Couv rapport de santé 7/12/11 18:20 Page 1 Avant-propos Dès sa première session, le Conseil de l’ONDH travail avec l’objectif d’initier des activités de nature à derniers, selon trois grandes thématiques: croissance pauvreté ; convergence, intégration et gouvernance et territoriales et accessibilité aux biens et services de base. a mis en place trois groupes de éclairer les orientations de ces économique et lutte contre la enfin diversité, disparités socio Ce dernier groupe a été mandaté pour mener des réflexions concernant les politiques publiques d’accès aux biens et services et d’aider à leur évaluation qualitative. Après avoir réalisé une étude sur l'accès à l’éducation de base, une deuxième étude a été également menée sur l'accès aux soins de santé dont il présente dans ce document les résultats. L'accès aux soins étant un droit humain, lié directement au droit à la vie, de même que les paramètres de la santé sont au cœur de l’INDH, nous avons fait le choix de mener cette étude du point de vue qualitatif, tout en étant conscients que des données plus exhaustives et de nombreuses statistiques existent par ailleurs. Ce choix de la thématique de l’accès aux soins est en partie inspiré par le rapport du cinquantenaire, qui rappelait que l’accès aux soins est encore inégalitaire et faisait de la santé un des cinq nœuds du futur à dénouer pour le plein développement du Maroc. Il est à préciser qu’il s’agit là d’une thématique très large que l’on peut étudier selon différentes approches : "droits de l’homme", "déterminants sociaux de la santé", "politique s’interrogeant sur la gouvernance "ou une approche " santé publique " mesurant et analysant les besoins et l’utilisation de l’offre. Mais le groupe de travail a priorisé trois axes dans cette thématique : l’accès aux prestataires, aux médicaments et aux structures de soins. Pour ce faire, il a dans un premier temps, décidé de mobiliser l’expertise nécessaire à travers une table ronde organisée le 17 juin 2010. L’objectif était de confirmer l’intérêt qui a incité les membres du groupe à définir les trois axes précités en tant que priorité. A la lumière des questions formulées lors de cette table ronde, le groupe a mené, dans un second temps, des études de cas pour évaluer les améliorations constatées en matière d’’accès aux soins. Il a ainsi ciblé les provinces d’Azilal et Figuig et la préfecture de Salé. L’étude a mis en évidence des situations extrêmes et, à ce titre, sans doute illustratives des difficultés rencontrées, même dans une moindre mesure, dans d’autres parties du Royaume. Elle a fait apparaître une multitude d’acteurs, confrontés à des enjeux très divers et qui touchent aussi bien aux politiques publiques nationales en tant que parties prenantes de dynamiques internationales qu’à des situations très spécifiques. Les contextes distincts considérés mettent en évidence des différences de degré plus que de nature. Chaque type d’acteur adopte des attitudes au plus près de ses intérêts, et la très grande segmentation des actions que l’étude a mise en évidence, invite à une régulation accrue de l’action collective et publique. 3 L’ensemble de ce travail a été rendu possible grâce à la collaboration, à la disponibilité et à l’aide d’un nombre très important d’interlocuteurs et d’institutions : - les Gouverneurs des provinces d’Azilal et de Figuig et de la Préfecture de Salé, les secrétaires généraux ainsi que les caïds et pachas. les représentants des Ministères de la santé et surtout la Direction des hôpitaux et des soins ambulatoires, les Délégués de la santé des provinces d’Azilal et de Figuig, le Délégué de la santé de la préfecture de Salé, et le personnel de santé de tout statut, les responsables provinciaux et préfectoraux de l’Initiative Nationale de Développement Humain et leurs équipes, les présidents des communes et leurs équipes, les élus qui ont apporté leur contribution, Les habitants des différents quartiers et des différentes communes couverts par l’étude, qui ont accepté de répondre aux enquêteurs et de faire état d’expériences parfois douloureuses. Je tiens à remercier les membres du groupe de travail pour leur apport, l’équipe exécutive de l’ONDH pour le suivi et les moyens mis en œuvre et notamment M. El Hassan El Mansouri, animateur auprès du groupe pour son appui et sa persévérance ainsi que les membres de l’équipe des chercheurs pour la qualité notoire des productions. Enfin, ce travail ne pouvait aboutir sans le soutien et la contribution de nos partenaires, les agences des Nations Unies : PNUD, UNICEF, FNUAP, ONUFEMMES. Qu’ils en soient tous remerciés à cette occasion. . M. Hammou OUHELLI Président du groupe «Diversité, disparités socio-territoriales et accessibilité aux biens» 4 AVERTISSEMENT L’ONDH attire l’attention des utilisateurs potentiels de cette publication, commanditée par l’ONDH, qu’il s’agit d’un document de travail qu’il se réserve le droit d’utiliser en vue d’en tirer les conclusions qui lui semblent pertinentes. L’ONDH décline toute responsabilité quant à la reproduction et/ou à l’utilisation, même partielle, des informations qui sont contenues dans cette publication qui n’engage que ses auteurs. 5 L’équipe de recherche - Marc-Éric GRUÉNAIS, anthropologue, coordonateur de l’équipe, Directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le Développement (IRD) et Enseignantchercheur à l’Institut National D’administration Sanitaire (INAS), Marseille et Rabat - Mohamed AMINE, médecin de santé publique, Professeur agrégé, Faculté de Médecine et de Pharmacie - Université CADI AYYAD, Marrakech - Vincent De BROUWERE, médecin de santé publique, Professeur à l’Institut de Médecine Tropicale (IMT), Anvers - Élise GUILLERMET, anthropologue, Ingénieur de recherche, Institut de recherche pour le Développement (IRD), Marseille - Samira GUENNIF, économiste, Maître de conférences à l’Université Paris 13 - Hafid HACHRI, médecin de santé publique, Enseignant-chercheur à l’Institut National D’administration Sanitaire (INAS), Rabat - Mohamed Wadie ZERHOUNI, pharmacien inspecteur, Direction des Hôpitaux et des Soins Ambulatoires (DHSA) - Ministère de la Santé, Rabat 6 SOMMAIRE Avant propos 03 Introduction L’accès aux structures de soins................................................................................ 14 L’accès aux prestataires de soins : l’exemple du médecin généraliste ..................... 14 L’accès aux médicaments ........................................................................................ 15 Échelles d’observation et sites d’étude ..................................................................... 16 Première partiH/DTXHVWLRQGHO¶DFFHVVLELOLWpHWOHVVLWHVGH O¶pWXGH........... 19 Chapitre1- A propos de l’accessibilité .................................................................. 21 L’accessibilité, un problème complexe ..................................................................... 21 Quelques éléments sur la situation au Maroc ........................................................... 24 Les structures de soins et leur fréquentation ............................................................ 25 Les barrières identifiées ........................................................................................... 28 L’accès aux médicaments ........................................................................................ 33 Conclusion : des déficits importants et des insatisfactions ....................................... 34 Chapitre 2- Présentation des sites de l’étude : Provinces de Figuig et d’Azilal, Préfecture de Salé .................................................................................................. 37 La Province de Figuig ............................................................................................... 37 La Province d’Azilal .................................................................................................. 41 La Préfecture de Salé ............................................................................................... 47 Conclusion : trois sites, trois contextes spécifiques .................................................. 52 DeXxiéme partie: l'accés aux soins et aux préstations54 Chapitre 3- Acteurs institutionnels dans les systèmes de santé locaux ........... 55 Les principaux problèmes de santé perçus par les acteurs de santé et les autorités locales ...................................................................................................................... 56 Les recours de proximité .......................................................................................... 59 Le manque de ressources humaines dans les établissements publics .................... 59 Les conditions de travail dans le secteur public........................................................ 60 Les alternatives privées à l’offre publique de soins : une complémentarité par défaut ................................................................................................................................. 62 L’accès aux spécialistes et aux hôpitaux .................................................................. 64 Accéder aux maternités ............................................................................................ 67 Les évacuations et la gestion des ambulances ........................................................ 74 7 Favoriser l’accessibilité financière aux prestations de soins ..................................... 79 Essais de mutuelles de santé & mutualistes............................................................. 79 Quelques observations à propos de la mise en place du Ramed ............................. 80 Rapprocher les soins de la population ...................................................................... 84 Les équipes mobiles ................................................................................................. 84 Les « caravanes médicales » ................................................................................... 85 Acteurs, système de santé et gouvernance locale ................................................... 87 Les élus .................................................................................................................... 87 Les autorités locales ................................................................................................. 88 Les associations ....................................................................................................... 89 Les personnels du Ministère de la santé .................................................................. 90 L’INDH ...................................................................................................................... 92 Conclusion ................................................................................................................ 94 Chapitre 4- Les problèmes d’accès vus par la population.................................. 95 Les personnes interrogées ....................................................................................... 95 Parcours de soins ..................................................................................................... 97 Les femmes .............................................................................................................. 97 Les enfants ............................................................................................................. 101 Les hommes ........................................................................................................... 102 Trois types de parcours .......................................................................................... 103 Les obstacles en amont du centre de santé ........................................................... 103 Le transport ............................................................................................................ 104 Le coût .................................................................................................................... 104 Franchir les obstacles dans les structures de soins ............................................... 106 L’entrée des structures de santé : connaître ou payer ............................................ 107 L’attente .................................................................................................................. 107 L’indisponibilité des soignants ................................................................................ 108 Le mauvais accueil : des médecins qui n’auscultent pas ; des soignants qui parlent mal aux patients ..................................................................................................... 109 Les choix et stratégies mis en œuvre ..................................................................... 110 La rupture du pacte de confiance : ne plus consulter ............................................. 110 Procéder par essais-erreurs ................................................................................... 111 S’adapter à l’offre ................................................................................................... 111 Consulter le médecin privé ou le pharmacien ......................................................... 113 La figure du bon médecin ....................................................................................... 113 8 Le soignant familier ................................................................................................ 114 La valorisation du spécialiste étranger ................................................................... 116 Conclusion .............................................................................................................. 118 Chapitre 5- Formation, pratiques et conditions de travail de médecins généralistes........................................................................................................... 120 Méthodologie .......................................................................................................... 121 Situation des effectifs au niveau national et au niveau local ................................... 123 Au niveau national .................................................................................................. 123 L’inégale répartition des médecins généralistes par région .................................... 126 Situation des médecins généralistes dans les trois sites de l’étude ....................... 127 Points de vue des différents acteurs institutionnels sur le rôle du médecin généraliste ............................................................................................................................... 128 Les acteurs du Ministère de la santé ...................................................................... 128 Les responsables des facultés de médecine .......................................................... 131 Synthèse des points de vue des différents acteurs institutionnels .......................... 133 Avis des étudiants en fin de cursus de formation médicale .................................... 133 Les médecins généralistes du secteur public et privé dans les sites ...................... 134 La définition de médecine générale par les médecins ............................................ 134 Le médecin généraliste est-il un « spécialiste raté » ? ........................................... 135 Point de vue des médecins sur leur formation ........................................................ 136 Choix du secteur de pratique : public versus privé ................................................. 138 Points de vue sur la pratique du métier : une pratique non valorisée ..................... 139 Conditions de travail ............................................................................................... 140 Conditions de vie .................................................................................................... 142 Conclusion .............................................................................................................. 143 Chapitre 6- Enquête quantitative sur l’accès aux soins auprès de la population Résultats par site.................................................................................................. 148 Méthodologie .......................................................................................................... 148 Stratégie d’échantillonnage .................................................................................... 148 Collecte de données ............................................................................................... 149 Analyse des données ............................................................................................. 150 Aspects éthiques .................................................................................................... 150 Résultats................................................................................................................. 150 Le Recours aux soins ............................................................................................. 151 Renonciation aux soins .......................................................................................... 15 Prise en charge des maladies chroniques et de la maternité ................................. 15 9 Accès géographique ............................................................................................... 157 Évaluation des difficultés de respect des ordonnances médicales ......................... 160 Satisfaction globale ................................................................................................ 161 Conclusion .............................................................................................................. 16 Troisième Partie L’accès aux médicaments ......................................... 164 Chapitre 7- Problématique et méthodologie de l’accès au médicament au Maroc .. 16 État des dépenses de médicaments au Maroc ....................................................... 165 Qu’est-ce que l’accessibilité du médicament ? ....................................................... 166 Le circuit du médicament ........................................................................................ 169 Méthode d’analyse de l’accessibilité du médicament au Maroc ............................. 171 Chapitre 8 - Au niveau national, la question de l’accessibilité du médicament ...... 175 Le point de vue des administrations centrales du Ministère de la Santé ................ 175 La Direction des hôpitaux et des soins ambulatoires (DHSA) ................................ 175 La Division de l’approvisionnement (DA) ................................................................ 178 La Direction du médicament et de la pharmacie (DMP) ......................................... 180 Selon les professionnels du secteur pharmaceutique ............................................ 187 Les producteurs de médicaments........................................................................... 188 Les distributeurs ..................................................................................................... 199 Les pharmaciens .................................................................................................... 202 Les médecins ......................................................................................................... 207 Conclusion .............................................................................................................. 210 Chapitre 9 -L’accessibilité du médicament en pratique au niveau périphérique dans les trois sites de l’étude.............................................................................. 213 L’accessibilité du médicament à Salé ..................................................................... 213 L’avis en délégation et en pharmacie préfectorales................................................ 213 L’avis des professionnels médicaux exerçant en centre de santé à Salé ............... 216 L’accessibilité du médicament à Azilal ................................................................... 219 L’avis en délégation et en pharmacie provinciale ................................................... 219 L’avis des professionnels médicaux exerçant en centre de santé à Azilal ............. 220 L’accessibilité du médicament à Figuig .................................................................. 224 L’avis en délégation et en pharmacie provinciale ................................................... 224 L’avis des professionnels médicaux exerçant en centre de santé .......................... 224 Conclusion .............................................................................................................. 228 Chapitre 10 - L’accès aux médicaments selon la population ........................... 229 Choix du recours au pharmacien ............................................................................ 230 10 Combler les manques matériels des structures de soins publiques ....................... 230 Le docteur de la pharmacie .................................................................................... 231 La disponibilité, l’expérience et l’attention .............................................................. 231 Obtenir le médicament ........................................................................................... 232 Le coût .................................................................................................................... 232 La réinterprétation de la gratuité par les personnels soignants .............................. 234 Le médicament : objet de don ................................................................................ 235 Le rôle de l’entourage ............................................................................................. 235 Les dons humanitaires ........................................................................................... 236 Conclusion .............................................................................................................. 23 Liste des tableaux, illustrations et cartes ................................................................ 245 11 INTRODUCTION L‟accès aux soins de santé est déterminé par une multitude de facteurs de nature très diverse. La distance peut influencer sur le recours aux services de santé mais est un facteur très insuffisant pour expliquer les difficultés d‟accès. Le niveau d‟utilisation des services de santé tant curatifs que préventifs peut notamment être associé au niveau de vie des ménages 1 ; les systèmes de santé offrent souvent davantage de services et de meilleure qualité aux plus riches, alors que les plus pauvres, qui en ont le plus besoin, ne peuvent les obtenir (Gwatkin, Bhuiya & Victora 2004)2. Les inégalités d‟accès aux soins de santé sont aussi associées à l‟existence de gradients importants de revenus, de niveau d‟éducation et de statut social en général (Rainham 2007). Les déterminants comme le genre, la culture, l‟éducation, l‟emploi, le revenu, le lieu de résidence sont tous étroitement liés à l‟accès aux bénéfices des soins de santé (Marmot et al. 2008). L‟OMS souligne toute l‟importance de la réactivité du système de santé (sa capacité à répondre aux attentes de la population quant à la façon dont elle souhaite être traitée par les prestataires de soins) et de l‟amélioration de son efficience pour un meilleur accès et une meilleure fréquentation des services de santé (en quantité et en qualité). Les résultats attendus peuvent être atteints en optimisant les prestations de services et de soins, la gestion des personnels de santé, l‟information sur le niveau de santé de la population et sur le déroulement des interventions sanitaires, les choix de médicaments, de vaccins et de technologies adéquates, les modalités de financement des soins et des services, et la gouvernance (OMS 2008). L‟accès à des soins de santé de qualité pour tous constitue un des droits humains fondamentaux. Ces dernières années, l‟État marocain a opéré des investissements importants dans le domaine de la santé. Mais, « en dépit de tous ces efforts et des améliorations constatées, des insuffisances demeurent dans un certain nombre de domaines. De même que des inégalités entre milieux urbain et rural, population aisée et pauvre, régions et provinces, persistent encore aussi bien au niveau des indicateurs relatifs à l’état de santé de la population qu’à ceux de l’accès aux soins et de la couverture par les services de santé publique… Des inégalités persistent dans un certain nombre de régions où l’écart avec le ratio national de desserte en milieu rural reste relativement élevé »3. Dès sa première session, le Conseil de l‟ONDH a mis en place trois groupes de travail avec l‟objectif de constituer des creusets d‟idées et des propositions de travaux à mener, et d‟initier des activités et des manifestations de nature à éclairer les orientations de ces derniers selon trois grands axes thématiques : 1) croissance 1 « Dans tous les cas, les personnes appartenant à des groupes socio-économiques désavantagés ont tendance à avoir des taux de morbidité, d’incapacité et de mortalité plus élevés, à utiliser moins de services préventifs et de soins spécialisés que ce à quoi on pourrait s’attendre sur la base de leurs besoins, et à payer une plus large part de leur revenu pour se procurer certains biens et services de santé » (de Looper & Lafortune 2009). 2 Les besoins sont définis à partir de critères objectifs tels que la fréquence (incidence, prévalence) et la gravité (estimée par la létalité et la probabilité de séquelles handicapantes). Une augmentation de l’offre, par exemple du secteur privé, qui s’adresse aux quintiles les mieux nantis de la population, n’est pas synonyme d’une réponse adaptée aux besoins les plus pressants du plus grand nombre. 3 Ministère de la Santé (2008) Plan d’action santé 2008-2012. Réconcilier le citoyen avec son système de santé, Rabat. 13 économique et lutte contre la pauvreté ; 2) convergence, intégration et gouvernance et 3) diversité, disparités socio-territoriales et accessibilité aux biens et services de base. Le Groupe de travail « Disparités socio-territoriales et accessibilité aux biens et services de base » de l‟ONDH a été mandaté pour assurer une veille et une prospective des politiques publiques d‟accès aux biens et services et d‟aider à leur évaluation qualitative, en particulier sur l‟accès aux soins de santé. Il a mis en évidence l‟intérêt de documenter trois catégories de questions sur cette problématique : l‟accès aux structures de soins, l‟accès aux prestataires de soins, et l‟accès aux médicaments. En collaboration avec l‟Institut de recherche pour le développement (IRD), il a mobilisé l‟expertise nécessaire sur ces questions en organisant une table ronde le 17 juin 2010 qui a confirmé l‟importance de documenter les trois thèmes à partir d‟études de cas sur l‟accès aux soins et a permis d‟arrêter les principaux axes de l‟étude que nous rapportons ci-dessous. L’accès aux structures de soins La question générale concerne le recours aux soins (quel type, quelle fréquence, pour quels motifs ?) et les obstacles ressentis à l‟accès aux soins, mais aussi les réactions des usagers et des professionnels vis-à-vis de solutions possibles identifiées par les uns et les autres. Nous avons cherché à faire entendre les voix des usagers, mais aussi des autorités locales et des associations en tant qu‟acteurs du développement local intervenant également dans le domaine de la santé et à la recherche de solutions. Plus spécifiquement, il s‟est agi, à partir des perceptions des différents acteurs interrogés, de décrire ce qui est actuellement réellement offert aux populations selon le type d‟environnement, de mettre en évidence les barrières ressenties à l‟accès aux soins et services, et si possible de faire émerger les solutions qu‟ils préconisent pour réduire les barrières. Nous avons eu recours à une étude qualitative par entretiens auprès des différents acteurs institutionnels et auprès de la population sur les problèmes ressentis, et à une enquête par questionnaires auprès de 1200 personnes dans les trois sites retenus pour l‟étude. L’accès aux prestataires de soins : l’exemple du médecin généraliste Pour apporter un début de réponse aux questions soulevées lors de la Table ronde sur le thème de l‟accès aux prestataires de soins, nous avons exploré la question de la médecine générale comme enjeu stratégique de l‟amélioration de la couverture sanitaire de base. Le médecin généraliste exerce le plus souvent dans des services de santé primaires où la majorité des problèmes de soins curatifs peut être pris en charge. Au Maroc, et dans un souci de proximité d‟offre de soins médicaux de qualité, la politique du Ministère de la santé s‟est orientée ces dernières années vers la médicalisation des services de santé de premier échelon, particulièrement du monde rural4. La pratique de la médecine générale requiert de tenir compte non seulement des aspects biomédicaux de la maladie, mais aussi et surtout de considérer les besoins globaux de l‟individu étant donné l‟environnement dans lequel il vit afin de prodiguer des soins centrés sur le patient. La formation actuellement dispensée prépare-t-elle suffisamment le médecin généraliste à répondre aux besoins essentiels de la population, notamment en termes de 4 Recommandations du Forum National sur les Soins de Santé Primaires, Rabat, 27-29 avril 2009. 14 communication avec la communauté et de soins centrés sur le patient ? Quelles perceptions le médecin généraliste a-t-il de sa formation et de sa profession ? Des entretiens ont été réalisés avec des décideurs du Ministère de la santé et des responsables de facultés de médecine pour mettre en évidence leur analyse sur la situation de la médecine générale au Maroc. Nous nous sommes également attachés à partir d‟entretiens avec des jeunes médecins et des médecins expérimentés, tant du secteur public que du secteur privé, aux représentations des médecins sur la médecine générale et à leur contexte de travail en zones rurale et urbaine. L’accès aux médicaments La possibilité d‟obtenir un traitement accessible et efficace est à l‟évidence une motivation importante de l‟accès aux soins, mais en même temps le coût élevé d‟un traitement peut contribuer à l‟appauvrissement des ménages et le faire entrer dans un cycle de « dépenses catastrophiques ». Or, selon l‟une des conclusions de la Table ronde, le prix du médicament au Maroc reste élevé comparativement à la situation d‟autres pays et l‟achat des médicaments représente une part très importante des dépenses de santé des ménages. Quelles sont les politiques adoptées pour réduire les disparités d‟accès et rendre le médicament disponible et accessible aux plus pauvres ? L‟approvisionnement et la disponibilité au niveau périphérique, notamment en médicaments génériques, sont-ils satisfaisants ? Le secteur pharmaceutique a connu différentes évolutions récentes (nouveau code de la pharmacie, nouvelles réglementations sur la propriété intellectuelle, évolution de l‟industrie locale et de ses relations avec les firmes étrangères). Il s‟agit d‟un contexte nouveau dont il faut tenir compte pour appréhender les politiques du médicament et relever le défi d‟un élargissement de l‟accès aux produits de santé notamment pour les populations les plus pauvres. Au-delà de la question d‟un accord entre le Ministère de la santé, l‟industrie pharmaceutique et le syndicat des pharmaciens, il faut que les médecins prescrivent des médicaments génériques et que les pharmaciens les aient en stock. La disponibilité des médicaments est liée à différents facteurs et le volume global est notamment influencé par le budget et le coût des médicaments, mais aussi par la prescription. La disponibilité des médicaments dans les structures publiques est sans conteste un problème très sensible pour les usagers des services publics, et un facteur pouvant aggraver ou réduire les iniquités. Des entretiens ont été menés auprès de responsables du Ministère de la santé, des institutions sanitaires ou impliquées dans le remboursement (assurancemaladie), ainsi qu‟auprès de représentants de firmes pharmaceutiques. Ces entretiens avaient pour objectif d‟établir un état des lieux de la situation et de recueillir l‟opinion de ces acteurs notamment sur les évolutions et l‟avenir du secteur pharmaceutique au Maroc et sur l‟utilisation et la promotion des médicaments génériques. Afin de documenter les modalités et les problèmes d‟approvisionnement des centres de santé des études de cas dans les sites retenus ont été réalisées en utilisant une liste des médicaments qui doivent être disponibles dans les centres de santé et pour connaître les modalités de commande et d‟approvisionnement. Les enquêtes par entretiens et par questionnaires en population générale dans les sites de l‟étude ont permis d‟obtenir des informations sur les modalités concrètes d‟accès des ménages aux médicaments. 15 Échelles d’observation et sites d’étude Afin d‟apprécier les différents types de contraintes qui peuvent influer sur l‟accès aux soins et aux médicaments, les niveaux macro (national), meso (provincial) et micro (localités et centres de santé) ont été appréhendés. Nous venons de préciser, pour l‟accès aux médicaments, que nous avons cherché à saisir les positionnements des acteurs nationaux, mais aussi la réalité au niveau le plus périphérique (disponibilité des médicaments et prescriptions dans les centres de santé). Les missions attendues et les pratiques des médecins généralistes ont été également appréhendées au niveau central, à partir de la question des formations dans les facultés de médecine et des conceptions que des acteurs du niveau central se font de la médecine générale ; nous nous sommes également attachés à recueillir l‟information sur la pratique de la médecine générale auprès des praticiens exerçant dans les sites d‟études. La question de l‟accès aux structures de soins a été en priorité envisagée à partir du niveau micro (localités et centres de santé des sites retenus). Mais dès lors que sont abordées les questions de la référence et les itinéraires de soins des populations, le niveau meso, au minimum (problème du recours à des structures de référence provinciales voire nationale) est apparu. Afin de saisir un large éventail de situations existantes, et pour identifier les différences et les régularités par comparaison de situations très contrastées en matière d‟accès aux soins, aux prestataires et aux médicaments, trois sites ont été retenus en concertation avec les membres du Groupe de travail « Diversité, disparités socio-territoriales et accessibilité aux biens et services de base ». Pour le choix des sites, nous avons tenu compte des indices de développement humain, de l‟éloignement des populations de référence par rapport aux structures de soins, et de la diversité de contextes géographiques et socioculturels. L‟espace urbain est représenté par la préfecture de Salé. En ville on trouve une concentration de populations à besoins spécifiques, qui peuvent rencontrer de grandes difficultés d‟accès aux services de santé même s‟ils en sont géographiquement proches. De plus, comme c‟est le cas pour Salé, il peut aussi comprendre des zones périurbaines qui confinent au milieu rural. Un second site choisi est la province d‟Azilal où est expérimenté le Régime d‟assurance médicale pour les économiquement démunis (Ramed). Cette province a la particularité d‟inclure à la fois des zones de montagne parfois très difficiles d‟accès en fonction des aléas climatiques et des zones de plaine. Un troisième site d‟observation est la province de Figuig. Cette zone a été retenue du fait de son éloignement par rapport aux grand centres de décision et aux structures de santé de référence, par la dispersion de la population et la spécificité du contexte saharien, et par la diversité des modes de vie de ses populations (sédentaires et éleveurs vivant dans des campements et qualifiés de « nomades »). Nous avons donc procédé par études de cas dans des contextes très particuliers qui ne sauraient en aucune manière être considérés comme étant représentatifs de la situation marocaine. Bien plus, étant donné l‟objectif de l‟étude, qui a largement privilégié une approche qualitative, et dans tous les cas sur des échantillons non représentatifs, ce sont parfois des situations que l‟on pourrait qualifiées d‟extrêmes que nous avons privilégiées. Aussi, il ne saurait être question de généraliser à partir des informations recueillies. Le choix de contextes et de situations particulières et parfois extrêmes est conforme à la « philosophie » de 16 l‟ONDH, et en particulier de son groupe de travail « Diversité, disparités socioterritoriales et accessibilité aux biens et services de base », qui cherche notamment à documenter les écarts en matière de développement humain. S‟il ne saurait être question de prétendre à quelle que généralisation que ce soit à partir des résultats de l‟étude, il n‟en reste pas moins que la mise en parallèle des différentes situations observées permet de faire émerger des régularités et renvoient à des problèmes récurrents au Maroc. Références bibliographiques De Looper M. & Lafortune G. (2009) Measuring disparities in health status and in access and use of health care in OECD countries. OECD health working papers no. 43, Directorate for Employment, Labour and Social Affairs, OECD, Paris. Gwatkin DR, Bhuiya A & Victora CG (2004) “Making health systems more equitable”, Lancet, 364 : 1273-1280. Marmot M, Friel S, Bell R, Houweling TA & Taylor S (2008) “Closing the gap in a generation: health equity through action on the social determinants of health”, Lancet, 372 : 1661-1669. OMS (2008) Measuring health systems strengthening and trends: a toolkit for countries. Rainham D. (2007) “Do differences in health make a difference ? A review for health policymakers”, Health Policy, 84 : 123-132. 17 PREMIERE PARTIE LA QUESTION DE L’ACCESSIBILITÉ ET LES SITES DE L’ÉTUDE 19 « The big idea is that what matters in determining mortality and health in a society is less the overall wealth of that society and more how evenly wealth is distributed. The more equally wealth is distributed the better the health of that society » (British Medical Journal editorial, 1996) « Les inégalités en santé résultent aussi des inégalités en matière de disponibilité, d’accès et de qualité des services, de la charge financière qu’elles imposent aux individus et même des barrières linguistiques, culturelles et fondées sur les différences de sexe qui sont souvent inhérentes à la manière dont la pratique clinique est mise en œuvre » (OMS 2008) . Chapitre-1A propos de l’accessibilité Marc-Éric Gruénais L’accessibilité, un problème complexe Lorsque l‟on évoque la question de l‟accès aux soins de santé, c‟est en première lieu à l‟accès géographique à un prestataire auquel on pense. A l‟évidence, la distance séparant le domicile du lieu de pratique d‟un prestataire de soins et les difficultés pour franchir cette distance influent négativement sur le recours aux services de santé. Cependant, la distance ne saurait être le seul facteur explicatif du difficile accès à des soins de santé ; si elle est souvent un facteur déterminant, ses effets peuvent être amplifiés par une multitude de causes qui sont autant de barrières qui contribuent à limiter l‟accès à des prestataires de soins. Si l‟on est suffisamment fortuné, que l‟on dispose d‟une très bonne assurance, d‟une très bonne couverture sociale, la distance n‟est pas nécessairement un obstacle insurmontable comme l‟illustre à l‟envi les évacuations sanitaires qui permettent en un temps relativement court d‟assurer la prise en charge dans les meilleures conditions dans une structure spécialisée disposant du meilleur plateau technique dans un pays d‟Europe du nord, par exemple, pour un blessé ou un malade nécessitant une intervention très spécialisée en provenance d‟un pays à ressources limitées. Inversement, des études menées en Inde ont montré qu‟il n‟y avait pas nécessairement de corrélation entre une densité importante de structures de soins situées à proximité en milieu urbain et une bonne accessibilité (Ergler, Sakdapolrak & al. 2001). Le domaine des soins obstétricaux d‟urgence a donné lieu à de nombreux travaux plaçant au cœur de la problématique les questions d‟accessibilité. Les conséquences de l‟absence d‟une prise en charge rapide et adaptée par un personnel qualifié en cas de complications obstétricales peuvent aller, dans le pire des cas, jusqu‟au décès de la mère et de l‟enfant. Classiquement, pour expliquer les retards à la prise en charge des complications obstétricales, on met en avant les « trois délais » : i) le délai lié au temps de la décision, de l‟individu et/ou de la famille, de recourir à des soins de santé ; ii) le délai pour atteindre une structure ou un prestataire de soins ; iii) le délai de prise en charge médicale effective de la 21 parturiente une fois qu‟elle a accédé à une structure de soins (Thaddeus & Maine 1994). Ce modèle des trois délais mis en évidence pour les complications obstétricales peut aussi être retenu pour tous les problèmes de santé. Accéder à des soins de santé, en général, renvoie d‟abord à une décision de l‟individu concerné et de son entourage immédiat de recourir à un prestataire de soins ; ici, comme le souligne Thaddeus et Maine dans leur article, la perception de la gravité du problème est un élément important de la prise de décision. Une fois la décision prise, il faut pouvoir accéder à un prestataire de soins ; la distance, certes, mais aussi la qualité des infrastructures de communication et le niveau socio-économique de l‟intéressé (par exemple, la possibilité de faire face au coût du transport) sont à prendre en compte. Enfin, à l‟évidence, l‟accès à un prestataire n‟a d‟intérêt que si celui-ci prend effectivement en charge, dans les meilleurs délais, la personne qui vient jusqu‟à lui. Il y a déjà 40 ans, Penchansky et Thomas (1981) identifiaient cinq facteurs qui influent sur l‟accès à une prise en charge médicale : i) la disponibilité (availability), soit une proposition adaptée au problème de santé à traiter ; ii) l‟accessibilité (accessibility), qui dépend de la localisation respective du prestataire et du bénéficiaire, ici le coût et le temps de transport importent ; iii) « l‟adaptabilité » (accomodation), qui renvoie à l‟organisation de la prise en charge (temps d‟attente, heures d‟ouverture, etc.), mais aussi à l‟aptitude du patient à utiliser la nature de l‟offre proposée ; iv) l‟accessibilité financière (affordability), soit la nécessité pour les patients de disposer des moyens suffisants pour recourir 00aux prestataires de soins ; v) l‟acceptabilité (acceptability), qui a trait à la nature de la relation entre usagers et prestataires (voir aussi Obrist, Iteba et al. 2007). La nature des relations entre usagers et personnels de santé joue donc un rôle important dans l‟accès aux soins. Le capital social, économique et culturel du patient et de son entourage sont aussi des éléments à prendre en considération. Ainsi, par exemple, pour en rester au domaine de l‟accouchement, les études montrent que l‟attachement à des pratiques et des croyances traditionnelles à propos de la grossesse et de l’accouchement considéré comme « tests d‟endurance » pour les femmes est en partie explicatif de l‟absence de suivi médical de la grossesse ainsi que de l‟accouchement à domicile (Bantebya Kyomuhendo 2003). Néanmoins, il ne faudrait pas exagérer le poids du niveau d‟éducation des usagers ; comme l‟ont montré depuis longtemps des travaux restés célèbres menés au Nigéria (Orubuloye & Caldwell 1975), la baisse continue de la mortalité est moins une question « d‟ignorance » (ce terme renvoyant chez les auteurs notamment à un faible niveau de scolarisation) qu‟une question d‟offre de soins de santé adaptés et suffisamment dense. Ces mêmes auteurs, qui évoquent l‟importance de l‟attachement à des valeurs et à des pratiques traditionnelles comme une des causes de la faible médicalisation de la grossesse et de l‟accouchement, soulignent également que les réticences des femmes à accoucher en milieu surveillé et à recourir à des soins de santé en cas de complications s‟expliquent aussi par le manque de personnel qualifié au niveau des soins primaires, les attitudes des personnels de santé, la négligence et la mauvaise qualité des traitements médicaux, le peu d‟informations délivrées aux femmes, et « l‟ignorance » des femmes supposée par les personnels de santé (voir aussi Bantebya Kyomuhendo 2003). 