire à l‟hôpital provincial. Une fois sur la route, le camion a croisé le véhicule de
la Sécurité civile. Lorsqu‟il s‟est agi de transférer la fillette du camion à bétail à
l‟ambulance, les ambulanciers ont découvert que la fillette était morte. Ce récit
illustre le délai existant entre le repérage des premiers signes cliniques de l‟enfant et
la quête d‟un moyen de locomotion. Il ne signifie pas que les parents se sont
désintéressés de l‟enfant mais que seule une urgence avérée peut conduire à se
confronter aux obstacles que représentent dans un premier temps le fait de trouver
un véhicule.
101
Autre question qui détermine les choix des parents : à quel moment faut-il
renoncer à l‟idée d‟une prise en charge médicale de son enfant ? Un pédiatre nous
confiait le manque d‟implication de ses patients du milieu rural envers les enfants
prématurés. Une infirmière nous faisait part quant à elle de l‟arrivée tardive des
patients en nous donnant l‟exemple d‟un homme qui avait mis deux jours avant de
trouver un véhicule pouvant le conduire avec son enfant brûlé au dispensaire.
L‟infirmière avait répondu ne rien pouvoir faire en invitant le père à se rendre à
l‟hôpital provincial. Celui-ci s‟était effondré, en disant qu‟il ne pouvait pas continuer et
qu‟il s‟en remettait à Dieu.
Dans les provinces d‟Azilal et de Figuig les parents sont cependant prêts à
des dépenses conséquentes pour faire soigner leurs enfants. Ils répètent les allersretours vers les centres hospitaliers malgré l‟absentéisme des médecins.
« L’enfant est atteint d’une maladie mentale ou psychique. Les parents ont fait recours
à plusieurs fkih, plusieurs fois, mais sans aucun résultat. Donc ils ont décidé de
l’amener à l’hôpital. A leur visite au centre de santé ils leur ont demandé certains
documents avant le transfert à l’hôpital régional. Ils ont produit tous les documents
nécessaires chez le caïd et chez le médecin du centre de santé. L’enfant malade est
évacué à l’hôpital régional où il a été hospitalisé pendant 13 jours. Ils n’ont rien payé à
l’hôpital. Après sa sortie ils leur ont fixé un rendez-vous pour le contrôle après deux
mois et la prescription d’un médicament qui leur coûte 350 dh par mois. Après deux
mois, ils se sont déplacés à l’hôpital régional pour le contrôle sans trouver le médecin
spécialiste. Et cette opération de déplacement a été répétée cinq fois sans trouver le
médecin spécialiste, sachant que chaque déplacement pour deux personnes coûte 250
dh. Pendant le dernier déplacement à l’hôpital régional, on leur a conseillé d’aller à
l’hôpital d’Azilal. Au retour à l’hôpital d’Azilal on leur a demandé une fiche de liaison du
centre de santé. Après avoir reçu la fiche de liaison ils n’ont pas trouvé le médecin
spécialiste et ils ont su qu’il fait les consultations chaque mercredi. Ils ont alors pris un
rendez-vous pour le mercredi suivant. L’état de l’enfant s’aggrave de nouveau, les
pharmaciens refusent de leur donner les médicaments. Ils sont allés pour voir le
directeur de l’hôpital pour leur trouver une solution mais il n’était pas là. Ils ont décidé
de revenir vers le médecin du centre de santé. Le médecin y a prescrit à l’enfant un
médicament dans l’attente du prochain rendez vous » (Province d’Azilal).
Les hommes
Pour les hommes, leurs parcours de soins sont raccourcis du fait d‟une plus
grande mobilité liée à leurs activités économiques. En milieu rural, les jours de souk
permettent de cumuler les démarches commerciales, administratives et sanitaires.
Les actifs ne se réfèrent à personne pour recourir à un prestataire de soins tandis
que ceux qui n‟ont pas de ressources financières se tournent vers leur réseau social
ou vers leurs enfants pour une aide. Les hommes sont ceux qui apparaissent le
mieux connaître le coût de la santé, tandis que dans une majorité d‟entretiens
réalisés avec les femmes celles-ci avouent ne pas connaître le montant des
dépenses occasionnées39.
39
S’agit-il toujours d’une réelle méconnaissance des coûts ou d’une ignorance feinte de convenance face à un
observateur extérieur dans la mesure où il entrerait dans les obligations du mari de s’acquitter du coût des
soins pour l’épouse et les enfants ; affirmer ne pas connaître les prix équivaudrait alors à souligner les devoirs
du mari.
102
Les hommes semblent se tourner davantage vers le fkih que les femmes et
plus particulièrement à Azilal. De manière générale, ils semblent davantage informés
de la pluralité des prestataires, que ce soit en milieu urbain ou rural. Ils connaissent
les différents médecins de la région, se renseignent sur eux et procèdent au choix
qui leur semble le plus pertinent pour eux et pour les femmes et les enfants dont ils
ont la charge. Ils sont responsables de la santé des leurs.
S‟ils accompagnent leur femme c‟est notamment pour prendre en charge
toutes les démarches que nécessitent le déplacement ou la confrontation à
l‟administration sanitaire surtout du fait de l‟illettrisme. Les difficultés que peuvent
rencontrer les femmes sont notamment des difficultés de communication pour celles
qui ne parlent pas l‟arabe dialectal, comme dans la région d‟Azilal plutôt
berbérophone et où cette barrière linguistique a été signalée de manière quasi
systématique. Cette contrainte se retrouve également dans la ville de Figuig mais
pas auprès des populations dites « nomades » qui sont arabophones.
Trois types de parcours
Des caractéristiques socioéconomiques et culturelles déterminent donc les
modalités de recours aux prestataires de soins : le genre, la place dans la hiérarchie
familiale, ainsi que les contraintes liées à l‟éloignement du centre de santé.
Trois types de parcours nous semblent pouvoir être mis en évidence :
des circuits courts, pour les femmes et les enfants situés à proximité des centres de
santé et pour les hommes qui se déplacent librement mais qui se confrontent tout de
même aux contraintes de coût ;
des itinéraires thérapeutiques incomplets et interrompus caractérisés par la sélection
des soins, des examens, des médicaments et des bénéficiaires au sein d‟un même
foyer pour des raisons de coût essentiellement. Ces itinéraires concernent les
populations défavorisées du tissu urbain et les habitants du milieu rural ;
les parcours marqués par la négociation, à commencer par la négociation du recours
aux soins, qui concernent les personnes dépendantes financièrement, soumises à
une hiérarchie de genre et d‟âge au sein de la cellule domestique (jeunes femmes et
enfants surtout). Ils se compliquent encore lorsque les coûts de santé sont aggravés
par la localisation enclavée de leur habitat.
Les obstacles en amont du centre de santé
Ces trois profils coïncident également avec des entrées de plus en plus
tardives dans les circuits de soins. Plus les obstacles et les coûts pour accéder aux
soins sont importants, et plus les usagers retardent leur recours aux prestataires.
Ces obstacles peuvent être classés en deux catégories : il s‟agit des difficultés à
trouver un moyen de locomotion permettant de rejoindre la structure de santé et du
coût du déplacement préalablement aux coûts de la prise en charge médicale
proprement dite (examens, radiologie, échographie, médicaments, etc.).
103
Le transport
Les parcours types décrits ci-dessus montrent que la contrainte du transport
est un élément parfois décisif de la décision plus ou moins rapide de recourir à un
prestataire. Comment faire accéder un malade au centre de santé quand on vit dans
une zone très éloignée d‟une route carrossable et fréquentée ? Les récits font part
des moyens multiples auxquels les usagers ont recours et qui font du déplacement
vers le centre de santé un vrai parcours du combattant.
Le déplacement d‟une jeune femme souffrant d‟une appendicite à
motocyclette sur plusieurs dizaines de kilomètres de piste nous a été relaté, ainsi
que la prise en charge d‟une femme enceinte souffrant de douleurs abdominales et
de saignements dans un camion transportant le bétail. Un homme immobilisé par
des douleurs dorsales a été transporté par un mulet ; un grand taxi a été loué depuis
un centre de santé pour évacuer toute une famille intoxiquée vers un hôpital régional,
l‟ambulance ne permettant pas de transporter les cinq personnes concernées. Dans
un autre cas, c‟est un mini bus qui a été loué pour le même type de référence, etc.
Les transports par ambulance sont souvent très coûteux, et l‟ambulance n‟apparait
pas toujours comme le moyen de transport le plus facile d‟accès, ni comme la
première option envisagée.
Le coût
Les frais liés aux prestations de soins restent dans tous les sites l‟obstacle
principal au recours à un prestataire de soins, comme les récits recueillis le laissent
apparaître. Disposer d‟une couverture médicale ne constitue pas nécessairement
une aide décisive.
« Au début, je faisais le suivi de mon diabète chez un médecin pendant trois ans mais
je n’ai pas continué chez elle, elle ne m’écoutait pas. A chaque rendez-vous, elle
hurlait après moi parce que je n’ai pas pu faire les analyses qu’elle m’avait
demandées… C’est parce que je n’avais pas d’argent… Les analyses sont trop chères
pour moi… Même avec la couverture médicale ils coûtent 250 dh et nous, on ne les a
pas ! » (Salé).
Les entretiens révèlent des disparités importantes en termes d‟accessibilité
financière aux traitements, aux offres de soins (analyses, traitements, opérations) ou
aux transports entre les personnes qui bénéficient de l‟intervention d‟un proche
employé dans le secteur médical, les mutualistes et notamment les militaires ou leurs
parents, les bénéficiaires du Ramed ou d‟un certificat d‟indigence, et les personnes
qui ne disposent d‟aucune couverture médicale. Dès qu‟on le peut, on mobilise un
proche tant pour accéder rapidement aux soignants dans de bonnes conditions
d‟accueil et pour contribuer à la prise en charge des frais d‟analyses ou de
traitements.
« Pour les frais d’analyses, mon frère travaille à l’hôpital Avicenne et me fait les
analyses gratuitement » (Salé).
En ce qui concerne les bénéficiaires d‟une couverture sociale, une distinction
doit être faite entre, d‟une part, les familles de militaires en poste ou retraités, les
bénéficiaires du Ramed ou d‟un certificat d‟indigence qui bénéficient d‟une prise en
charge gratuite dans les hôpitaux (hormis pour les médicaments prescrits), et d‟autre
part les bénéficiaires d‟une mutuelle privée qui doivent avancer les frais de soins
104
d‟analyses et de traitements qui ne leur seront remboursés qu‟après plusieurs mois.
Ces derniers sont alors, comme les non mutualistes, dans la nécessité de trouver les
ressources nécessaires à leur prise en charge immédiate ou contraints parfois de
renoncer à une partie des prescriptions des soignants. On constate par ailleurs que
chez les bénéficiaires d‟une couverture médicale, les modalités de remboursement
sont souvent méconnues et peuvent amener à des dépenses normalement évitables.
« C’est mon médecin privé qui nous a expliqué les avantages de la couverture
médicale. Je ne savais pas que je pouvais me faire rembourser les soins et les
médicaments. Je travaille dans une société de nettoyage et j’ai la CNSS mais
personne ne m’a jamais expliqué à quoi ça pouvait me servir pour ma santé » (Salé).
Dans la pratique, la couverture médicale, quelle qu‟elle soit, ne suffit pas à la
prise en charge de l‟ensemble des frais de santé et de médicaments, et il faut encore
compter avec les frais de transport, d‟hébergement, entre autres pour
l‟accompagnant du malade.
« La femme souffrait de plusieurs problèmes de santé, de douleurs au niveau de
l'estomac, de douleurs articulaires et d’une fatigue générale. Elle faisait toujours
recours à la médecine traditionnelle en utilisant des traitements à base de plantes.
Toutes les recettes à base de plantes sont proposées par certains habitants du douar.
Après un certain temps, et malgré le recours à la médecine traditionnelle, l'état de la
femme s'est compliqué de plus en plus. Ainsi son état a connu un gonflement de tout le
corps. Ils l'ont amenée au centre de santé. L'infirmière du centre de santé leur a donné
une fiche de liaison pour l'évacuer immédiatement à l'hôpital provincial d'Azilal. Pour
l'évacuation par ambulance, le chauffeur leur a demandé de payer 200 dh, ce que le
fils ne supportait pas en considérant que l'état de sa mère n'était pas assez grave.
Alors le fils de la patiente a décidé de prendre un minibus qui leur a coûté 120 dh pour
deux personnes aller-retour. A leur arrivée à l'hôpital, la femme a été hospitalisée
pendant dix jours. Elle était diabétique et souffrait d'un problème lié au sel. Ils n'ont rien
payé à l'hôpital, car elle possède une carte Ramed, sauf les frais de l'accompagnante
pour un montant de 800 dh » (Province d’Azilal).
Il apparaît qu‟à Azilal le Ramed peut être vu comme un argument décisif pour
se rendre à l‟hôpital. C‟est ce que révèlent a contrario les entretiens réalisés auprès
de personnes qui attendent leur carte et qui diffèrent le moment du recours à l‟hôpital
jusqu‟à l‟obtention de cette carte.
« L’enfant âgé de 3 ans souffre des problèmes digestifs (vomissement, douleurs
intestinales). Sa mère a décidé de l’emmener chez le médecin privé à Azilal, car il n’y a
pas de médecin au centre de santé ni de médicaments suffisants. Chez le médecin
privé elle a payé 100 dh pour la consultation, 150 dh pour les médicaments et pour les
déplacements, elle a payé 150 dh pour deux personnes. Après le traitement, l’état de
l’enfant s’est amélioré mais après quelques mois l’enfant tombe malade de temps en
temps et à chaque fois ils vont au centre de santé. Ils leur donnent quelques
comprimés et les conseillent d’aller à l’hôpital d’Azilal. Mais puisque la femme n’a pas
encore eu sa carte Ramed elle ne peut pas y aller, car elle n’a pas d’argent pour payer
les charges. Pour le moment elle attend la réception de sa carte » (Province d’Azilal).
« Chez le médecin privé ils ont payé 100 dh pour la consultation médicale, 350 dh pour
les médicaments et 200 dh pour le déplacement de deux personnes. Après le
traitement l’état de la femme à été bien amélioré. Mais actuellement et après quelques
mois la femme souffre de nouveau du même problème. Il pense qu’il va amener sa
105
femme à l’hôpital d’Azilal car il a été informé par les infirmières du centre de santé qu’à
l’hôpital il y a des radios et des équipements qui n’existent pas chez les médecins
privés à Azilal, mais il doit avoir une carte Ramed pour bénéficier de la gratuité des
soins à l’hôpital. Alors il attend de recevoir sa carte Ramed sachant qu’il a déposé son
dossier il y a plus d’un mois » (Province d’Azilal).
Dans la région d‟Azilal, sans la carte Ramed ni aucune autre couverture
médicale, les patients se dirigent plutôt vers le médecin privé. Les plus vulnérables
sont les travailleurs du secteur informel qui ne bénéficient d‟aucune couverture (qu‟il
s‟agisse de Salé ou du milieu rural) et les femmes seules. La santé est pour eux un
poste de consommation qui conduit à la perte de leurs économies, de leurs biens
(habitat, véhicule, cheptel), voire à leur endettement.
« Les frais de dialyse me coûtent 700 dh (un jour sur deux) et cela depuis trois années.
J’avais un appartement et un taxi-colis que j’ai vendu pour pouvoir payer les
traitements. Actuellement j’occupe une pièce à la terrasse pleine de dégradations. J’ai
des fuites quand il pleut. Même la pièce que j’occupe et qui me coute 300 dh par mois
augmente mes malheurs » (Salé).
Considérant les contraintes financières vécues par les patients tout au long de
leurs parcours de soins, rares sont ceux qui déclarent avoir guéri. Un diagnostic a pu
être posé dans la plupart des cas mais les frais à engager pour le suivi, les
médicaments, les opérations conduisent à chercher des appuis extérieurs, auprès de
proches et d‟associations, ou encore à opérer des choix qui ne sont évidemment pas
apprécié par les prestataires.
« Je n’avais pas l’argent pour faire les analyses mais j’ai qu’en même pu faire mes
analyses au cinquième mois. Une amie de ma belle-sœur, infirmière, nous a informées
qu’une association se chargeait de faire toutes les analyses des femmes enceintes. On
y est parties sauf que je ne voulais faire que deux analyses (Toxopalsmose et VDRL)
mais l’infirmière qui y était m’a fait comprendre que je n’avais pas la possibilité de
choisir les analyses. ‘Soit je l’ai fait toutes, soit je repars’. Parce qu’ils ont eu des
problèmes avec les femmes après quand elles ont elles-mêmes choisi les analyses à
faire. Elle a ajouté que si j’insistais pour ne faire que deux analyses, je devais le dire à
mon médecin pour qu’elle me l’écrive sur la feuille d’analyses que je donnerai ensuite à
l’infirmière » (Salé).
Franchir les obstacles dans les structures de soins
Une fois la décision de recourir à un prestataire de santé prise et la question
du déplacement jusqu‟au lieu de soin réglée, commence le parcours des patients au
sein des structures de santé.
« Qu’est ce que je peux vous dire, on fait la queue comme les autres, mais il y’a des
gens qui n’attendent plus leur tour parce qu’ils connaissent soit le major ou l’infirmier
ou qui lui donnent de l’argent pour les laisser rentrer avant les autres… Nous on voit ce
qui se passe mais on ne peut pas parler de peur que le médecin n’accepte plus de
nous consulter… Des fois même il nous laisse attendre jusqu’à midi et il sort… Alors
pour voir le médecin soit on doit connaitre le major ou l’infirmier ou donner de l’argent
ou venir à l’hôpital avant le lever du soleil » (Salé).
106
Les obstacles ont été relatés de manière relativement homogène par
l‟ensemble des usagers sur les trois sites, hormis par ceux bénéficiant d‟un capital
social adéquat (proximité sociale avec le personnel soignant ou statut social facilitant
l‟accueil). Ces obstacles peuvent être décrits en 5 points.
L’entrée des structures de santé : connaître ou payer
Le filtrage à l‟entrée des structures de soins (centres de santé, hôpitaux) a été
décrit dans les trois sites de l‟étude. Les patients des centres de santé de Salé
l‟expliquent par le nombre trés important d‟usagers qui ferait perdre patience aux
infirmières et les amèneraient à fermer les portes une fois le centre saturé par
l‟affluence et pour signifier aux nouveaux arrivants qu‟il est inutile qu‟ils se
présentent. Dans la province de Figuig, les familles « nomades » y lisent une
discrimination, peut-être inscrite dans les enjeux des rivalités locales entre tribus, et
notamment entre berbérophones et arabophones. Dans la province d‟Azilal, les
heures d‟ouverture et de visite sont vécues comme contraignantes, surtout à
l‟hôpital, puisqu‟elles ne permettent pas aux accompagnants d‟aller chercher de quoi
manger pour les hospitalisés. Dans les trois cas, deux pratiques ont été relatées pour
dépasser ce premier obstacle : payer ou faire intervenir des connaissances.
« Je trouvais toujours des problèmes avec les infirmières qui demandent toujours de
l’argent pour faire un service ou pour donner un médicament quelconque. Elles
vendent même l’insuline, le tout avec un prix bien défini, comme par exemple
l’extencilline à 50 dh, la Bétadine à 20 dh, les comprimés de diabète entre 20 à 30 dh
et l’injection à 10 dh, et si on marchande avec l’infirmière c’est à 5 dh. J’ai toujours dû
me bagarrer avec celle qui vend les médicaments pour avoir ma dotation en insuline
parce que je sais que c’est un médicament donné gratuitement et qu’il n’était pas à
vendre et à la fin j’arrivais à prendre mes flacons d’insuline » (Salé).
« La semaine dernière, ma sœur voulait faire le suivi de sa grossesse, et elle est venue
en compagnie de ma mère à l’hôpital vers huit heures du matin. Elle a attendu son
tour, quand elle est passée pour la consultation; la sage femme lui a demandé de
bakchich si non elle ne peut pas faire la visite car c’est elle qui achète les gants et le
matériel pour travailler. Alors ma sœur était obligée de donner du bakchich » (Province
de Figuig).
L’attente
S‟il a été possible d‟entrer à l‟intérieur de la structure de soins en passant avec
succès le premier barrage, l‟attente est un problème régulièrement soulevé pour
diverses raisons. Les patients avec des douleurs soulignent l‟inconfort de l‟attente,
surtout sans orientation ou explication. Les patients diabétiques décrivent les
malaises occasionnés par une attente longue avant les contrôles de suivi nécessitant
d‟être à jeun.
Le problème de l‟attente est particulièrement saillant pour les habitants de
zones enclavées à Azilal et à Figuig qui, s‟ils ne quittent pas le centre de santé ou
l‟hôpital suffisamment tôt, vont devoir passer la nuit sur place. De nouveaux frais
d‟hébergement seront alors occasionnés. Les dépenses sont soulignées mais
acceptées si le patient voit le médecin, en obtient un diagnostic et des médicaments,
mais deviennent vite mal tolérées si le médecin est absent ou indisponible.
107
L’indisponibilité des soignants
L‟absence du médecin est le motif des plus grandes insatisfactions. On peut le
comprendre en sachant qu‟il est l‟interlocuteur recherché qu‟on espère rencontrer
une fois franchies toutes les étapes précédentes : le patient a convaincu ses proches
qu‟il doit aller au centre de santé, il est éventuellement à jeun, un véhicule a été
trouvé, une somme importante est dépensée, le barrage à l‟entrée de la structure est
dépassée à force de persuasion ou de bakchich, le patient attend plusieurs heures,
mais le médecin parfois ne vient pas. Alors, il faudra soit trouver un logement sur
place, soit partir et revenir et donc revivre les mêmes épreuves que lors du
déplacement précédent, à moins de renoncer aux soins. En milieu urbain, la non
disponibilité du médecin peut avoir une incidence concrète sur les revenus du
patient.
« Je vais vous raconter une histoire très récente, mes doigts se bloquent. Je ne sais
pas pourquoi, ce que je sais c’est qu’ils sont mon capital parce que je suis forgeron je
travaille plus avec mes doigts. C’est un travail de garçon mais ici à X on n’a pas assez
de choix : soit on fait n’importe quoi pour survivre soit on devient des mendiants. Alors
j’ai pris une autorisation d’une journée pour faire la consultation chez le médecin au
centre de santé. J’ai attendu mon tour jusqu’à midi. On est resté cinq au moment où le
médecin est sorti pour nous dire de revenir demain car il va sortir. Mais moi je ne peux
pas retourner demain ! Mon chef ne voudra pas me donner une autre autorisation
sinon il va me remplacer par une autre personne et moi j’ai besoin de ce travail pour
vivre et payer mes médicaments, donc je n’y suis pas revenu » (Salé).
Le manque de spécialistes dans les hôpitaux provinciaux est critiqué, d‟autant
plus qu‟en cas d‟absence du spécialiste requis pour le cas à prendre en charge, pèse
la contrainte de la séparation des membres d‟une même famille qui doivent parfois
se partager entre hôpital provincial et hôpital régional, par exemple dans le cas de
problème néonatal.
« La femme a été suivie au cours de la grossesse au centre de santé. Lors de
l’accouchement elle est allée à la maison d’accouchement. La sage femme a essayé
de faire accoucher la femme pendant quelques heures sans résultat. La maison
d’accouchement n’était pas équipée. Après la sage femme a décidé l’évacuation de la
femme à la maternité d’Azilal. Ils ont payé 200 dh pour l’ambulance. A l’hôpital d’Azilal,
ils ont essayé de faire un accouchement normal mais l’appareil utilisé a causé des
blessures au niveau du visage du bébé. Après ils ont fait l’accouchement avec
césarienne. Le bébé a été évacué d’urgence à l’hôpital régional pour le problème des
blessures au visage et à la tête. La femme à été hospitalisée à l’hôpital d’Azilal avec
une accompagnante pendant 6 jours. Le bébé lui aussi a été hospitalisé avec une
autre accompagnante pendant 7 jours. A l’hôpital régional ils ont fait des radios et des
analyses gratuitement pour le bébé. Le mari est resté durant les 7 jours à l’hôpital. A
leur sortie, comme ils ont la carte Ramed, ils n’ont payé que les frais de
l’accompagnante à Azilal et à l’hôpital régional, 1.000 dh pour les deux. Ils ont acheté
les médicaments pour les deux avec presque 450 dh et aussi plus de 1.000 dh pour les
déplacements et hébergement » (Province d’Azilal).
Dans ce cas, le père est parvenu à réunir l‟argent nécessaire pour que sa
femme et son enfant soient soignés, malgré la nécessité de les faire prendre en
charge dans deux hôpitaux différents, d‟assurer à la fois son hébergement à
proximité de l‟enfant et la présence d‟une garde-malade au chevet de la mère. Mais
dans un autre cas, c‟est un décès d‟un enfant qui a été rapporté par sa mère.
108
« L’accouchement à la maison par des sages-femmes traditionnelles est meilleur que
la souffrance à l'hôpital. Pour ma dernière grossesse, j'ai suivi toute les étapes et j’ai
fait mes analyses dans un hôpital à Fès avec ma famille. Mon médecin m'a assurée
que la grossesse est bonne et que je n’ai rien à craindre. Quand le moment de
l’accouchement s’est approché, j’ai préféré rester à côté de mon mari qui est employé
ici. Quand le moment de l’accouchement est arrivé, mon mari m'a emmenée au centre
de santé. Mais je préfère ne pas y aller la prochaine fois.
Je suis entrée dans la salle d'accouchement. J’étais allongée sur le lit. Après quelques
instants, la sage-femme est venue. Elle a commencé à me traiter durement et à crier.
Puis elle a essayé d'enlever l’enfant avec force et violence. J’ai crié et j’ai pleuré
plusieurs heures. Elle ne se souciait pas de ma souffrance et de mes cris. Lorsque j’ai
mis au monde mon enfant, il a été emmené à l’hôpital. Ils m’ont dit qu’il avait un
problème… enfin j’ai découvert que l’équipe du centre de santé était la cause de la
mort de mon enfant quand j’ai constaté un trou dans la tête de mon bébé. Que vais-je
faire? Depuis ce moment-là je pleure et j’ai des remords. J’ai voulu porter plainte
contre les sages-femmes mais mon mari n’a pas voulu. Il m’a rassurée en me disant
que Dieu va nous donner notre droit » (Province de Figuig).
Le mauvais accueil : des médecins qui n’auscultent pas ; des soignants qui
parlent mal aux patients
Dans ce dernier extrait d‟entretien, se devine la perte de confiance qu‟une
patiente exprime à l‟égard des personnels soignants. Elle parle de la rudesse de la
sage-femme. Des récits aussi extrêmes quant à la violence physique des personnels
soignants et ses conséquences directes sur la santé des usagers sont rares. Ce qui
est en revanche fréquent est l‟évocation d‟insultes venant des personnels soignants
excédés devant l‟affluence de patients ou à force de sollicitations. Les patients
racontent leur désorientation quand ils arrivent dans une nouvelle structure. Ils ne
savent pas à qui s‟adresser et se heurtent à la rudesse des comportements des
prestataires. Régulièrement des patients ont formulé des expressions du type : « si
tu n’es pas malade en arrivant, leur comportement fait que tu repars malade ! » ;
« j’étais encore plus malade après avoir vu le médecin tellement il m’a choqué ».
Les comportements des personnels soignants, ou les rumeurs sur ces
comportements, peuvent amener à se détourner de la structure.
« Au centre de santé, même en allant chercher les pilules, ils nous traitent d’ânes et de
sauvages. Ils nous ordonnent de faire la queue et nous menacent de nous priver de
nos médicaments…. Parfois ils ferment le centre de santé et papotent dans un bureau
jusqu’à ce que les lieux soient vides pour rouvrir le centre » (Salé).
Les médecins également sont critiqués parce qu‟ils parlent mal aux patients
mais aussi parce qu‟ils les reçoivent trop rapidement. Un moment de la consultation
est particulièrement observé par les patients : l‟auscultation. Ce moment est
considéré comme un signe d‟intérêt et de professionnalisme tandis que la
prescription sans observation est décriée et perçue comme une humiliation.
« C’est rare quand les infirmières nous laissent entrer voir le médecin, et quand c’est le
cas on se retrouve avec une très longue distance qui nous sépare de lui, à croire qu’on
a une épidémie ! Il ne prend même pas la peine de nous ausculter. Il nous demande de
quoi on est malade sans même nous donner le temps nécessaire pour parler. Ensuite il
nous dit ‘OK’ et il nous prescrit un médicament. Je déteste les hôpitaux et les centres
de santé » (Salé).
109
« Après trois heures d’attente, j’ai enfin pu voir le médecin mais je suis sortie encore
plus choquée de chez elle. Une fois que je suis rentrée elle m’a demandé de quoi je
souffrais et je lui ai répondu que j’avais très mal à la tête, et avant même que je finisse
ma parole elle m’a prescrit un médicament et m’a demandé d’aller voir s’il en reste
encore à la pharmacie du centre. Quand je lui ai dit que je n’avais toujours pas fini de
lui décrire de quoi je souffrais exactement, elle m’a répondu que je n’allais qu’en même
pas lui montrer comment faire son travail et que je ferais mieux d’aller prendre mon
médicament » (Salé).
Les populations ne restent pas inactives face à l‟indisponibilité des soignants,
au manque de spécialiste, et au mauvais accueil, et, tant dans les sites de Figuig
que d‟Azilal, des manifestations de rue sont organisées ayant spécifiquement comme
revendications des récriminations contre l‟offre de soins publique.
Les choix et stratégies mis en œuvre
Face à ces contraintes multiples, connues, rapportées, analysées par les
patients ou constituant une sorte d‟histoire de la santé familiale comme nous l‟avons
vu pour les femmes vivant sous une même tente, les usagers se positionnent
différemment. Certains estiment que le rapport coût-bénéfice est trop déséquilibré et
renoncent à l‟éventualité de recourir à un prestataire de soins. D‟autres explorent
l‟offre existante dans le but de trouver celle qui équilibrera ce rapport tandis que
d‟autres encore adaptent leurs attentes aux pratiques de leurs soignants et tentent
de prévenir les obstacles connus.
La rupture du pacte de confiance : ne plus consulter
L‟expérience des obstacles pour la prise en charge d‟une pathologie passée,
sans avoir obtenu la guérison ou après avoir subi ce qui est perçu comme une erreur
médicale, décourage parfois définitivement les usagers de recourir à nouveau à un
prestataire de soins. Nous avons recueilli plusieurs récits illustrant ce type d‟attitude.
« Il a demandé une ambulance pour aller à Bouârfa. Arrivé là-bas le médecin lui a dit
qu’il n’y avait pas de spécialiste et de continuer encore sur Oujda. Lui a crié ‘pourquoi
l’ambulance m’a amené à Bouârfa plutôt qu’à Oujda directement !’. Le chauffeur de
l’ambulance dit qu’il est obligé d’aller à Bouârfa pour avoir l’autorisation d’aller à Oujda.
La personne est pauvre ; alors à Oujda on lui a dit de faire un scanner mais lui ne peut
pas payer. Il est retourné chez lui ! Voilà pourquoi les gens ne veulent pas aller à
l’hôpital ! » (Province de Figuig).
« A chaque fois quand j’allaite mes enfants, je souffre de douleurs aiguës dans mes
seins. Je résiste ou bien je prends les médicaments de la fièvre. Pendant l’allaitement
de mon dernier enfant, j’ai senti les mêmes douleurs. Il y avait une équipe mobile qui
nous a visités. J’ai dit à la sage femme que je souffre de douleurs dans mes seins. Elle
m’a demandé d'aller voir le médecin le plus proche car c’est dangereux. Donc, j’ai
demandé à mon mari de m'emmener très vite au centre de santé. Le médecin m’a dit
de partir directement à Oujda si j’ai des moyens ou bien à Bouârfa. Nous sommes
retournés moi et mon mari au douar pour vendre des bêtes pour nous procurer de
l’argent. Le médecin du centre de santé nous a donné l'adresse d'un spécialiste à
Oujda et une lettre à lui transmettre. Nous sommes partis chez ce spécialiste qui nous
a demandé de faire une mammographie et des analyses. Après l'obtention des
résultats des analyses et de la mammographie, le médecin a dit à mon mari que je dois
faire une opération pour extraire un petit kyste au niveau de mon sein gauche. Au
début, je n’ai pas accepté et c'est mon mari qui m’a encouragée pour que je sois
110
opérée. Ils ont enlevé une partie de mon sein et l'ont envoyée à Casablanca pour les
analyses. Dans l'attente des analyses, les douleurs sont toujours les mêmes et
s'accentuent de temps en temps. Après vingt jours, le médecin a appelé mon mari en
lui demandant de m'emmener chez lui. Nous sommes partis à Oujda. Je lui ai dit que je
souffre toujours des douleurs et il m’a dit qu’il faut refaire une autre opération pour
enlever le reste du kyste car les analyses ont montré que ce type de kyste ne peut pas
disparaître définitivement par le biais des médicaments. L'unique solution est de refaire
l'opération. J’étais entre les mains d’un médecin qui est là normalement pour aider les
gens et non pas pour massacrer leur santé et leur argent ! Après l’opération j’ai perdu
une grande partie de mon sein, mais les douleurs restent toujours les mêmes, malgré
que j’ai perdu tous mes biens. (…) Mon fils n’a pas bénéficié du lait maternel pour les
deux ans comme ses autres frères. Je n’ai plus confiance en la médecine moderne. Je
demande l’affectation d’un ou plusieurs spécialistes qui prendront soin de notre santé
pour avoir de nouveau confiance » (Province de Figuig).
La rupture du rapport de confiance entre patients et prestataires semble plus
importante à Figuig où l‟accès à des spécialistes est particulièrement difficile.
Procéder par essais-erreurs
Les habitants de Salé en revanche sont plus enclins à multiplier les
expériences, du fait de la proximité d‟une offre variée, tant publique que privée.
« Je ne sentais rien jusqu’au jour où j’ai eu mal au ventre. J’ai commencé à prendre
des plantes parce que je pensais que ce n’était qu’un coup de froid, mais ça
s’aggravait de jour en jour.
Je suis partie au centre de santé parce que j’avais très mal et je ne mangeais plus. Le
médecin m’a demandé ce que je ressentais exactement et m’a donné un médicament
pour les intestins. Elle m’a dit que ce n’était que du gaz. Mais, même en prenant le
médicament, j’avais toujours mal jusqu’à ce que j’aie trouvé des difficultés à marcher,
et puis ça s’est aggravé et j’ai même commencé à vomir.
Je suis alors partie à l’hôpital avec une amie, j’ai payé la caisse et je suis entrée chez
le médecin. Il m’a dit que je suis malade de mon intestin et de mon estomac et qu’il
faut que je prenne un médicament, sinon il n’a rien fait d’autre.
Mon amie m’a recommandé d’aller chez un médecin privé qu’elle connait. Quand je
suis partie, le médecin a eu des doutes et a pensé à une appendicite et m’a demandé
de faire immédiatement une analyse. Je suis partie la faire et quand je lui ai montré le
résultat, elle m’a dit que j’avais effectivement ‘l’intestin en plus’.
Je suis partie d’urgence à l’hôpital et je leur ai donné l’enveloppe que m’a donnée le
médecin » (Salé).
S’adapter à l’offre
Informés, observateurs, familiers des centres de santé, les usagers
deviennent de fins connaisseurs de la vie des structures de soins et des
personnalités ou des attitudes des prestataires de soins. Plutôt que de renoncer
définitivement à les solliciter, ils s‟adaptent à l‟offre existante et élaborent des
stratégies devant favoriser leur prise en charge effective.
Les patients s‟adaptent aux horaires des soignants pour venir consulter. On
retrouve cette stratégie chez des patients souffrant de maladies chroniques qui ont le
loisir d‟observer le fonctionnement du centre de santé à différents moments. Leur
familiarité avec les lieux de prise en charge et les personnels soignants leur permet
de décider du moment le plus opportun pour se rendre dans la structure de santé, en
111
évitant les moments d‟afflux important de patients, ou encore en étant presque
assuré de la présence du médecin.
« Personne dans la vie ne fait son travail à 100% ; mais il faut s’entraider pour réaliser
de bons résultats dans tous les secteurs. Je peux vous dire qu’à chaque fois que je
viens au centre de santé, je trouve plus de cent personnes surtout pendant les jours du
souk hebdomadaire car il y’a des nomades qui viennent de loin pour vendre leurs
bétails, se ravitailler et en même temps pour consulter le médecin. C’est pour cette
raison que je ne pars pas au centre de santé pendant ces jours-là, mercredi et jeudi,
pour laisser la chance aux nomades qui viennent avec toutes les difficultés qu’ils
rencontrent pour arriver au centre de santé. Je bénéfice des consultations souvent le
lundi ou bien le mardi. En général, je trouve un bon accueil et je bénéfice de l’insuline
toujours gratuitement malgré le manque de personnel. Je vois que les infirmiers et le
médecin font tous leurs efforts pour aider les malades, mais il faut que l’État aussi nous
aide par l’équipement du centre de santé en radiologie au moins ». (Province de
Figuig).
En se renseignant, les patients de Salé surtout apprennent les noms des
prestataires les plus accueillants, adaptent leurs comportements en fonction de
l‟attitude des soignants :
«Vous avez également suivi votre grossesse à la maternité ?
- Oui. À mon sixième mois, j’y suis partie pour ouvrir un dossier parce qu’on m’a dit que
si je n’avais pas un dossier médical ouvert chez eux, le personnel n’allait pas bien se
comporter avec moi le jour de l’accouchement. Sauf que j’ai remarqué que ce n’était
pas du tout le cas, hormis le fait qu’ils donnent des rendez-vous très éloignés (…)
- Vous êtes partie voir le médecin privé aussi ?
- Oui j’y suis partie et j’ai consulté. Elle m’a donné un médicament à prendre et elle m’a
dit que pour la douleur c’était tout à fait normal pour une femme enceinte (...).
- Pourquoi vous ne partez pas au centre de santé ?
- Un jour j’y suis partie, j’ai trouvé des stagiaires en cours d’apprentissage. L’une des
filles était devant la porte d’entrée, quand je lui ai donné le carnet de santé elle m’a dit
de lui apporter plutôt un simple cahier. Je le lui ai apporté et elle n’y a inscrit que le
numéro d’attente, ensuite elle m’a demandé d’aller à la salle d’attente des femmes
enceintes. Je ne savais pas où elle se trouvait et quand je lui ai posé la question, elle
m’a répondu qu’elle était occupée, je n’avais qu’à demander à quelqu’un d’autre.
Quand j’ai enfin trouvé la salle, j’ai longtemps attendu avant de rencontrer l’infirmière.
Elle était très gentille, je lui ai donné mon cahier mais elle a demandé à avoir mon
carnet de santé pour qu’elle le remplisse. Ensuite elle a pris mon poids et elle m’a mise
sur un banc d’examen pour qu’elle mesure mon tour de ventre. Elle m’a également
demandé si c’était ma première grossesse et si j’ai déjà eu une fausse couche, pour
me donner après des analyses à faire. Mais je n’y suis plus revenue.
- Pourquoi ? Vous aviez dit qu’elle s’est bien comportée avec vous ?
- Oui mais plusieurs femmes m’ont dit que j’ai eu de la chance de trouver cette
infirmière. Apparemment, il y en a une autre qui est très grossière avec les femmes.
Elle leur crie dessus tout le temps et les insulte, il y a même des fois où elle leur dit
qu’elles ne servent qu’à avoir des enfants ! Entre nous, je ne supporte pas qu’on
m’insulte » (Salé).
112
Une autre stratégie pour être accueilli avec amabilité par le médecin consiste
à se présenter comme étant apparenté à un agent de la structure.
« Ça m’avait vraiment fait du mal d’entendre les paroles d’un premier médecin. Quand
je suis sortie, j’ai rencontré la jeune fille stagiaire qui m’avait montré la salle d’attente et
je lui ai racontée ce qui venait de se passer avec le médecin. Elle a pris la feuille du
médicament, l’a déchirée et m’a dit qu’elle allait m’emmener chez le meilleur médecin
de ce centre à condition qu’elle lui dise que je suis sa tante. J’ai tout de suite approuvé,
c’était vraiment très gentil de sa part de m’aider et j’espère que Dieu l’aidera dans sa
vie comme elle l’a fait avec moi » (Salé).
Nous reviendrons sur le favoritisme accordé aux siens ou aux proches de ses
collègues comme mode de fonctionnement inhérent aux structures de santé dans le
chapitre sur l‟accès aux traitements.
Consulter le médecin privé ou le pharmacien
A plusieurs moments, le médecin privé est préféré, d‟emblée ou après une
première consultation au dispensaire ou au centre de santé lorsque par exemple le
personnel de santé recommande au patient de se rendre dans une autre structure de
soins publique pour la prise en charge de son problème. L‟absence et l‟indisponibilité
des médecins des centres publics, le manque d‟équipement (par exemple
d‟échographe), ou le coût du déplacement et la nécessité de demeurer sur place si le
médecin n‟est pas disponible justifient aussi le recours au médecin du secteur libéral.
« La femme a été accompagnée avec son mari au centre de santé. Parce qu’elle a été
malade, elle sentait des douleurs partout, surtout au niveau de l’utérus, mais elle n’a
pas bénéficié de médicament. L’infirmière du centre de santé lui a conseillé d’aller chez
le médecin du centre de santé de la commune voisine ou bien chez un médecin privé.
La femme a choisi ce dernier car elle a peur d’aller au centre de santé sans résultat. Et
pour éviter la charge du déplacement, ils ont préféré aller chez le médecin privé. Alors
la femme est allée à Azilal chez un médecin privé. Elle a fait la consultation. Le
médecin lui a prescrit une ordonnance, elle a payé 350 dh et il lui a conseillé de faire
un examen chez le médecin gynécologue à l’hôpital provincial pour identifier son
problème et pour lui donner le médicament efficace. Mais à cause de la pauvreté et de
la situation familiale, elle ne pouvait pas faire une visite chez le gynécologue, alors la
femme est revenue à sa maison. Après le traitement, son état est resté grave car elle
n’avait pas d’argent pour payer les frais des médicaments de nouveau ou faire une
consultation chez le gynécologue » (Province d’Azilal).
Si le recours au médecin privé, dont on est assuré de la présence, apparaît
comme une alternative pour permettre le diagnostic grâce à l‟échographie, il ne
constitue qu‟une étape pour une urgence. Cependant du fait des frais engagés pour
parvenir à cette consultation, le circuit de prise en charge peut s‟y arrêter sans même
qu‟un diagnostic ne soit posé ou que le processus curatif ait pu être commencé.
Rares sont les patients qui peuvent faire face à des dépenses sur le long terme ou
même et recourir aux spécialistes ou aux hôpitaux provinciaux du fait des frais de
transports et d‟hébergement.
La figure du bon médecin
Les itinéraires des patients témoignent de l‟importance accordée au médecin
qui est le prestataire recherché. La multitude des contraintes à surmonter pour le
rencontrer font de la consultation le lieu de tension le plus important. Les déceptions,
113
frustrations, attentes y sont exprimées voire amplifiées si le médecin ne parvient pas
à répondre à la demande du patient. Les récits des usagers laissent apparaître une
figure idéale du « bon médecin », celui qu‟ils espèrent rencontrer. Les patients
mentionnent des épisodes vécus auprès de leurs soignants pour dépeindre ce
médecin idéal, nous renseignant sur ce qu‟ils attendent de l‟offre de soins. Deux
facettes apparaissent au-delà de la distinction entre médecin généraliste et
spécialiste, celle du soignant familier et celle de l‟étranger.
Le soignant familier
Le choix du prestataire est justifié par la qualité des prestations et par les
conditions d‟accueil et d‟orientation. Certaines personnes rencontrées mentionnent
un bon rapport aux personnels soignants, surtout lorsqu‟elles souffrent de maladies
chroniques (diabète, hypertension).
« Quand mon tour vient, je rentre chez le médecin et elle me reconnait. Elle prend de
mes nouvelles et elle demande à voir les résultats de la tension. (…) J’ai de la chance
que la personne qui donne les médicaments soit la même que celle qui travaille à la
pharmacie à côté de chez moi. Je lui passe mon carnet de santé et elle me donne les
trois boites de médicaments que le médecin m’a prescrites, et elle me rappelle que je
dois revenir voir le médecin quand je les aurai finies » (Salé).
On lit dans cet extrait d‟entretien que le bon soignant est celui qui adopte un
comportement de proximité, créant une protection et une confiance rappelant les
relations de parenté. Dans la province de Figuig, nous avons entendu régulièrement
cette association d‟idées : « X [une accoucheuse] est notre mère à tous ! ». Les
personnes âgées, dans les trois sites, disent souhaiter être considérées comme si
elles étaient les parents des médecins, tandis que les mères de famille disent
rechercher un praticien qui se comporte comme un père ou une mère avec leurs
enfants, sachant les traiter avec douceur, sachant rire et manifester de la tendresse,
ou encore donner des bonbons.
« Prenons l’exemple du médecin qui traite ma fille. C’est un bon médecin qui mérite
des éloges. Pour un neurologue, il use de compassion pour mieux traiter ses malades.
Ça lui arrive d’offrir à ses malades jus, confiserie, bonbons. Il est comme un proche
parent. Ce médecin arrive à traiter ma fille, mieux que je le fais » (Salé).
« Quand nous allions voir X, il disait toujours des blagues. Tu comprends, il savait
comment vivent les gens, alors ils savaient comment leur parler et il faisait des jeux de
mots. Tu te sentais déjà guéri rien qu’en le voyant » (Province de Figuig).
L‟importance de la langue du praticien est apparue à de multiples reprises, et
plus particulièrement à Azilal : des médecins berbérophones y sont
systématiquement demandés.
« A sa sortie de l'hôpital, ni la femme, ni son fils ne communiquaient bien en arabe,
c'est pour cela qu'ils n'ont pas bien compris le régime alimentaire à suivre pour son cas
et surtout pour le diabète. Quelques mois après l'état de la femme est devenu grave de
nouveau » (Province d’Azilal).
« Actuellement la femme est à la maison, elle ne voit rien pour l’instant. L’enquêté n’a
aucune idée sur le temps nécessaire pour revenir à l’hôpital pour l’opération de sa
mère car il ne communique pas bien en arabe » (Province d’Azilal).
114
Pour le suivi des femmes, le recours à une femme médecin est préféré et peut
être décisif en milieu rural pour décider d‟accoucher au centre de santé, alors que
l‟implication de l‟infirmier polyvalent, parfois le seul sur place, est mal vécue.
« Ici le personnel médical travaille selon la demande et pas selon sa spécialité. Il arrive
parfois qu’un infirmier polyvalent soit appelé à faire accoucher une femme ou plusieurs,
malgré les protestations de leurs époux » (Province de Figuig).
Des femmes âgées ont raconté leur expérience avec des accoucheuses
traditionnelles, récit révélateur de ce qui est attendu de quelqu‟un qui accompagne
les grossesses et les accouchements, avec une présence et des attentions de tous
les instants.
« On lui donnait quelques sous et elle me serrait le ventre à la fin de l’accouchement.
Elle restait avec moi toute la journée : elle lavait le linge, me faisait prendre un bain, me
couchait et me faisait lever. C’est même elle qui s’occupait de l’achat des premiers
vêtements du bébé et elle me faisait à manger par ses propres moyens. Elle ne me
laissait toute seule qu’à partir du moment où je reprenais complètement mes forces »
(Salé).
« Je n’ai jamais entendu dire qu’une femme est tombée malade ou bien qu’elle soit
morte entre les mains d’une accoucheuse. Elle fait la lessive, le ménage et elle
s’occupe aussi des enfants. Et durant le deuxième jour de la naissance elle me serre le
ventre et m’aide. Elle ne partait qu’après m’avoir débarrassé du placenta. On
accouchait puis on dormait et on buvait rass lhanout, et on mangeait rfissa et les œufs
bldy jusqu’à ce qu’on sue. Maintenant le médecin te dit de ne rien faire ! » (Salé).
Ces caractéristiques du bon soignant renvoient à la figure du médecin
originaire du « bled ». Les patients de Figuig l‟explicitent en disant privilégier le
recours aux médecins généralistes et spécialistes originaires de la province
travaillant localement ou installés à Oujda, Rabat ou Casablanca, avec lesquels ils
partagent la langue et la « citoyenneté » (entendue comme comportement basé sur
la disponibilité et sur la prise en compte des moyens financiers des patients).
Certains habitants de Salé semblent également choisir leur médecin en fonction
d‟une communauté d‟origine et dont on peut alors attendre une prise en charge semigratuite.
« A vrai dire, je ne fais pas confiance aux médecins. Tu ne peux pas aller chez un
médecin comme ça directement. Tu demandes aux gens comment il les soigne, les
examine, et si ses médicament sont efficaces. Quant au centre de santé, vous savez
comment c’est ! Ils vous laissent attendre. Les médecins sont toujours occupés et
parfois sans avoir donné de l’argent, on ne peut pas arriver au médecin.
Le médecin spécialiste que je suis allée voir à Rabat, directement après le pharmacien,
est originaire de notre région dans le sud. Je sais que je peux lui faire confiance. Elle
m’a donné à faire des analyses, et pour pouvoir suivre mon sucre tous les jours, elle
m’a donné un appareil pour mesurer le sucre gratuitement. Je ne suis plus allé la voir
depuis 8 mois. Je ne peux pas à chaque fois y aller sans la payer, même si c’est une
personne du bled ! » (Salé).
On retrouve le recours aux connaissances souligné plus haut comme facteur
favorisant l‟accès à un prestataire. Sont ici choisis des soignants dont les
compétences sociales et culturelles dépassent les compétences médicales. La
réputation des médecins originaires de la même localité que les patients ressortit à
une sorte de patrimoine local, entretenu par les allers-retours des patients et par des
115
visites du médecin à sa famille dans sa province d‟origine, visites qui se transforment
en consultations. La participation aux caravanes médicales renforce également la
renommée de ces ressortissants.
« Je suis chanceuse d'avoir accouché de tous mes enfants en présence de X. On rêve
d'avoir des médecins compétents surtout après l'absence de X qui était le seul
médecin. A part les caravanes mobiles qui arrivent deux ou trois fois par ans et qui
sont faites par des médecins originaires d’ici, nous sommes obligés de partir vers
Bouârfa ou Oujda pour faire des petites consultations. L'État ne donne aucune
importance pour la vie de 14.000 habitants en plus des nomades très nombreux »
(Province de Figuig).
Dans cet extrait d‟entretien on relèvera que les médecins ressortissants de la
région sont décrits par opposition aux médecins généralistes des centres de santé
publics. Au médecin « du bled », familier, qui se comporte comme un parent, est
souvent opposé le médecin marocain étranger à la province, qui représente l‟État, ne
parle par les dialectes locaux, ignore les pathologies liées à l‟environnement
spécifique au contexte local, mais aussi les usages locaux de la politesse. Ces
manquements sont peu pardonnés aux jeunes médecins généralistes.
La valorisation du spécialiste étranger
En revanche, les spécialistes sont particulièrement valorisés, y compris
lorsqu‟ils ne sont pas marocains : ils sont souvent présentés comme ceux qui
permettent la guérison. Nous avons systématiquement enregistré, dans chaque
localité de Figuig ou d‟Azilal, la demande de pouvoir bénéficier de la prestation de
spécialistes dans les centres de santé. Cette demande repose sur le constat de
l‟efficacité perçue des prestations des spécialistes consultés à Oujda, Casablanca ou
Rabat, de ceux qui se sont déplacés en milieu rural dans le cadre de caravanes
médicales, ou encore des soins prodigués par des spécialistes étrangers (en
l‟occurrence chinois) exerçant dans les hôpitaux provinciaux.
Les spécialistes sont recherchés mais difficilement accessibles pour les
habitants du milieu rural qui n‟ont pas les ressources financières suffisantes pour se
rendre dans les hôpitaux provinciaux ou régionaux.
« Ma première grossesse est survenue après un an de mariage. J’ai été enceinte avec
des jumeaux et j’ai senti une douleur et des saignements abondants. Je suis allée au
centre de santé. Ils m'ont dit que j'ai un grave problème exigeant une injection
coûteuse, des tests et des traitements à Rabat. Je n’ai pas d'argent mais j’en ai
emprunté à la famille pour aller à Rabat. Là-bas, on m’a donné des traitements qui
m'ont sauvé la vie et celle de mes enfants. Actuellement mon fils de 15 ans est
gravement malade pour le même problème et je ne peux pas payer les analyses pour
lui ou aller dans les grands hôpitaux » (Province de Figuig).
L‟accès au spécialiste, éventuellement loin de chez soi, est parfois facilité par
l‟intervention d‟un membre de la famille, citadin, qui contribue à accentuer encore
cette valorisation du spécialiste éloigné.
« Le médecin du centre de santé est toujours absent, c'est pour ça que mon fils de
Casa me prend en charge et me demande toujours de respecter mes rendez-vous
avec mon médecin de Casa, là ou il y a tous les équipements et toutes les spécialités.
On avait un seul médecin qui a beaucoup rendu service. Maintenant il faut quitter la
province pour se faire soigner par des médecins qualifiés ailleurs » (Province de
Figuig).
116
Cette bonne réputation se base entre autres sur des consultations ayant
permis l‟identification de pathologies inconnues jusqu‟à la consultation par un
spécialiste, ou encore sur des erreurs de généralistes réparées par l‟intervention du
spécialiste.
« Depuis 1983 que je souffre du diabète. J’avais un problème cardiaque, j’ai fait un
malaise et j’ai été hospitalisé. J’ai fait une consultation à Oujda chez un cardiologue qui
m’a proposé de faire des analyses ; c’est là où j’ai découvert que je suis diabétique »
(Province de Figuig).