22 Depuis les années 1970, toutes les études convergent pour souligner que la qualité importe tout autant, sinon plus, que la quantité mesurable par exemple par la réduction de la distance kilométrique, le nombre de structures, etc., pour expliquer la plus ou moins grande propension du recours aux structures de soins. Pour améliorer l‟accès aux structures de soins et augmenter leur fréquentation, il ne suffit pas de multiplier les structures de soins et de respecter les standards de distance, mais il convient aussi entre autres que les structures de soins soient placées aux bons endroits (Benson 2001). D‟une manière générale, toutes les analyses montrent que la perception de l‟offre de soins par les usagers est un facteur déterminant de la décision de recours, et partant de l‟accessibilité (Acharya & Cleland 2000). D. Mechanic (1996) insistait d‟ailleurs sur l‟importance de la dimension « affective » (soit la qualité de la relation entre patients et prestataires) pour expliquer la décision et le choix du recours. Or les observations montrent que les relations entre soignants et soignés sont souvent conflictuelles (voir par exemple, Walker & Gilson 2004 ; Jewkes & al. 1998 ; Richard et al. 2003). Les attitudes négatives du personnel de santé envers les patients dressent des obstacles à l‟utilisation des soins pourtant disponibles, les raisons de ces attitudes étant régulièrement attribuées aux rémunérations insuffisantes et aux mauvaises conditions de travail (Asuquo, Etuk, Duke 2000). La confiance envers le prestataire apparaît comme facteur essentiel de l‟accès à des soins de santé : par exemple, une relation de confiance entre usagers et prestataires peut conduire les premiers, même lorsqu‟ils sont peu fortunés, à opter pour une prestation payante, alors que des soins gratuits sont également disponibles à proximité, parce qu‟ils sont assurés d‟une relation de qualité dans le secteur privé (Riewpaiboona, Chuengsatiansupc et al. 2005). A cet égard, des économistes comme L. Gilson (2003) proposent, à côté des analyses « comptables » mettant l‟accent sur « l‟individualisme économique » qui prend surtout en compte le rapport entre niveau socio-économique des individus et coût des prestations, de privilégier la « confiance » comme piste alternative d‟analyse. Ce trop rapide état de la question permet tout de même de souligner la complexité de la question de l‟accès aux soins. La distance et les embûches physiques à surmonter pour aller du domicile à la structure de soins peuvent jouer un rôle essentiel, comme le montrera notamment ci-dessous le contexte de l‟accès aux soins dans la Province d‟Azilal. Le nombre, et partant la densité de l‟offre de soins (équipements et personnel), face à l‟augmentation de la population et à la nécessité de prendre en charge toujours davantage de problèmes de santé est également déterminant, en particulier en milieu urbain. Mais une vision uniquement comptable, privilégiant quantité et mesure, ne suffit pas pour cerner la question comme le confirment les études menées dans les pays à ressources limitées, mais aussi dans les pays développés, depuis une quarantaine d‟années. Afin de mieux cerner le problème, il convient de privilégier une perspective cumulative : face à une situation de pénurie quantitative, à l‟éloignement géographique, les éléments qualitatifs (telles l‟adhésion de l‟usager et de son entourage à certaines valeurs, la confiance, les inégalités de genre, etc.) ont des effets multiplicateurs qui favorisent ou aggravent les possibilités d‟accéder à des soins adaptés à la situation à prendre en charge. 23 Quelques éléments sur la situation au Maroc La question de l‟accès aux soins au Maroc a pris une importance toute particulière avec la reconnaissance, tant au niveau international que national, qu‟il s‟agit là, avec l‟éducation, d‟un facteur clef du développement humain. On peut lire dans un des rapports du Cinquantenaire sur le développement humain : « Il est aussi remarquable de constater que ce débat [sur le développement humain] a permis l‟émergence d‟un consensus international en matière de santé : le souci d‟équité et de solidarité dans l‟accès aux soins est devenu un facteur majeur de développement humain avant d‟être une condition de l‟efficacité des systèmes de santé » (RDH 2 : 11). Le Maroc a consenti des efforts très importants pour accroitre l‟offre de soins, et notamment les soins primaires à partir des établissements de soins de santé de base (ESSB), ou centres de santé dans la suite du texte : « … de façon continue, des efforts [ont été déployés] pour assurer à sa population les soins de santé primaires, doter [le pays] d’une infrastructure suffisante aussi bien d’action ambulatoire qu’hospitalière et assurer la formation du personnel médical et paramédical. Le modèle mis en place comportait deux structures distinctes : l’une urbaine et hospitalière, et l’autre rurale et légère, axée sur la vaccination de masse, la prophylaxie, l’hygiène du milieu, assurées en grande partie par des équipes mobiles. Si ce dispositif a globalement permis une amélioration substantielle des conditions des soins de base, il n’a pas été en mesure d’atténuer l’exacerbation des déficits et de permettre la réduction des différenciations socio-spatiales en matière d’accès à ces services. Ce n’est que durant la décennie 90 que s’est affirmée la volonté d’accorder une attention particulière aux services de soins de santé primaires et aux zones rurales. Les indicateurs montrent une amélioration constante de l’infrastructure et un élargissement de l’accès aux soins et aux services médicaux » (RDH 1 : 60). Le bilan global que l‟on trouve dans nombre de rapports ayant trait à l‟offre de soins au Maroc fait état d‟une fréquentation des structures de soins stagnante, de disparités régionales très importantes, en particulier entre le milieu urbain et le milieu rural, en dépit de tous les efforts fournis (cf. par exemple Belghiti & Hachri 2007). Les déséquilibres et les disparités sont encore accentués par la difficile gestion des ressources humaines : « … la problématique de la disponibilité et de la stabilité des médecins est ressentie par l’ensemble des acteurs comme un frein dans le développement des soins de santé primaires et pour laquelle une réflexion approfondie doit être menée. La pénurie du personnel paramédical empêchant même l’ouverture des formations sanitaires, ainsi que le problème de la rareté du personnel de sexe féminin, du vieillissement du personnel et des départs en retraite se pose avec acuité particulièrement en milieu rural » (Belghiti & Hachri 2007 : 22). Or certains bilans sur l‟accès aux soins, certes plus intuitifs que documentés, émanant de milieux non spécialisés, et que l‟on peut entendre ou lire çà et là, font des constats sévères sur la situation. Citons à titre d‟illustration un extrait d‟un article paru en avril 2011 dans la presse et consacré au « Droit à la santé pour tous » : « Le secteur de la santé vit un sérieux malaise… Partout, c’est le même reproche, les mêmes plaintes, le même constat qui est fait : mauvais accueil 24 des patients et de leurs familles, baisse de la qualité des soins, absences répétées et injustifiées de certains médecins, attentes trop longues pour être soigné, manque de certains produits, agissements et comportements contraires à la moralisation des services… La répartition équitable de tous les moyens humains et matériels sur l’ensemble du territoire national, la qualité des soins, la disponibilité des médicaments, sont quelques uns des éléments du discours officiel qui est certes empreint de bonnes intentions mais qui en réalité est un mythe, alors que la médecine à deux vitesses est une réalité qui pénalise les plus pauvres, une réalité choquante dont souffrent les plus démunis, en particulier les citoyens qui habitent les zones périurbaines, les bidonvilles, les zones enclavées… Nous ne pouvons pas dire que tout est négatif, loin s’en faut. De belles réalisations ont vu le jour, des hôpitaux flambants neufs ont été construits ici et là. Des efforts considérables ont été consentis, des rallonges budgétaires ont été octroyées… Quant on parle des problèmes liés à la santé ou plus exactement ceux qui découlent de comportements contraires de certains professionnels, nous oublions de dire que le citoyen a lui aussi une très grande part de responsabilité dans ce qui se passe »5. Il faut relever combien ce type de critique ne dit au bout du compte rien d‟autre que ce que nous avons souligné plus haut à partir de la littérature scientifique et des rapports d‟experts. La majorité des variables identifiées ci-dessus dans la revue de la littérature sont évoquées dans cet article de presse : reconnaissance des efforts fournis par le Ministère de la santé ,en quantité (y compris en termes budgétaires) et en qualité pour améliorer l‟offre de soins, responsabilité de l‟usager, disparités géographiques, non disponibilité et non « adaptabilité » de l‟offre de soins, mauvaises relations entre usagers et personnels de santé. Les structures de soins et leur fréquentation Des disparités régionales Le réseau des établissements de soins de santé de base (ESSB) qui constitue la porte d‟entrée du système public de soins, s‟est singulièrement densifié durant les deux dernières décennies, le nombre de centres de santé est passé de 1.653 en 1990, à 2.578 en 2006, soit une progression de 56% ; en milieu rural leur nombre atteint 1.887 en 2006 soit 74% des ESSB existant. La desserte globale est passée d‟un établissement pour 14.600 habitants en 1990, à 12.000 en 2006, enregistrant une amélioration de 18%. La desserte en milieu rural est passée quant à elle d‟un établissement pour 10.100 habitants en 1990 à un établissement pour 7.200 habitants en 2006 soit une amélioration de 28,6%. Des inégalités persistent cependant dans un certain nombre de régions où l‟écart avec le niveau national et le niveau du milieu rural reste relativement élevé. En ce qui concerne la couverture hospitalière, la desserte mesurée à partir du nombre d‟habitants par lit pour l‟année 2006 s‟est légèrement détériorée par rapport à 1997 : de 868 habitants en 1997, elle a atteint 919 en 2006, enregistrant un déclin d‟environ 6%. La répartition par région montre que 9 régions ont un ratio de desserte inférieur à la moyenne nationale (variant entre 0,39 et 0,97) alors que 7 régions ont un ratio de desserte supérieur à la moyenne nationale (variant entre 1,03 et 1,74) (Belghiti & Hachri 2007). 5 A. Aouardirhi, « Le droit à la santé pour tous. Plaidoyer pour des soins porteurs de sens et d’humanité », Al Bayane, 9-10 avril 2011, p. 7. 25 L‟offre de soins privée a également singulièrement augmenté. Mais sa répartition sur l‟ensemble du territoire montre un important déséquilibre entre milieu rural et milieu urbain, et aussi entre les régions. En 2005, on observe un ratio de un cabinet médical pour 3.047 habitants en milieu urbain contre un cabinet pour 59.561 habitants en milieu rural. L‟offre se trouve concentrée dans les grandes agglomérations urbaines : 52% des cliniques se trouvent dans les grandes villes avec plus de 48% de la capacité litière totale des cliniques. L‟analyse de l‟offre globale publique et privée montre une faible complémentarité entre les deux secteurs. Généralement, cette offre globale n‟a pas permis de rétablir l‟équilibre entre les différentes régions et encore moins entre les différentes provinces en matière de services de santé de base (Ministère de la santé 2007 b : 22). La sous utilisation des structures de soins Grâce à l‟augmentation de l‟effectif des médecins et du personnel paramédical, au nombre de 13.955 et de 27.644 en 2002, le ratio médecins/habitants n‟a pas cessé de s‟améliorer : d‟un médecin pour 12.120 habitants en 1967, il atteint un médecin pour 1.900 habitants aujourd‟hui (RDH 1 : 60). Néanmoins, le système de soins continue de souffrir d‟une sous-utilisation des services. Le taux d‟utilisation de la consultation médicale est estimé à 0,4 contact par habitant et par an, soit 18 consultations médicales/médecin/journée ouvrable en moyenne. La fréquentation des services de soins préventifs montre une couverture globale de 59% dans la prévalence contraceptive (écart de 15 points entre milieux urbain et rural), 56% pour les soins prénatals (écart de 47 points entre milieux), 46 % pour les accouchements en milieu surveillé (écart de 50 points entre milieux), 87 % pour la vaccination (écart de 13 points entre milieux) (OMS 2003). C‟est dire aussi combien les disparités régionales sont importantes. L‟utilisation des services de santé de base reste limitée et a peu évolué au cours des cinq dernières années : Tableau 1 : Évolution du nombre moyen de consultations médicales et paramédicales dans les ESSB de 2000 à 2005. 2000 2001 2002 2003 2004 Nbre moyen de consultations médicales 0,4 0,4 0,5 0,5 0,5 Nbre moyen de consultations paramédicales 0,7 0,6 0,9 0,9 1,0 Source : Ministère de la Santé, DPRF, Santé en chiffres 2005 6 Une qualité des prestations insuffisantes et une mauvaise distribution spatiale sont là aussi avancées comme causes de cette sous-utilisation des structures publiques : « si le recours alternatif au secteur privé peut partiellement expliquer la faible fréquentation du réseau public des ESSB, l‟insuffisance de qualité des services offerts, d‟accessibilité physique et financière sont les causes essentielles de cette sous utilisation des services » (Belghiti & Hachri 2007 : 18). 6 Le rapport entre milieu rural et milieu urbain est de 1 à 2 : en 2002, le nombre de consultations médicales en milieu urbain s’établissait à 0,6 consultations par habitant et par an, en milieu rural, à 0,3. Par co mparaison, en 2000, la médiane des consultations médicales par habitant et par an était de 0,8 en Tunisie, et 5 en France. 26 Néanmoins, grâce aux efforts en matière de santé maternelle, on a assisté à une augmentation continue du nombre d‟accouchements en milieu surveillé : 28% en 1992, 46% en 1997 (Laabid 2005 : 112), 63% en 2003, 74% en 2010 7. Mais cela signifie aussi qu‟une proportion non négligeable des accouchements se déroule toujours à domicile : en 2003-2004, environ un cinquième des naissances ont bénéficié de l'assistance d'accoucheuses traditionnelles (21%), et une proportion relativement élevée d‟accouchements (15 %) s‟est déroulée avec l‟assistance de parents ou d‟amis (Laabid 2005 : 114). Par ailleurs, dans le rapport de Belghiti et Hachri cité ci-dessus (2007), il est fait remarquer que « parmi les 282 maternités rurales, rares sont celles qui réalisent plus d‟un accouchement tous les deux jours ». Nous verrons ci-dessous, à partir des observations faites dans les sites de l‟étude, que l‟activité de certaines maternités reste toujours très faible . Il faut également faire remarquer que tous les usagers potentiels des services de soins n‟ont pas le même accès aux services de santé. A cet égard, face au vieillissement de la population marocaine constaté d‟une manière générale par le Haut Commissariat au Plan8, le Ministère de la santé avait déjà soulevé la question d‟une sous-utilisation des structures de santé tout particulièrement chez les personnes âgées : « La non utilisation des services de santé est observée davantage dans la tranche d‟âges 70 ans et plus avec un pourcentage de 44,4% de répondants dans cette tranche déclarant ne pas utiliser un service de santé ou ne pas exprimer un besoin de santé » (Ministère de la santé 2007 a : 89). Il y a donc nécessité de prendre en compte non seulement la question des disparités régionales en matière d‟accès aux soins, mais aussi les disparités selon l‟âge et le sexe. Personnels et structures fréquentés Une des raisons du non recours à des prestataires de soins médicaux fréquemment évoquée est le recours à des pratiques et des soins traditionnels. Dans le domaine du diabète, par exemple, le recours aux plantes médicinales est une pratique très courante (Ababou 2009). Mais quelle est l‟ampleur du phénomène ? Dans le cadre de l‟enquête nationale sur les valeurs réalisée à l‟occasion du Cinquantenaire de l‟Indépendance du Maroc, il avait été demandé à la population enquêtée de choisir, par ordre de priorité, deux options parmi les solutions suivantes, les soins traditionnels, la zaiara, le pharmacien, le médecin et l‟infirmier ; les résultats ont montré que « Le recours au médecin vient en premier lieu (46%), puis les soins traditionnels (25%), la pharmacie (24%) La zaiara n‟est citée que par 2% [des enquêtés]. Si on groupe les recours selon qu‟ils sont traditionnels (soins traditionnels et zaiara) ou modernes (pharmacien, médecin et infirmier), nous remarquons que la majorité (72%) recourt aux pratiques modernes » (RDH 3 : 37). Si les préférences vont aussi massivement en faveur des soins médicaux, cela amène alors à relativiser le poids des facteurs dits « culturels », c‟est-à-dire ici liés à l‟attachement à des recours traditionnels, dans le retard à la prise de décision pour recourir à un prestataire de soins (premier délai). Pour en rester aux recours aux soins médicaux dont il sera presque exclusivement question dans ce rapport, le choix du lieu et du type de consultation, sans surprise, est lié au niveau de vie : selon des chiffres se rapportant à la période 2006/2007, 31,3% des malades les moins favorisés ont fréquenté un dispensaire, 7 « Résultats de l'enquête nationale démographique à passages répétés 2009-2010 », Ahmed Lahlimi Alami Libération, Mercredi 22 Mars 2011. 8 Résultats de l'enquête nationale démographique à passages répétés 2009-2010 ibid. 27 12,2% un centre de santé, 5,7% une clinique privée, et 24,7% un cabinet privé pour se faire soigner ; ces proportions atteignent respectivement 7,8%, 5,1%, 13,8% et 52,5% pour les malades les plus favorisés (Direction de la statistique : 39). On notera tout de même ici que le recours des plus pauvres aux structures privées représente une proportion non négligeable (30% si l‟on cumule le recours à une clinique privée et le recours à un cabinet privé). D‟une manière générale, le médecin apparaît toujours comme le recours privilégié : l‟Enquête nationale de la consommation et des dépenses des ménages (ENCDM 2000/2001) établit que le personnel médical le plus consulté est le médecin pour 94,4% des maladies, le pharmacien vient loin derrière en seconde position avec 2,8%, suivis des infirmiers avec 1,9% ; selon le lieu de consultation, les cabinets privés attirent la proportion la plus importante des malades (51,9%), ils sont suivis par les dispensaires et les centres de santé (24,7%) et par les hôpitaux publics (17,7%) (Ezzrari & El Alami El Fellousse 2007 : 6), ces chiffres confirmant donc l‟attractivité du secteur privé. Les barrières identifiées La santé, quelle priorité pour les ménages ? Les raisons quant au retard de décision pour accéder à des structures de soins sont sans doute davantage liées à une hiérarchie des priorités en fonction de la situation socio-économique des ménages qu‟aux facteurs dits « culturels ». La santé ne figure pas parmi les priorités des ménages : parmi les problèmes socioéconomiques perçus par les ménages comme très importants, la santé ne vient qu‟en 4ème position avec 88% des ménages la classant comme priorité, après le chômage (98%), le coût de la vie (92%), les déchets, la propreté, la pollution (91%), et ex-æquo avec la corruption dans le secteur public (88%) (Ministère de la santé 2008). Néanmoins, si l‟on prend une perspective diachronique, on s‟aperçoit, à la lecture du tableau ci-dessous, qu‟entre 1996 et 2009, les besoins en santé, tout en restant loin derrière d‟autres préoccupations comme l‟emploi, les infrastructures routières ou l‟habitat, sont passés du 7 e rang au 5e rang des préoccupations des ménages, et que le besoin ressenti en milieu rural en 2009 vient presque à égalité avec l‟emploi. Tableau 2 : Répartition des besoins selon la proportion des ménages qui les déclarent comme première priorité (en %) Besoins Électricité Eau potable Construction des routes Emploi Habitat économique Égout, assainissement Infrastructure de santé Goudronnage et pavement des rues ou des pistes Éducation Sécurité des citoyens (Taamouti 2010 : 8) Urbain 4,7 6,4 8,8 19,8 18,1 7,6 1,1 4,8 1996 Rural 26,5 23,2 20,6 7,9 2,4 0,6 4,9 0,2 Ensemble 15,2 14,4 14,4 14,1 10,6 4,3 2,9 2,6 Urbain 1,1 2,2 8,1 22,4 14,5 3,8 2 1,6 2009 Rural 1,9 21,3 27,6 9,9 2,9 3,3 9 0 Ensemble 1,4 9,2 15,2 17,9 10,2 3,6 4,5 1,0 0,4 3,3 4,5 0,1 2,4 1,8 1,6 4,6 0,1 0,4 1,1 3,1 28 Par ailleurs, si l‟on se tourne vers les dépenses des ménages, et les déclarations sur les postes de dépenses qui leur posent le plus de problèmes, la santé vient là aussi loin derrière l‟alimentation et l‟habillement ou l‟habitat ; mais la situation n‟a pas évolué entre 2001 et 2007, voire a empiré. Tableau 3 : Répartition des ménages selon les postes de dépenses qui leur posent le plus de problèmes. Poste de dépenses Alimentation et habillement Transport Habitation et équipements Scolarisation des enfants Soins de santé et médicaments Voyage, loisirs et activités culturelles Autres Total (Taamouti 2010 : 6) % des ménages pour lesquels le poste pose problème 2001 2007 53 35 6 10 10 19 12 12 16 16 Coefficient budgétaire (en %) 2001 46 6 26 2 5 2007 44 9 24 3 7 Variation en points -2 3 -2 1 2 2,4 6 2 2 0 4 100 3 100 14 100 12 100 -2 0 Accessibilité physique L‟accessibilité physique à un centre de santé reste un problème majeur en milieu rural. Malgré l‟effort soutenu de création de nouveaux centres, la population demeure encore mal desservie en raison de la distance qui la sépare de l‟établissement de soins le plus proche. Une étude réalisée par le Ministère de la santé en octobre 2003 conclut que 25% de la population se trouvait toujours à plus de 10 km d‟un établissement de soins, avec cependant une légère amélioration par rapport à 1987 où ce pourcentage atteignait 36%. Tableau 4 : Répartition de la population rurale par rayon kilométrique l’établissement de SSB le plus proche (1987, 1996 et 2003) Distances 1987 1996 2003 moins de 3 Km 26 29 41 3 à 6 km 15 18 17 6 à 10 Km 23 22 18 plus de 10 Km 36 31 25 de Source : Ministère de la Santé, DPRF, DHSA (Ministère de la santé 2008) Au niveau national, la distance moyenne parcourue pour rejoindre le lieu de consultation est de 21,9 km, mais des disparités importantes sont observées entre le milieu rural et le milieu urbain : elle est de 13,8 km en milieu urbain, et de 38,5 km en milieu rural. La distance parcourue a bien évidemment des conséquences sur le temps moyen nécessaire pour arriver au lieu de consultation : 49 minutes au niveau national en 2007, soit 35 minutes en milieu urbain, et 77 minutes en milieu rural. Une proportion de 11,1 % des malades citadins contre une proportion de 41,4% de leurs homologues ruraux est obligée de consacrer plus d‟une heure pour se rendre au lieu de consultation (Direction de la statistique : 39). Les utilisateurs résidant en milieu 29 rural semblent être encore plus défavorisés pour l‟accès aux soins hospitaliers : ils mettent en moyenne 90,3 minutes pour atteindre l‟hôpital contre 53 minutes pour les urbains. Dans les 2 cas, 24 à 27% des patients hospitalisés ont utilisé un moyen de transport privé pour accéder à l‟hôpital (Ministère de la santé 2007 a : 97). Le manque de transport représente à lui seul 46,2 % des raisons de non recours aux services de prise en charge de l‟accouchement (Ministère de la santé 2008) Rien d‟étonnant alors à relever que les femmes, dans l‟enquête nationale sur la santé familiale de 2003-2004 ont déclaré parmi les principaux problèmes rencontrés la distance à parcourir pour atteindre un établissement de santé (pour 60% de l‟échantillon), et l‟obligation de prendre un moyen de transport (pour 56% d‟entre elles) ; « ces problèmes sont beaucoup plus fréquents dans le milieu rural que dans le milieu urbain, et ils sont d‟autant plus fréquents que le niveau d‟instruction est faible » (Laabid 2005 : 119). Les femmes ont également évoqué d‟autres problèmes comme la méconnaissance de l‟endroit pour trouver le traitement (52%), le souhait de ne pas vouloir se rendre seule au centre de santé (49%), et le fait d‟avoir à demander la permission d‟aller se soigner (47%) (Laabid 2005 : 119). La durée moyenne pour atteindre un établissement de santé est estimée non satisfaisante par 50% des femmes et 49,5% des hommes. Elle est jugée comme telle par près de 39% des répondants du milieu urbain et par 71% des répondants du milieu rural. Selon le prestataire, il semble que les utilisateurs des services privés accèdent plus rapidement aux structures (47%) que ceux qui utilisent les services publics, avec 51% de réponses défavorables à propos de la durée du temps d‟accès (Ministère de la santé 2007 a : 91). Au-delà de la distance et du temps nécessaire pour accéder à une structure de soins, c‟est aussi « l‟adaptabilité » qui est en cause. Une étude publiée en 2009 sur la couverture des besoins sanitaires conclut à une inadaptation des horaires de travail dans les centres de santé publique : « La population qui a une activité professionnelle est confrontée à des heures d’ouverture des structures publiques (ou de présence d’un médecin) peu compatibles avec sa disponibilité. Pour la population du monde rural qui se lève très tôt et cherche à consulter avant d’aller aux champs, c'est-à-dire tôt, un service qui n’est opérationnel au plus tôt qu’à partir de 9 h, n’est pas un service accessible… les principes élémentaires d’accueil des patients [voudraient] que les patients venus de loin soient accueillis en priorité afin de leur permettre de repartir dans un délai de temps raisonnable. Ceci n’est probablement jamais appliqué et il faut constater – là où l’on a pu étudier la situation – que ce sont les patients venant de plus loin qui attendent le plus. Par exemple dans l’enquête [dans la localité X], 88 % des patients qui ont eu un trajet d’au moins 60 minutes attendent au moins 1 heure afin de voir le médecin. A l’inverse, les habitants les plus proches de la structure attendent quelques minutes » (Conseil santé 2009 : 22-23). Et les auteurs de l‟étude de poser la question : « Est-ce à la population à s‟adapter aux heures d‟ouverture des services ou l‟inverse ? En d‟autres termes, assurer la couverture sanitaire implique une modification des comportements de la population, mais aussi une adaptation des ESSB ». Le Ministère de la santé reconnaît que 100% des usagers des structures de soins trouvent que le délai d‟attente est insatisfaisant ou très insatisfaisant dans le cas de l‟utilisation des services ambulatoires pour les accouchements, les utilisateurs des services privés 30 accédant plus rapidement aux structures (47%) que ceux qui utilisent les services publics, avec 51% de réponses défavorables à la durée du temps d‟accès (Ministère de la santé 2007 a : 91). Afin de pallier en partie ce problème d‟accessibilité physique, une stratégie de mise en place d‟équipes mobiles a été développée afin d‟atteindre les populations les plus éloignées pour compléter la couverture de l‟offre fixe. Nous n‟avons pas connaissance d‟une réelle évaluation de cette stratégie mobile. Cependant, le rapport du Cinquantenaire spécifiquement consacré à la santé émet quelques réserves sur l‟efficacité de cette initiative : « … les performances de ce mode mobile en terme de couverture et de contribution à l‟offre de soins sont faibles, si bien que l‟on peut dire qu‟une partie de la population rurale n‟a que peu accès aux soins. Cette situation est due essentiellement à la diminution du nombre d‟infirmiers itinérants (moins 10% entre 1992 et 1997), à l‟insuffisance des moyens de déplacement, aux conditions de travail dans les localités et aussi à des dysfonctionnements dans l‟organisation et la gestion » (RDH 2 : 28). Accessibilité financière Le manque d‟argent constitue bien évidemment un obstacle à l‟accès aux soins, surtout pour les femmes. Dans l‟enquête EPSF, ce sont 74% des femmes qui ont déclaré être confrontées à un problème d‟accessibilité financière pour accéder aux soins de santé et obtenir un traitement (74 %), ce problème affectant davantage les femmes du milieu rural (85%) que celles du milieu urbain (66%). En outre, ce problème financier se pose de manière plus aiguë pour les femmes qui n‟ont pas d‟instruction, pour celles qui ne travaillent pas ou travaillent sans être payées, et pour les femmes appartenant aux ménages les plus pauvres (Laabid 2005 : 119). Une enquête, certes déjà un peu ancienne, avait tenté d‟identifier les raisons pour lesquelles les femmes n‟avaient pas consulté un médecin à l‟occasion de leur dernier épisode de maladie. On remarquera que le refus du mari, à la fin des années 1990, intervenait très peu, et que le manque d‟argent était surtout évoqué par les populations urbaines. La très grande majorité des répondantes semblaient alors ne pas ressentir le besoin de recourir à une structure de soins, déclarant parvenir à faire face à leur mal sans rien faire, et par recours à l‟automédication, au pharmacien et à la pharmacopée traditionnelle (entre 65 et 70% selon le milieu). Tableau 5 : Raisons pour lesquelles les femmes n’ont pas consulté un médecin à l’occasion de leur dernier épisode de maladie (%) selon le lieu de résidence. Raisons invoquées pour ne pas avoir consulté Consultation d‟un fqih ou d‟un voyant Urbain Rural - 1.9 Recours à la médicine traditionnelle 21.8 26.7 Automédication ou recours au pharmacien 41.1 22.2 8.0 16.8 24.5 2.9 Refus du mari 0.5 1.4 Autres raisons 4.1 6.1 Mal passager ou bénin Manque d‟argent Source: Survey on the time budget of women (1997/98) (Yaakoubd 2009: 31). 31 Une enquête nationale plus récente (2006/2007), et dont les résultats ne font pas apparaître des distinctions par sexe, montre que « l‟incapacité matérielle », expression que l‟on peut traduire vraisemblablement par « incapacité financière », en est venue à être la principale raison du non recours à un personnel de santé, surtout en milieu rural. Une telle évolution est très difficile à interpréter, et il serait sans doute inopportun d‟en déduire ipso facto des difficultés accrues liées à un renchérissement de l‟accès et des prestations. Elle témoigne peu-être aussi d‟une part relative plus importante accordée à la santé et à son coût dans le budget des ménages. Il convient aussi de noter combien la perception de la gravité, ou plutôt ici de la non gravité d‟un épisode, peut influer sur le recours aux soins, notamment en milieu urbain. Tableau 6 : Malades (en%) n'ayant pas consulté un personnel de santé selon les causes Raisons de non consultation Urbain Rural 47.1 54.4 Éloignement du lieu de consultation 1.0 10.4 Coût élevé du transport 0.2 2.7 Difficulté d'accès 0.4 1.9 Manque de médecin ou infirmier 0.2 0.7 Manque d'une femme médecin ou infirmière Manque des services de soins médicaux Maladie passagère ou banale 0.0 0.0 0.3 0.7 37.1 20.0 1.6 0.8 12.2 8.3 Incapacité matérielle Mauvaise qualité du service Autres causes (Direction de la statistique) Les problèmes liés à l‟accessibilité financière et à l‟inéquité sont encore aggravés par des versements « non officiels » aux agents de santé. Selon un rapport de Tranparency International (Transparency s.d.)9, « En ce qui concerne la fréquence de la corruption, le système de santé est classé en troisième position après les agents de la circulation et les moqqadems et chioukhs » (p. 53). Il est précisé plus loin (p. 54) que « Parmi les personnes qui ont répondu et ont été en contact avec le personnel de la santé publique, 40% affirment avoir fait, elles-mêmes ou un des membres de leur famille étendue, un versement illicite, soit 23% de l’ensemble des répondants… Plus des deux tiers des chefs de ménage considèrent que parmi le personnel de la santé publique, les infirmiers sont les principaux bénéficiaires des versements non officiels. Ces versements sont dans la majorité des cas inférieurs à 50 Dhs (61%) mais la moyenne est de 140 Dhs. En ce qui concerne le résultat de ces versements, 81% des chefs de ménage pensent que le résultat attendu a été atteint contre seulement 3% qui reconnaissent l’inutilité du versement ». Ces pratiques, et la nécessité de « moraliser » la situation dans les structures de soins est une priorité affichée ; le Ministère de la santé cherche à les combattre notamment lorsqu‟il reconnaît, dans un document stratégique que, 80% 9 Ce rapport n’est pas daté, mais on peut en déduire qu’il a été établi à partir d’informations recueillies au début des années 2000 puisque l’on peut lire, à la p. 7 du rapport que "La situation ne s’est pas améliorée au cours des trois dernières années précédant l’enquête : 1998-2001". 32 des ménages disent que la corruption est très courante ; dans ce même document, on peut lire : « Pour les montants des versements, 50% des ménages les situent entre 20 et 100 Dh, 8% affirme avoir versé entre 100 et 500 Dh et 4% plus de 500 Dh. Quant à la fréquence des versements, 29% affirment le faire toujours, 35% fréquemment et 30% rarement. Le profil de la personne ayant reçu le versement, 2% des ménages disent l’avoir versé à des administrateurs, 4% à des secrétaires et réceptionnistes, 7% à des sages femmes, 7% à des médecins, 17% à des infirmiers majors et 74% à des infirmiers » (Ministère de la santé 2008). L’accès aux médicaments Selon l‟OMS, au début des années 2000, 35 % des Marocains n‟avaient pas accès aux médicaments essentiels (OMS 2003). La structure des dépenses en soins de santé montre que l‟achat des médicaments occupe la première place dans le budget des ménages alloué au poste de la santé avec un coefficient budgétaire de 44,2%. La dépense annuelle par personne consacrée à l‟achat des médicaments atteint en 2006/2007 241,7 Dh (contre 229,5 Dh en 2001) avec une forte disparité selon le milieu de résidence et la classe de dépense. En effet, cette dépense s‟établit à 306,8 Dh par personne en milieu urbain contre 157,2 Dh en milieu rural et passe de 62,6 Dh (51 Dh en 2001) à 571,6 Dh (574,9 Dh en 2001) entre le premier et le dernier quintile de dépense (Direction de la statistique : 41). Entre les pauvres et les non pauvres, on retrouve également des différences importantes dans la structure des dépenses de santé. En effet, les médicaments représentent 70,4% de la dépense de santé pour les pauvres et 26,8% pour les non pauvres. A l‟inverse, les soins hospitaliers représentent 1,5% et 17,2% respectivement chez ces deux catégories de ménages (Ministère de la santé 2007 a : 110). La presse se fait régulièrement l‟écho des débats autour du médicament et que l‟on pourrait caricaturer de la manière suivante : les médicaments au Maroc sont chers, les génériques ne sont pas suffisamment prescrits, les relations entre les pharmaciens, les industries pharmaceutiques, les caisses qui assurent les couvertures sociales, et le Gouvernement autour de la fixation des prix des médicaments sont régulièrement très tendues. Selon le Ministère de la santé, malgré les acquis enregistrés par le secteur du médicament et de la pharmacie, des problèmes persistent encore et sont liés essentiellement à : - - La faiblesse de la production du médicament générique (pour le Ministère de la santé, en 2001, les génériques ont représenté 91% du volume des achats et 77% en valeur des appels d‟offres). En 2002, en volume, les génériques représentent 49,9 Millions d‟unités (boîtes) soit 24,6% en volume du marché pharmaceutique privé. En valeur, ils représentent 1,3 Milliards de Dh (2,7 Milliards de Dh en dépenses) soit 24,4% du marché. En 2006, les génériques ont représenté en nombre de boites 24,6% et en valeur 24,4%. La multiplicité des unités de fabrication dont la taille ne permet pas d‟affronter la concurrence et la mondialisation. Une gestion de l‟approvisionnement en médicaments dans le secteur public notamment au niveau des hôpitaux qui pâtit de l‟absence de missions claires, de procédures rigoureuses standardisées, de normes d‟entreposage et de gestion des stocks et de mesures de suivi des médicaments après leur sortie des pharmacies (problème de traçabilité) (Ministère de la santé 2008). 33 L‟accessibilité au médicament souffre aussi de la concentration des officines en milieu urbain et d‟un déficit que ne peut pallier un secteur public sous financé, ce qui engendrerait une disponibilité partielle du médicament nécessaire aux soins curatifs dans les structures de soins publiques (RDH 2 : 8). Conclusion : des déficits importants et des insatisfactions L‟offre de soins au Maroc souffre donc globalement de déficits importants, l‟ONDH qualifiant « d‟inacceptable » le faible niveau d‟accès aux services de santé de base, surtout pour les habitants des campagnes et les couches pauvres de la population (ONDH 2009 : 90). On peut déplorer la faible complémentarité entre les secteurs publics et privés ; l‟offre globale (publique et privée) n‟a pas permis de rétablir l‟équilibre entre les différentes régions, et encore moins entre les différentes provinces, en matière de services de santé de base (Ministère de la santé 2008). Au déficit quantitatif et aux disparités régionales s‟ajoutent un déficit en qualité : « 12% des malades (hommes ou femmes) n‟ont pas trouvé une réponse à leurs besoins de soins au moment de la demande. Il est aussi paradoxal de constater que même en milieu urbain 11,8% de la population est concernée par ce constat (13,5% en rural) » (Ministère de la santé 2007 a : 89). Les habitants du milieu urbain ne se sentent donc pas toujours mieux lotis que ceux du milieu rural. Une insatisfaction générale s‟exprime dans la population, et parmi les usagers des structures de soins, il apparaît que les utilisatrices des services ambulatoires pour des prestations d‟obstétrique sont les moins satisfaites du respect de la dignité dans ces structures (51,5% d‟insatisfaites en milieu rural, 39% en milieu urbain). Ceci expliquerait en partie la non utilisation de ces services censés fournir des prestations de proximité aux parturientes et leur éviter des déplacements vers des structures hospitalières éloignées, ce qui pourrait être une des explications du choix de l‟accouchement à domicile. Les moins insatisfaits de ces critères de respect de la dignité sont les patients suivis pour affections chroniques (22% d‟insatisfaits en milieu rural, 13% en milieu urbain). Relativement au secteur d‟activité, les répondants utilisateurs du secteur public sont les plus insatisfaits en ce qui concerne le respect de la dignité (38% d‟insatisfaits en milieu rural, 24.5% en milieu urbain, contre respectivement seulement 7% et 4% dans le secteur privé) (Ministère de la santé 2007 a : 92). Les études sur l‟accès aux soins que nous avons consultées font donc état de disparités régionales importantes sur l‟ensemble du territoire, mais aussi entre milieu rural et milieu urbain (ce dernier étant cependant loin d‟être toujours synonyme de facilité d‟accès et de qualité des soins) et d‟insatisfactions : difficultés d‟accès géographique, coût des prestations et des médicaments, indisponibilité des prestataires, absence de complémentarité entre offres publique et privé, indélicatesses des soignants, tels sont quelques uns des items revenant régulièrement dans la littérature pour expliquer la sous-utilisation des services de santé, autant de thèmes sur lesquels l‟étude dans les trois sites reviendra. 34 Références Ababou M. (2009) « Un véritable dilemme pour les diabétiques marocains : le recours aux plantes médicinales », in H. Greche & A. Ennabili (éd.) 2009. Recherches sur les plantes aromatiques et médicinales. 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(2009) “The Social Dimension of Health in Morocco”, Population Review, 48 (1) : 20-38. 36 Chapitre - 2Présentation des sites de l’étude: Provinces de Figuig et d’Azilal, Préfecture de Salé Marc-Éric Gruénais Comme nous le précisions dans l‟introduction, l‟étude a principalement procédé par études de cas dans trois régions du Maroc : deux zones que l‟on pourrait qualifier de « rurales », tant elles puisent leurs ressources essentiellement de l‟agriculture et de l‟élevage, avec des centres urbains de taille réduite, les provinces de Figuig et d‟Azilal ; et une zone urbaine, la préfecture de Salé. Ce choix de procéder par études de cas dans un nombre limité de régions se justifie tout d‟abord par la perspective essentiellement qualitative de l‟étude (même, pourrait-on dire dans ses aspects quantifiés – cf. chapitre 4) afin d‟obtenir l‟information la plus précise possible sur la question de l‟accès aux soins ; ce qu‟une telle perspective fait perdre en extension (ce que permet une enquête sur des sites plus nombreux et représentatifs), elle permet de le gagner en compréhension (la précision de l‟information). Le choix a été guidé par le souci de mettre en évidence les situations relatives à l‟accès aux soins dans des contextes particulièrement contrastés ; les provinces de Figuig et d‟Azilal, pas davantage que la préfecture de Salé, ne sont représentatives du milieu rural et du milieu urbain. Les informations rapportées dans ces sites particuliers mettent en évidence des difficultés parfois extrêmes d‟accès aux soins. Néanmoins, gageons que les connaisseurs d‟autres régions du Maroc retrouverons dans les situations rapportées des réalités connues, et que la différence sera bien souvent davantage de degré que de nature. Ce chapitre présente quelques spécificités des trois sites choisis, tant du point de vue géographique, que de celui des systèmes de santé locaux. Les informations restituées ci-dessous proviennent de sources très différentes, qui paraîtront parfois un peu anciennes, et nous sommes bien conscients et que des actualisations conséquentes puissent paraître nécessaires. Précisons cependant que s‟il existe beaucoup d‟informations sur les régions du Maroc, la localisation des sources est parfois difficile, et l‟information précise doit souvent être recherchée aux niveaux les plus localisés, sans compter qu‟elle n‟est pas toujours de nature homogène. Néanmoins, nous espérons que les informations sur les trois sites telles qu‟elles sont ici présentées permettront aux lecteurs d‟avoir un aperçu suffisamment précis pour se faire une idée de la spécificité et de la disparité des contextes. La Province de Figuig Selon le recensement de 2004, la Province de Figuig totalisait 129.430 habitants sur une superficie de 55.990 km² ; il s‟agit donc d‟un territoire particulièrement étendu et avec une très faible densité de population : en moyenne 2,3 habitants/km² ; 1,6 habitants/km² pour les seules communes rurales. La Province ne comprend que deux communes urbaines : Bouârfa, le chef lieu, où sont regroupés les services déconcentrés de l‟État, et la ville de Figuig à la frontière avec l‟Algérie. L‟élevage extensif (essentiellement d‟ovins et de caprins) est l‟activité prédominante dans la province qui est aussi connue pour sa population rurale dite 37 « nomade ». En fait de population nomade il s‟agit surtout de populations vivant dans des campements très dispersés, composés d‟une famille plus ou moins élargie, combinant fréquemment habitat sous une tente et petites habitations ou hangars en pierre (cf. illustration ci-dessous). Ces campements, particulièrement dispersés et très faiblement peuplés, restent fixes désormais pour la plupart. Cette sédentarisation, et parfois les regroupements de campements sont expliqués localement par la sécheresse, la dégradation des terres, et la mise en défens corrélatives de certaines zones qui limite les zones de pâturages ; elle s‟expliquerait aussi par le souci des « nomades » d‟avoir un accès permanent aux services de base de l‟État : administration territoriale, école, services de santé notamment, parfois eau et électricité. Photo 1 : Un campement de « nomades » dans la province de Figuig (photo M.E. Gruénais) Outre la dispersion et la faible densité de la population et la distance à parcourir pour aller d‟une commune à une autre, on est frappé en sillonnant la province combien la population de cette province se répartit en fonction de trois axes principaux : au centre, un axe nord-sud, regroupant les communes de Tendrara, Bouârfa et Matarka s‟organisant dans la proximité de la route menant de Bouârfa jusqu‟à Oujda ; à l‟est, les communes de Figuig et Abou Lakhal, le long de la frontière algérienne ; à l‟ouest, les communes de Bouanane, Beni-Tadjit, Aïn Chair, Talsint, Boumérieme, Bouchaouène plus montagneuse, et plutôt tournée vers Missour au nord, ou vers Errachidia à l‟ouest. Comme l‟illustre la carte n°1 ci-dessous, la province de Figuig fait partie des provinces particulièrement pauvres du Royaume. Alors qu‟en 2004, au niveau national, le taux de pauvreté s‟établissait à 14,2% (7,9 % en milieu urbain, 22% en milieu rural), la Région de l‟Oriental accusait alors un certain retard par rapport à la moyenne nationale (moyenne 17,9%, 13,8% en milieu urbain, 24,8% en milieu rural), et la Province de Figuig encore davantage (moyenne 27,1%). 38 Carte 1 : La Province de Figuig (Document INDH) Le tableau n°7 ci-dessous, fondé sur les données du recensement de 2004, donne les informations de population et de pauvreté pour chacune des communes avec des taux qui dépassent parfois 60%. Les chiffres de 2007 attestent cependant d‟une réelle amélioration de la situation globale puisque le taux de pauvreté pour la Province de Figuig est passé à 13,8% (8,9 % au niveau national), la Région de l‟Oriental étant celle où la pauvreté a le plus baissé entre 2004 et 2007 (-43,9%), après la Région de Laâyoune-Boujdour-Sakia El Hamra (-65,9%) (HCP 2010). 39 Tableau 7 : Les communes de la province de Figuig Communes CR Abbou Lakhal CR Boumérième CR Maatarka pop rurale CR Tendrara pop urbain e pop CR Bouanane rurale pop & Aïn Chair urbain e pop rurale CR Talsint pop urbain e pop rurale CR Beni-Tadjit pop urbain e CR Bouchaouène CR Bni Guill CR Aïn Chouatter CU Bouarfa CU Figuig Province 1 497 7 488 8 030 Taux de pauvreté en % 66.85 62.68 62.53 5 803 48.93 22.96 6 254 22.31 22.89 7 564 44.47 22.77 3 254 12.28 18.21 7 553 43.81 23.81 7 098 17.89 20.07 6 902 39.85 24.23 8 029 9.85 15.89 11 231 9 059 1 144 25 947 12 577 129 430 37.74 31.67 13.33 19.32 15.46 27.09 24.64 22.49 19.50 20.02 17.40 20.41 Population Taux de vulnérabilité en % 16.07 20.32 19.42 Taux d‟analphabétisme en % 72.7 77.3 83.6 Superficie en km² 3102 2900 9000 60.5 8359 53.7 5010 59.4 3700 41.2 2630 91.0 71.9 41.7 29.2 22.6 52.7 4491 8834 7922 7 35 55 990 Source INDH – Province de Figuig La Province de Figuig est desservie par un hôpital provincial localisé à Bouârfa, deux centres de santé urbain localisés dans la ville de Figuig (dont un ancien hôpital local), et douze centres de santé ruraux auxquels viennent s‟ajouter 7 dispensaires ruraux ; 5 centres de santé disposent d‟un module d‟accouchement. La répartition des formations sanitaires est représentée dans la carte n° 2 ci-dessous. Dans la Province de Figuig comme ailleurs, l‟INDH, de 2005 à 2010 a appuyé le secteur de la santé en participant au financement de 17 projets pour un total dépassant 4,7 millions de Dh, ce qui représente environ 5,4% de la totalité des dépenses de l‟INDH pour cette période. La plupart des projets soutenus par l‟INDH a consisté soit en achats d‟ambulances, soit en construction. 40 Carte 2 : les établissements de santé de la province de Figuig CSUA : CSU : CSCA : CSCA : DR : Centre de santé urbain avec module d‟accouchement Centre de santé urbain Centre de santé communal avec module d‟accouchement Centre de santé communal Dispensaire rural Document SIAAP Province de Figuig La Province d’Azilal La Province d‟Azilal s‟étend sur une superficie de 9.800 Km², essentiellement montagneuse à l‟exception d‟une partie au nord de la Province qui relève de la plaine de Tadla et du Haouz (cf carte n°3 ci-dessous). Sa position à cheval sur le Moyen Atlas et le Haut Atlas lui confère un relief très accidenté. En hiver surtout, mais aussi parfois au printemps, les intempéries (neige et pluies rendent temporairement les routes impraticables et/ou les gués infranchissables) font que certaines communes sont parfois inaccessibles une partie de l‟année, et les autorités reconnaissent l‟existence de douars « enclavés » : « … en dehors de la route régionale n°304 qui traverse la Province et quelques autres tronçons revêtus, plusieurs voies de communication ne sont pas encore construites. Quant aux pistes existantes, elles sont pour la plupart défectueuses et deviennent impraticables lors des intempéries, ce qui accentue davantage l’enclavement d’un grand nombre de localités pendant la saison hivernale en particulier. De ce fait des efforts sont déployés par tous les intervenants concernés, à savoir l’administration et les conseils communaux pour rétablir la situation des pistes pour assurer le désenclavement de plusieurs douars ». (Azilal 2010 a : 52). Le taux de couverture par le téléphone mobile est de 85% (ibid.). 41 Carte 3 : La Province d’Azilal (source Délégation provinciale de la santé) 42 La Province regroupait 504.501 habitants en 2004, dont 453.023 en milieu rural. Pour l‟ensemble de la Région Tadla-Azilal, les commentaires du RGPH de 2004 évoquaient pour cette région un faible taux d‟urbanisation, un rythme d‟accroissement annuel de la population très inférieur à la moyenne nationale (0,9% pour cette région contre 1,4% pour la moyenne nationale), et partant une tendance au vieillissement de la population pour ce site (RGPH 2004 a). La Province d‟Azilal comprend 2 pachaliks (Azilal et Demnate), 4 cercles (Azilal, Bzou, Demnate, Ouaouizerth), 16 caïdats, 42 communes rurales, et 2 municipalités. Selon un des responsables de l‟administration provinciale, la Province compterait 14 communes rurales « enclavées », inaccessibles en hiver. Sans surprise, étant donné le caractère particulièrement rural de cette province, l‟essentiel de l‟activité est tournée vers l‟agriculture (principalement céréales et arboriculture) et l‟élevage (caprins et ovins essentiellement) (Azilal 2010 a). La Région de Tadla Azilal, au regard des chiffres sur la pauvreté, pourrait être qualifiée de « moyennement pauvre » se situant au milieu du tableau du classement des régions en fonction de leur pauvreté (7 e rang). Le taux de pauvreté en milieu urbain, pour l‟ensemble de la région, est plus élevé que la moyenne nationale (6,2% contre 4,8%), quant au taux de pauvreté du milieu rural, il est plutôt moins élevé (11% contre 14,4%). Cependant, on peut supposer que ce « bon score » pour le milieu rural est surtout du a l‟activité économique agricole importante dans la plaine de Tadla, car si l‟on se concentre sur la seule Province d‟Azilal, essentiellement rurale, le taux de pauvreté global en 2007 est très supérieur au niveau national (14,4% contre 8,9%). Il convient cependant de relever que la situation s‟est nettement améliorée au regard des derniers chiffres puisque le taux de pauvreté global pour cette province était de 14,4% en 2004, et de 9,3% en 2007 (HCP 2010). Dans la province, la pauvreté est très inégalement répartie comme le montre la carte n°4 qui confirme bien que les communes les moins pauvres sont pour l‟essentiel celles situées dans la plaine. 43 Carte 4 : Répartition du taux de pauvreté par commune – Province d’Azilal (Azilal 2010 b) La quasi-totalité des communes situées dans la zone montagneuse de la province a été ciblée par l‟INDH, comme le montre la carte 5 ci-dessous. De 2006 à 2010, l‟INDH a soutenu 30 projets relatifs à la santé pour un total de 8 804 420 dirhams. Il s‟agit le plus souvent d‟achats d‟ambulance ou de constructions, plus rarement d‟appui à des mutuelles communautaires ou des actions de sensibilisation10. Dans la Monographie d‟Azilal (Azilal 2010 a) on relève que les projets concernant la santé représentent 7% du budget total du budget de l‟INDH pour la Province, les premiers postes des dépenses de l‟INDH sont consacrés à l‟appui à la construction des routes, à l‟adduction d‟eau et à l‟agriculture. 10 DAS d’Azilal – communication personnelle 44 Carte 5 : les communes INDH dans la province d’Azilal (source : INDH) La province d‟Azilal est desservie par un hôpital provincial d'une capacité de 130 lits. Par ailleurs, s‟agissant des soins hospitaliers, la commune de Demnate à l‟ouest bénéficiait des prestations d‟un hôpital local, avec une capacité d‟hospitalisation de 26 lits et un bloc opératoire ; à ce titre, jusqu‟en juillet 2010, un gynécologue y était affecté. Dans la carte sanitaire actuelle, la dénomination « hôpital local » a disparu, et cette structure de Demnate est devenue un « centre de santé urbain avec module d‟accouchement » (CSUA), dès lors il n‟a plus à bénéficier de prestations de spécialistes, et le gynécologue est donc parti. Néanmoins, il existe un projet de construction d‟un nouvel hôpital à Demnate. En incluant l‟ex-hôpital local devenu centre de santé de Demnate, la province d‟Azilal totalise 76 formations sanitaires de base qui se répartissent de la manière suivante : Tableau 8 : Le réseau de soins de santé de base de la Province d’Azilal Structures Centres de santé urbains Centres de santé communaux avec module d‟Accouchement Nombre 3 19 Centres de santé communaux 23 Dispensaires ruraux 30 TOTAL formations sanitaires y compris le CSUA Demnate (Azilal 2010 b) 45 76 Il convient d‟ajouter que l‟on trouve également dans la Province 12 cabinets de consultation privée et 36 pharmacies ou dépôts pharmaceutiques. Près de 30% de la population vit à plus de 10 km d‟une formation sanitaire. Au 11/11/2010 62 médecins généralistes et 42 sages femmes étaient recensés par la Délégation provinciale de la santé. On recensait également 46 ambulances dont 24 ambulances du Ministère de la santé (10 de celles-ci sont identifiées comme étant « en panne ») ; les autres relèvent des communes (13)11, de la Protection civile (3), du Croissant rouge (1), d‟associations (2) ou encore du secteur privé (3) (Azilal 2010 b). On peut donc en conclure que l‟essentiel des transports par ambulance est réalisé par des véhicules qui n‟appartiennent pas au Ministère de la santé. La répartition géographique des formations sanitaires est présentée dans la carte 6 ci-dessous : Carte 6 Les infrastructures sanitaires de la Province d’Azilal (Azilal 2010 b) Ait Oukabli INFRASTRUCTURE SANITAIRE DE LA PROVINCE D'AZILAL Province de BENI MELLAL Issekssi Sidi ali Tizgui Ait Tamajoute Afourer Timoulilte ben brahim Bouazier Rfala Ait Guirte Tanfarda Oued Indaren Ouaouizerth Taglefte Ait Taghrarte Attab Tisqui Laabid Ait W aarda Tabarouchte Guimi Bzou Province Tirste Tiferte Nait Hamza Foum Jema Tamda Tislite AZILAL taguel. Ait wirar Ifrane Tissa Tanant Bouhrazen Skoura DES SRAGHNAS Anergui Tilouguite Ouaoula Ait Maj den Ait Chouarite Imlil Ait Salah Sguat Tidili DEMNATE Mahda Draa Iwariden Ihoudjine Iminifri Bouachiba Ait Maalla Province d'EL HAOUZ D'ERRACHIDIA Taounza Bin El Ouidan InguirteAgoudid Ait Mazigh Ibarag. Tabia Ouzoud d'EL KELAA Province Zaouit Ahansal Ait Mhamed Ait Blal Igmir Tizgui Ait Toutline Tifni Abachkou Sremte Tabant : Hôpital Provincial : Centre de Santé Urbain (C.S.U.) : Hôpital local : Centre de Santé Communal + Accouchement ( C.S.C.A.) Issoulane : Centre de Santé Communal (C.S.C.) Ait Tamlil : Dispensaire rural ( D.R. ) Province d'OUARZAZATE Une étude effectuée en 2004 dans la province d‟Azilal illustre bien la réalité des difficultés d‟accès aux soins pour une part importante de la population : « Le temps de déplacement de 62 % de la population est d’environ 60 minutes pour arriver à pied au centre de santé et 15 % réside à au moins 20 km de la première structure de soins. Certaines familles sont encore bien plus éloignées. L’on cite des chiffres de familles à 60 ou même à plus de 100 km d’un ESSB. Dès lors certaines populations ne cherchent à recourir aux structures de soins que pour les urgences. Dans certaines zones leur éloignement est tel que le décès arrive parfois avant l’accès à la structure et oblige à rebrousser chemin » (Conseil santé 2009). Dans une 11 Il s’agit essentiellement de véhicules achetés dans le cadre de projets soutenus par l’INDH. 46 des circonscriptions sanitaires où nous avons plus particulièrement travaillé (Aït M‟Hmed) il nous a été précisé que le douar le plus éloigné du centre de santé en était distant de 30 km, et que 15 douars sur 45 que compte la commune rurale étaient inaccessibles en voiture. Pour l‟année 2009, le taux de couverture d‟accouchement en milieu surveillé s‟établissait à 36,74 %, le taux de recrutement en consultation prénatale à près de 60%, et le nombre moyen de consultations médicales par habitant, à 0,69 (Azilal 2010 b). La très précise monographie sur la santé de la Province d‟Azilal, dont nous avons extrait la majorité des informations rapportées ci-dessus, s‟achève par la mention des points forts et des points faibles du système de santé local que nous reproduisons ci-dessous. Points forts : o Amélioration relative des indicateurs de résultats des programmes sanitaires ; o Infrastructure sanitaire renforcée ; o Partenariat avec les collectivités locales assez développé ; o Participation communautaire assez développée ; Existence du projet MOR (FNUAP) et du Programme d‟appui à la régionalisation, à la déconcentration et au renforcement des soins de santé de base (REDRESS Agence française de développement). o Soutien des projets par l‟INDH. Points faibles : o Performances du système sanitaire insuffisantes ; o Milieu rural très défavorisé ; o Accès aux soins faible (plus de 15% de la population non couverte) ; o Insuffisance en moyen de mobilité et en personnel pour la stratégie mobile ; o Parc auto peu développé (35% des véhicules à réformer) ; o Instabilité du personnel. La Préfecture de Salé La population de la Préfecture de Salé est passée de 586.419 en 1994 à 769.500 en 2004, avec un taux d‟accroissement de 2,8% qui est le plus important de l‟ensemble de la Région Rabat-Salé-Zemmour-Zaër (RSZZ) ; la part de la population rurale représentait 12,1% en 2004 (RGPH 2004 b). Le recensement général de la population pour l‟année 2004, à propos de la région RSZZ relevait combien l‟accroissement démographique important de l‟ensemble de la région créait des besoins supplémentaires en investissements qui, pour absorber les effets de l'augmentation de la population, risqueront d'être importants ne serait-ce que pour maintenir les niveaux de vie actuels : « Au rythme actuel de l'accroissement démographique, il faudra renforcer l'infrastructure et l'encadrement social existant pour maintenir les niveaux de fréquentation scolaire, les niveaux d’activité et des prestations sanitaires ainsi que les conditions d'habitation de la population » (RGPH 2004 b). Pour la région RSZZ, le taux de pauvreté global était de 5,1% en 2007, avec 3,6% en milieu urbain, et 11,4% milieu rural (au niveau national il se situe à 8,9%, soit 4,8% en milieu urbain et 14,4% en milieu rural). Pour la seule Préfecture de Salé, entre 2004 et 2007, ce taux est passé de 6,5% à 4,9% (HCP 2010). Dix zones de Salé ont été plus particulièrement ciblées par l‟INDH : Souani, dans 47 l‟arrondissement de Lamrissa ; El Guezara, Amal Mabrouka, Daya Abdelmoula, Jnane, El Houat et Mazza, dans l‟arrondissement de Laayayda ; Hay Rachad, Hay Al Kifah et Hay Al Wahda, dans l‟arrondissement de H‟Ssein. La carte 7 ci-dessous représente les quartiers urbains de la préfecture de Salé et les zones ciblées INDH. Carte 7 : les quartiers urbains ciblés INDH de la Préfecture de Salé (source : INDH). Dans la Préfecture de Salé, les interventions de l‟INDH dans le domaine de la santé sont beaucoup plus diversifiées que dans les autres sites, avec moins de construction mais davantage d‟aides à des associations et à des initiatives d‟accompagnement de populations à besoins spécifiques. Les projections faites à partir du recensement de 2004 donnent une population totale estimée à 940.000 personnes en 2010, chiffre retenu aujourd‟hui par la Délégation préfectorale de la santé de Salé. Selon le dernier découpage administratif de juin 2009, quatre communes composent la Préfecture de Salé : deux communes urbaines, Salé, avec 5 arrondissements qui totalisent 887.000 habitants et Sidi Bouknadel, qui était une commune rurale il y a encore peu de temps, avec 17.000 habitants ; et deux communes rurales, Ameur (née d‟une division de l‟ancienne commune rurale de Bouknadel), avec 20.800 habitants ; et S‟houls, avec 15.200 habitants. 48 Carte 8 : Carte sanitaire, communes et arrondissements de la Préfecture de Salé (source : Délégation préfectorale de la santé de Salé)12. La fréquentation des établissements de santé publics s‟établit à 0,8 consultations par habitant et par an. En 2010, la population de la Préfecture de Salé était desservie par 26 établissements de soins, dont 2 dispensaires ruraux et 2 centres de santé avec module d‟accouchement. Les disparités en matière de population desservie par centre de santé sont considérables, allant de 4.000 à plus de 80.000 habitants, comme le montre la répartition démographique par circonscription sanitaire présentée ci-dessous dans le tableau 9. 12 On aura remarqué que cette carte a été établie avant le découpage de la commune de Bouknadel en deux, avec la commune urbaine de Bouknadel, et la communre rurale de Ameur. 49 Tableau 9 Population par circonscription sanitaire (estimation) Année 2010 CIRCONSCRIPTIONS SANITAIRES BAB KHEMISS BAB SEBTA BETTANA BOUKNADEL DCM EL KARIA HAY EL KIFAH HAY ER-RAHMA HAY ESSALAM HAY SALAM 2 HSSAINE JARDA LAARJATE TYPES D‟ÉTABLISSEMENT DE SOINS Centre de santé urbain Centre de santé urbain Centre de santé urbain Centre de santé urbain Centre de santé communal avec module d‟accouchement Centre de santé urbain Centre de santé urbain Centre de santé urbain Centre de santé urbain Centre de santé urbain Centre de santé urbain Centre de santé urbain Centre de santé communal avec module d‟accouchement Centre de santé urbain Centre de santé urbain Centre de santé urbain Centre de santé urbain Centre de santé urbain Centre de santé urbain Centre de santé urbain Dispensaire rural Dispensaire rural Centre de santé urbain Centre de santé urbain Centre de santé urbain Centre de santé urbain LAAYAYDA LAAYAYDA 2 MOULAY SMAIL PEPINIERE SAID HAJJI SALA AL JADIDA SALA ALJADIDA 2 S'HOUL SIDI AZOUZ SIDI HMIDA SIDI MOUSSA SOUANI TABRIKET TOTAL Source : Ministère de la santé – Délégation Salé Médina POPULATION 25000 22000 35000 37800 56000 84000 60000 82000 22000 64000 9000 20000 3900 80000 64000 24000 27000 36000 27000 36000 4300 7000 4000 32000 33000 45000 940000 Salé bénéficie également des services d‟un hôpital préfectoral ancien, l‟Hôpital My Abdellah d‟une capacité litière de 169 lits, dont une maternité de 45 lits (un nouvel hôpital est en construction) auxquels viennent s‟ajouter deux services du CHU : l‟Hôpital de Réadaptation Al Ayachi, et l‟Hôpital de Psychiatrie Razi. Il faut encore ajouter un certain nombre de structures d‟appui comme un Centre Diagnostic Polyvalent, un Centre de Diagnostic et de traitement des maladies respiratoires, un Centres d‟Hémodialyse, Centre Médico-social scolaire. Le secteur privé est également bien représenté avec 5 cliniques et 128 médecins généralistes dénombrés en 2007 (Salé 2007). Néanmoins, rapportée aux moyennes nationales, l‟offre de soins publique apparaît très insuffisante : alors que le ratio habitants/ESSB s‟établissait, en 2009, à 1 ESSB pour 11.890 habitants au niveau national, et à 1 ESSB pour 20.504 habitants au niveau régional, pour le milieu rural, à Salé, il s‟établissait à 1 ESSB pour 14.000 habitants, et pour le milieu urbain à 1 ESSB pour 39.364 habitants, atteignant des ratios de 1 ESSB pour 69.000 habitants dans l‟arrondissement de Laayayda. Les déficits en matière de ratio par soignants sont à l‟avenant : 50 Tableau 10 : ratios habitants par médecin & par infirmier et par région (Salé 2009) Habitants/médecin Habitants/infirmier Salé 4677 2410 Région 1084 1538 National 1782 1099 Le diagnostic sur l‟offre de soins de base fait par la Délégation préfectorale de la santé est sans appel ; nous en reproduisons ci-dessous un long extrait : « Au problème de sous couverture se surajoute celui de la vétusté des bâtiments, des installations et du mobilier. En effet, 8 centres de santé dépassent 30 ans d’âge. Et les budgets alloués annuellement ne permettent pas de répondre à tous les besoins de réhabilitation - Plateau technique : Les équipements médico-techniques sont largement insuffisants et les ressources financières mobilisées ne permettent pas d’en assurer le renouvellement régulier. Ce problème est aggravé par la quasi absence de maintenance curative et préventive… ; problèmes qu’il devient impératif de solutionner au regard des nouvelles missions que doivent remplir les ESSB (prise en charge des maladies chroniques, examens complémentaires, échographie obstétricale, examens biologiques…). - Ressources humaines : Contrairement aux idées reçues, les ressources humaines, paramédicales surtout mais aussi médicales, sont insuffisantes en quantité et en qualité. Certaines activités commencent à être franchement menacées par cette situation. C’est le cas des activités de santé scolaire où on ne compte plus que 4 infirmiers, de l’espace santé jeunes toujours non fonctionnel en raison de l’absence de personnel paramédical. C’est le cas également des activités de lutte antituberculeuse qui ne compte plus que 4 bacilloscopistes dont 2 partiront en retraite dans les 2 années à venir, et des activités de dialyse. Certains profils, comme par exemple les assistants dentaires, les psychologues… sont carrément inexistants. - Moyens de mobilité Ils constituent une contrainte majeure pour les activités de supervision, d’approvisionnement des ESSB, et pour toutes les autres activités requérant le déplacement des professionnels de santé (Santé scolaire, Enquêtes épidémiologiques, relances de malades tuberculeux, Enquêtes préliminaires sur les décès de femmes en âge de procréer et autopsies verbales…). - Budget pharmacie Le budget dédié à la pharmacie reste insuffisant pour répondre aux besoins de la population. Prés de 73% vont à la prise en charge des maladies chroniques (45 % pour le diabète), sans qu’on soit en mesure de satisfaire l’ensemble de la demande » (Abdelmoumen & El Amrani 2010). 51 Le taux de recrutement pour les consultations prénatales est resté stable entre 2008 et 2009. En revanche, les femmes enceintes ont été recrutées plus tôt et ont bénéficié de plus de visites prénatales. Le résultat a été une détection plus importante des grossesses à risque. Il a également été enregistré une augmentation de prés de 15% du nombre d‟accouchement dans les structures de santé sous l‟effet de l‟entrée en vigueur de la gratuité dans les hôpitaux. La même tendance à la hausse a été constatée pour les césariennes. Mais la proportion d‟accouchements en milieu surveillé s‟établit à 50,4% en 2009 (Abdelmoumen & El Amrani 2010). Conclusion : trois sites, trois contextes spécifiques Chacun des trois sites de l‟étude a des spécificités très marqué en regard du contexte géographique, social, économique, culturel, mais aussi de son système de santé local. La Province de Figuig est caractérisée par une faible densité d‟une population très dispersée, ce qui constitue en soi un frein à l‟efficience de l‟offre de soins. On y relève aussi une importante centralisation des services dans la principale commune de la zone, Bouârfa. L‟offre de services publics, dans la Province d‟Azilal est plus diffuse, avec notamment les deux « pôles » constitués par les communes d‟Azilal et de Demnate, et des accès relativement faciles à Beni Mellal et Marrakech. Néanmoins, le relief très accidenté et montagneux est à l‟origine de réels problèmes d‟accès géographiques – incontestablement les plus importants des trois sites – avec des douars et des villages « coupés du monde » à certaines périodes de l‟année. A Salé, a priori, l‟accessibilité géographique aux formations sanitaires ne se pose pas, d‟autant moins si l‟on considère la proximité de Rabat avec les structures de soins offrant les plateaux techniques parmi les plus élevés du pays, d‟une part, et d‟autre part, l‟importance de l‟offre privée. Néanmoins, eu égard à la concentration et à l‟accroissement de la population, la « pression » sur les centres de santé augmente également et l‟enjeu principal est le maintien à niveau de l‟offre de services publics, notamment sanitaire. Partout, à considérer les principaux indicateurs, la situation s‟améliore (recul de la pauvreté, densification de l‟offre de soins). Partout, également, on rencontre des problèmes analogues liés à la gestion des ressources humaines, à la vétusté du parc automobile du Ministère de la santé, et, comme nous le verrons aux chapitres suivant à l‟insuffisante disponibilité et « adaptabilité » de l‟offre de soins. 52 Références bibliographiques Abdelmoumen R. & El Amrani K. (2010) Bilan des réalisations des programmes sanitaires au titre de l‟année 2009 et Plan d‟action 2010. Salé, Ministère de la santé - Délégation préfectorale de Salé. Azilal (2010 a). La monographie de la Province d'Azilal, Royaume du Maroc - Ministère de l'Intérieur - Province d'Azilal Azilal (2010 b). Monographie de la Province d'Azilal - santé. Royaume du Maroc - Ministère de la Santé - Province d'Azilal. Conseil santé (2009) Stratégie de couverture des besoins sanitaires de base de la population marocaine. Rapport final. Niveau Central, REDRESS Programme d‟Appui à la Régionalisation, à la Déconcentration et au Renforcement des Soins de Santé de Base. Clichy (France) HCP (2010), Carte de pauvreté 2007. Haut commissariat au plan, Rabat. RGPH (2004 a) Recensement général de la population et de l'habitat - Caractéristiques démographiques et socio-économiques - Région Tadla Azilal, Rabat - Haut commissariat au plan. RGPH, R. (2004 b). Caractéristiques socio-économique et démographiques de la région de Rabat-Salé-Zemmour-Zaer d'après le recensement général de la population et de l'habitat 2004. Rabat, Haut commissariat au plan. Salé (2007) Plan d'intervention sanitaire en situation de catastrophe. Salé, Préfecture médicale de Salé - Ministère de la santé. Salé (2009) Annuaire statistique. Bilan des Activités de la Délégation du Ministère de La Santé à la Préfecture de Salé. Salé, Ministère de la Santé - Préfecture médicale de Salé. 53 DEUXIÈME PARTIE L’ACCÈS AUX SOINS ET AUX PRESTATIONS 54 Chapitre -3Acteurs institutionnels dans les systèmes de santé locaux Marc-Éric Gruénais & Élise Guillermet Les déterminants de l‟accès aux soins sont bien documentés dans la littérature, on connaît moins la manière dont les obstacles sont ressentis par les populations et les principaux acteurs locaux. Investiguer les barrières selon l‟environnement (urbain, périurbain, rural plaine, rural montagne), écouter les solutions préconisées par les usagers, les représentants des collectivités locales et du Ministère de la santé, ainsi que leurs réactions à différentes pistes de solutions, permettent d‟identifier les perceptions mais aussi les pratiques liées à l‟utilisation effective des recours au niveau périphérique. Les études de cas identifient les facteurs explicites et implicites liés à la diversité et à la différenciation des situations socio-spatiales, socio-économiques et culturelles qui affectent l‟accès à des soins appropriés et de qualité. Les discussions avec les représentants des collectivités locales et les gestionnaires des systèmes de santé locaux amènent aussi à apprécier le niveau de gouvernance de l‟offre des services. Nous avons mis l‟accent sur les perceptions des acteurs, sachant que les perceptions influent grandement sur les décisions et attitudes des différents protagonistes, notamment celles des autorités locales vis-à-vis des directives nationales, et des prestataires quant aux positions à adopter l‟égard des usagers des structures de soins. Entre décembre 2010 et mars 2011 nous nous sommes rendus plusieurs fois dans les trois sites de l‟étude et nous avons rencontré différents types d‟acteurs susceptibles d‟intervenir dans le domaine de la santé : gestionnaires locaux du Ministère de la santé et personnels de santé des formations sanitaires publiques, élus, représentants d‟association, responsables et animateurs de l‟INDH, représentants du Ministère de l‟Intérieur (pachas, caïds, personnels des gouvernorats), médecins et pharmaciens privés. Dans chaque site, nous ne pouvions prétendre à l‟exhaustivité, mais nous avons cherché à rendre compte de la diversité des situations faisant varier les points de vue selon les types d‟acteurs. Lors d‟entretiens de groupe et d‟entretiens individuels nous avons questionné nos interlocuteurs en particulier sur les points suivants : les principaux problèmes de santé ressentis ; les facilités et les difficultés d‟accès aux centres de santé et aux hôpitaux de référence les plus proches ; la mesure dans laquelle l‟offre offerte répond aux attentes ; les attitudes des personnels de santé (disponibilité, accueil, efficacité, etc.) ; les rôles joués par chaque niveau de la hiérarchie pour contribuer à améliorer la santé de sa population de référence. les activités d‟associations locales dans le domaine de la santé. 55 Afin d‟obtenir des informations en rapport avec des problèmes de santé prioritaires identifiés par le Ministère de la santé, une attention particulière a été accordée aux questions de la prise en charge de la grossesse et des maladies infantiles, d‟une part, et sur celle de maladies chroniques d‟autre part (en particulier du diabète). Mais afin de ne pas limiter nos interlocuteurs dans leur propos, nous les avons laissés libres d‟évoquer tous les sujets en rapport avec les questions d‟accessibilité afin de laisser émerger des réalités locales auxquelles nous ne pouvions pas penser a priori. Cette partie est consacrée exclusivement aux discours des acteurs institutionnels. Dans les chapitres suivants, il sera question des perceptions et attitudes des usagers (patients) des structures de soins, puis de celles des médecins généralistes en tant que principale figure du prestataire de soins au niveau local, avant d‟en venir aux résultats de l‟enquête par questionnaire auprès de la population des sites de l‟étude. Dans les chapitres qui suivent, les résultats sont présentés par thème et non par site. En effet, les régularités qui apparaissent dans la perception des situations auraient inévitablement conduit à des redondances fastidieuses si nous avions privilégié l‟entrée géographique. Néanmoins, pour chaque thème abordé, nous insistons bien évidemment sur les particularités locales, faisant varier la focale, pour mettre en évidence plusieurs facettes d‟un même problème en fonction des contextes. Les principaux problèmes de santé perçus par les acteurs de santé et les autorités locales Sur les trois sites, parmi les principaux problèmes de santé évoqués, on trouve de la part de tous les acteurs, mais surtout dans les discours des personnels de santé, l‟évocation de symptômes dont la cause est à rechercher dans l‟environnement. Des infections respiratoires aiguës sont très souvent mentionnées : bronchite et pneumopathie, surtout chez les enfants, mais également asthme, notamment pour le milieu urbain mais pas seulement. Ici les conditions d‟habitat (densité, humidité, manque d‟aération et de chauffage entre autres dans les habitats urbains) sont mises en cause. Un autre type de problème fréquemment mentionné a trait aux maladies et symptômes intestinaux, qui vont de la diarrhée à la colopathie fonctionnelle en passant par la gastro-entérite. Là aussi, ce sont des mauvaises conditions d‟habitat et d‟hygiène qui sont mises en cause. Parfois, c‟est une mauvaise qualité de l‟eau qui est mise en avant ; pour d‟autres interlocuteurs, des intoxications liées à la consommation d‟aliments de mauvaise qualité, ou encore une alimentation déséquilibrée (une surconsommation de viande et de produits laitiers dans les zones d‟élevage, par exemple) sont avancées comme facteurs explicatifs. La mauvaise hygiène et la promiscuité serait également responsable de dermatoses et de maladies très contagieuses comme la gale ; l‟importance des infections génito-urinaires relevées ont été liées aux IST, mais aussi au manque d‟hygiène. Des cas de tétanos néonatal ont également été signalés. Il faut noter, toujours à propos de pathologies liées à l‟environnement, la persistance de foyers de leishmanioses dans les sites d‟Azilal et de Figuig, soit une des dernières maladies parasitaires persistantes au Maroc, dont le principal réservoir est un rongeur. Des campagnes de dératisation sont régulièrement menées pour supprimer les foyers de leishmaniose bien identifiés mais avec semble-t-il des réinfestations régulières. La 56 cohabitation des rongeurs et des humains, et partant une mauvaise salubrité du milieu, constitue donc un facteur qui favorise le maintien de cette maladie parasitaire. Un autre grand domaine de problèmes de santé évoqué ressortit aux maladies chroniques : hypertension artérielle et diabète principalement. Le fardeau croissant de ces pathologies a été explicitement lié par le personnel de santé, au vieillissement de la population, notamment en milieu rural. Dans les deux zones rurales où nous avons enquêté, l‟accès à une offre de soins adaptée est d‟autant plus difficile que ces pathologies concernent des personnes relativement âgées, habitant dans les montagnes et/ou très loin d‟axes routiers. De plus, pour les patients insulinodépendants, certains médecins émettaient des doutes quant à l‟efficacité des traitements donnés : l‟insuline requiert des conditions de conservation particulière, or, nous confiait un médecin, à quoi sert de donner de l‟insuline, lorsque le patient insulinodépendant place le flacon d‟insuline dans son turban et repart à pied, chez lui, en pleine chaleur et en plein soleil, sachant qu‟il n‟a pas de réfrigérateur chez lui pour sa conservation. Un facteur aggravant du mauvais accès des personnes âgés à des traitements appropriés seraient les mauvais traitements qu‟elles subissent de la part de leur entourage, voire l‟abandon dont elles seraient parfois victimes. Une préoccupation importante des personnels de santé rencontrés, mais aussi de représentants du Ministère de l‟Intérieur, surtout dans les sites d‟Azilal et de Figuig, avait trait aux « malades mentaux ». Certes, les structures de santé disposent de dotation en psychotropes ; mais une prise en charge spécialisée reste nécessaire et ces soignants évoquaient les difficultés importantes auxquels ils devaient faire face pour assurer une prise en charge adéquate en l‟absence de toute possibilité de suivi psychiatrique de proximité. Ce rapide inventaire des principaux problèmes de santé ressentis par les acteurs chargés de la délivrance des soins permettent de mettre en évidence la nécessité de deux types de besoins totalement différents. D‟un côté, on trouve ce que l‟on pourrait appeler des « maladies de la pauvreté » liées au manque d‟hygiène et à un environnement immédiat peu salubre ; les soins de première ligne délivrés par les établissements de base, et notamment les activités préventives et d‟éducation pour la santé qui relèvent des compétences spécifiques des ESSB sont adaptés à la prise en charge de ces problèmes. D‟un autre côté, il y a les maladies chroniques qui réclament un suivi au long cours, que peuvent assurer les ESSB, mais qui requièrent aussi des consultations spécialisées, des analyses et des examens de contrôle qui sont peu disponibles dans l‟immédiate proximité des malades des sites de l‟étude, en particulier d‟Azilal et encore plus de Figuig, et qui amènent à devoir s‟adresser à des spécialistes, au minimum dans les établissements de première référence (hôpitaux provinciaux ou préfectoraux), et parfois au niveau régional voire au niveau national, évidemment beaucoup plus difficiles d‟accès. Rien d‟étonnant alors à entendre prestataires de soins et autorités locales incriminer la pauvreté et la déscolarisation, en milieu urbain comme en milieu rural, mais aussi la dispersion des populations en milieu rural qui aggrave les problèmes d‟accessibilité géographique. On verra aussi ci-dessous combien en milieu urbain, la proximité des structures de soins n‟est pas toujours synonyme de facilité d‟accès. Nous avons également entendu chez plusieurs de nos interlocuteurs, par exemple, que certains enfants ne voyaient jamais un médecin durant toute la durée de leur scolarisation, ou encore que les femmes enceintes, y compris en milieu urbain, ne faisaient pas suivre leur grossesse. La pauvreté, les difficultés d‟accès ou 57 encore une offre de soins insuffisante en quantité (densité insuffisante des structures de soins) et en qualité (suivi non réalisé) sont explicatifs du peu de contacts de la population avec les prestataires. Ici, l‟insuffisance des ressources humaines, reconnue par tous les acteurs, à tous les niveaux de la pyramide sanitaire et administrative, est unanimement avancée comme une des raisons majeures d‟une situation insatisfaisante. Il faut compter aussi avec l‟importance parfois relative accordée par la population aux problèmes de santé. Nous avons rappelé dans le chapitre 1 que la santé venait loin derrière l‟emploi et les conditions d‟habitat dans les priorités des Marocains. Certains représentants du Ministère de l‟Intérieur confirmaient ce constat en précisant qu‟ils recevaient peu de doléances de leurs administrés concernant spécifiquement la santé ; d‟autres ne semblaient pas partager cette opinion à en juger par les manifestations de rue auxquelles ils étaient confrontés avec parfois des revendications explicites se rapportant à la non disponibilité de prestations sanitaires. Un pédiatre, évoquant le « faible niveau » culturel des habitants de sa région, soulignait que les familles en général, et les pères en particulier, accordaient peu d‟importance aux prématurés, considérés comme « condamnés d‟avance », et qu‟il était alors très difficile de les convaincre de la nécessité d‟une prise en charge médicale de ces enfants. Acteurs de santé et de la gouvernance locale, en particulier pour le milieu rural pastoral, expliquaient que des éleveurs, parfois nantis, dépensaient beaucoup plus facilement pour la santé de leurs troupeaux (pour l‟alimentation et pour les soins) que pour la santé des membres de leur famille. Nous ne sommes évidemment pas en mesure de confirmer ou d‟infirmer de tels propos. N‟oublions pas cependant que la bonne santé du troupeau est un gage de revenu, et donc une garantie pouvoir assurer une bonne santé à tous les siens. Le faible recours aux soins que suggère cette remarque peut aussi être lié à une certaine défiance vis-à-vis de certaines prestations de soins jugées insatisfaisantes. Un pédiatre d‟un hôpital provincial, faisant le constat d‟une fréquentation importante du service des urgences de son hôpital, et de la tendance au recours aux spécialistes sans respecter les heures de rendez-vous, pointait comme explication à ces comportements le manque de confiance dans l‟offre de soins de première ligne, et en particulier envers les médecins généralistes des centres de santé publics. Peut-être convient-il ici alors de dissocier l‟importance accordée à la santé et l‟importance accordée à accéder à des soins. Cette digression sur les perceptions des principaux problèmes de santé par les acteurs rencontrés permet de revenir, à partir de nos données, sur l‟aspect multidimensionnel de la problématique de l‟accès aux soins : des situations de pauvreté, et de faible scolarisation, dessinent un contexte favorable à des pathologies liées à l‟insalubrité du milieu de vie et défavorable au recours aux soins ; de réelles difficultés d‟accessibilité géographique aux prestataires de soins ; une offre de soins insuffisantes en quantité et en qualité, notamment pour des pathologies chroniques dont le poids croissant requiert aussi des prestations spécialisées ; une priorité relative accordée à la prise en charge médicale des problèmes de santé qui retarde l‟accès aux soins, parce qu‟il y a d‟autres priorités, mais aussi en raison de mauvaises expériences passées, comme le montrera le chapitre 4. 58 Les recours de proximité Nous entendons par « recours de proximité » les recours de première ligne, soit les centres de santé et les dispensaires publics, ou encore les médecins généralistes privés et les pharmaciens. Nous rapporterons ici les difficultés identifiées surtout par les personnels de santé des centres de santé publics pour satisfaire les demandes, mais aussi les complémentarités reconnues entre les différents prestataires. Le manque de ressources humaines dans les établissements publics L‟insuffisance du personnel médical et paramédical a été soulignée dans tous les sites et par tous les types d‟acteurs. Selon certains de nos interlocuteurs la pénurie, notamment de médecins dans le secteur public, s‟expliquerait désormais par le manque d‟attrait en général pour la profession médicale lié aussi au risque d‟affectation dans des zones éloignées des principaux centres urbains, les provinces d‟Azilal et de Figuig étant ici particulièrement pénalisées. Nous reviendrons longuement sur la dévalorisation de la profession de médecin généraliste au chapitre 5. Le déficit en médecins, en milieu rural, est attesté dans tous les centres de santé que nous avons visités. Tous nos interlocuteurs ont reconnu qu‟il y a moins de médecins aujourd‟hui en poste dans les centres de santé qu‟auparavant. Cette pénurie peut être liée à des réajustements techniques. La création de nouvelles circonscriptions sanitaires dans une même zone, ou encore la baisse du nombre d‟habitants dans la zone peut conduire à un redéploiement et partant à une diminution du nombre de médecins dans certains centres de santé. Elle peut également être liée au changement de statut de certaines structures de santé périphériques, ainsi de la perte du statut « d‟hôpital local » de certains établissements et qui permettait antérieurement de bénéficier des prestations d‟un ou plusieurs spécialistes (gynécologue, pédiatre, notamment). Les autorités et les personnels de santé locaux voient surtout dans ces reconfigurations des cartes sanitaires locales une baisse en chiffre absolu du nombre de médecins dans les centres de santé concernés par le changement de statut. Les centres de santé peuvent aussi être confrontés au non remplacement immédiat de jeunes médecins nouvellement affectés qui se sont rapidement engagés à suivre une spécialité en accédant au résidanat, parfois pour échapper à l‟affectation dans des zones considérées comme trop reculées. Là aussi, il y a alors une pénurie ressentie du nombre de médecins, mais qui est susceptible de corrections ultérieures. Les affectations sont gérées à partir du niveau central et les représentants locaux du Ministère de la santé (les délégués provinciaux de la santé) n‟ont pas de pouvoir dans ce domaine. Tout au plus, ceux-ci ont la possibilité de redéployer au sein du territoire de leur délégation les personnels qui y sont présents pour pallier, en fonction de l‟effectif disponible, les déséquilibres occasionnés par les départs ou les absences, justifiés ou non. Ainsi, par exemple, un effectif insuffisant de sages femmes pour assurer les gardes au service de gynécologie-obstétrique d‟un hôpital provincial peut amener un délégué de la santé à affecter temporairement à cet hôpital une sage femme d‟une maternité de sa délégation ayant une très faible activité. Un tel redéploiement peut être mal perçu par les habitants de la localité du centre de santé : les populations desservies par ce centre ont alors le sentiment que le Ministère de la santé, donc l‟État, retire du personnel de « leur » centre. 59 Pour Salé, les responsables rencontrés nous confiaient que les représentants locaux du Ministère de la santé devaient désormais assurer le fonctionnement de quatre nouveaux centres de santé construits depuis peu, mais avec une réduction budgétaire et, au sein de la délégation de la santé, avec le remplacement prévu au moment de l‟enquête de seulement d‟un tiers des infirmiers partant à la retraite en 2011 (6 sur 19). Les médecins des centres de santé sont également très préoccupés par le manque d‟infirmiers, avec les risques de désorganisation des prestations dès que l‟un d‟entre eux doit s‟absenter. L‟insuffisance de personnel s‟exprime aussi en terme relatif, étant donné l‟accroissement de la population, et donc du nombre d‟habitants par personnel soignant, surtout en milieu urbain. Pour beaucoup, la population de référence que les centres de santé doit desservir est sous-estimée dans les chiffres officiels ; nos interlocuteurs prenaient pour preuve des couvertures vaccinales très supérieures à 100% (donc du fait d‟un dénominateur insuffisant rapporté au nombre de vaccinations effectivement réalisées). Dès lors, les standards (ratio personnels/habitants) peuvent sembler respectés si l‟on s‟en tient aux chiffres officiels, mais non si l‟on considère la population effective desservie. Il nous a également été fait remarquer que la charge de travail par personnel de santé, à effectif constant, aurait tendance à augmenter régulièrement, d‟autant plus que le nombre de programmes du Ministère de la santé à mettre en œuvre a également tendance à s‟accroître (par exemple, certains évoquaient la charge de travail supplémentaire représentée par la nécessite de procéder désormais au dépistage du cancer du sein). Tout ceci concourt à accentuer l‟indisponibilité de certains personnels et le constat de manque de personnel. Les conditions de travail dans le secteur public Les personnels de centres de santé publics s‟avèrent relativement satisfaits des dotations en médicaments, surtout pour la prise en charge des maladies chroniques comme le diabète ou l‟hypertension artérielle. On relève çà et là des doléances à propos des ruptures de stocks de certains consommables, à propos de dotations standards en médicaments pas toujours adaptées au contexte (par exemple, un surplus de médicaments à usage pédiatrique ou pour le planning familial alors que la population est vieillissante), ou encore de l‟absence d‟antibiotiques efficaces dans les dotations. Les personnels de santé ne manifestent pas de revendications aiguës en ce qui concerne les équipements et reconnaissent souvent disposer du minimum nécessaire pour travailler. Parfois, çà et là, on constate même la présence de matériel non utilisé, faute de technicien (par exemple pour la radiologie voire même pour le laboratoire), ou faute de formation (dans de nombreux cas nous avons pu constater la présence d‟échographeq dans des maternités mais n‟ayant jamais servi faute de personnel formé à leur utilisation). En milieu rural, y compris pour des dispensaires non médicalisés, on constate les efforts fournis en matière de construction, d‟équipement et de dotations en médicaments. 