« Le médecin [généraliste] privé a dit qu’il s’agissait d’une hernie. Il [a pris ma fille
enceinte] en urgence et lui a donné des médicaments. Le médecin a dit de dormir et de
se reposer. Comme ça n’allait pas mieux, elle a vu ensuite les [spécialistes] chinois qui
ont dit que ce n’était pas le bon médicament et que ça pouvait être dangereux pour le
bébé » (Province de Figuig).
Les médecins spécialistes semblent, contrairement à l‟appréciation portée aux
généralistes, d‟autant plus valorisés qu‟ils sont étrangers : « Ils ne sont même pas
Marocains et ils font plus pour nous ! Ils sont beaucoup aimés ici » a-t-on entendu à
plusieurs reprises. La présence de spécialistes chinois, comblant l‟absence de
spécialistes marocains, a été plusieurs fois soulignée.
« Heureusement j’avais la chance d’être consulté par un cardiologue chinois, j’étais en
train de mourir et c’est lui qui m’a sauvé la vie. Les Chinois nous rendent un grand
service, nous sommes chanceux de faire les consultations et bénéficier des
médicaments gratuitement car nous sommes pauvres et on n’a pas les moyens pour
voyager jusqu'à Oujda et y faire les consultations. » (Province de Figuig).
Les médecins spécialistes venant de l‟étranger (d‟origine marocaine ou non)
peuvent être également rencontrés lorsqu‟ils participent à des caravanes médicales.
« J'ai constaté que je suis diabétique pendant la visite d'une association des médecins
de la Suisse à Bni Tadjit. J'ai bénéficié des analyses par des médecins spécialistes qui
m'ont confirmé que je suis diabétique et que je suis obligé de suivre un régime et m'ont
donné des comprimés à prendre et m’ont recommandé de visiter le médecin au moins
une fois chaque mois » (Province de Figuig).
On aura relevé que s‟agissant des spécialistes, et contrairement au médecin
généraliste, la très grande distance sociale et culturelle entre le patient et le médecin
est particulièrement appréciée par le premier, la langue n‟étant plus ici un obstacle.
117
Conclusion
De multiples contraintes influent sur les décisions de recourir à un prestataire
de soins. Nous pouvons ici reprendre la problématique des trois délais.
Le premier délai est lié à l‟estimation de l‟importance du problème de santé
par les patients et leur entourage. La décision de recourir à un personnel soignant se
fait dans la plupart des cas lorsque des symptômes persistent, surtout pour les
usagers éloignés des centres de santé. La décision de recourir à un médecin est
prise collectivement. La hiérarchie générationnelle, les rapports de genre et les
relations de dépendance économique en sont des facteurs déterminants. La
scolarisation croissante des filles et l‟indépendance financière des jeunes femmes
semblent introduire de nouvelles dynamiques dans le processus d‟estimation de la
gravité du problème et de décision ; leurs arguments semblent peser.
Par ailleurs, plus les contraintes pour accéder au centre de santé sont
importantes, plus les coûts à engager sont élevés et plus le temps qui sépare les
premiers symptômes de la décision de se présenter à un prestataire augmente.
L‟ignorance ou le désintérêt supposés des familles pour leurs enfants ou leurs
femmes enceintes qui les poussent à retarder le recours au soin sont loin d‟être
explicatifs. Ce qui est en jeu ici est la nécessité d‟effectuer un choix en fonction des
contraintes de transport, de temps et de coût auxquels il faut faire face. La présence
d‟ambulances ou le fait de bénéficier d‟une couverture médicale, sont certes des
facteurs favorisant le recours aux soins, mais ils ne sont pas toujours déterminants
de la décision et de la réduction du temps de recours à un prestataire.
Enfin, si les patients ont quitté leur domicile et ont pu atteindre le centre de
santé, ils peuvent se heurter à de nouvelles barrières relatives à l‟accueil et qui
risquent encore d‟allonger le délai de prise en charge ; ici, le bakchich et/ou
l‟intervention d‟interconnaissances constituent les facteurs favorisant. L‟objectif
affiché par les patients est de parvenir à accéder au médecin, et de préférence au
médecin spécialiste.
Le médecin auquel on souhaite avoir accès est celui qui doit rassurer,
permettre de comprendre la maladie. L‟interaction avec le médecin sera d‟autant plus
facilitée et appréciée si celui-ci parle la langue du patient, comprend ses pratiques
quotidiennes, connaît ses conditions de vie et les pathologies de son contexte ; le
médecin originaire de la localité est alors présenté comme le praticien idéal. Mais
surtout, avec la morbidité accrue liée aux maladies chroniques sans doute en lien
avec le vieillissement des populations surtout en zone rurale, une élévation des
plateaux techniques, une meilleure connaissance des risques, une circulation
facilitée des patients et des soignants de la campagne aux grandes villes et
inversement, le médecin spécialiste apparaît particulièrement valorisé ; il est celui qui
posera le bon diagnostic, qui est censé conduire le mieux à la guérison. Être un
spécialiste (exerçant dans les grandes villes) originaire de la région est
particulièrement apprécié. Mais les médecins spécialistes étrangers (européens et
chinois) sont aussi particulièrement reconnus et valorisés, voire recherchés : ils sont
étrangers aux rivalités locales susceptibles d‟introduire des attitudes discriminatoires,
et seront alors considérés comme d‟autant plus accessibles.
118
Les médecins marocains généralistes du secteur public et étrangers à la
province apparaissent souvent comme les moins appréciés. Cela est
particulièrement manifeste dans les provinces de Figuig et Azilal, moins à Salé
même si nous avons pu y relever parfois des préférences déclarées en faveur de
soignants « du bled ». Le médecin généraliste privé offre une alternative, notamment
du fait d‟une disponibilité ressentie plus importante.
119
Chapitre - 5 Formation, pratiques et conditions de travail
de médecins généralistes
Hafid Hachri, Marc-Éric Gruénais, Vincent De Brouwere
La qualité technique et relationnelle des prestataires de santé à laquelle la
population accorde le plus d‟importance influence l‟utilisation de service (Kloos
1990 ; Belqari 2004). Parmi ces prestataires, le médecin généraliste, qualifié par
l‟organisation mondiale de la santé de « levier stratégique » de par sa position
comme porte d‟entrée dans le système, a un rôle essentiel à jouer dans
l‟amélioration de l‟accès aux soins de santé de base, dans la prise en charge des
problèmes de santé de la population et dans la réduction des inégalités sociales
(Falcoff 2010). Son savoir et son savoir-faire doivent lui permettre de tenir compte
non seulement des aspects biomédicaux de la maladie, mais aussi et surtout de
considérer les besoins globaux de l‟individu en y intégrant les aspects
psychologiques et les conditions socio-économiques dans lesquels il vit (c‟est ce
qu‟on appelle des soins centrés sur le patient).
Conscient du rôle primordial joué par le médecin généraliste dans le
renforcement de la performance des systèmes de santé, le Ministère de la santé
s‟est orienté ces dernières années, d‟une part vers la médicalisation des services de
santé de base, particulièrement du monde rural, et d‟autre part dans une réflexion
sur la valorisation de la médecine générale et le renforcement des soins de santé
primaires40. C‟est ainsi que cette politique sectorielle s‟est donnée l‟objectif de former
3300 médecins à l‟horizon 2020 « pour garantir une couverture sanitaire efficace
pouvant contribuer de manière durable à l‟amélioration de l‟état de santé »41. Au
moins la moitié de ces médecins seront des généralistes appelés à travailler dans les
services de santé de base et en cabinets privés. Cette volonté des décideurs de
densifier l‟offre de soins médicaux de première ligne est cohérente avec la volonté
d‟améliorer l‟accès aux soins de santé, mais encore faut-il que la qualité de cette
offre soit suffisante. Or, la formation actuelle des médecins ne semble pas les
préparer à offrir des soins globaux centrés sur le patient (Boelen 2004). La prestation
médicale de soins aux individus est peu réactive et de qualité discutable, elle se
focalise sur la prise en charge de la maladie et peu sur l‟individu en tant que membre
de sa communauté (De Brouwere et Gruénais 2009). Cette situation n‟est pas
récente puisque, le débat entre le Ministère de la santé et les facultés de médecine
sur la nécessité d‟une réforme des études médicales42 date de plus d‟une dizaine
d‟années (De Brouwere et Gruénais 2009, Boelen 2004).
40
Maroc, Recommandations du Forum national sur les soins de santé primaires, 27-29 avril 2009.
Ministère de la santé du Royaume du Maroc. 2007. Santé, vision 2020. Rabat, 52 p.
Pr Najjia Hajjaj-Hassouni 2009. La médecine Générale dans le projet de réforme des études médicales au
Maroc. Présentation lors du forum national sur les soins de santé primaires, Rabat.
41
42
120
Le médecin généraliste au Maroc exerce essentiellement dans les services de
santé de base (centre de santé ou cabinet de médecine générale privé) où la
majorité des problèmes de soins curatifs (95%) peuvent être pris en charge (De
Brouwere et Gruénais, 2009). Cependant, cette pratique de la médecine générale
reste critiquée par certains médecins, qui en font le mode d‟exercice de ceux qui ont
échoué à faire des études médicales spécialisées et une pratique par défaut non
souhaitée. D‟ailleurs, les médecins généralistes sont dépités par une image
privilégiant constamment le médecin spécialiste et par le manque de reconnaissance
de leur potentiel (Boelen 2004). La création de trois nouvelles facultés de médecine
(Marrakech, Fès et Oujda) a permis de renforcer les effectifs des médecins et
d‟améliorer la couverture du monde rural en médecins généralistes. Cette
augmentation des effectifs médicaux a été accompagnée d‟une féminisation du
secteur : actuellement43 les étudiants en médecine en fin de formation (7 ème année)
de sexe féminin représentent dans les trois facultés de médecine de Rabat,
Casablanca et Fès respectivement 60%, 70% et 65% de l‟ensemble des étudiants.
La présente étude descriptive part de l‟hypothèse que la médecine générale est un
enjeu stratégique de l‟amélioration de la couverture sanitaire au Maroc. Elle explore
la place et le rôle du médecin généraliste praticien de la première ligne dans l‟accès
aux soins de santé. Elle analyse également la perception des médecins généralistes
praticiens sur leur formation de base : les a-t-elle préparés suffisamment pour
répondre aux besoins essentiels de la population, notamment en termes de
communication avec la communauté et de soins centrés sur le patient ? Quelles
perceptions le médecin généraliste a-t-il de sa profession et de ses conditions de
travail? Y a-t-il une différence de perception et de pratique entre les médecins
généralistes des deux secteurs, public et privé ? Les questions toucheront aussi aux
représentations des jeunes médecins sur la médecine générale et l‟avis des
décideurs politiques et des responsables des facultés de médecine.
Méthodologie
Après un état des lieux de la démographie médicale globale au Maroc
(évolution des effectifs et répartition des médecins par région et par secteur), nous
avons procédé par des entretiens individuels avec des médecins généralistes des
deux secteurs public et privé, des jeunes lauréats de médecine et avec des
responsables du Ministère de la santé et des facultés de médecine, notamment
Rabat, Fès et Oujda.
Pour les étudiants en fin de cursus de formation, nous avons ciblé des
lauréats de deux facultés de médecine choisies de manière raisonnée : une
ancienne (Rabat) et une récente (Fès). Ces jeunes ne sont pas encore en pratique
(privée ou publique) et ne sont pas inscrits en spécialité, ce qui a permis d‟explorer
leurs conceptions de la carrière et de la pratique du médecin généraliste, et
d‟identifier les conditions d‟acceptation d‟un poste en milieu rural. Nous avons
interrogé 10 lauréats par faculté tirés au hasard, pour 60% de sexe féminin, ce qui
correspond au sexe ratio des lauréats des deux facultés de médecine pour la
promotion 2010.
43
Services des étudiants, facultés de médecine de Casablanca, Rabat et Fès, 2010.
121
Concernant les médecins généralistes expérimentés, nous avons réalisé des
entretiens avec 40 médecins généralistes hommes et femmes, du public et du privé,
pratiquant en milieu urbain et rural. Le but n‟est pas d‟être statistiquement
représentatif mais d‟explorer une vaste gamme de perceptions sur la pratique de la
médecine générale : frustrations et plaisirs, réorientations envisagées, conditions de
travail, adéquation entre formation de base et besoins du terrain.
Nous avons complété l‟étude par des entretiens avec des décideurs du
Ministère de la santé relevant aussi bien du niveau central que déconcentré
(directeur central, responsables de la gestion des établissements de soins de santé
de base et délégués du Ministère de la santé). Des entretiens avec des responsables
des facultés de médecines (doyens, vices doyens et professeurs enseignants) ont
été réalisés pour analyser leur réponse à la question de la formation et du
positionnement de la médecine générale au sein des facultés de médecine.
Nous avons utilisé une méthode d'entretiens semi-structurés individuels
enregistrés. Chaque entretien était mené selon la même méthodologie sur la base
d‟un guide d‟entretien spécifique pour chaque profil. Le corpus des entretiens a été
intégralement retranscrit sur support informatique en conservant le plus fidèlement
possible la parole des différentes personnes interrogées. Puis les entretiens ont été
« déstructurés » pour classer les informations par thèmes. La collecte des données
dans les différents sites de l‟étude s‟est déroulée en mars et avril 2011. Les résultats
relatifs à la couverture de l‟échantillon de l‟étude et le profil des personnes
interrogées sont présentés dans la section suivante. Au cours de l‟enquête, nous
avons réalisé 56 entretiens avec les différentes catégories de professionnels.
Tableau 15 : Répartition des médecins interrogés selon le profil
Profil
Nombre
réalisés
10
7
12
5
5
8
2
2
5
0
56
Médecins généralistes praticiens Masculin
du secteur public
Féminin
Médecins généralistes praticiens Masculin
du secteur privé
Féminin
Jeunes médecins généralistes Masculin
non encore embauchés
Féminin
Responsables du Ministère de la Masculin
santé
Féminin
Responsables des facultés de Masculin
médecine
Féminin
Total
d‟entretiens
Cette étude a été généralement bien perçue aussi bien par les acteurs du
secteur public que ceux du secteur privé. En effet, elle faisait réagir bon nombre des
médecins généralistes publics et la majorité des médecins du secteur libéral qui ont
pu dire que « pour une fois » on s‟intéressait à eux, à la pratique de la médecine
générale et à leurs conditions de travail. D‟ailleurs, certains entretiens étaient
particulièrement chargés en émotion et les enquêtés avaient beaucoup à dire,
mentionnant parfois le fait de ne pas avoir d‟espace de dialogue et d‟échange sur
leur métier et leurs difficultés.
122
Situation des effectifs au niveau national et au niveau local
Au niveau national
Depuis l‟indépendance, le Ministère de la santé n‟a cessé de déployer des
efforts en matière de couverture sanitaire pour offrir à l‟ensemble de la population
des soins de santé de proximité. Ainsi, le Maroc comptait en 200744 18.269
médecins, tout secteur confondu. Cet effectif a connu une évolution importante dans
le temps : il a été multiplié par 17, passant de 1096 en 1960 à 18.269 en 2007. Parmi
cet effectif, 8.263 médecins (45%) exercent dans le secteur privé et 10.006 médecins
(55%) exercent dans le secteur public pour l‟année 2007. Parmi les 18.269 médecins
tout secteur confondu, 49,5% sont des généralistes, soit 9.055 médecins et 50,5%
sont des spécialistes, soit 9.214 médecins. Pour le secteur public, il y a un peu plus
de spécialistes que de généralistes, alors que dans le secteur privé, il y a une
réparation à parts égales.
Figure 1 : Répartition des médecins généralistes et spécialistes par secteur en 2007
Néanmoins, malgré l‟augmentation des effectifs et de la densité médicale (8,4
médecins pour 100.000 habitants en 1960 ; 58 médecins pour 100.000 habitants en
2008), la proportion de médecins par habitants au Maroc reste inférieure à celle
enregistrée dans les pays arabes, estimée en moyenne à 99 médecins pour 100.000
habitants, et largement en dessous de la densité moyenne de l‟OCDE estimée à 300
médecins pour 100.000 habitants (OCDE 2008).
L‟Organisation Mondiale de la Santé (OMS) situe le Maroc parmi les 57 pays
du monde souffrant d‟une carence aiguë en personnel soignant. En 2007, les
effectifs du personnel médical et paramédical offrant des soins directs aux patients
au Maroc étaient largement en deçà du seuil critique de 2,5 personnels de soins pour
1.000 habitants, seuil considéré comme nécessaire pour atteindre la couverture pour
les interventions essentielles, notamment celles qui sont liées à la réalisation des
OMD (Ministère de la santé 2010). L‟initiative nationale de formation de 3.300
médecins par an à l‟horizon 2020, qui prévoit la création de nouvelles facultés de
médecine, devrait combler à moyen terme le déficit.
44
Ministère de la santé, DPRF, la démographie médicale et paramédicale à l’horizon 2025.
123
L‟analyse de la structure par sexe montre que 60% des médecins sont de
sexe masculin. Pour le secteur public, il y a autant de médecins de sexe féminin que
de sexe masculin. En revanche, pour le secteur privé, le nombre d‟hommes est bien
supérieur à celui des femmes. .
Figure 2 : structure du personnel médical par sexe en 2007
La répartition du personnel médical public par sexe selon les années de
services, montre une évolution spectaculaire de la féminisation du secteur, passant
de 23,5% pour les anciennes générations (plus de 20 ans de service) à 63,8% pour
les jeunes médecins (1 à 4 ans de pratique). Actuellement, dans certaines facultés
de médecine, cette tendance s‟accentue, les étudiants de sexe féminin représentant
plus de 65% de l‟ensemble des étudiants45.
Figure 3 : Répartition des généralistes publics
par sexe selon l’ancienneté en 2007
Par ailleurs, l‟analyse de la structure par âge des médecins46 du Ministère de
la santé montre que l‟âge moyen est de l‟ordre de 40,7 ans. Une analyse plus
détaillée par tranches d‟âge montre une structure relativement jeune pour le
personnel médical, étant donné que sept médecins sur dix sont âgés de moins de 45
ans.
45
46
Services des étudiants, facultés de médecine de Casablanca, et Fès, 2010
Les données portant sur les âges des médecins du secteur privé n’étaient pas disponibles
124
Figure 4 : Répartition du personnel médical du secteur
public par tranche d’âge en 2008
Selon le tableau ci-dessous, l‟évolution de la démographie des médecins
généralistes dans les deux secteurs laisse apparaitre un accroissement de l‟effectif
de 6.745 à 9.055 médecins, soit une augmentation annuelle moyenne de l‟ordre de
4% durant la dernière décennie (1999-2007). Cette augmentation reste faible par
rapport à la croissance de la population, puisqu‟on est encore en moyenne à un
médecin généraliste (tout secteur confondu) pour 3.633 habitants en 2007.
Tableau 16 : Évolution des effectifs des médecins généralistes
selon les secteurs entre 1999 et 2007
Année
Public
Privé
Total
1999
3 338
3 407
6 745
2000
3 597
3 282
6 879
2001
3 832
3 590
7 422
2002
4 625
3 485
8 110
2003
4 575
3 465
8 040
2004
4 573
3 499
8 072
2005
4 605
3 663
8 268
2006
4 746
3 905
8 651
2007
4 892
4 163
9 055
Source : Ministère de la santé, 2010
On constate que les effectifs des généralistes dans le secteur privé
augmentent moins vite que dans le secteur public ; ceci pourrait s‟expliquer en partie
par la médicalisation croissante des établissements des soins de santé de base
publics.
125
L’inégale répartition des médecins généralistes par région
La comparaison entre régions du nombre d‟habitants par médecin généraliste
(MG) des deux secteurs montre des disparités régionales flagrantes. En effet, ce
ratio varie de 5.452 habitants pour un médecin généraliste dans la région de Taza-Al
Hoceima-Taounate à 2.203 habitants par médecin dans la région du Grand
Casablanca. Les régions de Rabat-Salé-Zemmour-Zaer et du Grand Casablanca
sont les mieux desservies en médecins généralistes avec un effectif de 2.756, soit
32% du total national des médecins généralistes pour une population représentant
20% de la population nationale. Dans le secteur privé, la répartition des généralistes
apparaît tout aussi inégale. Les régions du sud sont les moins bien dotées en
médecins généralistes privés, et les régions de Casablanca et de Rabat-SaléZemmour-Zaer sont les plus favorisées. En effet, 43% des médecins généralistes
privés sont installés dans les villes situées sur l‟axe Rabat-Casablanca. Le tableau
ci-dessous, illustre la répartition des médecins généralistes par secteur et par région,
ainsi que le nombre d‟habitants par médecin généraliste tout secteur confondu.
Malgré l‟augmentation de 34% de l‟effectif global des médecins généralistes entre
1999 et 2007, sa répartition territoriale n‟est donc pas équitable.
Il faut noter aussi, que les écarts de répartition des médecins généralistes sont
importants non seulement entre les régions mais aussi au sein de la même région.
Par exemple pour la région de Rabat-Salé-Zemmour-Zaer, le ratio MG par habitants
varie de 1 MG pour 1.400 habitants à Rabat, à 1 MG pour 5.500 habitants dans la
province de Khémisset. Pour la région de l‟Oriental, ce ratio oscille de 1 MG pour
3.400 habitants dans la province d‟Oujda à 1 MG pour 6.143 pour la province de
Figuig.
Tableau 17 : Répartition des médecins généralistes47
par secteur et par région, 2007
Régions
Oued Eddahab-Lagouira
Laâyoune-BoujdourSakiahamra
Guelmim-Essmara
Sous-Massa-Daraa
Gharb-Chrarda-Beni Hssen
Chaouia-Ouardigha
Marrakech-Tensift El haouz
Oriental
Grand Casablanca
Rabat-Sale-Zemmor-Zaer
Doukkala-abda
Tadla-Azilal
Meknès-Tafilalet
Fes-Boulemane
Taza-Al Hoceima-Taounate
Tanger-Tétouan
National
47
public
40
84
privé
3
15
ensemble
43
99
Nombre habitants par MG
3.512
2.980
142
431
248
248
384
315
494
453
196
150
397
285
241
310
4.418
23
240
212
200
258
257
1249
560
197
129
250
191
91
288
4.163
165
671
460
448
642
572
1.743
1.013
393
279
647
476
332
598
8.581
3.000
4.894
4.196
3.774
5.003
3.414
2.203
2.480
5.168
5.294
3.417
3.489
5.452
4.386
3.633
Hors médecins des CHU et ceux des Collectivités locales.
126
Selon le Ministère de la santé, la faible complémentarité entre les secteurs
publics et privés, et l‟offre globale (publique et privée) n‟a pas permis de rétablir
l‟équilibre entre les différentes régions, et encore moins entre les différentes
provinces pour les services de santé de base (Ministère Santé 2008).
Le graphe ci-dessous illustre les disparités dans la répartition des médecins
généralistes entre les différentes régions du royaume.
Figure 5 : répartition des médecins généralistes entre les différentes régions
L‟analyse synthétique de la démographie médicale au Maroc révèle une
évolution des effectifs médicaux, une tendance à la féminisation de la profession et
une répartition inéquitable des médecins des deux secteurs dans les régions et les
provinces du Royaume.
Situation des médecins généralistes dans les trois sites de l’étude
Le nombre de médecins généralistes dans les trois sites retenus pour l‟étude
(Azilal, Salé et Figuig) est respectivement de 74, 225 et 16 médecins généralistes.
Tableau 18 : Médecins généralistes dans les trois sites de l‟étude
Sites
Population
Azilal
Salé
Figuig
521.000
959.000
129.430
Médecins
généralistes
publics
62
97
12
Médecins
généralistes
privés
12
128
4
Ratio hbt/MG
7.040
4.262
6.143
Ratio hbt/MG au
niveau national
3.633
Délégations du Ministère de la santé aux provinces de Salé, Azilal et Figuig en 2010
127
Il apparait clairement que le ratio habitants/MG dans les deux provinces
d‟Azilal et de Figuig est largement supérieur à celui de la préfecture de Salé et à la
moyenne nationale. Cela dénote l‟insuffisance relative de la couverture de ces deux
provinces en médecins généralistes. La préfecture de Salé à prédominance urbaine
dispose d‟une offre privée beaucoup plus importante que les deux autres provinces,
ce qui témoigne de son attractivité.
Figure 6 : Répartition des médecins généralistes par sexe dans
les trois sites en 2011
Source : Délégations du Ministère de la santé
L‟analyse de la répartition des médecins généralistes par sexe dans les trois
sites montre une légère prédominance féminine avec 167 médecins femmes pour un
total de 315 généralistes, soit 53%. Dans le secteur public, la prédominance féminine
est remarquable avec 117 médecins, soit 68% des médecins généralistes publics.
Tandis que dans le secteur privé, la prédominance est masculine avec 94 médecins,
soit 65% des médecins généralistes privés.
Points de vue des différents acteurs institutionnels sur le rôle
du médecin généraliste
Les acteurs du Ministère de la santé
Au niveau central, le Ministère de la santé „employeur‟ du médecin généraliste
public semble avoir une idée claire du profil et du rôle souhaités pour ce médecin de
la première ligne : « ….Nous sommes convaincus de l’importance des soins de santé
primaires, et du rôle du médecin généraliste comme porte d’entrée dans le système
[de santé]. D’ailleurs, plusieurs projets menés par le Ministère avaient comme
objectif le développement et le renforcement du rôle du généraliste au niveau de la
première ligne. Récemment, nous avons élaboré un nouveau guide définissant les
fonctions et les attributions du médecin généraliste », disait un responsable du
Ministère de la santé.
128
Les personnes interrogées sont unanimes sur le fait que le profil du médecin
généraliste actuel ne répond pas aux besoins ni à la demande d‟une population en
pleine transition démographique et sanitaire : « On n’est pas dans une approche
purement médicale, le médecin généraliste devrait être à la frontière entre l’approche
biomédicale classique et l’approche de santé publique. Il doit s’intéresser au volet
socio-économique et psychoculturel du malade, à sa famille et à son
environnement », disait un responsable.
Tous les responsables interrogés affirment que la formation de base théorique
et pratique du médecin généraliste ne lui permet pas de s‟adapter à la réalité du
terrain, du fait que ce dernier ne devrait pas être uniquement un technicien, mais
aussi un psychosociologue, un agent de développement communautaire, un
gestionnaire et un leader. Ces aspects sont négligés par la formation de base
disaient ceux-ci.
La médecine est une science humaine et sociale avec des spécificités, selon
un responsable du Ministère de la santé. Donc, en plus de l‟approche clinique
classique, il y a besoin d‟avoir une approche complémentaire lors de la formation de
base qui apprend aux jeunes médecins l‟histoire de la médecine, l‟éthique
professionnelle, la sociologie, la psychologie, et l‟humanisation du régime de
dispensation des soins. Ce sont ces disciplines qui renforcent l‟humanisme des
sciences médicales et qui malheureusement font défaut dans le cursus de formation
de base. Sans ces disciplines représentant l‟essence même de la médecine et qui
touchent aux valeurs de la santé publique, on tombe facilement dans le piège de
dire : « lithiase de la vésicule biliaire …, c’est un corps étranger à opérer, alors que
ce calcul n’est qu’une partie d’un problème global à prendre en charge dans toutes
ses dimensions », selon un de nos interlocuteurs.
Il a été précisé également que les stages pratiques censés développer le
savoir-faire du médecin généraliste et le préparer à l‟exercice de sa profession au
niveau ambulatoire se déroulent la plupart du temps dans les hôpitaux universitaires
qui n‟ont rien à voir avec la pratique ambulatoire : « …d’ailleurs, les patients
rencontrés au CHU présentent des problèmes de santé rarement vus à la base de la
pyramide du système de santé », disait un responsable. « Je suis persuadé que pour
une bonne formation d’un médecin généraliste, les stages tels qu’ils sont organisés
actuellement ne sont pas efficaces. Il faut privilégier les centres de santé et l’hôpital
de premier recours comme site de stage » (un autre responsable du Ministère de la
santé).
Les personnes interrogées ont précisé l‟engagement du Ministère de la santé
pour relever le défi de la médecine générale au Maroc : « Nous sommes conscients
depuis plus d’une dizaine d’années de la nécessité d’une réforme des études
médicales et nous avons sollicité l’appui de l’Organisation Mondiale de la Santé et
mobiliser des experts canadiens, mais on n’a jamais pu faire aboutir ce dossier »,
disait un responsable. Ce dernier précisait qu‟une réelle réforme est nécessaire et
pas seulement quelques retouches pour ajouter certains modules ou quelques
heures d‟économie de la santé, de communication ou un cours d‟anglais, « et dire
que nous avons adapté le programme de formation du médecin généraliste ».
129
Malgré la volonté des acteurs du Ministère de la santé, certains facteurs
énumérés par les responsables n‟ont pas favorisé le développement de la médecine
générale au Maroc. Nous résumons ci-dessous les principaux arguments avancés en
la matière.
Une profession mal organisée : bien que des petites associations de
médecine générale existent, il y a absence de société savante et de fédération de
médecine générale donnant de la légitimité scientifique à la profession.
Le médecin généraliste n‟a pas été positionné sur le plan règlementaire dans
la filière de soins (= il n‟est pas considéré comme un passage obligé vers le
spécialiste).
Les facultés de médecine, responsables des réformes du cursus de formation
médicale, ne se sont pas approprié le dossier. Les différentes réformes du cursus de
formation se sont déroulées dans les bureaux des facultés de médecine.
L‟implication du Ministère de la santé se limitait à une participation de forme pour la
validation des contenus, mais il n‟y a jamais eu de concertation dans la vision pour la
définition d‟un profil de médecin généraliste. Par ailleurs, le désaccord de certains
professeurs de médecine sur l‟inadéquation de la formation de base du médecin
généraliste, mais aussi leur conviction de la bonne qualité de la formation est une
autre cause du maintien d‟une formation inadaptée.
L‟absence d‟une instance de coordination composée des principaux
partenaires qui mettra autour de la même table l‟ensemble des détenteurs
d‟enjeu/acteurs/parties prenantes pour définir et se mettre d‟accord sur un profil de
médecin généraliste adapté au contexte marocain. Un tel profil ne doit pas se limiter
à la dispensation de soins telle que visée par le modèle actuel de la formation, mais
doit être capable de prendre en charge les autres aspects primordiaux à savoir la
communication, la gestion, la participation et l‟implication dans le développement
communautaire afin de permettre à ce médecin généraliste d‟assumer son rôle de
principal agent coordonnateur des soins de santé primaires. Sans cette vision claire
du profil du médecin généraliste qui tiendra compte de l‟évolution du système de
santé et des différents défis que celui-ci aura à relever dans le futur, et sans une
implication de tous les acteurs, n‟importe quelle réforme du cursus de formation sera
inefficace.
Pour les représentants des délégations provinciales et préfectorales de la
santé, le rôle du médecin généraliste au niveau ambulatoire est perçu comme
primordial : « C’est le pilier du système de soins au niveau déconcentré et le premier
interlocuteur avec la population », disait un responsable provincial. L‟initiative prise
avec l‟avènement du Régime d‟assistance médicale aux économiquement démunis
(RAMED) de rendre obligatoire le passage par le médecin généraliste pour accéder
aux soins hospitaliers renforce ce rôle, précisait ce dernier.
Par ailleurs, l‟inadéquation de la formation médicale de base du médecin
généraliste n‟est pas une priorité des responsables locaux, du fait que cette lacune
selon ces derniers pourrait être comblée par la formation continue : « La pratique sur
le terrain, ainsi que la formation continue assurée par le Ministère de la santé
renforcent les compétences techniques et relationnelles des médecins
généralistes », disait un responsable du service d‟infrastructure d‟action ambulatoire
provinciale (SIAAP).
130
Néanmoins, les premiers soucis, selon ces responsables, sont d‟une part le
recrutement centralisé des médecins qui limite leur marge de manœuvre pour faire
des mutations internes, et d‟autre part le problème de la disponibilité et de la stabilité
des médecins particulièrement en milieu rural. Un responsable disait que sa priorité
est d‟assurer une couverture médicale au niveau provincial et de répondre ainsi à la
demande du politique au niveau local.
Il a été relevé par nos interlocuteurs que la majorité des médecins
généralistes recrutés sont de sexe féminin. Pour le milieu rural, avant même de
s‟installer dans le poste où elles sont affectées, les jeunes femmes médecins
commencent à réfléchir sur leur départ pour des raisons conjugales, rapporte un
responsable provincial. Ce dernier indique que la plupart de ces médecins préparent
le résidanat et en quelques mois ou une année au plus tard, s‟inscrivent à une
spécialité et quittent la province.
Un délégué du Ministère de la santé nous a précisé que cette situation
s‟aggrave actuellement, puisque les médecins généralistes non encore embauchés
refusent de s‟inscrire au concours de recrutement, malgré la disponibilité de postes
budgétaires. Le nombre de candidats au concours serait désormais inférieur au
nombre de postes ouverts ; un des médecins interrogés nous a même confié que
l‟instauration du concours, après l‟obtention du doctorat en médecine, avec obligation
d‟affectation dans une zone rurale dans un premier temps était un des facteurs de
désertion de la fonction publique pour les jeunes médecins. Et parmi ceux admis et
recrutés en milieu rural, certains refusent de rejoindre leurs postes : soit ils ne
prennent pas leur service, soit sitôt sur place et une fois qu‟ils ont pris conscience de
leur éloignement par rapport aux grands centres urbains, ils déposent
immédiatement un certificat médical, qui sera éventuellement renouvelé, pour
justifier leurs absences longues et répétées. Certains iraient même jusqu‟à
« s‟enfuir » sans aucune justification, d‟autres, grâce aux appuis dont ils peuvent
disposer, nous a-t-on dit, parviennent à faire modifier leur lieu d‟affectation.
Les responsables des facultés de médecine
Les responsables des facultés de médecine affirment que la formation de
base est technique et à visée hospitalière : « Nous formons des généralistes pour
l’hôpital et pas à la médecine communautaire », disait un doyen ; il précisait par
ailleurs que les facultés de médecine « forment des médecins qui sont parmi les
meilleurs du monde. Malheureusement, cette formation néglige les approches de
prise en charge psychologique et sociale, et parfois même les aspects de prévention
et de promotion de la santé ». D‟ailleurs, le manque de formation en prévention et
promotion de la santé est cité par la majorité des acteurs de la faculté : « La
prévention fait partie des parents pauvres de l’enseignement universitaire ».
Pour un professeur enseignant, ni l‟approche pédagogique de la formation, ni
son contenu ne sont adaptés pour la médecine ambulatoire. Le cursus de formation
de base est organisé sous forme de micro-spécialités juxtaposées les unes aux
autres ; c‟est un « sandwich avec une couche de spécialité » précisait-il, ce qui ne
favorise pas le développement des compétences professionnelles que devraient
acquérir le médecin généraliste.
131
Par ailleurs, les protocoles thérapeutiques ne sont pas adaptés à la première
ligne, ils sont faits pour être appliqués uniquement dans les centres hospitaliers
universitaires (CHU), comme disait un doyen de la faculté. Il a été également précisé
que la formation de base est assurée par des enseignants spécialistes qui défendent
chacun leur discipline et qui veulent que les étudiants soient au courant de la
dernière investigation ou protocole thérapeutique applicable au CHU. Alors qu‟il
conviendrait que les apprenants soient encadrés par des enseignants au profil
disciplinaire correspondant aux apprentissages visés pour le médecin généraliste.
La vision claire du Ministère de la santé du profil du médecin souhaité n‟est
pas partagée avec l‟institution formatrice, à savoir la faculté de médecine : « Il faut
définir le profil du médecin généraliste si on veut que sa formation soit adéquate »,
confirmait un responsable de la faculté de médecine. L‟absence de définition d‟un
profil de poste de médecin généraliste est à l‟origine de sa formation inadaptée par
rapport aux besoins de la population. Cette situation est en grande partie due à un
manque de coordination et de communication entre les différentes instances
impliquées dans le processus de pilotage de la formation (enseignement supérieur,
faculté de médecine, Ministère de la santé, associations professionnelles, Conseil de
l‟ordre), mais également, à la résistance de certains professeurs enseignants des
facultés de médecine pour adapter le programme de formation au profil du médecin
généraliste : « Ces derniers ne veulent pas céder des heures d’enseignement
consacrées à leur discipline respective, n’intègrent pas non plus des objectifs
pédagogiques spécifiques pour la formation du médecin généraliste, et n’acceptent
pas l’idée de création d’un département de médecine générale », disait un doyen de
la faculté de médecine.
L‟ambition de former davantage de médecins pour atteindre les standards,
recommandés par l‟OMS, n‟a pas été accompagnée de ressources humaines
suffisantes (enseignants, résidents et internes) pour faire fonctionner les CHU et
pour l‟encadrement des étudiants. Cette situation entrave également la qualité de la
formation, disait un doyen. La nécessité d‟une réforme des études médicales est
citée par l‟ensemble des responsables rencontrés. La première réforme date d‟une
trentaine d‟années, mais les problèmes (modèle de formation axés essentiellement
sur la clinique et les aspects curatifs) qui ont stimulé cette réforme sont encore
présents et cela témoigne de l‟inefficacité de cette dernière, rapporte un enseignant.
La dernière réforme 48 qui vise l‟adaptation de la formation de base du médecin
généraliste date déjà de plus de 5 ans ; « Elle ne répond pas aux aspirations de tous
les intervenants, et je la considère mort-né », disait un responsable. Le projet a été
développé dans une seule faculté, sans une réelle implication des autres facultés et
des autres intervenants. Cet interlocuteur précise par ailleurs que, pour qu‟il y ait une
réelle réforme, il faut qu‟elle parte de la base, des praticiens et des utilisateurs.
Selon certains enseignants, l‟échec de la dernière réforme est dû au manque
d‟une réelle volonté pour promouvoir la formation en médecine générale, à l‟absence
d‟un leadership pour mener ce projet, et à l‟absence d‟une masse critique de
professeurs enseignants de santé publique, ainsi qu‟à l‟absence d‟une société
savante en médecine générale pour positionner et défendre la profession.
48
Cette réforme a introduit un certain nombre de modules d’économie de la santé, de psychosociologie et de
médecine communautaire, et prévoit de renforcer les stages dans des structures hospitalières périphériques
accrédités avec un encadrement par des praticiens hospitaliers.
132
Synthèse des points de vue des différents acteurs institutionnels
Tous les acteurs institutionnels, responsables des facultés de médecine et du
Ministère de la santé aux niveaux central et déconcentré déclarent aisément que la
formation médicale de base n‟est pas adaptée à la pratique de la profession de
médecin généraliste pour répondre aux besoins de la population à l‟échelle de la
première ligne.
La volonté de changer et d‟adapter le cursus de formation du médecin
généraliste est une priorité déclarée par l‟ensemble des acteurs. Cependant, il
semble exister une tension et une absence de coordination entre les facultés de
médecine et le Ministère de la santé pour définir le profil de médecin généraliste
souhaité et adapté pour le contexte marocain : chaque acteur travaille de son côté, et
fait appel aux autres à la fin du processus pour une validation de forme. Il a été
déclaré que même les facultés de médecine ne collaborent pas ensemble pour
définir un programme de formation commun. Chaque faculté se débrouille pour
adapter son programme de formation. Certaines maintiennent le contact avec les
médecins généralistes après leur formation et identifient avec eux des lacunes dans
la formation, alors que d‟autres font appel à de l‟expertise internationale.
Le résultat constaté par nos interlocuteurs est l‟échec des différentes réformes
des études médicales qui se sont succédé et la persistance d‟un modèle de
formation en médecine générale inadapté, chacun rejetant la responsabilité sur
l‟autre de ne pas pouvoir relever le défi.
Avis des étudiants en fin de cursus de formation médicale
La majorité des jeunes médecins jugent la formation de base superficielle
(« un peu de tout, mais aucune maitrise », selon des étudiants interrogés), ne
permettant pas au médecin généraliste de développer les compétences nécessaires
pour la pratique professionnelle. Ils précisent par ailleurs, que les stages se
déroulent essentiellement dans les centres hospitaliers universitaires avec un
encadrement par des spécialistes. Les rares stages organisés dans les centres de
santé et certains hôpitaux provinciaux sont dépourvus de tout encadrement de la part
des facultés de médecine et du Ministère de la santé : « Le stage interne est le seul
qui se déroule dans les hôpitaux provinciaux, et où on assure essentiellement le
service des urgences » (un étudiant). La formation de base favorise et valorise la
pratique spécialisée, chaque enseignant positionne sa discipline, et le parent pauvre
est la médecine générale qui ne trouve pas de place puisqu‟elle n‟est pas
représentée, ni défendue au sein de la faculté, disait un jeune médecin
Les jeunes médecins en fin de cursus de formation ont une représentation
négative de la médecine générale. En effet, aucun jeune lauréat, parmi les 13
interrogés, n‟opte pour la médecine générale comme choix. La quasi-totalité de ces
jeunes médecins (11/13) souhaitent s‟inscrire directement après leur formation
académique à une spécialité pour approfondir leurs connaissances dans un domaine
précis ; « Je veux être spécialiste, c’est une question de compétence et de
valorisation du métier de spécialiste, alors que le médecin généraliste fait un peu de
tout, mais ne maitrise rien », avançait un jeune médecin. Seuls deux sur treize
préfèrent débuter comme médecin généraliste afin d‟acquérir de l‟expérience
professionnelle, non pas par choix de la discipline, mais pour garantir un salaire et
133
gagner en ancienneté dans l‟immédiat, avec l‟intention de suivre une spécialité par la
suite.
La médecine générale est très mal perçue par ces jeunes lauréats qui la
considèrent dévalorisée par tous les acteurs (facultés de médecine, Ministère de la
santé, population), comme en témoignent ces propos de trois jeunes lauréats :
« C’est la discipline qui se charge du triage et de l’orientation des patients vers les
spécialistes » ; « C’est le premier niveau de soins qui offre des soins simples par un
médecin généraliste qui a une large responsabilité et une formation insuffisante » ;
« C’est la discipline qui se charge de prendre en charge les petits ‘bobos‟ ». Selon
ces jeunes médecins, les facultés de médecine développent chez le généraliste un
sentiment d‟infériorité devant le spécialiste : « quand les enseignants veulent donner
des exemples d’incompétence de certains médecins, dans le domaine de la prise en
charge ou en terme d’erreurs médicales, ils l’illustrent par des cas de médecins
généralistes ; en plus la médecine générale, au centre hospitalier universitaire, c’est
vraiment mal vu ! ». Certains jeunes médecins considèrent la médecine générale
comme une discipline « archaïque » puisqu‟elle ne suit pas le développement
technologique qui ne cesse d‟avancer.
Les jeunes lauréats ont déploré l‟isolement du généraliste dans des zones
éloignées avec des conditions de travail et de vie difficiles : « L’affectation du
médecin spécialiste se fait, au pire, au niveau d’un centre hospitalier provincial, alors
que celle du généraliste se fait actuellement en plein rural, dans le village ou le douar
dans des conditions insupportables et loin de sa famille » (un jeune médecin).
Enfin le faible niveau de rémunération du médecin généraliste en comparaison
avec celui du spécialiste, et le peu d’opportunités pour le premier de faire des heures
supplémentaires dans le secteur privé ont été citées régulièrement par d’autres
jeunes médecins comme un des inconvénients de l’affectation en milieu éloigné des
grands centres urbains : « …le spécialiste gagne sa vie largement mieux qu’un
généraliste, pourquoi alors se priver de ce prestige ! », disait un jeune lauréat.
Les médecins généralistes du secteur public et privé dans les sites
La définition de médecine générale par les médecins
Interrogés sur leur définition de la médecine générale, les médecins en activité
furent surpris de la question, puisqu‟ils estiment qu‟ils n‟ont pas eu l‟occasion de la
définir auparavant : « Lors de notre formation de base, on ne parlait jamais de la
médecine générale et de son champ d’intervention », disait un médecin généraliste
du secteur privé. Nous avons recueilli une multitude de définitions auprès des
médecins, allant d‟une définition négative « le médecin généraliste est celui qui n’est
pas spécialiste », en passant par une définition limitant la pratique aux soins curatifs,
certains médecins, particulièrement du secteur privé en faisait « l’art de guérir les
maladies », pour en arriver à une définition plus large qui responsabilise le médecin
généraliste pour une prise en charge globale du patient, et de la communauté dans
tous les aspects préventifs, curatifs, promotionnels et d‟éducation : « C’est la
discipline polyvalente qui se charge de tous les soins », nous disait un médecin du
secteur public, ce dernier précisait qu‟il avait compris cette définition suite à sa
pratique de la profession sur le terrain. Certains médecins ont cité régulièrement, la
confusion qui entoure le qualificatif « généraliste » qu‟ils considèrent comme
134
l‟équivalent de « tout et rien », ainsi que le flou des frontières de la polyvalence de la
médecine générale : « le médecin généraliste est celui qui prend en charge tous les
malades sans pour autant connaitre ses limites, ni quand il faut référer ses patients »
(un médecin public). Par ailleurs, la similitude entre la médecine générale et une
spécialité ou une mini spécialité a été avancée par d‟autres praticiens qui
considèrent la médecine générale comme la discipline qui couvre toutes les
spécialités, ou qui l‟assimilent à une médecine interne en miniature49.
La vision du positionnement et de la valorisation de la médecine générale
comme porte d‟entrée n‟est pas partagée par les médecins généralistes qui se
considèrent comme des „bouches trous‟ pour le système de santé. « On n’est pas un
passage obligé vers le spécialiste, d’ailleurs, on ne connait même pas notre rôle
exact ni les limites de notre discipline », disaient des médecins du secteur public.
Le médecin généraliste est-il un « spécialiste raté » ?
La majorité des médecins interrogés (28/34) déclarent qu‟ils auraient voulu
s‟inscrire à une spécialité, du fait que le spécialiste est considéré comme le
« véritable médecin » ou comme le « médecin ayant complété ses études » et qui
maitrise son domaine d‟intervention. Cette représentation est partagée même par la
population qui demande toujours un spécialiste dès qu‟un médecin se présente,
disait un généraliste du secteur public. La médecine générale est alors considérée
comme une étape pour se spécialiser, et si on n‟y arrive pas pour diverses raisons,
on reste généraliste par défaut. De ce fait, la majorité des médecins en cours de
formation souhaitent se spécialiser et éviter le statut de médecin généraliste. Une
minorité de médecins généralistes, essentiellement du secteur privé (6/34), déclarent
avoir choisi la pratique de la médecine générale comme discipline et par vocation.
Ces médecins ont la particularité d‟avoir pensé à la médecine générale comme
carrière au cours de leurs études médicales, et de la pratiquer dans le secteur privé.
« Avant même de terminer mes études, je prospectais les villes et villages à la
recherche d’un local pour mon futur cabinet » (médecin privé) ; « Lors de mon stage
interné, j’ai remplacé pas mal de médecins généralistes, et là j’ai aimé cette pratique
et décidé de me consacrer et d’investir dans cette discipline et ce secteur » (un autre
médecin).
Les principales raisons avancées par les généralistes pour expliquer leur
maintien dans ce statut sont l‟échec au concours de spécialité (15/28), suivi par la
nécessité d‟avoir un revenu immédiatement après l‟obtention du diplôme pour
subvenir à leurs besoins pour les médecins du secteur public issus d‟un niveau
socio-économique peu favorisé (12/28) : un médecin généraliste public disait qu‟il
s‟intéressait à la spécialité de dermatologie, mais étant donné son statut social, il
avait besoin au plus vite d‟un salaire pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa
famille ; avec le temps, son envie de suivre une spécialité s‟est éteinte, et il se
retrouve maintenant généraliste malgré lui. Enfin, la fatigue ou le dégoût liés aux
études médicales longues, ou les contraintes familiale (10/28) ont également été
évoquées : « Je ne pouvais plus poursuivre mes études, car étant mariée, je voulais
donner plus de temps à l’éducation de mes enfants » (une femme médecin du
secteur public). Certains de nos interlocuteurs ont déclaré s‟être habitués à la
pratique de la médecine générale, et, avec le temps, se sont appropriés la discipline :
49
A l’occasion d’une autre enquête, un médecin du secteur public exerçant à Marrakech nous avait précisé qu’il
avait obtenu un diplôme de médecine, et non pas de médecine générale, et qu’il avait le même diplôme initial
que les médecins spécialistes.
135
« Dans un premier temps, c’était juste une étape, mais avec le temps, je suis devenu
moins ambitieux pour poursuivre des études de spécialité et je me suis consacré
davantage à la médecine générale » (un médecin d‟un centre de santé).
Malgré l‟ambition initiale de certains médecins généralistes du secteur privé
de se spécialiser, tous les généralistes de ce secteur interrogés ne regrettent pas
leur situation actuelle et personne ne dit vouloir changer de statut et faire une
spécialité, y compris chez les médecins installés dans des centres reculés. A
l‟opposé, les généralistes du secteur public souhaitent toujours s‟inscrire à une
spécialité, à l‟instar de ce jeune médecin en poste dans la province de Figuig : « J’ai
5 ans de pratique comme généraliste dans ce centre de santé, et si j’ai l’occasion
d’être admis à une spécialité, je n’hésite pas une seconde pour changer mon
statut ».
Point de vue des médecins sur leur formation
Malgré les quelques années de pratique et d‟expérience, les médecins
généralistes des deux secteurs ressentent toujours des insuffisances de formation
dans des domaines divers pour la prise en charge des besoins de la population au
niveau ambulatoire : « [Il y a] des compétences essentielles [à acquérir] pour le
médecin généraliste qui ne sont pas du tout ciblées par la formation de base », disait
un médecin du secteur public.
« La formation médicale de base au Maroc te permet d’avoir le titre de docteur en
médecine et surtout pas d’être un médecin généraliste qui nécessite des compétences
et des habiletés spécifiques, afin d’exercer au niveau d’un cabinet de médecine
générale » (un médecin du secteur privé). Ce médecin a ajouté par ailleurs, qu‟il y a un
grand écart entre ce que reçoit le médecin généraliste comme enseignement et ce qu‟il
utilise réellement sur le terrain : « Notre formation n’est pas spécifique, elle touche à
toutes les spécialités. On est même trop formé par rapport à ce qu’on utilise dans notre
pratique » (médecin privé).
Un autre médecin du secteur public nous confiait que « La faculté de
médecine vise la formation des médecins spécialistes. C’est en pratiquant comme
médecin généraliste qu’on découvre le métier, et qu’on s’aperçoit de nos
insuffisances en formation » ; il a précisé que « le fait d’être formé par des médecins
spécialistes, qui ne valorisent que leurs disciplines, n’est surtout pas en faveur de la
bonne formation du médecin généraliste ».
Ce sentiment d‟une formation de base fragmentée est partagé par les
médecins du secteur privé. « La formation de base cible les organes de façon
séparée, alors que le médecin généraliste centre les soins sur la personne. Ce qui lui
manque, c’est le raisonnement médical lui permettant de prendre en charge le
patient dans toutes ses dimensions physique, psycho-sociale et économique » (un
médecin du secteur privé).
Le sentiment de fierté ressenti par le jeune médecin à la fin du cursus de
formation est rapidement remplacé par la déception dès qu‟il commence à pratiquer
la médecine générale. « Quand on m’a remis le diplôme de docteur en médecine, je
croyais être un bon omnipraticien, mais la réalité de la pratique dans un centre de
santé, à laquelle je n’étais pas habitué, ni préparé m’a surpris » (un médecin d‟un
centre de santé communal). Ce médecin, comme la majorité de ses confrères,
rappelait par ailleurs, sa panique devant son premier patient diabétique, et son
incapacité de le prendre en charge. Même les rares médecins qui ont qualifié la
136
formation de base de correcte se rappellent avec précision de leurs premiers
malades, et de l‟incertitude de la conduite à tenir devant ces patients, parce que,
disent-ils, ils n‟étaient pas habitués à travailler seuls et sans moyens d‟explorations
complémentaires : « … oui, je me rappelle bien de mon premier patient, je n’étais
pas certains du diagnostic et je ne savais pas comment traiter, heureusement que
nous avons des infirmiers 50 rodés et qui nous aident au début de notre carrière »
(médecin public).
Les principales raisons à l‟origine de l‟insuffisance et de l‟inadéquation de la
formation de base selon les médecins, sont en rapport avec la qualité de la formation
médicale sur le plan théorique et pratique : « La formation de base est orientée vers
le diagnostic et le traitement, alors qu’on gère au quotidien des problèmes d’ordre
social plus que médical, les gens n’ont pas les moyens, ils ont d’autres priorités dans
la vie. Pour ce volet on n’a pas été formé » précisait un médecin public. Aussi la
formation est orientée essentiellement vers « l’intervention plutôt que la prévention
ou la promotion de la santé » (un médecin du secteur libéral).
« La particularité du médecin généraliste, c’est qu’il traite et suit ses patients. Il les
prend en charge sur une longue durée. Il a donc besoin d’être polyvalent, pour
appliquer différentes approches selon la situation. Parfois c’est le curatif, parfois c’est
le suivi d’une maladie chronique ou les soins palliatifs, d’autres fois c’est le préventif ou
la promotion de la santé. Ce dont on a besoin, comme médecin généraliste, c’est d’être
capable de faire tout ça. En plus, il faut parfois orienter et guider le patient dans la
filière de soins. C’est ça le vrai rôle du médecin généraliste, pour lequel on n’est
surtout pas préparé » (un médecin généraliste public).
Une autre lacune dans la formation citée par les médecins est en rapport avec
les stages pratiques censés développer le savoir-faire du médecin généraliste et le
préparer à l‟exercice de sa profession. Ils se déroulent la plupart du temps dans les
hôpitaux universitaires qui n‟ont rien à voir avec la pratique ambulatoire, et les
patients rencontrés au CHU présentent des problèmes de santé rarement vus à la
base de la pyramide du système de santé, qui doivent être pris en charge en
l‟absence des moyens d‟exploration complémentaire sophistiqués disponibles dans
les CHU.