60 Photo 2 : un centre de santé récent dans la province d‟Azilal Le cadre de travail en milieu urbain est tout autre, et est souvent beaucoup plus dégradé qu‟en milieu rural, toujours d‟après nos observations sur un nombre limité de centres de santé dans chaque site. Dans les zones les plus centrales de Salé, on trouve des bâtiments très vétustes, des ordures s‟entassant parfois dans l‟immédiate proximité, sans eau ni électricité dans une partie du bâtiment, et/ou avec une disposition des pièces inadaptées, parfois sans véritable salle d‟attente et avec un nombre très restreint de chaises et de bancs pour les patients. L‟humidité rend certaines pièces inutilisables. Agents de nettoyage et agents de sécurité font défaut le plus souvent. Photo 3 : une salle d‟attente d‟un centre de santé de Salé 61 D‟une manière générale, qu‟il s‟agisse du milieu urbain ou du milieu rural, la question du confort minimal pour le patient est loin d‟être toujours prise en compte, et on est frappé, par exemple, par le froid qui peut régner en hiver dans les centres de santé, et entre autres dans les maternités, ou encore par l‟absence de siège en nombre suffisant dans les salles d‟attente. Nombre de personnels de santé rencontrés avancent qu‟il ne saurait être question de procéder à quel que aménagement que ce soit dans le centre de santé pour accroître le confort des patients et/ou du personnel sans un accord de la hiérarchie. Néanmoins, certains médecins chefs prennent eux-mêmes la décision, parfois avec l‟aide d‟associations ou de bienfaiteurs, d‟améliorer l‟aménagement de leur centre (étagère pour les médicaments, chaises et bancs pour les patients, fermeture de certains espaces pour limiter les courants d‟air, achat de radiateurs, etc.). En milieu urbain, surtout, mais aussi en milieu rural, les personnels de santé sont très préoccupés par la sécurité. Dans un centre de Salé, on nous a précisé : « Ici, on reçoit des malades qui viennent avec des couteaux, on a eu plusieurs fois des armes à feu ici. Il y a eu une marche des commerçants pour réclamer davantage de sécurité ». Dans un autre centre, toujours à Salé, nous avons pu nous-mêmes constater que la porte de l‟entrée d‟un centre avait volé en éclats ; il nous a alors été expliqué qu‟une patiente avait eu une altercation avec un agent de sécurité qui n‟avait pas voulu la laisser pénétrer dans le centre parce qu‟elle ne relevait pas de la zone géographique desservie par le centre. En réaction, la femme était revenue avec certains de ces parents et avait forcé l‟entrée au point de briser la porte vitrée. La demande d‟un agent de sécurité est récurrente de la part des personnels de santé, surtout en milieu urbain, et tout particulièrement lorsque l‟équipe soignante est à majorité ou en totalité féminine. Les craintes des personnels de santé s‟expriment surtout lorsque les centres ne sont pas clôturés, ce que nous avons pu constater tant en milieu urbain qu‟en milieu rural. La clôture peut s‟avérer nécessaire, pour des raisons de sécurité mais aussi de délimitation précise de l‟espace du centre de santé. Il peut aussi avoir un effet dissuasif pour les usagers si la clôture équivaut à la fermeture du centre. Un des centres de santé avec module d‟accouchement visité en milieu rural était fermé le soir après les heures de services : les femmes qui viennent accoucher dans ce centre, nous a-t-on rapporté, se pressent de sortir après l‟accouchement de crainte de rester enfermées toute la nuit sans possibilité de visite. Au bout du compte, ce qui semble poser le plus de problèmes relève de l‟entretien, de l‟organisation de l‟espace, de l‟hygiène, de la sécurité des locaux, mais aussi parfois de l‟équipement en eau et en électricité, ce qui contribue à faire des centres de santé des lieux souvent peu accueillants, alors même qu‟ils disposent des dotations et d‟équipements médicaux suffisants. Les alternatives privées à l’offre publique de soins : une complémentarité par défaut A Azilal et à Figuig, dans les chefs lieu (Azilal, Bouârfa) et dans les autres petites localités des sites de l‟étude (par exemple Demnate, Talsint, Figuig), quelques médecins généralistes privés sont installés (deux à Bouârfa, quatre à Azilal, un à Talsint, etc.), et souvent de longue date : l‟installation d‟un cabinet privé dans ces localités procèdent d‟un choix délibéré des médecins ; étant donné l‟investissement financier représenté par une telle installation, ces médecins généralistes privés sont beaucoup plus stables que les médecins du secteur public. Ils connaissent bien leur clientèle, la vie de leurs patients, surtout lorsqu‟ils sont 62 originaires de la région où ils exercent. Certains médecins généralistes privés rappellent volontiers combien ils savent se rendre disponibles à tout moment, et se laissent contacter à leur domicile13 ; l‟l‟importance de leur clientèle, et partant de leurs revenus, en dépend. Le nombre de médecins généralistes privés est en revanche particulièrement conséquent à Salé, et comme on le verra au chapitre suivant, les médecins du secteur libéral s‟installent préférentiellement dans les grands centres urbains. On verra également par la suite combien, y compris à Salé, les médecins généralistes privés sont parfois préférés à ceux du secteur public. Les pharmaciens d‟officine constituent aussi bien souvent des recours de première intention pour les patients : « Je dirais que 70 à 80% des gens viennent directement sans ordonnance. On reçoit peut-être 10 ordonnances par jour… Depuis 16 ans, j‟ai ouvert ma pharmacie. Je suis le médecin de [la ville de X] ! Une fois les gens ont fait une manifestation devant l‟hôpital et ils ont dit que le pharmacien est leur médecin. Les gens m‟appellent à la maison la nuit. Tout le monde a mon numéro de téléphone » (un pharmacien de la province de Figuig). Le nombre de pharmacies privées semblent être en nombre encore plus élevé que celui des cabinets de médecins généralistes privés, et on trouve des dépôts pharmaceutiques dans les gros villages, parfois là où il n‟y a pas de médecins. Les pharmaciens d‟officine viennent compléter l‟offre publique en médicament, lorsque certains produits sont absents des centres de santé, ou encore lorsque le traitement requis nécessite des produits qui ne figurent pas dans la liste des médicaments disponibles dans les centres de santé publics ; ils sont dès lors amenés à fournir des médicaments prescrits par des médecins publics. Il nous a été rapporté, par les pharmaciens eux-mêmes, que les structures publiques, y compris les hôpitaux, ne procédaient pas aux prélèvements pour des examens qui ne pouvaient pas être réalisés au sein de la structure. Les pharmaciens d‟officine sont alors parfois sollicités pour réaliser des prélèvements pour certains examens, à la demande des patients, prélèvements qu‟ils font acheminer alors par leur propre moyen vers des laboratoires privés de Oujda, de Beni Mellal, de Salé ou de Rabat. Des complémentarités s‟instaurent parfois entre pharmaciens et médecins généralistes privés, tel ce couple, avec l‟époux pharmacien qui tient boutique au rez-de-chaussée, et l‟épouse, médecin, au premier étage du même bâtiment ; ou encore ce pharmacien d‟une petite localité qui a mis gracieusement à disposition une pièce attenante et qui communique avec son officine pour un médecin privé qui vient une fois par semaine le jour du marché qui se tient le samedi, lorsque le centre public est fermé. On trouve régulièrement dans les cabinets privés des échographes et des appareils pour réaliser des électrocardiogrammes qui sont utilisés par des médecins qui n‟ont pas toujours reçus de formations formelles en la matière. En matière d‟échographie notamment, la complémentarité de fait entre secteur privé et secteur 13 Il faudrait cependant se méfier des généralisations hâtives sur la disponibilité permanente des médecins généralistes privés qui serait en revanche inexistante chez les médecins généralistes du secteur public. Les médecins du secteur privés ne sont pas toujours disponibles, d’autant qu’ils exercent seuls dans leur cabinet, mais ils savent être présents lorsque les centres de santé publics ne reçoivent plus les patients (fin d’après-midi et week-end). Nous avons par ailleurs rencontré de jeunes soignants (médecins et surtout infirmiers) du secteur public, venant d’être affectés dans une zone reculée, qui savaient se rendre disponibles en permanence. De plus, dans les petites localités, tout le monde sait où habite le médecin ou l’infirmier du centre de santé, qui sont dès lors susceptibles d’être contactés en dehors des heures de service. 63 public semble totale : les femmes enceintes suivis dans des structures publiques qui disposent d‟échographes mais inutilisés faute de formation des personnels sont renvoyées vers les cabinets privés pour la réalisation d‟une échographie payante (le prix moyen de la consultation avec échographie dans un cabinet privé se situe aux environs de 150 MAD, y compris dans les localités secondaires). Cette situation semble plus fréquente dans les sites d‟Azilal et de Figuig que sur le site de Salé. La complémentarité peut jouer également pour d‟autres prestations comme la surveillance de la glycémie pour les diabétiques quand le centre de santé publique ne dispose pas de l‟appareil ou des réactifs nécessaires (bandelettes) pour réaliser ce type d‟examen, plus rarement pour la radiologie, certains cabinets privés étant parfois équipés d‟un appareil radiologique. Mais existe-t-il véritablement une complémentarité entre médecins publics et médecins privés ? Les premiers reprochent au second de proposer par exemple de réaliser des radiographies ou des échographies à leurs clients qui ne sont pas toujours justifiées. Un médecin chef de centre à Salé nous disait que les médecins privés ne constituaient pas vraiment une aide, le flux des patients reçus dans son centre ne diminuant pas. De plus, les médecins privés auraient tendance à renvoyer leurs patients vers les centres publics pour qu‟ils s‟y procurent des médicaments (puisque les médicaments délivrés par les centres de santé publics sont gratuits) tout en continuant de les suivre. Les médecins généralistes privés sont également critiqués par leurs homologues du secteur public du fait de leur méconnaissance des programmes du Ministère de la santé et parce qu‟ils ne s‟impliquent guère dans les activités préventives : « J‟ai essayé d‟établir un dialogue avec les médecins généralistes privés, par exemple, pour qu‟ils incitent les enfants à compléter leurs vaccinations. Je les fais inviter à des réunions du secteur public… Il faudrait qu‟ils déclarent les rougeoles, qu‟ils veillent aux maladies épidémiques. Ils considèrent que le secteur public est concurrent, à cause des médicaments donnés gratuitement [par les centres publics]. On pourrait les initier pour faire une formation sur les diabétiques » (un médecin public de la Province d‟Azilal). La complémentarité public/privé se fait par défaut, si l‟on peut dire, lorsque l‟offre attendue n‟est pas proposée par le secteur public. Certains patients ne s‟y trompent pas et se rendent directement chez le généraliste privé sachant que pour certaines prestations (comme l‟échographie) ils seront de toute façon renvoyés vers eux. La complémentarité joue aussi lorsque les centres de santé publics sont fermés. L’accès aux spécialistes et aux hôpitaux La densification du réseau des établissements de soins de santé de base, ainsi que l‟amélioration de leurs équipements et de leurs dotations en médicaments, parfois avec l‟aide d‟institutions nationales et internationales14, ont incontestablement amélioré l‟offre de soins de première ligne. Une telle amélioration au niveau le plus périphérique entraîne logiquement une augmentation de la demande : comme nos interlocuteurs l‟ont fait remarquer, dès qu‟un médecin, un technicien, un nouvel équipement, ou encore une nouvelle dotation de médicaments arrivent dans un 14 Nous pensons, par exemple, pour les institutions nationales, à l’Initiative de Développement Humain pour la construction et la réhabilitation de centres de santé, et pour les institutions internationales, à la contribution importante de UNFPA pour l’équipement des maternités, ou encore aux constructions et à l’équipement de centres de santé dans le cadre du programme REDRESS soutenu par l’Agence française de développement. 64 centre de santé, la fréquentation augmente. La demande pour des soins spécialisés pourrait s‟accroître proportionnellement auprès des structures de référence de premier niveau (hôpitaux provinciaux et préfectoraux) ; la pression sur ces hôpitaux sera d‟autant plus grande que, par exemple, dans le cadre des initiatives en faveur de la réduction de la mortalité maternelle, la référence et la prise en charge des accouchements à risque dans les hôpitaux est désormais gratuite, ou encore grâce aux mesures en faveur d‟une meilleure accessibilité financière pour des soins hospitaliers (cf. la mise en place du Régime d‟assurance maladie pour les économiquement démunis - Ramed). Nous reviendrons spécifiquement ci-dessous sur la question des accouchements, particulièrement illustrative de l‟ensemble des problèmes d‟accès aux soins, et sur le Ramed. Nous voulions surtout souligner pour l‟instant combien l‟amélioration de l‟offre de soins de première ligne requiert aussi une réactivité plus grande de l‟offre de soins spécialisés. Dans ce contexte, la réforme de la carte sanitaire, et la suppression des hôpitaux locaux dans les provinces, c‟est-à-dire la transformation de ces hôpitaux locaux en centres de santé évoquée ci-dessus a été très mal perçue, notamment par les autorités locales. Pour les élus et les autorités locales, la disparition d‟un hôpital local dans leur localité est synonyme d‟un « déclassement » de leur commune. Les arguments techniques de la santé publique justifiant cette évolution par la rationalisation de la carte sanitaire sont très peu audibles par les autorités locales qui opposent alors aux standards de la santé publique l‟impérieuse nécessité de tenir compte des spécificités locales, et en particulier de la distance qu‟il faut désormais franchir pour accéder à des spécialistes. Des établissements qui sont passés du statut d‟hôpital local à celui de centre de santé, avec pour conséquence la disparition de spécialités (entre autres de la gynécologie), font état d‟une baisse de fréquentation liée à ce changement de statut. La disparition de ces spécialités dans ces établissements conduit nécessairement à référer davantage les patients vers les hôpitaux provinciaux, parfois situés à une centaine de kilomètres de l‟ex-hôpital local devenu centre de santé, situation à laquelle les populations n‟étaient guère habituées. Le retour de spécialistes dans les ex-hôpitaux locaux est une revendication permanente des autorités locales. A Salé, des spécialistes consultent dans des centres de santé publics, ,mais l‟offre semble ne pas parvenir à répondre à la demande. Les spécialistes en question (pédiatres, gynécologues, kinésithérapeutes, endocrinologues) se partagent souvent entre plusieurs centres de santé, et ont aussi un service à assurer à l‟hôpital préfectoral. Les délais de rendez-vous avec ces spécialistes sont très longs. Par ailleurs, certains quartiers de Salé, notamment les plus « populaires » et les plus densément peuplés, ne sont pas très faciles d‟accès (étroitesses des voies et mauvais état de la voierie dans des quartiers « irréguliers ») ; le manque d‟ambulances accroît les difficultés d‟accès pour des malades qui ont des difficultés à se déplacer et qui sont alors conduits vers les spécialistes dans de très mauvaises conditions15. En dépit des difficultés réelles d‟accès aux structures à des soins spécialisés pour les habitants de Salé, l‟offre de soins située à proximité (à laquelle il faut ajouter les structures de Rabat) est importante et la situation est sans commune mesure avec les situations rencontrées dans les provinces de Figuig et d‟Azilal. Si l‟on 15 Parfois, nous a-t-on fait remarquer, le seul véhicule disponible relevant du service public est un corbillard qui peut servir alors d’ambulance. 65 n‟habite pas dans les localités de Bouârfa ou à d‟Azilal, où sont situés les hôpitaux provinciaux de première référence pour les centres de santé de ces deux provinces et où l‟on peut trouver quelques spécialistes, l‟offre de soins spécialisés devient très difficile d‟accès. L‟éloignement se fait notamment ressentir dès qu‟il y a un besoin d‟examen biologique car les seuls laboratoires dans ces deux provinces sont situés dans les hôpitaux provinciaux ; les laboratoires de ces hôpitaux permettent de réaliser un nombre conséquent d‟examens, mais pas tous ; pour certains examens les patients sont parfois contraints de se rendre jusqu‟à Oujda (pour la province de Figuig), ou à Marrakech ou Beni Mellal (pour la province d‟Azilal). Les médecins généralistes des centres de santé périphériques de ces deux provinces sont parfois embarrassés pour référer les patients qui ont besoin d‟une consultation spécialisée à l‟hôpital de leur province : « Il y a un planning [des consultations spécialisées] à respecter à l’hôpital de Bouârfa. Si j’ai besoin, par exemple, de référer un patient un dimanche, à Bouârfa, il n’y a rien, et je suis alors obligé d’envoyer le malade à Oujda, et le trajet coûte 150 dh », nous confiait un médecin d‟un centre de santé de la province de Figuig. La question ici n‟est donc pas toujours une question d‟adéquation de l‟offre de l‟hôpital de première référence mais, encore une fois, de disponibilité du spécialiste eu égard au manque de personnel. Le problème de la référence vers les hôpitaux provinciaux peut se compliquer singulièrement lorsque tous les postes de spécialités ne sont pas pourvus en permanence. Les spécialistes ne se pressent pas toujours pour rejoindre leur poste dans ces hôpitaux éloignés des grands centres urbains. Tant à Bouârfa qu‟à Azilal, jusqu‟à la fin de l‟année 2010, certaines spécialités (notamment la gynécologie et la chirurgie) étaient notamment assurées par des coopérants chinois. Lors de notre première visite dans les sites à la fin de l‟année 2010, une certaine crainte était manifeste chez tous les personnels de santé, de l‟hôpital comme des centres de santé, avec la fin prévue de la coopération sanitaire chinoise pour ces hôpitaux, et par conséquent avec le départ programmé de la plupart des spécialistes. Lors d‟une visite ultérieure dans ces hôpitaux en mars 2011, le remplacement de l‟équipe chinoise avait été assuré à Bouârfa par une équipe de trois spécialistes marocains (deux chirurgiens et un gynécologue) venant de Marrakech ; le directeur de l‟hôpital de Bouârfa se félicitait alors d‟une augmentation de la fréquentation de l‟hôpital par rapport à la situation préalable lorsque les spécialistes chinois étaient présents, et cela grâce au dynamisme de la nouvelle équipe. Cette nouvelle équipe manifestait des exigences en termes d‟élévation du plateau technique de l‟hôpital comme condition du maintien de leur présence pendant quelques temps à Bouârfa. En revanche, les spécialistes chinois n‟avaient toujours pas été remplacés à l‟hôpital d‟Azilal et la province d‟Azilal avait par exemple un service de gynécologieobstétrique où les gardes n‟étaient alors plus assurées. L‟alternative, en cas de manque de spécialistes à Bouârfa et Azilal, est la référence à Oujda, d‟une part, à Beni Mellal ou à Marrakech, d‟autre part. Ces localités sont très difficiles d‟accès respectivement pour les habitants résidant à l‟est de la province de Figuig, ou dans les montagnes du Moyen Atlas de la province d‟Azilal. Néanmoins, selon la localisation, la référence attendue des centres de santé des provinces de Figuig et d‟Azilal vers les hôpitaux provinciaux de Bouârfa ou d‟Azilal, conformément à la carte sanitaire, s‟avère parfois particulièrement contraignante. Pour les habitants de l‟ouest de la province d‟Azilal, la référence et l‟évacuation est plus facile et plus rapide vers Marrakech que vers l‟hôpital provincial de référence d‟Azilal. Pour les habitants de la province d‟Azilal qui résident au pied 66 de la montagne (à Afourer, par exemple), l‟hôpital régional de Beni Mellal est à une trentaine de minutes par une route de plaine, alors que l‟hôpital provincial de référence d‟Azilal et à 1h30 au minimum par une route sinueuse de montagne. Pour les habitants de l‟ouest de la province de Figuig, il est également beaucoup plus aisé et plus rapide d‟envisager une référence vers les hôpitaux d‟Errachidia ou de Missour que vers l‟hôpital provincial de référence de Bouârfa. Personnels de santé et populations de ces localités situées aux confins de ces provinces préfèrent d‟autant plus se rendre à Marrakech, Beni Mellal ou Missour, donc au-delà des limites des délégations provinciales, que les plateaux techniques des structures de ces grandes villes sont beaucoup plus développés que ceux des structures provinciales de référence, et que le nombre et la diversité des spécialités qui s‟y trouvent sont beaucoup plus importantes. De plus, bien souvent, nous confiait les personnels de santé, les habitants de ces zones préfèrent se rendre à Marrakech, Errachidia ou Missour où ils ont de la famille, alors qu‟ils se sentent « étrangers » à Azilal et Bouârfa. La référence vers des hôpitaux qui ne relèvent pas de la province dans laquelle sont inscrits les centres de santé ne va pas sans soulever quelques problèmes. Elle augmente la charge de travail de ces hôpitaux « extra-provinciaux » qui ont déjà suffisamment à faire avec les malades de leur propre province ; les personnels de santé de ces hôpitaux manifestent parfois leur mécontentement à l‟égard des personnels qui adressent des patients qui ne relèvent pas de leur province et dont ils ne sont pas censés s‟occuper, en première référence, compte tenu de la carte sanitaire, ce qui rejaillit parfois sur l‟accueil de ces patients. Pour surmonter les rigidités administratives et faire accepter ces patients, les arrangements locaux et les relations interpersonnelles entre cliniciens des hôpitaux de deux provinces différentes permettent parfois d‟apaiser les tensions. Ici, les relations interpersonnelles viennent donc pallier les incohérences ressenties liées au découpage de la carte sanitaire. Accéder aux maternités La question de la prise en charge des accouchements est particulièrement illustrative des problèmes d‟accès aux soins et présente un condensé de l‟ensemble des difficultés identifiables et des initiatives pour les résoudre. Rappelons que la lutte contre la mortalité maternelle et la « maternité sans risque » figurent parmi les principales préoccupations du Ministère de la santé, tant les performances au Maroc sont jugés encore médiocres. Le Gouvernement a à cet effet pris de nombreuses initiatives pour améliorer la situation et parvenir à l‟objectif 5 du millénaire pour le développement qui enjoint de « réduire de trois quarts, entre 1990 et 2015, le taux de mortalité maternelle, et de rendre l‟accès à la médecine procréative universel d‟ici à 2015 », mesures qui commencent à porter leurs fruits16. Pour souligner toute l‟importance de la question de l‟accès aux soins ici, on pourrait dire que, dans la très grande majorité des cas, les accouchements se déroulent très bien et peuvent se dérouler avec une aide minimale ; mais si le moindre problème survient, sachant que tous les problèmes qui peuvent survenir à l‟accouchement ne sont pas prévisibles même avec une bonne surveillance de la 16 On pourra se reporter au « Forum international sur la réduction de la mortalité maternelle au Maroc » qui s’est tenu à Rabat au début du mois de juillet 2011 et dont on trouve le compte rendu sur le site du Ministère de la santé http://srvweb.sante.gov.ma/pages/actualites.aspx?IDActu=29. 67 grossesse, il faut pouvoir évacuer la parturiente dans les plus brefs délais vers des structures offrant des prestations spécialisées de gynécologie-obstétrique (césarienne, en particulier) pour être assuré de sauver l‟enfant, voire la mère. Le délai d‟évacuation et la réactivité du système de santé sont alors des facteurs primordiaux pour éviter le pire. Dans les trois sites de l‟étude, presque tous les personnels des différents centres de santé visités ont fait état dans les années passées d‟une expérience de décès néonatal et/ou de décès maternel, soit à domicile, soit au cours du transfert, soit au moment de l‟accouchement dans la structure de référence, plus rarement au sein de leur structure de soins17. L‟évocation de cas de décès était moindre à Salé que dans les deux autres sites, sans doute parce que l‟offre de soins spécialisée est plus immédiatement disponible en ville, mais aussi parce que la plupart des centres de santé urbains de Salé ne comportent pas de modules d‟accouchement, les personnels de santé étant donc moins « exposés » au constat direct d‟un décès18. Ce constat n‟a évidemment aucune valeur de représentativité, d‟autant moins qu‟il se rapporte à des zones où la question de l‟accès et de la réactivité du système de santé local se posent avec une acuité particulière, il atteste cependant qu‟il ne s‟agit pas là d‟une expérience rare19. S‟agissant du site d‟Azilal, le constat d‟un des élus rencontrés est particulièrement sévère : « Ici, il y a beaucoup de communes enclavées. Une femme qui accouche, c’est la sélection naturelle ! La femme meurt, ou l’enfant, ou les deux ». Dans les trois sites, y compris à Salé, la proportion d‟accouchements à domicile reste importante. Pour Salé, nous avions déjà relevé que le nombre d‟accouchements en milieu surveillé, en général, et à l‟hôpital préfectoral, en particulier avait augmenté de 15% entre 2008 et 2009 en raison de l‟entrée en vigueur de la gratuité de l‟accouchement et des soins obstétricaux d‟urgence dans les hôpitaux ; mais la proportion d‟accouchements assistés dans les structures de santé à Salé se situait encore à 50% en 200920. Des femmes de la province de Figuig qui résident dans des campements isolés d‟éleveurs, ou encore dans des villages de montagne de la province d‟Azilal ont déclaré ne jamais avoir fait de consultations prénatales et toujours accouché à domicile. Mais est-ce toujours par choix ? A la question pourquoi ne vous rendez-vous pas au centre de santé pour le suivi de la grossesse et l‟accouchement, la réponse est souvent, notamment chez les plus jeunes, le manque d‟argent, et le fait que l‟accouchement ne nécessite une intervention médicale qu‟en cas de complication. Fort des expériences passées de femmes plus âgées, et si la grossesse se passe bien, la décision de recours à la structure de soins est repoussée. 17 Le décès d’une mère qui met au monde un enfant, à juste titre, est souvent considéré comme un des pires événements auquel un personnel de santé peut être confronté, au Maroc comme ailleurs. Sans remettre en cause la réalité de la survenue de décès maternels en dehors de leurs structures de soins, le fait de préciser que le décès a eu lieu à domicile, au cours du transfert ou dans la structure de référence, mais pas dans sa structure, procède aussi sans doute de personnels de santé qui ne veulent surtout pas se voir imputer une quelconque responsabilité dans le décès. 18 A Salé, seuls deux centres de santé sur un total de 24 que compte la Préfecture sont dotés d’une maison d’accouchement, et les personnels de santé du centre de santé avec maison d’accouchement de Bouknadel auquel nous nous sommes plus particulièrement intéressés n’ont pas fait état de décès maternel dans un passé récent. 19 S’il fallait faire une comparaison on peut rappeler qu’en Europe les personnels des maternités de référence peuvent faire toute une carrière de soignant sans jamais avoir été confronté à un décès néonatal, et encore moins à un décès maternel. 20 R. Abdelmoumen & K. El Amrani, Bilan des réalisations des programmes sanitaires au titre de l’année 2009 et plan d’action 2010, Ministère de la santé, Délégation préfectorale de Salé. 68 La non fréquentation des maternités peut aussi être liée à l‟attitude des personnels de santé. Nous avons eu connaissance des premiers résultats d‟une enquête réalisée par l‟association en charge de la dar al oumouma (DAO) de la commune rurale de Aït M‟Hmed, localité située à une vingtaine de kilomètres d‟Azilal, en préalable à une campagne de sensibilisation pour favoriser l‟utilisation de la DAO de cette commune ; cette enquête montrait que 90% des personnes interrogées dans la commune (n=175) valorisaient l‟accouchement en milieu surveillé. Nous avons pu consulter, grâce à l‟obligeance des membres de l‟association, les fiches des rapports des séances de sensibilisation de cette initiative rédigées par les animateurs ; parmi les justifications avancées par les femmes interrogées pour expliquer leurs réticences à recourir aux structures de soins on trouvait les « mauvais comportements des sages femmes ». L‟accouchement à domicile peut certes procéder d‟un choix, mais en partie par défaut. Dans la région d‟Azilal, certaines communes rurales étaient encore inaccessibles à partir de la ville d‟Azilal, au mois de mars 2011, en raison de la neige. Si le chef lieu de la commune rurale peut être doté d‟un centre de santé, certains douars de la commune en sont distants de plus de 100 km. Le problème d‟accessibilité ne se réduit pas à la distance kilométrique en chiffre absolu par rapport à un établissement de soins. Après tout, être distant d‟une centaine de kilomètres d‟une structure de soins lorsque celle-ci peut être atteinte en empruntant une route goudronnée et rapide reste un obstacle surmontable21. Certains douars ne sont parfois accessibles que par des sentiers étroits de plusieurs kilomètres inaccessibles aux véhicules automobiles. La seule possibilité est alors de devoir parcourir avec les moyens du bord (à pied, à dos d‟âne, avec un cyclomoteur au mieux) les quelques kilomètres qui séparent le douar de la route goudronnée où l‟on est susceptible de trouver un véhicule. Comme on nous l‟a rapporté, et comme nous avons pu nous même le constater, fort heureusement, en cas d‟urgence, l‟issue la plupart du temps est heureuse. Lorsque le réseau téléphonique est disponible, la commune, le centre de santé, voire l‟hôpital sont avertis de l‟urgence, une ambulance se positionne sur la route goudronnée à l‟intersection du sentier qui permet d‟accéder au douar et attend la parturiente qui sera accompagnée à pied depuis le douar jusqu‟à l‟ambulance, ce qui peut prendre plus d‟une heure si par exemple le douar en question est distant de 5 kilomètres de la route goudronnée. L‟issue est parfois nettement moins favorable, y compris lorsque les douars éloignés sont accessibles aux véhicules par la piste, comme dans le cas suivant. Un douar est situé dans une zone non couverte par le réseau téléphonique. La famille ne dispose d‟aucun véhicule. Un membre de la famille de la parturiente doit trouver un point dans la montagne où le réseau téléphonique est présent pour appeler un parent ou une connaissance qui dispose d‟un cyclomoteur. Le conducteur du cyclomoteur va jusqu‟à la route goudronnée dans l‟espoir de trouver un véhicule. Le temps d‟attente peut être très variable selon l‟heure de la journée, le jour de la semaine et donc selon la fréquentation de la route goudronnée par des véhicules 22. Il 21 C’est une des raisons (mais pas la seule, bien évidemment) pour laquelle les habitants et les professionnels de santé de la ville de Demnate, située à l’ouest de la province d’Azilal, préfèrent la référence vers Marrakech à celle vers Azilal qui est la structure de référence pour Demnate. Marrakech et Azilal sont équidistantes de Demnate, mais la route Demnate-Marrakech est droite est donc beaucoup plus rapide que la route DemnateAzilal qui sillonne dans les vallées. 22 Parfois, en dehors des jours de marché, certaines portions des routes goudronnées des deux provinces d’Azilal et de Figuig sont très peu fréquentées. 69 finit par décider un véhicule d‟un commerçant de bien vouloir se rendre jusqu‟au douar de la parturiente. Une fois la parturiente conduite jusqu‟à la route goudronnée, il faut encore trouver le moyen de la conduire à la maternité, le commerçant peut ou non accepter ; dans la seconde hypothèse, il faudra alors attendre un autre véhicule qui emprunte régulièrement (à certaines heures) la route pour que la parturiente arrive jusqu‟à la maternité. On peut certes parvenir à mobiliser une ambulance ; mais encore faut-il que l‟ambulance soit disponible rapidement23, et le problème du franchissement de la distance entre le douar non couvert par le réseau téléphonique, par ailleurs parfois difficile à trouver en l‟absence d‟un guide très bon connaisseur de la zone, et l‟accès à l‟ambulance reste entier. Dans un cas qui nous a été rapporté, la femme a succombé avant d‟arriver à la maternité de l‟hôpital. La situation à Salé est sans commune mesure avec la situation que nous venons de décrire. Mais, s‟agissant des évacuations des femmes enceintes, à entendre les personnels de santé ou à lire les rapports de la Délégation préfectorale de la santé, il semble que la différence est davantage de degré que de nature. A la question posée aux personnels de santé de savoir comment les femmes font pour accéder aux maternités de référence surtout en cas d‟urgence, la réponse était en général que les femmes doivent « se débrouiller elle-même ». En fait cette situation est liée à un important déficit en ambulances et à la vétusté du parc automobile de la Délégation : « Concernant le transport à partir des maisons d’accouchement vers les structures de référence, la gratuité a depuis toujours été la règle. Cependant, les ambulances affectées aux maisons d’accouchement, dépassant les 10 ans d’âge, connaissent des pannes fréquentes, ce qui risque de compromettre cette mesure. La maison d’accouchement de Bouknadel est sans moyen d’évacuation depuis près de 10 mois »24. Le Ministère de la santé, avec l‟aide d‟autres institutions, a fait un effort important pour densifier le réseau des centres de santé, en mettant un accent particulier sur le suivi et la prise en charge des grossesses et de l‟accouchement, en construisant ou en réhabilitant des maternités périphériques, en les équipant, et en y affectant du personnel. De nombreuses initiatives ont été prises pour favoriser l‟accouchement en milieu surveillé et la prise en charge des complications obstétricales. Ces initiatives ont eu un impact positif si l‟on en juge par les derniers indicateurs. Mais localement, comme nous allons le voir à propos des sites de notre étude, le « système » de prise en charge de la grossesse et de l‟accouchement se heurte encore parfois à des dysfonctionnements importants. Revenons sur ces initiatives et le parcours d‟une parturiente. Afin qu‟une femme sur le point d‟accoucher arrive à temps à une structure de soins, notamment en cas de complication, un Samu obstétrical a été mis en place. La description qui nous en a été faite par les personnels de santé était la suivante. Des téléphones portables ont été distribués à certains relais dans la communauté ou aux infirmier(e)s ou sages femmes des dispensaires ruraux. Lorsqu‟un problème survient, la personne relais appelle le centre de santé de référence et un dialogue s‟engage avec le médecin ou la sage femme du centre de santé pour apprécier le degré d‟urgence de l‟intervention. Si au terme de l‟appréciation de la situation par téléphone la décision d‟évacuation s‟impose, une ambulance est alors envoyée pour aller chercher la parturiente et l‟amener, dans un premier temps, au centre de santé 23 Nous traiterons en détail ci-dessous la question des ambulances. R. Abdelmoumen & K. El Amrani, Bilan des réalisations des programmes sanitaires au titre de l’année 2009 et plan d’action 2010, Ministère de la santé, Délégation préfectorale de Salé. 24 70 de proximité ; si la situation l‟exige, dans un second temps, la femme sera référée à l‟hôpital. Cette initiative est trop récente (elle venait de débuter lors de notre passage dans la province de Figuig au début de l‟année 2011) pour apprécier la mesure dans laquelle elle a pu avoir un effet bénéfique (les appels sont-ils toujours justifiés ? la mesure contribue-t-elle à augmenter de manière critique la charge de travail des maternités des centres de santé et/ou des hôpitaux ? etc.). Pour Salé également, cette initiative était en 2010 en cours de mise en place et la Délégation préfectorale de la santé semblait être en attente de résultats : « Concernant cette action, les besoins ont été identifiés et communiqués à la DHSA. En guise de préparation à sa mise en application, la délégation a jugé bon de doter les moyens d’évacuation opérant en milieu rural en moyens de communication. C’est ainsi que les parturientes originaires de la commune rurale de S’houls peuvent théoriquement faire appel aux services de l’ambulance du CSCA El Arjate depuis leurs domiciles »25. Une telle initiative, dont l‟apport est évidemment lié à la couverture téléphonique des zones « enclavées », peut certainement résoudre les problèmes d‟accès de la parturiente à un véhicule. Elle requiert cependant une disponibilité en ambulances. Un représentant du Ministère de l‟intérieur de la province de Figuig soulignait à cet égard la difficulté du démarrage de cette opération. Il nous rapportait que les chauffeurs des ambulances26 n‟y étaient pas favorables, se disant trop souvent sollicités, et étant réticents à effectuer des trajets de nuit dans la montagne ; dans la pratique, poursuivait notre interlocuteur, le personnel de santé du dispensaire rural appelle la personne référente du Samu obstétrical de la commune où l‟ambulance est stationnée, qui appelle alors le chauffeur de l‟ambulance, qui refuse parfois de se déplacer, surtout la nuit. La personne référente appelle alors l‟autorité locale (pacha ou caïd) qui ordonne au chauffeur de l‟ambulance d‟aller chercher la parturiente. Il est bien sûr préférable que les parturientes puissent accéder suffisamment tôt aux maternités avant le début du travail et pour éviter de devoir recourir à une ambulance. C‟est dans cette perspective qu‟a été lancée, au départ avec l‟appui de l‟Unicef, l‟initiative des dar al oumouma (DAO), encore appelés « maisons d‟attente ». Ces maisons d‟attente sont des bâtiments non médicalisés mais proches de maternités périphériques qui offrent des prestations d‟hôtellerie pour des femmes habitant des zones « enclavées », sur le point d‟accoucher ou qui viennent d‟accoucher, afin qu‟elles puissent attendre gratuitement et confortablement leur accouchement et/ou le retour au domicile après l‟accouchement. Il s‟agit par là d‟éviter de venir à la maternité « au dernier moment », et permettre à la femme de se reposer quelques temps (48 heures au moins) après l‟accouchement en disposant d‟une surveillance avant de rentrer chez elle. Il s‟agit là d‟initiatives communautaires, gérées par des associations, et financées par les communes. Une étude spécifique menée dans la province d‟El Haouz à propos des effets de la mise en place d‟une des plus anciennes maisons d‟attente avait conclu à l‟impossibilité de porter au seul crédit de cette initiative une amélioration de la situation de la morbidité et de la mortalité maternelle ; par ailleurs, il apparaissait que cette maison d‟attente était très appréciée par les femmes qui continuaient cependant d‟accéder tardivement à la maternité et restaient peu de temps dans la maison d‟attente après 25 R. Abdelmoumen & K. El Amrani, op.cit. Nous verrons ci-dessous que les chauffeurs des ambulances sont le plus souvent des chauffeurs des communes qui ont par ailleurs d’autres activités que la seule conduite des ambulances. 26 71 l‟accouchement27. Les maisons d‟attente se sont multipliées sur le territoire marocain, et les provinces de Figuig et Azilal ont vu l‟implantation de ces DAO, notamment avec l‟appui de l‟INDH. Nous avons visité les maisons d‟attente de Aït M‟Hmed, près d‟Azilal, et de Talsint, dans la province de Figuig. La maison d‟attente de Aït M‟Hmed a ouvert en janvier 2010 ; lors de notre passage en janvier 2011, elle n‟avait accueilli que 4 femmes ; deux mois plus tard, lors de notre second passage, elle avait reçu deux femmes supplémentaires originaires de la localité même, soit 6 femmes au total en un peu plus d‟un an ; la maternité à proximité avait reçu 126 femmes au cours de l‟année 2010. Une campagne de sensibilisation destinée aux habitants des différents douars de la commune devait débuter au mois de mars 2011 pour faire connaître la DAO et augmenter sa fréquentation. Mais, nous confiait un des membres de l‟association qui gère cette DAO, si les femmes ne veulent pas rester à la DAO c‟est parce que « elles ne veulent pas laisser leurs petits à la maison ». La DAO de Talsint dans la province de Figuig semblait avoir un peu plus de succès : après un mois et demie de fonctionnement (1er novembre – 15 décembre 2010) elle avait reçu 18 femmes dont plus de la moitié venait de la commune même de Talsint, soit de l‟immédiate proximité, 3 seulement l‟avaient utilisée avant leur accouchement ; le centre de santé de Talsint avait réalisé 31 accouchements pendant le mois de novembre 2010. Là encore, l‟initiative est trop récente pour pouvoir tirer des conclusions, mais pour ces deux maisons d‟attente, une tendance analogue à la situation bien documentée pour la DAO de la province de El Haouz (cf. l‟étude citée) semble se dessiner, soit une utilisation par les parturientes comme une suite de couches, pour des femmes venant plutôt de l‟immédiate proximité, mais avec une fréquentation encore réduite. Accéder à temps à la localité où se trouve la maternité est sans conteste un facteur positif. Mais encore faut-il que la maternité soit accessible, et le personnel disponible. Les dispensaires ruraux que nous avons pu visiter bénéficient des prestations de deux personnes (en général une infirmière et une sage femme en tout début de carrière) qui habitent sur place, s‟entraident et se complètent, notamment pour les accouchements et en cas d‟absence de l‟une des deux. L‟entraide et la complémentarité sont également la règle parmi les personnels des centres de santé où les effectifs sont plus importants que dans les dispensaires ; cependant, le travail y semble plus segmenté, ne serait-ce qu‟en raison d‟une fréquentation plus importante et des activités plus diversifiées que dans les dispensaires ruraux. Par ailleurs, selon les cas, tous les personnels n‟habitent pas toujours tous sur place. Dès lors, il peut arriver, par exemple en raison de l‟absence de la seule sage femme du centre (pour cause de formation, de congés, de maladie, etc.) que la parturiente trouve parfois la porte de la maternité de proximité close. Afin de s‟assurer que l‟accouchement s‟est déroulé dans de bonnes conditions et que la mère et l‟enfant « se portent bien », la femme est censée devoir rester à la maternité au minimum 48 heures après l‟accouchement. Ce délai, notamment en milieu rural, est très difficile à faire respecter : les femmes ont hâte de retrouver leur domicile immédiatement après leur accouchement, pour retrouver leurs enfants qu‟elles y ont laissé, pour s‟occuper des bêtes, etc. ; de plus, dans les montagnes de Figuig ou d‟Azilal, dans les maternités non chauffées, il règne un froid glacial dans 27 Abaacrouche M., Belghali A., Meski F.Z., Gruénais M.E., De Brouwere V. (2009) La maison d’attente : une solution efficace pour favoriser l’accouchement en milieu surveillé, Rapport de recherche pour l’OMS, Rabat, INAS, décembre 2009, 75 p. 72 les établissements non chauffés, ce qui n‟invite guère à y rester. En milieu urbain, c‟est bien davantage l‟importance de l‟activité de l‟hôpital qui rend difficile d‟organiser le maintien de la parturiente dans la maternité deux jours après l‟accouchement : « Le séjour de 48 h a été institué dès sa mise en place en 2008. Certaines difficultés ont émergé au fil du temps. Au niveau de l’hôpital, le nombre de lits étant limité (45), le service de maternité s’est retrouvé, à certains moments, avec un sureffectif de parturientes (2 / lit), ce qui rendait peu acceptable cette mesure par les femmes et leurs familles. Ça a, en plus, généré des problèmes connexes difficiles à gérer (doublement du nombre de visiteurs, augmentation de la masse des déchets à traiter, détérioration du niveau d’hygiène du service et de ses équipements sanitaires, potentialisation du risque infectieux, etc.). Au niveau des maisons d’accouchement : la mesure a été mal acceptée par la population au départ en raison du fait que les familles devaient supporter de multiples allers et retours afin d’approvisionner les parturientes en nourriture et linge »28. C‟est sans doute l‟ensemble de ce contexte (préférence pour l‟accouchement à domicile entre autres pour ne pas délaisser son foyer, perception de l‟accouchement comme un événement ne nécessitant pas d‟intervention sauf exception, difficulté d‟accès à des maternités par ailleurs parfois peu accueillantes, incertitude quant à la disponibilité du personnel) qui fait que les parturientes fréquentent peu les maternités périphériques en milieu rural qui affichent souvent une très faible activité29. De plus, si la gratuité de l‟accouchement et des soins obstétricaux d‟urgence est une mesure que l‟on ne peut que saluer, elle pourrait être une invitation pour les sages femmes des maternités périphériques à ne pas vouloir prendre le moindre risque et à référer assez systématiquement vers les hôpitaux provinciaux ou régionaux puisque l‟évacuation est désormais gratuite. Certains chiffres de référence de parturientes relevés dans des maternités ayant par ailleurs une activité relativement faible nous ont semblé élevés (dans plusieurs cas, près d‟une femme sur deux). La tendance des centres de santé périphériques à évacuer « trop facilement » des femmes vers des hôpitaux de référence pour des accouchements normaux est une plainte récurrente des gynécologues-obstétriciens des hôpitaux, mais nous ne sommes pas en mesure d‟évaluer la mesure dans laquelle ce type de plainte est fondé ou non. Un administrateur d‟une délégation nous disait, qu‟en cas de transfert, l‟obligation pour la sage femme d‟accompagner la parturiente jusqu‟à l‟hôpital de référence, une fois la décision d‟évacuation prise, devait être aussi envisagée comme moyen de limiter des évacuations « abusives ». Mais, poursuivait-il, cette mesure pouvait amener certaines sages femmes exerçant dans des centres de santé à déconseiller aux parturientes d‟accoucher dans leur centre et de les inviter à se rendre directement à la maternité de l‟hôpital de référence. L‟ensemble des mesures prises pour favoriser l‟accouchement en milieu surveillé et la prise en charge des grossesses à risque qui concernent le niveau le plus périphérique des systèmes de santé locaux aura sans doute pour conséquence une augmentation de l‟activité dans les maternités de référence hospitalières. Cela suppose une augmentation de la capacité de réactivité de ces maternités hospitalières. Nous avons signalé plus haut les craintes des personnels de santé des 28 R. Abdelmoumen & K. El Amrani, ibid. Le chiffre maximal relevé au cours de l’étude a été enregistré dans une maison d’accouchement de la préfecture de Salé avec en moyenne un accouchement par jour. Dans les deux autres sites, les chiffres vont d’une moyenne d’un à deux accouchements par semaine à un minimum rencontré, certes dans des dispensaires ruraux, de 5 accouchements réalisés en 8 mois. 29 73 provinces de Figuig et d‟Azilal face au départ programmé des médecins chinois exerçant dans les deux hôpitaux provinciaux, et en particulier des gynécologues. A la période à laquelle nous avons recueilli nos données, il n‟y avait plus qu‟un seul gynécologue en exercice dans un des hôpitaux qui réalisait 800 césariennes par an avec préalablement 3 gynécologues. Ce gynécologue, qui déclarait n‟avoir pu prendre que 15 jours de congés en deux ans, nous disait alors qu‟en l‟absence de la venue d‟un autre gynécologue, « il va y avoir des morts ! ». La question des accouchements met en évidence le grand nombre d‟éléments à prendre en compte en matière d‟accès aux soins : l‟état des routes, la couverture du territoire par le réseau téléphonique, les préférences des populations qui décident de ne pas toujours recourir au système de santé notamment parce qu‟elles sont informées des modalités d‟accueil dans les maternités, le niveau socio-économique des ménages, l‟état du parc automobile, l‟engagement des associations et des autorités locales, la plus ou moins bonne volonté de certains agents (du chauffeur au gynécologue en passant par les sages femmes et les médecins) à fournir les prestations requises, et les affectations des personnels de santé. Nous avons vu notamment ci-dessus combien la question des évacuations et de la disponibilité des ambulances était un élément particulièrement important dans l‟amélioration de l‟accès aux structures de soins. Nous y consacrerons la partie suivante. Les évacuations et la gestion des ambulances A Salé, la situation est critique pour les évacuations du fait du manque d‟ambulance et du vieillissement du parc automobile, mais la question de l‟accessibilité géographique des structures de soins et de parvenir à trouver un véhicule quel qu‟il soit, se pose peu comparativement à la situation des provinces de Figuig et d‟Azilal dont il sera surtout question dans cette section. Les difficultés d‟accès géographique, dans la province de Figuig, sont notamment liées à la dispersion de la population, à son éloignement vis-à-vis des grands axes de communication, et aux distances, mais une fois le lieu localisé, son accès est en général possible toute l‟année. Dans la province d‟Azilal, dans la zone montagneuse, la situation est parfois beaucoup plus délicate en raison de la neige l‟hiver, des crues et des inondations au printemps ; parfois des glissements de terrain viennent entraver la progression des véhicules, et certains douars, comme nous l‟avons déjà signalé, ne sont accessibles que par un sentier trop étroit pour être emprunté par un véhicule automobile. Plusieurs heures de marche sont parfois nécessaires pour parvenir jusqu‟au centre de santé ou le dispensaire rural de sa commune 30. En cas d‟urgence et/ou de nécessité d‟évacuation, iI faudra atteindre la structure communale, pour les premiers soins et la mise en condition pour l‟évacuation, mais aussi pour obtenir la fiche de liaison, document indispensable qui vient justifier médicalement la référence, le recours à l‟ambulance, et permettra l‟accès à l‟hôpital provincial. 