« Nos stages se déroulent au niveau du sommet de la pyramide du système de soins,
on nous fait croire que le bon médecin est celui qui a accès à la technologie médicale.
Alors, que le médecin généraliste travaille au niveau de la première ligne désarmé [loin
de la technologie], se sent frustré, et a l’impression de faire autre chose que la
médecine » (un médecin public).
En plus, les patients admis au niveau du CHU sont sélectionnés et rarement
vu au niveau ambulatoire :
« Les malades diabétiques que j’ai vus lors de mes stages hospitaliers présentaient
tous des complications, j’ai même appris à faire l’amputation d’une gangrène.
Cependant, j’ai rarement eu l’opportunité d’examiner un diabétique non compliqué et
50
Ce recours des nouveaux médecins qui viennent de prendre leur poste dans un centre de santé aux infirmiers
en place pour une aide à la prise en charge des premiers patients consultés est un discours récurrent, mais pas
nécessairement partagé par tous. Dans l’étude qui concernait Marrakech déjà évoquée dans une note
précédente, et alors que nous posions la question sur le premier patient, un médecin nous répondait qu’il était
impossible qu’il puisse demander de l’aide aux infirmiers, étant donné la différence de statut entre les deux
corps : la demande d’une aide aux infirmiers était considérée comme un aveu de faiblesse, de manque de
connaissances, impossible à assumer pour un médecin qui était dans une position hiérarchique supérieure aux
infirmiers.
137
de le prendre en charge. C’est pourtant, une activité quotidienne de la pratique d’un
médecin généraliste » (un médecin public).
Les modalités d‟organisation et de fonctionnement de ces stages sont
critiquées par certains médecins : « Les rares stages qui se déroulent dans les
hôpitaux provinciaux, et les centres de santé se font sans objectifs pédagogiques et
sans encadrement » (un médecin privé).
Les principaux modules manquant dans la formation de base, selon les
médecins généralistes interrogés sont, la communication interpersonnelle ou
institutionnelle, la gestion du cabinet médical (comptabilité/fiscalité) ou du centre de
santé (gestion des ressources humaines et matérielle), les approches de
participation communautaire ainsi que la connaissance et gestion des programmes
de santé publique du Ministère de la santé. Certains praticiens du secteur privé ont
évoqué la nécessité d‟un module spécifique de petite chirurgie et sur « les gestes qui
sauvent ». Par ailleurs, la formation en échographie générale pour l‟omnipraticien est
une demande récurrente des généralistes des deux secteurs, sachant que la
majorité des généralistes privés rencontrés ont suivi un diplôme universitaire en
échographie générale contrairement aux médecins des centres de santé publics.
Afin de combler l‟insuffisance de formation dans les domaines mentionnés cidessus et pour renforcer les compétences professionnelles, les généralistes du
secteur privé développent l‟autoformation particulièrement en ayant recours à
internet et grâce à leurs abonnements à des revues médicales ; ils s‟organisent
également parfois en associations pour des séances de formation continue et des
journées scientifiques. Les praticiens du secteur public comptent presque
exclusivement sur la formation continue proposée et assurée par le Ministère de la
santé. A de rares exceptions (initiatives prises par certains délégués du Ministère de
la santé pour impliquer les généralistes privés dans certains programmes de
formation), il n‟y a aucune coordination ou d‟interactions entre les deux secteurs
dans les manifestations de formation continue : « Nos confrères du secteur public
bénéficient de pas mal de formations sur des actualités en santé publique (grippe
H1N1, vaccination, etc.), mais on n’est jamais invités à participer à ces séances,
pourtant le secteur public nous sollicite pour la surveillance épidémiologique de
certaines maladies» (médecin privé).
La formation continue du secteur public est orientée vers les programmes de
santé publique, avec une prédominance sur des aspects de prévention et de
gestion : « Les malades chroniques représentent une part importante de nos
consultations, et au lieu d’organiser des formations continues sur les modalités de
prise en charge cliniques des patients, le Ministère priorise les modalités de gestion
des programmes » (médecin public). Le secteur privé, pour sa part, vise
essentiellement les soins curatifs et fait appel à des firmes pharmaceutiques pour
financier l‟expertise et l‟organisation des manifestations de formation.
Choix du secteur de pratique : public versus privé
Nous avons demandé à l‟ensemble des médecins généralistes publics et
privés leurs raisons du choix de l‟un ou de l‟autre secteur. Sur les 17 médecins du
secteur privé, 12 se sont installés immédiatement après leur formation. Les 5 autres
ont choisi le secteur public comme première étape avant de rejoindre le privé.
138
L‟absence d‟une bureaucratie, le choix du lieu de travail, le contrôle de
l‟acquisition de la technologie et de sa maintenance, un cadre et des conditions de
travail plus agréable, une meilleure organisation des soins (système de rendez-vous
et nombre limité des consultations par jour) permettant une communication adéquate
avec les patients, une qualité des prestations de soins, un respect de la prestation
par la population, et enfin une meilleure rémunération sont les principales raisons
avancées par les médecins généralistes de leur choix du secteur privé : « J’ai
l’équipement technique de base et je prends tout le temps nécessaire pour prendre
en charge adéquatement mes patients, en plus, je gagne bien ma vie », disait un
médecin privé ; « Je n’ai pas de soucis en rapport avec l’horaire, je peux rester le
soir, jusqu’à 20 heures pour prendre en charge mes patients. C’est une question de
satisfaction des demandes de mes clients », déclarait un autre médecin privé.
Un médecin qui a commencé sa carrière dans le secteur public, rapportait que
les patients utilisaient le centre de santé essentiellement pour obtenir des
médicaments, et ne valorisaient surtout pas la prestation médicale publique. Le
qualificatif de « médecin distributeur de médicaments » est avancé par l‟ensemble
des médecins du secteur public interrogés. Ces médecins ont préféré un passage
par le secteur public avant de s‟installer dans le privé, et ce pour acquérir de
l‟expérience professionnelle et une clientèle. Parmi les avantages de la pratique dans
le secteur libéral, un médecin privé rapporte que « en plus de l’autonomie du
médecin et de la rémunération dépassant de loin le salaire du médecin généraliste
public, j’ai l’impression que la population nous considère comme des spécialistes ».
La crainte d‟investir dans le privé, le manque de moyens financiers, la
disponibilité de temps, et un salaire garanti sont les principales raisons invoquées
par les médecins généralistes publics pour le choix de leur secteur de pratique :
« J’ai choisi le secteur public pour une raison de disponibilité de temps, et de
garantie de salaire, pour le privé on n’a pratiquement pas le temps, en tant que
femme, je n’aurais pas de temps pour ma vie privée » (un médecin femme) ; « Je
n’avais pas l’expérience suffisante pour travailler seul dans un cabinet privé et je
n’étais pas certains de réussir cet investissement. J’ai préféré alors travailler dans le
secteur public avec au moins une garantie de salaire » (médecin public).
Points de vue sur la pratique du métier : une pratique non valorisée
Le manque de reconnaissance et de valorisation des médecins généralistes,
aussi bien par le niveau central que déconcentré a été cité à plusieurs reprises par
les praticiens du secteur public. « Il y a un manque de considération pour le
personnel par nos responsables. Lors de mon affectation au niveau du centre de
santé, je n’étais pas introduit officiellement aux autorités locales, je n’étais même pas
accompagné pour me présenter à l’équipe du centre de santé, et lorsque je suis
arrivé dans mon centre de santé, l’infirmier n’était pas prévenu et m’a pris pour un
patient » (un médecin public). Aussi, certains praticiens publics surpris de notre
passage dans leur lieu de travail reculé soulignaient que depuis leur affectation ils
n‟ont jamais été supervisés, ni visités par les responsables locaux.
Certains généralistes du public estiment qu‟ils ne font pas de la médecine
mais uniquement du social, et traitent leurs patients de « faux malades ». En dehors
des aspects préventifs liés à la santé de la mère et de l‟enfant, les médecins du
secteur public considèrent que les patients utilisent le centre de santé
essentiellement pour obtenir des médicaments, et sous estiment la prestation
curative médicale. D‟ailleurs, l‟expression populaire qui dit « je n’ai vu rien qu’un
139
médecin généraliste…. » le prouve, disait un médecin du secteur public. D‟autres
médecins ont rapporté que si le médicament n‟est pas disponible, certains patients
déchirent même l‟ordonnance devant eux. Ce sentiment de dévalorisation de la
prestation médicale par la population a été rapporté régulièrement par les
généralistes publics. « …si j’avais de l’argent pour acheter les médicaments, je ne
viendrais pas au centre de santé, j’irais consulter chez un médecin privé », disait un
patient à un médecin. La gratuité pour tous et pour tout est ressentie comme étant un
des éléments de dévalorisation des prestations et des médicaments délivrés par les
centres de santé. Les patients viennent dans les centres de santé publics
uniquement pour prendre des médicaments, entend-on dire régulièrement chez les
personnels soignants du secteur public, éventuellement après avoir consulté un
médecin du secteur privé, faisant donc peu de cas de la prestations du médecin
exerçant dans le centre public.
Néanmoins, les médecins généralistes du secteur libéral ne partagent pas ce
constat puisqu‟ils confirment que la qualité relationnelle et de la prestation curative
sont les principales raisons qui expliquent le recours de la population à leur cabinet :
« Avec le temps, une relation de confiance et de respect mutuel se développe avec
mes patients, c’est le système de santé qui ne positionne pas et ne valorise pas le
métier du généraliste » (un médecin privé) ;« J’ai développé une patientèle avec
laquelle je m’entends très bien ; ceux avec qui je ne m’entendais pas ne sont pas
revenus ! » (un autre médecin privé).
Les médecins du secteur privé confirment ne pas donner d‟importance à la
prévention, et ceci est dû essentiellement au manque de demande et d‟intérêt du
patient pour la prévention d‟une part, et au manque de rémunération pour le temps
consacré à cette activité d‟autre part. Par ailleurs, les médecins généralistes des
deux secteurs affirment que la pratique de la discipline n‟est ni organisée (absence
d‟une solide association nationale de médecine générale), ni médiatisée (manque
d‟information du grand public du rôle et des compétences du MG), ni valorisée dans
les discours officiels qui focalisent essentiellement sur la médecine universitaire
hyperspécialisée.
Les médecins des deux secteurs constatent une détérioration de l‟image
sociale du MG et de son statut en comparaison avec celui du spécialiste. « Autrefois,
nos aînés avaient une position sociale plus élevée et vivaient dans des conditions
matérielles plus luxueuses. Depuis les vingt dernières années, l’image du médecin
généraliste, voire même son prestige, s’est détériorée » (médecin public).
Conditions de travail
La majorité des médecins du secteur public évoquent une charge de travail
importante dans les centres de santé et justifient le défaut de communication ou le
mauvais examen physique des patients par le manque de temps : « Trop de patients
par jour, et obligé de les voir tous ; on n’a plus le temps pour offrir des prestations de
qualité » ; « La prise en charge des préoccupations du patient, si ces dernières
diffèrent du souci médical, est secondaire » (médecins publics). Cependant nous
avons pu observer lors de nos visites dans certains centres de santé que la
consultation curative médicale commence généralement vers 9h30 et se termine
vers 12h30. En fait, les médecins généralistes du secteur public, notamment dans
les zones reculées, sont parfois peu disponibles. On cite régulièrement, y compris
chez les autorités locales rencontrées au cours de l‟étude, le problème de la
140
féminisation de la profession avec les absences dues aux congés de maternité ou
encore la tolérance des absences vis-à-vis de femmes médecins désireuses de
rejoindre mari et enfants et qui résident loin du lieu d‟affectation de celles-ci. Il s‟agit
là d‟une hypothèse difficile à prouver51, et au cours de l‟étude nous avons pu
constater la présence effective de femmes (médecins, infirmières, sages femmes)
dans plusieurs centres de santé et dispensaires situés parfois dans des zones très
isolées. Cette féminisation de la profession médicale limite les possibilités
d‟affectation dans les lieux les plus reculés en milieu rural et serait une des causes
de l‟instabilité du médecin femme qui cherche continuellement le regroupement
familial. Soulignons, à propos de l‟absentéisme, que nous avons pu aussi parfois
constater lors de nos visites sur le terrain que certains centres de santé médicalisés
étaient fermés dans la journée, y compris des centres dont les personnels étaient
des hommes.
La pénurie de personnels peut aussi conduire certains médecins en poste à
ne pas vouloir ou ne pas pouvoir se rendre disponibles, et éviter de combler par un
surtravail les absences. Les médecins sont amenés à s‟absenter pour des raisons de
service, pour des formations, ou pour participer aux équipes mobiles. Ils peuvent
aussi avoir à se reposer et prendre des congés ; un pacha d‟une des localités nous
confiait : « Il faut comprendre les médecins, ils ne peuvent pas travailler 24h/24. Le
médecin arrive en retard parce que la veille il a reçu un malade à 3 heures du matin ;
ils doivent faire la garde, s’occuper de la santé scolaire, de l’équipe mobile, etc. Ils
ont raison [de ne pas toujours répondre aux sollicitations] ». Les absences justifiées,
le temps de récupération, dans un contexte de pénurie locale de personnel, font que
les patients se rendent alors au centre de santé sans pouvoir rencontrer de médecin.
L‟absence de communication et le manque de collaboration entre les
médecins généralistes et spécialistes est une autre contrainte pour assurer la
continuité et la qualité des soins aux patients. « Quand je réfère mes patients, je le
fais avec une fiche de liaison sollicitant systématiquement le feedback du spécialiste
que je ne reçois que très rarement», disait un médecin du secteur public. Ce dernier
a précisé par ailleurs que la référence des patients vers les centres de diagnostic
pour avis spécialisé, représente en soi un problème, puisqu‟il doit impérativement
respecter le calendrier des consultations spécialisées de l‟hôpital provincial.
Le niveau d‟équipement des structures de soins publics est diversement
apprécié. Il est souvent jugé insatisfaisant, ne permettant pas de poser un « vrai
diagnostic », ce qui est à l‟origine de l‟insatisfaction et de la démotivation des
médecins généralistes : « La population exige un minimum d’examens
complémentaires, ici comme vous le voyez, je travaille avec un stéthoscope et mes
mains », et cela retentit évidemment sur la qualité relationnelle et de la prestation
médicale; «Généralement, on travaille avec un stéthoscope et un appareil pour la
tension, alors que le glucomètre, l’électrocardiographe et l’échographe sont devenus
des examens routiniers, et doivent être à la portée du médecin généraliste », disait
des médecins généralistes publics. Néanmoins, les centres de santé avec module
d‟accouchement, que l‟on trouve très majoritairement plutôt dans les centres de
51
Une étude menée à l’hôpital de Mohammedia sur l’absentéisme a montré que si les femmes, parmi le
personnel de santé de cet hôpital, avait tendance à s’absenter davantage que les hommes, l’absentéisme des
femmes étaient aussi fonction de la charge familiale et qu’il y avait bien d’autres facteurs à l’absentéisme
comme l’âge ou le statut du personnel (M. Elhousni, Absence et absentéisme du personnel de santé : cas de
l’Hôpital My Abdellah Mohammedia, Rabat, INAS, 2010).
141
Figuig et d‟Azilal52, ont été dotés d‟échographes dans le cadre du programme de
lutte contre la mortalité maternelle. Or, nous avons pu constater que dans la majorité
des cas ces échographes n‟étaient pas utilisés faute de formation des personnels de
santé, formation qui demanderait deux ans selon nos interlocuteurs. Néanmoins,
quelques rares médecins rencontrés en milieu urbain avaient bénéficié d‟une telle
formation, parfois à leur propre frais, d‟autres avaient appris seuls à utiliser
l‟échographe pour le suivi des grossesses53. L‟étude menée par Gruénais et al.
(2008) confirme que l‟amélioration des conditions de travail (plateau technique,
agrément et mobilier) est considérée comme une priorité par les délégués et les
directeurs d‟hôpitaux pour motiver les personnels de santé et favoriser l‟accès aux
prestataires de soins.
Conditions de vie
L‟instabilité des médecins généralistes du secteur public est une
caractéristique des deux provinces d‟Azilal et de Figuig. Ce phénomène ne favorise
ni le développement du système de santé ambulatoire au niveau local, ni l‟intégration
du médecin généraliste au niveau communautaire. L‟isolement et le manque ou
l‟insuffisance d‟une infrastructure de base (route, eau, électricité, connexion
internet…) ont été cités par la majorité des médecins pratiquant en milieu rural
comme une limite qui entrave leur stabilité et celle de leur famille dans leur lieu
d‟affectation : « Je ne peux pas vivre sur place avec une telle infrastructure, j’ai des
enfants scolarisés et le niveau d’éducation scolaire reste faible dans le rural, je dois
absolument rentrer en ville», disait un médecin généraliste. « Pour arriver au centre
de santé, j’ai au moins une dizaine de kilomètres de piste à parcourir. Les moyens de
mobilité disponible et que j’utilise pour y accéder sont lamentables et sans aucune
assurance (camion et fourgonnette) » (médecin femme).
Les médecins acceptant de travailler dans une zone reculée ont peu
d‟avantages. Dans certains cas, les logements mis à leur disposition sont si vétustes,
et si peu sûrs, à entendre les médecins, qu‟ils sont contraints de louer un logement
sur leurs fonds propres. Les primes dont ils peuvent bénéficier (300 MAD/mois, selon
nos interlocuteurs) sont jugées très insuffisantes, et ne compensent pas le manque à
gagner lié à la location du logement ou encore au coût du transport pour aller
rejoindre sa famille durant le week-end. La motivation principale avancée pour
accepter de travailler dans une zone reculée est le nombre de points élevés liés à un
poste en zones reculées ; un nombre de points important acquis rapidement permet
de pouvoir demander une mutation au plus tôt avec un choix diversifié quant au
nouveau poste d‟affectation par rapport aux personnels affectés dans des zones
moins « enclavées ». Mais, aux dires d‟un secrétaire général d‟une des provinces,
« Il faudrait au moins une prime de 5000 MAD pour retenir les médecins. Travailler
un an à X, c’est comme travailler 5 ans à Marrakech ».
Les seuls médecins interrogés qui se plaignent le moins des conditions de vie,
et s‟adaptent facilement au contexte rural et sont disponibles, sont ceux originaires
de la campagne, ou de la région du site de leur affectation : « Moi j’ai grandi dans ce
52
A Salé, parmi les centres auxquels nous nous sommes plus particulièrement intéressés, seul le centre de
Bouknadel qui, il y a peu, était encore considéré comme un centre de santé rural, disposait d’un module
d’accouchement.
53
Dans un des centres de santé qui disposait d’un échographe, on nous a informé que le médecin chef avait
bien reçu une formation en échographie mais qu’il ne voulait pas en faire dans son centre et préférait renvoyer
systématiquement les femmes enceintes qu’il recevait vers le secteur privé pour réaliser l’examen.
142
village, et je me suis habitué à ces conditions de vie. Néanmoins, ma seule
contrainte est en rapport avec la population qui exige ma disponibilité 7 jours sur 7, le
jour comme la nuit, du fait que je suis un des leurs » (un médecin public). Ce constat
est en parfaite concordance avec la recommandation de l‟OMS 54 sur l‟utilisation des
politiques d'admissions ciblées pour accueillir des étudiants d'origine rurale afin
d‟accroître l'accès aux personnels de santé dans les zones rurales ou reculées grâce
à une meilleure fidélisation.
Actuellement, la profession de la médecine générale devient de moins en
moins attractive étant donné les conditions de travail et de vie dans des zones
éloignées des grands centres urbains. En effet, les généralistes nouvellement
embauchés dans la fonction publique refusent parfois de signer la prise de service et
de rejoindre leurs postes dès qu‟ils visitent leur site de travail. Ceci à cause de
l‟éloignement et des mauvaises conditions de vie. La motivation principale qui permet
le maintien de jeunes médecins généralistes en milieu rural est, paradoxalement,
leur certitude d‟un mouvement rapide suite à leur passage dans des centres
« enclavés » du fait des points accumulés dans ces zones.
Conclusion
Il est important de constater que l‟ensemble des parties consultées, acteurs
institutionnels, responsables des facultés de médecine et du Ministère de la santé
ainsi que les médecins généralistes praticiens des deux secteurs, ont manifesté une
similitude de vues quant au modèle actuel de la formation médicale de base inadapté
pour les besoins de la première ligne. Ces résultats sur l‟inadéquation de la formation
avec les besoins du terrain, ne sont pas nouveaux, puisque d‟autres études réalisées
auparavant au Maroc ont conclu aux mêmes constats (De Brouwere et Gruénais
2009, Boelen 2004). Cela révèle une absence d‟évolution du cursus de formation.
D‟autant plus que les facultés de médecine au Maroc développent chez le
généraliste un sentiment d‟infériorité devant le spécialiste, si l‟on en juge par les
propos recueillis.
L‟importance de la médecine générale dans le système de santé soulignée
par les responsables du Ministère contraste avec la place qu‟elle occupe en tant que
discipline au sein des facultés de médecine. L‟enseignement de ses contenus
spécifiques ne trouve pas pour le moment la place qu'elle mérite dans les facultés de
médecine. Cette situation s‟explique par le fait que la médecine générale, en tant que
discipline spécifique et académique, n‟est pas encore reconnue au Maroc.
Les définitions de la médecine générale, proposées par les généralistes
interrogés sont pour la plupart restreintes à la prise en charge clinique des patients,
de rares généralistes expérimentés du secteur public ont avancé une définition qui
se rapproche de celle proposée par la WONCA en 2002, qui considère le médecin
généraliste comme celui chargé de dispenser des soins globaux et continus à tous
ceux qui le souhaitent indépendamment de leur âge, de leur sexe et de leur maladie.
Il soigne les personnes dans leur contexte familial, communautaire, culturel et
toujours dans le respect de leur autonomie. Il accepte d‟avoir également une
responsabilité professionnelle de santé publique envers sa communauté. Dans la
négociation des modalités de prise en charge avec ses patients, il intègre les
dimensions physique, psychologique, sociale, culturelle et existentielle, mettant à
54
Rapport OMS. 2010. Recommandations pour une politique mondiale. Accroître l'accès aux personnels de
santé dans les zones rurales ou reculées grâce à une meilleure fidélisation
143
profit la connaissance et la confiance engendrées par des contacts répétés (Wonca
2002).
Le flou qui entoure le terme « généraliste » relevé par les praticiens interrogés
est décrit par plusieurs auteurs qui considèrent que la médecine générale est une
destination incertaine (Bloy et Schweyer 2010, Levasseur 2004, Van Dormael 2001).
Bloy et Schweyer considèrent que le flou du qualitatif de « généraliste » accroit la
difficulté de la pratique de la médecine générale. En effet, le sentiment fort
d‟appartenance et d‟identification à un groupe professionnel renforce la motivation
pour le travail, la qualité de la prestation, la relation avec les usagers et la
valorisation du métier (Van Dormael 2001).
Le choix par défaut de la médecine générale, et ce flou qui entoure les
frontières de cette discipline, comme disaient certains médecins, sont à l‟origine du
manque d‟une identité professionnelle spécifique, distincte de celle du spécialiste et
source de reconnaissance sociale. Cette situation n‟est pas spécifique au contexte
marocain, puisque les médecins généralistes en Europe au milieu du 20 ème siècle,
ont été aussi dénigrés par la population, par leurs collègues spécialistes et par les
universitaires, et ont développé au fil du temps une crise d‟identité professionnelle.
La dévalorisation de la médecine générale annoncée par les jeunes médecins
et les praticiens des deux secteurs est ressentie également en Europe : en France
par exemple, ce métier a perdu de son lustre et n‟attire plus la jeune relève. Le travail
est devenu complexe, la bureaucratie très lourde, si bien que, en faculté de
médecine, des sièges réservés aux futurs médecins de famille restent vides
(Beaulieu et al. 2005). Des facteurs similaires influent sur le choix de la spécialité des
étudiants, notamment les valeurs négatives véhiculées par la faculté, les conditions
de travail difficiles, les tâches routinières de la médecine générale et enfin le statut et
le revenus inférieurs par rapport aux autres spécialistes (Centre Fédéral d‟Expertise
des Soins de Santé 2008, Cazelles-Bou 2010). Ce sentiment est partagé par les
médecins généralistes en Grande Bretagne qui se plaignaient de ne traiter que les
problèmes « banals » et d‟être écartés de la « vraie médecine » qui se pratique à
l‟hôpital, lieu de concentration de la technologie (Van Dormael 2001). Cette situation
émane du fait que les bases de la légitimité des professionnels en soins de santé
résident principalement dans le paradigme biomédical, qui valorise l‟usage de la
technologie, l‟hôpital comme lieu privilégié des soins, et la spécialisation des
praticiens (Van Dormael 2001).
On observe l‟existence de contraintes importantes pour un accès à des soins
publics de première ligne qui soient facilement disponibles, et de qualité avérée. Cet
handicap tient à de multiples causes, parmi lesquelles on citera, un sous-équipement
des structures sanitaires publiques, un déficit de qualification des généralistes par
manque de formation appropriée, l‟instabilité et la non disponibilité des médecins du
secteur public particulièrement au niveau rural.
La médicalisation des centres de santé a amélioré l‟utilisation des formations
sanitaires de base. Malheureusement, cette médicalisation n‟a pas été suivie des
mesures d‟accompagnement nécessaires (en particulier : les conditions de travail,
les moyens de motivation pour le médecin et le plateau technique adapté). Ces
facteurs ont constitué les points faibles de la médicalisation en milieu rural qui s‟est
traduite par une instabilité du médecin et l‟absence de son implication dans les
problèmes du monde rural en particulier (Belghiti et Hachri 2007).
144
La nature des relations entre usagers et personnels de santé joue un rôle
important dans l‟accès aux soins (Obrist et al. 2007). La qualité de cette relation est
une des attentes de la population vis-à-vis du médecin généraliste, et qui se résume
à une bonne communication, un bon accueil, un plateau technique satisfaisant, une
disponibilité des médicaments, des soins personnalisés et une meilleure disponibilité
temporelle du MG (Belqari 2004).
Notre étude a analysé la perception de la profession de médecin généraliste
selon différentes perspectives, mais tous les résultats convergent. Ils mettent en
lumière de nombreux facteurs qui influencent la disponibilité et la qualité de la
prestation médicale. La formation de base inadaptée, le choix de la pratique
généralement par défaut, ainsi que la perception négative des conditions de travail
du médecin généraliste qui créent un déséquilibre entre vie professionnelle et vie
privée sont les principales raisons énumérées comme étant responsables de cette
situation.
C‟est ainsi, lorsqu‟un un patient est conscient de sa souffrance et surmonte
l‟ensemble des obstacles physiques, culturels et financiers et décide de chercher des
soins modernes, la garantie de trouver un médecin généraliste public disponible n‟est
pas toujours assurée, notamment en milieu rural et dans les centres secondaires. De
plus, une fois cet obstacle dépassé, la qualité relationnelle et de la prestation
médicale ne permet pas toujours de développer une relation de confiance dans la
prestation et le service offert.
145
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147
Chapitre - 6 Enquête quantitative sur l’accès aux soins
auprès de la population
Résultats par site
Mohamed Amine & Vincent De Brouwere
Le but du système de santé d‟un pays est d‟abord d‟améliorer le niveau de
santé de manière équitable pour l‟ensemble de la population(WHO 2000). C‟est
aussi de protéger les plus vulnérables contre le risque social et financier (éviter que
les dépenses de santé soient « catastrophiques »). A ce titre, l‟OMS considère que la
réactivité du système de santé (sa capacité à répondre aux attentes de la population
quant à la façon dont elle souhaite être traitée par les prestataires de soins) et
l‟amélioration de son efficience sont pareillement des résultats attendus (Frenk
2010 ; Murray & Frenk 2000). Ces résultats sont atteints grâce à un accès à des
soins de santé de qualité et sans risque pour les patients. Du côté de l‟offre, le
Ministère de la santé du Royaume du Maroc a progressivement étendu la couverture
de services de santé de base et son niveau de qualité en médicalisant les équipes
de soins de première ligne et en les équipant. Un programme national d‟assurance
qualité a été mis en place en 1999 après une longue réflexion dans les années 1990
sur les processus d‟amélioration de la qualité des soins55. Depuis 2007, le „Concours
qualité‟ apprécie les services de santé publics et les classent selon leur niveau de
qualité avec un effet escompté de stimulation de la qualité de l‟offre (Direction des
Hôpitaux et des Soins Ambulatoires 2007). On ne sait cependant que peu de choses
sur la façon dont la population perçoit ces services publics ni de quelle manière – et
à quelle fréquence – ils sont utilisés. Ce chapitre vise à documenter d‟un point de
vue quantitatif, dans les provinces d‟Azilal et de Figuig et dans la préfecture de Salé,
le recours aux soins, l‟accès géographique aux structures de soins, les difficultés
ressenties par la population pour surmonter les obstacles et les difficultés d‟obtenir
les médicaments prescrits.
Méthodologie
Il s‟agit d‟une enquête en population, transversale, à visée descriptive.
Stratégie d’échantillonnage
Taille de l’échantillon
La taille de l‟échantillon a été calculée en fonction d‟une précision de 0,05
pour une proportion P de 0,5. Au total, la taille de l‟échantillon a été estimée à 1.200
sujets dont 480 à Salé, et 360 respectivement à Azilal et à Figuig.
55
BadraBerrissoule. Santé: Les hôpitaux sur le chemin de la qualité. L’Economiste, N° 1390 du 05/11/2002.
148
Méthode d’échantillonnage
Dans chaque site, trois communes ont été sélectionnées pour constituer
l‟échantillon total. Deux techniques de sélection de l‟échantillon ont été utilisées.
-
Échantillonnage accidentel à Azilal et Figuig
Il s‟agit d‟une méthode d‟échantillonnage non probabiliste, c‟est-à-dire qui ne
sélectionne pas les membres de la communauté qu‟on veut interroger de manière
aléatoire. Étant donné l‟habitat dispersé dans les provinces de Figuig et d‟Azilal, il
n‟était pas possible de tirer un échantillon aléatoire car cette méthode, quoique la
meilleure, aurait pris trop de temps et aurait coûté beaucoup trop cher. La méthode
utilisée est appelée accidentelle mais est en fait une adaptation de cette méthode
non probabiliste inspirée par l‟expérience d‟Immpact pour la mesure de la mortalité
maternelle (Immpact University of Aberdeen 2007). On considère qu‟en milieu rural
les personnes se rendant au marché local sont représentatives des membres des
communautés environnantes. Des aides-enquêteurs ont proposé à toute personne
arrivant au marché de se faire interviewer. Il a ainsi été possible de rassembler en
une matinée au moins une cinquantaine de personnes provenant de la zone cible et
qui ont accepté de se faire interroger par un des 6 enquêteurs. On ne peut
évidemment pas éviter un biais de sélection (échantillonnage non probabiliste et
volontaire) mais l‟expérience d‟Immpact a montré que le profil des personnes
interrogées était très proche du profil obtenu dans les enquêtes ayant couvert
l‟ensemble de la population.
L‟échantillon accidentel a été constitué par 120 participants rencontrés au
cours du souk hebdomadaire de la commune. Dans la province d‟Azilal, chaque souk
a été visité 2 fois à une semaine d‟intervalle pour inclure les 120 participants. Dans la
province de Figuig, étant donné que les souks hebdomadaires se tiennent sur 2
jours, ils ont été visités une fois par nos équipes d‟enquêteurs.
-
Dans la province en grappe à Salé
A la préfecture de Salé, un échantillon en grappe à 2 degrés (le bâtiment puis
la maison) de 160 personnes par commune a été constitué à partir de la liste des
quartiers et des rues de chacune des trois zones sélectionnées (Souani, Bouknadel,
Mazza). Au total, 480 sujets ont été inclus dans l‟enquête.
Collecte de données
La collecte de l‟information a été réalisée au cours du mois d‟avril 2011 à
l‟aide d‟un questionnaire qui était scindé en quatre parties distinctes comprenant les
variables suivantes:
-
Le recours aux soins:
 la présence de problème de santé
 la conduite du sujet face à ces problèmes
 le nombre de consultation dans une structure de soins
 les freins à l‟accès aux soins et au paiement des prestations.
-
L‟accès géographique :
 la distance par rapport aux structures de soins
 les moyens de transports utilisés.
-
L‟évaluation des difficultés à observer des prescriptions médicales :
 les difficultés d‟acquisition des médicaments prescrits et à la
réalisation des bilans.
149

-
la satisfaction par rapport à l‟offre de soins.
Les caractéristiques du sujet :
 l‟âge, le sexe
 le niveau d‟instruction
 la situation matrimoniale
 le type de résidence
 les conditions de vie
 la couverture médicale.
La collecte des données a été réalisée à l‟aide d‟un questionnaire de 6 pages
en arabe dialectal administré par des enquêteurs formés :
- dans les provinces d‟Azilal et de Figuig, on a recruté 6 enquêteurs et 3
aides sous la responsabilité d‟un superviseur local. Les aides servaient à
inviter les personnes présentes au souk hebdomadaire à participer, leur
expliquant le principe de l‟étude et l‟importance à accorder un peu de
temps pour répondre aux questions des enquêteurs qui étaient installés à
différents endroits du souk.
- A Salé, on a aussi recruté et formé 6 enquêteurs qui – en appliquant un
pas de sondage variant entre 1/10 et 1/20 – ont été de porte à porte inviter
les personnes présentes à répondre au questionnaire. Ils étaient encadrés
par un superviseur.
Analyse des données
Une double saisie des données recueillies a été effectuée au Laboratoire
d‟épidémiologie de la Faculté de médecine et de pharmacie de Marrakech sur le
logiciel Epi6fr. L‟analyse des données a été effectuée à l‟aide du logiciel Epi 2000.
Elle comportait essentiellement des analyses descriptives (caractéristiques et
nombre de répondants par aire de l‟étude ; proportion de répondants qui ont été
malades ; type de recours ; préférences et facilités d‟accès ; renonciation à un
traitement et causes ; difficultés d‟observer les prescriptions).
Aspects éthiques
L‟autorisation des gouverneurs provinciaux et des walis (gouverneurs
régionaux) a été obtenue ainsi que celle des autorités sanitaires locales. Le protocole
a été soumis au comité d‟éthique de la faculté de médecine de Casablanca. Le
consentement de participation a été demandé par écrit aux sujets sous forme d‟une
notice d‟information et d‟un formulaire de consentement rédigés en arabe dialectal
facilement compréhensible.
Résultats
Au total, 1208 personnes ont été interrogées dans les trois sites de chacune
des provinces/préfecture sélectionnées. La majorité des répondants (67%) étaient de
sexe féminin et 58,5% étaient analphabètes. Concernant le statut matrimonial, 69,6%
des participants étaient mariés, 17,9% étaient célibataires et 12,5% étaient veufs ou
divorcés. Un peu plus de la moitié (54,1%) de la population interviewée était d‟origine
rurale.
150
Tableau 19 : Répartition de l’échantillon selon les zones d’étude
Régions
Salé
Bouknadel
Mazza
Souani
Azilal
Anergui
Ait M’hammed
Demnate
Figuig
Talsint
Tendrara
Figuig
Total
n
%
480
162
158
160
360
118
121
121
368
125
120
123
1208
39,7
13,4
13,1
13,2
29,8
9,8
10
10
30,5
10,3
10,0
10,2
100
Globalement, 23,4% des répondants disposaient d’une couverture sanitaire.
Cependant cette fréquence était très faible pour la province de Figuig ou elle ne
dépassait pas 6,4%.
Tableau 20 : Couverture sanitaire des répondants
Régions
Salé
Bouknadel
Mazza
Souani
Azilal
Anergui
Ait M’hammed
Demnate
Figuig
Talsint
Tendrara
Figuig
Total
n
133
41
48
44
122
49
47
26
23
9
8
6
278
%
27,9
25,8
30,6
27,5
34,2
41,9
38,8
21,8
6,4
7,3
7,0
5,1
23,4
Le Recours aux soins
La présence d’au moins un épisode de maladie au cours de l’année écoulée a
été signalée par la majorité des participants (82,5%) avec quelques différences
régionales. On observe que dans le bidonville de Salé, virtuellement toutes les
personnes interviewées (98,2%) ont eu au moins un épisode de maladie. Le
minimum observé était de 60,8% à Talsint.
151
Tableau 21 : Fréquence des maladies durant les 12 derniers mois
Régions
fréquence
436
147
152
137
54
277
100
88
89
284
76
105
103
50
997
Salé
Bouknadel
Mazza
Souani
Bidonville
Azilal
Anergui
Ait M’hammed
Demnate
Figuig
Talsint
Tendrara
Figuig
Nomades
total
pourcentage
90,8
90,7
96,2
85,6
98,2
76,9
84,7
72,7
73,6
77,2
60,8
87,5
83,7
86,2
82,5
Les principales plaintes citées étaient le rhume et les maux de tête dans
17,6% des cas, les problèmes digestifs, ostéo-articulaires et rhumatologiques dans
16,1% des cas respectivement (particulièrement à Azilal avec un pourcentage de
22,4%).
Tableau 22 : Répartition des principales plaintes par région
Plaintes
Rhume /maux de tête
Problèmes digestifs
Problèmesostéoarticulaires /
rhumatologiques
Problèmes ORL
Asthme / allergie
Diabète
Problèmes cardiovasculaires
Fièvre
Problèmes gynécologiques
Autres
Salé
87(20,9)
58(13,9)
51(12,3)
Azilal
36(15,2)
47(19,8)
53(22,4)
Figuig
39(14,7)
43(16,2)
44(16,6)
total
41(9,9)
26(6,3)
22(5,3)
38(9,1)
24(10,1)
24(10,1)
16(6,8)
6(2,5)
19(7,2)
27(10,2)
21(7,9)
8(3,0)
84(9,2)
77(8,4)
59(6,4)
52(5,7)
23(5,5)
15(3,6)
55(13,2)
2(0,8)
8(3,4)
21(8,9)
15(5,7)
17(6,4)
32(12,1)
40(4,4)
40(4,4)
108(11,8)
162(17,6)
148(16,1)
148(16,1)
Le recours à la consultation d’un centre de santé en cas de maladie était
fréquent dans toutes les régions mais restait très variable d’une province à l’autre, et
également au sein d’une même province : 60,4% à Salé (mais 79,6 % parmi les
habitants du bidonville), 68,5% à Azilal et 87,1 % à Figuig et jusque 94,6% à Talsint.
A Figuig, la grande proportion de personnes ayant consulté le centre de santé plutôt
que le médecin privé peut s’expliquer par le très faible nombre de médecins privés.
Des pourcentages similaires mais répartis uniformément dans les 3 régions
ont été constatés pour le recours au médecin privé avec 64,4% des répondants qui
l’avait déjà consulté au moins une fois durant l’année précédant l’étude. Le recours
au personnel paramédical restait faible dans les différents sites.
En cas de maladie, les participants ont déclaré qu’ils avaient eu recours à la
consultation médicale dans 71,7% des cas dans les différents sites étudiés sauf chez
les nomades où ce pourcentage était de 56%.
152
Tableau 23 : Nombre de consultations dans un centre de santé durant l’année
écoulée
Régions
Salé
Bouknadel
Mazza
Souani
Bidonvill
e
Azilal
Anergui
Ait
M’hammed
Demnate
Figuig
Talsint
Tendrara
Figuig
Nomades
Total
0
172(39,6)
65(44,2)
65(42,8)
42(30,7)
11(20,4)
1
57(13)
17(11,6)
19(12,5)
21(15,3)
3(5,6)
2
43(9,8)
11(7,5)
23(15,1)
9(6,6)
4(7,4)
3
34(7,8)
11(7,5)
14(9,2)
9(6,6)
3(5,6)
4 et plus
130(29,7)
43(29,3)
31(20,4)
56(40,9)
33(61,1)
80(31,5)
37(39,8)
27(32,5)
16(20,8)
37(14,6)
12(12,9)
10(12,0)
15(19,5)
43(17,0)
13(14,0)
14(16,9)
16(20,8)
25(9,8)
4(4,3)
13(15,7)
8(10,4)
68(26,9)
27(29,0)
19(22,9)
22(28,6)
34(12,9)
4(5,4)
11(12,0)
19(19,4)
11(24,4)
286(30,0)
46(17,3)
10(13,5)
12(13,0)
24(24,5)
11(24,4)
140(14,7)
45(17)
24(32,4)
12(13,0)
9(9,2)
4(8,9)
131(13,7)
34(12,8)
12(16,2)
11(12,0)
11(11,2)
2(4,4)
93(9,8)
105(39,5)
24(32,4)
46(50,0)
35(35,7)
17(37,8)
303(31,8)
Cette consultation se faisait globalement à part égale chez le médecin du
centre de santé et le médecin privé. Le médecin du centre de santé était consulté
dans 65,1 % à Figuig, 41% à Salé et 34% à Azilal. La consultation chez un médecin
privé a été notée dans un peu plus de 42% des cas dans les trois provinces. La
consultation simultanée chez les deux (médecin du centre de santé et médecin privé)
était fréquente à Figuig (46,9%) et Salé (32,6%). Les pharmaciens étaient les moins
fréquemment consultés en cas de maladie dans les différents sites et
particulièrement à Anergui dans la province d’Azilal (3,0%).
Tableau 24 : Comportement des participants face à la maladie
Régions
Salé
Bouknadel
Mazza
Souani
Bidonvil
le
Azilal
Anergui
Ait
M’hammed
Demnate
Figuig
Talsint
Tendrara
Figuig
Nomades
total
Consultation
chez un
médecin
Médecin de
santé
publique
Médecin
privé
309(70,9)
107(72,8)
99(65,1)
103(75,2)
49(90,7)
179(41,3)
50(34,5)
61(40,4)
68(49,6)
35(64,8)
188(43,3)
79(54,1)
55(36,4)
54(39,4)
23(42,6)
Médecin de
santé
publique et
Médecin
privé
58(32,6)
22(44,0)
17(28,3)
19(27,9)
9(25,7)
202(72,9)
71(71,0)
64(72,2)
67(75,3)
94(34,1)
25(25,0)
24(27,3)
45(51,1)
118(42,6)
49(49,0)
44(50,0)
25(28,1)
10(10,6)
3(12,0)
4(16,7)
3(6,7)
19(6,9)
3(3,0)
7(8,0)
9(10,1)
204(71,8)
72(94,7)
66(62,9)
66(64,1)
28(56,0)
715(71,7)
166(65,1)
67(97,7)
49(59,8)
50(48,5)
19(41,3)
439(45,5)
99(42,5)
37(67,3)
27(36,0)
35(34,0)
14(32,6)
405(42,9)
61(46,9)
32(66,7)
10(31,3)
19(38,0)
5(3,3)
129(32,1)
53(23,9)
20(37,7)
9(13,6)
24(23,3)
10(22,7)
151(16,2)
153
Consultation
chez un
pharmacien
79(18,2)
22(15,2)
39(25,7)
18(13,1)
2(3,7)
Par ailleurs, 60,5 % des participants ont rapporté avoir eu des difficultés de
paiement des frais de soins durant l’année passée. Ces difficultés étaient notées à
Figuig et Salé dans respectivement 72,2% et 59,9% des cas, et étaient
particulièrement élevées chez les interviewés de Tendrara (81,6%). A Azilal, ces
difficultés étaient ressenties chez 49,5% des répondants.
Tableau 25 : Difficultés de paiements des frais de soins
Régions
n
%
Bouknadel
Mazza
Souani
Bidonville
Azilal
Anergui
Ait M’hammed
Demnate
Figuig
Talsint
Tendrara
Figuig
Nomades
261
102
88
71
40
137
60
39
38
203
50
84
69
35
59,9
69,4
57,9
51,8
56,3
49,5
60,0
44,3
42,7
72,2
65,8
81,6
67,6
71,4
total
601
60,5
Salé
Les difficultés concernaient essentiellement l’accès à la consultation médicale
à Salé (63,3%) et l’achat de médicaments à Figuig et Azilal.
Tableau 26 : Types de difficultés de paiement
Régions
Salé
Bouknadel
Mazza
Souani
Bidonville
Azilal
Anergui
Ait M’hammed
Demnate
Figuig
Talsint
Tendrara
Figuig
Nomades
total
Consultation
médicale
162(63,3)
73(73,0)
41(47,7)
48(68,6)
25(62,5)
28(22,0)
13(24,1)
9(25 ,0)
6(16,7)
40(25,6)
8(17,8)
16(28,1)
16(30,8)
8(27,6)
230(42,9)
Achat de
médicaments
39(15,2)
13(13,0)
17(19,8)
9(12,9)
4(10,0)
55(43,7)
21(38,9)
17(47,2)
17(47,2)
69(44,8)
8(17,8)
29(50,9)
32(61,5)
15(51,7)
163(30,4)
154
Bilan
biologique
15(5,9)
1(1,0)
10(11,6)
4(5,7)
3(7,5)
9(7,1)
3(5,6)
3(8,3)
3(8,3)
6(3,9)
6(13,3)
0(0,0)
0(0,0)
0(0,0)
30(5,6)
Bilan
radiologique
25(9,8)
8(8,0)
13(15,1)
4(5,7)
4(10,0)
24(19,0)
12(22,2)
4(11,1)
8(22,2)
8(5,2)
8(17,8)
0(0,0)
0(0,0)
0(0,0)
57(10,6)
Renonciation aux soins
La renonciation aux soins était fréquente dans les 3 sites étudiés avec un
maximum de 81,3% atteint à Figuig, 64,7% à Salé et 56,7% à Azilal. Des différences
étaient notées selon les zones avec une fréquence plus élevée de renonciation aux
soins à Tendrara 92,4%, chez les nomades 92% et au bidonville 81,5%.
Tableau 27 : Renonciation à des soins
Régions
n
280
102
96
82
44
157
63
58
36
231
48
97
86
46
668
Salé
Bouknadel
Mazza
Souani
Bidonville
Azilal
Anergui
Ait M‟hammed
Demnate
Figuig
Talsint
Tendrara
Figuig
Nomades
Total
%
64,7
70,8
63,2
59,9
81,5
56,7
63,0
65,9
40,4
81,3
63,2
92,4
83,5
92,0
67,2
Cette renonciation concernait essentiellement l‟accès à la consultation
médicale mais avec des différences inter régions : consultation du médecin privé à
Salé, consultation du médecin privé et du spécialiste à Azilal et consultation du
médecin public et du spécialiste à Figuig. La barrière financière représentait la
principale raison de renonciation aux soins dans plus de 95% des cas.
Tableau 28 : Type de renonciations aux soins
Régions
Consultation
Consultation
médecin privé
médecin public
Salé
Bouknadel
Mazza
Souani
Bidonville
Azilal
Anergui
Ait M‟hammed
Demnate
Figuig
Talsint
Tendrara
Figuig
Nomades
Total
186(66,9)
65(63,7)
65(69,1)
56(68,3)
29(65,9)
68(44,2)
33(53,2)
24(41,4)
11(32,4)
67(31,3)
24(50,4)
23(25,6)
20(26,3)
7(18,4)
321(49,7)
Consultation
spécialiste
36(12,9)
22(21,6)
5(5,3)
9(11,0)
2(4,5)
25(16,2)
6(9,7)
10(17,2)
9(26,5)
76(35,3)
5(10,4)
31(34,1)
40(52,6)
12(31,6)
137(21,2)
155
29(10,4)
12(11,8)
9(9,6)
8(9,8)
3(6,8)
54(35,1)
20(32,3)
22(37,9)
12(35,3)
66(30,7)
24(50,0)
28(30,8)
14(18,4)
12(31,6)
149(23,0)
de
Prise en charge des maladies chroniques et de la maternité
Globalement, 31,6% des participants étaient atteints de maladies chroniques,
dont 45,1% ne bénéficiaient d‟aucun suivi. Ce résultat concernait les différentes
zones enquêtées et était particulièrement marqué chez le groupe des nomades dont
l‟absence de suivi observée était de 70% des cas.
Tableau 29 : Suivi en cas de maladies chroniques
Aucun suivi
Salé
Bouknadel
Mazza
Souani
Bidonville
Azilal
Anergui
Ait
M‟hammed
Demnate
Figuig
Talsint
Tendrara
Figuig
Nomades
total
Centre de santé
48(32,7)
15(31,3)
21(32,8)
12(34,3)
7(43,8)
60(55,0)
28(59,6)
21(63,6)
11(37,9)
Médecin
privé
28(19,0)
9(18,8)
13(20,3))
6(17,1)
1(6,3)
28(25,7)
16(34,0)
6(18,2)
6(20,7)
Pharmacien
48(32,9)
17(35,4)
20(31,3)
11(31,4)
5(31,3)
15(13,8)
2(4,3)
5(15,2)
8(27,6)
10(6,8)
5(10,4)
2(3,1)
3(8,6)
1(6,3)
0(0,0)
0(0,0)
0(0,0)
0(0,0)
54(52,4)
11(29,7)
29(69,0)
14(58,3)
14(70,0)
162(45,1)
15(14,7)
10(27,0)
1(2,4)
4(16,7)
2(10,0)
71(19,8)
25(24,5)
12(32,4)
9(21,4)
4(16,7)
3(15,0)
88(24,5)
13(12,7)
7(18,9)
3(7,1)
3(12,5)
2(10,0)
23(6,4)
En prenant l‟exemple du diabète, le centre de santé constituait le lieu de suivi
privilégié pour 38,7% des répondants versus 20,4% pour le médecin privé et 9,7%
pour le pharmacien. Les sujets diabétiques sans aucun suivi représentaient 26,9%
des participants. Ces résultats restent d‟interprétation difficile à cause du faible
effectif des patients diabétiques participant à l‟étude.
Tableau 30 : Suivi en cas de diabète
Aucun suivi
Salé
Bouknadel
Mazza
Souani
Bidonville
Azilal
Anergui
Ait M‟hammed
Demnate
Figuig
Talsint
Tendrara
Figuig
Nomades
total
10(20,8)
2(16,7)
7(26,9)
1(10,0)
0(0,0)
9(40,9)
5(71,4)
2(50,0)
2(18,2)
6(26,1)
3(15,8)
3(100,0)
0(0,0)
1(50,0)
25(26,9)
Médecin
privé
8(16,7)
4(33,3)
2(7,7)
2(20,0)
0(0,0)
6(27,3)
2(28,6)
1(25,0)
3(27,3)
5(21,7)
4(21,1)
0(0,0)
1(100,0)
0(0,0)
19(20,4)
156
Centre de
santé
24(50,0)
7(58,3)
12(46,2)
5(50,0)
3(60,0)
4(18,2)
0(0,0)
1(25,0)
3(27,3)
8(34,8)
8(42,1)
0(0,0)
0(0,0)
1(50,0)
36(38,7)
Pharmacien
3(6,3)
1(8,3)
1(3,8)
1(10,0)
1(20,0)
0(0,0)
0(0,0)
0(0,0)
0(0,0)
6(26,1)
6(31,6)
0(0,0)
0(0,0)
0(0,0)
9(9,7)
En considérant le lieu de naissance du dernier enfant, les accouchements en
milieu médicalisé représentaient 53,6% durant l‟année passée avec des différences
interrégionales allant de 84,2% à Salé, 43,5% à Azilal et 28,6% à Figuig.
En cas de maladie des enfants, les répondants déclaraient qu‟ils consultaient
un médecin dans 73,5% des cas. Cette consultation se faisait essentiellement dans
les centres de santé. Attendre que la maladie passe restaient la conduite adoptée
par 21,7% des parents à Azilal, 20,4% pour Figuig et 25% chez les nomades.
Tableau 31 : Comportement des participants face à la maladie des enfants durant
l‟année passée
Consultation
chez un médecin
Salé
Bouknadel
Mazza
Souani
Bidonville
179(73,4)
61(78,2)
63(69,2)
55(73,3)
19(76,0)
Azilal
Anergui
AitM‟hamme
d
Demnate
Figuig
Talsint
Tendrara
Figuig
Nomades
total
Médecin de
santé
publique
Médecin
privé
Consultatio
n d’un
pharmacien
Attendre
que cela
passe
71(29,3)
25(32,5)
24(26,4)
22(29,7)
4(16,7)
41(16,9)
13(16,9)
19(20,9)
9(12,2)
4(16,7)
10(4,0)
2(2,6)
8(8,8)
0(0,0)
0(0,0)
114(70,4)
30(56,6)
35(67,3)
49(86,0)
123(50,8
)
42(54,4)
46(50,5)
35(47,3)
15(62,5)
87(55,1)
21(40,4)
24(48,0)
42(75,0)
35(22,3)
11(21,2)
13(27,1)
11(19,3)
9(5,8)
0(0,0)
4(8,3)
5(8,9)
34(21,7)
15(29,4)
14(28,0)
5(8,9)
95(77,9)
26(86,7)
37(78,7)
32(71,1)
22(71,0)
82(69,5)
26(89,7)
33(73,3)
23(52,3)
15(48,4)
20(20,8)
1(5,3)
7(21,2)
12(27,3)
8(27,6)
13(13,3)
7(33,3)
2(6,1)
4(9,1)
2(6,9)
20(20,4)
1(5,6)
8(21,6)
11(25,6)
7(25,0)
388(73,5)
292(56,4)
126(25,5)
63(12,7)
64(12,9)
Accès géographique
A Azilal et Figuig 22,4% des répondants habitaient à plus de 10 km du centre
de santé. Cette distance était de 5 à 10 km pour 20,2% des participants à Azilal.
Tableau 32 : Distance par rapport au centre de santé
<3km
Salé
Bouknadel
Mazza
Souani
Bidonvilles
Azilal
Anergui
Ait M‟hammed
Demnate
Figuig
Talsint
Tendrara
Figuig
Nomades
Total
468(99,2)
152(98,1)
157(99,4)
159(100,0)
55(100,0)
157(48,2)
26(26,0)
30(27,3)
101(87,1)
221(64,2)
107(85,6)
48(42,1)
66(62,9)
11(19,3)
846(74,1)
3 à 5Km
0(0,0)
0(0,0)
0(0,0)
0(0,0)
0(0,0)
30(9,2)
7(7,0)
14(12,7)
9(7,8)
25(7,3)
8(6,4)
11(9,6)
6(5,7)
4(7,0)
55(4,8)
157
5 à 10 km
3(0,6)
2(1,3)
1(0,6)
0(0,0)
0(0,0)
66(20,2)
31(31,0)
32(29,1)
3(2,6)
21(6,1)
10(8,0)
9(7,9)
2(1,9)
4(7,0)
90(7,9)
Plus de 10
km
1(0,2)
1(0,6)
0(0,0)
0(0,0)
0(0,0)
73(22,4)
36(36,0)
34(30,9)
3(2,6)
77(22,4)
0(0,0)
46(40,4)
31(29,5)
38(66,7)
151(13,2)
A Salé, 81,5% des répondants habitaient à moins d‟une heure du centre de
santé, surtout à Souani où 98,1% n‟étaient qu‟à moins de 15 minutes de leur centre
de santé. Cette durée était un peu plus élevée dans les zones de la province d‟Azilal
et allait d‟une heure à plus de 4 heures dans 89% des cas à Anergui et 60,3% des
cas à Ait‟Mhamed.
Tableau 33 : Temps d‟accès pour se rendre au centre de santé
≤15min
Salé
Bouknadel
Mazza
Souani
Bidonvilles
Azilal
Anergui
Ait
M‟hammed
Demnate
Figuig
Talsint
Tendrara
Figuig
Nomades
Total
225(46,9)
60(37,0)
8(5,1)
157(98,1)
55(100,0)
93(25,8)
3(2,5)
20(16,5)
70(57,9)
16min à
59min
166(34,6)
93(57,4)
70(44,3)
3(1,9)
0(0,0)
65(18,1)
10(8,5)
28(23,1)
27(22,3)
1h à 4h
>4h
89(18,5)
9(5,6)
80(50,6)
0(0,0)
0(0,0)
186(51,7)
94(79,7)
68(56,2)
24(19,8)
0(0,0)
0(0,0)
0(0,0)
0(0,0)
0(0,0)
16(4,4)
11(9,3)
5(4,1)
0(0,0)
118(32,1)
42(33,6)
30(25,0)
46(37,4)
2(3,4)
436(36,1)
126(34,2)
69(55,2)
27(22,5)
30(24,4)
5(8,6)
357(29,6)
115(31,3)
14(11,2)
58(48,3)
43(35,0)
45(77,6)
390(32,3)
9(2,4)
0(0,0)
5(4,2)
4(3,3)
6(10,3)
25(2,1)
Le centre de santé était le lieu de consultation des participants en cas de
maladie dans 82,1% des cas. En cas de non consultation, Le mauvais accueil était la
principale raison avancée pour les participants de Salé sauf à Mazza où 44% ont cité
également la lenteur. A Azilal, c‟était le manque de compétence ressentie par les
répondants ou l‟absence du médecin qui revenaient dans respectivement 27,7% et
21,3% des réponses. Quant à Figuig, la non consultation dans le centre de santé
serait due principalement à l‟absence du médecin ou au mauvais accueil.
Tableau 34 : Raisons de non consultation dans un centre de santé en cas de
maladie
Mauvais
accueil
Salé
Bouknadel
Mazza
Souani
Bidonvilles
Azilal
Anergui
Ait M‟hammed
Demnate
Figuig
Talsint
Tendrara
Figuig
Nomades
total
25(29,1)
9(30,0)
2(8,0)
12(41,4)
4(57,1)
3(6,4)
0(0,0)
0(0,0)
3(30,0)
17(25,8)
4(23,5)
6(17,6)
7(46,7)
5(31,3)
43(21,8)
Absence de
médecin
Manque de
compétence
3(3,5)
3(10,0)
0(0,0)
0(0,0)
0(0,0)
10(21,3)
6(26,1)
3(21,4)
1(10,1)
20(30,3)
12(70,6)
7(20,6)
1(6,7)
2(12,5)
33(16,8)
12(14,0)
5(16,7)
1(4,0)
6(20,7)
1(14,3)
13(27,7)
8(34,8)
3(21,4)
2(20,0)
6(9,1)
1(5,9)
2(5,9)
3(20,0)
1(6,3)
31(15,7)
158
lenteur
21(25,0)
7(23,3)
11(44,0)
3(10,3)
0(0,0)
0(0,0)
0(0,0)
0(0,0)
0(0,0)
0(0,0)
0(0,0)
0(0,0)
0(0,0)
1(6,3)
21(10,7)
La durée pour se rendre à l‟hôpital ne dépassait pas une heure pour la
majorité des participants des zones de Salé (85,8). Les résultats dans la province
d‟Azilal différaient d‟une zone à l‟autre ; le temps d‟accès à l‟hôpital est de moins
d‟une heure dans 76,9% des cas à Demnate, jusqu‟à 1 à 4 heures dans 54,5% des
cas à Ait‟Mhammed et de 4 à 8 heures dans 69,5% des cas à Anergui. A Figuig, la
majorité des répondants habitaient de 1 à 4 heures de l‟hôpital avec des proportions
différentes selon la zone : 98,4% à Talsint, 48,3% à Tendrara et 34,1% à Figuig.
Tableau 35 : Temps d‟accès pour se rendre à l‟hôpital
Bidonvilles
≤1h
412(85,8)
143(88,3)
110(96,6)
159(99,4)
54(98,2)
1h à 4h
68(14,2)
19(11,7)
48(30,4)
1(0,6)
1(1,8)
4h à 8h
0(0,0)
0(0,0)
0(0,0)
0(0,0)
0(0,0)
Azilal
Anergui
Ait M‟hammed
Demnate
Figuig
Talsint
Tendrara
Figuig
Nomades
Total
141(39,2)
6(5,1)
42(34,7)
93(76,9)
139(37,8)
2(1,6)
59(49,2)
78(63,4)
22(37,9)
692(57,3)
119(33,1)
26(22,0)
66(54,5)
27(22,3)
223(60,6)
123(98,4)
58(48,3)
42(34,1)
32(55,2)
410(33,9)
93(25,8)
82(69,5)
10(8,3)
1(0,8)
3(0,8)
0(0,0)
2(1,7)
1(0,8)
3(5,2)
96(7,9)
Salé
Bouknadel
Mazza
Souani
>8h
0(0,0)
0(0,0)
0(0,0)
0(0,0)
0(0,0)
7(1,9)
4(3,4)
3(2,5)
0(0,0)
3(0,8)
0(0,0)
1(0,8)
2(1,6)
1(1,7)
10(0,8)
Pour le non recours à l‟hôpital, l‟éloignement était le principal motif dans les 3
sites avec une fréquence particulièrement élevée pour Figuig et chez les nomades.
Le problème financier représentait 52,2% des raisons à Anergui, 28,6% à Tendrara
et 22,7% chez les nomades.
Tableau 36 : Raisons de non consultation à l‟hôpital en cas de maladie
Régions
Salé
Bouknadel
Mazza
Souani
Bidonville
Azilal
Anergui
Ait M‟hammed
Demnate
Figuig
Talsint
Tendrara
Figuig
Nomades
Total
Éloignement
19(31,6)
3(11,1)
10(32,3)
6(20,0)
5(55,6)
39(31,2)
17(26,2)
18(40,9)
4(25,0)
100(62,9)
41(70,7)
6(17,1)
53(80,3)
14(63,6)
158(42,5)
Problème financier
2(2,3)
3(11,1)
1(3,2)
0(0,0)
0(0,0)
44(35,2)
34(52,3)
8(18,2)
2(12,5)
18(11,3)
2(3,4)
10(28,6)
6(9,1)
5(22,7)
66(17,7)
Mauvais accueil
9(10,2)
4(14,8)
1(3,2)
4(13,3)
1(11,1)
9(7,2)
4(6,2)
0(0,0)
5(31,3)
12(7,5)
4(6,9)
5(14,3)
3(4,5)
2(9,1)
30(8,1)
Globalement, les participants jugeaient l‟accès aux structures de soins peu
facile à difficile dans 85,1%, ce pourcentage était particulièrement important à
Anergui 94,1%, dans les différents sites de la province de Figuig (95,2% à Talsint,
92,6% à Figuig et 89,9% à Tendrara) et dans 96,4% des réponses des nomades.
159
Tableau 37 : Appréciation de la difficulté d‟accès aux structures de soins
Régions
Salé
Bouknadel
Mazza
Souani
Bidonvilles
Azilal
Anergui
Ait M‟hammed
Demnate
Figuig
Talsint
Tendrara
Figuig
Nomades
total
Difficile
251(52,7)
83(51,9)
100(63,3)
68(43,0)
38(69,1)
225(62,8)
102(86,4)
69(57,0)
54(45,4)
236(64,8)
68(54,8)
75(63,0)
93(76,9)
47(83,9)
712(59,4)
Peu facile
119(25)
38(23,8)
40(25,3)
41(25,9)
8(14,5)
88(24,6)
10(8,5)
33(27,3)
45(37,8)
101(27,7)
50(40,3)
32(26,9)
19(15,7)
7(12,5)
308(25,7)
facile
91(19,1)
31(19,4)
18(11,4)
42(26,6)
9(16,4)
41(11,5)
6(5,1)
17(14,0)
18(15,1)
16(4,4)
4(3,2)
7(5,9)
5(4,1)
0(0 ,0)
148(12,4)
Très facile
15(3,2)
8(5,0)
0(0,0)
7(4,4)
0(0,0)
4(1,1)
0(0,0)
2(1,7)
2(1,7)
11(3)
2(1,6)
5(4,2)
4(3,3)
2(3,6)
30(2,5)
Concernant les préférences des répondants, ils préféraient consulter au centre
de santé dans 46,3% des cas ou chez un médecin généraliste dans le privé dans
23,9% des cas. Les résultats étaient similaires dans les trois provinces avec une
particularité à Figuig qui, après le centre de santé, préféraient se rendre chez le
médecin spécialiste privé dans presque 20% des réponses comparé au généraliste
privé qui n‟était cité que dans 8,4% des cas. Cette constatation était également notée
dans les réponses des nomades. L‟hôpital ne constituait pas la destination préférée
des participants et particulièrement chez les nomades.
Tableau 38 : Préférences du type de recours médical
Régions
Salé
Bouknadel
Mazza
Souani
Bidonvilles
Azilal
Anergui
Ait M‟hammed
Demnate
Figuig
Talsint
Tendrara
Figuig
Nomades
total
Centre de
santé
176(37,1)
64(40,5)
57(36,1)
55(34,6)
22(40,0)
193(53,8)
66(56,4)
76(62,8)
51(42,1)
183(51,0)
70(57,4)
73(63,5)
40(32,8)
28(49,1)
552(46,3)
Généraliste
privé
179(37,7)
57(36,1)
63(39,9)
59(37,1)
17(30,9)
76(21,2)
24(20,5)
23(19,0)
29(24,0)
30(8,4)
2(1,6)
10(8,7)
18(14,8)
7(12,3)
285(23,9)
Spécialiste
privé
48(10,1)
22(13,9)
10(6,3)
16(10,1)
2(3,6)
20(5,6)
2(1,7)
4(3,3)
14(11,6)
71(19,8)
16(13,1)
23(20,0)
32(26,2)
10(17,5)
139(11,7)
Hôpital
15(3,2)
9(5,7)
4(2,5)
2(1,3)
1(1,8)
48(13,4)
21(17,9)
13(10,7)
14(11,6)
26(7,2)
23(18,9)
2(1,7)
1(0,8)
0(0,0)
89(7,5)
Évaluation des difficultés de respect des ordonnances médicales
Parmi les participants ayant reçu une prescription médicale, 30,9% ont
ressenti des difficultés à réaliser les examens paracliniques demandés par le
médecin et 28,7% ont eu des difficultés d‟achat des médicaments prescrits. La non
réalisation des bilans était particulièrement citée à Figuig avec une fréquence de
54,4%.
160
Tableau 39 : Réalisation des bilans demandés par le médecin
Régions
Salé
Bouknadel
Mazza
Souani
Bidonville
Azilal
Anergui
Ait M‟hammed
Demnate
Figuig
Talsint
Tendrara
Figuig
Nomades
total
En totalité
190(79,2)
58(81,7)
63(75,0)
69(81,2)
25(73,5)
81(71,1)
22(59,5)
27(77,1)
32(76,2)
51(45,5)
18(47,4)
11(28,9)
22(61,1)
5(31,3)
322(69,1)
En partie
16(6,7)
3(4,2)
5(6,0)
8(9,4)
5(14,7)
12(10,5)
5(13,5)
1(2,9)
6(14,3)
22(19,6)
10(26,3)
7(18,4)
5(13,9)
4(25,0)
50(10,7)
Non réalisé
34(14,2)
10(14,1)
16(19,0)
8(9,4)
4(11,8)
21(18,4)
10(27,0)
7(20,0)
4(9,5)
39(34,8)
10(26,3)
20(52,6)
9(25,0)
7(43,8)
94(20,2)
Satisfaction globale
La satisfaction des participants à l‟égard de la qualité des soins délivrés par
les structures de soins était faible dans les trois régions : 31,1% à Salé, 11% à Figuig
et, 9,3% pour Azilal. Les réponses étaient globalement similaires dans les sites avec
un peu plus de 70% de répondants complètement insatisfaits à Figuig, parmi les
nomades et à Anergui.
Tableau 40 : Satisfaction globale des répondants par rapport à la qualité des soins
Régions
Salé
Bouknadel
Mazza
Souani
Bidonville
Azilal
Anergui
Ait M‟hammed
Demnate
Figuig
Talsint
Tendrara
Figuig
Nomades
Total
Insatisfait
165(35,1)
68(42,8)
51(32,9)
46(29,5)
19(35,8)
207(58,3)
82(70,7)
66(55,5)
59(49,2)
221(60,9)
85(68,0)
44(37,3)
92(76,7)
42(75,0)
593(49,9)
Peu satisfait
159(33,8)
58(36,5)
55(35,5)
46(29,5)
22(41,5)
115(32,4)
31(26,7)
35(29,4)
49(40,8)
102(28,1)
31(24,8)
53(44,9)
18(15,0)
14(25,0)
376(31,6)
161
Satisfait
123(26,2)
25(36,5)
55(35,5)
46(29,5)
12(22,6)
31(8,7)
31(26,7)
35(29,4)
49(40,8)
33(9,1)
31(24,8)
53(44,9)
18(15,0)
0(0,0)
187(15,7)
Très satisfait
23(4,9)
8(5,0)
4(2,6)
11(7,1)
0(0,0)
2(0,6)
2(1,7)
0(0,0)
0(0,0)
7(1,9)
1(0,8)
4(3,4)
2(1,7)
0(0,0)
32(2,7)
Conclusion
La grande majorité des personnes interrogées (82,5%) a connu au moins un
épisode de maladie durant l‟année écoulée. Cependant l‟enquête a révélé que 30%
(5,4% - 44,2%) n‟ont pas consulté et lorsqu‟il s‟agissait d‟un enfant, les familles ont
attendu que cela passe dans 12,9% des cas. Lorsque les personnes interrogées
consultaient, elles l‟ont fait chez un médecin de première ligne dans plus de 70% des
cas, et de manière à peu près équivalente dans le secteur public (45,5%) et dans le
secteur privé (42,9%) pour les adultes. Chez les enfants, la recherche de soins est
différente et les familles consultent plus fréquemment un médecin du secteur public
(56,4%) qu‟un médecin privé (25,5%).
Les difficultés financières restent un obstacle important et 60% ont exprimé
avoir eu des difficultés de paiement des soins avec parfois comme conséquence le
renoncement à une consultation, plus fréquemment auprès d‟un médecin privé
(49,7%) que d‟un médecin de santé publique (21,2%). Les raisons de ne pas
consulter le centre de santé en cas de maladie dépendent particulièrement de
l‟environnement local. Le mauvais accueil est souvent la première cause en milieu
urbain (30-40% des personnes interrogées l‟ont invoquée) alors qu‟en milieu rural
c‟est l‟absence du médecin et/ou la perception d‟une compétence insuffisante qui est
le facteur exprimé (environ 30% des personnes interrogées). A part les nomades, la
plupart des personnes interrogées (74%) habitaient à moins de 3km d‟un centre de
santé et près des deux tiers à moins d‟une heure. De même l‟accès physique à
l‟hôpital en termes de temps est de moins d‟une heure pour 57% des personnes et
de moins de 4h pour 91% alors que l‟éloignement est l‟obstacle le plus fréquemment
cité (42%), devant les problèmes financiers (17,7%) et le mauvais accueil (8,1%).
D‟une manière générale, la proportion de personnes ressentant des difficultés
d‟accès à des soins n‟est pas négligeable, parfois en raison de la distance, mais
aussi du manque de disponibilité des soignants, des difficultés rencontrées pour faire
face aux dépenses de santé (médicaments, examens de laboratoire), et d‟un accueil
peu satisfaisant (délais d‟attente, mauvais accueil). Les résultats de l‟enquête
quantitative viennent confirmer la plupart des éléments mis en évidence par
l‟enquête par entretien auprès de la population. Sans surprise, on observe un
gradient de difficultés depuis la province de Figuig (où la proportion de personnes
faisant état de difficultés est la plus importante), et tout particulièrement dans la
population « nomade », jusqu‟à la préfecture de Salé où, à l‟évidence, les questions
d‟accessibilité géographique se posent beaucoup moins. Néanmoins, les réponses
recueillies auprès de la population habitant des bidonvilles (quartier Souani) font état
également, comme pour les « nomades » de Figuig, d‟une important proportion de
personnes déclarant des difficultés d‟accès.
162
Références
Direction des Hôpitaux et des Soins Ambulatoires (2007) Concours Qualité, édition
2007. Rapport global. Rabat, Direction des Hôpitaux et des Soins Ambulatoires
(DHSA) et GTZ.
Frenk J. (2010) “The World Health Report 2000 : expanding the horizon of health
system performance”, Health Policy Plan., 25, (5) : 343-345.
Immpact University of Aberdeen (2007) "Sampling at Service Sites (SSS), Module 4,
Tool 1.," In Immpact Toolkit: A guide and tools for maternal mortality programme
assessment, Aberdeen: University of Aberdeen.
Murray C.J. & Frenk J. (2000) “A framework for assessing the performance of health
systems”, Bull. World Health Organ, 78, (6) : 717-731
WHO 2000 "Why do health systems matter?", The World Health Report 2000, A.
Haden & B. Campanini (eds.), Geneva, WHO: 3-19.
163
TROISIÈME PARTIE
L’ACCÈS AUX MÉDICAMENS
164
Chapitre - 7 Problématique et méthodologie de l’accès au
médicament au Maroc
Samira Guennif et Mohammed Wadie Zerhouni
État des dépenses de médicaments au Maroc
Suivant la dernière édition des Comptes nationaux de la santé parue en 2010,
la dépense globale de santé s‟élevait à 30,6 milliards de DH en 2006, ce qui
représenterait 5,3% du PIB et fixerait la dépense globale à 1.002 DH par tête et par
an. Cette dépense aurait connu une progression non négligeable ces dernières
années, de l‟ordre 10,1% par an entre 2001 et 2006.
Concernant la structure de cette dépense globale de santé, il convient de
signaler deux points importants. Premièrement, la part la plus importante des
dépenses de santé serait à la charge des ménages. En effet, la dépense globale de
santé supportée par les ménages serait de 64,8% contre 24,03% pour l‟État. Plus
encore, les paiements directs consentis par les ménages représenteraient 57,3% de
la dépense globale de santé contre 7,4% dues aux cotisations versées à l‟assurance
maladie par les employés. De fait, alors que la dépense globale de santé serait
passée de 15 milliards de DH à 30,6 milliards entre 1997 et 2006, les dépenses
directes de santé des ménages seraient passées de 8 milliards de DH à 17,5
milliards pour la même période (MS 2006 ; El Alami El Fellousse 2009). Dans le
même temps, les dépenses de santé supportées par l‟État seraient passées de 3,94
milliards de DH à 7,36 milliards. En somme, les dépenses globales de santé
évolueraient à la hausse sous l‟influence sensible des dépenses de santé supportées
par les ménages et a contrario sous l‟effet d‟une contraction non négligeable de la
contribution de l‟État.
Deuxièmement, les dépenses de santé consacrées expressément aux
médicaments sont importantes. Si l‟on ne retient que le poste « Pharmacie », les
médicaments absorberaient à eux-seuls un peu plus de 32% de la dépense globale
de santé avec un montant de 9,85 milliards de DH. Si l‟on comptabilise à la fois les
postes « Pharmacie » et « Biens médicaux », cette proportion passerait alors à
33,6% avec un montant de 10,3 milliards de DH.
En croisant ces deux éléments, il apparait donc que le poids du médicament
dans le système de santé marocain est considérable et qu‟il est largement supporté
par les ménages. Si l‟on analyse la répartition des dépenses de santé des ménages,
les médicaments représenteraient 47% contre par exemple 15% pour les dépenses
allouées aux consultations médicales et paramédicales.
A la lumière de ces quelques chiffres, on comprend pourquoi le médicament
est devenu un problème majeur ces dernières années au Maroc, suscitant au
passage les plus vifs débats et polémiques, et que les questionnements concernant
l‟accès aux soins aboutissent invariablement à se focaliser sur l‟accessibilité des
médicaments. Les discussions en viennent tout naturellement à tourner autour de
deux points essentiels : le prix du médicament et la disponibilité du médicament
générique.
165
La question du prix du médicament et celle du taux de pénétration du
générique sur le marché du médicament sont devenus incontournables pour deux
autres raisons essentielles. Depuis les premiers travaux de l‟OMS portant sur le
niveau des dépenses de santé catastrophiques dans les pays en développement
(OMS 2005, Ezzrai & Alami El Fellousse 2007), la question du prix des soins de
santé en général et du prix du médicament est largement soulevée en écho à une
autre question : l‟effet possible de l‟introduction du brevet sur le prix des
médicaments au Sud et sur leur accessibilité dans des régions où les enjeux
sanitaires sont colossaux en considération des multiples épidémies qui frappent les
populations (Velasquez & Correa 2009, Guennif & Mfuka 2010). Aussi, les études
fusent pour identifier des mécanismes qui permettraient de lever la charge financière
pesant sur les ménages en santé et ce faisant de réduire le prix du médicament pour
les ménages. Le but ultime étant de réduire pour les ménages le risque d‟occurrence
de dépenses catastrophiques : le prix du médicament serait à l‟origine de dépenses
de santé importantes consenties par les ménages face à la maladie et qui les
plongeraient dans des situations économiques difficiles.
En outre, l‟Assurance maladie obligatoire (AMO) a été mise en place en 2005
et la généralisation du Ramed est prévue pour l‟année 2011 suivant le calendrier
établi récemment par le Ministère de la Santé. Aussi, l‟État s‟est engagé à prendre
en charge une part des dépenses de santé supportées jusque là par les ménages
pour l‟achat de médicament. Sans surprise, l‟État entend donc réduire dans la
mesure du possible le montant du transfert de dépenses attendues en passant en
revue les solutions possibles dont celle d‟une baisse du prix des médicaments et
d‟une pénétration plus conséquente du générique sur le marché.
Pourtant, l‟analyse se brouille ici. D‟un côté, l‟État suggère que le prix du
médicament pourrait être un frein sérieux à l‟élargissement de la couverture santé au
Maroc. De l‟autre, les acteurs privés, les industriels du médicament en tête, insistent
sur le fait que l‟accessibilité du médicament n‟est pas un problème de prix mais un
problème de couverture sociale. Si les ménages supportent le plus gros des
dépenses de médicaments, ce qui peut les mettre en grande difficulté financière,
c‟est que la contribution de l‟État est faible et notamment que la couverture santé
dans le pays est insuffisante comparée à celle de ses voisins. Aussi, il appartient à
l‟État d‟inverser la tendance, de prendre en charge une part plus importante des
dépenses de santé des citoyens et de prévenir les dépenses de santé
catastrophiques en généralisant la couverture médicale de base, ce qui permettra de
créer un marché du médicament plus large qui pourra alors générer des baisses de
prix. Pour améliorer l‟accessibilité du médicament, à qui incombera la charge du
levier : à l‟État ou aux professionnels du médicament (cf. plus bas) ?
Qu’est-ce que l’accessibilité du médicament ?
Les approches et la conceptualisation de l‟accessibilité du médicament sont
nombreuses. Selon l‟OMS, La santé est un droit fondamental de l‟être humain.
L‟accès aux soins de santé, lequel comporte notamment l‟accès aux médicaments
essentiels en est une composante indispensable (OMS 2002 ; MS 2008). Les
médicaments essentiels jouent un rôle capital dans de nombreux aspects des soins
de santé. Tout d‟abord, les médicaments essentiels sont ceux qui permettent de
répondre aux besoins prioritaires de la population en matière de soins de santé
(OMS 2004 a). Ensuite, lorsqu‟ils sont disponibles, économiquement abordables, de
bonne qualité et biens utilisés, les médicaments essentiels peuvent offrir une
166
réponse simple, efficace, peu coûteuse pour faire face à de nombreux problèmes de
santé (OMS, 2002). Par ailleurs, l‟OMS précise que l‟accessibilité du médicament est
tributaire de la politique pharmaceutique qui dépend elle-même entre autres du
niveau de développement économique d‟un pays et des ressources disponibles.
Nous proposons de traiter dans cette partie l‟accessibilité du médicament en insistant
principalement sur sa disponibilité, son abordabilité et sa qualité (Dumoulin & al.
2000, Zio 2005).
La notion de disponibilité recouvre pour partie ce que Dumoulin & al. (2000)
dénomment l‟accessibilité géographique et l‟accessibilité physique du médicament.
Selon ces auteurs, la première concerne la distance que les patients doivent
parcourir pour se rendre au point de dispensation du médicament le plus proche ou
le temps qu‟il leur faut pour y parvenir. L‟accessibilité géographique dépend donc du
nombre et de la répartition des points de dispensation du médicament que sont les
officines, les hôpitaux et les centres de santé (CS). Le faible nombre de ces points
de dispensation et/ou leur répartition inégale sur un territoire constituent une limite
sérieuse à l‟accessibilité géographique du médicament, faisant peser sur le patient
des charges considérables outre le coût du médicament proprement dit. Le malade
ou un membre de sa famille doit supporter le coût du voyage pour se rendre au point
de dispensation le plus proche. Inversement, un nombre important de points de
dispensation et une répartition homogène doit permettre une meilleure couverture de
la population et améliorer l‟accessibilité géographique du médicament.
L‟accessibilité physique requiert l‟absence de ruptures de stock dans les
points de dispensation. Si le médicament est normalement présent dans les points
de dispensations, encore faut-il qu‟il soit véritablement présent en rayon lorsqu‟un
besoin s‟exprime. L‟accessibilité physique se mesure alors aussi par la durée des
ruptures de stock. Sur une période donnée (le mois ou l‟année), on calcule le nombre
de jours ou de semaines durant lesquels le médicament n‟est pas en rayon. Cette
accessibilité physique dépend de l‟efficacité des systèmes d‟approvisionnement et de
distribution qui prévalent pour les officines, les hôpitaux ou les CS.
La notion de disponibilité questionne également l‟existence du médicament au
niveau national : est-il est commercialisé sur le territoire sous la forme d‟une
autorisation de mise sur le marché (AMM) soumise à l‟agence du médicament
marocain (la Direction du médicament et de la pharmacie) ? Au contraire, un
médicament disponible sur les marchés internationaux est-il indisponible localement
faute d‟une AMM déposée ou en raison d‟une AMM suspendue à la demande d‟un
producteur pour des raisons économiques ? Le médicament est-il disponible à partir
d‟une production locale ou d‟importations ? La notion de disponibilité couvre donc
l‟ensemble de ces points, depuis la disponibilité du médicament sur le territoire
national jusqu‟à sa disponibilité dans les points de dispensation à un niveau
périphérique.
Le terme d‟abordabilité recouvre ce que Dumoulin & al. nomment
l‟accessibilité financière ou économique. Cette dernière renvoie au prix du
médicament pour le consommateur. Ce prix est fonction du coût d‟acquisition du
médicament, du coût de distribution et du système de financement. Aussi des
éléments aussi divers que les droits de douanes, les taxes et TVA intervenant dans
le prix du médicament, les marges des opérateurs (producteurs, distributeurs et
pharmaciens) sont à prendre en considération. De même, l‟existence et l‟étendue
d‟un système de financement de la dépense de santé en général et de la dépense de
167
médicament en particulier importe. Existe-t-il un système de paiement collectif public
ou privé ? Le paiement direct assuré par le patient est-il important56 ?
L‟analyse de l‟abordabilité requiert de prime abord de voir si le prix du
médicament sur le marché marocain est abordable rapporté au pouvoir d‟achat de la
population comme le prescrit l‟OMS (2003). Certes, sur le prix du médicament, les
études se sont multipliées ces dernières années au Maroc. D‟un côté, il y a celles qui
dénoncent la cherté des médicaments et les rentes non négligeables des opérateurs.
Une des dernières études en date est celle publiée à l‟issue d‟une Mission
parlementaire en 2009, qui suivait celle publiée par l‟OMS en 2004 (OMS 2004 b), et
qui soulignait le manque d‟abordabilité du médicament au Maroc. De l‟autre, il y a les
études qui dénoncent les méthodes utilisées par les investigateurs et qui indiquent
que les prix au Maroc sont peu élevés comparés aux prix pratiqués dans des pays
comme la France. C‟est ce que met en avant notamment l‟étude réalisée par
l‟Association Marocaine de l‟Industrie Pharmaceutique (AMIP) parue en 2010 en
réponse au rapport parlementaire.
Aussi, pour analyser l‟abordabilité du médicament au Maroc, il convient
d‟examiner notamment les réglementations concernant le mode de fixation du prix du
médicament sur le territoire, les systèmes de marge octroyés aux opérateurs et de
TVA sur le médicament. Il importe également d‟étudier les procédures prévues pour
stimuler la concurrence sur le marché du médicament, soutenir le générique tant au
niveau de la production que de la prescription et de la consommation.
Dans l‟analyse proposée par Dumoulin & al. (2000), il existe un lien entre les
trois accessibilités définies. L‟accès géographique et l‟accessibilité physique ont un
coût. En effet, si les acteurs cherchent à améliorer l‟accessibilité géographique et
l‟accessibilité physique, il y a un risque d‟augmentation des prix et donc de réduire
l‟accessibilité économique. En voulant réduire les stocks ou dispenser des
médicaments sur une large part du territoire, on peut s‟attendre à une augmentation
du prix. A l‟inverse, il ne sert à rien de viser une accessibilité économique forte à
travers un prix faible, si cela signifie pour le patient une accessibilité géographique et
physique faible ; des points de dispensations du médicament faible et/ou des
ruptures de stock importantes. Cela pose la question délicate de l‟équilibre à trouver
entre accessibilité géographique, physique et économique.
De même, il existe un équilibre à trouver entre disponibilité et abordabilité qui
fondamentalement doit se faire à l‟avantage du patient. Mais il convient ici d‟élargir le
champ d‟analyse proposé par Dumoulin & al. La recherche de cet équilibre entre
disponibilité et abordabilité fait intervenir différents acteurs : le patient, le producteur,
le distributeur, le pharmacien, le médecin, l‟assureur ou encore l‟État. Il importe donc
de questionner les tensions possibles entre abordabilité et disponibilité, qui révèlent
de fait des conflits potentiels entre professionnels du médicament. A titre d‟exemple,
il convient d‟interroger les producteurs de médicaments qui ne cessent de dire que la
recherche d‟un équilibre entre disponibilité et abordabilité ne doit pas se faire à leur
détriment, au risque de fragiliser le tissu industriel construit autour du médicament, et
à terme de ne pas consolider un juste équilibre entre disponibilité et abordabilité. La
stratégie qui vise à assurer la disponibilité sur le territoire d‟un nombre important de
spécialités par DCI (Dénomination commune internationale) doit prendre en
considération les effets potentiels sur l‟abordabilité. Cette stratégie peut provoquer
Sur ce point, Dumoulin et alii (2000) prévoient quatre systèmes de financement : la gratuité, la vente directe,
le paiement d’un forfait de soins, le prépaiement.
56
168
une réduction non négligeable des échelles de production, absorber des ressources
importantes en stockage, perturber les pratiques de prescription et générer des coûts
qui pourraient tirer le prix du médicament vers le haut. La question de l‟équilibre
entre disponibilité et abordabilité doit tenir compte dans le cas du Maroc d‟impératifs
de santé public et d‟impératifs industriels, ce qui suppose donc une politique
pharmaceutique où les intérêts des uns et des autres sont pris en compte.
Enfin, il y a l‟accessibilité qualitative. Selon Zio (2005), cette accessibilité
signifie que le médicament mis à la disposition du malade est fiable en termes
d‟efficacité et d‟innocuité et n‟altérera pas l‟état du patient. Plus largement, nous
retiendrons ici la question de l‟accès des populations à des médicaments de qualité.
Sous ce vocable, nous examinerons les efforts déployés par les acteurs publics et
privés pour assurer la fourniture de médicaments efficaces, sûrs et de qualité en
respect avec les normes internationales établies en la matière. Il existe une large
littérature qui fait état des risques de malfaçon et de contrefaçon des médicaments
sur les marchés officiels et officieux, ainsi qu‟à propos de la circulation de
médicaments ne contenant aucun principe ou sous-dosés. Étant entendu qu‟il
appartient aux pouvoirs publics de garantir la qualité des médicaments dispensés sur
leur territoire, nous examinerons les procédures d‟enregistrement et de
commercialisation du médicament au Maroc ainsi que les procédures de contrôle
post-marketing utilisées au niveau central ou au niveau périphérique.
Par ailleurs, s‟agissant d‟accessibilité du médicament, il convient de
questionner la place du générique au Maroc. Il est important d‟analyser les
conditions qui peuvent favoriser une prescription plus importante du générique au
Maroc et une pénétration plus importante de ces copies de princeps sur le marché,
en levant un à un les obstacles. Derrière ce point, se pose avec acuité la question de
la disponibilité, de l‟abordabilité et de la qualité des génériques produits sur le
territoire. Concernant la qualité, il est nécessaire de questionner les professionnels
de la santé, les médecins en tête, qu‟ils soient généralistes ou spécialistes, et voir si
des doutes s‟expriment sur la qualité des génériques et donc des procédures de
contrôle des médicaments commercialisés sur le territoire. Il convient également de
poser la question de la substitution en pharmacie, outil largement utilisé à l‟étranger
pour soutenir la pénétration du générique sur le marché du médicament. Il est alors
utile d‟examiner les efforts consentis par les acteurs pour assurer un usage plus
conséquent du générique et repérer les obstacles persistants.
En somme, questionnant l‟accessibilité des médicaments sur le territoire
marocain, nous tacherons d‟examiner tour à tour leur disponibilité, leur abordabilité et
leur qualité à différentes étapes du circuit du médicament : la sélection, l‟acquisition,
la distribution et la prescription pour reprendre la terminologie établie par l‟OMS.
Le circuit du médicament
Le circuit du médicament va du fabricant au patient et comprend les étapes
suivantes (Dumoulin & al. 2000) : la sélection, l‟acquisition, la distribution et la
prescription. Tout d‟abord, la sélection consiste à choisir parmi une offre large, les
médicaments qui seront achetés et distribués. Il appartient donc aux pouvoirs publics
d‟établir une liste restrictive de médicaments prioritaires, vitaux ou encore essentiels
avant acquisition et distribution. Sélectionner suppose, en particulier, d‟écarter les
169
médicaments sans intérêts thérapeutiques : inefficaces, inutiles, voire dangereux57.
Sélectionner suppose ensuite de réduire le nombre de médicaments à acquérir,
distribuer et utiliser, ce qui peut permettre de réduire considérablement le coût de
dispensation. L‟OMS rappelle que les problèmes de santé les plus prégnants parmi
les populations peuvent être traités grâce à un petit nombre de médicaments qu‟il
convient donc de soigneusement sélectionner. Ainsi, la liste modèle des
médicaments essentiels établie par l‟OMS comprend 300 substances (OMS 2004 a).
Ensuite, réduire le nombre de médicaments à dispenser peut par exemple favoriser
les économies d‟échelle à la production. Cette réduction peut générer des économies
au niveau des coûts de transaction du fait d‟un usage plus aisé de procédures
d‟achats centralisés et de procédures d‟appel d‟offres. Réduire le nombre de
médicaments sélectionnés peut aussi permettre de diminuer les coûts de distribution
du médicament et de gestion des stocks tout en améliorant les exercices de
prévisions et de prévention des ruptures de stock. Enfin, en réduisant le nombre de
médicament à dispenser, on peut soutenir un usage plus rationnel des produits en
favorisant l‟information et la formation sur cette sélection plus restreinte de
médicaments. La sélection repose sur l‟efficacité, l‟innocuité et la qualité des
médicaments, d‟un coté, et sur le prix de ces médicaments, de l‟autre ; il convient de
retenir les médicaments les plus efficaces et les moins chers.
L‟acquisition renvoie à l‟achat auprès de fabricants des médicaments
sélectionnés. Les acheteurs publics ou privés doivent acquérir les quantités
strictement nécessaires, ce qui suppose des méthodes de prévision efficaces,
basées sur la consommation passée, sur la morbidité ou les statistiques
populationnelles. Acquérir au moindre coût est important, ce qui suppose une
maitrise des coûts d‟acquisition, de distribution, de péremption ou encore de
conditionnement. Enfin, les stratégies d‟acquisition importent : il peut y avoir des
procédures d‟adjudication, d‟appel d‟offres, de gré à gré ou d‟achats directs, le
recours à une organisation publique ou privée, une centralisation ou une
décentralisation des achats.
La distribution consiste à acheminer les médicaments depuis les organismes
d‟acquisition jusqu‟aux consommateurs. La direction de l‟approvisionnement, les
pharmacies publiques et privées sont en charge de la distribution, voire de la
dispensation des médicaments. La distribution doit permettre d„améliorer la
disponibilité et l‟abordabilité du médicament, ou l‟accessibilité géographique,
physique et économique pour reprendre la terminologie de Dumoulin & al. (2000). La
distribution suppose donc de réfléchir aux modes de tournées de livraison (en circuit,
en linéaire ou en étoile), les modalités de transport (par la centrale
d‟approvisionnement, par la pharmacie, par un transporteur indépendant), les modes
de distribution (par kit une fois par an, par lots variables une ou deux fois par an, en
fonction des commandes 4 à 12 fois par an ou en continue une fois par semaine ou
une fois par jour).
La prescription peut relever du patient en cas d‟auto-prescription ou d‟un
professionnel de santé (médecin, dentiste, sage femme). Ici, l‟objectif majeur est
d‟utiliser rationnellement les médicaments, c'est-à-dire de façon à répondre aux
acquis de la science pour satisfaire les besoins sanitaires. Par ailleurs, on
questionne également la place du générique dans la prescription et sur le marché du
57
Sur ce point, l’ouvrage de Velasquez (1983) est éclairant : il relate les difficultés rencontrées par le
Bengladesh dans les années 1980 pour retirer du marché des médicaments dangereux, déjà interdits pour
certains sur les marchés des pays du Nord.
170
médicament au Maroc, les conditions d‟une prescription plus importante du
générique au Maroc et d‟une pénétration plus offensive de ces copies de princeps
plus abordables sur le marché. On pourra alors analyser par ordonnance le nombre
moyen de médicaments prescrits, le pourcentage de médicaments prescrits en DCI,
le nombre d‟antibiotiques prescrits, le nombre de produits injectables prescrits ou
encore le nombre de médicaments prescrits relevant d‟une liste des médicaments
essentiels ou d‟une autre liste.
Méthode d’analyse de l’accessibilité du médicament au Maroc
Pour discuter de l‟accessibilité du médicament au Maroc, comme le résume le
graphique ci-dessous, il importe de concilier différents angles d‟analyse :
-
-
définir s‟il s‟agit d‟une analyse de la disponibilité, de l‟abordabilité ou de la qualité
du médicament ;
décrire à quel niveau du circuit du médicament se situe l‟analyse : la sélection,
l‟acquisition, la distribution ou l‟utilisation ;
préciser si l‟acteur intervient sur l‟une ou plusieurs dimensions de l‟accessibilité,
sur une ou plusieurs étapes du circuit du médicament, relevant de la sphère
publique ou privée ;
préciser si l‟acteur agissant sur l‟une ou l‟autre des dimensions de l‟accessibilité
du médicament, une ou plusieurs étapes du circuit du médicament, relevant de la
sphère publique ou privée, se situe au niveau central, national ou périphérique.
Figure 7 : le cadre d‟analyse de l‟accessibilité du médicament
Sur la base de ce cadre d‟analyse, nous proposons d‟éclairer le champ de
l‟accessibilité du médicament par le rôle tenu par certains acteurs publics ou privés,
agissant au niveau central, national ou périphérique, les efforts, les outils, les
procédures déployés par ces acteurs, ainsi que les obstacles rencontrés par ces
acteurs.
171
Pour ce faire, une revue de la littérature a été réalisée afin de cerner les
enjeux autour du médicament au Maroc, depuis son importation ou sa production sur
le territoire à sa dispensation en officines en passant par la fixation de son prix. Des
entretiens semi-directifs ont été réalisés avec des acteurs publics ou privés,
impliqués au niveau central, national ou périphérique dans l‟accessibilité du
médicament. Plus d‟une vingtaine d‟entretiens ayant durée entre 30 minutes et 2
heures ont été réalisés avec les parties prenantes de l‟accessibilité du médicament :
les pouvoirs publics, les assureurs, les producteurs, les distributeurs, les
pharmaciens, les médecins et les infirmiers. En outre, des entretiens ont été réalisés
avec des professionnels de santé de CS pour évaluer la disponibilité du médicament
en périphérie.
Au niveau central, ont été examinées les actions menées par les acteurs
publics, intervenant à différentes étapes dans le circuit du médicament, pour
améliorer la disponibilité, l‟abordabilité et la qualité du médicament, d‟une part, et un
usage plus rationnel du médicament par une utilisation plus importante du générique
d‟autre part. Des acteurs travaillant dans différentes directions ou divisions relevant
du Ministère de la santé ont été interrogés dans le but d‟établir les outils et moyens
déployés par ces acteurs intervenant dans la sélection, l‟achat ou la distribution du
médicament pour améliorer la disponibilité, l‟abordabilité, la qualité du médicament
ou encore l‟usage du générique. Ainsi, la Direction du médicament et de la
pharmacie (DMP) a été interrogée pour évaluer les outils mobilisés lors de la phase
de sélection pour veiller à l‟enregistrement sur le territoire de médicaments
indispensables pour couvrir les besoins de la population et la commercialisation de
médicaments de qualité répondant à des normes internationales. De même, la
Direction de l‟approvisionnement (DA) a été approchée pour évaluer en phase
d‟achat les procédures utilisées pour assurer l‟achat du médicament aux meilleures
conditions : achat de médicaments permettant de satisfaire les besoins de la
population dans les structures sanitaires publiques et au meilleur prix. Pour la phase
de distribution, la DA a également été questionnée sur les moyens utilisés pour
assurer la distribution des médicaments achetés au niveau central.
Ensuite, au niveau national, nous avons examiné les actions menées par les
acteurs privés pour améliorer l‟accessibilité du médicament. Des producteurs de
médicaments ont été rencontrés pour évaluer leurs efforts en faveur de la
disponibilité et de l‟abordabilité des médicaments sur le territoire ainsi que de sa
qualité. A cette occasion, leurs remarques et suggestions en matière de politique
pharmaceutique et d‟accessibilité du médicament ont été recueillis. Les acteurs de la
distribution (répartiteurs/distributeurs) ont été interrogés pour cerner la structure et le
fonctionnement d‟un secteur méconnu, pour évaluer leur contribution à la
disponibilité du médicament sur le territoire et recueillir leur sentiment sur les
mesures à prendre pour améliorer l‟accessibilité du médicament. De même, des
pharmaciens d‟officines ont été rencontrés pour évaluer la position d‟un acteur
essentiel dans la chaine de dispensation du médicament et recueillir leurs remarques
et suggestions pour améliorer l‟abordabilité des médicaments, leur disponibilité ou
encore la consommation de génériques.
172
Enfin, au niveau périphérique, nous avons analysé l‟accessibilité des
médicaments sur les marchés public et privé. Précisément, nous avons questionné la
disponibilité et la qualité des médicaments dispensés en CS situés dans les trois
zones retenues pour l‟étude : Salé, Azilal et Figuig. En outre, nous avons examiné la
disponibilité des médicaments dispensés à proximité des CS dans ces zones. Une
liste de médicaments vitaux et non vitaux a été utilisée pour apprécier la disponibilité
dans les CS et dans les officines visitées en périphérie immédiates de ces centres
lorsqu‟elles existaient. Par ailleurs, interrogeant les médecins, pharmaciens et
infirmiers exerçant en CS, nous avons questionné la qualité des médicaments
dispensés dans le circuit public et tenté de cerner l‟enjeu de l‟accessibilité du
médicament en périphérie à partir des pratiques de prescription de quelques
médecins.
Ici, il convient de préciser certains points. Au total une vingtaine d‟entretiens
semi-directifs ont été réalisés auprès de responsable de la Direction des hôpitaux et
des Soins ambulatoires, de la DMP, de la DA, de l‟ANAM (Agence nationale
d‟assurance maladie), de l‟AMIP (Association marocaine de l‟industrie
pharmaceutique), des acteurs de la production, de la distribution et de la
dispensation du médicament. En outre, ce sont un peu plus d‟une dizaine de CS qui
ont été visités ainsi qu‟une dizaine d‟officines. Aussi, les résultats présentés dans
cette partie sur la disponibilité du médicament n‟a pas vocation à rendre compte de
la situation générale au Maroc. Plus modestement, cette étude veut rendre compte et
éclairer des faits saillants s‟agissant de la question de l‟accessibilité du médicament
au Maroc sur la base d‟entretiens et d‟un test qualitatif accompagnés d‟une revue de
la littérature sur le sujet.
Dans cette partie consacrée à l‟accès aux médicaments, nous analyserons en
premier lieu le jeu des acteurs public au niveau central pour influer sur l‟accessibilité
du médicament à la fois dans le secteur public et le secteur privé. Dans une seconde
étape, nous étudierons l‟action des acteurs privés au niveau national qui influencent
l‟accessibilité des médicaments. Ces acteurs privés sont essentiellement les
producteurs, les distributeurs et les officines dont les actions et stratégies ont un effet
sur l‟une ou l‟autre dimension de l‟accessibilité du médicament sur les marchés
public et privé. Dans un autre chapitre, nous rendrons compte de l‟étude menée dans
les trois sites de l‟étude sur la disponibilité, l‟abordabilité, la qualité du médicament
ainsi que son utilisation au niveau périphérique. Nous conclurons cette partie par les
points de vue de la population sur l‟accessibilité des médicaments.
173
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174
Chapitre - 8 Au niveau national,
la question de l’accessibilité du médicament
Samira Guennif et Mohammed Wadie Zerhouni
Le point de vue des administrations centrales du Ministère de la Santé
Des entretiens ont été réalisés à la DHSA (Direction des hôpitaux et des soins
ambulatoires), à la DA (Division de l‟approvisionnement) et à la DMP (Direction du
médicament et de la pharmacie). Sur cette base, des données ont pu être collectées
pour rendre compte des moyens et des outils déployés par les acteurs publics
intervenant à différentes étapes du circuit du médicament pour agir au niveau central
sur une ou plusieurs dimensions de l‟accessibilité du médicament. Pour la sélection,
l‟acquisition ou la distribution du médicament, il apparait que les acteurs publics
mettent en place des procédures pour améliorer la disponibilité, l‟abordabilité ou la
qualité du médicament sur les marchés privé et public. Ces procédures seront
présentées et discutées ainsi que les pistes envisagés par ces acteurs pour
améliorer l‟accessibilité du médicament.
La Direction des hôpitaux et des soins ambulatoires (DHSA)
Entité placée sous la responsabilité du Ministère de la santé et employant 90
personnes, la DHSA intervient, avec la Direction de l‟épidémiologie et de la lutte
contre les maladies et la Direction de la population, comme représentant des
professionnels de santé dans le secteur public. Elle est impliquée dans la définition
de la politique du médicament notamment pour l‟approvisionnement en discutant le
caractère centralisé ou décentralisé des achats de médicaments ou la définition des
procédures de suivi des besoins des hôpitaux et des CS. Ainsi, il y a quelques
années, la DHSA a suggéré au Ministère de la santé de centraliser les achats de
médicaments pour améliorer l‟abordabilité du médicament dans les structures
publiques.
La DHSA arrête les budgets dévolus aux hôpitaux et CS. Une fois le budget
global validé dans le cadre de la Loi de finance, elle procède à sa ventilation entre
les structures sanitaires en tenant compte de l‟historique des structures sanitaires.
De cette façon, ces dernières n‟ont pas connu de baisse de leur budget, y compris
celles pour lesquelles une sous-utilisation des dotations avait été constatée. En
2010, le budget alloué à l‟achat de produits pharmaceutiques a été de 1,5 milliards
de DH à répartir entre 133 hôpitaux et 2.592 établissements de soins de base.
Comme l‟ont indiqué la DA et différents acteurs interrogés au niveau central, il
n‟existe pas à proprement parler de liste nationale des médicaments essentiels au
Maroc. Il existe un formulaire qui s‟inspire de la liste des médicaments essentiels de
l‟OMS et qui tient compte de spécificités nationales. Ce formulaire est applicable au
175
secteur public. Sous la responsabilité de la DHSA, ce formulaire est établi en
partenariat avec la DA, la DMP, des prestataires et des utilisateurs. Des groupes de
travail composés de ces différents partenaires se réunissent pour procéder à la
révision de cette liste tous les deux ans. Le formulaire comporte actuellement 350
médicaments classés en médicaments vitaux, non vitaux et onéreux. La sélection de
génériques est privilégiée lors de la constitution du formulaire. Ainsi, ils représentent
plus de 80% du formulaire. Cette phase de sélection veille également à rationaliser le
panel de médicaments retenus qui sera dispensé aux patients dans les structures
sanitaires et à éviter la duplication entre les produits retenus.
Une fois le budget global notifié et sa ventilation par structures sanitaires
arrêtée, le budget et le formulaire comportant les prix des médicaments sont
adressés aux hôpitaux et CS en vue de procéder à la commande annuelle. Plus
exactement, la DA notifie aux délégations préfectorale et provinciale les budgets
alloués et le formulaire avec les prix des médicaments puisque les CS n‟ont pas
d‟autonomie de gestion. Les structures sanitaires doivent alors évaluer leurs besoins
afin de remplir le bon de commande annuelle.
La DHSA recommande aux structures sanitaires de commander en priorité les
médicaments vitaux pour assurer leur disponibilité et veiller à ce que le patient n‟ait
pas à payer de sa poche pour y avoir accès.
Pour les médicaments onéreux utilisés dans les affections de longue durée
comme les maladies rénales ou l‟hémophilie, la DHSA évaluent elle-même les
besoins des structures et procède directement à la commande annuelle des
médicaments qu‟elle répartit ensuite au profit des établissements sanitaires
concernés. Pour s‟assurer que ces médicaments onéreux aillent bien au patient, les
structures sanitaires font l‟objet d‟une prescription nominative. Ainsi, le patient ou sa
famille sait qu‟il doit se rendre à telle structure pour aller retirer gratuitement son
traitement. De même, il existe des plans d‟actions nationaux spécifiques en matière
de santé publique qui sont gérés par la Direction de la population (DP) ou la
Direction de l‟épidémiologie et de la lutte contre les maladies (DELM). La première
gère les médicaments du planning familial, de la santé maternelle et infantile et les
vaccins. La seconde est en charge des médicaments pour le diabète, les infections
sexuelles transmissibles et le sida, la tuberculose, l‟hypertension artérielle, les
cancers et les maladies mentales. Sous la responsabilité de ces deux directions, des
besoins sont définis et des commandes sont passées et les médicaments sont
répartis entre les structures sanitaires.
D‟un côté, il y a le bon de commande annuelle qui vient des structures
sanitaires faisant état des besoins identifiés et qui donne lieu à un premier flux de
nature ascendante : l‟information remonte depuis les structures sanitaires au niveau
central et donne lieu à des flux de médicaments. D‟un autre côté, il y a des besoins
identifiés au niveau central et qui génère un second flux de médicaments de nature
descendante.
A la question des moyens déployés par la DHSA pour améliorer l‟accessibilité
du médicament dans les structures sanitaires, il nous a été précisé tout d‟abord que
le budget du médicament a été multiplié par 5 entre 2005 et 2010 dans le but de
mieux couvrir les besoins de la population. Cette hausse est due au nombre
croissant de pathologies prises en charge et de personnes prises en charge. Pour
les pathologies, il s‟agit notamment de patients diabétiques insulinodépendants et
insuffisants rénaux. Pourtant, il semble que la population ne soit pas satisfaite : la
176
Direction fait état d‟études qui montrent trop souvent que les patients se plaignent de
devoir acheter les médicaments vitaux pour le traitement de maladies graves alors
qu‟ils devraient être disponibles et gratuits à l‟hôpital et dans les centres de santé.
Une étude a été réalisée par la DHSA entre juillet 2002 et juin 2003 pour
évaluer les coûts hospitaliers et la contribution des ménages dans cinq hôpitaux
publics (MS/DHSA 2005). De cette étude, il ressort que pour un épisode
d‟hospitalisation évalué à 2.699 DH, l‟hôpital prend en charge 1.462 DH et le patient
paye 1.237DH. Pour le poste médicaments et consommables qui est de 475 DH, le
patient supportera 355 DH, soit 75% de la facture. Donc le patient prend en charge
les trois quarts de l‟ordonnance. Cette étude a été à l‟origine d‟une hausse des
budgets alloués aux structures sanitaires. On reconnait à la DHSA qu‟il faut
davantage de moyens, développer une politique plus volontariste dans le but de
réduire les dépenses de santé et soulager les ménages.