30 Un infirmier d’un dispensaire rural de la province d’Azilal nous faisait remarquer que pour atteindre certains douars qui entraient dans sa zone de responsabilité il fallait jusqu’à 5 heures de marche. Prenant conscience des distances et des difficultés d’accès, il finit par accepter de donner des médicaments aux personnes originaires de ces douars qui venaient occasionnellement (les jours de marché notamment) dans le village du dispensaire pour d’autres personnes, malades, restées dans les douars en question. 74 Rappelons que seules les évacuations pour les femmes enceintes réalisées par des ambulances du secteur public (relevant du Ministère de la santé ou des communes) sont gratuites. Pour toute autre situation, l‟évacuation est payante ; de plus, toute évacuation, y compris pour des femmes enceintes, réalisée par une ambulance qui ne relève pas du secteur public est également payante. Ainsi, certains centres de santé disposent d‟ambulances qui ont été données dans le cadre d‟une opération de coopération ponctuelle et qui sont gérées alors par une association locale ; ces « ambulances associatives » relèvent alors totalement d‟une gestion privée, certes à but non lucratif ; tout déplacement de ce type de véhicule, y compris pour les évacuations des femmes enceintes, est alors payant. Dans tous les cas de figure, lorsque le déplacement est payant (par des ambulances associatives ou de communes), il est demandé au patient et à son entourage de s‟acquitter, en totalité ou en partie, du prix du carburant nécessaire pour atteindre l‟hôpital de référence et du défraiement du chauffeur. Les coûts varient évidemment en fonction de la distance ; pour donner un ordre d‟idée, le coût d‟une évacuation de Figuig à Bouârfa s‟élève à 225 dh, et le patient doit s‟acquitter d‟une somme de 160 dh (la différence étant prise en charge par la commune) ; le coût d‟un déplacement par une « ambulance associative » entre le centre de santé auprès de laquelle l‟ambulance est placé et l‟hôpital d‟Azilal pour un trajet d‟environ 2h30 s‟élève à 500 dh qui doit être entièrement acquitté par l‟utilisateur de l‟ambulance, y compris s‟il s‟agit d‟une femme enceinte. A Azilal, Figuig, mais aussi à Salé, certaines zones ne sont pas couvertes par le réseau de téléphonie mobile ce qui contribue à retarder encore un peu plus la possibilité d‟accès à un moyen de transport, en général, et à une ambulance, en particulier. Trouver une ambulance disponible est une chose, la faire parvenir jusqu‟au domicile de la personne à évacuer en est une autre. Des employés de la Sécurité civile nous confiaient qu‟un des problèmes qu‟ils rencontraient était que « les gens n’ont pas encore un esprit d’intervention ; ils essayent d’abord d’arranger entre eux et ils appellent très tard » ; trouver les domiciles, dans les localités ou quartier, en l‟absence d‟adresse précise, en se trouvant confrontés parfois à des ruelles trop étroites pour que l‟ambulance parvienne jusqu‟à l‟entrée du domicile, constitue une autre difficulté. Quand il s‟agit d‟aller chercher une personne dans la montagne, surtout la nuit, il faut trouver un guide bon connaisseur de la zone. Dans la préfecture de Salé également, des difficultés d‟accès des ambulances nous ont été signalées, auxquelles venaient s‟ajouter les problèmes de sécurité lorsqu‟il s‟agissait de procéder à des évacuations de nuit. Mais les ambulances ne vont pas toujours chercher les malades à domicile : la personne à transporter doit arriver jusqu‟au centre de santé ou au siège de la commune où l‟ambulance est stationnée pour être alors évacuer, nous a-t-on dit à plusieurs reprises. Hormis à Salé, les ambulances ne semblent pas manquer dans les deux provinces de Figuig et d‟Azilal. Au moins quatre types d‟acteurs interviennent dans ce secteur des ambulances et des évacuations : les associations qui gèrent des dons d‟ambulance, comme le cas évoqué plus haut, ou qui ont leurs propres ambulances, comme le Croissant rouge ; la Sécurité civile, qui dépend directement du Ministère de l‟Intérieur ; le Ministère de la santé ; et les communes, qui gèrent en partie ou en totalité les ambulances achetées dans le cadre de projets appuyés par l‟INDH. 75 Pour certains responsables de l‟INDH, l‟achat d‟ambulance fait partie des « meilleurs projets » soutenus par l‟Initiative. Tout d‟abord, bien évidemment, parce qu‟elles sont utiles, surtout aujourd‟hui pour lutter contre la mortalité et la morbidité maternelle et néo-natale dans le cadre du programme du Ministère de la santé. L‟achat d‟ambulances répond à des demandes récurrentes des autorités communales, surtout pour les zones éloignées des grands centres. Ensuite parce qu‟il s‟agit d‟un produit dont la mise à disposition auprès des bénéficiaires ne nécessite par de suivi particulier (en comparaison d‟une construction, d‟un programme de sensibilisation, etc.) : il suffit d‟acheter le véhicule. Enfin, et c‟est nous qui ajoutons cela, il s‟agit là d‟une opération de visibilité immédiate de l‟INDH puisque tous les véhicules achetés dans le cadre de tel projet sont clairement identifiables comme étant des « ambulances INDH ». L‟achat d‟ambulance par l‟INDH se fait conformément aux procédures de tous les projets soutenus par l‟INDH, avec un « porteur de projet » (ici généralement une commune) qui réceptionnera l‟ambulance après signature d‟une convention entre les deux parties ; le « porteur de projet » sera alors le gestionnaire de l‟ambulance qui prendra en charge l‟entretien du véhicule, le carburant et la rémunération du chauffeur. Dans une même localité, peuvent coexister les quatre types d‟ambulance (ambulances associatives, du Ministère de la santé, de la Sécurité civile, de la commune) sans qu‟il y ait toujours une coordination optimale entre les différentes institutions. Les « ambulances associatives », mises à disposition d‟un centre de santé public ou d‟un centre de santé associatif (tels les centres du Croissant rouge) relèvent d‟une gestion totalement autonome et indépendante du système de santé public local. En d‟autres termes, si elles rendent d‟importants services, l‟État, dans l‟ensemble de ses composantes locales, n‟a pas à réglementer leur utilisation, et l‟association gestionnaire ne bénéficie d‟aucune aide publique. La situation des ambulances de la Sécurité civile est bien différente. Ces ambulances sont par nature destinées à la prise en charge des accidentés de la route, des brûlés, au secours aux blessés en général, notamment en cas de catastrophe. Mais elles ont aussi à répondre à toutes les sollicitations. Certains agents de la Sécurité civile que nous avons rencontrés nous ont précisé qu‟il leur était déjà arrivé d‟aller chercher une femme enceinte, voire de devoir procéder à l‟accouchement dans l‟ambulance. L‟intervention est totalement gratuite, les ambulances sont très bien équipées, et les agents ont une formation de secouriste, très importante pour savoir manipuler les blessés sans risquer d‟aggraver le mal. La Sécurité civile n‟a aucun lien institutionnel avec le Ministère de la santé ni avec les communes et même, informellement, leurs agents ne sont guère invités à participer aux débats locaux sur les questions d‟évacuation concernant la commune où ils sont implantés, ce que certains ont regretté d‟ailleurs. Leur périmètre d‟intervention est limité : par exemple, les agents de la Sécurité civile de la ville de Figuig ont une compétence territoriale limitée et n‟ont pas le droit de procéder à des évacuations directement vers l‟hôpital de Bouârfa, hormis un cas d‟accident de la circulation survenant sur la route Figuig-Bouârfa ; s‟ils recueillent un malade, ils doivent alors nécessairement se rendre au centre de santé de Figuig, et c‟est celui-ci qui aura la charge de l‟évacuer éventuellement vers l‟hôpital de Bouârfa, mais avec un autre véhicule. En fait, la décision d‟évacuation ne peut être prise que par un médecin, d‟où l‟obligation du recours préalable au médecin du centre de santé de référence pour obtenir une fiche de liaison. 76 Les centres de santé publics disposent quelques fois de leurs propres véhicules qui appartiennent alors au Ministère de la santé. On aura vu ci-dessus, avec le cas des véhicules de Salé, combien le parc automobile du Ministère de la santé est vieillissant. Les dotations en gasoil venant du Ministère de la santé et dont les centres de santé disposent désormais dans le cadre du programme de maternité sans risque pour les évacuations gratuites des femmes enceintes, sont essentiellement destinées à ces véhicules. Les médecins chefs des centres qui disposent de tels véhicules ont toute latitude pour les utiliser. Tous les centres de santé ne disposent cependant pas d‟une ambulance, et les centres de santé qui en sont dotés n‟ont pas toujours de chauffeur attitré pour les conduire. En l‟absence d‟un chauffeur attitré, et en cas d‟urgence, il n‟est pas toujours envisageable, ne serait-ce que pour des questions d‟assurance, qu‟un personnel du centre de santé puisse conduire le véhicule. Mais si cette possibilité existait réellement, les personnels de santé accepteraient-ils de conduire une ambulance en plus de leur travail au centre de santé ? Dans ces conditions, la solution est le recours au personnel de la commune, pour le chauffeur et/ou pour « l‟ambulance INDH », elle aussi le plus souvent placée auprès de la commune. Rappelons que la gestion des ambulances communales, achetées avec le soutien de l‟INDH, est à la charge de la commune qui doit alors acheter le gasoil, rémunérer le chauffeur et assurer l‟entretien du véhicule ; et hormis en cas d‟évacuation des femmes enceintes, une participation financière est demandée au malade et à son entourage dans tous les autres cas. Les personnels de santé ne peuvent recourir qu‟à l‟ambulance communale de « leur » commune. Si le centre de santé ou le dispensaire est localisé dans un village qui ne dispose pas d‟ambulance, il n‟a pas légitimité à recourir à l‟ambulance relevant d‟une commune voisine, même si celle-ci est très proche. Nous avons relevé le cas d‟un infirmier d‟un dispensaire qui devait faire appel à l‟ambulance positionnée auprès du chef lieu de « sa » commune, qui était relativement éloigné, avec un temps d‟attente pour voir arriver l‟ambulance de « sa » commune plus long que s‟il avait fait appel à la commune voisine qui disposait également d‟une ambulance. Les communes emploient un nombre limité de chauffeurs et ne peuvent pas en affecter spécifiquement à la conduite des ambulances communales. Les chauffeurs communaux, qui n‟ont pas de formation spécifique d‟ambulanciers ni de notion de secourisme, ont bien d‟autres tâches à accomplir que celle de conduire une ambulance (ramassage des ordures ménagères, conduite d‟engins de terrassement, etc.). Lorsque l‟ambulance communale doit être utilisée, il se peut que le chauffeur soit en train de travailler à une extrémité du territoire de la commune pour réaliser des travaux de terrassement, par exemple. Un secrétaire général d‟une des provinces nous a précisé que si les communes avaient des budgets propres pour assurer le fonctionnement des ambulances, voire même pour acheter des ambulances, elles n‟ont pas d‟autonomie pour recruter du personnel, le personnel communal étant rémunéré sur un poste de la fonction publique relevant du Ministère de l‟intérieur. Pour pouvoir recruter un chauffeur, qui serait spécifiquement attaché à la conduite de l‟ambulance communale, la commune n‟a d‟autre moyen que d‟attendre qu‟un poste soit libéré par le départ d‟un agent communal. Reste à savoir si l‟utilisation très irrégulière des ambulances communales justifie l‟emploi à plein temps d‟un chauffeur. 77 Enfin, et c‟est sans doute là le point le plus important, il n‟y a aucun rapport hiérarchique ni institutionnel entre les autorités et personnels communaux et les agents du Ministère de la santé que sont les personnels des dispensaires et des centres de santé et les délégués provinciaux de la santé. Dès lors, la réponse à la requête d‟agents du Ministère de la santé pour l‟utilisation d‟une ambulance communale dépend du bon vouloir des présidents de commune et des élus. Un pacha nous résumait la situation dans sa localité dans les termes suivants : « Nous avons 4 ambulances dans la ville de X, dont deux véhicules 4x4 : une du Ministère de la Santé, une de la Fondation Mohamed V, deux en partenariat entre la municipalité [et une association]. Nous avons 3 chauffeurs polyvalents de la municipalité, qui s’occupent aussi du ramassage des ordures, etc. La commune a des ambulances pour aider mais, selon le maire, c’est à la santé d’avoir ses ambulances et ses chauffeurs ». On nous a rapporté des situations où les autorités communales se montraient très réticentes à répondre aux demandes d‟utilisation de « leurs » ambulances formulées par les délégués provinciaux de la santé, les premières arguant que le Ministère de la santé devait avoir ses propres ambulances et que ce n‟était pas aux communes à suppléer aux défaillances du Ministère de la santé. Certains de nos interlocuteurs communaux, parfois peu avares de critiques envers les autorités d‟autres communes, ont pu avancer que le maire de la localité voisine utilisait l‟ambulance de sa commune à des fins personnelles. Dans certains cas, seule l‟intervention directe d‟une des plus hautes autorités locales représentant le Ministère de l‟intérieur (caïd, raïs, pacha, voire secrétaire général de la province) peut permettre de débloquer la situation, qu‟il s‟agisse de la mobilisation d‟un chauffeur ou du véhicule ou des deux. Dans de nombreux cas, tout se passe au mieux, et les autorités communales acceptent bien volontiers de positionner l‟ambulance communale dans l‟enceinte du centre de santé et de laisser le soin au seul médecin chef du centre de décider de son utilisation. L‟achat d‟un véhicule relève d‟une opération relativement simple ; le budget pour faire rouler le véhicule (achat de gasoil, frais d‟entretien) est souvent disponible. En revanche, l‟analyse des modalités concrètes de son utilisation nous amène vers des questions complexes de gouvernance locale : faire rouler une ambulance soulève à la fois des problèmes de ressources humaines, d‟organisation et de responsabilité (trouver le chauffeur qui pourra sans risque conduire l‟ambulance quand cela est nécessaire), de compétences territoriales (quelle ambulance pour quel centre de santé ou dispensaire), de côtoiement de « territoires » institutionnels (ceux des associations, du Ministère de l‟intérieur, du Ministère de la santé, des communes), et partant parfois de rapports de force, de positionnement, de rivalités, voire de conflits entre des acteurs relevant de ces différentes institutions. L‟achat d‟ambulances dans le cadre de projets soutenus par l‟INDH figure parmi les « bons projets », comme nous le rappelait un responsable provincial de l‟INDH ; ce même responsable, par ailleurs excellent technicien du montage et du suivi de projets comme beaucoup de ces collègues que nous avons rencontrés, qui avait une claire conscience des problèmes soulevés par l‟utilisation des véhicules que nous venons d‟évoquer, proposait parmi les solutions d‟établir des conventions entre l‟INDH, qui achète le véhicule, et les délégations provinciales de la santé pour que la gestion des ambulances soit assurée par leurs premiers utilisateurs : les agents du Ministère de la santé. 78 Favoriser l’accessibilité financière aux prestations de soins Jusqu‟à présent, nous avons surtout traité de tout ce qui avait trait à l‟accessibilité géographique et à la disponibilité des offres de soins. Nous avons peu évoqué les questions d‟accessibilité financière, qui sont pourtant une préoccupation majeure des populations, comme l‟atteste les entretiens que nous avons réalisés dans les différents sites et dont il sera fait état au chapitre suivant. Dans les établissements publics de santé de base, toutes les prestations et tous les médicaments sont gratuits. Des efforts importants ont été consentis pour que tout ce qui a trait à la prise en charge de la femme enceinte et des complications liées à la grossesse soit désormais gratuit. Les évacuations pour toutes les autres situations, et d‟une manière général le transport restent un poste budgétaire important à la charge des patients et de leur famille. Tous les médicaments nécessaires à un traitement ne sont pas tous disponibles dans les centres de santé publique ; les prescriptions, ainsi que les examens, sont aussi le plus souvent à la charge du patient. Citons également les hospitalisations qui sont en théorie payantes, y compris dans les structures publiques. Néanmoins, nombre de mesures et d‟initiatives ont été prises pour alléger le poids des dépenses de santé directes pour les ménages. Essais de mutuelles de santé & mutualistes Afin de couvrir, en partie ou en totalité, les frais liés aux achats de médicaments, mais aussi des évacuations, des associations locales ont tenté de mettre en place des mutuelles. La gestion d‟une mutuelle de santé est une entreprise particulièrement complexe qui oblige ses responsables à entrer dans une dynamique assurantielle dont un des écueils majeurs, dans des zones pauvres, est la « sélection adverse » que l‟on pourrait caricaturer maladroitement de la manière suivante : si la mutuelle couvre une population très vulnérable, si le montant de la cotisation est relativement faible et que les cotisants attendent qu‟elle couvre le plus large éventail possible de dépenses (médicaments, évacuations, consultations, opérations, etc.), attentes légitimes des plus pauvres, la mutuelle aura du mal à faire face à toutes les dépenses31. On s‟orientera vers une baisse progressive du montant des remboursements, avec un mécontentement accru des cotisants, une perte de confiance dans le mécanisme, jusqu‟au point où la trésorerie de la mutuelle n‟y suffira plus et la faillite devient inévitable. Afin d‟éviter de creuser le déficit, il convient également, s‟agissant du remboursement des médicaments, que le montant des prescriptions reste à un niveau raisonnable. Or, dans la province d‟Azilal, une mutuelle communautaire a été confrontée à une augmentation progressive du coût des ordonnances, ce qui a fini par creuser un déficit impossible à combler avec la stagnation, puis la baisse du nombre des cotisants. De plus, selon les membres de l‟association gestionnaire de cette mutuelle communautaire, deux initiatives du Ministère de la santé sont venues la concurrencer : la décision de gratuité de la prise en charge des complications obstétricales et des évacuations pour les femmes enceintes, et la mise en place du Ramed dans la Région de Tadla-Azilal. En d‟autres termes, les habitants de la commune ne voyaient plus l‟intérêt de verser régulièrement de l‟argent à une mutuelle alors qu‟il y avait désormais la possibilité d‟accéder gratuitement à des prestations sans rien payer. 31 Pour une analyse complète des contraintes (et des risques d’échec) des mutuelles de santé locales, on pourra se reporter notamment à Criel B. (1998) District-based health insurance in sub-Saharan Africa, ITG Press (SHSOP 9 & 10) (http://www.itg.be/itg/GeneralSite/Default.aspx?WPID=391&MIID=394&L=F). 79 A une toute autre échelle il existe des couvertures médicales pour les salariés. Ce dispositif ne concerne qu‟une population bien particulière, et plutôt urbaine32. Mais l‟Assurance médicale obligatoire (AMO) et les mutuelles des salariés sont-elles toujours d‟une aide décisive pour faciliter l‟accès aux soins et aux médicaments ? A Salé, les médecins nous faisaient remarquer très justement qu‟un mutualiste peut être pauvre. La difficulté que rencontrent les mutualistes est l‟obligation qui leur est faite de devoir avancer le coût des soins et des médicaments et d‟attendre parfois longtemps avant d‟être remboursés ; dès lors, les mutualistes, comme les non mutualistes, ont des difficultés pour acheter des médicaments. De plus ni les patients mutualistes, qui perdent parfois les factures et les documents, ni même les médecins ne semblent très à l‟aise pour faire face aux exigences administratives pour établir un dossier de remboursement : « on n’a jamais appris à un médecin à remplir une feuille de mutuelle. On ne connaît pas le code des actes, ni les ‘valeurs clés’. Il faut écrire le traitement sur l’ordonnance, s’occuper du malade, écrire le bilan, et remplir la feuille de soins ! J’ai dû aller sur internet pour aller chercher mon identifiant national de médecin [qui doit être reporté sur la feuille de soins] » (un médecin de Salé). Si l‟AMO constitue à l‟évidence une avancée sociale, dans son fonctionnement actuelle elle n‟est pas toujours pour tout le monde une aide permettant d‟améliorer de façon décisive, tant pour les patients que pour les soignants, l‟accès aux soins et aux médicaments. Un médecin de Salé portait ce jugement très sévère : « Dans l’AMO, ce qui est obligatoire, c’est la cotisation, non le remboursement ». Quelques observations à propos de la mise en place du Ramed Azilal est une des provinces pilote choisie pour l‟expérimentation du Régime d‟assurance maladie pour les économiquement démunis, et c‟est une des raisons qui a justifié le choix de cette province pour la présente étude. Les informations concernant le Ramed présentées ici ne correspondent qu‟à une photographie de la situation à un moment donné. Certains dysfonctionnements qui seront soulignés ont peut-être été corrigés depuis le moment de l‟enquête, tant la situation est évolutive avec la perspective d‟une généralisation du Ramed à l‟ensemble du pays d‟ici la fin de l‟année 2011. Il est indéniable que la mise en place du Ramed augmente le « confort » de la population, mais aussi des cliniciens des centres de santé : « Cela nous facilite la tâche pour les bilans et les consultations spécialisées » (un médecin d‟un centre de santé). Auparavant, face à un patient pauvre, un clinicien de première ligne pouvait hésiter voire renoncer à prescrire certains traitements, à demander certains examens de laboratoire, ou encore, comme le dit ce médecin, à renvoyer le patient vers un spécialiste d‟un hôpital de référence provincial ou régional. Le Ramed, qui concerne rappelons-le uniquement la prise en charge hospitalière, permet d‟augmenter la qualité des soins pour les plus pauvres. Mais si le Ramed est surtout perçu comme un moyen pour un médecin de première ligne de référer plus facilement les patients à des niveaux supérieurs de la pyramide sanitaire, et considérant, comme l‟affirmait ce même médecin que « ici, tout le monde est pauvre », les hôpitaux de référence auront-ils toujours la possibilité de faire face à l‟augmentation éventuelle de la demande de soins qui leur sera désormais adressée ? Ici, comme pour le cas de la gratuité de la prise en charge de la grossesse et de ses complications, l‟augmentation de la qualité de l‟offre de première ligne requiert une réactivité accrue 32 En 2010, à l’hôpital provincial de Bouârfa, il y a eu, pour une période de 11 mois, 2800 entrants ; l’hôpital n’a eu à traiter que 26 dossiers d’AMO pour la même période. 80 des structures de référence. A cet égard, un administrateur s‟inquiétait pour l‟équilibre budgétaire d‟un hôpital pour l‟année 2010, remarquant que l‟hôpital recevait une subvention de 1 million pour le Ramed alors que la facture s‟élevait à 3 millions. Les médecins de première ligne nous disaient qu‟ils encourageaient leurs patients à s‟inscrire pour être éligible au Ramed. La promotion du Ramed et l‟information sur le dispositif semble encore souffrir d‟un important déficit de communication. Selon nos interlocuteurs, les personnes s‟inscriraient pour le Ramed au moment où elles sont malades et ont besoin d‟une hospitalisation. Dans cette mesure, le temps que l‟ensemble de la procédure soit engagée et aboutisse, la personne risque d‟être bénéficiaire effective du Ramed lorsque l‟épisode nécessitant son hospitalisation sera passé. Les certificats d‟indigence qui sont aujourd‟hui encore généralisés en 2011 pour l‟accès à des soins hospitaliers gratuits, ont été supprimés dans la province d‟Azilal, précisément en raison de la mise en place du Ramed. Que se passe-t-il alors lorsque la personne démunie ne bénéficie pas encore du Ramed mais ne peut plus obtenir de certificat d‟indigence qui lui donne droit à la gratuité des soins ? Une des solutions est le recours systématique au service des urgences, où il y a une obligation de soins, mais qui risque d‟être assez vite engorgé pour des cas qui ne relèvent pas toujours des urgences33. Le manque d‟information se manifeste aussi lorsque les médecins des centres de santé constatent que des bénéficiaires du Ramed leur présentent leur carte, alors que, rappelons-le, tout est gratuit pour tout le monde dans les centres de santé et que le Ramed ne vaut que pour le recours à l‟hôpital. Enfin, des médecins et des administrateurs ont évoqué des incompréhensions. Pour être bénéficiaire du Ramed, et si l‟on entre dans la catégorie « vulnérable » et non pas « démuni », la cotisation s‟élève à 120 dh par an, dans la limite de 600 dh par an et par foyer en fonction du nombre de bénéficiaires. Bien souvent, nous faisaient remarquer nos interlocuteurs, le seul contact des populations avec les centres de santé se fait autour de l‟accouchement, qui est gratuit. Dès lors, certains bénéficiaires « vulnérables » du Ramed ne comprendraient pas pourquoi ils doivent payer de 120 à 600 dh par an pour une prestation qui est également délivrée pour des personnes qui ne cotisent pas. « On n’a pas suffisamment expliqué les droits. On explique que le Ramed est fait pour les maladies lourdes, graves, pour l’hospitalisation, mais ils ne veulent rien entendre. [Pour les bénéficiaires] la carte devrait donner droit à 100% de gratuité et à la priorité », selon un médecin d‟un centre de santé. Autour de la question de l‟éligibilité règne également certaines incertitudes. Les critères semblent inadaptés pour certains : un administrateur nous signalait qu‟un homme qui était propriétaire d‟une vache était considéré comme pauvre, alors que selon lui, une vache équivaut à un revenu, et donc son propriétaire ne devrait pas nécessairement être identifié comme éligible au Ramed. Les changements de situation familiale, non officialisée, sont difficiles à prendre en compte, ainsi, une femme mariée, délaissée par son mari mais toujours officiellement en couple, ne pourra prétendre à bénéficier en son nom propre du Ramed car on ne pourra pas la faire entrer dans la catégorie de « veuve », nous disait un administrateur de l‟INDH. Et les personnels de santé sont parfois confrontés à des arrangements assez grossiers de la part de bénéficiaires qui changent de situation mais ne veulent pas 33 Précisons qu’il s’agit là d’une problématique bien connue en Europe où les services des urgences des hôpitaux sont souvent des recours de premier contact pour les patients les plus pauvres qui ne bénéficient pas de couverture sociale. 81 recommencer toute la procédure : un homme qui change de femme, changera la photo sur la carte, mais le nom de l‟épouse restera inchangé. Il existerait cependant une certaine latitude quant à la décision d‟éligibilité : « pour encourager le Ramed, on ferme un peu les yeux. Dès qu’une personne dit ne pas avoir les moyens, on lui conseille de monter un dossier. Il suffit de déclarer la personne auprès du cheikh », nous disait un médecin. Désormais, nous précisait un administrateur impliqué dans la mise en place du Ramed, le comité local pour statuer sur l‟éligibilité au Ramed est présidé par le caïd et non plus par le président de la commune. Peut-être s‟agit-il là d‟une mesure pour éviter le clientélisme, mais aussi pour favoriser une meilleure fluidité dans la circulation du dossier. Le montage des dossiers et l‟aboutissement de la procédure est une préoccupation de tous les types d‟acteur, personnels du Ministère de la santé et administrateurs à la Province. Le remplissage des formulaires du dossier par les comités locaux, puis son acheminement vers le niveau provincial, les va-et-vient entre les deux niveaux pour compléter certaines informations, ne se font pas toujours aisément. Les techniciens qui saisissent les données sont parfois mal formés et font alors beaucoup de fautes : c‟est ainsi qu‟en raison d‟une erreur de saisie, la personne éligible identifiée comme « pauvre », donc exonérée de cotisation, devient « vulnérable », et soumise à cotisation ; la classification est opérée automatiquement par une application informatique après l‟attribution d‟un score résultant des données saisies pour chaque critère d‟éligibilité. Des bénéficiaires préfèreraient être classés comme « pauvres », nous a-t-on dit, plutôt que comme « vulnérables » afin de ne pas payer la cotisation de 120 dh. Les dossiers sont établis par chef de ménage, qui signe, parfois avec quelques difficultés lorsqu‟il n‟a pas été scolarisé. Ajouter un nouvel enfant parmi les ayants droit se ferait difficilement, les changements de situation devant être enregistrés par le niveau central, à Rabat. Les dossiers n‟auraient pas prévus la situation de polygamie ; ajouter une seconde épouse parmi les ayants droit du Ramed exigerait de monter un nouveau dossier. Le Ramed, en soi, est une mesure appréciée et qui rend de nombreux service ; les critiques portent surtout sur la rigidité et la centralisation du dispositif, ce qui se traduit en particulier par des délais importants avant que le bénéficiaire entre en possession de sa carte établie au niveau central, à Rabat. Entre le moment de la décision d‟éligibilité et l‟obtention de la carte, le bénéficiaire se voit établir un reçu, valable trois mois, qui lui permet d‟accéder à des soins gratuits au titre de bénéficiaire du Ramed. Il arrive que la carte ne soit pas délivrée après trois mois, et le reçu n‟étant plus valable, l‟hôpital n‟est plus censé alors délivrer des prestations gratuites. Dans ce cas de figure, faut-il faire payer le bénéficiaire du Ramed au seul prétexte qu‟il n‟a pas encore reçu sa carte ? En théorie, oui, car les hôpitaux, désormais autonomes, doivent justifier toute exonération en présentant des justificatifs valides, au risque de voir leur direction accusée de détournement, nous faisait remarquer des administrateurs. En pratique, il y a des arrangements locaux, comme la rétention de la carte d‟identité du bénéficiaire du Ramed par l‟hôpital, ou encore l‟intervention directe de l‟autorité locale (Caïdat, Province) qui pèse alors de tout son poids pour exiger et prendre la responsabilité de la gratuité de la délivrance de soins et de médicaments à un « ramédiste » qui n‟est pas encore entré en possession de sa carte. 82 Un autre problème évoqué ressortit à la « territorialisation » du Ramed. Le Ramed est pour l‟instant organisé à l‟échelle de la région de Tadla-Azilal, et les bénéficiaires du Ramed de la province d‟Azilal, doivent suivre la filière de soins telle qu‟elle est organisée dans la carte sanitaire. En d‟autres termes, dans la situation qui nous a été décrite, un « ramédiste », avec sa carte, ne pouvait bénéficier de l‟exonération de paiement qu‟auprès de l‟hôpital provincial d‟Azilal. Par ailleurs, du fait de l‟instauration du Ramed dans cette province, les certificats d‟indigence habituellement délivrés par les autorités locales pour pouvoir bénéficier de la gratuité dans les hôpitaux ont été supprimés. Nous avons fait remarquer ci-dessus, que pour certaines localités, en fonction de leur localisation dans la Province, il était plus aisé, moins risqué, moins onéreux et plus rapide, de procéder à des évacuations vers Marrakech ou vers Beni Mellal. Or comme ces villes relèvent d‟autres provinces, d‟une part, et que le Ramed n‟est pas encore instauré pour Marrakech, où seuls les certificats d‟indigence sont pris en compte pour pouvoir bénéficier de la gratuité, le bénéficiaire du Ramed devra donc payer pour les soins qui lui seront délivrés par un établissement de Marrakech. Cette situation devrait être prochainement corrigée du fait de la généralisation du Ramed dans l‟ensemble du Maroc. Nous ignorons cependant si, à l‟avenir, les bénéficiaires du Ramed, une fois que la généralisation sera effective, devront strictement respecter la filière de soins conformément à la carte sanitaire, ou s‟ils pourront recourir à n‟importe quel hôpital, situé à n‟importe quel niveau de la pyramide sanitaire, et bénéficier toujours et partout d‟une exonération. Plus précisément, en cas de nécessité, du fait par exemple de l‟absence de certaines consultations spécialisées à l‟hôpital provincial, ou pour des raisons de proximité géographique qui rend le recours à un hôpital d‟une autre province que sa province de résidence plus aisé, le bénéficiaire du Ramed devra-t-il nécessairement passer par l‟hôpital de « sa » province, pour obtenir une fiche de liaison, avant d‟atteindre l‟hôpital « extra-provincial » plus adapté à sa situation, avec tout ce que cela peut entraîner de retard et de complication pour réaliser la prise en charge ? D‟un autre côté, en l‟absence d‟une régulation minimale, certains hôpitaux risquent peut-être de devoir faire face à une augmentation de fréquentation difficile à absorber. Beaucoup de questions restent en suspens à propos de la mise en place du Ramed, et des améliorations sont à apporter dans le fonctionnement du dispositif. Le journal L’Économiste, à la fin de l‟année 2010, se faisait l‟écho, comme d‟autres organes de presse, des conclusions des résultats de l‟évaluation faite par le cabinet EMC sur l‟expérience du Ramed dans la région de Tadla Azilal, avec un article au titre évocateur : « Ramed. Un an après. Pourquoi ça ne marche pas ? » 34. L‟article pointait de nombreux dysfonctionnements comme le manque de clarté sur l‟éligibilité, des problèmes de gestion, des inégalités selon les provinces, l‟insuffisance de ressources humaines pour traiter les dossiers, une absence de cadre claire quant aux contributions des communes, et une offre de soins pas toujours satisfaisante, autant de points qui, peu ou prou, ont été évoqués par nos interlocuteurs. Dans un article plus récent de ce même journal35, consacré à la généralisation du Ramed, il était fait état d‟une réunion technique dont une des conclusions était la nécessité de mettre l‟accent « sur les spécificités du monde rural et la rationalisation des opérations de distribution des cartes pour bénéficier du régime ». L‟État semble donc bien conscient des difficultés identifiées. 34 35 Edition du 26/11/2010 disponible sur le site internet du journal. « Dernière ligne droite pour le Ramed ! », L’Economiste, n° 3542 du 1/06/2011. 83 Rapprocher les soins de la population Une alternative complémentaire aux mesures prises en faveur de l‟amélioration de l‟accès aux prestataires consiste à aller vers la population, et là aussi plusieurs initiatives sont prises, soit par le Ministère de la santé dans le cadre des campagnes mobiles, soit par des associations à l‟occasion de « caravanes médicales ». Les équipes mobiles Afin de faire bénéficier certaines populations localisées dans des zones difficiles d‟accès, des « équipes mobiles » sont organisées à partir des centres de santé publics. Ce sont les personnels d‟un centre de santé qui se déplacent pour offrir des prestations dans la limite du territoire de leur circonscription sanitaire. En milieu rural, ce sont les communes qui mettent à disposition véhicule, chauffeur et carburant, et qui permettent donc aux personnels soignants du Ministère de la santé de délivrer des prestations en dehors de leur centre de santé. A notre connaissance, ces initiatives ont essentiellement pour objectif de proposer des prestations préventives : vaccination des jeunes enfants, consultation prénatale, santé scolaire, notamment. Les sorties effectuées peuvent être des sorties « à thème » : une fois pour la vaccination, une autre fois pour les maladies respiratoires ou pour l‟hygiène scolaire, etc. De telles « campagnes mobiles » sont organisées aussi dans la préfecture de Salé, pour de nouveaux quartiers, soit des zones qui sont mal desservies par des centres de santé, difficiles d‟accès, et pour lesquelles la couverture téléphonique, voire l‟électrification sont incomplètement assurées. Des autorités sanitaires ont aussi évoquées des zones « qui ne veulent recevoir aucun officiel ». Dans ces zones, existe un local, construit parfois avec l‟appui de l‟INDH, qui est le point où l‟équipe mobile de santé va stationner pour délivrer ses prestations. De telles zones ne sont pas toujours nécessairement ciblées comme « quartiers INDH », au plus grand désarroi des responsables locaux de l‟INDH. Procéder à des campagnes mobiles exige une équipe disponible qui peut s‟abstraire des contraintes des prestations délivrées dans son centre de santé, suffisamment motivée (il semble que les personnels ne touchent aucune indemnité particulière en lien avec leur participation à ces équipes mobiles), mais également un véhicule fonctionnel. Nous avons déjà évoqué, pour Salé, la question du vieillissement du parc automobile. Les équipes mobiles ne rencontrent pas toujours un franc succès. Elles ne sont pas toujours médicalisées, faute de médecin disponible. Si elles se déplacent avec quelques médicaments, cela ne leur permet cependant pas de faire face à toutes les demandes, ce qui est un motif de déception des populations. De plus, des médecins ou des autorités locales nous ont signalé que certains habitants de leur région préféraient le recours au centre de santé : « il y a des douars dans lesquels les femmes refusent l’équipe mobile. Elles préfèrent venir au centre. C’est l’occasion pour elles de faire le souk ou de voir leurs familles » (un caïd). Théoriquement, les déplacements sont programmés une fois par trimestre à partir du centre de santé. L‟équipe mobile, normalement composée d‟un médecin, d‟une sage femme et d‟un infirmier, va se positionner le plus souvent dans une école, notamment pour voir les enfants mais pas seulement. Certaines équipes mobiles, en zone d‟élevage, se positionnent au point où les éleveurs ont l‟habitude d‟emmener leurs bêtes pour une inspection vétérinaire. Néanmoins, le lieu où l‟équipe mobile va 84 stationner peut être parfois situé dans une zone contestée par deux tribus en conflit à propos des zones de pâturages. Les conflits peuvent aussi avoir pour origine, nous a-t-on dit, des rivalités politiques liées aux élections : telle école, point de stationnement retenu par l‟équipe mobile, est située sur le territoire de telle tribu dont le leader est affilié à un parti politique rival de celui dont se réclame le leader des ressortissants de la tribu voisine. Dans un tel contexte, les ressortissants de la tribu A sous aucun prétexte ne se rendront au lieu de stationnement de l‟équipe mobile situé sur le territoire de la tribu B. Dans ces circonstances, afin de pouvoir toucher le maximum de personnes, l‟équipe mobile sera contrainte de multiplier les arrêts dans une même zone. Les « caravanes médicales » Des associations prennent également des initiatives pour rapprocher les soins du patient en organisant des « caravanes médicales » qui réunissent ponctuellement des spécialistes du secteur public et/ou du secteur privé. L‟initiative en revient généralement à des « bienfaiteurs » et des originaires d‟une région ayant émigré dans une autre région du Maroc ou à l‟étranger, et soucieux de rendre service à leur communauté d‟origine. Nous avons eu connaissance de l‟organisation de telles caravanes dans les deux provinces de Figuig et d‟Azilal. L‟organisation de caravanes dans la province de Figuig est particulièrement illustrative : une forte identité liée à l‟histoire ancienne et récente, avec le sentiment des ressortissants originaires de cette région qu‟il est de leur devoir d‟agir pour « leur région » ; une diaspora importante au Maroc et aussi à l‟étranger de chefs d‟entreprises, de commerçants, mais aussi de médecins qui ont la possibilité de mobiliser des fonds et des personnes ; le sentiment d‟une zone délaissée par les pouvoirs publics, tout particulièrement dans le domaine de la santé ; une population très dispersée qui a peu accès aux prestations sanitaires. L‟exemple de Figuig est également très illustratif des contraintes et limites de telles initiatives. Contrairement aux équipes mobiles dont les activités sont plutôt orientées vers la prévention en soins primaires, les caravanes médicales rassemblent ponctuellement des spécialistes qui proposent des consultations curatives. Un médecin ayant participé à ces caravanes nous confiait qu‟elles pouvaient rassembler jusqu‟à une vingtaine de spécialistes, Marocains du Maroc, Marocains résidant à l‟étranger ou encore étrangers, et qui pouvaient, dans l‟ensemble, consulter jusqu‟à 3000 personnes par jour. Ce chiffre est sans doute surévalué ; une infirmière d‟une association de Figuig nous dressait le bilan suivant quant aux types et au nombre de consultations réalisées pendant trois jours au cours d‟une de ces caravanes en mai 2009, soit au total 523 : - Consultations ophtalmologiques : 134 - Consultations cardiologie : 80 - Consultations diabétologie : 80 - Consultations de néphrologie : 59 - Consultations chirurgie dentaire : 62 - Consultations ORL : 76 - Circoncisions : 32 85 Un médecin a même évoqué la proposition de consultations de psychiatrie, au cours de telles caravanes. Des personnes interrogées en population générale ont précisé que des médicaments étaient distribués gratuitement au cours de ces caravanes. Ces caravanes viennent avec leur matériel (on nous a parlé d‟échographe, d‟appareil de radiologie), et leurs réactifs, dont l‟envoi précède l‟arrivée des spécialistes. Les consultations peuvent être itinérantes ou délivrées à partir d‟un local fixe déjà équipée appartenant à une association. Ces caravanes sont organisées avec l‟appui des autorités locales (pachas, caïds, maires) et des délégations provinciales de la santé qui peuvent autoriser médecins et infirmiers de la Santé publique à y participer. Ces caravanes, en première intention, dans les propos de tous les types d‟acteurs, sont souvent présentées comme une alternative à développer pour pallier le manque de consultations spécialisées localement, notamment pour les populations les plus éloignées des grands centres urbains. Néanmoins, un certain scepticisme finit aussi par transparaître, tant à propos de l‟impact que de la finalité et de l‟organisation de telles initiatives. Des médecins ont évoqué leur frustration de ne livrer que des diagnostics au cours de ces caravanes sans possibilité de réelle prise en charge. Un médecin, au cours d‟une caravane itinérante dans les montagnes et plus particulièrement axée sur la santé des enfants scolarisés, se félicitait d‟avoir pu diagnostiquer plus d‟une dizaine d‟ectopies36 chez des jeunes garçons. A la question de ce qui était conseillé de faire après un tel diagnostic, la réponse était que la seule solution était une opération chirurgicale à Oujda, une lettre de recommandation adressée à un chirurgien était remise à la famille. Ce type de situation nous a été confirmé par un bénéficiaire de prestations offertes lors d‟une caravane et qui souffrait des yeux : « le weekend dernier, une caravane passait à Bouârfa et un ophtalmologue m’a dit que je devais subir des séances de laser car ma rétine était touchée par le diabète ». L‟absence de proposition concrète de prise en charge après une consultation spécialisée laisse donc parfois le patient, désormais informé de son mal, seul avec son nouveau problème de santé identifié. Avant la venue des spécialistes, une préparation préalable de l‟opération est nécessaire, et, il n‟est pas aisé de pouvoir tout contrôler à distance. Des médecins se sont plaints que les patients qu‟ils ont vus avaient été présélectionnés : « Les gens que nous avions vus pour la plupart ne présentaient pas de pathologie. C’étaient des gens qui n’avaient pas besoin de radio que nous avions radiographiés. C’étaient les gens sur place qui nous avaient envoyé leurs parents et leurs proches » (un médecin privé ayant participé à une caravane). Ce même médecin nous confiait aussi que les réactifs envoyés en avance pour réaliser des examens au cours de la caravane avaient déjà été utilisés avant que l‟équipe n‟arrive sur place. Ces caravanes mobilisent un équipement important, telle la mise en place d‟un bloc ophtalmologique dans une clinique associative, ou encore l‟achat d‟échographe ou d‟appareil de radiologie. Ces appareils, au statut incertain 37, risquent de n‟être utilisés qu‟à l‟occasion de la venue du spécialiste compétent. Dans d‟autres cas, en revanche, les spécialistes participant à ces caravanes peuvent être 36 L’ectopie testiculaire désigne l’existence d’un testicule en position anormale. Elle comporte un risque de stérilité et de cancer du testicule, et la solution est chirurgicale. 