A la question de l‟accessibilité du médicament, la DHSA pointe les enjeux au
niveau du personnel exerçant dans les hôpitaux et CS. D‟une part, on souligne que
le nœud du problème est le médecin. On déplore le manque d‟empathie du médecin
et le manque d‟encadrement de la prescription dans les structures sanitaires. On
regrette que le médecin s‟identifie parfaitement à sa profession et peu à la structure
dans laquelle il exerce. On déplore le fait que le médecin soit très attaché à sa liberté
de prescription comme signe de prestige, ce qui a deux effets préjudiciables : l‟État
doit prendre en charge des médicaments chers et le patient doit acheter des
médicaments en officine. On suggère donc qu‟il faudrait résoudre au niveau local la
question de la sensibilisation du médecin au fait que lorsqu‟il rédige une ordonnance,
il n‟est pas simplement ordonnateur des dépenses de l‟État, il joue également un rôle
dans la lutte contre la pauvreté et pour l‟accès aux soins. Plus encore, on mentionne
la nécessité d‟éduquer le médecin sur son rôle et l‟intérêt de ce rôle. Celui-ci ne peut
se limiter à la prescription, il doit intégrer la guérison ou le rétablissement du patient.
Avec cette idée en tête, le médecin se soucierait davantage de l‟observance du
patient ; on évoque du reste l‟utilité de mesurer l‟efficacité du médecin sur la base de
l‟observance du patient. Et de nos interlocuteurs de conclure que les pouvoirs publics
font des efforts considérables pour avoir un médecin en monde rural, alors ce n‟est
pas pour qu‟il prescrive n‟importe quoi !
On met également en avant les efforts importants réalisés pour affecter des
pharmaciens dans les structures sanitaires. Désormais, la professionnalisation de ce
métier est un atout pour la mise en place de mesures en faveur d‟une meilleure
accessibilité du médicament dans les hôpitaux et CS. Dans ces structures, le
pharmacien peut s‟imposer comme le professionnel du médicament et la DHSA a la
responsabilité de l‟aider à développer ses compétences et disposer d‟un certain
nombre d‟outils pour qu‟il puisse jouer son rôle. On comprend alors que le
pharmacien travaillant au côté du médecin et détenant une ressource stratégique
pour celui-ci, pourra être sensible à la politique du Département et à sa mise en
œuvre au niveau local ; la priorité pour l‟avenir, est l‟établissement d‟une bonne
relation pharmacien-médecin.
En termes de priorité, on évoque à la DHSA l‟éventualité de confier la gestion
des affections de longue durée aux CS avec les budgets qui s‟y rapportent. De fait,
on reconnait que l‟on ne peut pas suivre de telles pathologies sans être au plus
proche du patient, et il faut que tous les médicaments contre l‟hypertension artérielle
ou le diabète soient à proximité des malades. Il y a là un enjeu important en termes
177
d‟accessibilité du médicament qui réside dans la disponibilité des médicaments
contre les affections de longue durée qui coutent chers en périphérie. La Direction
admet que sa responsabilité est d‟organiser et de coordonner les opérations de telle
sorte que le malade soit informé et puisse se rendre dans un centre de santé pour
obtenir son traitement. Un tel enjeu suppose de revoir le système
d‟approvisionnement pour une disponibilité de ces médicaments en proximité, ce qui
requiert de revoir toute la chaine en amont.
En conclusion, les outils et les moyens déployés par la DHSA visent
essentiellement à assurer la disponibilité des médicaments, en particulier au niveau
périphérique. L‟augmentation sensible des budgets ces dernières années et la
participation des structures de santé à la définition de leurs besoins ont pour objectif
d‟assurer une plus grande disponibilité des médicaments les plus essentiels et/ou les
plus coûteux pour la population.
La Division de l’approvisionnement (DA)
Environ 180 personnes travaillent à la DA qui gère un budget de 1,5 milliard
de DH pour l‟achat des produits pharmaceutiques, budget en hausse pour l‟année
2011. La mission de la DA est d‟acheter, de stocker et de distribuer les
médicaments. Elle est chargée d‟acheter les médicaments pour le compte des
hôpitaux et des délégations sur la base des besoins formulés directement lors du
bon de commande annuel. La DA est également chargée d‟acheter les médicaments
dont les commandes sont passées par la DP et la DELM au bénéfice des hôpitaux et
délégation pour alimenter les programmes de santé publiques prioritaires. D‟autre
part, la DA assure le stockage et la distribution de tous les produits à destination des
structures sanitaires publiques. Elle stocke et distribue les produits qu‟elle a achetés.
Elle assure également le stockage et la distribution des produits achetés par des
institutions internationales au profit du Maroc. C‟est le cas du Fonds mondial de lutte
contre le sida, la tuberculose et le paludisme qui achète et ensuite confie des
produits à la DA qui en assure le stockage et la distribution ; c‟est le cas aussi des
dons de médicaments au sens large.
La DA participe à la révision du formulaire des médicaments applicable au
secteur public. Dans ce cadre, les hôpitaux et délégations peuvent faire par écrit des
propositions à la DA pour modifier le formulaire, notamment pour y inscrire un
nouveau médicament. Du reste, la DA indique qu‟elle fait une « enquête qualité »
auprès des hôpitaux et des délégations pour savoir s‟ils sont satisfaits de l‟offre de
médicaments proposée et si le contenu du formulaire correspond à leurs besoins.
Cette démarche s‟arrête au niveau des délégations et ne prévoit pas un
échantillonnage de CS. Les délégations sont supposées faire remonter les
informations utiles à leur niveau et les transmettre ensuite à la DA.
La totalité des achats se fait par appels d‟offres. Cette procédure a permis de
couvrir l‟année passée 97% des commandes passées par les hôpitaux et
délégations. Aussi, 3% des commandes n‟ont pu être satisfaites par appels d‟offres
malgré les relances. Si un appel d‟offres est infructueux par absence de propositions
ou pour cause de prix proposé trop élevé, la procédure prévoit de relancer trois fois
l‟appel au cours de l‟année. Si au bout de ces trois relances, l‟appel d‟offres reste
infructueux, le produit n‟est pas acheté et ne sera donc pas livré aux structures
sanitaires. Par exemple, au cours de plusieurs exercices, la DA n‟a pas réussi à
acheter de l‟isoprénaline (médicament utilisé pour le traitement de l‟hypertension
artérielle), donc elle l‟a supprimé de sa nomenclature. Ces 3% d‟appel d‟offres
178
infructueux ne concerneraient pas les produits vitaux et porteraient sur une dizaine
de produits ; un pourcentage jugé faible comparé à la liste large des produits acquis.
Cela signifie également que les procédures de gré à gré ne sont plus utilisées pour
éventuellement résoudre les cas d‟appels d‟offres infructueux. Interrogée sur ce
point, la Division précise qu‟elle suit la procédure la plus simple et la plus
transparente qui est l‟appel d‟offres, toute autre procédure utilisée doit être motivée.
Aussi, la procédure de gré à gré existe toujours mais moins simple et moins
transparente, la DA préfère ne plus l‟utiliser. Pour la mise en concurrence des
fournisseurs, la DA essaye de retenir deux produits qui ont la même indication
thérapeutique et pour lesquels il y a le plus de concurrence. C‟est le cas notamment
de l‟amoxicilline (un antibiotique) qui est fabriqué ou importé par une quinzaine de
fournisseurs. Par contre, il y a des médicaments sous brevet où il n‟y a pas de
concurrence. Cela concernerait une centaine de médicaments dans le formulaire,
quantité somme toute non négligeable.
Fort de ces procédures, les génériques représentent aujourd‟hui 70,3% des
achats publics en valeur et 80,2% en volume. En 2003, ces proportions étaient
respectivement de 77 et 91% (Aghnaj 2006). On constate donc un effort important de
la DA pour acquérir des médicaments plus abordables en jouant sur la concurrence
et la présence importante de génériqueurs sur le marché.
Une fois les appels d‟offres clos et les adjudicataires arrêtés, les livraisons
depuis les sites de production sont effectuées vers le dépôt central de Berrechid d‟où
s‟organise la distribution des produits vers les hôpitaux et délégations. Il existe deux
circuits de distribution des médicaments. Pour les produits sensibles (les stupéfiants
et les produits thermolabiles), la division et le dépôt de Berrechid assurent la
distribution avec une flotte de 5 camions : 4 camions réfrigérés de 14 tonnes et 1
camion de 3,5 tonnes. Pour les autres médicaments, la DA sous-traite la distribution.
Au terme d‟une procédure d‟appel d‟offres, deux entreprises (la SNMT et la Poste
Maroc) ont obtenu le marché et assurent donc la distribution des produits auprès des
hôpitaux et délégations. On notera que l‟objectif de mise en place de huit dépôts
régionaux (Action 77 du Plan action santé 2008-2012 du Ministère de la santé) ne
semble pas avoir donné lieu à des progrès sensibles. Il n‟y aurait toujours qu‟un seul
dépôt en activité sur le territoire, celui de Berrechid, qui assure seul la distribution
des médicaments auprès des hôpitaux et délégations.
Concernant la gestion des stocks, la Division précise que le dépôt de
Berrechid dispose d‟une application informatique qui permet un suivi hebdomadaire
des livraisons effectuées dans les hôpitaux et les délégations. La DA essaye au
maximum de prévenir les ruptures de stock mais reconnait que des ruptures
indépendantes de sa volonté peuvent intervenir. Notamment, la division indique que
l‟occurrence d‟appels d‟offres infructueux signifie que des produits n‟ont pas pu être
achetés, ne seront jamais livrés dans les hôpitaux et délégations et qu‟il y aura donc
ruptures de stock en bout de chaîne. Désormais, avec la nouvelle procédure qui
prévoit l‟achat groupé par anticipation conformément à l‟action 79 du plan d‟action
santé 2008-2012 du Ministère de la santé (MS 2008), la DA dispose d‟une marge de
manœuvre pour éviter cette situation.
Le dépôt reçoit les commandes et les distribue au fur et à mesure aux
hôpitaux et délégations sur une cadence en générale trimestrielle. Le taux de
livraison des produits commandés a été de 95% en décembre 2010. Les applications
informatiques permettent d‟avoir des données par programmes de santé. Dans le
179
cas du programme de santé maternelle, le taux de livraison des commandes
passées a été de 146% pour les kits d‟accouchement, ce qui signifie que la DA a fait
livrer aux hôpitaux et délégations plus de kits qu‟ils n‟en ont commandés. La DA
croise les commandes des hôpitaux et des délégations avec les estimations fournies
par les Directions de l‟épidémiologie et de la population. Elle estime que les
structures sanitaires ont tendance à mal évaluer leurs besoins. Du coup, la DA
commande plus et fait livrer une dotation en kits qui correspondrait, selon elle, aux
besoins réels de ces structures. La DA sait qu‟il y a 600.000 naissances par an au
Maroc, donc elle commande 600.000 kits d‟accouchement. Pour le plan d‟action
national spécifique lié au traitement du diabète par insuline, le taux de livraison des
commandes est de 240%. Sur la base d‟estimations fournies par la Direction de
l‟épidémiologie et de la lutte contre les maladies, la DA renforce les commandes
livrés aux hôpitaux et délégations.
Concernant la qualité des médicaments, la DA exige avant achat l‟AMM
délivré par la DMP. Ensuite après achat et avant distribution auprès des hôpitaux et
délégations, les pharmaciens inspecteurs de la DA effectuent des prélèvements sur
les lots livrés pour réexamen pour être sûrs de distribuer ensuite des produits de
qualité. Cette année, il y a eu deux réclamations concernant les médicaments. Dans
ce cas, les réclamations sont transmises à la DMP pour qu‟elle effectue des
contrôles et notifie au Centre de pharmacovigilance.
Interrogée sur des problèmes majeurs rencontrés dans la phase
d‟approvisionnement, la DA rapporte que son seul souci reste les appels d‟offres
infructueux. Il y a problème lorsqu‟un fournisseur ne soumissionne pas pour un appel
d‟offre. Toutefois, dans le cadre du plan 2008-2012, les achats groupés se font par
anticipation, ce qui offre une marge de manœuvre à la DA pour prévenir les appels
d‟offres infructueux, l‟absence de soumissionnaire et les risques de commandes
insatisfaites. La division indique également qu‟il n‟y a pas de ruptures de stock pour
les produits stratégiques.
Ainsi, il apparait qu‟en matière de sélection, d‟achat et de distribution, la DA a
mis en place des outils devant permettre une meilleure disponibilité, une plus grande
abordabilité et une qualité plus sûre des médicaments sur le marché public. Les
efforts de la Division se concentrent essentiellement sur l‟abordabilité des
médicaments dans le secteur public avec l‟usage offensif des procédures d‟appels
d‟offres. On notera enfin que ces appels d‟offres ne sont pas internationaux ; le
Maroc dispose d‟une industrie pharmaceutique locale qui permet à la DA d‟asseoir
les procédures d‟appels d‟offres sur une base nationale.
La Direction du médicament et de la pharmacie (DMP)
Les 200 personnes qui travaillent à la DMP composent une des deux 2 sousdivisions de la Direction : la Division de la pharmacie qui gère les aspects
administratifs et techniques et le Laboratoire national de contrôle des médicaments
(LNCM) qui contrôle la qualité de tous les produits de santé dispensés ou en voie
d‟être dispensés sur le territoire. A ce jour, plus de 5000 spécialités seraient
commercialisées au Maroc, dont plus de 50% de génériques.
L’AMM : un outil de gestion de l’accessibilité du médicament
Concernant les procédures d‟enregistrement des médicaments, les dossiers
sont déposés à la Division de la pharmacie. Ces dossiers sont ensuite confiés au
180
Laboratoire national de contrôle pour contrôle et analyse. A l‟issue de ce processus,
le médicament est approuvé ou non.
La Commission des visas des médicaments est composée : des membres de
la Division de la pharmacie qui siègent et gèrent les aspects administratifs sans
donner d‟avis, des experts et professeurs en médecine exerçant dans les quatre
CHU qui donnent un avis sur l‟intérêt thérapeutique du médicament. Le quorum est
de 15 et la composition de la Commission varie en fonction des demandes. Par
discipline, 3 experts figurant sur une liste validée par la Ministre de la santé sont
sollicités pour donner leur avis scientifique en fonction de leur spécialité.
Les dossiers déposés ne concernent pas les médicaments commercialisés
pour la première fois dans le monde. Les médicaments ont donc en général été
évalués par l‟une des trois grandes agences du médicament dans le monde :
l‟Agence américaine du médicament (l‟USFDA), l‟Agence européenne du
médicament (l‟AEM) et l‟Agence japonaise du médicament (la PMDA). Le dossier
comprend alors les évaluations antérieures faites par une de ces agences et une
évaluation propre établie par la DMP. Il y a une évaluation administrative et une
évaluation technique avant commercialisation. Aussi, la DMP fait ses propres
analyses et contrôles ; il n‟y a pas de systèmes de reconnaissances mutuelles des
AMM délivrées entre la DMP et d‟autres instances étrangères. La commission est
consultative puisque l‟avis est transmis à la Ministre de la santé qui statue. Il y a
d‟ailleurs un projet en discussion visant à faire de la DMP une agence autonome
dans ses décisions et la rendre plus réactive.
Il y a deux types de demandes d‟AMM déposées : les demandes d‟AMM pour
des nouveaux produits et des demandes d‟extension pour des AMM déjà accordées
(une AMM est délivrée pour cinq ans).
En 2004, la DMP a noté un pic des demandes d‟AMM provoqué par l‟entrée
en vigueur en 2005 de la loi sur la propriété intellectuelle. La peur des acteurs a
provoqué une ruée dans les bureaux de la DMP pour déposer des AMM : au total
831 demandes d‟AMM furent déposées, dont 748 pour des génériques, contre moins
de la moitié l‟année suivante (Mahli 2009). Peur infondée selon la DMP puisque les
médicaments commercialisés aujourd‟hui au Maroc ont un brevet qui date d‟au
moins 10 ans, soit d‟avant 1995, donc pour des médicaments qui ne sont pas
brevetables au Maroc selon les accords internationaux sur la propriété intellectuelle.
En 2010, 469 demandes d‟AMM ont été déposées pour des nouveaux
produits et 252 pour des extensions d‟AMM. Pour ces nouveaux produits, la direction
précise qu‟une demande vaut pour une forme, une présentation et un dosage. Donc
il peut y avoir un nombre important d‟AMM qui couvre des formes, des présentations
et des dosages différents pour une même DCI. Autrement dit, plus d‟AMM ne signifie
pas plus de molécules mais plus de présentations diverses de celle-ci. Sur ces 469
demandes concernant des nouveaux produits, 342 AMM ont été octroyées soit près
de 73% des demandes satisfaites. Une demande sur quatre aurait cependant été
déboutée.
A l‟inverse, 83 AMM ont été retirées. Il y a deux types de retrait : les retraits
sur décision de la Ministre de la santé suite à une alerte, et les retraits sur demande
des entreprises pour des raisons commerciales et après accord de la Ministre. Une
quinzaine d‟AMM ont été retirées suite à une alerte comme ce fut le cas
dernièrement de l‟association dextropropoxyphène et paracétamol (Diantalvic) suite
181
à un retrait du produit en France. Une fois de plus, dans la mesure où une DCI peut
couvrir plusieurs formes, présentations et dosages, ce sont au total une trentaine
d‟AMM qui peuvent être retirées suite à une alerte et correspondre en pratique à
diverses présentations d‟une même molécule chimique.
Si la DMP a été à l‟initiative de l‟établissement du premier formulaire des
médicaments opposables au marché public, les mises à jour et révisions sont faites
sous la responsabilité de la DHSA avec la collaboration de la DMP et d‟autres
partenaires. La mission de la DMP est alors d‟assurer la disponibilité et la qualité de
ces médicaments sur le territoire.
En pratique, la DMP peut solliciter des entreprises pour l‟enregistrement d‟un
médicament pour qu‟il soit disponible sur le territoire. La DMP envoie des courriers à
tous les producteurs et les invite à soumettre un dossier d‟AMM pour un médicament
dont la disponibilité fait défaut dans le cadre par exemple des programmes de santé
publique. La DMP indique qu‟elle travaille actuellement sur une liste de médicaments
qui ne sont pas commercialisés au Maroc st sur la base de laquelle la DMP va saisir
les producteurs. Elle saisit particulièrement les entreprises pour l‟enregistrement et la
commercialisation de formulations pédiatriques et de multi-thérapies comme elle l‟a
fait dans le cas des formulations pédiatriques ou des multi-thérapies contre la
tuberculose qui sont produites localement. Ces producteurs suscitent aujourd‟hui
l‟intérêt de l‟OMS puisqu‟ils sont en phase de préqualification. La disponibilité de ces
thérapies antituberculeuses constitue un enjeu majeur de santé publique au Maroc et
dans les pays en développement dans la mesure où les producteurs sont peu
nombreux pour fabriquer ces associations de 3 à 4 comprimés en un et que l‟OMS
promeut pour une meilleure adhérence des patients et une prévention des risques de
résistance. A la DMP comme à l‟OMS, le souci majeur est sans nul doute de stimuler
la concurrence et faire baisser les prix, le but ultime étant d‟améliorer l‟abordabilité
des traitements. Plus d‟AMM pour un médicament signifie plus de producteurs, plus
de concurrents, plus de soumissionnaires potentiels aux appels d‟offre de la DA, et
plus de maitrise au niveau des prix. Plus de producteurs préqualifiés par l‟OMS
signifient plus de concurrents capables de répondre aux appels d‟offres
internationaux ou plus de pouvoir de négociation pour les institutions comme la
Fondation Clinton avec ces producteurs pour la fourniture de médicaments à des
programmes de santé publique aux prix les plus bas.
Pour conclure, il convient de préciser que l‟AMM pourrait devenir à l‟avenir
une porte d‟entrée sur le marché du médicament dont la taille pourrait bien être
significativement réduite. La Direction indique être partie prenante de discussions au
niveau central visant à réduire le nombre d‟AMM qui pourraient être délivrées aux
entreprises. Cette proposition fait partie des recommandations avancées par le BCG
dans son étude pour la promotion du générique au Maroc. Le groupe évoque
l‟opportunité de réduire à 14 le nombre d‟AMM délivrées par DCI, chiffre qui pourrait
dans une seconde étape tombé à huit58. On comprend alors à demi-mot, faute d‟avoir
eu accès à l‟étude du Boston Consulting Group (BCG) et à la lecture d‟une simple
synthèse, qu‟il est question de rationaliser l‟offre et de favoriser les économies
d‟échelle. L‟objectif est sans doute ensuite dans toute la chaine du médicament en
amont de réduire le nombre de médicaments à distribuer, stocker et dispenser et de
générer des économies importants. Autant d‟effet et d‟économies qui pourraient bien
Ailleurs, on peut également lire qu’il serait prévu d’accorder une AMM pour un générique par DCI et par
fabricant (Lamrini 2011).
58
182
donner lieu à des baisses de prix et des progrès en faveur de l‟abordabilité des
médicaments.
En résumé, porte d‟entrée sélective sur le marché du médicament, l‟AMM est
un outil important mis à la disposition des acteurs publics au niveau central pour
promouvoir la disponibilité et l‟abordabilité des médicaments.
Les enjeux autour de la qualité des médicaments
A propos de la qualité des médicaments, et tout spécialement celle de la
qualité des génériques, la DMP rappelle en premier lieu que la procédure d‟AMM est
la même pour un princeps et un générique sauf que pour le générique le dossier est
allégé : le dépositaire du dossier n‟a pas à reproduire les phases qui ont permis
d‟établir l‟efficacité, l‟innocuité et la qualité du produit et les données cliniques déjà
soumises par le producteur du princeps. Cependant, il convient ici de faire le point
sur un débat houleux, celui des tests de bioéquivalence.
Aux États-Unis, au Japon comme en Europe et dans beaucoup de pays en
développement, sous l‟impulsion de l‟OMS notamment, les tests de bioéquivalence
sont requis pour le dépôt d‟une demande d‟AMM pour un générique. Ces tests
permettent établir que le générique est bioéquivalent comparé au princeps : le
générique libère la même fraction de principe actif qui parvient au même site
d‟action, à la même vitesse et à la même concentration comparé au princeps.
La DMP confirme que la loi sur les tests de bioéquivalence est adoptée et que
le décret d‟application est toujours attendu. A ce jour, il n‟y a donc pas d‟obligation
pour les entreprises qui produisent du générique de soumettre les tests de
bioéquivalence lors du dépôt d‟un dossier d‟AMM. La Direction fait remarquer que la
question des tests de bioéquivalence est un peu galvaudée. Il s‟agit d‟une lutte qui
oppose les producteurs de princeps et les génériqueurs. Les premiers poussent pour
que les tests de bioéquivalence deviennent obligatoires, les seconds n‟en veulent
pas du tout. Entre les deux, la DMP doit se positionner sur un argument scientifique.
Elle rappelle qu‟il n‟y a pas de modus operandi au niveau international. Ainsi, pour
l‟OMS, il y a deux catégories de produits qui doivent faire l‟objet de tests de
bioéquivalence. En France, il y a trois catégories de produits. Le Maroc a décidé de
suivre les orientations de l‟OMS.
A défaut de demander les tests de bioéquivalence et en l‟absence d‟obligation
légale au Maroc à ce jour, la DMP exige systématiquement les tests de dissolution
comparatifs in vitro qui constituent une approche de bioéquivalence. Par ailleurs, la
Direction indique que la question des tests de bioéquivalence ne concerne pas tous
les produits et que 30% des médicaments seraient concernés en cas d‟obligation
légale formelle. En outre, la Direction souligne le fait que des dossiers d‟AMM sont
déjà déposés avec tests de bioéquivalence. De fait, la plupart des entreprises
soumettent des dossiers faisant état de tests de bioéquivalence. Finalement, seule
une faible proportion d‟entreprises ne ferait pas ces tests.
Enfin, la DMP rappelle qu‟en matière de contrôle qualité, il y a des éléments
plus importants que la bioéquivalence. En particulier, l‟origine et la nature du principe
actif est crucial. Au Maroc, il y a le Certificat de conformité à la pharmacopée
européenne (CEP) ou le Drug Master File (DMF). Ainsi, sur le marché international,
pour un même principe actif, le rapport de prix varie de 1 à 10 suivant la détention ou
non d‟un DMF. Avec le DMF, le producteur a consenti un effort supplémentaire pour
183
purifier la matière première. Aussi, la Direction demande systématiquement le DMF
et oblige les laboratoires à déclarer tous les mois les importations de matières
premières avec le bulletin d‟analyse. La direction dispose alors d‟une base de
données avec toutes les matières premières qui entrent dans la fabrication d‟un
médicament mis sur le marché au Maroc. Cette base permet d‟éviter qu‟un
laboratoire dépose une AMM avec une matière première de haute qualité et tente
ensuite de changer de fournisseur au profit d‟une matière première de moins bonne
qualité. Donc la DMP trace la matière première au Maroc, action critique dans un
pays où la quasi-totalité des matières premières est importée.
En outre, des contrôles post-AMM sont réalisés par la DMP. Des enquêtes et
inspections ont lieu sur le marché public et le marché privé. Des prélèvements
d‟échantillons sont effectués en pharmacies, officines et chez les producteurs. Des
contrôles peuvent être effectués pour une molécule : toutes les spécialités d‟une
même DCI sont analysées du princeps aux génériques. Récemment, la DMP a
réalisé une telle enquête sur l‟association amoxicilline et acide clavulanique et
contrôlé la qualité de l‟un des antibiotiques les plus utilisés au Maroc59.
De plus, il existe des procédures de « réclamation qualité». Tout professionnel
de la santé ou patient peut adresser une réclamation écrite à la DMP. Il existe un
registre de saisie des réclamations. Toute réclamation déclenche une enquête. Les
inspecteurs se rendent chez le producteur pour prélever des échantillons parmi le lot
incriminé, le lot produit avant et le lot produit après celui-ci. Cette méthode permet
d‟investiguer si le problème est ponctuel ou récurrent. La décision après enquête
peut être de deux ordres : soit le lot est retiré car un problème de fabrication sur ce
lot a été constaté, soit l‟AMM est suspendue car le problème est récurrent au vue
des résultats obtenus sur différents échantillons. Il y a suspension de l‟AMM jusqu‟à
ce que le producteur fasse la preuve de la résolution du problème. Enfin, il y a des
cas où le problème relève de la conservation chez le patient ou le professionnel de
santé, ce qui ne relève pas d‟un problème de fabrication. La Direction ajoute que
depuis qu‟il y a des pharmaciens dans les structures sanitaires, il y a plus de
réactivité et plus de réclamations. Il y aurait eu entre 10 et 15 réclamations
enregistrées par la DMP pour des médicaments ou des dispositifs médicaux.
Interrogée sur le nombre d‟AMM suspendues en 2010 pour des motifs de
qualité, la Direction indique que dans le cas de l‟enquête faite pour l‟association
amoxicilline et acide clavulanique, elle a inspecté en particulier les poudres pour
suspension, c'est-à-dire les poudres reconstituées ensuite avec de l‟eau pour
fabriquer un sirop pour enfant. Les contrôles ont été effectués dans les conditions
réelles d‟utilisation, c‟est-à-dire en respectant le nombre de jours de traitement prévu.
Sur les 13 spécialités contrôlées, une seule présentait un problème. Il a été constaté
une séparation dans la composition du sirop provenant d‟une faiblesse dans le
procédé de fabrication. En conséquence, le patient devait secouer le produit avant
usage pour rétablir l‟homogénéité du produit et son efficacité. Dans ce cas, l‟AMM a
été retirée à la demande du producteur et acceptée par la DMP car d‟autres
spécialités étaient disponibles sur le marché.
Pénicilline plus inhibiteur de bétalactamase, générique de l’Augmentin. L’Adjonction d’acide clavulanique
permet d’empêcher la destruction de l’amoxicilline par certaines bactéries. Il s’agit d’un antibiotique à spectre
large, utilisé dans le traitement des de diverses infections des poumons, des bronches, du nez, de la gorge, des
oreilles, de l’appareil urinaire, des voies génitales, des gencives, des dents.
59
184
A contrario, il y a des cas d‟AMM qui ne sont pas renouvelées pour des
raisons économiques. En 2010, 83 retraits d‟AMM ont été enregistrés. A l‟origine de
ces retraits, on peut trouver des entreprises qui peuvent avoir un nouveau produit
plus développé à commercialiser et qui souhaitent donc supprimer l‟ancien ; elles
demandent alors le retrait de l‟AMM. Une autre raison du retrait d‟une AMM est le
nombre insuffisant de patients au Maroc et qui ne justifie plus la fabrication locale
d‟un médicament. La direction indique qu‟il y a des situations où les entreprises
jettent les trois quarts de leur production pour cause d‟insuffisance de la demande et
désirent le retrait de l‟AMM. La DMP précise néanmoins qu‟elle peut s‟y opposer et
refuser si le produit présente un intérêt thérapeutique. Elle peut alors transformer
l‟AMM de production en AMM d‟importation si l‟entreprise démontre que la production
locale n‟est pas soutenable. Sous AMM d‟importation, si le produit présente un
intérêt thérapeutique, il pourra être importé « en vrac » pour être conditionné
localement.
Pour parachever cette discussion sur la qualité des médicaments
commercialisés au Maroc, la direction rappelle que l‟OMS a publié une étude qui
classe les médicaments produits au Maroc comme appartenant aux standards
européens (OMS 1997, Ministère de la santé 2008). En outre, le LNCM fait partie du
réseau européen des laboratoires de contrôle, accrédité en 2007 et confirmé tout
récemment par la Direction européenne de la qualité du médicament. Enfin, le
laboratoire a été préqualifié par l‟OMS et est devenu un laboratoire partenaire officiel
de l‟institution.
En résumé, l‟AMM et les procédures de contrôle post-marketing constituent
des outils importants dont dispose la DMP pour promouvoir finalement à la fois la
disponibilité, l‟abordabilité et la qualité des médicaments commercialisés sur les
marché privé et public du médicament au Maroc.
L’abordabilité du médicament : des discussions autour d’une réforme des modes de
fixation du prix
La Direction confirme que des discussions avec les différents intervenants
sont en cours sur les procédures de fixation du prix des médicaments. De fait, les
procédures en cours sont obsolètes, ne sont pas appliquées par les pouvoirs publics
et souffriraient d‟une certaine opacité comme le résume le Ministère de la Santé
dans son « Plan d‟action santé 2008-2012 » (2008).
Selon la direction, les discussions en cours visent à trouver la meilleure
formule dans l‟intérêt du citoyen sans léser les professionnels de la santé. Aussi, il y
a un mode de calcul et des mesures d‟accompagnement à prévoir. La Direction
précise que l‟objectif n‟est pas simplement de baisser les prix. Elle rappelle que le
Ministère de la santé, suite à la publication du rapport du Parlement, a déjà obtenu
des baisses de prix pour 315 médicaments, baisses pouvant aller jusqu‟à 75%.
Interrogée sur l‟état actuel des procédures de fixation des prix qui inciteraient
les acteurs publics au niveau central à envisager une refonte, la Direction souligne
un point important. L‟arrêté établissant les modalités de fixation des prix date de
1969, il établit une procédure pour les produits fabriqués localement et les produits
importés. L‟une comme l‟autre de ces procédures sont insatisfaisantes.
185
Concernant le cadre de prix applicable aux produits fabriqués localement, il
tient compte de tous les intrants intervenant dans la fabrication d‟un médicament et
donc de son prix : les matières premières, les articles de conditionnement, la main
d‟œuvre, les charges sociales, les pertes, etc. La Direction qualifie ce système
d‟inflationniste puisqu‟il n‟inciterait pas les producteurs locaux à améliorer leur
productivité, ni à proposer un meilleur cadre de prix en cherchant notamment une
matière première au meilleur prix sur les marchés internationaux. Du reste, dans son
plan d‟action 2008-2012, le Ministère de la santé (2008) relève que ce cadre des prix
inflationniste crée un écart de prix croissant entre les produits plus anciens et les
nouveaux produits commercialisés avec pour effet un abandon des premiers au profit
des seconds.
Concernant le cadre de prix opposable aux produits importés, il est calculé sur
la base du prix Free on Board (FOB) dans le pays d‟origine du produit, convertis en
dirhams, par l‟application d‟un formule mathématique qui intègre les coûts de
transports, les droits de douanes, les taxes et marges diverses. La marge de
l‟importateur, incluse dans le prix FOB, est toutefois plafonnée à 20%. La Direction
estime que ce cadre de prix est également inflationniste. Elle fait remarquer que
l‟importateur peut se référer au prix FOB le plus avantageux pour lui et ce faisant
sélectionner le pays d‟origine pour l‟importation dans lequel le produit est
commercialisé au prix le plus élevé, provoquant une hausse artificielle du prix du
médicament sur le marché marocain. Le Ministère de la santé ne manque pas de
souligner qu‟un effet pervers de ce cadre de prix avantageux pour les importateurs
pourrait être une hausse des produits importés observés depuis le milieu de la
décennie 1990 (MS 2008).
Dans le cadre d‟une refonte du cadre de prix, pour l‟avenir, une piste sérieuse
pour réduire les prix et améliorer l‟abordabilité des médicaments sur le territoire est
celle du benchmarking pour les princeps. Une autre piste de recherche serait la mise
en place de modalités de décrochage pour soutenir la pénétration du générique sur
le marché du médicament. Principe recommandé par le BCG dans son étude remise
au Ministère de la santé l‟année dernière60, le benchmarking prévoit un alignement
des prix (prix fabricant hors taxe) sur le minimum d‟un panier de sept pays : la
Belgique, l‟Espagne, la France, la Grèce, le Portugal ainsi que la Jordanie et la
Turquie61. Par modalités de décrochage, il faut comprendre la révision des marges
octroyées aux officines de façon à promouvoir la consommation de génériques selon
le principe des marges dégressives.
Il serait également prévu une refonte du mode de fixation du prix du générique
(Lamrini 2011, Chattou 2011, BCG 2010). A ce jour, la règle suivie prévoit que le
premier générique est commercialisé avec une baisse de prix de 30% par rapport au
princeps. Le générique suivant est introduit sur le marché avec une baisse de 5% par
rapport au premier générique. Et ainsi de suite pour les génériques suivants. Comme
le résume le tableau suivant, et selon les recommandations faites par le BCG, il
Dans son plan d’action santé 2008-2012 publié en 2008, le Ministère de la santé prévoyait un objectif 3
intitulé « Améliorer l’accessibilité du médicament ». Une action 66 commandait la mise en place d’une nouvelle
procédure de fixation des prix et ce faisant, d’une part, la réalisation d’une étude sur les différents systèmes de
fixation des prix utilisés à l’étranger et, d’autre part la conduite d’une étude sur le prix du médicament
proprement dit au Maroc (MS 2008). Cette orientation fut à l’origine de l’étude confiée à BCG et remise au
Ministère en 2010.
61
Pour sa part, Lamrini (2011) indique que la liste pourrait comporter 9 pays, que l’Arabie Saoudite viendrait se
substituer à la Jordanie et que le pays d’origine du médicament y serait ajouté. Le PFHT serait toujours aligné
sur le PFHT le plus bas du panier de pays.
60
186
serait prévu pour la fixation du prix des cinq premiers génériques de fixer un taux de
réduction du prix par rapport au princeps. Ainsi pour un princeps dont le prix fabricant
hors taxes (PFHT) serait de plus de 150 DH, il serait prévu un taux de réduction de
50% pour le PFHT des cinq premiers génériques.
Tableau 41 : Pourcentage de réduction de prix des génériques par rapport au princeps
Prix fabricant hors taxes princeps
Entre 0 et 30 DH PFHT
Entre 30 et 70 PHFT
Entre 70 et 150 DH PFHT
>150 DH PFHT
Pourcentage de réduction par rapport au princeps
35%
40%
45%
50%
Source : Lamrini 2011, Chattou 2011.
Afin de soutenir toute action portant sur l‟abordabilité des prix, sont également
en discussions : (i) l‟institutionnalisation d‟une commission des prix des
médicaments ; (ii) une commission de transparence qui serait en charge de fixer les
taux de remboursement des médicaments sur la base d‟une analyse du service
médical rendu à l‟instar de qui se fait en France et d‟autres pays (MS 2008) 62.
Concernant la Commission des prix, par décision de la Ministre de la santé, elle a été
créée en janvier 2010 et les membres la composante désignés (Lamrini 2011). Elle
sera présidée par le responsable de la DMP accompagné des responsables de la
DHSA, de la DA, des représentants de la Direction de la planification et des
ressources financières ou encore des représentant de l‟ANAM, de la Caisse
nationale des organismes de prévoyance sociale (CNOPS) et de la Caisse nationale
de sécurité sociale (CNSS). La commission aura pour mission d‟examiner les
dossiers de prix, de proposer des prix ou encore d‟analyser les demandes de
révision de prix.
L‟entretien avec la DMP a permis d‟établir l„existence d‟outils établis en vue
d‟assurer une plus grande disponibilité, abordabilité et qualité des médicaments. Les
discussions en cours devraient permettre d‟étendre dans un avenir très proche les
outils mis à la disposition de la Direction pour soutenir ses efforts sur les trois
vecteurs de l‟accessibilité du médicament au Maroc.
Selon les professionnels du secteur pharmaceutique
Dans le secteur pharmaceutique, les avis des acteurs semblent converger
vers un point significatif. L‟accessibilité du médicament est un enjeu majeur qui
renvoie à un défi de taille, celui de la couverture médicale. Aussi, les efforts des
producteurs, des pharmaciens, des distributeurs et des médecins sont considérables
pour améliorer la disponibilité et la qualité des médicaments sur le territoire avec
l‟aide des pouvoirs publics. Cependant, il est une question qui divise profondément
ces acteurs et les pouvoirs publics : l‟effet levier qu‟exercerait une action sur les prix
du médicament sur son abordabilité. Les plus sceptiques pour ne pas dire les plu
hostiles à cette idée sont les producteurs de médicament.
Dans l’ensemble ces propositions ont été reprises par la Mission d’information du Parlement sur le prix du
médicament une année plus tard.
62
187
Les producteurs de médicaments
Une industrie locale qui contribue à la disponibilité des médicaments
Selon les dernières données disponibles (AMIP 2008, Belaïche 2010), le
marché du médicament aurait atteint la valeur de 7,3 milliards de DH en 2009. Près
de vingt ans plus tôt, le marché se situait à 1,9 milliards de DH comme l‟indique le
graphique ci-dessous. Ainsi, par tête et par an, la consommation de médicaments en
valeur serait passée de 127 DH à 372 DH entre 1991 et 2009 (cf. graphique cidessous). On note finalement une progression sensible de la consommation de
médicaments en volume, de l‟ordre en moyenne de 6,28% par an sur la période.
Figure 8 : Évolution de la consommation des médicaments au Maroc
Source : Belaïche 2010
A la question de l‟origine des médicaments distribués sur le territoire, il est un
fait suffisamment exceptionnel dans les pays en développement pour être souligné
(OMS 2004). Le Maroc dispose d‟une industrie pharmaceutique ; à l‟instar de pays
comme l‟Inde, le Brésil ou l‟Argentine, le Maroc a entamé dans les années 1960 une
politique industrielle dans le secteur pharmaceutique sur la base d‟un modèle de
substitution aux importations (OMS 1997, Zniber & Es-Semmar 2010). Le résultat en
est le développement d‟une industrie pharmaceutique composée de 35 sites de
production aujourd‟hui contre 8 en 1965 (MS 2008, AMIP 2008). Cette industrie
formule et conditionne les médicaments sur la base de l‟importation des matières qui
se font à plus de 90% et produit essentiellement sous licence étrangère (OMS 1997
& 2004 b).
Aujourd‟hui, la production de ces entreprises est absorbée à 80% par le
marché privé, 10% par le marché public et 10% par les marchés étrangers. Les 35
sites de production dispersés sur le territoire permettent de couvrir 70% des besoins
de la population et couvre l‟ensemble des classes thérapeutiques. Les 30% restant
sont couverts par des importations provenant essentiellement des pays européens
(AMIP 2007). Aussi, l‟industrie pharmaceutique marocaine apporte une contribution
majeure à la disponibilité des médicaments sur le territoire.
188
Figure 9 : Évolution de la consommation des médicaments au Maroc
Source : Belaïche 2010.
Aspects industriels de l’abordabilité du médicament
La contribution de l‟industrie marocaine à la disponibilité des médicaments est
d‟autant plus appréciable qu‟elle s‟opère sur un marché étroit où les volumes de
production sont limités par la faiblesse du pouvoir d‟achat et la faiblesse de la
couverture sociale comparée à des pays comme la France. En effet, en France, le
marché du médicament est plus large compte tenu d‟une couverture médicale
étendue et d‟un pouvoir d‟achat important. La quasi-totalité de la population française
a accès à la couverture médicale. Les ventes réalisées par les producteurs se sont
élevées à près de 50 milliards en 2009 : 27 milliards d‟euros de ventes sur le marché
national et 23 milliards à l‟exportation (LEEM 2011) 63. Ce sont 324 entreprises qui se
partagent le marché, avec pour effet un marché peu concentré. Somme toute, le
marché français du médicament est quarante fois plus important que le marché
marocain, avec un nombre de producteurs près de 10 fois plus élevé qu‟au Maroc.
En revanche, le marché marocain est plus concentré. En 1997, l‟OMS notait
que les dix premiers producteurs réalisaient près de 80% de la production locale.
Aujourd‟hui, à lui seul, le groupe Cooper Maroc réalise un chiffre d‟affaires de 1,6
milliards de DH et détiendrait donc 22% de parts de marché. Sur la base de données
éparses (site internet des entreprises, classement du top 500 des entreprises
marocaines, presse économique, etc.), comme l‟indique le tableau ci-dessous, il
apparait que les cinq premières entreprises réaliseraient un chiffre d‟affaires cumulé
de cinq milliards de DH et représenteraient près de 70% de parts de marché. A titre
de comparaison, en France, les cinq premières entreprises représenteraient 28,6%
de parts de marché (LEEM 2011). Il faudrait alors cumuler le chiffre d‟affaires des 40
à 50 premières entreprises pour obtenir une concentration des parts de marché
comparable à celle réalisée par les 5 premières entreprises du médicament opérant
au Maroc.
63
Cf Les informations disponibles sur le site www.leem.org.
189
Selon les manuels d‟économie industrielle les plus classiques, cette
concentration sur le marché marocain pose la question de ses effets sur la
concurrence et les prix. La concentration de 70% de parts de marché entre les mains
de 5 opérateurs peut-elle constituer une limite sérieuse à l‟expression d‟une
concurrence vive sur le marché et ce faisant un frein non négligeable à la baisse des
prix en faveur d‟une amélioration du bien être de la population ?
Tableau 42 : Chiffre d‟affaires et part de marchés des 5 premières entreprises du
médicament au Maroc
Chiffre d‟affaires en milliards de DH
Parts de marché en pourcentage
Cooper Maroc
1,6
22,02
Laprophan
1,1
15,14
Maphar
0,9
12,38
Sanofi-Aventis
0,855
11,76
Sothema
0,615
8,46
Total
5,07
69,77
Source : d‟après sites internet des entreprises ; Classement global 500, 2008.
Chiffres et classement variables d‟une source à l‟autre
Maphar étant une filiale du groupe Sanofi-Aventis, ces deux entités cumuleraient finalement à ellesseules presque un quart du marché du médicament marocain.
Outre le problème de concentration, l‟industrie marocaine souffre de plusieurs
faiblesses. Premièrement, Les échelles de production sont modestes. Comme le
résume Belaïche (2010), 26 produits auraient des échelles de production qui
dépasseraient le million de boites vendues par an soit 0,6% des médicaments
commercialisés au Maroc. Par contraste, on note une concentration particulière
autour d‟une échelle de production : les volumes de boites vendues compris entre
10.000 et 50.000 couvriraient 1.100 produits, soit près d‟un quart (23%) des
médicaments commercialisés. Aussi, comme nous le rappelle un producteur
interrogé lors d‟un entretien, la production marocaine est semi-industrielle tant les
séries de production sont courtes. Les coûts de production sont plus importants que
ce qui est proposé ailleurs.
Deuxièmement, l‟industrie marocaine est une industrie de formulation et de
conditionnement comme le souligne régulièrement l‟OMS (1997 & 2004 b) et comme
il a été constaté sur le terrain lors de nos entretiens. Aussi, elle affiche une
dépendance forte vis-à-vis de fournisseurs étrangers qui maitrisent la production et la
commercialisation d‟un bien stratégique dans le secteur : le principe actif intégré par
la suite dans des formules par les producteurs pour obtenir des sirops, gélules,
comprimés, pommades, etc.
La faiblesse des échelles de production et la dépendance vis-à-vis des
fournisseurs étrangers de matières premières ont un effet direct sur les prix et ce
faisant sur l‟abordabilité du médicament. D‟une part, des séries courtes ont un effet
sur les prix dans une industrie où les économies d‟échelle sont cruciales et
constituent un avantage concurrentiel déterminant outre la détention de brevets ou
des dépenses de marketing considérables. D‟autre part, l‟industrie pharmaceutique
marocaine est dépendante de fluctuations de prix plus ou moins importantes des
matières premières selon leur provenance et leur qualité. Lors d‟un entretien, un
producteur rapportait que le prix des matières premières pouvait avoir une incidence
190
de 50 à 60% sur le coût de fabrication du médicament avant de situer cette incidence
en moyenne autour de 30%. Par ailleurs, dans la mesure où les entreprises
marocaines produisent sous licence, une conséquence est trop souvent l‟existence
d‟accords commerciaux prévoyant que le détenteur de la licence devra
s‟approvisionner en matières premières auprès de l‟entreprise qui octroie la licence.
En échange d‟une licence, celui-ci récupère un profit non négligeable en facturant la
matière première au partenaire à un prix élevé 64. Ainsi, lors d‟un entretien accordé à
la presse, M. Guermai, PDG de Galénica, indiquait que « Les prix des principes
actifs sont très élevés. Ils fluctuent en général de 10% autour d'un prix international.
Continuant d'être vendus par les maisons mères, elles les facturent 3 à 20 fois plus
cher ». La structure et le fonctionnement de cette industrie peuvent peser sur les prix
et l‟abordabilité du médicament.
Pour conclure, notons un élément de taille. Dans un pays où l‟industrie
nationale produit du générique, où le pouvoir d‟achat de la population est faible, le
générique ne représenterait qu‟une faible part du marché en volume et en valeur
entre 27 et 30% (Aghnaj 2006, AMIP 2010), avec un chiffre d‟affaires de 2 milliards
de DH (IMS 2010 cité dans AMIP 2010). Sur le marché public, selon les données
fournies par nos interlocuteurs, le générique représenterait plus de 80% des achats
publics65. Autrement dit, l‟enjeu pour les années à venir est la pénétration plus
importante du générique sur le marché du médicament pour améliorer sensiblement
l‟utilisation par les professionnels de la santé et la population des médicaments les
plus abordables (cf. plus bas pour une discussion autour de la prescription et
l‟utilisation du générique). L‟objectif fixé par le Ministère de la santé est un taux de
pénétration du générique de 60% d‟ici 2015, soit un doublement en cinq ans.
8.2.1.3. La qualité des médicaments produits localement
Concernant la question de la qualité des médicaments produits et
commercialisés au Maroc et notamment la question des tests de bioéquivalence, les
acteurs insistent sur plusieurs points. Tout d‟abord, nos interlocuteurs saluent le rôle
déterminant joué par la DMP dans la fourniture de médicaments de qualité. Ils se
félicitent de l‟accréditation du LNCM par l‟Europe et sa préqualification par l‟OMS qui
ajoutent à la crédibilité du secteur au niveau national et surtout au niveau
international. Ensuite, un producteur de générique, qui assure soumettre
systématiquement ses dossiers de demande d‟AMM avec tests de bioéquivalence à
l‟appui, ne cesse d‟être étonné par la méfiance persistante dont font preuve les
prescripteurs. Lorsque ses délégués médicaux rencontrent les médecins et leur
soumettent tout naturellement le dossier complet du médicament avec les tests de
bioéquivalence réalisés, les médecins demandent le nom des centres, des
professeurs qui ont effectué ces tests. Le producteur indique qu‟il n‟a pas à divulguer
cette information. Les tests de bioéquivalence sont faits dans des centres agrées par
l‟UE. Il précise en outre que 52 pharmaciens travaillant à la DMP examinent ses
dossiers.
De même, la facturation de matières premières à des prix prohibitifs entre maison mère et filiales d’un même
groupe est une pratique largement répandue qui permet de transférer une part considérable des profits
réalisés, soustraits ainsi à la fiscalité du pays où le médicament est produit et commercialisé.
65
Concernant le marché public approvisionné par appel d’offres, les personnes interrogées soulignent la clarté
et la transparence des procédures mises en place par la DA. Cependant, elles émettent une réclamation : en
cas de problèmes d’approvisionnement, l’adjudicataire encourt des pénalités qui valent pour l’ensemble du
marché obtenu et pas seulement pour la valeur du lot à commander pour une spécialité. Sur un autre registre,
nos interlocuteurs indiquent que la participation à ces appels d’offres et l’approvisionnement du marché public
constituent de la promotion indirecte appréciable.
64
191
Notre interlocuteur précise qu‟il a toujours réalisé des tests de bioéquivalence
pour la commercialisation d‟un produit. Il a une convention avec la Faculté de
pharmacie de Rabat : en échange de matériels mis à la disposition de la Faculté, il a
négocié des prix pour la réalisation de test de bioéquivalence. Pour des produits
sensibles, il dit confier la réalisation des tests de bioéquivalence à un centre situé à
Lille où les tests sont effectués sur 24 patients en double aveugle comme le
prévoient les normes internationales.
La conduite de tests de bioéquivalence constitue une dépense non
négligeable. Celle-ci peut varier de 30.000 euros en Europe de l‟est à 100.000 euros
en France. Cette dépense est telle que les producteurs sont incités à rechercher les
centres les moins disant, qui exploiteraient des économies d‟échelles importantes.
Ainsi, les producteurs se tiennent informer des prix et conditions proposés par des
centres en Tchéquie ou en Jordanie pour réduire le coût de ces tests et le coût de
commercialisation du médicament.
Un autre producteur interrogé insiste sur d‟autres enjeux concernant la qualité
des médicaments et la réalisation de tests de bioéquivalence. Il commence par
rappeler qu‟il y a peu de temps la France n‟exigeait pas de tests de bioéquivalence à
ses industriels du médicament. Elle exigeait uniquement, comme au Maroc, les tests
de dissolution in vitro. Notre interlocuteur indique que la bioéquivalence ne concerne
que certaines formes galéniques et pour ces formes galéniques, seulement certaines
molécules, certaines matières très actives. Ensuite, le producteur insiste sur le côté
pernicieux de la bioéquivalence. Il rappelle que le Maroc enregistre depuis plus de 30
ans des génériques. Il estime que lorsqu‟un médicament comme un antibiotique est
commercialisé et que personnes ne s‟en plaint, il a fait la preuve de son efficacité. Il
précise que les tests de bioéquivalence sont menés sur un échantillon de 24
personnes choisies et en bonne santé. En phase de commercialisation, le
médicament est pris par des milliers de malades. Du reste, au moins 27% du marché
marocain est génériqué et on ne pourrait en conclure que les médecins sont dans
l‟erreur en continuant à prescrire du générique. Il rapporte que des entreprises
exportent vers l‟Europe et l‟Afrique comme signe de qualité des médicaments
produits au Maroc. Notre interlocuteur soulève le fait que s„il y avait des problèmes
de qualité avec les génériques, les concurrents seraient les premiers à tirer la
sonnette d‟alarme.
Par ailleurs, notre interlocuteur voudrait bien croire que des raisons purement
scientifiques justifient l‟exigence de tests de bioéquivalence en vue de la
commercialisation d‟un générique. Cependant, il craint que les motivations soient
fondamentalement économiques et stratégiques. Notre interlocuteur suggère l‟idée
que les tests de bioéquivalence seraient une barrière de plus érigée à l‟intention des
génériqueurs, pour freiner leur progression et limiter la concurrence vive qu‟ils
pourraient exercer sur le marché du médicament. L‟exigence faite aux génériqueurs
de réaliser des tests de bioéquivalence pourrait nuire à leur développement industriel
et au bout du compte à la fourniture de médicaments moins chers.
Néanmoins, notre interlocuteur précise qu‟il a souhaité que le texte de loi
prévoyant les tests de bioéquivalence soit mis en place pour la crédibilité du secteur.
Comme à la DMP, il insiste sur le fait que beaucoup de dossiers sont déposés avec
tests de bioéquivalence à l‟appui. Il se félicite de la qualité des procédures d‟AMM
alignées sur les normes européennes, qui ajoute à la crédibilité du secteur
192
pharmaceutique66. La moitié du chiffre d‟affaires réalisé par son entreprise concerne
le générique et tous les génériques disposent d‟un dossier de bioéquivalence. De
même, beaucoup d‟entreprises déposent des dossiers de bioéquivalence pour
gagner la confiance des médecins. Il indique que beaucoup de sociétés achètent des
dossiers à l‟international avec bioéquivalence. Il conclut que l‟industrie marocaine a
connu 42 années d‟activité sans dégâts et que toutes les conditions sont réunies
pour assurer un médicament de qualité au citoyen, générique ou non.
Notre interlocuteur veut croire que les tests de bioéquivalence sont une
opportunité pour l‟industrie pour une toute autre raison. La bioéquivalence faisable
au Maroc constitue une évolution et une opportunité de développement pour ce
secteur. Celui-ci ne peut se cantonner éternellement à la mise en forme galénique
des médicaments. Dans l‟étude BCG faite avec l‟AMIP sur les perspectives pour
l‟industrie, il est indiqué que le développement des essais cliniques est un créneau
important au niveau économique. Il s‟agit d‟un développement scientifique, en
recherche pour passer à un autre stade. Le Maroc dispose de toutes les conditions
pour soutenir ce développement : des compétences médicales, des services
hospitaliers publics et privés, des compétences en biologie et biochimie, en
statistique et informatique. Le pays dispose d‟une industrie pharmaceutique pour
produire les lots pilotes. Il existe des ressources humaines, jeunes, qui peuvent
participer à cet effort dans les meilleures conditions possibles, conditions à garantir
par l‟élaboration précise de textes réglementaires. Le Maroc aurait une carte à jouer
comparé à des pays comme la Suède ou Singapour pour participer à la recherche et
développement au niveau international. Donc les tests de bioéquivalence sont un
investissement pour le développement du secteur au même titre que la libéralisation
du capital intervenue en 200667. Si des centres de bioéquivalence sont mis en place
au Maroc et validés par l‟Europe, le pays pourrait proposer ces tests à 60% de ce
qu‟‟ils coûtent en Europe.
L’abordabilité du médicament au Maroc : un débat animé
A la question sensible du prix du médicament sur le territoire, et conscients,
voire parties prenantes des discussions en cours sur les réforme prévues des modes
de fixation du prix pour les princeps et les génériques, les producteurs sont
unanimes, que cela soit par voie de presse ou de vive voix lors des entretiens
réalisés : s‟il y a un problème d‟accès au médicament incontestable au Maroc, il ne
tient pas aux prix mais au faible pouvoir d‟achat de la population, à l‟étroitesse de la
couverture médicale ou à l‟insuffisance de l‟éducation des individus à la santé.
Une critique récurrente adressé aux producteurs est que le prix du
médicament rapporté au pouvoir d‟achat de la population est faible. A cette
Des producteurs se plaignent de délais excessifs. Toutefois, ce point doit être nuancé comme le suggère notre
interlocuteur. Il y a, d’un côté, les entreprises qui ont du personnel technique et réglementaire pour suivre leurs
dossiers d’AMM de manière étroite et compétente. Celles-ci ne se plaignent pas particulièrement des délais. Il y
a, d’un autre côté, les entreprises qui par manque sans doute de personnels et de moyens ont des difficultés
pour respecter les procédures, les normes. Il admet qu’il y a certainement des délais incompressibles à
respecter pour observer des procédures et assurer une qualité. Il reconnait également qu’il y a certainement
des améliorations à apporter au système, des moyens et équipements supplémentaires à allouer à la DMP pour
réduire les délais d’enregistrement d’un médicament. Ces délais se situerait entre 18 et 24 mois actuellement
et devraient être ramené à 12 mois selon notre interlocuteur.
67
Avant cette libéralisation, la loi prévoyait que 51% du capital devait être détenu par des pharmaciens, dont
21% par des pharmaciens autorisés à exercer au Maroc, ce qui était considéré comme un frein au
développement de l'industrie (Zniber et Es-Semmar 2010). Désormais, la loi prévoit qu’un pharmacien dûment
autorisé à exercer sur le territoire sera le propriétaire, le directeur général ou lé gérant d’un établissement
pharmaceutique (loi n°17-04 du code de médicament et de la pharmacie).
66
193
remarque, les producteurs soutiennent invariablement que le problème ne se situe
pas au numérateur, si l‟on tient compte des coûts de production, mais au
dénominateur. En effet, un producteur indique que selon les dernières statistiques
publiées par le gouvernement, 80% des Marocains toucheraient moins de 6.500 DH
par mois. Aussi, le pouvoir d‟achat des Marocains serait faible et ne permettrait pas
une hausse soutenue de la demande de médicaments et ne pourrait assurer un
accès plus important aux médicaments. Dans un discours parfaitement rodé, nos
interlocuteurs (producteurs, pharmaciens, distributeurs et médecins) soulignent
qu‟avec un pouvoir d‟achat dit faible, les individus consommeraient moins de 400 DH
par an en médicament mais environ 1.000 DH par mois en téléphonie mobile, pour
mettre en évidence le peu d‟importance accordée à la santé, même pour une
population pauvre.
Les personnes interrogées indiquent qu‟il appartient aux pouvoirs publics
d‟éduquer la population à la santé en les informant par exemple des risques que
courent les enfants lorsqu‟ils boivent de l‟eau dans la rue, lorsqu‟ils utilisent mal des
antibiotiques abordables en officine. Un producteur s‟interroge : l‟éducation
préventive est-elle suffisante pour que les parents ne laissent pas leurs enfants boire
de l‟eau dans la rue, les empêcher ainsi de tomber malade et éviter finalement de
devoir acheter des médicaments pour les soigner ? Les investissements dans les
infrastructures et l‟éducation sont-ils suffisants pour prévenir la dégradation des
conditions de santé ? Un accès limité à l‟eau potable ou un usage irrationnel des
médicaments (et particulièrement des antibiotiques avec les risques de
développement de résistances) sont des éléments cruciaux pour améliorer les
conditions sanitaires des populations sur le long terme.
Un interlocuteur souligne que l‟on parle beaucoup de droit à la santé, et du
médicament comme d‟un bien public mondial, et des dépenses de santé. Il estime
que l‟on devrait parler davantage d‟investissements pour la santé : lorsqu‟un
diabétique peut prendre son traitement et se soigner, il peut continuer à travailler, à
être productif, à être rentable économiquement ; il est alors certainement plus
bénéfique de payer un médicament jugé cher que de voir la personne devenir
handicapée et s‟imposer comme une charge pour sa famille et la société.
Ces remarques une fois faites, invariablement nos interlocuteurs attirent
l‟attention sur les méthodes utilisées dans les études du prix du médicament au
Maroc. Un cadre au sein d‟une association, et un représentant de l‟AMIP soulignaient
que l‟étude faite par l‟OMS en 2004 compare les prix privés au Maroc avec les prix
des centrales d‟achat internationales, dont celle de l‟UNICEF basée au Danemark.
Or cette organisation achète des médicaments essentiels pour 40, 50, voire 60 pays
à travers des appels d‟offres internationaux très importants. De surcroit, il s‟agit d‟une
organisation sans but lucratif qui ne paye pas de charges. On ne peut comparer cette
organisation avec des entreprises qui sont à but lucratif, payent des charges, versent
des taxes, des droits de douanes et d‟autres impôts, et font des profits.
La méthode de l‟étude réalisée par le parlement serait, quant à elle,
contestable. Par exemple, pour un échantillon comportant les médicaments les plus
vendus au Maroc, cette étude affirme que les prix sont généralement plus élevés au
Maroc, de 30 à 189% par rapport à la Tunisie pour les princeps, et de 20 à 70% plus
élevés par rapport à la France (Chambre des représentants/Commission des
finances et du développement économique, 2009). Elle constate des différences de
prix pour un même DCI sous différentes spécialités qui pourraient atteindre 600%.
194
Dans une réponse à la Mission d‟information du Parlement ces résultats
obtenus sont contestés. Un faible échantillon a été utilisé : 29 médicaments sur
5.000 disponibles sur le marché marocain. La valeur statistique des résultats obtenus
serait donc très faible et les conclusions ne sont pas généralisables. En outre, le
principe retenu par la Mission selon lequel les médicaments les plus vendus font
partie de l‟échantillon sélectionné est contesté. Sur les 15 princeps sélectionnés,
selon l‟AMIP et notre interlocuteur, seuls deux figureraient parmi les médicaments les
plus vendus en volume et six parmi les plus vendus en valeur. En particulier, le
médicament le plus vendu au Maroc, le Doliprane, aurait été retiré de l‟échantillon.
On va jusqu‟à relever des prix de génériques faux, la présence dans l‟échantillon
d‟un médicament qui n‟a jamais été commercialisé en pharmacie ou un autre qui
n‟est plus commercialisé dans le pays. Les critiques sont nombreuses. On s‟interroge
également sur la validité d‟une comparaison des prix entre le Maroc et la Tunisie,
pays dans lequel il existe une pharmacie d‟État qui achète par appels d‟offres avec
des volumes importants et qui vend aux officines. De plus, l‟État y applique un
système de péréquation entre les produits essentiels qui sont subventionnés et des
produits de confort qui ne le seraient pas. Autre fait non négligeable, plus de 80% de
la population tunisienne serait couverte par une assurance maladie contre seulement
34% au Maroc. Pareillement, la comparaison avec la France est jugée peu recevable
compte tenu de l‟importance des volumes consommés, de l‟ampleur du système
d‟assurance maladie ou encore du pouvoir d‟achat des ménages plus élevé en
France.
Aussi, notre interlocuteur indique que l‟AMIP a fait sa propre étude sur un
échantillon de 555 médicaments pour comparer les prix au Maroc et en France. Il
apparaitrait alors que 67% des médicaments (254 princeps et 120 génériques)
auraient des prix inférieurs à ceux de la France. Au contraire, 33% des médicaments
(129 princeps et 52 génériques) auraient des prix supérieurs à ceux de la France.
Nulle mention n‟est faite dans l‟étude des fourchettes de prix constatées pour les prix
de médicaments moins chers au Maroc comparé à la France et les prix de
médicaments plus chers au Maroc qu‟en France. Du reste, il importe de souligner
que suivant la méthodologie recommandée par l‟OMS, il aurait fallu rapporter le prix
de ces médicaments dans les deux pays au pouvoir d‟achat des ménages en
utilisant par exemple le salaire journalier minimum. On remarque également que très
brièvement dans son étude l‟AMIP assure que l‟analyse dynamique des prix de
l‟ensemble des médicaments commercialisés au Maroc pendant la période 19992009 aurait montré que les indices des prix des médicaments auraient stagné tandis
que les indices des prix à la consommation auraient connu une augmentation
sensible. Pas un chiffre ou un graphique ne sont présentés à l‟appui d‟un argument
qui permettrait d‟éclairer significativement le débat sur le prix du médicament et sur
son évolution au Maroc au cours des dernières années. Lors de nos entretiens, nous
n‟avons cessé de questionner nos interlocuteurs sur l‟existence d‟un indice des prix
des médicaments et sur son évolution au cours des dernières années rapportés à
l‟indice des prix à la consommation, la réponse fut constamment de nous adresser
au Haut commissariat au plan pour en savoir plus. On ne peut que s‟étonner de
constater qu‟au cours de ces dernières années marquées par un débat vif autour de
la question du prix du médicament, aucun indice des prix des médicaments n‟ait été
produit pour éclairer le débat.
195
Constamment la discussion sur le prix du médicament au Maroc aboutit à
deux remarques. La première questionne l‟opportunité d‟avoir instauré en 2008 une
TVA de 7% sur le prix des médicaments qui constituerait somme toute une charge
supplémentaire pour des patients qui ont déjà un accès difficile aux médicaments.
Un interlocuteur suggère qu‟une TVA de 2,5% aurait été suffisante à l‟instar de ce qui
se pratique en Europe (cf. plus bas pour une discussion plus large de la TVA sur le
médicament).
La seconde remarque concerne plus encore le conflit persistant et profond
entre deux logiques à l‟origine d‟un dialogue difficile entre le Ministère de la santé et
les professionnels du médicament, les producteurs en tête. Il y a, d‟un côté, la
logique soutenue par le Ministère de la santé, qui fait de la baisse des prix son
cheval de bataille. D‟une part, comme il a été vu précédemment, les dépenses de
médicaments représenteraient 32% des dépenses globales de santé qui sont
supportées à 64,8% par les ménages et 24% par l‟État. Les dépenses de
médicaments représenteraient 47% des dépenses de santé des ménages. D‟autre
part, le prix du médicament est partie prenante des questionnements du Ministère de
la santé concernant la montée en puissance de la couverture médicale au Maroc et
son financement. Des efforts importants ont déjà été consentis par le Ministère de la
santé puisque la population couverte par l‟AMO est passé de 17 à 34% depuis son
entrée en vigueur en 2006 et le RAMED couvre en 2011 225.000 personnes dans la
région pilote de Tadla-Azilal. Ces efforts devraient se poursuivre pour les années à
venir. L‟objectif fixé pour l‟AMO est un taux de couverture de 50% de la population.
Pour sa part, avec sa généralisation prévue d‟ici la fin de l‟année 2011, le RAMED
devrait couvrir une population de 8,7 millions pour une enveloppe budgétaire estimée
aux environs de 3 milliards de DH. Aussi, l‟enjeu est de taille pour les pouvoirs
publics. De fait, si le Ministère accroit la couverte de la population à travers
l‟élargissement de l‟AMO et la généralisation du RAMED, il devra prendre à sa
charge une partie importante des dépenses de santé des ménages : une partie des
dépenses de médicaments jusqu‟ici supportées par les ménages. Aussi, la question
du financement de ce transfert de dépenses depuis les ménages vers l‟État se pose
de façon aiguë. Dans cette optique, le maintien de prix jugés peu abordables peut
être considéré comme un obstacle de taille à la maîtrise des coûts, et ce faisant au
bouclage dans les meilleures conditions du financement de la couverture médicale.
Le prix du médicament est alors désigné comme un obstacle à l‟élargissement de
cette couverture au Maroc.
Aussi, à la fois pour améliorer l‟abordabilité du médicament pour la population
(dont les dépenses ne seraient pas transférées vers l‟État dans la nouvelle
configuration de couverture santé en progression) et assurer une charge financière
moindre pour lui-même, le Ministère de la santé explore les pistes possibles et se
concentre sur la baisse des prix. Il s‟agit d‟essayer de répartir la charge financière
attendue entre l‟État, d‟un côté, et les professionnels du médicament, de l‟autre,
producteurs en tête. Du reste, l‟étude réalisée par le BCG désigne la baisse des prix
comme un levier bénéfique y compris pour l‟industrie pharmaceutique. L‟argument
est qu‟une baisse des prix pourrait générer une consommation plus importante,
dynamiser le marché du médicament qui permettrait alors des volumes de production
plus importants. Aussi, les baisses de prix concédées initialement (l‟effet prix)
seraient au moins compensées par une hausse importante de la consommation
conjuguée à une baisse non négligeable des coûts de production tirée de
l‟exploitation des économies d‟échelle (effet volume). En dynamique, l‟industrie ne
196
perdrait pas dans cette affaire, elle y gagnerait même : l‟effet volume compenserait
largement l‟effet prix permettant à l‟industrie de dégager des quantités produites plus
larges et garder pour elle, sous forme de profit, une partie des économies en couts
de production réalisées.
Figure 10 : Une première logique : de l‟effet prix à l‟effet volume
Baisse des prix
* Hausse de la consommation des ménages
* Hausses des dépenses publiques de médicament avec
élargissement de la couverture santé
Augmentation de la taille du marché du médicament
Economies d'échelle
Baisse des coûts unitaires de production
Un effet prix initial compensé par un effet volume généré
Profit maintenu ou augmenté pour l'industrie
Charge allégée pour la collectivité
A cette logique, les producteurs mettent en garde contre les effets
préjudiciables d‟une baisse des prix des médicaments et avancent une tout autre
logique. Tout d‟abord, les producteurs interrogés indiquent sobrement que baisser
les prix signifierait condamner une industrie qui s‟est développée avec
l‟encouragement des pouvoirs publics, qui couvre aujourd‟hui 70% des besoins de la
population en médicaments (AMIP 2008) et qui offre une autonomie sanitaire
importante au pays, appréciable en situation de crise sanitaire comme celle
dernièrement de l‟épidémie H1N1.
Baisser les prix reviendrait à condamner une industrie qui représente près de
40.000 emplois directs et indirects dans le secteur pharmaceutique, entre 20.000 et
30.000 emplois dans les officines et également des emplois chez les distributeurs.
Tous ces emplois constituent autant de personnes qui travaillent, cotisent, ont des
couvertures médicales privées en général, couvrant des familles de 3, 4 ou 5
personnes. Revoir les prix à la baisse provoquerait la fermeture d‟entreprises,
détruirait des emplois, réduirait des investissements, baisserait la création de
richesses sur le territoire, amenuiserait la contribution du secteur aux exportations,
réduirait les recettes de l‟État. Aussi, la question du prix du médicament recouvre
l‟ensemble de ces enjeux dont il faut tenir compte.
Les producteurs ajoutent que les effets attendus pourraient bien être
autrement plus dommageables en matière d‟accessibilité des médicaments. La
baisse des prix pourrait provoquer une contraction du nombre d‟entreprises et une
baisse de la concurrence. Les entreprises se recentreraient alors sur les produits les
plus rentables et délaisseraient ceux à bas prix qui disparaitraient. Cette mesure
pourrait bien sacrifier une industrie battit en 60 ans, détruire un tissu industriel
197
précieux sans pour autant améliorer l‟accessibilité des médicaments, en réduisant au
contraire à la fois leur disponibilité et leur abordabilité. Pour conclure, comme
l‟indique un de nos interlocuteurs, « on ne peut pas nous demander de produire un
médicament de qualité européenne à des prix indiens et de financer l’assurance
maladie. On fait déjà des efforts terribles ! ». En d‟autres termes, l‟industrie ferait déjà
beaucoup pour la disponibilité et la qualité des médicaments, l‟abordabilité doit faire
l‟objet d‟une discussion large et avisée.
A la logique de baisse des prix, les producteurs interrogés mettent en avant la
nécessité pour l‟État d‟élargir la couverture médicale (Belaïche 2010). Un tel
élargissement permettrait d‟améliorer l‟accès aux soins. Une population plus large
couverte par l‟assurance maladie générerait un accroissement du marché du
médicament et des économies d‟échelle. A cet effet volume, l‟industrie répondrait
alors par une baisse des coûts de production qui se répercuterait en baisse des prix.
Cela permettrait un allègement de la charge financière dévolue à la collectivité et aux
ménages dont les dépenses ne seraient pas transférer vers la collectivité (effet prix).
Figure 11 : Une autre logique : de l‟effet volume à l‟effet prix
Augmentation de la couverture santé
Augmentation de la consommation du médicament
Augmentation de la taille du marché
Economies d'échelle
Baisse des coûts unitaires de production
Baisse des prix
Un effet volume initial compensée par un effet prix générée
Profit inchangée ou augmentée pour l'industrie
Charge allégée pour la collectivité
A ce point, il apparaitre que la différence entre les logiques avancées par le
Ministère de la santé et les producteurs tient finalement à une seule question : qui
devra amorcer la dynamique ? Le Ministère de la santé, qui devra soutenir
l‟élargissement du marché censé provoquer un effet volume puis un effet prix avec la
baisse des coûts de production, des prix ? Les producteurs qui devront revoir leur
prix à la baisse, initier un effet prix dans l‟attente d‟un effet volume attendu de la
montée en puissance de la couverture maladie ? La différence tient à la question de
l‟acteur qui prendra à sa charge le coût initial avec le risque que ce qui parait clair sur
le papier ne se réalise pas ou peu en dynamique. Enfin, faut-il prévoir un schéma
intermédiaire où le Ministère de la santé, le secteur pharmaceutique et d‟autres
secteurs contribuent étant entendu que la santé est un bien public qui profite à tous ?
Aussi, les discussions se multiplient entre les acteurs pour sortir de cette impasse et
198
prévoir des outils appropriés pour améliorer l‟accès de la population au médicament.
L‟objectif est également de ne pas affaiblir une industrie locale déjà en situation
délicate face à une concurrence internationale très rude orchestrée par les
multinationales du Nord et les génériqueurs des pays émergents que sont l‟Inde et la
Chine.
Les distributeurs
Les entretiens réalisés avec un distributeur et un producteur/distributeur ont
permis de cerner certains faits saillants concernant la structure du secteur de la
distribution du médicament et sa contribution à l‟accessibilité du médicament,
notamment sa disponibilité sur le territoire.
Un des acteurs interrogés est à la fois producteur et distributeur. Il raconte
qu‟il s‟est installé en 1969. A l‟époque, la distribution dans les régions était très faible.
Il y avait un grossiste à Casablanca et un autre à Rabat. Il a participé à poser les
premiers jalons de la distribution au Maroc, précisément à Meknès. Puis il s‟est
installé un peu partout. D‟autres acteurs sont arrivés progressivement dans le
secteur.
Aujourd‟hui, il y a 50 grossistes en médicament. Cependant, derrière ces
grossistes se trouvent en réalité six groupes et quelques indépendants. Par exemple,
nos interlocuteurs nous signalent que Sophanord a huit filiales sur le territoire, que le
groupe UGP en a dix, Sophacentre, sept. Globalement, il y a les groupes COPEC,
UGP, Sophanord, Sophacentre, Sorenet. Il y a eu des opérations de rachat dans le
secteur. Au bout du compte, UGP est le premier groupe avec 22% de parts de
marché, le second groupe, Sophanord, représente 20%, un troisième groupe, 15% ;
ces trois groupes totalisent donc à eux seuls 57% de parts de marché. La distribution
de médicament est donc un secteur très concentré. Il y a de temps en temps des
tentatives d‟opérateurs étrangers, notamment de Turquie, d‟entrer sur le marché. Ils
viennent prospecter et voit que le marché est relativement bien organisé, et faute de
pouvoir racheter des opérateurs, ils repartent. Pour leur part, les opérateurs
européens ne seraient pas intéressés par un marché de 7,5 milliards de DH jugé trop
étroit.
Les répartiteurs distribuent les produits des sociétés pharmaceutique soit
d‟importation, soit de production locale. Ils n‟ont pas le droit d‟importer, ni d‟exporter.
Leur marge brute est de 10%. La marge varie de 0,64% à 1,3% pour les entreprises
les mieux gérées. En comparaison, le grossiste le plus important en France qui
détiendrait 34% du marché réaliserait une marge nette sensiblement identique. Un
acteur précise qu‟il y a peu de chances que ces marges nettes évoluent à la hausse
compte tenu des charges, des amortissements ou encore des coûts financiers. En
outre, le nombre d‟opérateurs en hausse pourrait faire baisser les marges. Alors que
la tendance en Europe est à la réduction du nombre d‟opérateurs et à la
concentration, au Maroc la tendance est inverse sur un marché étroit qui évolue peu,
qui a connu une croissance de 1% en 2010. La consommation de médicaments reste
limitée à cause d‟un pouvoir d‟achat limité, et la mise en place de l‟AMO n‟a pas eu à
ce jour, selon nos interlocuteurs, d‟effet significatif, et ils n‟en attendent pas 68. Sur la
question des marges, un acteur rapporte qu‟il a été entendu par les parlementaires
Sur ce point, signalons tout de même que depuis 2006, date de mise en place de l’AMO, le marché du
médicament connait des taux de croissance en volume plus importants, et sans doute freinés par la crise
économique en 2010 (Belaïche 2010). Par exemple, le taux de croissance en volume a été de 8,6% en 2009.
68
199
en charge de la Mission d‟information sur le prix du médicament. Il a appelé les
parlementaires à augmenter les marges des grossistes, prenant soin de préciser
qu‟une baisse de celles-ci ne ferait que provoquer leur faillite. Du reste, dernièrement
un acteur important de la distribution a déposé son bilan. Ces trente dernières
années, quatre acteurs auraient disparu, dont un groupe doté de plusieurs filiales.
La disponibilité est permanente dans toutes les régions du Maroc. Les
personnes interrogées assurent que la question de l‟approvisionnement est tout à fait
réglée à l‟image des pays européens. Quand le produit est sur le marché, il est dans
les sites de distribution et il est à la disposition des pharmacies qui souhaitent en
disposer. Même les zones les plus reculées sont approvisionnées plusieurs fois par
jour. Les livraisons sont de l‟ordre de 6 fois par jour pour Rabat par exemple contre
un minimum de 1 à 2 livraisons par jour pour les zones rurales. Avec ces 35
producteurs, 50 distributeurs et plus de 10.000 officines, le réseau répond
parfaitement aux besoins. Nos acteurs précisent qu‟il n‟y a pas de système de
péréquation. Les coûts de transport sont maitrisés par les structures qui distribuent,
ce n‟est pas un facteur essentiel, grâce à un bon réseau routier et une bonne
concurrence sur le marché des transporteurs. Un acteur interrogé indique qu‟il
dispose de ses propres transporteurs. Il fait néanmoins appel à un prestataire
extérieur pour un complément ou pour des raisons économiques : le coût
d‟approvisionnement peut être moins cher en s‟adressant à un sous-traitant.
Les ruptures de stock existent mais seraient de plus en plus rares. Si
l‟importateur ou le producteur dispose du produit, il n‟y a jamais de rupture de stock
car on peut approvisionner les points les plus éloignés en 24 heures. Toutefois, nos
interlocuteurs concèdent qu‟il peut y avoir des ruptures de stock pour différentes
raisons : erreurs de prévision, aléas inhérents à l‟importation de matières premières,
abandon de la commercialisation d‟un produit par un fabricant. Un producteur peut
aussi décider de ne pas renouveler une AMM en accord avec la DA et le Ministère
de la santé car la demande locale est insuffisante. Notre interlocuteur indique que
cela arrive surtout avec les produits à petit prix ou des médicaments anciens dont les
prix sont devenus trop bas. Si en théorie, le producteur ou l‟importateur doit disposer
de stocks pour trois mois, ce n‟est pas toujours le cas en pratique. Enfin, il y a des
ruptures de stock à chaque commande pour une majorité de fabricants parce que les
prévisions ont été mal faites avec un marché ayant mieux répondu que prévu.
Pour l‟offre de médicaments, un acteur note qu‟il est envahi par les produits
nouveaux. Pour un même produit, il peut y avoir beaucoup de génériques. Par
exemple, pour l‟amoxicilline, il existerait 36 présentations. Chaque fois qu‟un produit
tombe dans le domaine public, les génériques se multiplient. Il indique que d‟un
générique à l‟autre, les prix tombent à des niveaux très bas, et il en vient à se
demander comment les industriels peuvent produire à de tels prix. En somme,
l‟importance de l‟offre de médicaments sous différentes formes, dosages et
présentations pose des problèmes de stockage, d‟immobilisation et de financement.
Pour autant, il parait délicat de l‟avis de notre interlocuteur de rationaliser l‟offre. Il a
bien entendu parler de la proposition visant à réduire le nombre d‟AMM par
générique et par entreprise, mais il se demande à partir de quel critère tel ou tel
laboratoire sera autorisé à produire tel ou tel générique. En attendant, il constate que
le système de fixation du prix du générique ne décourage pas les producteurs qui
sont par ailleurs nombreux sur le marché. Notre interlocuteur conclut en disant que
l‟État doit jouer son rôle en décrétant par exemple un princeps et 4 génériques par
DCI.
200
Les acteurs de la distribution interrogés expriment une crainte particulière
concernant la solvabilité des acteurs qui pourrait bien avoir un effet sur le secteur
pharmaceutique et l‟approvisionnement du médicament au Maroc. L‟officine tend à
devenir petite au Maroc, le nombre d‟officines augmente sensiblement pour un
marché qui évolue peu (cf. plus bas pour un exposé détaillé des difficultés
rencontrées par les officines). En conséquence, les officines font face à des
problèmes de rentabilité qui sont une source d‟inquiétude pour les distributeurs. Un
acteur précise que les clients payent tard alors que les fournisseurs exigent d‟être
payés rapidement : les clients payent en moyenne à 90 jours alors que les
fournisseurs exigent d‟être payés à 45 jours. Aussi, le répartiteur fait des provisions
pour les clients, des avances de trésorerie importantes, ce qui représente un coût
financier. En outre, si les distributeurs ne sont pas vigilants, ils peuvent se retrouver
en grande difficulté comme ce grossiste important qui a disparu en grande partie à
cause des impayés. Selon un autre interlocuteur, lui-même ferait face à 10-15%
d‟impayés chroniques qui se règlent dans la durée, mais chaque année il subit des
pertes liées aux impayés. La paupérisation des pharmaciens crée un risque
d‟insolvabilité croissant que les distributeurs essayent de maitriser. Ils développent
des services juridiques pour gérer ces questions. Pour gérer les risques, ils
demandent par exemple aux pharmaciens qui s‟installent de payer comptant à la
livraison de la commande. Ils essayent aussi de se prémunir en exigeant des
cautions et font des enquêtes pour établir la solvabilité de leurs clients. De plus en
plus, les banques considèrent que le secteur de la pharmacie est un secteur à
risque, surtout pour les officines. Ainsi, même pour les distributeurs, les banques
demandent à analyser leur bilan et exigent des capitaux et des garanties importants.
Les grossistes doivent faire attention au recouvrement et aux stocks pour ne
pas sombrer. Du coup, notre producteur-répartiteur a été le premier à instaurer une
gestion informatique en temps réel en 1980 face à des partenaires dubitatifs.
L‟investissement avait couté à l‟époque 1,5 million de DH. En six mois, avec ce
système, l‟entreprise avait gagné 13 millions de DH en trésorerie ; l‟investissement
fut donc rapidement et largement amorti.
A la question de l‟abordabilité du médicament au Maroc, les distributeurs
interrogés indiquent que le prix n‟est pas le problème majeur, et, comme les
producteurs, qu‟il faut agir sur le pouvoir d‟achat et développer l‟éducation à la santé.
Un de nos interlocuteurs assure qu‟il faut poser la question du prix du médicament
mais que cette question ne doit pas être traitée par média interposés. Le traitement
de cette question par la presse irrite les acteurs, et chacun se défend. Toutefois,
notre interlocuteur précise que suite au rapport BCG il a vu lui-même le prix d‟un
médicament baisser de 50%, passant de 100 à 50DH, ce qui signifiait donc que
pendant 10 ans, alors qu‟il avait vendu ce produit à 100DH, les producteurs
réalisaient des profits énormes. Il relève l‟anormalité d‟une telle situation et pose la
question du maintien du princeps dans ce cas et met en avant l‟aberration de
certains prix.
En conclusion, la contribution de la distribution à la disponibilité du
médicament est importante. Cependant, les difficultés rencontrées par les acteurs en
amont du secteur de la pharmacie font craindre quelques crises qui pourraient bien
avoir un effet sur le circuit du médicament et son accessibilité pour l‟avenir.
201
Les pharmaciens
Un acteur clé de l‟accessibilité du médicament est le pharmacien d‟officine. Il
est le témoin des préoccupations exprimées par la population et des difficultés
qu‟elle rencontre pour accéder aux médicaments. En outre, la pharmacie d‟officine
connait une crise importante qui la rend sensible à toute réforme annoncée du
secteur pharmaceutique.
Un maillon du circuit du médicament en crise.
Il y aurait environ 10.000 officines en activité au Maroc. Alors que l‟OMS
recommande une officine pour 5.000 habitants, le pays disposerait d‟une officine
pour 3.000 habitants. Pour autant, ce chiffre ne saurait dissimuler une répartition très
inégale des officines sur le territoire. Les pharmaciens rencontrés admettent qu‟il
existe une forte concentration des officines sur l‟axe Rabat-Casablanca et un
délaissement sensible des zones rurales pour cause de pouvoir d‟achat faible, où la
disponibilité du médicament est moindre, pour ne pas évoquer son abordabilité.
L‟officine connait une crise sensible ces dernières années liée à la conjonction
de deux éléments. Le nombre d‟officines a connu un accroissement très important
ces dernières années pour deux raisons majeures : l‟installation massive et soudaine
en officine de nouveaux pharmaciens ayant obtenu leur diplôme à l‟étranger, et
l‟incapacité à véritablement réguler l‟ouverture des officines. Face à la limitation des
inscriptions en faculté de pharmacie, beaucoup d‟étudiants ont opté pour la formation
à l‟étranger, particulièrement dans les pays de l‟Est, et reviennent au Maroc avec un
diplôme étranger en poche. Lorsque la question de l‟équivalence s‟est posée face au
nombre important de pharmaciens détenant un diplôme étranger 69, ces derniers se
sont précipités dans les bureaux des instances réglementaires pour pouvoir
s‟installer avant tout durcissement des conditions d‟installation.
Le critère utilisé pour réguler l‟installation de nouvelles officines sur le territoire
était d‟une distance de 300 mètres entre deux officines (en ville). Comme le rapporte
plusieurs interlocuteurs, il a fallu batailler pour que le critère soit précisé et exempt
d‟interprétations diverses et variées. Finalement, sous la houlette de la FNSPM
(Fédération nationale des syndicats des pharmaciens au Maroc), il a été établi que le
300 mètres à vol d‟oiseau vaudrait pour l‟installation de toute nouvelle officine. Ainsi,
il n‟était plus possible de recourir à la mesure à partir du réseau routier pour dévoyer
le critère des 300 mètres et obtenir l‟ouverture d‟une nouvelle officine. La mise en
place de ce critère a permis ces dernières années de freiner les installations,
particulièrement en ville.
Selon nos interlocuteurs, le secteur aurait connu un rythme de mille nouvelles
officines et une croissance se situant entre 10 à 15% certaines années dans un
marché du médicament restreint. La progression du nombre d‟officines est
désormais moins importante, de l‟ordre de 5% par an, en dehors de l‟année 2010 où
ce chiffre est tombé à 1% du fait d‟une conjoncture économique difficile. Il est admis
par tous les acteurs que le nombre d‟officines est trop important rapporté au marché
du médicament, leur activité se réduit chaque année et les conduit à des situations
financières difficiles. Il y a un processus de paupérisation des pharmaciens dont le
chiffre d‟affaire serait, selon le responsable de la FNSPM, de moins de 800.000 DH
Se reporter à Zniber et Es-Semmar (2010) et Taoufik (2008), pour une présentation de la question des
équivalences entre diplômes nationaux et étrangers en pharmacie ainsi que de la loi votée en 2001 et appliquée
en 2006.
69
202
par an70. Plus de 80% des pharmaciens percevraient un revenu de moins de 6.000
DH par mois. Un tiers des officines serait en grande difficulté, 20% auraient recours à
des facilités bancaires pour se maintenir à flot et seulement 20% seraient viables.
Cette situation provoquerait inquiétudes et tensions chez les distributeurs et les
banquiers. Certains interlocuteurs mettent en avant la faillite des pouvoirs publics
qui, malgré les mises en garde et alertes émises par la profession, ont laissé les
installations se multiplier avec pour seul souci de résorber le chômage des diplômés
en pharmacie et en négligeant la question de la solvabilité des officines.
Si les risques de paupérisation croissante et d‟insolvabilité galopante des
pharmaciens sont grands, il demeure que l‟une des mesures qui aurait pu permettre
d‟assainir le secteur n‟a pas été prise à temps. De fait, comme le recommande l‟OMS
et comme le réclamait un temps la FNSMP à l‟issue d‟un congrès, la mise en place
d‟un numerus clausus ou d‟un système de quota basé sur la densité de la population
pour chaque région aurait permis d‟éviter une telle situation. Encore aujourd‟hui, les
acteurs interrogés évoquent la situation dramatique des officines et éludent la
question du numerus clausus. Un professionnel du médicament interrogé estime que
le marché peut supporter l‟activité de seulement 4.000 officines. Un autre
interlocuteur évoquera les tentatives menées par certains ministres de la santé pour
geler les installations d‟officines dans des grandes villes comme Rabat et
Casablanca dans le but d‟assainir la situation ; tentatives avortées pour cause
d‟inconstitutionnalité potentielle de ces dispositions eu égard à la liberté de
circulation des personnes précise-t-on.
Des officines qui contribuent à l’accessibilité du médicament
Bien qu‟évoluant dans une situation financière délicate, les officines
contribuent à améliorer l‟accès des populations aux médicaments sous des formes le
plus souvent inattendues, parfois discutables au niveau légal et sur un plan éthique.
Aux côtés de 35 producteurs et de 50 distributeurs, les 10.000 officines assurent la
disponibilité du médicament sur le territoire. Une offre large de médicaments est
disponible grâce à un réseau d‟approvisionnement qui permet la livraison dans
l‟heure, voire dans les 24 heures dans les zones les plus reculées. Ce système
d‟approvisionnement permet, du reste, aux pharmaciens de gérer au mieux la
disponibilité effective des médicaments en officine. Avec plus de 5.000 médicaments
commercialisés et plus de 130 molécules génériquables, il y a parfois jusqu‟à 80
génériques par DCI comme dans le cas des antibiotiques. De fait, les pharmaciens
sont en quelque sorte les victimes du nombre important de médicaments par DCI et
essayent, via le réseau d‟approvisionnement, de limiter la charge financière que
constitueraient des stocks trop importants.
En outre, une pratique très répandue dans les officines est le renouvellement
d‟ordonnance pour des patients qui n‟ont ainsi plus besoin de retourner chez leur
médecin. Pour autant, nos interlocuteurs précisent que cette pratique ne vise pas à
dispenser au premier abord un médicament à un patient souffrant de diabète ou
d‟hypertension artérielle. Il s‟agit ici de permettre, par exemple, à une femme de
renouveler son ordonnance contraceptive sans pour autant payer les frais
d‟honoraires élevés d‟un gynécologue. De même, la pratique vise à permettre à un
diabétique de renouveler son ordonnance sans s‟acquitter d‟honoraires dispendieux
La Mission parlementaire sur le prix du médicament fait état d’un chiffre d’affaires global de 11 milliards de
DH, soit un chiffre d’affaire moyen par officine de 1,1 million de DH.
70
203
auprès d‟un endocrinologue. Somme toute, la pratique vise simplement à faciliter le
renouvellement des ordonnances de façon à alléger la charge financière pesant sur
les patients. Un interlocuteur précise que sans cette pratique qui permet d‟éviter le
recours aux spécialistes, nombre de patients ne pourraient disposer de leur
traitement.
Une autre pratique largement répandue dans les officines est la substitution.
De fait, lorsqu‟une personne arrive en officine avec une ordonnance et déclare avoir
un budget serré, le pharmacien propose un substitut moins cher que le médicament
prescrit. Ainsi, au lieu d‟acheter un princeps prescrit par ordonnance, le patient
obtient un générique moins cher chez son pharmacien et parvient finalement à
alléger la facture. Sans cette pratique, les patients repartiraient là aussi sans acheter
les médicaments et sans se soigner faute de moyens. Néanmoins, tous les
pharmaciens ne sont pas prêts à s‟adonner à cette pratique sans une couverture
juridique : la prescription est de la responsabilité des médecins, et le médicament de
substitution pourrait ne pas être aussi efficace que le médicament prescrit, selon
certains, le pharmacien prenant alors un risque.
Une autre pratique est celle de la dispensation de médicaments directement
aux patients sans détention d‟ordonnance. L‟officine étant un lieu de conseil, le
pharmacien devient prescripteur en fonction des demandes des patients qui ne
souhaitent pas aller chez le médecin et payer des honoraires pour obtenir un
médicament. Aussi, à la demande du patient, le pharmacien délivre des
antibiotiques, des antalgiques, etc.
Toutes ces pratiques concernent le plus souvent les populations ne
bénéficiant pas d‟une couverture médicale. En effet pour les personnes bénéficiant
d‟une assurance, les procédures de remboursement prévoient l‟achat des
médicaments sur prescription médicale et uniquement des médicaments figurant sur
ordonnance.
Une dernière pratique qui peut par ailleurs peser sur la situation financière des
officines est celle du crédit. Tous les pharmaciens interrogés font état du crédit
accordé aux patients qui viennent avec ou sans ordonnance se procurer des
médicaments en officine, avec le risque de ne jamais être remboursé. Un
interlocuteur évalue le montant du crédit accordé à ses clients entre 70.000 et 80.000
DH. Un autre pharmacien dira avoir perdu 12 millions l‟année dernière. Malgré les
risques, les officines continuent d‟accorder à leurs clients des facilités de paiement.
Une personne peut acheter lors d‟une première visite 800 DH de médicaments, la
fois suivante, elle remboursera 600 DH et reprendra 400 DH de médicaments ; ainsi,
le client est toujours débiteur.
En conclusion, comme l‟indique un interlocuteur, l‟officine est une aubaine
pour le Maroc. Elle assume des responsabilités qui la dépassent de loin et elle fait
beaucoup pour la disponibilité du médicament auprès de la population. L‟officine fait
preuve de flexibilité et prend des risques à la fois légaux et financiers pour contribuer
à améliorer l‟abordabilité du médicament.
Des officines qui s’inquiètent du contenu des réformes annoncées
Compte tenu des difficultés auxquelles font face les pharmaciens, les
remarques et suggestions fusent concernant les mesures à prendre pour assurer
une meilleure accessibilité des médicaments. Tout d‟abord, prenant la mesure du
204
souci exprimé par le Ministère de la santé concernant l‟accès au médicament, les
pharmaciens indiquent laconiquement qu‟il n‟était pas opportun en 2008, après plus
de vingt ans d‟exonérations, de prévoir une TVA de 7% sur les médicaments. La
FNSPM a fait campagne en dénonçant le fait que le Maroc est le seul pays arabe à
avoir mis en place une TVA sur le médicament. En outre, nos interlocuteurs insistent
sur le fait que loin d‟être un impôt neutre, la TVA est prise dans la marge brute de
30% des pharmaciens, qu‟elle ampute donc de 2,1%, faisant chuter la marge nette
d‟une profession en crise.
De plus, si l‟une des mesures phare prônée par le Ministère de la santé est
une utilisation plus conséquente du générique, alors les pharmaciens confirment
l‟utilité d‟une telle mesure et réclament le droit de substitution. Beaucoup mettent en
avant que trop souvent les prescriptions faites par les médecins, surtout les
spécialistes se concentrent sur des princeps aux prix élevés. Aussi introduire le droit
se substitution conduirait à légaliser une pratique déjà largement répandue en
officine, et permettrait de réduire la charge financière pesant sur les personnes ainsi
que la charge pesant sur les assureurs et l‟État. Un interlocuteur précise que le
médecin établit un diagnostic et prescrit un médicament ; mais le pharmacien est le
spécialiste du médicament et le droit de substitution doit lui être accordé. Le droit de
substitution permettrait, par ailleurs, au pharmacien de mieux gérer ses stocks et
d‟alléger ses charges financières. Toutefois, il est précisé que, pour assumer la
responsabilité de la substitution, la question de la bioéquivalence des génériques doit
être réglé et qu‟il faut prévoir des politiques de promotion du générique qui intègre le
pharmacien dont l‟officine constitue un point stratégique de communication avec la
population71.
Sur ce point les critiques fusent. Il y a, d‟un côté, les professionnels de la
santé, médecins en premier lieu, qui mettent en garde contre l‟introduction du droit
de substitution en pharmacie. On met en avant l‟absence fréquente du pharmacien
dans son officine et le fait que ce droit serait en pratique accordé à des employés
peu ou pas formés. A cela, nos interlocuteurs répondent, tout d‟abord, que l‟absence
ou la présence des pharmaciens en officine ne relève pas de la compétence des
médecins mais de l‟Ordre des pharmaciens qui peut contrôler et sanctionner les
contrevenants à l‟obligation faite au pharmacien d‟être présent dans son officine 72.
Ensuite, les personnes interrogées insistent sur le fait que le véritable enjeu est
ailleurs. Le risque est que les producteurs adressent leurs campagnes
promotionnelle généreuses davantage aux pharmaciens et moins aux médecins
généralistes et spécialistes. De fait, si le droit de substitution est introduit, alors le
pharmacien devient prescripteur et la cible des campagnes promotionnelles des
producteurs au détriment des médecins.
Enfin, concernant la révision des marges, les personnes interrogées font état
d‟un sentiment partagé par l‟ensemble de la profession. La proposition de révision
des marges dans l‟étude du groupe BCG souffre de lacunes importantes et de
conclusions erronées qui pourraient être à l‟origine de réformes catastrophiques pour
les officines selon nos interlocuteurs. Brièvement, à ce jour, les pharmaciens
Notre interlocuteur fait ici référence à une campagne lancée par le Ministère de la santé il y a quelques mois
pour vanter les mérites du Génis. Perçu comme une marque ou une spécialité, les personnes venaient
s’enquérir chez le pharmacien des vertus supposées de ce médicament.
72
Les textes réglementaires prévoient des contrôles et des sanctions renforcées contre les pharmaciens
contrevenants. En réponse, les professionnels de santé appellent simplement à une application des dispositions
déjà prévues par la loi existante, à savoir notamment des contrôles.
71
205
disposent d‟une marge brute de 30% sur les médicaments. Outre la révision du
mode de fixation du prix du générique exposé précédemment, le BCG propose de
revoir le système de marge unique pour promouvoir le générique dont le taux de
pénétration reste insuffisant sur le marché du médicament. De fait, préconisant
l‟introduction du droit de substitution, le BCG préconise également l‟introduction de
marges dégressives. Suivant le tableau ci-dessous, il serait donc notamment prévu
une marge de 60% pour le pharmacien pour la vente de médicaments dont le prix est
inférieur à 15 DH.
Tableau 43 : le système de marges applicable au médicament selon le BCG
Prix du médicament
Marge applicable
0-15 DH
60%
15-30 DH
50%
30-70 DH
35%
70-150 DH
25%
150-300 DH
20%
300-500 DH
15%
Plus de 500 DH
5%
Source : BCG 2010.
Selon ses calculs, BCG estime que suivant une élasticité de la demande par
rapport au prix et une consommation plus importante de génériques, les officines
verraient leur marge progresser de 2% ans l‟immédiat. Ce chiffre fut largement
commenté et critiqué par les officines à titre individuel ou par la voie de leurs
représentants professionnels. Un interlocuteur indiquera lui-même avoir fait des
estimations tenant compte du système de marge proposé et en arriverait à une
baisse de son chiffre d‟affaire de 30%, sans prendre en compte les coûts liés à une
gestion rendue plus complexe du médicament et de ses marges.
Selon une étude réalisée par Chattou (2011), si l‟on considère la structure de
la consommation de médicaments sur la base d‟un échantillon de 6.540 boites
vendues, il apparait que 45% des boites vendues ont un prix inférieur à 15 DH,
72,6%, un prix inférieur à 30 DH, et 95,3%, un prix inférieur à 70 DH. Moins de 1%
des boites vendues aurait un prix supérieur à 150 DH. Sur cette base, l‟auteur
propose de refaire le calcul des marges suivant le système de marge proposé par
BCG et parvient aux conclusions suivantes : la marge du pharmacien d „officine sur
le prix du princeps baissera de 1,47 points tandis que sa marge sur le générique
progressera de 1,3 points. Aussi, Chattou conclut que les estimations de BCG sont
optimistes. Toutefois, il convient de préciser que près de 280 millions de boites de
médicaments ont été vendues en 2009 (AMIP), l‟échantillon retenu représente donc
0,002%. Aussi si l‟effort est louable, la valeur de cette étude reste toute relative et
appelle donc une étude plus large et plus robuste.
Une fois passées les discussions spéculatives autour des effets de la révision
des marges, un interlocuteur rappelle sommairement que le système de marges
dégressives proposé par BCG s‟inspire du système appliqué en France depuis
quelques années dans le but de promouvoir le générique et d‟alléger les comptes de
l‟assurance maladie. Or, il semble que ce système ait eu des effets néfastes en
206
France : réduction du chiffre d‟affaires des officines, baisse de leur rentabilité et
multiplication des cas de faillite parmi la profession (Chattou 2010, d‟après Altarès,
2010). En réaction, le Ministère de la Santé a diligenté une commission d‟enquête
pour faire un état de la situation et prévoir toute mesure utile pour rétablir la situation
des officines. Aussi, on ne peut pas copier un système qui n‟a pas fait ses preuves
ailleurs, et notre interlocuteur ajoute que l‟officine française fait en moyenne un
million d‟euros de chiffre d‟affaire contre moins d‟un million de DH pour l‟officine
marocaine ; il faut donc savoir ramener les choses à leur juste valeur. De surcroit,
notre interlocuteur rapporte que l‟année dernière, l‟officine marocaine a subi des
pertes importantes suites aux baisses de 20 à 50% des prix de 315 médicaments.
Cette année, des baisses nouvelles concernent 115 produits. Il affirme ne pas être
contre les baisses de prix car il dit être ulcéré de voir les profits réalisés par les
producteurs. Cependant, il estime qu‟il est important que ces producteurs, ces
multinationales restent au Maroc, qu‟elles y gagnent de l‟argent : mettre en avant le
seul génériqueur marocain au risque du départ de la multinationale étrangère,
amènerait « à faire le comptoir » pour un envoi du médicament par la poste. L‟intérêt
pour le pays est d‟avoir des multinationales qui investissent et amènent un savoir
faire.
Si l‟on saisit bien les réticences des pharmaciens d‟officine à mettre en place
un système de marge dégressive et leur entrain à instaurer le droit de substitution, à
la question quel type de système faudrait-il pour promouvoir le générique, le plus
souvent le silence se fait pendant quelques secondes. Un interlocuteur nous livre ses
conclusions : il faut introduire le droit de substitution et conserver en l‟état le système
de marge. Il va sans dire que l‟on peut légitimement s‟interroger sur l‟intérêt du
pharmacien à substituer un générique à un princeps au risque de perdre une marge
plus importante. A cette interrogation, aucune réponse ne sera apportée.
En conclusion, une profession en crise fait des efforts importants pour assurer
la disponibilité et l‟abordabilité des médicaments au Maroc. Pour poursuivre ses
efforts, elle réclame le droit de substitution tout en soulignant que le prix du
médicament n‟est pas le premier problème limitant l‟accessibilité. Comme d‟autres
personnes interrogées, les pharmaciens sollicités insistent sur la nécessité d‟éduquer
les personnes à la santé, d‟instaurer comme en Tunisie un système de péréquations
entre les prix des médicaments essentiels et des médicaments de confort, de
concentrer la prise en charge des dépenses de médicaments par la collectivité sur
les affections de longue durée et la femme enceinte tout en prenant soin d‟étendre
au maximum la couverture médicale, c'est-à-dire prévoir des cotisations d‟une
population sur la plus grande échelle possible, et en premier lieu celles des
professionnels de la santé. Selon nos interlocuteurs, une fois de plus, la baisse du
prix du médicament n‟est pas une réponse à une absence d‟une politique du
médicament au Maroc nécessaire à la pérennité du système de soin et au secteur
pharmaceutique.
Les médecins
Ils sont les acteurs centraux de l‟utilisation du médicament au Maroc. Un
représentant d‟une organisation syndicale a été rencontré pour aborder l‟accessibilité
du médicament. Concernant la disponibilité du médicament, notre interlocuteur
indique brièvement que le médicament est disponible au Maroc : le marché propose
une large gamme de produits, ce qui permet parfaitement de répondre aux besoins
de la population. Concernant l‟abordabilité du médicament, il admet que les
207
médecins ont tendance à prescrire des princeps dont les prix sont élevés. Médecin
généraliste, il commencera par mettre en avant que cette tendance s‟observe
essentiellement chez les médecins spécialistes qui prescrivent de longues
ordonnances, faites de médicaments et d‟examens complémentaires, et du coup
chères.
Il avance plusieurs explications. Tout d‟abord, la pression commerciale
généreusement exercée par les producteurs de princeps sur les médecins
spécialistes pour les inciter à prescrire les médicaments les plus récents et les plus
chers. Ensuite, une ordonnance importante et chère contribuerait au prestige du
médecin qui apparait alors comme plus crédible, plus professionnel au regard du
patient. En écho, il soutient qu‟il existe hélas une idée préconçue y compris dans la
relation médecin-patient selon laquelle plus le médicament prescrit est cher, plus il
est efficace. Notre interlocuteur ajoutera que des ordonnances importantes font le
bonheur des pharmaciens qui renvoient alors des clients au prescripteur. Au
contraire, des petites ordonnances irritent les pharmaciens qui n‟hésiteraient pas à
dénigrer le médecin et à inciter le patient à changer de médecin.
Notre interlocuteur concédera que du coté des généralistes, il existe deux
types de médecins. Il y a ceux qui participent aux tables rondes des producteurs,
suivent leurs recommandations à la lettre et prescrivent des ordonnances
importantes faites de princeps couteux à l‟instar des spécialistes. Il s‟empressera de
préciser que ce sont des médecins généralistes qui ont passé différents diplômes
universitaires (notamment en France) pour compléter leur formation et qui se
situeraient donc entre le généraliste et le spécialiste. De l‟autre, il y a les médecins
qui travaillent avec le bon sens clinique et qui évitent de prescrire des ordonnances
trop longues. Pour sa part, pour une personne souffrant d‟hypertension artérielle, il
lui demande de rentrer chez lui, de ne pas manger de sel pendant une semaine et de
revenir le voir. Il reprend alors sa tension, voit si celle-ci a baissé, et demande donc
au patient de revenir plus tard. Il dit prendre son temps et éviter la prescription
immédiate de médicaments coûteux et d‟examens complémentaires. Il soutient que
chez un spécialiste ce patient auraient reçu une batterie d‟examens complémentaires
à réaliser assortie d‟une consommation des médicaments les plus chers avec ordre
du médecin de revenir tous les mois ou tous les deux mois pour des raisons
commerciales.
Par ailleurs, pour expliquer pourquoi les spécialistes et les généralistes dans
une moindre mesure rechignent à prescrire du générique, il avance la question des
tests de bioéquivalence. Il ne dit pas que le générique produit localement est
mauvais, il note les remarques de collègues gastroentérologues qui, à la vue des
résultats d‟une fibroscopie, constatent par exemple que des inhibiteurs de la pompe
à proton ne sont pas efficaces vu la cicatrisation insuffisante chez le patient. Il reste
sceptique mais affirme que l‟État doit prendre ses responsabilités et garantir la
qualité du générique. Il doit imposer les tests de bioéquivalence aux producteurs de
génériques. Ainsi, la question de la qualité sera réglée, le médecin n‟aura plus à se
soucier de cette question et pourra prescrire du générique en toute quiétude 73.