37 A qui appartiennent-ils ? Au « bienfaiteur » qui les aura achetés ? A l’association organisatrice de la caravane ? A l’association qui les réceptionnera ? Peuvent-ils ou non être remis au Ministère de la santé par la suite ? 86 amenés à utiliser du matériel de la Santé publique et habituellement inutilisé par les personnels de santé faute de formation, comme les échographes. Dès lors, faut-il ou non favoriser ces caravanes ? Des médecins, participant à ces caravanes, ont déploré l‟absence d‟une collaboration réelle des autorités locales : ces initiatives leur échapperaient totalement, nous disait-on en substance, et ces autorités préfèrent pouvoir contrôler l‟ensemble des opérations qui se déroulent sur « leur » territoire. Cependant, aucun fait précis ne nous a été communiqué à propos de cette « mauvaise volonté » des autorités locales. Un élu, pour sa part, rejetait la responsabilité des difficultés à organiser de telles caravanes sur le niveau central du Ministère de la santé : « La solution [pour répondre aux besoins de la population] serait 4 à 5 caravanes de santé chaque année, avec l’appui de bienfaiteurs, et l’appui logistique fourni par [une association]. Mais le Ministère refuse les caravanes ». D‟autres interlocuteurs s‟interrogent sur la finalité réelle de telles caravanes : « Ce sont des commerçants ! Ils font des caravanes mobiles pour l’ophtalmo, ils donnent des montures, et demandent à la population d’acheter les verres. Je ne peux pas accepter cela » (un membre d‟une équipe d‟une délégation de la santé). Pourtant, c‟est sans doute dans le domaine de l‟ophtalmologie que les caravanes s‟avèrent les plus efficaces. En conclusion, nous citerons cette analyse d‟un élu à propos des enjeux et contraintes liés à l‟organisation de ces initiatives : « … comme la situation s’est dégradée, nous avons décidé avec les médecins d’arrêter [de favoriser les caravanes médicales] pour ne pas cacher la réalité. Nous avons des médecins… qui sont prêts à venir 4 fois par an, mais ce n’est pas la solution. Ils ont la crainte de créer un besoin qu’on ne peut pas résoudre. Et si un cancer et dépisté, qu’est-ce qu’il est possible de faire après ? C’est la responsabilité du Ministère mais les associations ont pris la santé en charge, comme le Ministère s’est désengagé ». Créer un besoin à partir de consultations spécialisés proposées ponctuellement par des médecins venant de l‟extérieur, c‟est aussi peut-être exposer les médecins qui restent sur place à recevoir des demandes qu‟ils ne pourront pas satisfaire, et à les décrédibiliser aux yeux de la population. Acteurs, système de santé et gouvernance locale L‟organisation des caravanes médicales, ou encore la gestion des ambulances, nous a conduits au cœur des interactions entre les différents types d‟acteurs qui interviennent dans les systèmes de santé locaux. Nous voudrions achever la présente partie sur les questions de gouvernance locale dans le domaine de la santé en revenant sur les positionnements de ces différents acteurs. Les élus Ils ont à l‟évidence une claire conscience de l‟importance des problèmes de santé et d‟accessibilité. Dans des régions comme les provinces de Figuig ou d‟Azilal, qui sont considérées comme ayant un fort potentiel pour le tourisme, l‟absence d‟un système de santé local performant et réactif fait figure aussi de handicap pour le développement : avoir l‟assurance de pouvoir être soigné rapidement et efficacement en cas d‟accident lors d‟une randonnée, par exemple, serait un argument supplémentaire pour attirer les touristes. Par ailleurs, disposer d‟un hôpital, c‟est aussi maintenir des emplois et avoir une infrastructure permettant de favoriser une fixation de populations qui optent actuellement pour l‟exode en faveur des localités plus grandes et mieux équipées. On aura vu également combien, la modification de 87 la carte sanitaire qui a transformé des hôpitaux locaux en centres de santé urbain est considérée par ces élus comme un déclassement, voire un abandon relatif de leur commune par l‟État. Les élus réclament davantage de médecins, des spécialistes, des hôpitaux de proximité, déplorent d‟une manière générale le manque de ressources humaines ; ils constatent parfois dans leur commune une assiduité très relative des médecins du secteur public à leur poste. Ils manifestent leur mécontentement par des courriers adressés au Ministère de la santé, et lorsqu‟ils sont aussi parlementaires, ils interpellent directement la Ministre de la santé au Parlement sur le thème de la santé. Ils se montrent aussi parfois plutôt favorables à des manifestations se rue dans leur commune qui revendiquent une amélioration du système de santé local. Ils insistent sur les spécificités locales : la dispersion de la population, les difficultés liées au relief et au climat, ou au contraire la densité de la population pas toujours très bien évaluée dans des zones urbaines où la population est très instable. Parfois, ce sont aussi les particularités historiques qui sont mises en avant. Un élu de la province de Figuig, par exemple, nous déclarait : « Il faut un rideau de la santé, face à l’Algérie. Il y a la distance, c’est un lieu stratégique. Et Figuig a vécu : on ne peut pas parler de réparation communautaire si on ne parle pas d’accès à la santé. Une vraie réparation communautaire serait un hôpital avec un spécialiste ». Face à leurs demandes, voire à leurs revendications, le Ministère de la santé leur répond normes et standards (en matière d‟équipements, de ratio personnels de santé/habitants), ce qui ne les satisfait guère, précisément du fait des spécificités de leur commune et de leur région qui devraient inviter, selon eux, à réviser les normes. Des administrateurs nous ont fait remarquer que parfois, les élus communaux n‟avaient pas toujours la formation suffisante pour pouvoir établir et suivre un dossier de financement. Tous ne parlent pas, et a fortiori n‟écrivent pas le français. La maîtrise des procédures et de la passation des marchés, la transparence budgétaire, la rédaction de procès-verbaux de réunion, demandent un savoir faire dont ils ne disposent pas toujours. L‟appui d‟un administrateur pour la mise en place de projets est parfois mal vécu par les élus qui ont alors l‟impression que la Province, l‟INDH, le Ministère de la santé, empiètent sur leurs prérogatives. Certaines revendications semblent justifiées, mais à l‟évidence ouvrir un hôpital où exerceraient des spécialistes dans des communes de taille modeste, aussi « reculées » soient-elles, apparaît peu réaliste. L‟existence préalable d‟hôpitaux locaux exacerbe de telles revendications. Aux dires de certains de nos interlocuteurs, sans aller jusqu‟à l‟ouverture d‟un hôpital, les pouvoirs publics accèdent parfois aux demandes politiques de manière injustifiée, comme cette ouverture, dans la province d‟Azilal, d‟un centre de santé avec un médecin et un infirmier distant de 3 kilomètres d‟un autre centre de santé médicalisé. Les autorités locales Les autorités locales (caïds, pachas, gouvernorats) sont également très engagées dans le domaine sanitaire. Elles ont à intervenir directement dans le domaine de la surveillance et ont été impliquées dans la gestion des mesures prises pour prévenir l‟épidémie de grippe H1N1. C‟est également sous leur responsabilité directe que se font, par exemple, les abattages des chiens pour lutter contre la rage, ou encore les campagnes de dératisation pour lutter contre la leishmaniose. 88 Elles sont également impliquées en participant, et en présidant le plus souvent les réunions des commissions locales de santé, entre autres lorsqu‟il s‟agit d‟examiner des projets soumis à l‟INDH. Dans ce cas, elles président, mais ne prennent pas part au vote. Rappelons également que les activités locales de l‟INDH sont menées sous couvert des directions provinciale ou préfectorale des affaires sociales, elles-mêmes placées directement sous l‟autorité du Gouverneur. Elles reçoivent régulièrement des plaintes des administrés se rapportant à la santé, plaintes qu‟elles répercutent auprès des agents locaux du Ministère de la santé. Elles sont aussi amenées à intervenir directement, et donc à peser de tout leur poids de représentants du Ministère de l‟intérieur, pour régler certaines situations, comme la mise à disposition d‟une ambulance avec un chauffeur ou encore l‟accès à des soins gratuits pour les bénéficiaires du Ramed qui n‟ont pas encore reçu leur carte. Les associations Selon les sites, elles sont plus ou moins présentes et plus ou moins actives. Les élus, les agents communaux, mais aussi des personnels de santé sont régulièrement impliqués dans l‟animation de ces associations. L‟ampleur de leurs activités est très variable. Il peut s‟agir d‟activités de sensibilisation, de suivi de projet de dar al oumouma, de montage de mutuelle, de soutien à un infirmier bénévole qui fait du porte à porte pour le suivi des femmes et des enfants, par exemple ; les projets sont alors limités à une commune et bénéficient d‟un financement local, parfois avec le soutien de l‟INDH. Cependant, même localement, des associations ont des activités de plus grande ampleur, réalisées notamment grâce à des bailleurs étrangers (électrification de dispensaires, création d‟infrastructures sanitaires, campagne de lutte contre le VIH/sida, etc.). Les caravanes médicales, on l‟a vu, sont organisées dans un cadre associatif ayant une dimension nationale et bénéficiant de soutiens internationaux. Citons également ici le Croissant rouge, qui a été très actif dans la région de Figuig notamment, et qui gère des infrastructures sanitaires parfois de dimensions conséquentes. Le manque d‟associations dans une zone est ressenti comme un handicap par les responsables de l‟INDH. L‟absence de dynamique associative a surtout été mise en avant pour Salé. Certaines zones étaient totalement dépourvues d‟associations et il a fallu en « importer », selon l‟expression utilisée par un représentant de l‟INDH. Quand on trouve des associations, leurs membres sont souvent instables et précaires : « il y a beaucoup de chômeurs », ce qui n‟est guère une garantie de pérennité de l‟activité de l‟association. De plus la majorité des associations de Salé seraient peu concernées par les problèmes de santé, donnant la priorité aux questions relatives à l‟emploi (et aux activités génératrices de revenus), surtout des femmes, à la scolarisation et à l‟organisation des loisirs des enfants (colonies de vacances, par exemple). Des représentants de l‟INDH de Salé regrettaient que les activités dans le domaine de la santé se limitent le plus souvent à des campagnes de sensibilisation. Néanmoins certaines associations, à Salé comme dans les autres sites, peuvent être d‟un apport non négligeable pour la prise en charge et l‟accompagnement de certains malades chroniques, comme les diabétiques, proposant examens à prix réduit et éducation thérapeutique. Dans le cadre associatif, comme dans le cadre des institutions publiques, le problème des ressources humaines se posent, en termes quantitatif, mais aussi statutaire. La participation de médecins ou de personnels de santé en général non 89 fonctionnaires à des missions de service public dans le domaine des soins primaires apparaît, à écouter des « médecins associatifs » ou encore des administrateurs, faire l‟objet d‟une certaine réserve de la part des pouvoirs publics. Le bénévolat de médecins privés exerçant dans le cadre associatif, nous disait un médecin, est peu considéré par le Ministère de la santé qui craindrait le « détournement des patients du publics à leur profit ; mais aussi la peur de révélation de dysfonctionnements [du secteur public] », sous entendu, l‟activité associative peut réussir là où le secteur public échoue. Pour pallier le manque de ressources humaines dans les structures publiques, des associations, voire des élus, seraient prêts à rémunérer un personnel formé dans des écoles privées, « qui chôme » (en particulier des infirmier/es), et qui pourraient travailler dans les centres de santé publics. Cependant, en l‟absence d‟accréditation de ces formations privées et d‟accord entre le Ministère de la santé et ces écoles, cette alternative n‟est pas réglementairement recevable. A l‟inverse, des associations disposant d‟infrastructures équipées souhaiteraient pouvoir bénéficier de l‟affectation d‟un personnel du secteur public, éventuellement rémunéré par l‟association. La réponse à de telles demandes serait alors moins l‟insuffisance chronique de personnels dans la fonction publique que les incertitudes, d‟une part, sur le statut juridique des infrastructures associatives en question, et d‟autre part sur le statut des fonctionnaires une fois dans l‟association. Ces arguments ayant trait aux incertitudes réglementaires et juridiques s‟agissant du personnel et des relations entre le secteur public et le secteur associatif ne sont sans doute valables que pour les soins primaires, avec les contraintes spécifiques de rationalisation de la carte sanitaire. Il est sans doute plus facile d‟envisager l‟affectation d‟un personnel de la fonction publique dans des associations dont les activités concernent une pathologie en particulier, comme le VIH/sida ; en effet nombre d‟associations opérant dans ce domaine, à notre connaissance, bénéficient de prestations de personnels de santé du secteur public qui sont alors en situation de détachement. Soulignons que le débat sur la complémentarité entre le secteur privé à but non lucratif et le secteur public, pour les pays à ressources limitées a été lancé au moins depuis la fin des années 1990 38, et des expériences de contractualisation précisant les obligations de service public des institutions privées à but non lucratif, y compris dans le domaine des soins primaires, existent depuis longtemps en Afrique subsaharienne, donc dans des pays où les ressources humaines sont encore plus rares. Les personnels du Ministère de la santé Dans ce contexte, le travail des agents du Ministère de la santé au niveau provincial, et notamment au sein des délégations de la santé n‟est pas toujours très facile. Les médecins et personnels de santé des structures publiques, qui certes ne manifestent pas toujours une assiduité exemplaire à leur poste de travail, sont donc soumis à des pressions importantes de la part des populations et des autorités locales, et pas toujours pour de bonnes raisons selon eux. Témoins impuissants de manifestations devant leur centre, ou encore pris à parti dans des plaintes qui remontent jusqu‟à la Ministre de la santé, ils peuvent avoir le sentiment d‟être les boucs émissaires d‟une situation générale de dégradation des conditions de vie : « Les revendications de la population sont n’importe quoi ! Elles renvoient aux problèmes internes de la municipalité, et la population ne sait pas toujours pourquoi 38 Cf. par exemple D. Giusti, B. Criel, X. De Béthune (1997) « Viewpoint : public versus private health care delivery : beyond the slogans », Health Policy and Planning, 12 (3) : 193-198. 90 elle manifeste [devant le centre de santé]. Il y avait des revendications qui n’avaient rien à voir avec la santé, par exemple sur la régularisation des taxis clandestins. Si tu prenais quelqu’un dans la manifestation et que tu lui demandais pourquoi il était là, il ne pouvait pas répondre… Au début, ces manifestations t’affectent et tu essayes de comprendre ; après, tu t’en fiches ! » (un médecin chef d‟un centre de santé). Certains des personnels de santé rencontrés ont le sentiment de ne pouvoir prendre aucune initiative et que toute décision concernant leur centre suppose l‟aval du Délégué provincial de la santé : « ll faut toujours l’accord du Délégué pour tout, y compris pour l’achat d’étagères » (un médecin chef). Cependant, nous avons pu constater que dans certains centres de santé, les médecins chefs n‟hésitaient pas à prendre des initiatives quant à l‟aménagement de leur établissement ; l‟absence de possibilité d‟initiatives due au strict respect de la ligne hiérarchique n‟est donc pas inéluctable. Les délégués provinciaux et préfectoraux de la santé sont souvent en « première ligne » pour recevoir les récriminations des acteurs de leur délégation, et les demandes d‟explication venant du niveau central. Comme nous l‟avons entendu dans le milieu associatif, lorsque l‟appui à des caravanes médicales est jugé insuffisant, lorsque des personnels du Ministère de la santé ne sont pas affectés dans un établissement de santé qui vient d‟être construit dans le cadre d‟un projet associatif, lorsque le Ministère tarde ou refuse l‟équipement de cet établissement, la responsabilité en est volontiers imputée aux délégués. C‟est le délégué aussi, comme nous en avons pu en être les témoins directs, qui reçoit les appels du Gouverneur, du Secrétaire général de la province, notamment, pour autoriser l‟exonération d‟un « ramédiste » qui n‟a pas encore obtenu sa carte, ou pour obtenir des explications sur l‟absence de tel spécialiste, ou de tel personnel de l‟hôpital face à une urgence. Lorsqu‟il faut fournir des informations sur une situation particulière (une grève, la gestion d‟une épidémie, une information sanitaire précise à fournir pour une réunion au niveau central, etc.), les directions du Ministère de la santé, voire le cabinet de la Ministre s‟adressent au directeur régional, qui s‟adressera aux délégués. Il est vrai que le seul lieu où l‟on peut trouver des informations précises s‟agissant de la situation dans les différentes régions sont les délégations, et en particulier leurs services d‟infrastructure et d‟action ambulatoire provinciaux/ préfectoraux (SIAAP), qui disposent de techniciens compétents et où, effectivement, on peut obtenir des informations à la demande et très rapidement, comme nous en avons pu faire l‟expérience. Sollicités et interpellés de toute part, les délégués doivent aussi parfois se protéger en prenant les devants et informer alors préventivement, si l‟on peut dire, leur hiérarchie de certaines situations afin d‟éviter les plaintes : « J’ai dû écrire à la Ministre [pour me plaindre de l’action d’une personnalité locale]. Si j’en reste au niveau local, je vais avoir des plaintes qui vont évoquer le fait que je ne favorise pas les actions de proximité, etc. » (un délégué). En fait tous nos interlocuteurs (délégués, mais aussi élus, représentants du Ministère de l‟Intérieur, représentants de l‟INDH, membres d‟association) reconnaissent que les délégués ont un pouvoir limité, notamment dans le domaine de la gestion des ressources humaines : « Le délégué [de la santé] fait ce qu’il peut. Il n’y a pas de vraie décentralisation… il n’a pas de pouvoir. Il devrait avoir la possibilité de proposer des mutations » (un élu). 91 L’INDH L‟INDH est un acteur important du développement sanitaire des provinces et préfectures. Les projets élaborés et retenus requièrent un appui technique important de la part des sections locales de l‟INDH. Ces projets parviennent à voir le jour à la suite d‟un processus participatif très élaboré, qui répond à un code de procédure strict, et qui exigent des analyses de situation, des visites des experts de l‟INDH, des circulations de dossier entre les porteurs de projet et les comités provinciaux/préfectoraux de développement local pour une validation définitive. Des conventions doivent être établies pour chaque projet et un suivi est réalisé sous la supervision d‟agents des directions des affaires sociales en charge localement des projets INDH. Les représentants de l‟INDH sont confrontés eux aussi à des problèmes de disponibilité et de formation de leurs personnels et de leurs interlocuteurs. Tout d‟abord, au sein même des équipes de l‟INDH, les personnels n‟ont pas toujours les formations suffisantes pour assurer le montage et le suivi de projets, qui exigent des connaissances particulières sur le dispositif participatif et le code de procédures. Leurs interlocuteurs des communes, des quartiers, des associations, ne disposent pas toujours de toutes les compétences nécessaires pour élaborer et suivre un projet avec toute la rigueur nécessaire. Pour la validation des projets, ils rencontrent des difficultés pour composer et réunir les comités locaux et provinciaux/préfectoraux de développement qui exigent notamment la présence de représentants de services déconcentrés de l‟État (au minimum, santé, école, eaux et forêts). Les projets sont suivis par des équipes d‟animation qui sont en majorité composées de fonctionnaires de la commune et des DAS, parce qu‟ils sont les plus disponibles et qu‟ils sont déjà rémunérés (ce qui n‟est pas le cas avec des représentants de la communauté). Ces problèmes sont valables pour tous les projets soutenus par l‟INDH et non seulement pour les projets sur la santé. Pour les projets sur la santé, une des principales difficultés rencontrées et souvent la nécessité de devoir gérer la tension entre, d‟une part, les demandes de la population et/ou les besoins ressentis par les autorités communales et en particulier les élus (les porteurs de projet sont souvent des présidents de commune), et les impératifs du Ministère de la santé relayés par le délégué qui se trouve dans la position que l‟on vient de décrire. Le délégué veut-il, peut-il, a-t-il les moyens localement, au moins au moment de l‟instruction du projet, de ne pas prendre en compte les requêtes des populations et de leurs représentants ? Un responsable de l‟INDH nous confiait que l‟INDH « peut créer un besoin » ; les projets sur la santé requièrent l‟aval du délégué (on se tournera vers lui par la suite pour équiper un centre ou pour disposer du personnel nécessaire) et il est souhaitable parfois « de ne pas considérer les requêtes de la population - comme la demande d’un médecin comme une priorité ». Nous ne saurions dire si, au début de l‟instruction d‟un projet sur la santé, il y a un accord tacite ou non de la délégation de la santé, ou si celle-ci est toujours réellement consultée. Cependant, à plusieurs reprises a été évoquée l‟existence de centres de santé construits dans le cadre de projets soutenus par l‟INDH et qui restent « non fonctionnels », faute de personnel et d‟équipements. En effet, il est attendu dans ce cas du Ministère de la santé, dans le cadre d‟une convention qui devrait être partie intégrante du projet soutenu par l‟INDH, qu‟il équipe le centre de santé et qu‟il mette à disposition le personnel nécessaire pour le faire fonctionner. 92 Mais « l’intervention du Ministère de la santé [dans les projets soutenus par l’INDH] reste très rudimentaire… Le Ministère de la santé ne suit pas les actions de l’INDH » (un responsable de l‟INDH). On peut alors en arriver au cas suivant, sans doute extrême, que des personnels de l‟INDH nous ont décrit : un centre de santé est réclamé par la population et les élites locales ; le Ministère de la santé répond qu‟il n‟a pas les moyens de le construire ; un projet INDH est alors élaboré, validé, concrétisé pour construire le centre de santé. Pour le Ministère de la santé, ce centre de santé, construit en dehors de son plan d‟action, n‟existera pas : il n‟est alors pas possible de le réceptionner, ni de l‟équiper, ni de mettre à disposition des personnels, d‟autant moins que l‟on ignore quel pourra être le statut de ces personnels fonctionnaires du Ministère de la santé dans un centre qui ne lui est pas lié institutionnellement et pour lesquels il n‟y a pas de modalités administratives existantes pour leur affectation. C‟est ainsi que des centres de santé restent « non fonctionnels ». Le délégué de la santé, qui n‟a aucun pouvoir sur les affectations, et vers lequel on se retournera, ne pourra rien faire, comme l‟ont reconnu nos interlocuteurs de l‟INDH. La mission de l‟INDH est de contribuer à répondre aux besoins/demandes de la population et de leurs représentants, et cela conformément à la philosophie de l‟Initiative de développement humain en suivant une démarche participative. Il n‟existe pas dans sa mission d‟exigence de respect des normes et standards de la carte sanitaire du Ministère de la santé : « Pour nous, INDH, peu importe la carte sanitaire : il y a un équipement, un bâtiment, un personnel, autant répondre à une demande de la population » (un responsable de l‟INDH). Par ailleurs, les sections locales de l‟INDH ont un rôle technique, très important, pour l‟aboutissement des projets, mais n‟ont aucune autonomie de décision ; « il faut toujours référer à la hiérarchie », nous confiait ce même responsable de l‟INDH. L‟absence de coordination, encore appelée « convergence » est alors régulièrement dénoncée : « INDH, ministères, CCDH, associations de ressortissants… Il n’y a pas de coordination ; il existe des problèmes de définition des territoires d’intervention de chacun » (un médecin privé de l‟Oriental engagé dans des actions associatives). On en arrive alors à produire des centres accessibles, éventuellement équipés et disposant de médicaments, qui répondent à un besoin et à des demandes, et qui restent « non fonctionnels ». L‟INDH et les délégués provinciaux de la santé sont alors parfois les témoins impuissants de la segmentation des territoires institutionnels. 93 Conclusion Le présent chapitre était consacré à l‟analyse du fonctionnement des systèmes de santé locaux à partir des informations recueillies dans les trois sites de Salé, de Figuig et d‟Azilal. Il était centré sur le point de vue et le rôle des différents types d‟acteurs intervenant localement en faveur d‟une amélioration de l‟offre de soins et de l‟accès aux formations sanitaires. Ces acteurs sont très nombreux : soignants travaillant dans des structures de soins publiques situées à différents niveaux de la pyramide sanitaire (centres de santé, hôpitaux), gestionnaires du Ministère de la santé, médecins privés, représentants d‟associations à envergure locale, nationale voire internationale, élus, représentants du Ministère de l‟intérieur, techniciens de l‟Initiative de développement humain. Tous ces acteurs ont à composer avec des initiatives qui se multiplient, sous l‟égide du Ministère de la santé, mais aussi du Ministère de l‟intérieur et des associations : gratuité de certaines prestations, initiatives en faveur d‟une amélioration de l‟accessibilité financière, campagnes mobiles pour rapprocher les soins de la population, équipements des centres, achats d‟ambulances, etc. Ces initiatives augmentent (légitimement) les exigences de la population et de la société civile envers les soignants. Tous ces acteurs n‟ont pas les mêmes intérêts, ni les mêmes objectifs, et les positionnements respectifs face à ces différentes initiatives nous plongent au cœur de la gouvernance locale. Des tensions sont alors inévitables entre acteurs porteurs de rationalités différentes, certaines d‟ordre techniques qui s‟accordent plus ou moins facilement avec certaines exigences administratives et politiques (par exemple, des élus ou des représentants de services relevant du Ministère de l‟intérieur) ou avec certains rapports de force s‟exprimant au niveau les plus localisés (relevant de spécificités historiques et culturelles parfois portées par des associations). Si l‟on relève inévitablement des dysfonctionnements au niveau technique, il y a aussi les intérêts particuliers de chaque type d‟acteur qui ne facilitent pas toujours la « convergence ». Au-delà des améliorations techniques nécessaires pour augmenter la performance des dispositifs locaux de santé et pour dépasser certains dysfonctionnements, une coordination accrue entre les différents types d‟acteurs pourrait sans doute permettre une meilleure utilisation de certains équipements ou de certaines structures. 94 Chapitre - 4 Les problèmes d’accès vus par la population Élise Guillermet & Marc-Éric Gruénais Nos équipes ont sillonné la préfecture de Salé et les provinces de Figuig et Azilal dans le but de recueillir les récits des hommes, des femmes et des jeunes adultes sur leurs expériences de recours aux soins. Des différences sont apparues, nous permettant de reconstituer à grands traits des « parcours de soins types » dépendant du genre, du positionnement dans la hiérarchie générationnelle, d‟un statut socioéconomique inscrit dans des enjeux locaux de différenciation (pour ceux appelés « nomades » dans la région de Figuig, « berbérophones » dans la province d‟Azilal, travailleurs du secteur informel et femmes seules à Salé). Au-delà des différences, des obstacles récurrents sont apparus en amont de l‟accès aux soins (trouver un moyen de transport et pouvoir le payer) et au sein mêmes des structures sanitaires. Si ces contraintes peuvent décourager certains de recourir aux prestataires de soins, notamment publics, d‟autres mettent en œuvre des stratégies pour faciliter leur accès. Ces pratiques nous renseignent sur l‟accomodation et l‟acceptabilité évoquées au chapitre 1, qui renvoient à la capacité des usagers à s‟adapter au système existant et à ce qui se joue dans les interactions entre praticiens et usagers. Les personnes interrogées Ce sont au total 127 personnes qui ont été interrogées dans les principales zones d‟études de chaque site (Bouknadel, Kifah, Laayayda, Souani, pour la Préfecture de Salé ; Talsint, Tendrara, Fuiguig, pour la province de Figuig ; Aït M‟Hamed, pour la province d‟Azilal, mais aussi Zaouiat Hahansal, et Aït Bou Oulli, pour cette province soit deux zones inaccessibles en hiver). Ces personnes ont été choisies au hasard, les entretiens ayant été réalisés à domicile, à proximité du lieu de travail, dans les souks ou encore à proximité de centres de santé. Les deux tiers des personnes interrogées sont des femmes. Tableau 11 : personnes interrogées - enquête par entretien en population générale Figuig Azilal Salé Total (n) Femmes 29 15 37 81 Hommes 16 15 12 43 Jeunes adultes 3 3 Total 48 30 49 127 Total (%) 64% 34% 2% 100% La très grande majorité des personnes interrogées s‟est déclarée mariée (n=102), ce qui est assez compréhensible du fait que les questions portaient notamment sur l‟accouchement, la prise en charge des maladies des enfants ou encore sur les maladies chroniques. 95 Tableau 12 : situation matrimoniale des personnes interrogées Statut Figuig Azilal Salé matrimonial Marié(e) 36 27 39 Divorcé(e) 1 (f) 1 (f) 4 (f) Veuf(ve) 6 2 4 (1h et 5f) (1h et 1f) (f) Célibataire 5 0 2 (1f et 1h) Total 48 30 49 Total (n) Total (%) 102 6 12 80% 5% 9,5% 7 5,5% 127 100% Les personnes interrogées sont membre d‟un ménage qui comporte au moins un actif. Dans le tableau ci-dessous sont présentées le secteur d‟activité du chef de ménage qui est le plus souvent un homme. Les quelques femmes chefs de ménage seules travaillent toutes dans le secteur informel. On relève cinq ménages dans lesquels le mari et l‟épouse travaillent tout deux : deux couples de fonctionnaires, deux couples d‟artisans et un couple salarié dans la même entreprise privée. Tableau 13 : activités des chefs de ménage Branche d‟activités Figuig Azilal Militaires 1 0 Fonctionnaires 8 1 Salariés du privé (ouvriers) 6 15 Travailleur du secteur 8 1 informel (artisans et commerçants) Éleveurs, agriculteurs 9 10 Scolaires 2 Sans emploi 16 1 Total 50 28 Salé 7 2 10 22 Total (n) 8 11 31 31 Total (%) 6% 8,7% 24,5% 24,5% 1 20 2 24 127 15,7% 1,6% 19% 100% 7 49 Plus des deux tiers des personnes interrogées sont membres d‟un ménage qui ne dispose d‟aucune couverture médicale. Tableau 14 : couvertures médicales des personnes interrogées Couverture médicale Figuig Azilal Salé Total (n) Avec (militaire + CNSS) 10 1 11 22 Ramed 0 12 0 12 Associatif 2 1 1 4 Sans 34 17 36 87 Non documentée 2 0 1 3 Total 48 30 49 127 On pourrait dire que les personnes socio-démographiques, constituent une disposant de revenus peu élevés, étant à mais aussi confrontée aux difficultés de doute la majorité des Marocains. Total (%) 17% 9,5% 3% 68,5% 2% 100% interrogées, au vu de ces caractéristiques population très «ordinaire» de familles, même de faire face à certaines dépenses la vie quotidienne que rencontrent sans 96 Parcours de soins Les femmes Être femme n‟est pas un facteur explicatif en tant que tel de parcours de soins spécifiques, et le genre influe différemment sur les situations selon les contextes. Au cours de nos entretiens, trois variables associées sont apparues déterminantes : le lieu de résidence selon qu‟il permet la proximité avec le centre de santé, le statut matrimonial lié au statut socioéconomique, et la situation dans la hiérarchie générationnelle. Les femmes rencontrées à Salé ou dans les centres urbains de Figuig ou d‟Azilal ont l‟habitude de se rendre au centre de santé. Comme la plupart des usagers, elles y vont surtout pour le suivi de leur pathologie chronique ou pour des problèmes de santé qui « durent ». Elles s‟y rendent en matinée, dans l‟espoir d‟y trouver le médecin et reviennent le lendemain si celui-ci est absent. Elles sont celles qui décrivent avec le plus de précisions les comportements des personnels soignants, étant familières de ces structures. Elles se rendent au centre de santé parfois seules, pour les plus âgées, ou accompagnées d‟une parente vivant à proximité de chez elles, ou encore parfois avec leur mari si lui aussi veut consulter. Elles choisissent d‟elles même de se déplacer ou sur le conseil d‟une parente ; la proximité avec la structure de soins leur permet parfois de le faire sans en rendre compte à leurs proches. Ces femmes sont celles qui ont le parcours de soin le plus court et le plus individuel. Il se complique pour celles qui, bien qu‟habitant à proximité du centre de santé, n‟ont pas de revenu (elles ne travaillent pas elles-mêmes, leur mari ne bénéficie pas d‟une rémunération suffisante ni d‟une couverture médicale, ayant une activité dans le secteur informel, et leurs enfants ne participent guère à leurs frais quotidiens). La situation la plus difficile est celle des femmes seules (veuves, divorcées, célibataires) qui ont des enfants à charge. Elles peuvent a priori aller et venir sans avoir à rendre de compte, mais la nécessité pour elles d‟avoir une activité économique contraint leurs horaires. Les coûts de santé sont par ailleurs trop élevés pour elles (nous reviendrons sur la question des coûts ci-dessous). Les parcours de ces femmes sont morcelés, interrompus, aléatoires. Elles se rendent de manière irrégulière au centre de santé, sélectionnent les médicaments prescrits, ne peuvent pas effectuer les examens, ni faire face à la prise en charge médicale simultanée de plusieurs membres de leur foyer. Leurs itinéraires sont caractérisés par la sélection à toutes les étapes du parcours. Ces femmes sont actrices de leurs choix, bien que ceux-ci soient extrêmement contraints. « Mon garçon qui a sept ans a toujours mal au niveau de son côté gauche et il n’arrive pas à marcher normalement comme les autres. - Vous avez vu un médecin ? - Non, je lui fais boire que les plantes et je le laisse comme ça. - Pourquoi ? - Parce que moi aussi j’étais malade, j’avais des ganglions au niveau de mon sein droit, je suis partie chez un médecin privé, j’ai payé 100 dh… Après je suis partie à l’hôpital et j’ai payé 60 dh chez un médecin spécialiste… Quand elle m’a vue, elle m’a dit de faire une radio qui coûte 500 dh… J’attends le résultat qui sera prêt pour la semaine prochaine… J’ai dû emprunter la somme à ma famille et à mes voisines… Alors il ne me reste plus d’argent pour emmener mon fils chez un médecin. Je me dis que s’il répond bien aux plantes que je lui donne, tant mieux ! Mon fils doit voir un 97 spécialiste et je sais qu’il va me demander beaucoup de choses à faire, des radios, des analyses, un traitement tellement cher, ou qu’il va m’adresser chez un autre spécialiste qui va me demander la même chose et tout cela avec de l’argent y compris le transport d’ici jusqu’à Rabat... Et moi, comme je vous ai dit, à cause de ma maladie qui m’a obligée à dépenser beaucoup d’argent, je ne peux même plus emprunter de l’argent » (Femme veuve à Salé). La sélection est également au cœur des parcours des femmes vivant dans des zones dites « enclavées », mais l‟éloignement du centre de santé vient encore compliquer l‟accès à un prestataire de soins, en raison des frais de déplacement, mais aussi des risques de désorganisation temporaire de la cellule domestique qui peuvent être liés à une absence prolongée du foyer (nécessité de trouver un substitut pour l‟exécution des tâches quotidiennes et le gardiennage des enfants). La négociation précédant la décision de partir consulter caractérise ce troisième type de parcours. Il nous renseigne sur le quotidien de ces femmes, sur la répartition des rôles et sur les rapports hiérarchiques à l‟intérieur de la cellule domestique. Le choix de recourir à un prestataire de soins apparaît ici clairement comme un choix collectif. Prenons l‟exemple d‟une famille « nomade » installée à plusieurs dizaines de kilomètres de la route entre Figuig et Bouârfa. Son « campement » est constitué de constructions en dur servant de greniers ou de lieu de sociabilité pour les hommes, tandis que la tente en laine tissée à la main par les femmes du campement est l‟espace journalier des femmes et des enfants, et le lieu du foyer où les repas sont préparés et où l‟on peut avoir chaud la nuit. Une autre tente est normalement occupée par une seconde épouse mais celle-ci habite à Figuig durant la période scolaire. Les autres femmes et enfants non scolarisés demeurent au campement toute l‟année, tandis que les hommes sont amenés à se déplacer pour faire paître le bétail, le vendre, ou pour trouver du travail. Les femmes vont exceptionnellement en ville. Le mariage d‟une parente ou simplement un événement familial obligeant à se rendre en ville leur donne une opportunité de consulter le médecin si un problème est apparu au cours des précédents mois. Sans cela, la décision de quitter la tente pour se rendre au centre de santé est prise lorsque la pathologie s‟est aggravée au point d‟être considérée comme une urgence. Le rapport aux consultations et aux soins se lit comme une histoire commune dans laquelle interviennent plusieurs protagonistes. La belle-mère raconte n‟avoir jamais eu recours au centre de santé au cours de ses grossesses, et « on s’en remet à Dieu », l‟assistance lors de l‟accouchement est assurée par les femmes expérimentées des campements voisins. Mais, raconte la belle-mère, il arrive qu‟il y ait des complications, comme pour sa belle-fille qui en est à son huitième mois de grossesse et qui, à 6 mois de grossesse, a souffert de douleurs et de pertes de sang. La jeune femme a attendu avant de faire part de ses saignements à sa belle-mère. Après quelques jours, la doyenne a décidé de parler au chef de famille pour que la belle-fille soit conduite chez le médecin privé qui peut faire les échographies. Le médecin a informé la jeune femme que son enfant était mal placé et qu‟elle aurait pu le perdre si elle n‟était pas venue. Elle devait revenir pour un suivi le mois suivant et accoucher au centre de santé. La jeune femme n‟a pas honoré ce rendez-vous. Le premier motif énoncé est que les médicaments prescrits par le médecin n‟ont pas soulagé ses douleurs et donc que de l‟argent a été dépensé inutilement. 98 Une seconde belle-fille prend la parole pour raconter son dernier accouchement. Elle n‟avait pas suivi les consultations prénatales. Elle est restée trois jours sans parler, sans pleurer, sans crier, juste trop faible pour accoucher, selon la belle-mère. La doyenne a attendu et a essayé avec la mère de la parturiente de la faire s‟asseoir et de l‟aider à accoucher, mais la jeune femme était trop faible. Une étrangère de passage, constatant l‟état de la jeune femme, a conduit la parturiente à l‟hôpital de Bouârfa où elle a subi une césarienne. La première belle-fille, enceinte, à la fin de l‟entretien, explique pourquoi elle n‟est pas retournée voir le médecin : il est difficile de trouver un véhicule pour se déplacer ; la dernière fois, elle est partie dans un véhicule avec les moutons du voisin. Et elle conclut en disant qu‟elle attend son mari qui travaille sur le chantier de la route ; elle attend son retour : il lui donnera l‟argent pour aller chez le médecin. Dans ce récit à trois voix se lisent plusieurs aspects du quotidien intervenant dans la possibilité de déplacement des femmes qui vivent en zone enclavée, qu‟il s‟agisse de femmes « nomades » de la province de Figuig ou de celles vivant en zone montagneuse dans la province d‟Azilal. Il ne leur est pas facile de quitter leur foyer, parce que leur rôle assigné consiste à veiller sur les enfants et à réaliser les tâches quotidiennes, mais aussi parce que les véhicules sont rares. Ce sont les situations exceptionnelles qui offrent des occasions de déplacement : événements sociaux (mariages, baptêmes), ou urgences sanitaires. La prise en considération du besoin de recourir à un prestataire de soins répond à plusieurs étapes. La femme concernée doit d‟abord estimer que les désagréments physiques dont elle souffre constituent un « problème de santé » suffisamment grave pour justifier un déplacement vers une structure de soins. Elle doit ensuite se confier à sa belle-mère ou à sa mère. Celle-ci doit estimer qu‟il s‟agit effectivement d‟une pathologie et en faire part au chef de famille. Il faut enfin que ce dernier accepte cet avis. « Je souffre des douleurs dans mon dos et maintenant même aux pieds ; parfois je n’arrive pas a quitté mon lit. Je cherche à voir le médecin mais mon mari n’accepte pas. Il dit que ce n’est pas une grave maladie même si je reste immobile sur ma litière plus de quinze jours… Quand je pense à la nouvelle mundawana, je suis en colère, je me dis que ça ne sert à rien !» (Province de Figuig). L‟entourage de la femme ne parle pas toujours d‟une seule voix face à la nécessité du recours, et l‟intervention de parents directs de la femme peut venir contrecarrer les positions du mari, dans des situations parfois conflictuelles révélatrices alors d‟une mise en cause du statut de chef de famille du dernier. « On est parti à la pharmacie pour prendre les médicaments qu’elle m’a prescrits mais ils coûtaient trop chers. Mon mari m’a dit de prendre du ‘ze3ter’ jusqu’à ce qu’il ait l’argent. Une fois à la maison, il a commencé à me dire de me mettre au régime et de ne plus manger autant, de ne boire que du ‘ze3ter’» et d’arrêter de me plaindre. On a commencé à se disputer pour rien et je suis partie en pleurant chez mon frère. Je lui ai tout raconté, surtout à propos de mon mari qui ne voulait pas m’acheter mon médicament, et qu’à force de boire du ‘ze3ter’ la bouche de mon estomac s’est infectée. Je lui ai même dit que ça m’a étonnée quand mon mari a payé la consultation chez le médecin privé. Mon frère m’a dit que même les plantes peuvent guérir et que l’homme a tendance à perdre son argent pour rien. Je lui ai quand même demandé de me prêter de l’argent parce que le médecin m’a dit que je devais absolument prendre le médicament et de revenir la voir après. Il m’a prêté l’argent et j’ai immédiatement acheté le médicament. Quand je suis rentrée à la maison, mon mari m’a fait toute une 99 scène parce que j’ai pris de l’argent de chez mon frère. Il n’a pas du tout aimé que je le fasse mais entre nous, il n’avait qu’à me l’acheter » (Salé). Dans le cas où la mère ou la belle-mère s‟impliquent dans la décision, la chaîne est plus courte du fait de leur ascendant sur le mari de la femme. Dans le cas où le fils, parti travailler sur un chantier, revient avec de l‟argent, la chaîne sera également raccourcie pour sa jeune épouse. Quels que soient les sites, les contributions de frères, de sœurs et/ou d‟enfants actifs permettent d‟accélérer les parcours de soins de leurs parents et notamment de leur mère. Quand ils sont en mesure de payer les frais de santé de leur proche, ils en deviennent responsables. Cette négociation intergénérationnelle corrélée à la dépendance financière se retrouve aussi dans la province de Salé. Mais la belle-mère ou la mère trouvent des interlocutrices parmi leurs filles ou belles-filles qui ont été scolarisées et qui émettent des avis divergents et pouvant emporter la décision. « J’ai accouché ‘avec les points de sutures’ [césarienne] et j’ai passé quatre jours à l’hôpital. Je suis rentrée à la maison et après deux ou trois jours, vers le coup de deux heures du matin, j’ai commencé à avoir très mal au ventre. J’ai pensé que c’était normal après l’accouchement, mais la douleur augmentait de plus en plus. J’ai commencé à saigner et à hurler le nom de Dieu qui m’a fait naitre, tellement j’avais mal. Quand j’ai vu la quantité de sang par terre, je me suis évanouie directement. Ma belle-sœur a couru à mon secours, elle a demandé qu’on m’emmène à l’hôpital sinon je risquais de mourir, mais ma belle-mère était contre. Elle disait que perdre du sang dégonflerait mon ventre. Ma belle-sœur persistait à croire que le fait de saigner était anormal, en dépit de ce que sa mère disait. Elle a convaincu tout le monde qu’ils devaient absolument m’emmener à l’hôpital » (Salé). En milieu rural, la parole de l‟aînée reste déterminante même si dans le cas cité précédemment, l‟intercession d‟une femme au statut social et intellectuel confirmé par sa fonction, et qui dispose d‟un véhicule, a également eu un impact sur la décision de la mère et de la belle-mère pour accompagner la parturiente à l‟hôpital. Les changements familiaux (divorces) et les déplacements qui leur font suite peuvent aussi être des moments déclencheurs pour débuter un parcours de soin du fait alors que certains acteurs réticents à accompagner une prise en charge médicale ne participent plus à la décision. «J’ai découvert ma maladie en 2003 quand j’habitais au douar à la campagne, j’avais treize ans. Je sentais toujours des vertiges et beaucoup de soif et à chaque fois je fréquentais les toilettes. Maman disait à mon père que je souffre de quelque chose d’anormal mais il refusait toujours de m’amener à l’hôpital vu le manque de moyens. Et vu l’éloignement de notre douar du centre de santé et d’autres hôpitaux, je suis restée dans la même situation jusqu’au divorce de mes parents. A cause des problèmes familiaux, je suis venue avec ma mère à X chez ma petite sœur. Elle était à la recherche d’un emploi pour nous faire manger et boire et éventuellement pour me soigner. Alors que mon père s’est remarié à une autre femme et est restée au douar. Ainsi je suis venu à X et ma mère à emprunté de l’argent. Elle m’a amenée [jusqu’à la ville de Y]. J’ai fait les analyses et le médecin spécialiste m’a informée que je suis diabétique et que je dois poursuivre le suivi de temps à l’autre. Je suis revenue à X portant ma maladie et chargé de médicaments et de dettes » (Province de Figuig). 100 Les enfants Des conditions d‟accès analogues se retrouvent pour les enfants dont les situations sont directement dépendantes de celles de leurs mères. Quels que soient les contextes, on constate toujours une forte prise en compte de la santé de l‟enfant, mais avec des modalités d‟accès variables liées à la proximité du prestataire, aux choix opérés au cours du parcours de soins, ou aux négociations. On constate les accès les plus rapides pour les enfants vivant à proximité des centres de santé, surtout si les médicaments nécessaires y sont accessibles et gratuits. En milieu rural, les mères déplorent que les enfants ne soient que vaccinés et non auscultés. Les équipes mobiles qui viennent leur rendre visite ponctuellement n‟apporteraient pas les solutions attendues. La sélection apparait ensuite pour des pathologies coûteuses, sur l‟ensemble des sites. La proximité d‟un centre de santé n‟est pas une condition suffisante pour accéder à des soins. Se dessinent une nouvelle fois des inégalités liées au statut social, économique et matrimonial des parents. Les mères seules souffrent particulièrement de leur incapacité à assurer l‟ensemble des frais nécessaires à la santé de leur enfant, et elles sélectionnent par nécessité les médicaments, les examens voire même les opérations, comme en témoigne l‟extrait d‟entretien suivant. « Mon fils, âgé de 5 ans, a souvent des angines. Il trouve des difficultés à parler, vue la gravité de l’infection. Quand j’ai emmené mon fils au dispensaire, on m’a conseillé une opération, pour lui enlever les amygdales. Mais je n’ai pas les moyens de payer l’opération. Je ne fais que le ménage les week-ends » (femme divorcée, Salé). La négociation surgit dans les mêmes conditions que pour la santé des femmes. A quel moment faut-il emmener l‟enfant à la pharmacie ou au centre de santé avec les coûts que cela comporte? Revenons à la famille dont le campement se situe à plusieurs dizaines de kilomètres de la route Figuig-Bouârfa. Une fillette y est décédée lorsqu‟elle avait 6 ans. Elle souffrait depuis plusieurs jours de maux de ventre et de diarrhées. Quand la fillette est apparue très faible et a perdu connaissance, sa mère a demandé au chef de famille, son époux, d‟appeler une ambulance. Celui-ci a dû faire 15 kilomètres en motocyclette pour trouver un point d‟accès au réseau téléphonique, puisqu‟à proximité seul le réseau algérien est accessible. L‟ambulance de la commune n‟étant pas disponible, il a tenté de joindre l‟ambulance de la Sécurité civile qui ne pouvait se rendre sur les lieux avant une heure. Dans l‟urgence, des voisins du campement qui faisaient conduire leur bétail au souk ont mis la fillette dans le camion à bétail pour la conduire à l‟hôpital provincial. Une fois sur la route, le camion a croisé le véhicule de la Sécurité civile. Lorsqu‟il s‟est agi de transférer la fillette du camion à bétail à l‟ambulance, les ambulanciers ont découvert que la fillette était morte. Ce récit illustre le délai existant entre le repérage des premiers signes cliniques de l‟enfant et la quête d‟un moyen de locomotion. Il ne signifie pas que les parents se sont désintéressés de l‟enfant mais que seule une urgence avérée peut conduire à se confronter aux obstacles que représentent dans un premier temps le fait de trouver un véhicule. 101 Autre question qui détermine les choix des parents : à quel moment faut-il renoncer à l‟idée d‟une prise en charge médicale de son enfant ? Un pédiatre nous confiait le manque d‟implication de ses patients du milieu rural envers les enfants prématurés. Une infirmière nous faisait part quant à elle de l‟arrivée tardive des patients en nous donnant l‟exemple d‟un homme qui avait mis deux jours avant de trouver un véhicule pouvant le conduire avec son enfant brûlé au dispensaire. L‟infirmière avait répondu ne rien pouvoir faire en invitant le père à se rendre à l‟hôpital provincial. Celui-ci s‟était effondré, en disant qu‟il ne pouvait pas continuer et qu‟il s‟en remettait à Dieu. Dans les provinces d‟Azilal et de Figuig les parents sont cependant prêts à des dépenses conséquentes pour faire soigner leurs enfants. Ils répètent les allersretours vers les centres hospitaliers malgré l‟absentéisme des médecins. « L’enfant est atteint d’une maladie mentale ou psychique. Les parents ont fait recours à plusieurs fkih, plusieurs fois, mais sans aucun résultat. Donc ils ont décidé de l’amener à l’hôpital. A leur visite au centre de santé ils leur ont demandé certains documents avant le transfert à l’hôpital régional. Ils ont produit tous les documents nécessaires chez le caïd et chez le médecin du centre de santé. L’enfant malade est évacué à l’hôpital régional où il a été hospitalisé pendant 13 jours. Ils n’ont rien payé à l’hôpital. Après sa sortie ils leur ont fixé un rendez-vous pour le contrôle après deux mois et la prescription d’un médicament qui leur coûte 350 dh par mois. Après deux mois, ils se sont déplacés à l’hôpital régional pour le contrôle sans trouver le médecin spécialiste. Et cette opération de déplacement a été répétée cinq fois sans trouver le médecin spécialiste, sachant que chaque déplacement pour deux personnes coûte 250 dh. Pendant le dernier déplacement à l’hôpital régional, on leur a conseillé d’aller à l’hôpital d’Azilal. Au retour à l’hôpital d’Azilal on leur a demandé une fiche de liaison du centre de santé. Après avoir reçu la fiche de liaison ils n’ont pas trouvé le médecin spécialiste et ils ont su qu’il fait les consultations chaque mercredi. Ils ont alors pris un rendez-vous pour le mercredi suivant. L’état de l’enfant s’aggrave de nouveau, les pharmaciens refusent de leur donner les médicaments. Ils sont allés pour voir le directeur de l’hôpital pour leur trouver une solution mais il n’était pas là. Ils ont décidé de revenir vers le médecin du centre de santé. Le médecin y a prescrit à l’enfant un médicament dans l’attente du prochain rendez vous » (Province d’Azilal). Les hommes Pour les hommes, leurs parcours de soins sont raccourcis du fait d‟une plus grande mobilité liée à leurs activités économiques. En milieu rural, les jours de souk permettent de cumuler les démarches commerciales, administratives et sanitaires. Les actifs ne se réfèrent à personne pour recourir à un prestataire de soins tandis que ceux qui n‟ont pas de ressources financières se tournent vers leur réseau social ou vers leurs enfants pour une aide. Les hommes sont ceux qui apparaissent le mieux connaître le coût de la santé, tandis que dans une majorité d‟entretiens réalisés avec les femmes celles-ci avouent ne pas connaître le montant des dépenses occasionnées39. 39 S’agit-il toujours d’une réelle méconnaissance des coûts ou d’une ignorance feinte de convenance face à un observateur extérieur dans la mesure où il entrerait dans les obligations du mari de s’acquitter du coût des soins pour l’épouse et les enfants ; affirmer ne pas connaître les prix équivaudrait alors à souligner les devoirs du mari. 102 Les hommes semblent se tourner davantage vers le fkih que les femmes et plus particulièrement à Azilal. De manière générale, ils semblent davantage informés de la pluralité des prestataires, que ce soit en milieu urbain ou rural. Ils connaissent les différents médecins de la région, se renseignent sur eux et procèdent au choix qui leur semble le plus pertinent pour eux et pour les femmes et les enfants dont ils ont la charge. Ils sont responsables de la santé des leurs. S‟ils accompagnent leur femme c‟est notamment pour prendre en charge toutes les démarches que nécessitent le déplacement ou la confrontation à l‟administration sanitaire surtout du fait de l‟illettrisme. Les difficultés que peuvent rencontrer les femmes sont notamment des difficultés de communication pour celles qui ne parlent pas l‟arabe dialectal, comme dans la région d‟Azilal plutôt berbérophone et où cette barrière linguistique a été signalée de manière quasi systématique. Cette contrainte se retrouve également dans la ville de Figuig mais pas auprès des populations dites « nomades » qui sont arabophones. Trois types de parcours Des caractéristiques socioéconomiques et culturelles déterminent donc les modalités de recours aux prestataires de soins : le genre, la place dans la hiérarchie familiale, ainsi que les contraintes liées à l‟éloignement du centre de santé. Trois types de parcours nous semblent pouvoir être mis en évidence : des circuits courts, pour les femmes et les enfants situés à proximité des centres de santé et pour les hommes qui se déplacent librement mais qui se confrontent tout de même aux contraintes de coût ; des itinéraires thérapeutiques incomplets et interrompus caractérisés par la sélection des soins, des examens, des médicaments et des bénéficiaires au sein d‟un même foyer pour des raisons de coût essentiellement. Ces itinéraires concernent les populations défavorisées du tissu urbain et les habitants du milieu rural ; les parcours marqués par la négociation, à commencer par la négociation du recours aux soins, qui concernent les personnes dépendantes financièrement, soumises à une hiérarchie de genre et d‟âge au sein de la cellule domestique (jeunes femmes et enfants surtout). Ils se compliquent encore lorsque les coûts de santé sont aggravés par la localisation enclavée de leur habitat. Les obstacles en amont du centre de santé Ces trois profils coïncident également avec des entrées de plus en plus tardives dans les circuits de soins. Plus les obstacles et les coûts pour accéder aux soins sont importants, et plus les usagers retardent leur recours aux prestataires. Ces obstacles peuvent être classés en deux catégories : il s‟agit des difficultés à trouver un moyen de locomotion permettant de rejoindre la structure de santé et du coût du déplacement préalablement aux coûts de la prise en charge médicale proprement dite (examens, radiologie, échographie, médicaments, etc.). 103 Le transport Les parcours types décrits ci-dessus montrent que la contrainte du transport est un élément parfois décisif de la décision plus ou moins rapide de recourir à un prestataire. Comment faire accéder un malade au centre de santé quand on vit dans une zone très éloignée d‟une route carrossable et fréquentée ? Les récits font part des moyens multiples auxquels les usagers ont recours et qui font du déplacement vers le centre de santé un vrai parcours du combattant. Le déplacement d‟une jeune femme souffrant d‟une appendicite à motocyclette sur plusieurs dizaines de kilomètres de piste nous a été relaté, ainsi que la prise en charge d‟une femme enceinte souffrant de douleurs abdominales et de saignements dans un camion transportant le bétail. Un homme immobilisé par des douleurs dorsales a été transporté par un mulet ; un grand taxi a été loué depuis un centre de santé pour évacuer toute une famille intoxiquée vers un hôpital régional, l‟ambulance ne permettant pas de transporter les cinq personnes concernées. Dans un autre cas, c‟est un mini bus qui a été loué pour le même type de référence, etc. Les transports par ambulance sont souvent très coûteux, et l‟ambulance n‟apparait pas toujours comme le moyen de transport le plus facile d‟accès, ni comme la première option envisagée. Le coût Les frais liés aux prestations de soins restent dans tous les sites l‟obstacle principal au recours à un prestataire de soins, comme les récits recueillis le laissent apparaître. Disposer d‟une couverture médicale ne constitue pas nécessairement une aide décisive. « Au début, je faisais le suivi de mon diabète chez un médecin pendant trois ans mais je n’ai pas continué chez elle, elle ne m’écoutait pas. A chaque rendez-vous, elle hurlait après moi parce que je n’ai pas pu faire les analyses qu’elle m’avait demandées… C’est parce que je n’avais pas d’argent… Les analyses sont trop chères pour moi… Même avec la couverture médicale ils coûtent 250 dh et nous, on ne les a pas ! » (Salé). Les entretiens révèlent des disparités importantes en termes d‟accessibilité financière aux traitements, aux offres de soins (analyses, traitements, opérations) ou aux transports entre les personnes qui bénéficient de l‟intervention d‟un proche employé dans le secteur médical, les mutualistes et notamment les militaires ou leurs parents, les bénéficiaires du Ramed ou d‟un certificat d‟indigence, et les personnes qui ne disposent d‟aucune couverture médicale. Dès qu‟on le peut, on mobilise un proche tant pour accéder rapidement aux soignants dans de bonnes conditions d‟accueil et pour contribuer à la prise en charge des frais d‟analyses ou de traitements. « Pour les frais d’analyses, mon frère travaille à l’hôpital Avicenne et me fait les analyses gratuitement » (Salé). En ce qui concerne les bénéficiaires d‟une couverture sociale, une distinction doit être faite entre, d‟une part, les familles de militaires en poste ou retraités, les bénéficiaires du Ramed ou d‟un certificat d‟indigence qui bénéficient d‟une prise en charge gratuite dans les hôpitaux (hormis pour les médicaments prescrits), et d‟autre part les bénéficiaires d‟une mutuelle privée qui doivent avancer les frais de soins 104 d‟analyses et de traitements qui ne leur seront remboursés qu‟après plusieurs mois. Ces derniers sont alors, comme les non mutualistes, dans la nécessité de trouver les ressources nécessaires à leur prise en charge immédiate ou contraints parfois de renoncer à une partie des prescriptions des soignants. On constate par ailleurs que chez les bénéficiaires d‟une couverture médicale, les modalités de remboursement sont souvent méconnues et peuvent amener à des dépenses normalement évitables. « C’est mon médecin privé qui nous a expliqué les avantages de la couverture médicale. Je ne savais pas que je pouvais me faire rembourser les soins et les médicaments. Je travaille dans une société de nettoyage et j’ai la CNSS mais personne ne m’a jamais expliqué à quoi ça pouvait me servir pour ma santé » (Salé). Dans la pratique, la couverture médicale, quelle qu‟elle soit, ne suffit pas à la prise en charge de l‟ensemble des frais de santé et de médicaments, et il faut encore compter avec les frais de transport, d‟hébergement, entre autres pour l‟accompagnant du malade. « La femme souffrait de plusieurs problèmes de santé, de douleurs au niveau de l'estomac, de douleurs articulaires et d’une fatigue générale. Elle faisait toujours recours à la médecine traditionnelle en utilisant des traitements à base de plantes. Toutes les recettes à base de plantes sont proposées par certains habitants du douar. Après un certain temps, et malgré le recours à la médecine traditionnelle, l'état de la femme s'est compliqué de plus en plus. Ainsi son état a connu un gonflement de tout le corps. Ils l'ont amenée au centre de santé. L'infirmière du centre de santé leur a donné une fiche de liaison pour l'évacuer immédiatement à l'hôpital provincial d'Azilal. Pour l'évacuation par ambulance, le chauffeur leur a demandé de payer 200 dh, ce que le fils ne supportait pas en considérant que l'état de sa mère n'était pas assez grave. Alors le fils de la patiente a décidé de prendre un minibus qui leur a coûté 120 dh pour deux personnes aller-retour. A leur arrivée à l'hôpital, la femme a été hospitalisée pendant dix jours. Elle était diabétique et souffrait d'un problème lié au sel. Ils n'ont rien payé à l'hôpital, car elle possède une carte Ramed, sauf les frais de l'accompagnante pour un montant de 800 dh » (Province d’Azilal). Il apparaît qu‟à Azilal le Ramed peut être vu comme un argument décisif pour se rendre à l‟hôpital. C‟est ce que révèlent a contrario les entretiens réalisés auprès de personnes qui attendent leur carte et qui diffèrent le moment du recours à l‟hôpital jusqu‟à l‟obtention de cette carte. « L’enfant âgé de 3 ans souffre des problèmes digestifs (vomissement, douleurs intestinales). Sa mère a décidé de l’emmener chez le médecin privé à Azilal, car il n’y a pas de médecin au centre de santé ni de médicaments suffisants. Chez le médecin privé elle a payé 100 dh pour la consultation, 150 dh pour les médicaments et pour les déplacements, elle a payé 150 dh pour deux personnes. Après le traitement, l’état de l’enfant s’est amélioré mais après quelques mois l’enfant tombe malade de temps en temps et à chaque fois ils vont au centre de santé. Ils leur donnent quelques comprimés et les conseillent d’aller à l’hôpital d’Azilal. Mais puisque la femme n’a pas encore eu sa carte Ramed elle ne peut pas y aller, car elle n’a pas d’argent pour payer les charges. Pour le moment elle attend la réception de sa carte » (Province d’Azilal). « Chez le médecin privé ils ont payé 100 dh pour la consultation médicale, 350 dh pour les médicaments et 200 dh pour le déplacement de deux personnes. Après le traitement l’état de la femme à été bien amélioré. Mais actuellement et après quelques mois la femme souffre de nouveau du même problème. Il pense qu’il va amener sa 105 femme à l’hôpital d’Azilal car il a été informé par les infirmières du centre de santé qu’à l’hôpital il y a des radios et des équipements qui n’existent pas chez les médecins privés à Azilal, mais il doit avoir une carte Ramed pour bénéficier de la gratuité des soins à l’hôpital. Alors il attend de recevoir sa carte Ramed sachant qu’il a déposé son dossier il y a plus d’un mois » (Province d’Azilal). Dans la région d‟Azilal, sans la carte Ramed ni aucune autre couverture médicale, les patients se dirigent plutôt vers le médecin privé. Les plus vulnérables sont les travailleurs du secteur informel qui ne bénéficient d‟aucune couverture (qu‟il s‟agisse de Salé ou du milieu rural) et les femmes seules. La santé est pour eux un poste de consommation qui conduit à la perte de leurs économies, de leurs biens (habitat, véhicule, cheptel), voire à leur endettement. « Les frais de dialyse me coûtent 700 dh (un jour sur deux) et cela depuis trois années. J’avais un appartement et un taxi-colis que j’ai vendu pour pouvoir payer les traitements. Actuellement j’occupe une pièce à la terrasse pleine de dégradations. J’ai des fuites quand il pleut. Même la pièce que j’occupe et qui me coute 300 dh par mois augmente mes malheurs » (Salé). Considérant les contraintes financières vécues par les patients tout au long de leurs parcours de soins, rares sont ceux qui déclarent avoir guéri. Un diagnostic a pu être posé dans la plupart des cas mais les frais à engager pour le suivi, les médicaments, les opérations conduisent à chercher des appuis extérieurs, auprès de proches et d‟associations, ou encore à opérer des choix qui ne sont évidemment pas apprécié par les prestataires. « Je n’avais pas l’argent pour faire les analyses mais j’ai qu’en même pu faire mes analyses au cinquième mois. Une amie de ma belle-sœur, infirmière, nous a informées qu’une association se chargeait de faire toutes les analyses des femmes enceintes. On y est parties sauf que je ne voulais faire que deux analyses (Toxopalsmose et VDRL) mais l’infirmière qui y était m’a fait comprendre que je n’avais pas la possibilité de choisir les analyses. ‘Soit je l’ai fait toutes, soit je repars’. Parce qu’ils ont eu des problèmes avec les femmes après quand elles ont elles-mêmes choisi les analyses à faire. Elle a ajouté que si j’insistais pour ne faire que deux analyses, je devais le dire à mon médecin pour qu’elle me l’écrive sur la feuille d’analyses que je donnerai ensuite à l’infirmière » (Salé). Franchir les obstacles dans les structures de soins Une fois la décision de recourir à un prestataire de santé prise et la question du déplacement jusqu‟au lieu de soin réglée, commence le parcours des patients au sein des structures de santé. « Qu’est ce que je peux vous dire, on fait la queue comme les autres, mais il y’a des gens qui n’attendent plus leur tour parce qu’ils connaissent soit le major ou l’infirmier ou qui lui donnent de l’argent pour les laisser rentrer avant les autres… Nous on voit ce qui se passe mais on ne peut pas parler de peur que le médecin n’accepte plus de nous consulter… Des fois même il nous laisse attendre jusqu’à midi et il sort… Alors pour voir le médecin soit on doit connaitre le major ou l’infirmier ou donner de l’argent ou venir à l’hôpital avant le lever du soleil » (Salé). 106 Les obstacles ont été relatés de manière relativement homogène par l‟ensemble des usagers sur les trois sites, hormis par ceux bénéficiant d‟un capital social adéquat (proximité sociale avec le personnel soignant ou statut social facilitant l‟accueil). Ces obstacles peuvent être décrits en 5 points. L’entrée des structures de santé : connaître ou payer Le filtrage à l‟entrée des structures de soins (centres de santé, hôpitaux) a été décrit dans les trois sites de l‟étude. Les patients des centres de santé de Salé l‟expliquent par le nombre trés important d‟usagers qui ferait perdre patience aux infirmières et les amèneraient à fermer les portes une fois le centre saturé par l‟affluence et pour signifier aux nouveaux arrivants qu‟il est inutile qu‟ils se présentent. Dans la province de Figuig, les familles « nomades » y lisent une discrimination, peut-être inscrite dans les enjeux des rivalités locales entre tribus, et notamment entre berbérophones et arabophones. Dans la province d‟Azilal, les heures d‟ouverture et de visite sont vécues comme contraignantes, surtout à l‟hôpital, puisqu‟elles ne permettent pas aux accompagnants d‟aller chercher de quoi manger pour les hospitalisés. Dans les trois cas, deux pratiques ont été relatées pour dépasser ce premier obstacle : payer ou faire intervenir des connaissances. « Je trouvais toujours des problèmes avec les infirmières qui demandent toujours de l’argent pour faire un service ou pour donner un médicament quelconque. Elles vendent même l’insuline, le tout avec un prix bien défini, comme par exemple l’extencilline à 50 dh, la Bétadine à 20 dh, les comprimés de diabète entre 20 à 30 dh et l’injection à 10 dh, et si on marchande avec l’infirmière c’est à 5 dh. J’ai toujours dû me bagarrer avec celle qui vend les médicaments pour avoir ma dotation en insuline parce que je sais que c’est un médicament donné gratuitement et qu’il n’était pas à vendre et à la fin j’arrivais à prendre mes flacons d’insuline » (Salé). « La semaine dernière, ma sœur voulait faire le suivi de sa grossesse, et elle est venue en compagnie de ma mère à l’hôpital vers huit heures du matin. Elle a attendu son tour, quand elle est passée pour la consultation; la sage femme lui a demandé de bakchich si non elle ne peut pas faire la visite car c’est elle qui achète les gants et le matériel pour travailler. Alors ma sœur était obligée de donner du bakchich » (Province de Figuig). L’attente S‟il a été possible d‟entrer à l‟intérieur de la structure de soins en passant avec succès le premier barrage, l‟attente est un problème régulièrement soulevé pour diverses raisons. Les patients avec des douleurs soulignent l‟inconfort de l‟attente, surtout sans orientation ou explication. Les patients diabétiques décrivent les malaises occasionnés par une attente longue avant les contrôles de suivi nécessitant d‟être à jeun. Le problème de l‟attente est particulièrement saillant pour les habitants de zones enclavées à Azilal et à Figuig qui, s‟ils ne quittent pas le centre de santé ou l‟hôpital suffisamment tôt, vont devoir passer la nuit sur place. De nouveaux frais d‟hébergement seront alors occasionnés. Les dépenses sont soulignées mais acceptées si le patient voit le médecin, en obtient un diagnostic et des médicaments, mais deviennent vite mal tolérées si le médecin est absent ou indisponible. 107 L’indisponibilité des soignants L‟absence du médecin est le motif des plus grandes insatisfactions. On peut le comprendre en sachant qu‟il est l‟interlocuteur recherché qu‟on espère rencontrer une fois franchies toutes les étapes précédentes : le patient a convaincu ses proches qu‟il doit aller au centre de santé, il est éventuellement à jeun, un véhicule a été trouvé, une somme importante est dépensée, le barrage à l‟entrée de la structure est dépassée à force de persuasion ou de bakchich, le patient attend plusieurs heures, mais le médecin parfois ne vient pas. Alors, il faudra soit trouver un logement sur place, soit partir et revenir et donc revivre les mêmes épreuves que lors du déplacement précédent, à moins de renoncer aux soins. En milieu urbain, la non disponibilité du médecin peut avoir une incidence concrète sur les revenus du patient. « Je vais vous raconter une histoire très récente, mes doigts se bloquent. Je ne sais pas pourquoi, ce que je sais c’est qu’ils sont mon capital parce que je suis forgeron je travaille plus avec mes doigts. C’est un travail de garçon mais ici à X on n’a pas assez de choix : soit on fait n’importe quoi pour survivre soit on devient des mendiants. Alors j’ai pris une autorisation d’une journée pour faire la consultation chez le médecin au centre de santé. J’ai attendu mon tour jusqu’à midi. On est resté cinq au moment où le médecin est sorti pour nous dire de revenir demain car il va sortir. Mais moi je ne peux pas retourner demain ! Mon chef ne voudra pas me donner une autre autorisation sinon il va me remplacer par une autre personne et moi j’ai besoin de ce travail pour vivre et payer mes médicaments, donc je n’y suis pas revenu » (Salé). Le manque de spécialistes dans les hôpitaux provinciaux est critiqué, d‟autant plus qu‟en cas d‟absence du spécialiste requis pour le cas à prendre en charge, pèse la contrainte de la séparation des membres d‟une même famille qui doivent parfois se partager entre hôpital provincial et hôpital régional, par exemple dans le cas de problème néonatal. « La femme a été suivie au cours de la grossesse au centre de santé. Lors de l’accouchement elle est allée à la maison d’accouchement. La sage femme a essayé de faire accoucher la femme pendant quelques heures sans résultat. La maison d’accouchement n’était pas équipée. Après la sage femme a décidé l’évacuation de la femme à la maternité d’Azilal. Ils ont payé 200 dh pour l’ambulance. A l’hôpital d’Azilal, ils ont essayé de faire un accouchement normal mais l’appareil utilisé a causé des blessures au niveau du visage du bébé. Après ils ont fait l’accouchement avec césarienne. Le bébé a été évacué d’urgence à l’hôpital régional pour le problème des blessures au visage et à la tête. La femme à été hospitalisée à l’hôpital d’Azilal avec une accompagnante pendant 6 jours. Le bébé lui aussi a été hospitalisé avec une autre accompagnante pendant 7 jours. A l’hôpital régional ils ont fait des radios et des analyses gratuitement pour le bébé. Le mari est resté durant les 7 jours à l’hôpital. A leur sortie, comme ils ont la carte Ramed, ils n’ont payé que les frais de l’accompagnante à Azilal et à l’hôpital régional, 1.000 dh pour les deux. Ils ont acheté les médicaments pour les deux avec presque 450 dh et aussi plus de 1.000 dh pour les déplacements et hébergement » (Province d’Azilal). Dans ce cas, le père est parvenu à réunir l‟argent nécessaire pour que sa femme et son enfant soient soignés, malgré la nécessité de les faire prendre en charge dans deux hôpitaux différents, d‟assurer à la fois son hébergement à proximité de l‟enfant et la présence d‟une garde-malade au chevet de la mère. Mais dans un autre cas, c‟est un décès d‟un enfant qui a été rapporté par sa mère. 108 « L’accouchement à la maison par des sages-femmes traditionnelles est meilleur que la souffrance à l'hôpital. Pour ma dernière grossesse, j'ai suivi toute les étapes et j’ai fait mes analyses dans un hôpital à Fès avec ma famille. Mon médecin m'a assurée que la grossesse est bonne et que je n’ai rien à craindre. Quand le moment de l’accouchement s’est approché, j’ai préféré rester à côté de mon mari qui est employé ici. Quand le moment de l’accouchement est arrivé, mon mari m'a emmenée au centre de santé. Mais je préfère ne pas y aller la prochaine fois. Je suis entrée dans la salle d'accouchement. J’étais allongée sur le lit. Après quelques instants, la sage-femme est venue. Elle a commencé à me traiter durement et à crier. Puis elle a essayé d'enlever l’enfant avec force et violence. J’ai crié et j’ai pleuré plusieurs heures. Elle ne se souciait pas de ma souffrance et de mes cris. Lorsque j’ai mis au monde mon enfant, il a été emmené à l’hôpital. Ils m’ont dit qu’il avait un problème… enfin j’ai découvert que l’équipe du centre de santé était la cause de la mort de mon enfant quand j’ai constaté un trou dans la tête de mon bébé. Que vais-je faire? Depuis ce moment-là je pleure et j’ai des remords. J’ai voulu porter plainte contre les sages-femmes mais mon mari n’a pas voulu. Il m’a rassurée en me disant que Dieu va nous donner notre droit » (Province de Figuig). Le mauvais accueil : des médecins qui n’auscultent pas ; des soignants qui parlent mal aux patients Dans ce dernier extrait d‟entretien, se devine la perte de confiance qu‟une patiente exprime à l‟égard des personnels soignants. Elle parle de la rudesse de la sage-femme. Des récits aussi extrêmes quant à la violence physique des personnels soignants et ses conséquences directes sur la santé des usagers sont rares. Ce qui est en revanche fréquent est l‟évocation d‟insultes venant des personnels soignants excédés devant l‟affluence de patients ou à force de sollicitations. Les patients racontent leur désorientation quand ils arrivent dans une nouvelle structure. Ils ne savent pas à qui s‟adresser et se heurtent à la rudesse des comportements des prestataires. Régulièrement des patients ont formulé des expressions du type : « si tu n’es pas malade en arrivant, leur comportement fait que tu repars malade ! » ; « j’étais encore plus malade après avoir vu le médecin tellement il m’a choqué ». Les comportements des personnels soignants, ou les rumeurs sur ces comportements, peuvent amener à se détourner de la structure. « Au centre de santé, même en allant chercher les pilules, ils nous traitent d’ânes et de sauvages. Ils nous ordonnent de faire la queue et nous menacent de nous priver de nos médicaments…. Parfois ils ferment le centre de santé et papotent dans un bureau jusqu’à ce que les lieux soient vides pour rouvrir le centre » (Salé). Les médecins également sont critiqués parce qu‟ils parlent mal aux patients mais aussi parce qu‟ils les reçoivent trop rapidement. Un moment de la consultation est particulièrement observé par les patients : l‟auscultation. Ce moment est considéré comme un signe d‟intérêt et de professionnalisme tandis que la prescription sans observation est décriée et perçue comme une humiliation. « C’est rare quand les infirmières nous laissent entrer voir le médecin, et quand c’est le cas on se retrouve avec une très longue distance qui nous sépare de lui, à croire qu’on a une épidémie ! Il ne prend même pas la peine de nous ausculter. Il nous demande de quoi on est malade sans même nous donner le temps nécessaire pour parler. Ensuite il nous dit ‘OK’ et il nous prescrit un médicament. Je déteste les hôpitaux et les centres de santé » (Salé). 109 « Après trois heures d’attente, j’ai enfin pu voir le médecin mais je suis sortie encore plus choquée de chez elle. Une fois que je suis rentrée elle m’a demandé de quoi je souffrais et je lui ai répondu que j’avais très mal à la tête, et avant même que je finisse ma parole elle m’a prescrit un médicament et m’a demandé d’aller voir s’il en reste encore à la pharmacie du centre. Quand je lui ai dit que je n’avais toujours pas fini de lui décrire de quoi je souffrais exactement, elle m’a répondu que je n’allais qu’en même pas lui montrer comment faire son travail et que je ferais mieux d’aller prendre mon médicament » (Salé). Les populations ne restent pas inactives face à l‟indisponibilité des soignants, au manque de spécialiste, et au mauvais accueil, et, tant dans les sites de Figuig que d‟Azilal, des manifestations de rue sont organisées ayant spécifiquement comme revendications des récriminations contre l‟offre de soins publique. Les choix et stratégies mis en œuvre Face à ces contraintes multiples, connues, rapportées, analysées par les patients ou constituant une sorte d‟histoire de la santé familiale comme nous l‟avons vu pour les femmes vivant sous une même tente, les usagers se positionnent différemment. Certains estiment que le rapport coût-bénéfice est trop déséquilibré et renoncent à l‟éventualité de recourir à un prestataire de soins. D‟autres explorent l‟offre existante dans le but de trouver celle qui équilibrera ce rapport tandis que d‟autres encore adaptent leurs attentes aux pratiques de leurs soignants et tentent de prévenir les obstacles connus. La rupture du pacte de confiance : ne plus consulter L‟expérience des obstacles pour la prise en charge d‟une pathologie passée, sans avoir obtenu la guérison ou après avoir subi ce qui est perçu comme une erreur médicale, décourage parfois définitivement les usagers de recourir à nouveau à un prestataire de soins. Nous avons recueilli plusieurs récits illustrant ce type d‟attitude. « Il a demandé une ambulance pour aller à Bouârfa. Arrivé là-bas le médecin lui a dit qu’il n’y avait pas de spécialiste et de continuer encore sur Oujda. Lui a crié ‘pourquoi l’ambulance m’a amené à Bouârfa plutôt qu’à Oujda directement !’. Le chauffeur de l’ambulance dit qu’il est obligé d’aller à Bouârfa pour avoir l’autorisation d’aller à Oujda. La personne est pauvre ; alors à Oujda on lui a dit de faire un scanner mais lui ne peut pas payer. Il est retourné chez lui ! Voilà pourquoi les gens ne veulent pas aller à l’hôpital ! » (Province de Figuig). « A chaque fois quand j’allaite mes enfants, je souffre de douleurs aiguës dans mes seins. Je résiste ou bien je prends les médicaments de la fièvre. Pendant l’allaitement de mon dernier enfant, j’ai senti les mêmes douleurs. Il y avait une équipe mobile qui nous a visités. J’ai dit à la sage femme que je souffre de douleurs dans mes seins. Elle m’a demandé d'aller voir le médecin le plus proche car c’est dangereux. Donc, j’ai demandé à mon mari de m'emmener très vite au centre de santé. Le médecin m’a dit de partir directement à Oujda si j’ai des moyens ou bien à Bouârfa. Nous sommes retournés moi et mon mari au douar pour vendre des bêtes pour nous procurer de l’argent. Le médecin du centre de santé nous a donné l'adresse d'un spécialiste à Oujda et une lettre à lui transmettre. Nous sommes partis chez ce spécialiste qui nous a demandé de faire une mammographie et des analyses. Après l'obtention des résultats des analyses et de la mammographie, le médecin a dit à mon mari que je dois faire une opération pour extraire un petit kyste au niveau de mon sein gauche. Au début, je n’ai pas accepté et c'est mon mari qui m’a encouragée pour que je sois 110 opérée. Ils ont enlevé une partie de mon sein et l'ont envoyée à Casablanca pour les analyses. Dans l'attente des analyses, les douleurs sont toujours les mêmes et s'accentuent de temps en temps. Après vingt jours, le médecin a appelé mon mari en lui demandant de m'emmener chez lui. Nous sommes partis à Oujda. Je lui ai dit que je souffre toujours des douleurs et il m’a dit qu’il faut refaire une autre opération pour enlever le reste du kyste car les analyses ont montré que ce type de kyste ne peut pas disparaître définitivement par le biais des médicaments. L'unique solution est de refaire l'opération. J’étais entre les mains d’un médecin qui est là normalement pour aider les gens et non pas pour massacrer leur santé et leur argent ! Après l’opération j’ai perdu une grande partie de mon sein, mais les douleurs restent toujours les mêmes, malgré que j’ai perdu tous mes biens. (…) Mon fils n’a pas bénéficié du lait maternel pour les deux ans comme ses autres frères. Je n’ai plus confiance en la médecine moderne. Je demande l’affectation d’un ou plusieurs spécialistes qui prendront soin de notre santé pour avoir de nouveau confiance » (Province de Figuig). La rupture du rapport de confiance entre patients et prestataires semble plus importante à Figuig où l‟accès à des spécialistes est particulièrement difficile. Procéder par essais-erreurs Les habitants de Salé en revanche sont plus enclins à multiplier les expériences, du fait de la proximité d‟une offre variée, tant publique que privée. « Je ne sentais rien jusqu’au jour où j’ai eu mal au ventre. J’ai commencé à prendre des plantes parce que je pensais que ce n’était qu’un coup de froid, mais ça s’aggravait de jour en jour. Je suis partie au centre de santé parce que j’avais très mal et je ne mangeais plus. Le médecin m’a demandé ce que je ressentais exactement et m’a donné un médicament pour les intestins. Elle m’a dit que ce n’était que du gaz. Mais, même en prenant le médicament, j’avais toujours mal jusqu’à ce que j’aie trouvé des difficultés à marcher, et puis ça s’est aggravé et j’ai même commencé à vomir. Je suis alors partie à l’hôpital avec une amie, j’ai payé la caisse et je suis entrée chez le médecin. Il m’a dit que je suis malade de mon intestin et de mon estomac et qu’il faut que je prenne un médicament, sinon il n’a rien fait d’autre. Mon amie m’a recommandé d’aller chez un médecin privé qu’elle connait. Quand je suis partie, le médecin a eu des doutes et a pensé à une appendicite et m’a demandé de faire immédiatement une analyse. Je suis partie la faire et quand je lui ai montré le résultat, elle m’a dit que j’avais effectivement ‘l’intestin en plus’. Je suis partie d’urgence à l’hôpital et je leur ai donné l’enveloppe que m’a donnée le médecin » (Salé). S’adapter à l’offre Informés, observateurs, familiers des centres de santé, les usagers deviennent de fins connaisseurs de la vie des structures de soins et des personnalités ou des attitudes des prestataires de soins. Plutôt que de renoncer définitivement à les solliciter, ils s‟adaptent à l‟offre existante et élaborent des stratégies devant favoriser leur prise en charge effective. Les patients s‟adaptent aux horaires des soignants pour venir consulter. On retrouve cette stratégie chez des patients souffrant de maladies chroniques qui ont le loisir d‟observer le fonctionnement du centre de santé à différents moments. Leur familiarité avec les lieux de prise en charge et les personnels soignants leur permet de décider du moment le plus opportun pour se rendre dans la structure de santé, en 111 évitant les moments d‟afflux important de patients, ou encore en étant presque assuré de la présence du médecin. « Personne dans la vie ne fait son travail à 100% ; mais il faut s’entraider pour réaliser de bons résultats dans tous les secteurs. Je peux vous dire qu’à chaque fois que je viens au centre de santé, je trouve plus de cent personnes surtout pendant les jours du souk hebdomadaire car il y’a des nomades qui viennent de loin pour vendre leurs bétails, se ravitailler et en même temps pour consulter le médecin. C’est pour cette raison que je ne pars pas au centre de santé pendant ces jours-là, mercredi et jeudi, pour laisser la chance aux nomades qui viennent avec toutes les difficultés qu’ils rencontrent pour arriver au centre de santé. Je bénéfice des consultations souvent le lundi ou bien le mardi. En général, je trouve un bon accueil et je bénéfice de l’insuline toujours gratuitement malgré le manque de personnel. Je vois que les infirmiers et le médecin font tous leurs efforts pour aider les malades, mais il faut que l’État aussi nous aide par l’équipement du centre de santé en radiologie au moins ». (Province de Figuig). En se renseignant, les patients de Salé surtout apprennent les noms des prestataires les plus accueillants, adaptent leurs comportements en fonction de l‟attitude des soignants : «Vous avez également suivi votre grossesse à la maternité ? - Oui. À mon sixième mois, j’y suis partie pour ouvrir un dossier parce qu’on m’a dit que si je n’avais pas un dossier médical ouvert chez eux, le personnel n’allait pas bien se comporter avec moi le jour de l’accouchement. Sauf que j’ai remarqué que ce n’était pas du tout le cas, hormis le fait qu’ils donnent des rendez-vous très éloignés (…) - Vous êtes partie voir le médecin privé aussi ? - Oui j’y suis partie et j’ai consulté. Elle m’a donné un médicament à prendre et elle m’a dit que pour la douleur c’était tout à fait normal pour une femme enceinte (...). - Pourquoi vous ne partez pas au centre de santé ? - Un jour j’y suis partie, j’ai trouvé des stagiaires en cours d’apprentissage. L’une des filles était devant la porte d’entrée, quand je lui ai donné le carnet de santé elle m’a dit de lui apporter plutôt un simple cahier. Je le lui ai apporté et elle n’y a inscrit que le numéro d’attente, ensuite elle m’a demandé d’aller à la salle d’attente des femmes enceintes. Je ne savais pas où elle se trouvait et quand je lui ai posé la question, elle m’a répondu qu’elle était occupée, je n’avais qu’à demander à quelqu’un d’autre. Quand j’ai enfin trouvé la salle, j’ai longtemps attendu avant de rencontrer l’infirmière. Elle était très gentille, je lui ai donné mon cahier mais elle a demandé à avoir mon carnet de santé pour qu’elle le remplisse. Ensuite elle a pris mon poids et elle m’a mise sur un banc d’examen pour qu’elle mesure mon tour de ventre. Elle m’a également demandé si c’était ma première grossesse et si j’ai déjà eu une fausse couche, pour me donner après des analyses à faire. Mais je n’y suis plus revenue. - Pourquoi ? Vous aviez dit qu’elle s’est bien comportée avec vous ? - Oui mais plusieurs femmes m’ont dit que j’ai eu de la chance de trouver cette infirmière. Apparemment, il y en a une autre qui est très grossière avec les femmes. Elle leur crie dessus tout le temps et les insulte, il y a même des fois où elle leur dit qu’elles ne servent qu’à avoir des enfants ! Entre nous, je ne supporte pas qu’on m’insulte » (Salé). 