Pourtant durant l’entretien, notre interlocuteur fera état également de sa suspicion vis-à-vis des tests de
bioéquivalence qui seraient parfois obtenus par complaisance. Cette remarque pose un autre problème : non
pas simplement celui de l’obligation faite aux génériqueurs de poser des dossiers de demande d’AMM avec tests
de bioequivalence, mais celui de la confiance que les médecins accordent aux instances en charge de l’examen
de ces dossiers et du contrôle de la qualité du médicament.
73
208
Pourtant, notre interlocuteur reconnait que la tâche sera rude. Sous la
pression commerciale constante des producteurs, les médecins pourraient bien être
incapables dans une large mesure de prescrire en DCI. C‟est pourquoi, notre
interlocuteur affirme que les pouvoirs publics doivent règlementer la formation
continue qui devrait être indépendante des laboratoires. Il plaide en faveur de la
création d‟une agence nationale de la formation médicale continue. Le Ministère de
la santé, le Conseil de l‟ordre, les associations, les syndicats, l‟université doivent
élaborer ensemble les grandes lignes de la formation continue et légiférer. Pour
financer la formation continue, les producteurs verseraient un pourcentage de leur
chiffre d‟affaires à cette agence qui formerait donc les généralistes et les
spécialistes, ce qui permettrait une formation continue adaptée aux spécificités
nationales.
Si notre interlocuteur admet que la prescription en DCI sera difficile, il écarte la
proposition d‟introduire le droit de substitution en officine. Comme il a été vu
précédemment, il est inenvisageable d‟accorder le droit de substitution à une
profession dont l‟absentéisme en officine est dénoncée par beaucoup, et de fait
accorder ainsi un droit qui sera utilisé en pratique par des personnes non qualifiées.
En revanche, il pense qu‟il faut prévoir un système de marge qui permette au
pharmacien d‟y trouver son compte.
Concernant l‟état d‟esprit des patients vis-à-vis du générique, le discours de
notre interlocuteur est double. Il met en avant la relation de confiance qui existe entre
le médecin et son patient. Aussi, si le médecin décide de prescrire un générique,
explique au patient, il n‟y aura pas de réticence. Mais il admet également que pour
des personnes à revenus élevés, la prescription de génériques risque de détourner
le patient du cabinet du médecin. Ainsi, notre médecin avoue prescrire
systématiquement du princeps à des personnes ayant les moyens et disposant
éventuellement d‟une assurance maladie. De même, pour les pathologies lourdes du
type insuffisances rénales, notre médecin avoue prescrire le princeps pour dit-il
« mettre toutes les chances du côté du patient ».
Enfin, à la question du prix du médicament jugé trop cher par certains, il
préfère évoquer la question des soins en général. Il plaide pour la mise en place
dans les plus brefs délais du parcours de soin coordonné autour du médecin
généraliste pour éviter la multiplication des consultations, des prescriptions et des
dépenses.
209
Conclusion
Le médicament constitue sans nul doute un défi majeur au Maroc compte tenu
de son importante dans les dépenses totales de santé en général et les dépenses de
santé des ménages en particulier. La question de son accessibilité se pose dans le
cadre d‟une politique pharmaceutique du médicament qui englobe plusieurs
éléments : les différentes dimensions de l‟accessibilité que sont la disponibilité,
l‟abordabilité et la qualité du médicament ; les différentes étapes du circuit du
médicament que sont la sélection, l‟acquisition, la distribution et l‟utilisation ; des
modes de financement public et privé ; de l‟implication de divers acteurs intervenant
dans le circuit du médicament et influençant une ou plusieurs dimensions de
l‟accessibilité.
Des acteurs publics et privés divers interviennent dans l‟accessibilité du
médicament, au niveau central (acteurs publics des directions et divisions opérant
sous la tutelle du Ministère de la santé), au niveau national (producteurs,
distributeurs, dispensateurs, prescripteurs) et au niveau périphérique (prescripteurs
et dispensateurs intervenant en CS). Ils agissent à des étapes diverses du circuit du
médicament et impactent une ou plusieurs dimensions de l‟accessibilité du
médicament.
Au niveau central, des acteurs publics comme la DMP, la DA ou la DHSA font
des efforts importants pour améliorer l‟accessibilité du médicament à la fois dans le
secteur public et le secteur privé. Les ressources et outils mobilisés par la DHSA
visent une meilleure disponibilité des médicaments dans les hôpitaux et CS,
notamment des médicaments pour les affections de longue durée en collaboration
étroite avec de la DP et la DELM. L‟augmentation sensible des budgets enregistrée
ces dernières années et les mesures permettant une participation des CS à la
définition de leurs besoins ont permis une meilleure prise en charge des patients
souffrant de maladies chroniques comme le diabète, l‟hypertension artérielle ou
encore la tuberculose et l‟accès à des médicaments vitaux coûteux.
La DA a mis en place des outils permettant une meilleure disponibilité, une
plus grande abordabilité et une qualité plus sûre des médicaments dispensés dans le
secteur public. En particulier, l‟attention de la division se concentre essentiellement
sur l‟abordabilité des médicaments vitaux et non vitaux dans le secteur public avec
l‟usage large des procédures d‟appel d‟offre sur une base nationale. Cela a permis
de faire baisser les prix, de rendre le médicament plus abordable pour les finances
publiques et la collectivité et d‟accroitre la disponibilité en prévoyant des quantités
plus importantes de médicaments dans le secteur public.
La DMP suit des procédures d‟enregistrement du médicament et de contrôle
qualité, d‟un côté, et de fixation des prix, de l‟autre, qui veillent à la disponibilité de
médicaments de qualité et abordables sur le territoire. La certification du LNCM par
l‟Europe et sa préqualification par l‟OMS attestent de progrès soutenus en faveur du
contrôle de la qualité des médicaments commercialisés au Maroc. De surcroit, des
discussions sont en cours pour améliorer grandement les procédures de fixation des
prix des médicaments importés et produits localement de façon à soutenir l‟objectif
d‟abordabilité pour le Minsitère de la santé et les ménages, et de viabilité pour
l‟industrie pharmaceutique locale.
210
Au niveau national, si les efforts des acteurs privés en faveur de l‟accessibilité
du médicament sont divers, leurs avis convergent globalement vers un point.
L‟accessibilité du médicament est un enjeu majeur qui révèle un défi de taille, celui
de la couverture médicale. Ce défi dépasse de loin les efforts que pourraient
consentir les acteurs privés en mettant à mal éventuellement leur viabilité. Ainsi, les
producteurs nationaux ont développé des capacités industrielles considérables en
formulation permettant de produire localement une large gamme de médicaments et
de couvrir 70% des besoins de la population. Ils voient d‟un mauvais œil toute
tentative de faire baisser les prix dans un secteur où les coûts de production sont
élevés du fait de volume de production faibles, d‟un marché du médicament étroit et
d‟un pouvoir d‟achat insuffisant. De même, les distributeurs rejettent toute idée de
révision de leur marge faisant valoir les ressources considérables déployées pour
assurer la disponibilité du médicament sur tout le territoire, y compris les zones les
plus éloignées. Pour leur part, les pharmaciens d‟officines, bien que soucieux de la
pénétration du générique sur le marché du médicament, considèrent avec la plus
grande méfiance une révision de leur marge dans un contexte davantage
préoccupant de crise de la profession. Aussi, les discussions se multiplient entre les
acteurs pour sortir de l‟impasse et prévoir des outils appropriés pour améliorer
l‟accès de la population au médicament. L‟objectif étant également de ne pas affaiblir
l‟industrie locale, la distribution et l‟officine.
Pendant ce temps, les médecins doutent toujours de l‟efficacité des
génériques et les pharmacies d‟officine se sont multipliés contribuant à rendre le
médicament accessible y compris dans les zones les plus reculées, mais dans un
marché très étroit où il convient d‟adopter diverses stratégies (substitution, crédit,
etc.) pour fidéliser leur clientèle et pouvoir bénéficier de recettes parfois relativement
modestes.
De fait, si les producteurs, les distributeurs, les pharmaciens d‟officine et les
médecins appellent l‟État à étendre la couverture santé en étendant le nombre de
cotisants et en se concentrant sur la prise en charge des affections de longue durée,
il semble qu‟en pratique au moins un point soit entendu. Les dotations budgétaires
des CS ne permettent pas autre chose que la prise en charge de ces affections,
reléguant donc au secteur privé la satisfaction des besoins des patients en
médicaments non vitaux. Il reste donc à voir semble-il les moyens d‟élargir la
couverture santé et le nombre de cotisants.
211
Références
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des médicaments génériques, Communication, Réunion de présentation à la
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Congrès international des pharmaciens.
Zniber M. J. & Es-Semmar R. (2010), Où va la pharmacie au Maroc ? Analyse d’une
profession en crise, Empreintes.
212
Chapitre - 9 –
L’accessibilité du médicament en pratique
au niveau périphérique dans les trois sites de l’étude
Mohammed Wadie Zerhouni et Samira Guennif
En cohérence avec les autres volets de l‟étude, nous nous sommes rendus
dans les régions de Salé, Azilal et Figuig pour enquêter sur la disponibilité des
médicaments en périphérie. Des entretiens semi-directifs avec les délégués
préfectoraux ou provinciaux, les pharmaciens de ces délégations, les médecins et
les infirmiers ont permis de discuter de la disponibilité et de la qualité des
médicaments dispensés dans les CS. Nous avons également utilisé une liste de
médicaments vitaux et non vitaux extraite de la « liste national de médicaments
essentiel » afin d‟évaluer leur disponibilité effective dans les CS et en officines.
L’accessibilité du médicament à Salé
L’avis en délégation et en pharmacie préfectorales
Le budget
La pharmacie préfectorale de Salé dispose d‟un budget pour les médicaments
de 4,5 millions de DH à répartir entre 24 CS et une population d‟un million
d‟habitants. La répartition du budget entre les CS se fait essentiellement selon le
critère de la population. Il y a eu un effort en 2011 pour intégrer un critère de
fréquentation des CS, mais ce critère ne donnerait pas une idée précise de la
consommation de médicaments. Le délégué précise que le budget est établi au
niveau central et qu‟il y a eu reconduction de celui-ci depuis trois ou quatre ans. Or,
auparavant le budget ne comprenait pas l‟insuline, les kits d‟accouchement et les kits
d‟hémodialyse, qui sont désormais inclus ; aussi, il y a eu une baisse relative du
budget.
La commande annuelle
La Délégation reçoit une notification des crédits alloués dans le cadre de la
procédure de commande annuelle. Elle réceptionne un formulaire de commande
informatisé de la DA. Pour procéder à la commande, le Comité SIAAP du
médicament et des dispositifs médicaux se réunit. Le médecin chef du SIAAP, le
pharmacien de la délégation, des médecins spécialistes et des médecins chefs de
CS siègent et décident sur la base du formulaire des médicaments à sélectionner et
des quantités nécessaires. La formulation de la commande se fait donc par
consensus au sein du comité pour répondre aux besoins des utilisateurs, c'est-à-dire
des médecins.
213
Toutefois, la procédure prévoit des priorités telles que les maladies chroniques
(diabètes, insuffisance rénale ou hypertension artérielle) et les kits d‟accouchement.
En effet, la commande doit impérativement intégrer les patients pris en charge pour
des maladies chroniques comme le diabète ou l‟insuffisance rénale. Il y a donc
reconduction de la commande pour ces maladies pris en charge plus une majoration
pour les diabétiques par exemple. Le crédit est réparti ensuite pour les autres
médicaments essentiels. Ces priorités représentent déjà 40% du budget. En
pratique, le comité statue donc pour 60% du budget.
La livraison de la commande
La livraison de la commande avait habituellement lieu tous les trimestres. En
2011 la commande annuelle a été livrée en une seule fois, ce qui a occasionné des
problèmes de stockage à la pharmacie de la délégation.
De fait, les normes en matière de stockage ne sont pas respectées. Ces
problèmes peuvent gêner finalement la disponibilité des médicaments. Il y aurait un
manque d‟espace. Au moment de la visite les médicaments destinés à l‟hôpital de la
préfecture étaient stockés par la pharmacie préfectorale. Le responsable insiste sur
le fait qu‟il doit approvisionner les CS, l‟hôpital, les programmes de santé, etc. Or,
seuls cinq personnes gèrent les stocks : le pharmacien, le responsable, le
préparateur en pharmacie, l‟administrateur économe et un infirmier. Les flux sont
difficiles à gérer. Il manquerait trois personnes pour assurer une gestion des stocks
convenable : un préparateur, un technicien informatique et un manutentionnaire. Il
manquerait également des transpalettes et des échelles.
Il est à noter qu‟une chambre froide est en construction. D‟une surface de
15m², elle est destinée au stockage de la commande annuelle d‟insuline (les vaccins
et autres produits thermosensibles sont stockés au SIAAP). En attendant, le
stockage se fait dans 4 congélateurs.
Une fois la commande reçue et stockée à la pharmacie, les médicaments sont
livrés aux CS : 10 jours de livraison dans les 26 CS sont prévus par trimestre. Il peut
y avoir également des livraisons ponctuelles plus rares pour répondre à des
commandes urgentes. La délégation met à la disposition de la pharmacie un à deux
véhicules pour effectuer ces livraisons.
La gestion des stocks
Le taux de satisfaction de la commande passée en 2009 pour l‟exercice 2010
n‟est pas de 100%. Il resterait un reliquat de l‟année passée qui sera livré cette
année sauf si la Délégation recourt à la procédure qui lui permet d‟opérer des
modifications des produits contenus dans le reliquat à livrer. Le responsable de la
pharmacie estime globalement à 80% le taux de satisfaction de la commande pour
l‟année précédente. Il manquerait donc 20% de la commande qui seront livrés en
2011. En conséquence, des ruptures de stock ont été observées en début d‟année.
Ensuite, il y a pendant l‟année des ruptures de 2-3 mois.
Concernant la péremption des médicaments, il existe une procédure qui
prévoit que le médecin chef doit justifier de la péremption de certains médicaments
avant de les retourner à la délégation. On renvoie les médicaments proches de la
péremption à la pharmacie pour qu‟elle puisse les redistribuer dans d‟autres CS.
Depuis 3-4 ans, il n‟y aurait plus de problèmes de péremption dans la Délégation.
214
Sauf pour certains médicaments proches déjà de la date de péremption et qui sont
envoyés par les autorités centrales pour accélérer leur usage et éviter justement leur
péremption. Ces médicaments ne font pas partie des commandes.
Le responsable de la pharmacie indique que dès la livraison d‟un produit, la
date de péremption est saisie informatiquement. Quand il y a risque de péremption
(le produit est toujours stocké dans la pharmacie 6 mois avant la date de
péremption), le responsable « fait sortir le produit » : il livre les CS pour qu‟ils utilisent
le produit avant sa péremption. S‟il y a un risque de péremption cette fois-ci au
niveau des CS (toujours 6 mois avant la date de péremption), le CS doit renvoyer le
produit à la pharmacie qui l‟expédiera éventuellement vers d‟autres CS.
Le responsable signale faire des contrôles dans les CS pour voir s‟il y a des
produits périmés et des risques de péremption liés à du « surstockage ». Il vérifie
dans les CS les quantités trimestrielles livrées et les quantités effectivement
consommées. Si, pour un produit donné, les quantités livrées sont de 60 pour un CS
et que la consommation effective du CS est de 20, alors il reste un stock de 40 qui
correspond du coup à la consommation effective du centre pour les deux trimestres
suivants. Aussi, le responsable bloque la livraison pendant les deux trimestres
suivants, le temps que le CS écoule ses stocks. Le responsable indique n‟avoir
jamais eu de retours de produits périmés.
Pour sa part, le Délégué fait état d‟un problème important de péremption lié à
deux éléments. D‟une part, il y aurait des livraisons de produits dont les dates de
péremption seraient proches. C‟est le cas des produits qui ne figurent pas dans la
commande comme ceux contre les infections sexuellement transmissibles. D‟autre
part, il y aurait une attention insuffisante accordée à la gestion des stocks dans les
CS.
L’accessibilité du médicament au niveau des CS
Le Délégué relate, tout d‟abord, l‟expérience d‟un nouveau CS dans lequel la
pharmacie est vitrée, disposée au centre de l‟établissement et gérée par une
personne à temps plein. L‟accessibilité visuelle est importante selon le délégué.
Notre interlocuteur doute du bienfondé du principe de la gratuité. Quand un
soin est gratuit, l‟acte médical et le personnel médical seraient dévalorisés. En outre,
il n‟y aurait pas de contrôle de la couverture médicale de la population qui fréquente
les CS, donc la gratuité s‟appliquerait à tous grevant les dépenses publiques.
Concernant l‟accessibilité du médicament et donc sa dispensation gratuite dans les
CS pour les populations éligibles, il craint que la gratuité ne limite l‟observance des
patients et favorise le développement de résistances.
Médecin de formation, le Délégué note des problèmes au niveau de la
prescription dans le CS. A titre d‟exemple, les médecins préféreraient prescrire de
l‟amoxicilline à 150 DH sous princeps plutôt que celui à 16 DH sous générique. Selon
lui, les médecins auraient donc tendance à prescrire un médicament non disponible
en centre, ce qui obligerait les patients à se le procurer en officine. L‟argument des
médecins serait que la qualité de certains génériques pourrait être inférieure à celle
de la molécule mère. Ces médecins réclament que les études cliniques leur soient
transmises dans le cadre de leur information et leur formation continue. Pour
l‟hypertension artérielle, les prix des médicaments varient de 20 à 500 DH. Or, les
cardiologues préfèrent prescrire la molécule mère, plus chère. Le délégué ne nie pas
215
l‟avantage de certains médicaments princeps onéreux qui pourraient éventuellement
éviter la prescription d‟examens médicaux coûteux. Dès lors, si le médicament
prescrit est cher, le coût global du traitement pourrait être finalement moins cher pour
le patient, voire pour les finances publiques grâce à une guérison plus rapide.
En outre, le délégué appelle à mieux cibler les médicaments gratuits. Il estime
que les soins doivent être gratuits mais que les patients doivent participer en prenant
en charge les médicaments. Aussi, le mieux serait donc de transférer une partie de
l‟offre de médicaments dispensés dans les CS vers les officines, offre qui serait
désormais à la charge des patients pour des pathologies comme les pneumopathies,
les angines ou ce qui relève plus largement de l‟usage d‟antibiotiques. Il appelle à
surtout favoriser la gratuité des médicaments pour les maladies chroniques
(tuberculose, insuffisance rénale, diabète,…), la vaccination et les kits
d‟accouchement.
Le délégué rapporte que la mission des CS évolue. Ils interviennent à 70% sur
du curatif et à 30% sur du préventif alors qua ça devrait être le contraire. Cela a un
effet sur la qualité de la prise en charge. Sans compter que les patients viennent
pour tout et rien dans les CS. Le délégué regrette que l‟on n‟ait ni le temps, ni
l‟espace, ni le personnel pour faire du préventif. La charge de travail augmente dans
les CS avec l‟importance des programmes de santé sur le diabète, TB/Sida, cancer,
etc., sans compter le manque de personnel paramédical dans les CS.
Concernant la qualité des médicaments dispensés dans les CS, le délégué fait
état d‟un problème rencontré pour un antibiotique. La procédure à suivre consiste à
réunir le comité du médicament et des dispositifs médicaux, qui dresse un procèsverbal, suspend l‟utilisation du médicament dans les CS et envoie des échantillons à
la DA pour un contrôle. Le retour de l‟avis de la direction est attendu avant toute
reprise de l‟utilisation du médicament.
L’avis des professionnels médicaux exerçant en centre de santé à Salé
Les professionnels de santé de trois CS ont été rencontrés (El Karya,
Laayayda1, Souani). La population de référence des CS visités varie entre 33.000 et
84.000 personnes, avec un taux variant de 1 personnel de santé pour 2.900
habitants à un personnel pour 6.600 habitants.
Chaque CS reçoit une dotation trimestrielle de médicaments. Il n‟existe pas
une procédure standard concernant l‟allocation de ces stocks dans le CS. En
général, les médicaments sont entreposés dans un local faisant office de pharmacie
et sont gérés par l‟infirmier major qui reçoit les patients, vise l‟ordonnance et leur
délivre le médicament. L‟infirmier major ne gère pas les stocks à temps plein : il est à
la fois en consultation et assure la dispensation des médicaments en pharmacie.
Échappant à la règle générale, un CS déclare que les médicaments sont gérés par le
médecin chef, un autre indique que les médicaments sont répartis entre les salles de
consultation sous la responsabilité de chaque médecin et qu‟un stock de réserve est
disposé dans un local sous la responsabilité de l‟infirmier major.
La disponibilité des médicaments
Il n‟y aurait pas de ruptures de stock pour les médicaments des programmes
contre les maladies chroniques comme le diabète, la tuberculose, les IST/Sida ou
l‟hypertension artérielle. A cela deux raisons majeures selon les remarques faites par
nos interlocuteurs : la part du budget en médicaments affectée à la prise en charge
216
de ces maladies est importante ; la gestion des stocks concernant ces médicaments
est plus soigneuse. S‟il y a un problème de stocks, il est résolu dans la journée. Le
major se rend à la Délégation pour aller chercher le médicament. En outre, il y a des
contacts téléphoniques quotidiens pour évaluer les stocks disponibles. Ainsi, en
particulier pour des produits comme l‟insuline, aucune rupture de stock n‟est reportée
du fait d‟un contrôle strict des stocks. Toutefois, un CS fait état de ruptures de stock
pour les médicaments contre l‟hypertension artérielle : 10 jours de rupture ont été
rapportés au cours d‟un trimestre.
En revanche, les ruptures de stock pour les médicaments hors programmes,
hors maladies chroniques sont fréquentes. Tous les CS rapportent des ruptures de
stock non négligeables pour les antibiotiques (formulations pédiatriques ou adultes),
les anti-inflammatoires ou encore les antipyrétiques. Certains rapportent des
dotations trimestrielles d‟antibiotiques épuisés en deux mois, d‟autres reportent des
ruptures de stock pour des antipyrétiques de plus de quatre mois. Nos interlocuteurs
expliquent ces ruptures par le fait que le budget alloué aux traitements des maladies
chroniques laisse peu de moyens au traitement d‟autres infections moins sévères.
Aussi, pour celles-ci, les ruptures de stock sont plus fréquentes et la disponibilité plus
limitée. Ajoutons à cela, compte tenu des remarques faites par nos interlocuteurs,
que la gestion de ces médicaments est peut être moins rigoureuse en considération
des enjeux sanitaires moindres ; il ne s‟agit pas de médicaments vitaux.
La qualité des médicaments prescrits
On note des situations très contrastées. Les médecins d‟un CS disent ne
relever aucun problème de qualité des médicaments dispensés en centre. Au
contraire, les médecins d‟un autre CS notent de multiples problèmes, notamment
pour un médicament contre l‟hypertension artérielle qui ne serait, du reste, pas
dispensé en officine et à l‟efficacité discutable. Il n‟y a pas de plaintes des patients
mais les médecins constatent que le médicament n‟agit pas : il n‟y a pas
d‟amélioration de l‟état de santé de la plupart des patients lors des visites de
contrôle. Les médecins assurent par ailleurs qu‟ils connaissent des patients qui
suivraient bien leur traitement et dont l‟état de santé ne s‟améliorerait pas après la
prise du médicament en question. Ce problème date de 2010 et le médicament n‟est
plus disponible en centre. Les médecins ne font pas remonter les informations
concernant la qualité des médicaments vers le Ministère de la santé. Ce même
centre note également des problèmes de qualité pour un médicament contre les
infections à staphylocoques. En l‟absence de substitut à ce produit jugé peu efficace,
les patients seraient alors obligé de se procurer un médicament plus efficace en
officine. Enfin, les médecins notent un problème d‟efficacité pour certains
antidiabétiques comme le révéleraient des analyses sanguines de patients ;
toutefois, ils admettent qu‟il est délicat de se prononcer car l‟efficacité du traitement
est tributaire de l‟observance d‟un régime alimentaire stricte de la part des patients.
Sans rapporter de problème de qualité particulier, un dernier CS met en avant
quelques points. Tout d‟abord, la qualité des médicaments est jugée bonne, y
compris par les patients qui achètent les mêmes produits en officine. Aussi, les
patients font confiance aux médicaments dispensés en centre. Ensuite, les médecins
admettent avoir quelques réticences envers les médicaments peu chers disponibles
en CS. Enfin, lorsque l‟on évoque la qualité des médicaments, les médecins parlent
des cas de résistance à des médicaments comme les antibiotiques. Ils mettent en
217
cause l‟automédication théoriquement impossible puisque ces médicaments sont
délivrés sur ordonnance.
Les pratiques de prescription des médecins
Les médecins des CS interrogés rapporteront tous prescrire un nombre limité
de médicaments par ordonnance. Ce nombre varie entre deux et quatre
médicaments. Les raisons invoquées sont de deux ordres : l‟observance et le pouvoir
d„achat des patients. Par exemple, les médecins d‟un premier CS indiquent avoir
tendance à prescrire 3-4 médicaments par ordonnance pour aider le patient à se
conformer au traitement. Selon eux, lorsque le nombre de médicaments par
ordonnance augmente, il y a un risque de confusion chez le patient et un risque qu‟il
ne suive pas correctement la prescription. Ces médecins évoquent la pratique d‟une
prescription du juste nécessaire pour éviter l‟accident. Les médecins d‟un autre CS
rapportent prescrire en moyenne trois médicaments par ordonnance compte tenu du
faible pouvoir d‟achat de la population. Enfin, les médecins du dernier centre
indiqueront avoir mis en place une règle simple en matière de prescription : pas plus
de deux médicaments par ordonnance.
Interrogés sur le nombre de médicaments prescrits que le patient pourra
trouver en centre, tous les médecins répondent que la dispensation incomplète de
ceux-ci est la règle compte tenu des contraintes budgétaires et des ruptures de
stock. Dans un premier CS, les médecins indiqueront qu‟en moyenne sur 4 prescrits,
le patient en trouvera deux en CS et devra donc se rendre en officine pour se
procurer les deux autres. Les médecins ajoutent que les patients bénéficiant d‟une
couverture médicale achèteront la totalité des médicaments indisponibles en CS
tandis que la majorité des patients non couverts ne pourra pas les acheter. Les
médecins concluent alors qu‟ils font ce qu‟ils peuvent pour prescrire aux personnes
non couvertes les médicaments disponibles en CS. Pour les médicaments aux
stocks limités en CS, ils auront tendance à prescrire et à dispenser en centre toute la
durée du traitement aux démunis et ne donner que la moitié du traitement à ceux qui
peuvent payer et compléter le traitement en officine.
Les médecins d‟un autre centre rapportent qu‟en moyenne sur 3 médicaments
prescrits, les patients en trouveront un seul disponible en CS. Donc le patient devra
aller en officine pour se procurer les 2 médicaments restants. Ceux-ci sont
essentiellement des antibiotiques, des fluidifiants, des antalgiques, des antiinflammatoires ou des médicaments contre l‟asthme. Les médecins disent alors
prescrire les molécules les moins chères en officine.
Les médecins du dernier CS confirment faire attention au prix du médicament
sur les deux prescrits que les patients devront se procurer en officine, prix qu‟ils
connaissent grâce aux visites des délégués médicaux.
La dispensation des médicaments en officine
Les médecins indiquent que les officines ne respectent pas toujours
l‟ordonnance. Souvent, ils constatent des substitutions lorsque les patients
reviennent au CS avec l‟ordonnance et les médicaments achetés, pour
éventuellement avoir le cachet du médecin sur les feuilles de soin et se faire
rembourser pour les patients bénéficiant d‟une assurance maladie. Selon les
médecins, il peut y avoir substitution parce que le produit n‟est pas disponible ou
l‟officine veut vendre un médicament plus cher au patient. Ces médecins pensent
218
que ces pratiques sont plus le fait non pas du pharmacien mais des employés
d‟officine. Dans de rares cas, il peut y avoir des changements thérapeutiques, par
exemple, substituer un antibiotique pour un autre plus fort, qui est le princeps, avec
un prix plus élevé.
L’accessibilité du médicament à Azilal
L’avis en délégation et en pharmacie provinciale
La province d‟Azilal compte environ 525.000 habitants. Elle est couverte par
un réseau de 76 formations sanitaires (CSU, CSC, CSCA, DR,…) organisées en 11
circonscriptions sanitaires. Ce réseau a bénéficié en 2010 d‟un budget de 8,3
millions de DH pour l‟acquisition des produits pharmaceutiques, dont 7,5 millions
réservés aux médicaments. Ce budget est réparti sur l‟ensemble des CS suivant la
population couverte et l‟existence d‟officines.
La gestion des médicaments à l‟échelle provinciale est assurée par la
pharmacie provinciale qui est sous la responsabilité d‟un pharmacien aidé d‟une
préparatrice en pharmacie, un technicien (frigoriste) et un agent. Cette pharmacie se
charge, en début d‟année, de l‟élaboration de la commande annuelle en
médicaments et dispositifs médicaux en concertation avec les médecins
responsables des circonscriptions sanitaires. Un comité provincial des médicaments
se réunit en fin de processus pour valider et arrêter la liste des produits à acquérir
pour satisfaire les besoins de la population.
La pharmacie provinciale avait reçu, jusqu‟au mois d‟avril, 30% de sa
commande 2010. Plusieurs réceptions ont été réalisées durant l‟année 2010 (à partir
du mois de janvier) et concernaient surtout l‟insuline. Ce n‟est qu‟à partir du mois de
novembre qu‟a commencé la livraison des médicaments autres que l‟insuline.
Photo 4 : la pharmacie de la Province d‟Azilal à l‟hôpital
La réception des médicaments se fait à la pharmacie provinciale, située au
sein de l‟hôpital. Elle est composée de trois dépôts dispersés. La pharmacie souffre
de problème d‟espace de stockage. Si au moment de notre visite, une nouvelle
structure venait d‟être construite bien que non encore réceptionnée par l‟équipe, elle
219
ne répond pas aux normes de stockage. Constituée de petites salles ayant une faible
hauteur sous plafond, cette structure est de fait peu adaptée au stockage et à la
gestion de quantités importantes de médicaments. Pour résoudre les problèmes
d‟espace, la pharmacie est contrainte de livrer aux CS de grandes quantités de
médicaments et dispositifs médicaux.
La gestion des stocks se fait à l‟aide d‟outils comme les fiches de stock, la
main courante, le registre de contrôle de la température pour les médicaments
nécessitant la chaine de froid, les fiches inventaires et des outils informatiques qui
facilitent le traitement et l‟analyse des données (sans application dédiée à la gestion
d‟une pharmacie). Ces outils sont mis à jour régulièrement à chaque mouvement de
stock : sortie ou entrée.
L‟équipe en charge de la gestion de la pharmacie fait état de problèmes de
déchargement liés au manque de personnels : 25 tonnes de médicaments tout les 23 mois. Quand de grosses livraisons arrivent, il y a des problèmes de vérification des
quantités livrées. Avant, les dates de péremption étaient vérifiées, aujourd‟hui, ce
problème ne se pose plus. On constate néanmoins que des produits arrivent hors
saison comme les sirops anti-toux ou les anti-diarrhéiques. La pharmacie est obligée
de livrer ces produits aux CS pour des raisons d‟espace de stockage. Du reste, la
pharmacie stocke également les produits programmes gérés par le SIAAP.
La pharmacie provinciale procède à la livraison des circonscriptions sanitaires
et des CS suivant un calendrier trimestriel. Les livraisons sont effectuées dans des
véhicules de la délégation.
La pharmacie ne note pas de problème particulier concernant la qualité des
médicaments mais les dates des produits livrés à une certaine période. Désormais,
la pharmacie ne livre plus de produits dont la date de péremption est proche, donc le
problème a été résolu.
L’avis des professionnels médicaux exerçant en centre de santé à Azilal
Comme précédemment, les professionnels de santé de trois CS ont été
rencontrés. Les CS visités offrent des configurations très disparates. La population
couverte par ces CS varie entre 4.000 dans un village très enclavé de l‟est de la
Province, à 11.000 pour une petite localité de l‟ouest de la Province. Aussi, la densité
médicale varie du simple au quintuple : un personnel de santé pour un peu plus de
1.300 habitants pour le premier, 1 pour 6.000 dans un autre village. Zone pilote pour
le RAMED, la région compte une large population couverte par le dispositif prévu
pour les indigents. Les entretiens réalisés avec les équipes médicales de ces CS
laisse apparaitre également des situations à la fois contrastées et identiques.
La gestion des stocks
Une fois de plus, il n‟existe pas une procédure standard. Un médecin assure
la gestion des stocks dans un CS tandis que dans les deux autres CS, cette tâche
incombe à l‟infirmier major ou une infirmière aidée du major.
220
La disponibilité des médicaments
Comparé à la situation des trois CS situés à Salé, les entretiens réalisés avec
les personnels de santé à Azilal indiquent que l‟indisponibilité et les ruptures de stock
ne concernent pas simplement les médicaments hors programmes comme les
maladies non chroniques.
Un CS, qui n‟est pas situé dans une zone particulièrement enclavé,
commence par souligner le fait que la livraison de médicaments n‟a pas lieu tous les
trimestres, mais quelques fois tous les 4-5 mois. Ensuite, il est indiqué que des
médicaments sont livrés en petites quantités. C‟est le cas des corticoïdes dont
quelques boites sont livrées par trimestre et dont la dotation trimestrielle est épuisée
après une semaine. De même, nos interlocuteurs précisent que pour des
médicaments contre les IST comme les antimycosiques ovules, la dotation
trimestrielle est épuisée en 20 jours dans une région où ces infections constituent un
problème majeur de santé publique. Cette situation oblige chaque femme qui vient
accoucher au CS à acheter les médicaments en officine. Enfin, il y a des ruptures de
stock pour les antidiabétiques oraux. Ces ruptures sont importantes puisque la
dotation couvre 60% du trimestre, obligeant le médecin à rester un mois, voire un
mois et demi sans médicaments disponible au centre. Pour tous ces médicaments, il
s‟agit de médicaments programmes pour la lutte contre l‟asthme, le diabète ou
encore les IST/Sida. Par ailleurs, le centre fait état d‟une insuffisance notable de
médicaments sensibles dans une région froide. Il faut des antispasmodiques
(injectables et comprimés), des anti-inflammatoires et des antipyrétiques
(paracétamol) pour traiter les symptômes liés au climat.
Pour le CS situé dans une zone très enclavée, en l‟absence d‟un médecin
depuis l‟inauguration du CS en 2008, l‟infirmier chef précise en premier lieu que les
livraisons de médicaments sont assurées par l‟ambulance d‟une association qui
assure le transport des médicaments depuis Ouaouizert. Ensuite, notre interlocuteur
rapporte que lorsque la dotation était gérée par la circonscription, il n‟y avait pas
beaucoup de médicaments ; depuis qu‟Azilal gère directement cette dotation, la
situation s‟est améliorée : auparavant la dotation couvrait une semaine, maintenant
elle couvre huit semaines, voire 10 semaines selon l‟état des routes. Si les routes
sont dégagées, les demandes sont plus importantes et l‟épuisement de la dotation
est plus rapide. De même, il y a une rupture d‟antidiabétiques oraux depuis 2 mois.
Pour l‟insuline, il est rapporté un épisode de rupture de stock. Pour les IST et
l‟hypertension artérielle, aucune rupture de stock n‟est signalée. En cas de rupture
de stock, les patients doivent se rendre à 50 kilomètres du CS pour se procurer ces
médicaments en officine.
Enfin, dans le dernier CS visité, on ne note pas de ruptures de stock pour les
médicaments programme pour le diabète ou l‟hypertension artérielle. On note parfois
des ruptures pour les médicaments contre les IST en précisant qu‟un CS à proximité
à vocation à prendre en charge les patients pour ces infections. En revanche, il y a
des ruptures pour des médicaments ne concernant pas les maladies chroniques
comme les antiémétiques, les antispasmodiques, les antalgiques, les antibiotiques
pédiatriques. Le médecin interrogé rapporte que le troisième mois est difficile. Il
regrette l‟indisponibilité d‟antibiotiques plus efficaces. Dans le cas d‟antibiotique plus
classique comme l‟amoxicilline, il souligne que la dotation trimestrielle est rapidement
consommée. Du coup, le médecin essaye de gérer les stocks en répartissant la
dotation trimestrielle par mois.
221
La qualité des médicaments dispensés en centre de santé
Dans les trois CS, on ne note pas de problèmes particuliers concernant la
qualité des médicaments dispensés. Pour les quelques rares cas de réclamations
formulées par les patients, un médecin pense qu‟il s‟agit davantage d‟une erreur de
diagnostic ou de dosage dans le cas des antibiotiques qu‟un problème de qualité. En
revanche, un médecin signale qu‟il doit parfois prescrire des médicaments plus forts
pour des pathologies plus importantes. Du coup, il prescrit des médicaments
indisponibles dans le CS, plus chers, et que le patient devra donc acheter en officine.
Les pratiques de prescription des médecins
Il convient de signaler à nouveau la situation particulière du CS de la zone très
enclavée et dépourvu de médecin depuis son inauguration en 2008. Le CS ne
dispose ni d‟eau, ni d‟électricité, ni du téléphone. Dans ces conditions de travail
difficiles, l‟infirmier indique faire des ordonnances uniquement pour des médicaments
qui ne sont pas disponibles au centre. Les jours de souk où il voit davantage de
patients, il peut rédiger jusqu‟à 40 ordonnances. Il prescrit en moyenne 2 à 3
médicaments par ordonnance qui sont donc à acheter en officine. Pour se procurer
les médicaments, les patients donnent l‟ordonnance et de l‟argent à des chauffeurs
de taxi qui vont à l‟officine et achètent pour eux. Du coup, l‟officine appelle souvent le
l‟infirmier du CS sur son téléphone personnel quand le produit n‟est pas disponible,
pour savoir si c‟est urgent ou lorsqu‟il y a un doute concernant une personne qui
arrive avec une ordonnance non cacheté pour acheter des psychotropes par
exemple. Quand il prescrit, l‟infirmier fait attention aux prix pour certains produits. Il
estime qu‟à partir de 80 DH par ordonnance, l‟achat devient difficile pour les patients
à pathologie lourde. Pour les autres pathologies, l‟achat devient délicat à partir de 40
DH. Aussi, il prescrit le plus souvent du générique compte tenu du pouvoir d‟achat de
la population. Il prescrit ce qui devrait être disponible au CS donc le plus souvent des
génériques.
Dans un autre CS, les médecins prescrivent en moyenne deux médicaments
par ordonnance. A 90% les médicaments prescrits sont dispensés au CS. Il reste
donc 10% que le patient devra acheter en officine, surtout pour les dermocorticoïdes,
les corticoïdes oraux, les psychotropes et neurotropes. De même, compte tenu des
ruptures de stock importantes pour les produits gynécologiques comme les
antimycosiques, les patientes doivent se les procurer en officine. Pour des dorsalgies
ou arthralgies, le médecin dit traiter les patients avec de l‟aspirine disponible dans le
CS, or la pathologie nécessite des anti-inflammatoires non stéroïdiens. Le prix est
environ de 25 DH en officine, voire entre 100 et 150 DH selon le produit. Donc le
médecin va prescrire le premier à 25 DH car il sait que s‟il prescrit un médicament de
plus de 40 DH, le patient n‟achètera pas. Pour les infections urinaires, il essaye de
ne pas prescrire au-delà de 50 DH. Pour les antibiotiques, il essaye de ne pas
prescrire au-delà de 55-60 DH. Mais il peut prescrire un antibiotique plus cher dans
des cas lourds. Le médecin insiste alors auprès du patient en l‟informant des risques
pathologiques importants qu‟il encourt s‟il ne se soigne pas, s‟il n‟achète pas le
médicament. Le médecin essaye même d‟obtenir du crédit auprès de l‟officine pour
le patient. Donc le médecin estime que la population peut acheter à 25 DH. A partir
de 40 DH, l‟achat devient difficile.
222
Dans le dernier centre, en moyenne, le médecin prescrit 3 médicaments par
ordonnance pour des infections comme les angines, les pneumopathies ou les
diarrhées. Pour les enfants, les médicaments seront dispensés au CS sauf si la
pathologie de l‟enfant est lourde et nécessite un médicament plus efficace qui n‟est
pas dispensé au centre. Pour l‟adulte, cela dépend de la pathologie. Pour les
arthralgies et lombalgies, si les médicaments sont disponibles en CS, le patient
recevra le traitement pour 2 mois et pour le dernier mois du trimestre, il devra
l‟acheter en officine. Notre médecin indique, du reste, demander au patient s‟il a les
moyens. Si le pouvoir d‟achat est suffisant, il prescrit des médicaments plus chers.
Sinon, il prescrit du générique moins cher. En plus, il sait que si la pathologie est
importante, le patient achètera les médicaments. Par contre, pour les pathologies
chroniques nécessitant des soins importants et coûteux, il y aura un problème. Le
médecin estime qu‟à partir de 20-25 DH, l‟achat devient difficile pour les patients en
officine.
La dispensation de médicaments en officine
Les médecins des CS notent de rares cas de substitution. Les officines
respectent les ordonnances. En cas d‟indisponibilité du produit, elles appellent le
médecin. Aussi, il y a des contacts réguliers entre les médecins et les officines qui
font que la substitution unilatérale n‟est pas une pratique répandue. Un médecin
indiquera qu‟un pharmacien d‟officine située à proximité immédiate du CS a une
employée peu expérimentée qui se déplace pour demander des précisions sur
l‟ordonnance, le médicament ou le dosage. Si un médecin indique n‟avoir pas
observé de cas de changement thérapeutique, un autre rapportera qu‟il peut y avoir
des cas de changement de molécule liés à un problème de compréhension de
l‟ordonnance par l‟employé.
Des suggestions pour améliorer la disponibilité du médicament
Tous les CS visités font état de conditions de travail difficiles, de moyens
limités en ressources humaines. Outre le CS enclavé où aucun médecin n‟a exercé
depuis son inauguration, un autre centre rapporte qu‟il manque de personnel
paramédical. Une infirmière est partie depuis quatre mois au Ministère de la santé et
n‟a pas été remplacée ; cela crée une surcharge de travail pour l‟équipe médicale,
tout particulièrement en ce qui concerne la vaccination. Il manquerait également une
sage femme (la mortalité néo-natale est de 6,64% dans le centre). Le CS enclavé
demande à pouvoir disposer de bons d‟essence pour permettre à l‟ambulance de
l‟association d‟aller plus souvent chercher les médicaments à Ouaouizert et
d‟améliorer ainsi la disponibilité dans le centre.
Deux centres réclament à être un peu plus impliqués dans la définition de la
commande afin d‟éviter un approvisionnement qu‟ils jugent trop important pour
certains médicaments et au contraire augmenter celui de produits plus essentiels
pour couvrir les besoins de la population.
Le médecin d‟un CS estime que le budget médicament est important. Comme
des médecins des centres de Salé, il pense qu‟il vaut mieux donner les médicaments
les plus importants, pour les accouchements ou les urgences et délivrer des
ordonnances aux patients pour des montants de 50-60 DH. Ainsi, il faudrait réserver
le budget médicament aux pathologies lourdes comme le cancer, l‟hémodialyse ou
encore le diabète au lieu de l‟allouer à des pathologies moins importantes : achat
223
d‟aspirine ou d‟amoxicilline. De plus, le médecin soupçonne les patients de stocker
des médicaments du CS chez eux, d‟où une perte selon lui pour le centre. Enfin, le
médecin estime que la population a le pouvoir d‟achat pour supporter des
ordonnances de 100 DH, les patients peuvent acheter, surtout avec les génériques.
Finalement, il faudrait que les consultations et les soins soient gratuits mais pas
nécessairement les médicaments. Et de conclure, comme ailleurs, que la gratuité
dévalorise l‟acte et crée du gaspillage.
L’accessibilité du médicament à Figuig
L’avis en délégation et en pharmacie provinciale
La province de Figuig compte 160.000 personnes et 22 formations
sanitaires répartis en 4 CSU, 4 CSR(A), 6 CSC et 8 DR. La pharmacie provinciale
est tenue par un pharmacien et un aide pharmacien. Cette équipe gère un budget
pour les produits pharmaceutique de 1,3 million de DH : près de 1,1 million de DH
pour les médicaments et 0,2 million de DH pour les dispositifs médicaux.
La commande de 2010 a été élaborée en collaboration avec le médecin chef
du SIAAP après répartition du budget et du formulaire de médicaments entre les CS.
Le budget global a été réparti selon la consommation antérieure de chaque CS. Une
réunion de discussion et de validation de cette répartition est organisée en début
d‟année. Toutefois, le médecin chef du SIAAP décide du choix des produits à
commander. Le taux de livraison de la commande 2010 se situe à 52,30%. Pour
gérer les stocks, des fiches de stock sont disponibles, des inventaires trimestriels
sont réalisés. Il n‟existe pas de main courante. Selon notre interlocuteur, les
médicaments sont presque toujours disponibles, surtout ceux des programmes de
santé. Des ruptures de stock ont été notées, notamment pour les antifongiques (en
ovule et en pommade), les antihypertenseurs (en comprimé ou injectable). Les
supervisions ont été réalisées dans certains CS pour évaluer la gestion des
médicaments. Aucune plainte n‟a été enregistrée de la part des professionnels et de
la population concernant la qualité des médicaments achetés au niveau central.
L’avis des professionnels médicaux exerçant en centre de santé
Les professionnels de santé de trois CS ont été rencontrés qui couvrent de
15.000 à 32.000 personnes. La densité médicale varie plus modestement du simple
au double comparé à Azilal : un personnel de santé serait disponible pour 1.050
habitants à Figuig contre 1 pour 2.000 habitants à Tendrara. Le budget en produits
pharmaceutiques pour les trois CS se répartit de la façon suivante : 350.000 pour le
CS de Figuig, 380.000 pour celui de Talsint et 380.000 pour celui de Tendrara.
Aussi, la dotation en médicament par tête est de 23 DH pour Figuig, contre 12 DH
pour Talsint et 22 DH pour Tendrara. Les entretiens réalisés avec les équipes
médicales des CS visités laissent apparaitre des situations très contrastées.
La gestion du médicament
Dans un premier centre, la gestion des stocks de médicament est confiée à
l‟infirmier chef qui assure ainsi une fonction médicale et une fonction comptable à
laquelle il n‟a pas été formé. Il n‟y a pas de fiches de stock et les médicaments sont
rangés sans méthode précise. A l‟opposé, dans un autre centre, la gestion des
médicaments est confiée à un employé administratif dédié à cette tâche. Il reçoit les
ordonnances des médecins et délivre les médicaments aux patients. Il assure une
224
traçabilité rigoureuse à l‟aide de registres pour chaque catégorie de médicaments.
En outre, chaque programme de santé dispose de son propre registre de
médicament. De plus, le gestionnaire veille à la péremption des médicaments. Il
précise que le taux de péremption est très faible. La péremption touche
essentiellement des produits reçus de la pharmacie provinciale et peu utilisés
comme les antibiotiques sous forme injectable. La péremption concerne également
des médicaments reçus avec des dates de péremption très proches. Le centre
procède à la destruction des produits périmés sous la responsabilité d‟une
commission désignée à cet effet qui rédige un procès verbal de destruction.
Photo 5 : Pharmacie d‟un centre de santé
La disponibilité des médicaments
Concernant la disponibilité des médicaments, on note une différence sensible
entre catégories de médicaments. Un premier CS rapporte que les médicaments des
programmes de santé sont disponibles, qu‟aucune rupture de stock n‟est à déplorer.
En revanche, pour les médicaments hors programmes, les ruptures de stock sont
parfois enregistrées. Ces ruptures concernent les antibiotiques et les antiinflammatoires et seraient dues selon un interlocuteur essentiellement à une
surconsommation médicamenteuse. La dotation du CS couvrirait finalement une
période de 3 mois sauf pour les antibiotiques et les anti-inflammatoires.
Un autre CS confirme que les ruptures de stock sont rares sinon absentes
pour les médicaments des programmes de santé : l‟insuline, les médicaments contre
les IST ou encore les médicaments du planning familial. Toutefois, notre interlocuteur
souligne des difficultés d‟approvisionnement pour les antihypertenseurs : ils font
parfois défaut étant reçus en faible quantité. Ces difficultés ne concernent pas tous
les antihypertenseurs puisque les antihypertenseurs diurétiques sont toujours
disponibles. Cela permet de traiter les patients, de les rééquilibrer en l‟absence
225
d‟antihypertenseurs plus appropriés disponibles au centre. En revanche, pour les
autres médicaments, notre interlocuteur confirme des ruptures de stock. Selon
certaines périodes de l‟année plutôt froides, le CS constate une surconsommation
d‟antibiotiques, d‟antipyrétiques, d‟anti-inflammatoires et de corticoïdes, en
conséquence, la dotation trimestrielle de ces produits couvre à peine quatre
semaines, au mieux six semaines, alors que la dotation pour les pathologies
chroniques peut couvrir tout le trimestre. Notre interlocuteur conclut qu‟on ne peut
pas satisfaire les besoins de la population à 100% surtout pour les médicaments : le
budget médicament est estimé faible (380.000 DH) et le nombre de consultations par
jour est en moyenne de 80 et peut atteindre 200 les jours de souk.
Enfin, le dernier CS confirme que pour les programmes de santé couvrant les
pathologies chroniques, les médicaments sont toujours disponibles. Il ajoute que des
médicaments programmes comme les antidiabétiques, les traitements des IST et les
antipsychotiques sont gérés spécialement par le major du centre qui fait un suivi
régulier de leur consommation. Pour les produits du programme de santé maternelle
et infantile ainsi que ceux de la planification familiale, ils sont gérés par la cellule du
SMI avec des registres particuliers et un suivi mensuel (kits d‟accouchement). Notre
interlocuteur suggère donc qu‟une gestion des stocks rigoureuse peut influer sur les
épisodes de ruptures et la disponibilité des médicaments en centre. Sans sousestimer la question de la gestion proprement dite des stocks, à cette suggestion, il
faudrait également ajouter que les dotations budgétaires allouées à la prise en
charge des maladies chroniques sont de loin beaucoup plus importantes que celles
accordées aux autres pathologies.
La qualité des médicaments
Sur ce point, les avis divergent. Il y a, d‟un côté, le médecin de garde d‟un CS
qui dit ne pas avoir confiance dans les médicaments génériques mais les prescrire
aux malades du centre pour des raisons économiques, la population pauvre ne
pouvant pas se procurer les médicaments dans le secteur privé. Toutefois, notre
interlocuteur précise qu‟il n‟a enregistré aucune plainte de la part de la population
vis-à-vis des génériques dispensés dans le CS. D‟un autre côté, il y a les médecins
d‟un autre CS qui affirment avoir confiance dans la qualité des génériques achetés
par la DA et dispensés en centre. Du reste, ils précisent qu‟aucune plainte n‟a été
enregistrée de la part des patients. Les médecins concluent enfin que la population
est pauvre et ne peut pas acheter des médicaments chers. Un médecin exerçant
dans un troisième centre précise que certains patients soutiennent que les
médicaments dispensés dans le CS sont mieux que ceux achetés en officine, signe
d‟une confiance solide dans le médicament dispensé dans le secteur public.
Les pratiques de prescription des médecins
Les pratiques des médecins sont variables. Un médecin d‟un premier CS
indique prescrire entre deux et trois médicaments par ordonnance. Puis, selon la
disponibilité des produits, un malade peut obtenir la totalité des médicaments
prescrits au niveau du CS. Le médecin d‟un second centre rapporte que ses
ordonnances comportent en moyenne deux à trois médicaments ; en revanche,
suivant le niveau des stocks, le malade peut obtenir entre 50 à 100% des
médicaments prescrits dans le centre. Comme dans d‟autres CS, notre médecin
précise que la dotation trimestrielle en médicaments est répartie sur trois mois pour
optimiser leur disponibilité en centre. Enfin, le médecin d‟un troisième CS rapporte
226
qu‟il prescrit entre 3 et 6 médicaments par ordonnance, le patient pouvant trouver
dans le CS la totalité des médicaments prescrits. En revanche, la fin du trimestre est
une période critique où l‟indisponibilité du médicament est sensible, le patient peut
ne trouver aucun médicament prescrit en CS. Notre interlocuteur précise que les
soins d‟urgence sont toujours assurés en permanence.
Concernant le traitement de l‟ordonnance en officine, les personnes
interrogées précisent que deux officines sont situées à proximité de leur CS
respectif. Elles indiquent que la substitution est pratiquée en officine pour cause
essentiellement d‟indisponibilité du produit. Un interlocuteur rapportent qu‟il y a peu
les officines pratiquaient la substitution à tort et à travers. Par exemple, lorsque le
médecin prescrivait de l‟Aspégic 100 mg pour un malade cardiaque, l‟aide
pharmacien pensait qu‟il s‟agissait d‟une erreur et que le produit était destiné à un
enfant et non un adulte. Un conflit a éclaté entre les médecins et les aides
pharmaciens suite à ces pratiques, le pharmacien étant rarement sur les lieux selon
nos interlocuteurs.
227
Conclusion
Les dotations en médicaments des provinces de Figuig et surtout d‟Azilal
apparaissent suffisantes, mais insuffisantes à Salé apparaît. Partout se pose la
question du stockage des dotations provinciales, et de l‟acheminement vers les CS
(surtout dans la province d‟Azilal). L‟augmentation de la demande pour certains
centres n‟est pas toujours anticipée ou les dotations ne sont pas toujours adaptées
ce qui occasionne des ruptures de stock pour certains produits, et des surplus pour
d‟autres. En fait, les situations sont très contrastées. Certains CS affirment ne pas
subir de ruptures de stock pour les médicaments de santé publique dédiés
notamment aux traitements des affections de longue durée. Les dotations permettent
de dispenser des médicaments vitaux coûteux gratuitement à des populations au
pouvoir d‟achat limité. Dans d‟autres cas les CS se plaignent au contraire de ruptures
de stock pour ces médicaments vitaux. La dotation ne permet pas de satisfaire les
besoins de la population pour les IST, l‟hypertension ou le diabète. Enfin, tous les CS
se plaignent de ruptures de stock non négligeables pour les médicaments autre que
ceux couverts par les programmes de santé publique. Les antipyrétiques, les antiinflammatoires ou encore les antibiotiques manquent dans tous les CS visitées. En
somme, il ressort que la prise en charge des patients atteints de maladie chronique
est plutôt satisfaisante rejoignant sur ce point les suggestions émises par les acteurs
privés. Dans certains CS un personnel est dédié à la dispensation des médicaments,
dans d‟autres, chaque soignant dispose de sa propre dotation et il n‟y a pas de
procédures bien définies de gestion des stocks. Face aux ruptures de stock ou au
manque de certains médicaments, les soignants ont recours aux prescriptions en
veillant à en limiter le coût.
228
Chapitre - 10 L’accès aux médicaments selon la population
Elise Guillermet, Mohamed Amine, Marc-Éric Gruénais
Dans le cadre de l‟enquête nationale sur les valeurs réalisée à l‟occasion du
Cinquantenaire de l‟Indépendance du Maroc (RDH 3), le choix de recourir à un
pharmacien en cas de problème de santé représentait près du quart des réponses.
L‟enquête quantitative réalisée sur les trois sites étudiés révèle des rapports
différents. Le pharmacien n‟est consulté que par 16.2% des personnes interrogées
sur l‟ensemble des sites avec des variations importantes selon les sites : 24% dans
la province d‟Azilal 18% à Salé, 7% à Azilal (cf. tableau 24 du chapitre 6).
Néanmoins, Lorsque l‟on pose la question de l‟automédication, dans l‟enquête
quantitative, ce sont plus de 54% des répondants qui déclarent y avoir recours.
Tableau 44 : Pratique de l‟automédication dans les trois sites
Régions
n
%
Salé
328
68,3
Azilal
147
40,8
Figuig
177
48,8
Total
652
54,2
Que signifie cette part importante de ce qui est désigné par le terme
« d‟automédication » (self-medication en anglais) qui comprend comme définition
minimale le fait de se procurer des médicaments sans prescription médicale (overthe-counter en anglais) ? En France le terme « automédication » est la plupart du
temps réduit à désigner cet usage (Coulomb 2007 ; Raynaud 2008 : 81). En langue
anglaise, il est utilisé pour désigner une autre pratique : réutiliser des médicaments
déjà présents dans l‟armoire à pharmacie à domicile (self-treatment) (Segall 1990 :
31). L‟enquête quantitative a révélé que les patients de Salé, Azilal et Figuig
opéraient également cette différence en parlant d‟automédication (se soigner soimême) uniquement pour désigner ces pratiques à domicile et considéraient
isolément le fait de s‟adresser à un pharmacien.
Néanmoins le recours au pharmacien comme « prestataire », comme on l‟a
vu, surtout à Figuig et, dans une moindre mesure à Salé, n‟est pas négligeable, et un
pharmacien de la province de Figuig nous confiait d‟ailleurs que la majorité de ses
clients se présentaient sans avoir consulté un médecin : « Je dirais que 70 à 80%
des gens viennent directement sans ordonnance ». Qu‟est-ce que cette désignation
d‟automédication nous apprend du crédit accordé à ce prestataire ?
La pratique de l‟automédication en tant que self-care (prendre soin de soi soimême) a été mise en avant par certains auteurs américains pour décrire un rapport
individualisé et actif à sa santé puisqu‟il place le patient au centre du choix
thérapeutique (Chewning & Sleath 1996). D‟autres ont en revanche mis en évidence
le fait que le recours à l‟automédication, indépendamment ou en combinaison avec
229
une prescription médicale (Leibowitz 1989), était le signe d‟une mise en doute par les
patients américains de la qualité de l‟offre médicale (Vuckovic & Nichter 1997). Qu‟en
est-il au Maroc ? Que nous apprend le recours au pharmacien hors prescription
médicale du rapport aux prestataires de soins? Nous essaierons de répondre à cette
question dans un premier temps. Dans un deuxième temps, nous verrons en quoi ce
rapport révèle des obstacles à l‟accès aux médicaments et des aspects du système
de leur délivrance.
S‟interroger sur « l‟automédication » revient également à questionner l‟objet
médicament en lui-même qui est l‟objet de représentations culturelles qui permettent
aussi d‟en comprendre la quête ou au contraire le refus (Fainzang 2007). Delphine
Dupré-Leveque souligne quant à elle comment, en maison de retraite en France
(Dupré-Leveque 2002), le médicament devient un objet de reconstruction du lien
social par les relations répétées aux personnels soignants qu‟il oblige voire que les
pensionnaires suscitent. Le médicament est un objet social. L‟interrogation du
rapport que les usagers de Salé, Figuig ou Azilal ont à cet objet sera le sujet de notre
troisième point. Nous y interrogerons les dimensions sociales de l‟accès aux
médicaments corollaires à ses modalités d‟obtention par gratuité, solidarité ou don.
Choix du recours au pharmacien
Combler les manques matériels des structures de soins publiques
L‟une des premières raisons pouvant expliquer le recours aux pharmaciens
d‟officine, à Azilal et Figuig, est qu‟ils sont amenés à apporter leur contribution pour
le suivi des patients. Il nous a été rapporté, par les pharmaciens eux-mêmes, que les
structures publiques, y compris les hôpitaux, ne procédaient pas aux prélèvements
pour des examens qu‟ils ne pouvaient pas réaliser au sein de la structure. Les
prélèvements sont alors parfois réalisés à la demande des patients dans les
pharmacies, puis ils sont acheminés vers des laboratoires privés de Oujda ou de
Beni Mellal, par exemple. Par ailleurs, dans la mesure où les centres de santé ne
disposent pas de tous les médicaments nécessaires aux traitements, les patients se
présentent dans les officines avec des ordonnances établies dans les centres de
santé publics.
« Je prends l‟insuline injection du centre de santé gratuitement, mais des fois je me
vois dans l‟obligation de l‟acheter en pharmacie en plus de la piqure vue l‟abondance
des diabétiques dans la région » (Azilal).
Il en va de même pour le contrôle de la glycémie par exemple, lorsque les
centres de santé ne disposent pas de glucomètre ou de bandelettes.
« Il n'y a pas d'appareil de mesure de glycémie au centre de santé mais quand je me
sens malade je pars chez le pharmacien pour mesurer le taux de glycémie »
(Province de Figuig).
L‟enquête quantitative a confirmé cette modalité de suivi des personnes
souffrant de maladies chroniques alternative au centre de santé : si 45% des patients
ne bénéficieraient d‟aucun suivi, pour les 55% restant 6,4% déclarent être suivis par
un pharmacien (cf. tableau 29, chapitre 6).
230
Le docteur de la pharmacie
Par ailleurs, au cours des entretiens, les expressions « Notre médecin c’est le
pharmacien ! », « le docteur de la pharmacie » ou encore l‟évocation de la crainte du
passage à la pharmacie comme une consultation sont apparues, témoignant du
statut quasi médical accordé au pharmacien par certains usagers.
« Au cours du mois de ramadan dernier il a fait très chaud. Je buvais beaucoup...
c‟est normal, je buvais beaucoup et forcément, j‟urinais beaucoup… Mais après les
premiers 10 jours, j‟ai commencé à me sentir très fatigué sans raison. J‟avais des
difficultés à me réveiller le matin. La mi-journée était très dure avec le jeun, et le soir
après avoir mangé, j‟avais mal à la tête et je n‟arrivais même pas à aller à la
mosquée pour faire mes prières.
- Êtes-vous allé consulter ?
- Pas vraiment. Je suis allé chez le docteur de la pharmacie qui m‟a mesuré le sucre
au doigt. J‟avais 4 g... J‟étais très inquiet parce que mon père est mort du diabète lui
aussi » (Salé).
« Quand il fait froid, mes enfants souffrent des maladies de la saison. Mon fils tousse
beaucoup, il souffre de la fièvre, hier, il a marqué 39,5°. Je suis partie directement à
la pharmacie… Beaucoup de monde arrive chaque jour à l‟hôpital et si tu n'y connais
personne pour te servir tu n‟auras pas de tour qu‟après cinq ou six heures d'attente si
tu as de la chance ! C‟est pour cela que je préfère aller directement au pharmacien
qui fait la consultation et me donne directement les médicaments que je paie et il
contrôle la température et s‟il voit qu‟il y‟a un danger il nous demande d‟aller à
l‟hôpital. Je fais confiance à 100% à notre pharmacien je le félicite pour son humanité
et pour son savoir faire » (Province de Figuig).
La disponibilité, l’expérience et l’attention
Un pharmacien nous confiait cette reconnaissance de son travail en l‟expliquant
par sa disponibilité alors que les médecins sont peu nombreux ou absents : « Depuis
16 ans, j’ai ouvert ma pharmacie. Je suis le médecin de [la ville de X] ! Une fois les
gens ont fait une manifestation devant l’hôpital et ils ont dit que le pharmacien est
leur médecin. Les gens m’appellent à la maison la nuit. Tout le monde a mon numéro
de téléphone ».
Les usagers valorisent par ailleurs l‟expérience des pharmaciens en
comparaison avec celle des jeunes médecins tout juste diplômés qui méconnaissent
le milieu rural dans lequel ils sont affectés. Le pharmacien tient compte des
pathologies liées au contexte environnemental.
« Une fois, un enfant avait de la fièvre. Ma femme est partie au centre de santé. Le
médecin lui a demandé ce que l‟enfant avait sans l‟ausculter. Il a fait une ordonnance
avec de mauvais médicaments. Il est préférable d‟aller directement chez le
pharmacien. Il a l‟expérience. Il a dit que la fièvre était due à la proximité avec les
animaux, que c‟est pour ça que l‟enfant a aussi mal aux yeux » (Province de Figuig).
L‟attention que le pharmacien porte à son client, qui amène certains à parler de
consultation, vient confirmer que, au regard des usagers, la légitimité du soignant –
et corollairement du médicament prescrit – dépend de l‟attitude du praticien. Le
médicament apparait comme un objet dont la valeur n‟est pas liée uniquement à ses
composantes biochimiques mais aux moyens de son obtention. Penchons-nous plus
231
précisément sur cette valeur symbolique du médicament qui semble liée d‟une part à
la difficulté d‟y accéder et d‟autre part à la plus-value qui en accompagne le don.
Obtenir le médicament
La guérison est rarement évoquée par les patients lorsqu‟on les interroge sur
leurs parcours de soins. Les démarches entreprises pour obtenir les médicaments en
revanche sont évoquées systématiquement. Les obtenir, les renouveler, ne pas
pouvoir les acheter sont des évènements décrits avec précision qui permettent de
saisir que le médicament (prescrit dans de bonnes conditions) est au cœur du
rapport que les malades ont à leur santé.
Le récit suivant l‟illustre. Une patiente souffrant de problèmes cardiaques décrit
les différents moments qui lui ont permis d‟obtenir le médicament que le « médecin
spécialiste » lui a prescrit. Les phases d‟obtention ou de manque sont désignées
comme déterminant son état de santé.
« L‟année dernière, la femme est allée chez un médecin généraliste privé parce
qu‟elle ne se sentait pas bien. Elle a fait la consultation, le médecin lui a dit qu‟elle a
un problème cardiaque et qu‟elle doit aller chez un médecin spécialiste pour faire un
électrocardiogramme. Le médecin spécialiste lui a prescrit un médicament. Elle a
payé entre les déplacements, la consultation médicale et les médicaments 750 DH,
sachant que ce montant a été prêté à la famille par un voisin car leur revenu ne
permet pas de couvrir les frais des soins. C‟est pour cette raison que la femme n‟a
pas fait l‟électrocardiogramme. Pendant le traitement son état s‟est amélioré, mais
après, l‟état sanitaire de la femme s‟est aggravé de nouveau car elle n‟a pas d‟argent
pour acheter les médicaments. Ainsi la femme tombe malade de temps en temps. Un
jour une équipe mobile s‟est déplacée au centre de santé, la femme a dit aux
membres de l‟équipe qu‟elle souffre d‟un problème cardiaque et leur a montré le
médicament qu‟elle utilise. Elle a reçu une boite de ce médicament. Actuellement, à
chaque visite au centre de santé, elle ne trouve pas le médicament et elle n‟a pas
d‟argent pour l‟acheter. C‟est pour cela qu‟elle souffre encore de sa maladie »
(Province d‟Azilal).
L‟enquête quantitative confirme l‟importance accordée au médicament. L‟achat
des médicaments est en effet présenté comme la première difficulté rencontrée en
matière d‟accès aux soins à Azilal et Figuig, et la seconde à Salé après la
consultation médicale (cf. tableau 26, chapitre 6). Les récits recueillis confirment que
l‟accès aux médicaments est semé d‟obstacles à franchir : le problème du coût et les
pratiques des personnels soignants dans les centres de santé qui réinterprètent le
principe de gratuité sont régulièrement rappelés.
Le coût
Une partie des patients se voient dans l‟obligation de sélectionner les
médicaments qui leur ont été prescrits et qui sont rarement disponibles dans leur
totalité dans les centres de santé. Globalement, ce sont près de 18% des patients
qui ne se procurent qu‟une partie des médicaments prescrits par le médecin et 10%
qui renonceraient à leur achat. Les habitants de Figuig seraient beaucoup plus
nombreux à se confronter à cette nécessité (34% sélectionnent et 22,4% renoncent).
232
Tableau 45 : Achat des médicaments prescrits par le médecin
Régions
En totalité
En partie
Non réalisé
Salé
364 (87,5%)
33
(7,9%)
19
Azilal
212 (80,0%)
39
(14,7%)
14
Figuig
142 (43,6%)
111
(34,0%)
73
Total
718 (71,3%)
183
(18,2%)
106
(4,6%)
(5,3%)
(22,4%)
(10,5%)
Le coût est la raison évoquée pour justifier cette sélection par des patients sans
couverture médicale. Cette contrainte se retrouve également dans les discours des
bénéficiaires d‟une mutuelle qui doivent avancer les frais des médicaments avant
d‟être remboursés.
« Je souffre de cette maladie depuis seize ans et aujourd‟hui je n‟arrive plus à payer
l‟aérosol, il coute 350 dh et je dois payer cette somme chaque mois en plus de la
piqure qui coute 60 dh. Même si j‟ai la mutuelle ça ne me sert à rien, parce qu‟il ne
me rembourse qu‟après six mois. Aujourd‟hui je trouve ça difficile, je n‟ai plus les
mêmes moyens qu‟avant, du coup je n‟achète que la piqure qui est moins chère
même si les gens m‟ont prévenu qu‟elle cause l‟ostéoporose. »(Salé)
« Mon fils est diabétique. J‟ai dû apprendre à faire des piqures par moi-même…moi
qui aie peur de tout. Je suis toujours en train de vérifier les doses d‟insuline… J‟ai
peur de tuer mon fils si la dose est trop grande ou petite. J‟ai appris à mesurer le
sucre. On m‟a dit de le faire 4 fois par jour. Je le fais 1 fois, un jour sur deux. Ca
coûte cher les bandelettes, même au tarif de l‟association. En plus il faut se déplacer
jusqu‟à Rabat pour aller à l‟association pour les enfants diabétiques » (Salé).
On perçoit dans ces extraits d‟entretien que le problème du coût se pose aussi
bien pour des maladies chroniques du fait des coûts annexes aux traitements que
pour les pathologies dont l‟accès gratuit aux traitements n‟est pas prévu, et cela est
d‟autant plus vrai en milieu rural pour des pathologies sévères. Rien d‟étonnant alors
qu‟à la question « pour vous, qu’est-ce qu’un bon médecin ? », les réponses
mentionnent de fait de donner gratuitement des médicaments ou de prendre en
compte le pouvoir d‟achat des patients, ces points étant systématiquement cités
dans les 127 entretiens réalisés, y compris chez les patients qui ne manifestent pas
pour eux-mêmes des besoins d‟argent mais soulignent cette nécessité pour ceux qui
n‟ont pas de couverture médicale.
233
La réinterprétation de la gratuité par les personnels soignants
Ces contraintes de coût sont en partie neutralisées par l‟accès gratuit aux
médicaments dans les centres de santé qui explique que la majorité des patients
parviennent à se procurer la totalité ou une partie des traitements prescrits.
Toutefois, des patients nous ont fait part des difficultés auxquelles ils sont parfois
confrontés pour en bénéficier du fait de la nécessité de devoir négocier leur obtention
par un bakchich au personnel de santé ou encore la tendance de ces derniers à
réserver une partie des médicaments pour leurs proches.
Des récits ont révélé les attitudes de sages femmes ou d‟infirmières
demandant des compensations financières pour le matériel utilisé, pour des actes de
soin tels que les injections d‟insuline ou pour donner les médicaments.
« Je trouvais toujours des problèmes avec les infirmières qui demandent de l‟argent
pour faire un service ou pour donner un médicament quelconque. Elles vendent
même l‟insuline, le tout avec un prix bien défini, comme par exemple l‟extencilline à
50 dh, la Bétadine à 20 dh, les comprimés de diabète entre 20 à 30 dh et l‟injection à
10 dh ; et si on marchande avec l‟infirmière c‟est à 5 dh. J‟ai toujours dû me bagarrer
avec celle qui vend les médicaments pour avoir ma dotation en insuline parce que je
sais que c‟est un médicament donné gratuitement et qu‟il n‟était pas à vendre, et à la
fin j‟arrivais à prendre mes flacons d‟insuline » (Salé).
Ce récit, parmi d‟autres soulignant des pratiques similaires, a été obtenu
auprès d‟une patiente bénéficiant de la couverture médicale réservée aux familles de
militaires. La résistance à laquelle elle s‟est confrontée au centre de santé n‟a pas
été soulevée par les autres patients diabétiques fréquentant la même structure. Cet
épisode semble faire écho aux discours des personnels soignants déjà rapportés et
qui dénonçaient la gratuité des médicaments pour tous alors que certains ont les
moyens de se les procurer.
Si les patients soumis au bakchich y voit un comportement malveillant et
injuste, se devine ici une logique de redistribution basée sur une autre perception de
ce que doit être le don de médicament. Les personnels soignants, comme nous
l‟avons déjà décrit, mettent en évidence les conséquences négatives de la gratuité
qui vient discréditer leurs actes et prescriptions. Ils mettent en œuvre une alternative
à la gratuité systématique (qui se distingue du « devoir de donner » qui place les
personnels soignants dans une posture de donateur obligé) qui est le don des
médicaments réservés pour leurs proches et qui leur en sont alors reconnaissants.
« Le médecin du centre de santé nous a prescrit des médicaments. Quand je suis
parti le prendre à la pharmacie du centre, sans que ma fille qui était stagiaire au
centre de santé m‟accompagne, la femme qui y travaillait m‟a dit qu‟elle n‟en avait
plus et que je devais l‟acheter. Je l‟ai dit à ma fille, qui, à son tour, l‟a dit au médecin.
À ce moment là, le médecin a appelé l‟infirmière qui travaille à la pharmacie et lui a
dit que j‟étais venu de sa part et qu‟elle n‟avait qu‟à me donner le médicament. Elle
lui a dit qu‟elle allait chercher dans le stock pour voir s‟il y en restait toujours. Ma fille
est partie avec elle à la pharmacie et elle s‟est aperçue qu‟il y en avait en grande
quantité. Quand elle a fait la remarque à l‟infirmière, elle lui a répondu qu‟elle
m‟aurait donné le médicament sans l‟intervention du médecin, si elle savait que
j‟étais son père, en ajoutant que le médicament qui restait était réservé aux
personnes qu‟ils connaissaient. Ensuite elle l‟a prévenue qu‟elle ne devait pas en
234
parler, elle lui a également dit que le peu de médicaments qui reste est surtout
réservé à ceux qui travaillent au centre de santé, en cas de besoin » (Salé).
Le médicament : objet de don
Cette logique du don cohabitant avec celle de la gratuité nous semble devoir
être décrite plus avant pour comprendre que l‟obtention du médicament pour les
habitants de Salé, Figuig et Azilal ne renvoie pas qu‟à la possibilité de guérir mais
bien aussi à des enjeux sociaux qui légitiment ou discréditent ceux qui les délivrent ;
et conditionne ainsi le rapport des usagers à l‟offre de soins (prestataires,
médicaments et santé de manière générale).
L‟implication particulière des personnels soignants vis-à-vis de patients qu‟ils
connaissent a été évoquée à maintes reprises. Ici c‟est un beau-frère infirmier qui
s‟est procuré les médicaments, là, c‟est la stagiaire qui s‟est rendue à la pharmacie,
ailleurs c‟est tel ou tel parent qui a permis d‟entrer directement en contact avec le
médecin en évitant les heures d‟attente. Ces logiques de proximité sont
omniprésentes dans le discours et nous révèle que le don (et ce qu‟il entraine en
termes d‟obligation : être le plus opérationnel possible auprès du médecin, rendre
des services en contrepartie) est au cœur du fonctionnement des structures de
santé.
Le don est par ailleurs ce qui caractérise les prestataires appréciés pour leur
disponibilité ou parce qu‟ils se comportent « comme des parents ». Tel médecin est
apprécié parce qu‟il donne des bonbons aux enfants, tel autre parce qu‟il a offert un
glucomètre, celui-ci parce qu‟il passe du temps avec le patient. Le don rend crédible
le professionnel de santé. Il vient inscrire les rapports de domination soignant/soigné
bousculés par l‟exigence de la gratuité dans des relations quotidiennes basées sur la
logique de la réciprocité.
Le rôle de l’entourage
Les récits des patients mettent en scène le malade, sa quête de médicament,
les différents prestataires de soins rencontrés et également des personnes tierces :
les parents. Nous l‟avons souligné dans la partie sur les itinéraires thérapeutiques :
la décision de consulter est souvent prise collectivement, après discussion avec les
membres du foyer. Cette implication est justifiée par le fait que le coût de la santé ne
repose pas sur l‟individu mais sur le foyer. Les ressources humaines, logistiques et
financières qui permettent le déplacement d‟un malade vers une structure de santé,
le paiement des soins et la réalisation des tâches quotidiennes qui lui incombent
normalement (gardiennage des enfants, des troupeaux, préparation des repas, etc.)
sont réunies collectivement.
Si pour les populations résidant dans les zones les plus enclavées, cette
solidarité de proximité est sollicitée pour toutes les étapes de l‟itinéraire
thérapeutique, l‟implication des proches est, pour les habitants des centres urbains
ou des communes rurales, réduite à un dénominateur commun : l‟achat des
médicaments.
Le refus d‟un parent (mari, père ou enfant) d‟honorer les frais de médicaments
de son proche malade est vécu comme un objet de mésentente, de déception ou de
culpabilisation. Intervenir pour payer les traitements de son proche parent est de
l‟ordre de l‟obligation.
235
« On est parti à la pharmacie pour prendre les médicaments mais ils coûtaient
trop chers. Mon mari m’a dit de prendre du « ze3ter » jusqu’à ce qu’il ait
l’argent. On a commencé à se disputer pour rien et je suis partie en pleurant
chez mon frère. Je lui ai tout raconté, surtout à propos de mon mari qui ne
voulait pas m’acheter mon médicament.... Je lui ai demandé de me prêter de
l’argent parce que le médecin m’a dit que je devais absolument prendre le
médicament et de revenir la voir après. Il m’a prêté l’argent et j’ai
immédiatement acheté le médicament. Quand je suis rentrée à la maison,
mon mari m’a fait toute une scène parce que j’ai pris de l’argent de chez mon
frère. Il n’a pas du tout aimé que je le fasse mais entre nous, il n’avait qu’à me
l’acheter » (Salé).
Certains patients expriment toutefois beaucoup de compréhension à l’égard des
leurs qui n’ont pas les moyens de supporter leur prise en charge médicale.
« Je prends l’insuline injection du centre de santé gratuitement, mais des fois
je me vois dans l’obligation de l’acheter en pharmacie en plus de la piqure vue
l’abondance des diabétiques dans la région. Quant aux diagnostics et aux
analyses, je les effectuais en privé. C’était toujours payant. Mais je ne fais plus
d’analyses vu ma situation difficile. Je ne veux plus causer des difficultés à ma
mère qui prend en charge toutes mes dépenses depuis sa séparation d’avec
mon père (…) Une fois ma mère à supplié mon père pour ne pas
m’abandonner dans cette situation. Franchement, je ne le lui reproche pas
parce qu’il n’a pas d’argent. Comment pourrait-il supporter les frais de
diagnostic et d’une deuxième famille comme il est remarié? Lorsqu’on est
arrivé à Errachidia on n’y connaissait personne et nous étions obligés de
passer la nuit dans la rue afin de pouvoir payer les frais de santé pour
lesquels il a emprunté à un collègue. Puis il m’a informé qu’il ne pouvait plus
continuer vu le manque de moyens » (Province de Figuig).
Les dons humanitaires
Les limites de la solidarité familiale sont parfois gommées par les mobilisations
humanitaires. C’est en effet dans ce prolongement que l’on peut comprendre le crédit
qui leur est accordé par les populations. Dans le cas des caravanes médicales, les
populations font état de leur satisfaction puisqu’elles proposent des prestations de
spécialistes et des dons de médicaments rares, parfois envoyés par des partenaires
étrangers. L’existence de telles initiatives est d’autant plus soulignée par les
habitants qu’elles s’inscrivent souvent dans le cadre d’une solidarité des
ressortissants de la région avec lesquels les uns et les autres se trouvent des liens
de parenté.
236
Conclusion
A travers le croisement des discours des usagers, des prestataires de soins et
des données quantitatives obtenues par questionnaire auprès des habitants de Salé,
Figuig et Azilal, le médicament apparaît comme l’objet central du recours au
prestataire de soin. Sa valeur est d’abord liée à sa fonction (amener à la guérison)
mais est aussi conditionnée par les modalités de son obtention. Il est apparu que la
valeur d’un médicament dépend également de la crédibilité de celui qui le délivre et
cette crédibilité repose sur des caractéristiques précises : la disponibilité et
l’attention.
Les conditions de l’obtention des médicaments sont évidemment liées à son
coût et à sa disponibilité. La gratuité pour tous de certains médicaments est un
véritable soulagement pour la plupart des usagers, mutualisés ou non. L’accès se
complique pour les patients souffrant de pathologies nécessitant la prescription de
spécialités, surtout en milieu rural, ou encore lorsque les traitements normalement
gratuits ne sont pas accessibles. Les raisons de cette situation d’inaccessibilité sont
l’absentéisme des personnels soignants, le manque de consommables (seringues
pour les diabétiques), le recours au bakchich ou encore la part que les personnels
soignants se réservent.
Les prestataires de santé font alors primer la logique du don sur celle de la
gratuité en proposant d’autres règles de redistribution : les médicaments sont pour
ceux qui n’ont pas les moyens de se les procurer en pharmacie et en priorité pour
leurs proches ou ceux de leurs collègues. Ils sont appréciés dans leur entourage
pour cette pratique au même titre que ceux qui place l’empathie au cœur de leur
pratique en donnant des médicaments, de l’argent, en consacrant du temps aux
malades. Se réaffirme alors une définition de la figure du médecin ou pharmacien dit
« humaniste » ou « citoyen ». A l’opposé, se présente la figure du médecin du
service public qui se contente au mieux de délivrer uniquement le service pour lequel
il est payé, parfois sans remettre de médicaments.
On comprend également où s’alimente la fragilisation économique des
prestataires de soins enlisés dans la logique du don ou des facilités d’accès aux
médicaments. Les pharmaciens d’officine sont ainsi contraints d’accepter de faire
crédit à leurs clients. La pratique du crédit dans les pharmacies apparaît même d’une
évidence telle que si le pharmacien ne s’y résout pas, il doit explicitement l’indiquer
par un écriteau sur le comptoir comme nous avons pu l’observer. La pratique du
crédit est ressentie comme une obligation envers la clientèle de proximité, et les
pharmaciens semblent avoir intégré les possibilités de pertes financières de plusieurs
milliers de dirhams en fin d’exercice du fait des mauvais payeurs. Un des
pharmaciens rencontrés nous avouait que les clients idéaux, pour lui, étaient ceux
qu’il ne connaissait pas, qui venaient de loin et auxquels, par conséquent, il n’avait
pas à faire de crédit n’ayant aucune obligation envers eux. Ne pas avoir affaire à un
client connu, permet donc de sortir le médicament de la logique du don et de
l’empathie, et autorise à vendre le médicament à son prix.
237
Références
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Vuckovic N. & Nichter M. (1997) “Changing patterns of pharmaceutical practice in the
United States”, Social Science and Medicine, 44 (9) : 1285-1302.
238
Conclusion générale
Au terme de cette étude aux multiples dimensions, tant disciplinaires que par
les perspectives envisagées et les niveaux appréhendés, une première remarque
s‟impose : elle n‟est pas généralisable et il ne saurait être question de prétendre
qu‟elle puisse donner une photographie représentative des questions d‟accès aux
soins dans l‟ensemble du Maroc. D‟autant moins que nous avons procédé par études
de cas en privilégiant trois sites très spécifiques : le milieu urbain et péri-urbain avec
quelques quartiers de Salé, le contexte de montagne avec les villages de la Province
d‟Azilal, les grands espaces pré-sahariens avec la Province de Figuig. Salé pourrait
être caractérisée par la densité d‟une population habitant dans des quartiers
irréguliers (de Laayayda notamment) ou dans des quartiers semi-ruraux
(Bouknadel)74, et là aussi on pourrait dire que le milieu urbain retenu n‟est pas non
plus représentatif des milieux urbains marocains. Dans la province d‟Azilal, on trouve
entre autres des populations berbérophones résidant dans des zones montagneuses
enclavées à certaines périodes de l‟année en raison des intempéries, avec des
difficultés d‟accès toutes particulières. Dans la province de Figuig, on est confronté à
la dispersion d‟une population vivant pour partie dans des campements
(« nomades ») et au rythme des déplacements des troupeaux à la recherche de
pâturages dans l‟immensité des plaines et plateaux pré-sahariens ; il faut ajouter la
spécificité historique et géographique de la ville-palmeraie de Figuig, située à la
frontière algérienne, elle aussi largement berbérophone dans un environnement
majoritairement arabophone. Dans cette mesure, et au-delà des spécificités
culturelles, économiques et sociales de chaque zone retenue, nous sommes peutêtre avec les exemples retenus dans des situations de difficultés extrêmes (en
particulier s‟agissant des villages d‟Azilal) d‟accessibilité géographique.
Nous avons procédé par études de cas, en privilégiant par ailleurs très
largement l‟approche qualitative (entretiens individuels et de groupes, observations),
sans souci de représentativité. Mais nous avons la faiblesse de croire que les
informations recueillies dans les trois sites de cette étude se retrouvent également
dans d‟autres contextes au Maroc.
Nous avons cependant été amenés à prendre en compte également l‟échelle
nationale. Ainsi du débat (pour ne pas dire la tension) à propos du médicament. D‟un
côté il y a les acteurs publics des directions et divisions du Ministère de la santé
cherchant à améliorer la réglementation pour une réduction des prix et une
amélioration de l‟accessibilité, de l‟abordabilité, de la qualité des médicaments. De
l‟autre côté les principaux acteurs du secteur pharmaceutique privé qui, au nom de
l‟étroitesse du marché, de la préservation d‟un secteur important du tissu industriel
marocain, semblent très réticents à accepter toute régulation de leur marge, et une
réduction des prix. A cet égard, les controverses autour de l‟établissement de la bioéquivalence pour les médicaments génériques, avec les suspicions de partialité et de
méthodologie douteuse, sont particulièrement illustratives. Au centre du débat sur le
médicament est replacé « la pauvreté », ou plus pudiquement la faiblesse du pouvoir
d‟achat des ménages qui supportent déjà pourtant l‟essentiel des dépenses de
médicaments. L‟enjeu de l‟élargissement de la couverture médicale, à la charge de
l‟État, devient capital, tant pour le Ministère de la santé que pour les industriels
74
Hormis, bien évidemment, Salé Al Jadida où résident nombre de cadres marocains.
239
marocains du médicament. En attendant, si l‟on peut dire, l‟État fait le maximum,
mais aussi dans une certaine mesure les distributeurs privés, pour que les
médicaments parviennent en quantité suffisante dans les centres de santé (ou les
officines) situés dans les zones les plus reculées. Nos enquêtes de terrain qui nous
ont amenés dans des zones particulièrement difficiles d‟accès ont montré une bonne
disponibilité des médicaments dans les structures de soins et dans les officines.
Au bout de la chaîne, s‟agissant toujours des médicaments, les pharmaciens
d‟officine sont contraints de faire crédit à leurs clients pour pouvoir composer avec la
faiblesse de leurs revenus tout en les fidélisant. Les personnels des centres de santé
publics, qui ne font pas toujours preuve d‟une gestion optimale des stocks de
médicaments pour des raisons d‟organisation des locaux mais aussi de rangement,
ont à composer avec quelques ruptures de stocks ou à des dotations en
médicaments parfois mal adaptées à leur contexte de travail (par exemple, une
dotation importante en produits de planification familiale dans une zone où la
population est vieillissante). Ces personnels critiquent régulièrement la gratuité du
médicament qui devient, dans leur propos, paradoxalement, un facteur d‟inéquité de
par l‟obligation de donner sans discrimination les médicaments à tous, y compris aux
plus nantis alors qu‟il conviendrait de réserver les médicaments gratuits aux plus
pauvres. Il y a aussi la critique de ces mêmes personnels de santé à l‟égard d‟une
population qui, du fait de sa localisation et de ses conditions de vie, ne pourra pas
faire un usage optimal des traitements qui leur seront donnés. En écho à ses
récriminations des personnels de santé à l‟endroit des usagers des structures de
soins, et sans vouloir établir une relation de cause à effet, ces derniers se plaignent
de l‟indisponibilité relative de certains médicaments, parce que les personnels de
santé réclament un bakchich ou parce qu‟ils privilégient certains usagers de leur
connaissances au détriment d‟autres. Il est évidemment très difficile d‟établir la
mesure dans laquelle on peut apporter du crédit à ces récriminations des usagers qui
pointent là un mode de régulation informel de la distribution des médicaments
gratuits par les personnels de santé.
Il n‟en reste pas moins, comme l‟indiquent très clairement les résultats de
l‟enquête quantitative dans les trois sites de l‟étude, que les populations continuent
de privilégier le recours aux centres de santé publics et partant, au médecin
généraliste du secteur public, si recherché. Mais les résultats de cette enquête qui,
pour toute non représentative qu‟elle soit porte tout de même sur 1200 personnes
dans trois sites et sélectionnées d‟après des méthodes qui ont fait leur preuve,
confirment aussi combien le « mauvais accueil » (qui s‟exprime par la demande de
bakchich, l‟attente, l‟indisponibilité des personnels, des équipements et des
médicaments, par la rudesse des comportements) vient tempérer la préférence
affichée. L‟alternative est le recours au médecin généraliste privé qui est consulté
presque à part égale par rapport au médecin du secteur public selon les résultats de
l‟enquête. Les observations et les entretiens avec les médecins généralistes privés
exerçant dans des localités secondaires très éloignées des grands centres attestent
d‟une relative satisfaction de ces derniers quant à leur clientèle, unanimement
qualifiée de « pauvre », mais qui s‟acquitte néanmoins de consultations variant entre
100 et 250 DH selon le type de consultation (avec ou sans échographie, examen
radiologique, contrôle de la glycémie, etc.).
240
L‟enquête par questionnaire, mais également les entretiens, attestent en
même temps des difficultés de paiement des patients, contraints parfois de renoncer
à des soins, ou de choisir parmi la liste des médicaments qui leur ont été prescrits,
ou encore de demander un crédit au pharmacien. On pourrait arguer – et nous
n‟avons aucun moyen de le vérifier – qu‟il ne s‟agit pas des mêmes personnes :
d‟une part des nantis qui n‟éprouvent aucune difficultés pour recourir aux médecins
privés, qui parfois profitent un peu du système en allant chercher des médicaments
gratuits au centre de santé tout en demandant au pharmacien de leur faire le crédit
d‟usage pour des traitements onéreux indisponibles dans le secteur public ; et
d‟autre part des pauvres qui sont confrontés à toutes les difficultés. Cependant, et
encore une fois toute non représentative que soit l‟étude, il semble bien que les 1200
personnes enquêtées par le biais d‟un questionnaire, et les 127 personnes
interrogées par entretien ne ressortissent ni au groupe des plus nantis, ni au groupe
des très pauvres.
Les résultats des entretiens prouvent que les alternatives ne sont pas
dichotomiques et qu‟il convient d‟avoir une interprétation dynamique et une
perspective processuelle des situations de recours aux soins75. La décision de
recourir à des soins, comme les entretiens l‟ont montrée, procède d‟abord d‟une
appréciation de la gravité de la situation rapportée aux expériences antérieures et au
coût du trajet : par exemple, des accouchements qui se sont toujours déroulés sans
problèmes particuliers dans la famille, considérant par ailleurs les difficultés et le coût
du trajet, tout cela ajouté à de très mauvaises expériences antérieures avec des
personnels de santé, favoriseront la décision de ne pas recourir à la maternité du
centre de santé de proximité, et partant, d‟accoucher à domicile. L‟enquête
quantitative a également montré que pour des maux « ordinaires » des enfants,
« attendre que l‟épisode se passe » est une décision fréquente. Inversement, quand
on sait que pour des soins requérant des analyses particulières et le recours à un
spécialiste l‟offre de proximité ne sera pas adéquate, on décide se rendre en
première intention dans un hôpital de premier, voire de deuxième niveau pour éviter
les pertes de temps et d‟argent supplémentaires qui pourraient être occasionnées
par un passage intermédiaire par le recours de proximité qui, de toute façon réfèrera
au niveau supérieur. Mais il y a aussi les situations intermédiaires, relativement
fréquentes comme l‟attestent les résultats de nos enquêtes quantitatives et
qualitatives, pleines d‟incertitudes, qui conduisent un malade d‟abord dans un centre
public de proximité, qui ne donnent pas entière satisfaction, par exemple parce que
l‟on n‟a pas pu rencontrer le médecin, qui amènent à consulter le médecin privé, qui
va demander des examens qui ne sont réalisables que dans un centre urbain
important, etc. Comme nombre d‟entretiens le font apparaître, face aux déconvenues
parfois liées au « mauvais accueil », et à l‟accumulation de dépenses due aux
déplacements, aux analyses, à la prise en charge éventuelle des accompagnants,
soit l‟ensemble des coûts directs (éventuellement remboursés lorsque l‟on dispose
d‟une couverture médicale) mais aussi indirects, on finit au mieux par faire des choix,
au pire, à renoncer aux soins.
75
Il s’agit là, d’ailleurs, d’une perspective privilégiée aujourd’hui par les économistes avec la notion de
« dépenses catastrophiques », soit un poste budgétaire des ménages qui peut prendre une part telle, à un
moment donné, dans l’ensemble du budget domestique qu’il peut conduire le ménage en question en deçà du
seuil de pauvreté.
241
Nombre d‟initiatives ont été prises pour alléger les barrières financières. En
premier lieu la gratuité de toutes les prestations et des médicaments dans les
centres de santé, mais aussi la gratuité de la prise en charge des complications de
l‟accouchement. Il y a aussi des essais de mutuelles communautaires, toujours
difficiles à pérenniser tant la logique assurantielle est délicate à mettre en place dans
des contextes de pauvreté. Les couvertures médicales dont bénéficient des salariés
ne sont pas toujours d‟une aide décisive : les mutualistes doivent avancer les frais
avant de se faire rembourser, et n‟ont pas toujours les disponibilités financières
nécessaires au moment de la dépense. De plus, tous les assurés sociaux ne
connaissent pas leurs droits, et les médecins sont peu formés à compléter les
formulaires de demandes de remboursement. Dans la province d‟Azilal, l‟expérience
du Ramed, pour ceux qui parviennent à en bénéficier, est particulièrement appréciée.
Sans pouvoir établir une relation de cause à effet, il convient cependant de souligner
que, parmi les trois sites enquêtés, c‟est à Azilal que la proportion de personnes
ayant déclaré avoir des difficultés pour s‟acquitter des dépenses de santé est la plus
faible. Il reste néanmoins à corriger certains dysfonctionnements pour être
bénéficiaire du Ramed, et qui semblent liés à l‟inertie de la centralisation du
dispositif, cela afin que les personnes éligibles puissent bénéficier des facilités
offertes par le Ramed auxquelles elles ont droit quand elles en ont besoin.
L‟indisponibilité des personnels est une des principales causes de
démotivation du recours à des structures de santé publiques, pourtant préférées. Et,
plus que tout, l‟indisponibilité du médecin généraliste est considérée comme un
échec du recours, d‟après les entretiens. L‟indisponibilité peut être liée aux barrières
érigées, avec ou non le consentement du médecin, par le personnel paramédical.
Elle est également ressentie lorsque le médecin n‟accorde pas toute l‟attention
attendue, s‟il n‟ausculte pas ou ne laisse pas le patient s‟exprimer. Elle est manifeste
lorsque le médecin, comme nous avons pu le constater dans bien des situations, est
peu présent dans son centre ou franchement absent. Il y a souvent beaucoup de
bonnes raisons pour lesquelles le médecin est absent ou non disponible : en raison
du sous-effectif, le ou les médecins, ne peut/vent être disponible/s 24h/24 : la
nécessité du repos lorsqu‟il a été sollicité pendant la nuit, une formation qui l‟amène
à s‟absenter, des congés, un appel de ses supérieurs hiérarchiques, la participation
à des équipes mobiles, sont autant de « bonnes raisons » explicatives de
l‟indisponibilité des médecins du secteur public. Les médecins du secteur privé
apparaissent souvent plus disponibles, peut-être aussi parce qu‟ils ont moins de
contraintes liées à la mission de service publique des premiers. Il y a aussi de
« moins bonnes » raisons : une assiduité très relative à rejoindre son poste ou à y
rester en permanence pendant les heures de service, des contraintes familiales qui
amènent, hommes et femmes, à ne pas rester trop longtemps séparés d‟une famille
restée dans un grand centre urbain (avec semble-t-il une tolérance accrue pour les
femmes médecins), et le recours au certificat médical pour justifier les absences. La
présence effective des médecins du secteur public à leur poste est-elle
insuffisamment contrôlée ? Cependant, un contrôle plus rapproché de la présence
des médecins serait sans doute contre-productive, sans compter que l‟on peut
considérer qu‟à ce niveau de formation et de responsabilité il en va de la conscience
professionnelle que d‟être présent à son poste.
242
Néanmoins, une « conscience professionnelle » ne relève pas de l‟inné. Elle
se forge et s‟entretient. Les représentants des facultés de médecine et du Ministère
de la santé reconnaissent que la formation dispensée aux étudiants en médecine par
des spécialistes dans le contexte de centres hospitaliers universitaires les prépare
mal au travail à venir du médecin généraliste et qui attend la très grande majorité de
ces étudiants. Le contexte de la formation, comme la demande des populations,
valorisent le spécialiste. Les jeunes lauréats rencontrés au cours de l‟étude ne
veulent pas être médecins généralistes. Les généralistes rencontrés, privés ou
publics, en exercice, même ceux satisfaits de leur métier aujourd‟hui, ont tous
déclaré avoir voulu faire une spécialité. Le métier n‟attire pas, comme en témoigne le
nombre de postes ouvert au concours qui serait supérieur au nombre de candidats.
Les médecins ne sont pas préparés à la pratique de la médecine générale,
essentiellement fondée sur la clinique et l‟écoute du patient, avec des possibilités
très limitées d‟explorations complémentaires, en devant faire une large place à la
prévention et aux programmes du Ministère de la santé publique souvent inconnus à
la sortie des facultés de médecine. Peu préparé à sa future pratique, le médecin
généraliste du secteur public est aussi souvent confronté à des conditions de travail
mais surtout des conditions de vie difficiles lorsqu‟il est affecté dans une zone
reculée : isolé dans le travail (peu de supervision formative dans son poste) et mal
reconnu, souvent sans sa famille, ou lorsqu‟il est avec sa famille il est confronté à
des possibilités de scolarisation de ses enfants très limitées, on lui propose un
logement qui correspond peu à ses attentes parce que mal équipé et mal entretenu,
et il bénéficie d‟une prime d‟éloignement jugée dérisoire. Souvent, la motivation
principale de l‟acceptation du poste en zone éloignée est la promesse de pouvoir en
partir au plus vite grâce au nombre de points importants liés à l‟éloignement et qui lui
permettra de pouvoir choisir rapidement une « meilleure » affectation (plus proche
d‟un grand centre urbain). Néanmoins, par militantisme, s‟engageant aussi dans des
dynamiques associatives, avec l‟habitude et le temps, des médecins de la Santé
publique finissent par être satisfaits de leur métier en zone reculée ; à une exception
près, une telle attitude se retrouvait chez les plus âgés. Les médecins privés, quant à
eux, s‟installent, dans tous les sens du terme, et cela d‟autant mieux lorsqu‟ils sont
des « enfants du pays ». Ils ont consenti un investissement important pour rendre
leur cabinet fonctionnel, ils ont très peu de concurrence dans les petites localités. Ils
complètent les manques de l‟offre publique : ils s‟entendent souvent avec les
médecins du secteur public pour réaliser échographie, glycémie, radio, etc., auprès
de patients « référés » par les premiers ; ils organisent une réelle complémentarité
avec des pharmaciens d‟officine, surtout, comme nous avons pu l‟observer, lorsque
celui-ci est le conjoint du médecin et tient boutique au rez-de-chaussée du cabinet
médical. En milieu urbain, la concurrence est beaucoup plus rude ; mais là aussi, il
apparaît que les médecins savent se rendre disponible lorsque les centres de santé
public sont désertés par leur soignant, ils savent aussi jouer sur cette proximité des
origines qui contribue à fidéliser une clientèle.
L‟offre de soins périphérique, publique mais aussi privée, doit s‟organiser dans
un contexte où intervient une multitude d‟acteurs : des associations de
développement local dans lesquelles sont impliquées toutes les notabilités locales
dont les médecins font partie ; des associations à envergure nationale et/ou qui
bénéficient d‟une aide internationale, qui procèdent par aides ponctuelles, par
exemple en organisant des caravanes médicales ; les élus des communes porteurs
de projets soutenus par l‟Initiative de développement humain qui ont notamment à
gérer les « ambulances INDH » ; les représentants de l‟INDH qui interviennent
243
comme techniciens dans le montage de projets et qui s‟assurent de leur viabilité tout
en s‟efforçant de répondre aux demandes et contraintes politiques locales ; les
représentants du Ministère de l‟intérieur (pachas, caïds, gouverneurs, etc.), qui
incarnent l‟autorité de l‟État, en charge notamment de veiller à l‟ordre public, et qui
reçoivent les doléances de leurs administrés. Tous ces acteurs ont chacun leurs
intérêts, leur vision, leurs objectifs qui ne s‟accordent pas nécessairement entre eux.
Ils s‟accordent souvent mal avec la rationalité de santé publique émanant des
directions du Ministère de la santé, mise en œuvre et incarnée par les délégués
provinciaux ou préfectoraux de la santé ; dès qu‟une question de santé est mise
localement à l‟agenda, les délégués sont immédiatement au cœur des débats, voire
parfois de la tourmente, lorsque tous les regards, du niveau le plus périphérique au
niveau le plus central, sont tournés vers eux pour informer, résoudre les problèmes,
mettre en œuvre une directive. La position des délégués est parfois d‟autant plus
délicate qu‟ils ne disposent pas des latitudes d‟action que permettrait une véritable
décentralisation.
Les initiatives de l‟ensemble de ces acteurs sont loin d‟être toujours
coordonnées, et la segmentation des activités conduit parfois à une sous-utilisation
voire à l‟absence d‟utilisation d‟équipements ayant demandé des investissements en
temps et en argent non négligeables. Il reste encore à faire de la santé un véritable
objet de politique et de gouvernance locale (au sens noble du terme, de policy, et
non de politics, diraient les anglo-saxons) qui permettrait d‟aménager localement les
directives et les standards, dans le respect des réglementations en vigueur, en
fonction des spécificités des contextes, pour le plus grand bénéfice des populations.
244
Liste des tableaux, illustrations et cartes
Tableaux
Tableau 1 : Évolution du nombre moyen de consultations médicales et paramédicales dans
les ESSB de 2000 à 2005.
Tableau 2 : Répartition des besoins selon la proportion des ménages qui les déclarent
comme première priorité (en %)
Tableau 3 : Répartition des ménages selon les postes de dépenses qui leur posent le plus
de problèmes.
Tableau 4 : Répartition de la population rurale par rayon kilométrique de l‟établissement de
SSB le plus proche (1987, 1996 et 2003)
Tableau 5 : Raisons pour lesquelles les femmes n‟ont pas consulté un médecin à l‟occasion
de leur dernier épisode de maladie (%) selon le lieu de résidence.
Tableau 6 : Malades (en%) n'ayant pas consulté un personnel de santé selon les causes
Tableau 7 : Les communes de la province de Figuig
Tableau 8 : Le réseau de soins de santé de base de la Province d‟Azilal
Tableau 9 : Population par circonscription sanitaire (estimation) Année 2010
Tableau 10 : Ratios habitants par médecin & par infirmier et par région (Salé 2009)
Tableau 11 : Personnes interrogées - enquête par entretien en population générale
Tableau 12 : Situation matrimoniale des personnes interrogées
Tableau 13 : Activités des chefs de ménage
Tableau 14 : Couvertures médicales des personnes interrogées
Tableau 15 : Répartition des médecins interrogés selon le profil
Tableau 16 : Évolution des effectifs des médecins généralistes selon les secteurs entre 1999
et 2007
Tableau 17 : Répartition des médecins généralistes par secteur et par région, 2007
Tableau 18 : Médecins généralistes dans les trois sites de l‟étude
Tableau 19 : Répartition de l‟échantillon selon les zones d‟étude
Tableau 20 : Couverture sanitaire des répondants
Tableau 21 : Fréquence des maladies durant les 12 derniers mois
Tableau 22 : Répartition des principales plaintes par région
Tableau 23 : Nombre de consultations dans un centre de santé durant l‟année écoulée
Tableau 24 : Comportement des participants face à la maladie
Tableau 25 : Difficultés de paiements des frais de soins
Tableau 26 : Types de difficultés de paiement
Tableau 27 : Renonciation à des soins
Tableau 28 : Type de renonciations aux soins
Tableau 29 : Suivi en cas de maladies chroniques
Tableau 30 : Suivi en cas de diabète
Tableau 31 : Comportement des participants face à la maladie des enfants durant l‟année
passée
Tableau 32 : Distance par rapport au centre de santé
Tableau 33 : Temps d‟accès pour se rendre au centre de santé
Tableau 34 : Raisons de non consultation dans un centre de santé en cas de maladie
Tableau 35 : Temps d‟accès pour se rendre à l‟hôpital
Tableau 36 : Raisons de non consultation à l‟hôpital en cas de maladie
Tableau 37 : Appréciation de la difficulté d‟accès aux structures de soins
Tableau 38 : Préférences du type de recours médical
Tableau 39 : Réalisation des bilans demandés par le médecin
Tableau 40 : Satisfaction globale des répondants par rapport à la qualité des soins
Tableau 41 : Pourcentage de réduction de prix des génériques par rapport au princeps
245
Tableau 42 : Chiffre d‟affaires et part de marchés des 5 premières entreprises du
médicament au Maroc
Tableau 43 : Le système de marges applicable au médicament selon le BCG
Tableau 44 : Pratique de l‟automédication dans les trois sites
Tableau 45 : Achat des médicaments prescrits par le médecin
Illustrations*
Photo de couverture : Une évacuation dans la Province d‟Azilal
Photo 1 : Un campement de « nomades » dans la province de Figuig
Photo 2 : Un centre de santé récent dans la province d‟Azilal
Photo 3 : Une salle d‟attente d‟un centre de santé de Salé
Photo 4 : La pharmacie de la Province d‟Azilal à l‟hôpital
Photo 5 : Pharmacie d‟un centre de santé
Cartes
Carte 1 : La Province de Figuig
Carte 2 : les établissements de santé de la province de Figuig
Carte 3 : La Province d‟Azilal
Carte 4 : Répartition du taux de pauvreté par commune – Province d‟Azilal
Carte 5 : Les communes INDH dans la province d‟Azilal
Carte 6 Les infrastructures sanitaires de la Province d‟Azilal
Carte 7 : les quartiers urbains ciblés INDH de la Préfecture de Salé
Carte 8 : Carte sanitaire, communes et arrondissements de la Préfecture de Salé
Figures
Figure 1 : Répartition des médecins généralistes et spécialistes par secteur en 2007
Figure 2 : structure du personnel médical par sexe en 2007
Figure 3 : Répartition des généralistes publics par sexe selon l‟ancienneté en 2007
Figure 4 : Répartition du personnel médical du secteur public par tranche d‟âge en 2008
Figure 5 : répartition des médecins généralistes entre les différentes régions
Figure 6 : Répartition des médecins généralistes par sexe dans les trois sites en 2011
Figure 7 : le cadre d‟analyse de l‟accessibilité du médicament
Figure 8 : Évolution de la consommation des médicaments au Maroc
Figure 9 : Évolution de la consommation des médicaments au Maroc
Figure 10 : Une première logique : de l‟effet prix à l‟effet volume
Figure 11 : Une autre logique : de l‟effet volume à l‟effet prix
*
Les photographies reproduites dans le présent rapport ont été prises par M.E. Gruénais au cours des phases
de terrain de l’étude.
246
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Couv rapport de santé
7/12/11
18:20
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