112 Une autre stratégie pour être accueilli avec amabilité par le médecin consiste à se présenter comme étant apparenté à un agent de la structure. « Ça m’avait vraiment fait du mal d’entendre les paroles d’un premier médecin. Quand je suis sortie, j’ai rencontré la jeune fille stagiaire qui m’avait montré la salle d’attente et je lui ai racontée ce qui venait de se passer avec le médecin. Elle a pris la feuille du médicament, l’a déchirée et m’a dit qu’elle allait m’emmener chez le meilleur médecin de ce centre à condition qu’elle lui dise que je suis sa tante. J’ai tout de suite approuvé, c’était vraiment très gentil de sa part de m’aider et j’espère que Dieu l’aidera dans sa vie comme elle l’a fait avec moi » (Salé). Nous reviendrons sur le favoritisme accordé aux siens ou aux proches de ses collègues comme mode de fonctionnement inhérent aux structures de santé dans le chapitre sur l‟accès aux traitements. Consulter le médecin privé ou le pharmacien A plusieurs moments, le médecin privé est préféré, d‟emblée ou après une première consultation au dispensaire ou au centre de santé lorsque par exemple le personnel de santé recommande au patient de se rendre dans une autre structure de soins publique pour la prise en charge de son problème. L‟absence et l‟indisponibilité des médecins des centres publics, le manque d‟équipement (par exemple d‟échographe), ou le coût du déplacement et la nécessité de demeurer sur place si le médecin n‟est pas disponible justifient aussi le recours au médecin du secteur libéral. « La femme a été accompagnée avec son mari au centre de santé. Parce qu’elle a été malade, elle sentait des douleurs partout, surtout au niveau de l’utérus, mais elle n’a pas bénéficié de médicament. L’infirmière du centre de santé lui a conseillé d’aller chez le médecin du centre de santé de la commune voisine ou bien chez un médecin privé. La femme a choisi ce dernier car elle a peur d’aller au centre de santé sans résultat. Et pour éviter la charge du déplacement, ils ont préféré aller chez le médecin privé. Alors la femme est allée à Azilal chez un médecin privé. Elle a fait la consultation. Le médecin lui a prescrit une ordonnance, elle a payé 350 dh et il lui a conseillé de faire un examen chez le médecin gynécologue à l’hôpital provincial pour identifier son problème et pour lui donner le médicament efficace. Mais à cause de la pauvreté et de la situation familiale, elle ne pouvait pas faire une visite chez le gynécologue, alors la femme est revenue à sa maison. Après le traitement, son état est resté grave car elle n’avait pas d’argent pour payer les frais des médicaments de nouveau ou faire une consultation chez le gynécologue » (Province d’Azilal). Si le recours au médecin privé, dont on est assuré de la présence, apparaît comme une alternative pour permettre le diagnostic grâce à l‟échographie, il ne constitue qu‟une étape pour une urgence. Cependant du fait des frais engagés pour parvenir à cette consultation, le circuit de prise en charge peut s‟y arrêter sans même qu‟un diagnostic ne soit posé ou que le processus curatif ait pu être commencé. Rares sont les patients qui peuvent faire face à des dépenses sur le long terme ou même et recourir aux spécialistes ou aux hôpitaux provinciaux du fait des frais de transports et d‟hébergement. La figure du bon médecin Les itinéraires des patients témoignent de l‟importance accordée au médecin qui est le prestataire recherché. La multitude des contraintes à surmonter pour le rencontrer font de la consultation le lieu de tension le plus important. Les déceptions, 113 frustrations, attentes y sont exprimées voire amplifiées si le médecin ne parvient pas à répondre à la demande du patient. Les récits des usagers laissent apparaître une figure idéale du « bon médecin », celui qu‟ils espèrent rencontrer. Les patients mentionnent des épisodes vécus auprès de leurs soignants pour dépeindre ce médecin idéal, nous renseignant sur ce qu‟ils attendent de l‟offre de soins. Deux facettes apparaissent au-delà de la distinction entre médecin généraliste et spécialiste, celle du soignant familier et celle de l‟étranger. Le soignant familier Le choix du prestataire est justifié par la qualité des prestations et par les conditions d‟accueil et d‟orientation. Certaines personnes rencontrées mentionnent un bon rapport aux personnels soignants, surtout lorsqu‟elles souffrent de maladies chroniques (diabète, hypertension). « Quand mon tour vient, je rentre chez le médecin et elle me reconnait. Elle prend de mes nouvelles et elle demande à voir les résultats de la tension. (…) J’ai de la chance que la personne qui donne les médicaments soit la même que celle qui travaille à la pharmacie à côté de chez moi. Je lui passe mon carnet de santé et elle me donne les trois boites de médicaments que le médecin m’a prescrites, et elle me rappelle que je dois revenir voir le médecin quand je les aurai finies » (Salé). On lit dans cet extrait d‟entretien que le bon soignant est celui qui adopte un comportement de proximité, créant une protection et une confiance rappelant les relations de parenté. Dans la province de Figuig, nous avons entendu régulièrement cette association d‟idées : « X [une accoucheuse] est notre mère à tous ! ». Les personnes âgées, dans les trois sites, disent souhaiter être considérées comme si elles étaient les parents des médecins, tandis que les mères de famille disent rechercher un praticien qui se comporte comme un père ou une mère avec leurs enfants, sachant les traiter avec douceur, sachant rire et manifester de la tendresse, ou encore donner des bonbons. « Prenons l’exemple du médecin qui traite ma fille. C’est un bon médecin qui mérite des éloges. Pour un neurologue, il use de compassion pour mieux traiter ses malades. Ça lui arrive d’offrir à ses malades jus, confiserie, bonbons. Il est comme un proche parent. Ce médecin arrive à traiter ma fille, mieux que je le fais » (Salé). « Quand nous allions voir X, il disait toujours des blagues. Tu comprends, il savait comment vivent les gens, alors ils savaient comment leur parler et il faisait des jeux de mots. Tu te sentais déjà guéri rien qu’en le voyant » (Province de Figuig). L‟importance de la langue du praticien est apparue à de multiples reprises, et plus particulièrement à Azilal : des médecins berbérophones y sont systématiquement demandés. « A sa sortie de l'hôpital, ni la femme, ni son fils ne communiquaient bien en arabe, c'est pour cela qu'ils n'ont pas bien compris le régime alimentaire à suivre pour son cas et surtout pour le diabète. Quelques mois après l'état de la femme est devenu grave de nouveau » (Province d’Azilal). « Actuellement la femme est à la maison, elle ne voit rien pour l’instant. L’enquêté n’a aucune idée sur le temps nécessaire pour revenir à l’hôpital pour l’opération de sa mère car il ne communique pas bien en arabe » (Province d’Azilal). 114 Pour le suivi des femmes, le recours à une femme médecin est préféré et peut être décisif en milieu rural pour décider d‟accoucher au centre de santé, alors que l‟implication de l‟infirmier polyvalent, parfois le seul sur place, est mal vécue. « Ici le personnel médical travaille selon la demande et pas selon sa spécialité. Il arrive parfois qu’un infirmier polyvalent soit appelé à faire accoucher une femme ou plusieurs, malgré les protestations de leurs époux » (Province de Figuig). Des femmes âgées ont raconté leur expérience avec des accoucheuses traditionnelles, récit révélateur de ce qui est attendu de quelqu‟un qui accompagne les grossesses et les accouchements, avec une présence et des attentions de tous les instants. « On lui donnait quelques sous et elle me serrait le ventre à la fin de l’accouchement. Elle restait avec moi toute la journée : elle lavait le linge, me faisait prendre un bain, me couchait et me faisait lever. C’est même elle qui s’occupait de l’achat des premiers vêtements du bébé et elle me faisait à manger par ses propres moyens. Elle ne me laissait toute seule qu’à partir du moment où je reprenais complètement mes forces » (Salé). « Je n’ai jamais entendu dire qu’une femme est tombée malade ou bien qu’elle soit morte entre les mains d’une accoucheuse. Elle fait la lessive, le ménage et elle s’occupe aussi des enfants. Et durant le deuxième jour de la naissance elle me serre le ventre et m’aide. Elle ne partait qu’après m’avoir débarrassé du placenta. On accouchait puis on dormait et on buvait rass lhanout, et on mangeait rfissa et les œufs bldy jusqu’à ce qu’on sue. Maintenant le médecin te dit de ne rien faire ! » (Salé). Ces caractéristiques du bon soignant renvoient à la figure du médecin originaire du « bled ». Les patients de Figuig l‟explicitent en disant privilégier le recours aux médecins généralistes et spécialistes originaires de la province travaillant localement ou installés à Oujda, Rabat ou Casablanca, avec lesquels ils partagent la langue et la « citoyenneté » (entendue comme comportement basé sur la disponibilité et sur la prise en compte des moyens financiers des patients). Certains habitants de Salé semblent également choisir leur médecin en fonction d‟une communauté d‟origine et dont on peut alors attendre une prise en charge semigratuite. « A vrai dire, je ne fais pas confiance aux médecins. Tu ne peux pas aller chez un médecin comme ça directement. Tu demandes aux gens comment il les soigne, les examine, et si ses médicament sont efficaces. Quant au centre de santé, vous savez comment c’est ! Ils vous laissent attendre. Les médecins sont toujours occupés et parfois sans avoir donné de l’argent, on ne peut pas arriver au médecin. Le médecin spécialiste que je suis allée voir à Rabat, directement après le pharmacien, est originaire de notre région dans le sud. Je sais que je peux lui faire confiance. Elle m’a donné à faire des analyses, et pour pouvoir suivre mon sucre tous les jours, elle m’a donné un appareil pour mesurer le sucre gratuitement. Je ne suis plus allé la voir depuis 8 mois. Je ne peux pas à chaque fois y aller sans la payer, même si c’est une personne du bled ! » (Salé). On retrouve le recours aux connaissances souligné plus haut comme facteur favorisant l‟accès à un prestataire. Sont ici choisis des soignants dont les compétences sociales et culturelles dépassent les compétences médicales. La réputation des médecins originaires de la même localité que les patients ressortit à une sorte de patrimoine local, entretenu par les allers-retours des patients et par des 115 visites du médecin à sa famille dans sa province d‟origine, visites qui se transforment en consultations. La participation aux caravanes médicales renforce également la renommée de ces ressortissants. « Je suis chanceuse d'avoir accouché de tous mes enfants en présence de X. On rêve d'avoir des médecins compétents surtout après l'absence de X qui était le seul médecin. A part les caravanes mobiles qui arrivent deux ou trois fois par ans et qui sont faites par des médecins originaires d’ici, nous sommes obligés de partir vers Bouârfa ou Oujda pour faire des petites consultations. L'État ne donne aucune importance pour la vie de 14.000 habitants en plus des nomades très nombreux » (Province de Figuig). Dans cet extrait d‟entretien on relèvera que les médecins ressortissants de la région sont décrits par opposition aux médecins généralistes des centres de santé publics. Au médecin « du bled », familier, qui se comporte comme un parent, est souvent opposé le médecin marocain étranger à la province, qui représente l‟État, ne parle par les dialectes locaux, ignore les pathologies liées à l‟environnement spécifique au contexte local, mais aussi les usages locaux de la politesse. Ces manquements sont peu pardonnés aux jeunes médecins généralistes. La valorisation du spécialiste étranger En revanche, les spécialistes sont particulièrement valorisés, y compris lorsqu‟ils ne sont pas marocains : ils sont souvent présentés comme ceux qui permettent la guérison. Nous avons systématiquement enregistré, dans chaque localité de Figuig ou d‟Azilal, la demande de pouvoir bénéficier de la prestation de spécialistes dans les centres de santé. Cette demande repose sur le constat de l‟efficacité perçue des prestations des spécialistes consultés à Oujda, Casablanca ou Rabat, de ceux qui se sont déplacés en milieu rural dans le cadre de caravanes médicales, ou encore des soins prodigués par des spécialistes étrangers (en l‟occurrence chinois) exerçant dans les hôpitaux provinciaux. Les spécialistes sont recherchés mais difficilement accessibles pour les habitants du milieu rural qui n‟ont pas les ressources financières suffisantes pour se rendre dans les hôpitaux provinciaux ou régionaux. « Ma première grossesse est survenue après un an de mariage. J’ai été enceinte avec des jumeaux et j’ai senti une douleur et des saignements abondants. Je suis allée au centre de santé. Ils m'ont dit que j'ai un grave problème exigeant une injection coûteuse, des tests et des traitements à Rabat. Je n’ai pas d'argent mais j’en ai emprunté à la famille pour aller à Rabat. Là-bas, on m’a donné des traitements qui m'ont sauvé la vie et celle de mes enfants. Actuellement mon fils de 15 ans est gravement malade pour le même problème et je ne peux pas payer les analyses pour lui ou aller dans les grands hôpitaux » (Province de Figuig). L‟accès au spécialiste, éventuellement loin de chez soi, est parfois facilité par l‟intervention d‟un membre de la famille, citadin, qui contribue à accentuer encore cette valorisation du spécialiste éloigné. « Le médecin du centre de santé est toujours absent, c'est pour ça que mon fils de Casa me prend en charge et me demande toujours de respecter mes rendez-vous avec mon médecin de Casa, là ou il y a tous les équipements et toutes les spécialités. On avait un seul médecin qui a beaucoup rendu service. Maintenant il faut quitter la province pour se faire soigner par des médecins qualifiés ailleurs » (Province de Figuig). 116 Cette bonne réputation se base entre autres sur des consultations ayant permis l‟identification de pathologies inconnues jusqu‟à la consultation par un spécialiste, ou encore sur des erreurs de généralistes réparées par l‟intervention du spécialiste. « Depuis 1983 que je souffre du diabète. J’avais un problème cardiaque, j’ai fait un malaise et j’ai été hospitalisé. J’ai fait une consultation à Oujda chez un cardiologue qui m’a proposé de faire des analyses ; c’est là où j’ai découvert que je suis diabétique » (Province de Figuig). « Le médecin [généraliste] privé a dit qu’il s’agissait d’une hernie. Il [a pris ma fille enceinte] en urgence et lui a donné des médicaments. Le médecin a dit de dormir et de se reposer. Comme ça n’allait pas mieux, elle a vu ensuite les [spécialistes] chinois qui ont dit que ce n’était pas le bon médicament et que ça pouvait être dangereux pour le bébé » (Province de Figuig). Les médecins spécialistes semblent, contrairement à l‟appréciation portée aux généralistes, d‟autant plus valorisés qu‟ils sont étrangers : « Ils ne sont même pas Marocains et ils font plus pour nous ! Ils sont beaucoup aimés ici » a-t-on entendu à plusieurs reprises. La présence de spécialistes chinois, comblant l‟absence de spécialistes marocains, a été plusieurs fois soulignée. « Heureusement j’avais la chance d’être consulté par un cardiologue chinois, j’étais en train de mourir et c’est lui qui m’a sauvé la vie. Les Chinois nous rendent un grand service, nous sommes chanceux de faire les consultations et bénéficier des médicaments gratuitement car nous sommes pauvres et on n’a pas les moyens pour voyager jusqu'à Oujda et y faire les consultations. » (Province de Figuig). Les médecins spécialistes venant de l‟étranger (d‟origine marocaine ou non) peuvent être également rencontrés lorsqu‟ils participent à des caravanes médicales. « J'ai constaté que je suis diabétique pendant la visite d'une association des médecins de la Suisse à Bni Tadjit. J'ai bénéficié des analyses par des médecins spécialistes qui m'ont confirmé que je suis diabétique et que je suis obligé de suivre un régime et m'ont donné des comprimés à prendre et m’ont recommandé de visiter le médecin au moins une fois chaque mois » (Province de Figuig). On aura relevé que s‟agissant des spécialistes, et contrairement au médecin généraliste, la très grande distance sociale et culturelle entre le patient et le médecin est particulièrement appréciée par le premier, la langue n‟étant plus ici un obstacle. 117 Conclusion De multiples contraintes influent sur les décisions de recourir à un prestataire de soins. Nous pouvons ici reprendre la problématique des trois délais. Le premier délai est lié à l‟estimation de l‟importance du problème de santé par les patients et leur entourage. La décision de recourir à un personnel soignant se fait dans la plupart des cas lorsque des symptômes persistent, surtout pour les usagers éloignés des centres de santé. La décision de recourir à un médecin est prise collectivement. La hiérarchie générationnelle, les rapports de genre et les relations de dépendance économique en sont des facteurs déterminants. La scolarisation croissante des filles et l‟indépendance financière des jeunes femmes semblent introduire de nouvelles dynamiques dans le processus d‟estimation de la gravité du problème et de décision ; leurs arguments semblent peser. Par ailleurs, plus les contraintes pour accéder au centre de santé sont importantes, plus les coûts à engager sont élevés et plus le temps qui sépare les premiers symptômes de la décision de se présenter à un prestataire augmente. L‟ignorance ou le désintérêt supposés des familles pour leurs enfants ou leurs femmes enceintes qui les poussent à retarder le recours au soin sont loin d‟être explicatifs. Ce qui est en jeu ici est la nécessité d‟effectuer un choix en fonction des contraintes de transport, de temps et de coût auxquels il faut faire face. La présence d‟ambulances ou le fait de bénéficier d‟une couverture médicale, sont certes des facteurs favorisant le recours aux soins, mais ils ne sont pas toujours déterminants de la décision et de la réduction du temps de recours à un prestataire. Enfin, si les patients ont quitté leur domicile et ont pu atteindre le centre de santé, ils peuvent se heurter à de nouvelles barrières relatives à l‟accueil et qui risquent encore d‟allonger le délai de prise en charge ; ici, le bakchich et/ou l‟intervention d‟interconnaissances constituent les facteurs favorisant. L‟objectif affiché par les patients est de parvenir à accéder au médecin, et de préférence au médecin spécialiste. Le médecin auquel on souhaite avoir accès est celui qui doit rassurer, permettre de comprendre la maladie. L‟interaction avec le médecin sera d‟autant plus facilitée et appréciée si celui-ci parle la langue du patient, comprend ses pratiques quotidiennes, connaît ses conditions de vie et les pathologies de son contexte ; le médecin originaire de la localité est alors présenté comme le praticien idéal. Mais surtout, avec la morbidité accrue liée aux maladies chroniques sans doute en lien avec le vieillissement des populations surtout en zone rurale, une élévation des plateaux techniques, une meilleure connaissance des risques, une circulation facilitée des patients et des soignants de la campagne aux grandes villes et inversement, le médecin spécialiste apparaît particulièrement valorisé ; il est celui qui posera le bon diagnostic, qui est censé conduire le mieux à la guérison. Être un spécialiste (exerçant dans les grandes villes) originaire de la région est particulièrement apprécié. Mais les médecins spécialistes étrangers (européens et chinois) sont aussi particulièrement reconnus et valorisés, voire recherchés : ils sont étrangers aux rivalités locales susceptibles d‟introduire des attitudes discriminatoires, et seront alors considérés comme d‟autant plus accessibles. 118 Les médecins marocains généralistes du secteur public et étrangers à la province apparaissent souvent comme les moins appréciés. Cela est particulièrement manifeste dans les provinces de Figuig et Azilal, moins à Salé même si nous avons pu y relever parfois des préférences déclarées en faveur de soignants « du bled ». Le médecin généraliste privé offre une alternative, notamment du fait d‟une disponibilité ressentie plus importante. 119 Chapitre - 5 Formation, pratiques et conditions de travail de médecins généralistes Hafid Hachri, Marc-Éric Gruénais, Vincent De Brouwere La qualité technique et relationnelle des prestataires de santé à laquelle la population accorde le plus d‟importance influence l‟utilisation de service (Kloos 1990 ; Belqari 2004). Parmi ces prestataires, le médecin généraliste, qualifié par l‟organisation mondiale de la santé de « levier stratégique » de par sa position comme porte d‟entrée dans le système, a un rôle essentiel à jouer dans l‟amélioration de l‟accès aux soins de santé de base, dans la prise en charge des problèmes de santé de la population et dans la réduction des inégalités sociales (Falcoff 2010). Son savoir et son savoir-faire doivent lui permettre de tenir compte non seulement des aspects biomédicaux de la maladie, mais aussi et surtout de considérer les besoins globaux de l‟individu en y intégrant les aspects psychologiques et les conditions socio-économiques dans lesquels il vit (c‟est ce qu‟on appelle des soins centrés sur le patient). Conscient du rôle primordial joué par le médecin généraliste dans le renforcement de la performance des systèmes de santé, le Ministère de la santé s‟est orienté ces dernières années, d‟une part vers la médicalisation des services de santé de base, particulièrement du monde rural, et d‟autre part dans une réflexion sur la valorisation de la médecine générale et le renforcement des soins de santé primaires40. C‟est ainsi que cette politique sectorielle s‟est donnée l‟objectif de former 3300 médecins à l‟horizon 2020 « pour garantir une couverture sanitaire efficace pouvant contribuer de manière durable à l‟amélioration de l‟état de santé »41. Au moins la moitié de ces médecins seront des généralistes appelés à travailler dans les services de santé de base et en cabinets privés. Cette volonté des décideurs de densifier l‟offre de soins médicaux de première ligne est cohérente avec la volonté d‟améliorer l‟accès aux soins de santé, mais encore faut-il que la qualité de cette offre soit suffisante. Or, la formation actuelle des médecins ne semble pas les préparer à offrir des soins globaux centrés sur le patient (Boelen 2004). La prestation médicale de soins aux individus est peu réactive et de qualité discutable, elle se focalise sur la prise en charge de la maladie et peu sur l‟individu en tant que membre de sa communauté (De Brouwere et Gruénais 2009). Cette situation n‟est pas récente puisque, le débat entre le Ministère de la santé et les facultés de médecine sur la nécessité d‟une réforme des études médicales42 date de plus d‟une dizaine d‟années (De Brouwere et Gruénais 2009, Boelen 2004). 40 Maroc, Recommandations du Forum national sur les soins de santé primaires, 27-29 avril 2009. Ministère de la santé du Royaume du Maroc. 2007. Santé, vision 2020. Rabat, 52 p. Pr Najjia Hajjaj-Hassouni 2009. La médecine Générale dans le projet de réforme des études médicales au Maroc. Présentation lors du forum national sur les soins de santé primaires, Rabat. 41 42 120 Le médecin généraliste au Maroc exerce essentiellement dans les services de santé de base (centre de santé ou cabinet de médecine générale privé) où la majorité des problèmes de soins curatifs (95%) peuvent être pris en charge (De Brouwere et Gruénais, 2009). Cependant, cette pratique de la médecine générale reste critiquée par certains médecins, qui en font le mode d‟exercice de ceux qui ont échoué à faire des études médicales spécialisées et une pratique par défaut non souhaitée. D‟ailleurs, les médecins généralistes sont dépités par une image privilégiant constamment le médecin spécialiste et par le manque de reconnaissance de leur potentiel (Boelen 2004). La création de trois nouvelles facultés de médecine (Marrakech, Fès et Oujda) a permis de renforcer les effectifs des médecins et d‟améliorer la couverture du monde rural en médecins généralistes. Cette augmentation des effectifs médicaux a été accompagnée d‟une féminisation du secteur : actuellement43 les étudiants en médecine en fin de formation (7 ème année) de sexe féminin représentent dans les trois facultés de médecine de Rabat, Casablanca et Fès respectivement 60%, 70% et 65% de l‟ensemble des étudiants. La présente étude descriptive part de l‟hypothèse que la médecine générale est un enjeu stratégique de l‟amélioration de la couverture sanitaire au Maroc. Elle explore la place et le rôle du médecin généraliste praticien de la première ligne dans l‟accès aux soins de santé. Elle analyse également la perception des médecins généralistes praticiens sur leur formation de base : les a-t-elle préparés suffisamment pour répondre aux besoins essentiels de la population, notamment en termes de communication avec la communauté et de soins centrés sur le patient ? Quelles perceptions le médecin généraliste a-t-il de sa profession et de ses conditions de travail? Y a-t-il une différence de perception et de pratique entre les médecins généralistes des deux secteurs, public et privé ? Les questions toucheront aussi aux représentations des jeunes médecins sur la médecine générale et l‟avis des décideurs politiques et des responsables des facultés de médecine. Méthodologie Après un état des lieux de la démographie médicale globale au Maroc (évolution des effectifs et répartition des médecins par région et par secteur), nous avons procédé par des entretiens individuels avec des médecins généralistes des deux secteurs public et privé, des jeunes lauréats de médecine et avec des responsables du Ministère de la santé et des facultés de médecine, notamment Rabat, Fès et Oujda. Pour les étudiants en fin de cursus de formation, nous avons ciblé des lauréats de deux facultés de médecine choisies de manière raisonnée : une ancienne (Rabat) et une récente (Fès). Ces jeunes ne sont pas encore en pratique (privée ou publique) et ne sont pas inscrits en spécialité, ce qui a permis d‟explorer leurs conceptions de la carrière et de la pratique du médecin généraliste, et d‟identifier les conditions d‟acceptation d‟un poste en milieu rural. Nous avons interrogé 10 lauréats par faculté tirés au hasard, pour 60% de sexe féminin, ce qui correspond au sexe ratio des lauréats des deux facultés de médecine pour la promotion 2010. 43 Services des étudiants, facultés de médecine de Casablanca, Rabat et Fès, 2010. 121 Concernant les médecins généralistes expérimentés, nous avons réalisé des entretiens avec 40 médecins généralistes hommes et femmes, du public et du privé, pratiquant en milieu urbain et rural. Le but n‟est pas d‟être statistiquement représentatif mais d‟explorer une vaste gamme de perceptions sur la pratique de la médecine générale : frustrations et plaisirs, réorientations envisagées, conditions de travail, adéquation entre formation de base et besoins du terrain. Nous avons complété l‟étude par des entretiens avec des décideurs du Ministère de la santé relevant aussi bien du niveau central que déconcentré (directeur central, responsables de la gestion des établissements de soins de santé de base et délégués du Ministère de la santé). Des entretiens avec des responsables des facultés de médecines (doyens, vices doyens et professeurs enseignants) ont été réalisés pour analyser leur réponse à la question de la formation et du positionnement de la médecine générale au sein des facultés de médecine. Nous avons utilisé une méthode d'entretiens semi-structurés individuels enregistrés. Chaque entretien était mené selon la même méthodologie sur la base d‟un guide d‟entretien spécifique pour chaque profil. Le corpus des entretiens a été intégralement retranscrit sur support informatique en conservant le plus fidèlement possible la parole des différentes personnes interrogées. Puis les entretiens ont été « déstructurés » pour classer les informations par thèmes. La collecte des données dans les différents sites de l‟étude s‟est déroulée en mars et avril 2011. Les résultats relatifs à la couverture de l‟échantillon de l‟étude et le profil des personnes interrogées sont présentés dans la section suivante. Au cours de l‟enquête, nous avons réalisé 56 entretiens avec les différentes catégories de professionnels. Tableau 15 : Répartition des médecins interrogés selon le profil Profil Nombre réalisés 10 7 12 5 5 8 2 2 5 0 56 Médecins généralistes praticiens Masculin du secteur public Féminin Médecins généralistes praticiens Masculin du secteur privé Féminin Jeunes médecins généralistes Masculin non encore embauchés Féminin Responsables du Ministère de la Masculin santé Féminin Responsables des facultés de Masculin médecine Féminin Total d‟entretiens Cette étude a été généralement bien perçue aussi bien par les acteurs du secteur public que ceux du secteur privé. En effet, elle faisait réagir bon nombre des médecins généralistes publics et la majorité des médecins du secteur libéral qui ont pu dire que « pour une fois » on s‟intéressait à eux, à la pratique de la médecine générale et à leurs conditions de travail. D‟ailleurs, certains entretiens étaient particulièrement chargés en émotion et les enquêtés avaient beaucoup à dire, mentionnant parfois le fait de ne pas avoir d‟espace de dialogue et d‟échange sur leur métier et leurs difficultés. 122 Situation des effectifs au niveau national et au niveau local Au niveau national Depuis l‟indépendance, le Ministère de la santé n‟a cessé de déployer des efforts en matière de couverture sanitaire pour offrir à l‟ensemble de la population des soins de santé de proximité. Ainsi, le Maroc comptait en 200744 18.269 médecins, tout secteur confondu. Cet effectif a connu une évolution importante dans le temps : il a été multiplié par 17, passant de 1096 en 1960 à 18.269 en 2007. Parmi cet effectif, 8.263 médecins (45%) exercent dans le secteur privé et 10.006 médecins (55%) exercent dans le secteur public pour l‟année 2007. Parmi les 18.269 médecins tout secteur confondu, 49,5% sont des généralistes, soit 9.055 médecins et 50,5% sont des spécialistes, soit 9.214 médecins. Pour le secteur public, il y a un peu plus de spécialistes que de généralistes, alors que dans le secteur privé, il y a une réparation à parts égales. Figure 1 : Répartition des médecins généralistes et spécialistes par secteur en 2007 Néanmoins, malgré l‟augmentation des effectifs et de la densité médicale (8,4 médecins pour 100.000 habitants en 1960 ; 58 médecins pour 100.000 habitants en 2008), la proportion de médecins par habitants au Maroc reste inférieure à celle enregistrée dans les pays arabes, estimée en moyenne à 99 médecins pour 100.000 habitants, et largement en dessous de la densité moyenne de l‟OCDE estimée à 300 médecins pour 100.000 habitants (OCDE 2008). L‟Organisation Mondiale de la Santé (OMS) situe le Maroc parmi les 57 pays du monde souffrant d‟une carence aiguë en personnel soignant. En 2007, les effectifs du personnel médical et paramédical offrant des soins directs aux patients au Maroc étaient largement en deçà du seuil critique de 2,5 personnels de soins pour 1.000 habitants, seuil considéré comme nécessaire pour atteindre la couverture pour les interventions essentielles, notamment celles qui sont liées à la réalisation des OMD (Ministère de la santé 2010). L‟initiative nationale de formation de 3.300 médecins par an à l‟horizon 2020, qui prévoit la création de nouvelles facultés de médecine, devrait combler à moyen terme le déficit. 44 Ministère de la santé, DPRF, la démographie médicale et paramédicale à l’horizon 2025. 123 L‟analyse de la structure par sexe montre que 60% des médecins sont de sexe masculin. Pour le secteur public, il y a autant de médecins de sexe féminin que de sexe masculin. En revanche, pour le secteur privé, le nombre d‟hommes est bien supérieur à celui des femmes. . Figure 2 : structure du personnel médical par sexe en 2007 La répartition du personnel médical public par sexe selon les années de services, montre une évolution spectaculaire de la féminisation du secteur, passant de 23,5% pour les anciennes générations (plus de 20 ans de service) à 63,8% pour les jeunes médecins (1 à 4 ans de pratique). Actuellement, dans certaines facultés de médecine, cette tendance s‟accentue, les étudiants de sexe féminin représentant plus de 65% de l‟ensemble des étudiants45. Figure 3 : Répartition des généralistes publics par sexe selon l’ancienneté en 2007 Par ailleurs, l‟analyse de la structure par âge des médecins46 du Ministère de la santé montre que l‟âge moyen est de l‟ordre de 40,7 ans. Une analyse plus détaillée par tranches d‟âge montre une structure relativement jeune pour le personnel médical, étant donné que sept médecins sur dix sont âgés de moins de 45 ans. 45 46 Services des étudiants, facultés de médecine de Casablanca, et Fès, 2010 Les données portant sur les âges des médecins du secteur privé n’étaient pas disponibles 124 Figure 4 : Répartition du personnel médical du secteur public par tranche d’âge en 2008 Selon le tableau ci-dessous, l‟évolution de la démographie des médecins généralistes dans les deux secteurs laisse apparaitre un accroissement de l‟effectif de 6.745 à 9.055 médecins, soit une augmentation annuelle moyenne de l‟ordre de 4% durant la dernière décennie (1999-2007). Cette augmentation reste faible par rapport à la croissance de la population, puisqu‟on est encore en moyenne à un médecin généraliste (tout secteur confondu) pour 3.633 habitants en 2007. Tableau 16 : Évolution des effectifs des médecins généralistes selon les secteurs entre 1999 et 2007 Année Public Privé Total 1999 3 338 3 407 6 745 2000 3 597 3 282 6 879 2001 3 832 3 590 7 422 2002 4 625 3 485 8 110 2003 4 575 3 465 8 040 2004 4 573 3 499 8 072 2005 4 605 3 663 8 268 2006 4 746 3 905 8 651 2007 4 892 4 163 9 055 Source : Ministère de la santé, 2010 On constate que les effectifs des généralistes dans le secteur privé augmentent moins vite que dans le secteur public ; ceci pourrait s‟expliquer en partie par la médicalisation croissante des établissements des soins de santé de base publics. 125 L’inégale répartition des médecins généralistes par région La comparaison entre régions du nombre d‟habitants par médecin généraliste (MG) des deux secteurs montre des disparités régionales flagrantes. En effet, ce ratio varie de 5.452 habitants pour un médecin généraliste dans la région de Taza-Al Hoceima-Taounate à 2.203 habitants par médecin dans la région du Grand Casablanca. Les régions de Rabat-Salé-Zemmour-Zaer et du Grand Casablanca sont les mieux desservies en médecins généralistes avec un effectif de 2.756, soit 32% du total national des médecins généralistes pour une population représentant 20% de la population nationale. Dans le secteur privé, la répartition des généralistes apparaît tout aussi inégale. Les régions du sud sont les moins bien dotées en médecins généralistes privés, et les régions de Casablanca et de Rabat-SaléZemmour-Zaer sont les plus favorisées. En effet, 43% des médecins généralistes privés sont installés dans les villes situées sur l‟axe Rabat-Casablanca. Le tableau ci-dessous, illustre la répartition des médecins généralistes par secteur et par région, ainsi que le nombre d‟habitants par médecin généraliste tout secteur confondu. Malgré l‟augmentation de 34% de l‟effectif global des médecins généralistes entre 1999 et 2007, sa répartition territoriale n‟est donc pas équitable. Il faut noter aussi, que les écarts de répartition des médecins généralistes sont importants non seulement entre les régions mais aussi au sein de la même région. Par exemple pour la région de Rabat-Salé-Zemmour-Zaer, le ratio MG par habitants varie de 1 MG pour 1.400 habitants à Rabat, à 1 MG pour 5.500 habitants dans la province de Khémisset. Pour la région de l‟Oriental, ce ratio oscille de 1 MG pour 3.400 habitants dans la province d‟Oujda à 1 MG pour 6.143 pour la province de Figuig. Tableau 17 : Répartition des médecins généralistes47 par secteur et par région, 2007 Régions Oued Eddahab-Lagouira Laâyoune-BoujdourSakiahamra Guelmim-Essmara Sous-Massa-Daraa Gharb-Chrarda-Beni Hssen Chaouia-Ouardigha Marrakech-Tensift El haouz Oriental Grand Casablanca Rabat-Sale-Zemmor-Zaer Doukkala-abda Tadla-Azilal Meknès-Tafilalet Fes-Boulemane Taza-Al Hoceima-Taounate Tanger-Tétouan National 47 public 40 84 privé 3 15 ensemble 43 99 Nombre habitants par MG 3.512 2.980 142 431 248 248 384 315 494 453 196 150 397 285 241 310 4.418 23 240 212 200 258 257 1249 560 197 129 250 191 91 288 4.163 165 671 460 448 642 572 1.743 1.013 393 279 647 476 332 598 8.581 3.000 4.894 4.196 3.774 5.003 3.414 2.203 2.480 5.168 5.294 3.417 3.489 5.452 4.386 3.633 Hors médecins des CHU et ceux des Collectivités locales. 126 Selon le Ministère de la santé, la faible complémentarité entre les secteurs publics et privés, et l‟offre globale (publique et privée) n‟a pas permis de rétablir l‟équilibre entre les différentes régions, et encore moins entre les différentes provinces pour les services de santé de base (Ministère Santé 2008). Le graphe ci-dessous illustre les disparités dans la répartition des médecins généralistes entre les différentes régions du royaume. Figure 5 : répartition des médecins généralistes entre les différentes régions L‟analyse synthétique de la démographie médicale au Maroc révèle une évolution des effectifs médicaux, une tendance à la féminisation de la profession et une répartition inéquitable des médecins des deux secteurs dans les régions et les provinces du Royaume. Situation des médecins généralistes dans les trois sites de l’étude Le nombre de médecins généralistes dans les trois sites retenus pour l‟étude (Azilal, Salé et Figuig) est respectivement de 74, 225 et 16 médecins généralistes. Tableau 18 : Médecins généralistes dans les trois sites de l‟étude Sites Population Azilal Salé Figuig 521.000 959.000 129.430 Médecins généralistes publics 62 97 12 Médecins généralistes privés 12 128 4 Ratio hbt/MG 7.040 4.262 6.143 Ratio hbt/MG au niveau national 3.633 Délégations du Ministère de la santé aux provinces de Salé, Azilal et Figuig en 2010 127 Il apparait clairement que le ratio habitants/MG dans les deux provinces d‟Azilal et de Figuig est largement supérieur à celui de la préfecture de Salé et à la moyenne nationale. Cela dénote l‟insuffisance relative de la couverture de ces deux provinces en médecins généralistes. La préfecture de Salé à prédominance urbaine dispose d‟une offre privée beaucoup plus importante que les deux autres provinces, ce qui témoigne de son attractivité. Figure 6 : Répartition des médecins généralistes par sexe dans les trois sites en 2011 Source : Délégations du Ministère de la santé L‟analyse de la répartition des médecins généralistes par sexe dans les trois sites montre une légère prédominance féminine avec 167 médecins femmes pour un total de 315 généralistes, soit 53%. Dans le secteur public, la prédominance féminine est remarquable avec 117 médecins, soit 68% des médecins généralistes publics. Tandis que dans le secteur privé, la prédominance est masculine avec 94 médecins, soit 65% des médecins généralistes privés. Points de vue des différents acteurs institutionnels sur le rôle du médecin généraliste Les acteurs du Ministère de la santé Au niveau central, le Ministère de la santé „employeur‟ du médecin généraliste public semble avoir une idée claire du profil et du rôle souhaités pour ce médecin de la première ligne : « ….Nous sommes convaincus de l’importance des soins de santé primaires, et du rôle du médecin généraliste comme porte d’entrée dans le système [de santé]. D’ailleurs, plusieurs projets menés par le Ministère avaient comme objectif le développement et le renforcement du rôle du généraliste au niveau de la première ligne. Récemment, nous avons élaboré un nouveau guide définissant les fonctions et les attributions du médecin généraliste », disait un responsable du Ministère de la santé. 128 Les personnes interrogées sont unanimes sur le fait que le profil du médecin généraliste actuel ne répond pas aux besoins ni à la demande d‟une population en pleine transition démographique et sanitaire : « On n’est pas dans une approche purement médicale, le médecin généraliste devrait être à la frontière entre l’approche biomédicale classique et l’approche de santé publique. Il doit s’intéresser au volet socio-économique et psychoculturel du malade, à sa famille et à son environnement », disait un responsable. Tous les responsables interrogés affirment que la formation de base théorique et pratique du médecin généraliste ne lui permet pas de s‟adapter à la réalité du terrain, du fait que ce dernier ne devrait pas être uniquement un technicien, mais aussi un psychosociologue, un agent de développement communautaire, un gestionnaire et un leader. Ces aspects sont négligés par la formation de base disaient ceux-ci. La médecine est une science humaine et sociale avec des spécificités, selon un responsable du Ministère de la santé. Donc, en plus de l‟approche clinique classique, il y a besoin d‟avoir une approche complémentaire lors de la formation de base qui apprend aux jeunes médecins l‟histoire de la médecine, l‟éthique professionnelle, la sociologie, la psychologie, et l‟humanisation du régime de dispensation des soins. Ce sont ces disciplines qui renforcent l‟humanisme des sciences médicales et qui malheureusement font défaut dans le cursus de formation de base. Sans ces disciplines représentant l‟essence même de la médecine et qui touchent aux valeurs de la santé publique, on tombe facilement dans le piège de dire : « lithiase de la vésicule biliaire …, c’est un corps étranger à opérer, alors que ce calcul n’est qu’une partie d’un problème global à prendre en charge dans toutes ses dimensions », selon un de nos interlocuteurs. Il a été précisé également que les stages pratiques censés développer le savoir-faire du médecin généraliste et le préparer à l‟exercice de sa profession au niveau ambulatoire se déroulent la plupart du temps dans les hôpitaux universitaires qui n‟ont rien à voir avec la pratique ambulatoire : « …d’ailleurs, les patients rencontrés au CHU présentent des problèmes de santé rarement vus à la base de la pyramide du système de santé », disait un responsable. « Je suis persuadé que pour une bonne formation d’un médecin généraliste, les stages tels qu’ils sont organisés actuellement ne sont pas efficaces. Il faut privilégier les centres de santé et l’hôpital de premier recours comme site de stage » (un autre responsable du Ministère de la santé). Les personnes interrogées ont précisé l‟engagement du Ministère de la santé pour relever le défi de la médecine générale au Maroc : « Nous sommes conscients depuis plus d’une dizaine d’années de la nécessité d’une réforme des études médicales et nous avons sollicité l’appui de l’Organisation Mondiale de la Santé et mobiliser des experts canadiens, mais on n’a jamais pu faire aboutir ce dossier », disait un responsable. Ce dernier précisait qu‟une réelle réforme est nécessaire et pas seulement quelques retouches pour ajouter certains modules ou quelques heures d‟économie de la santé, de communication ou un cours d‟anglais, « et dire que nous avons adapté le programme de formation du médecin généraliste ». 129 Malgré la volonté des acteurs du Ministère de la santé, certains facteurs énumérés par les responsables n‟ont pas favorisé le développement de la médecine générale au Maroc. Nous résumons ci-dessous les principaux arguments avancés en la matière. Une profession mal organisée : bien que des petites associations de médecine générale existent, il y a absence de société savante et de fédération de médecine générale donnant de la légitimité scientifique à la profession. Le médecin généraliste n‟a pas été positionné sur le plan règlementaire dans la filière de soins (= il n‟est pas considéré comme un passage obligé vers le spécialiste). Les facultés de médecine, responsables des réformes du cursus de formation médicale, ne se sont pas approprié le dossier. Les différentes réformes du cursus de formation se sont déroulées dans les bureaux des facultés de médecine. L‟implication du Ministère de la santé se limitait à une participation de forme pour la validation des contenus, mais il n‟y a jamais eu de concertation dans la vision pour la définition d‟un profil de médecin généraliste. Par ailleurs, le désaccord de certains professeurs de médecine sur l‟inadéquation de la formation de base du médecin généraliste, mais aussi leur conviction de la bonne qualité de la formation est une autre cause du maintien d‟une formation inadaptée. L‟absence d‟une instance de coordination composée des principaux partenaires qui mettra autour de la même table l‟ensemble des détenteurs d‟enjeu/acteurs/parties prenantes pour définir et se mettre d‟accord sur un profil de médecin généraliste adapté au contexte marocain. Un tel profil ne doit pas se limiter à la dispensation de soins telle que visée par le modèle actuel de la formation, mais doit être capable de prendre en charge les autres aspects primordiaux à savoir la communication, la gestion, la participation et l‟implication dans le développement communautaire afin de permettre à ce médecin généraliste d‟assumer son rôle de principal agent coordonnateur des soins de santé primaires. Sans cette vision claire du profil du médecin généraliste qui tiendra compte de l‟évolution du système de santé et des différents défis que celui-ci aura à relever dans le futur, et sans une implication de tous les acteurs, n‟importe quelle réforme du cursus de formation sera inefficace. Pour les représentants des délégations provinciales et préfectorales de la santé, le rôle du médecin généraliste au niveau ambulatoire est perçu comme primordial : « C’est le pilier du système de soins au niveau déconcentré et le premier interlocuteur avec la population », disait un responsable provincial. L‟initiative prise avec l‟avènement du Régime d‟assistance médicale aux économiquement démunis (RAMED) de rendre obligatoire le passage par le médecin généraliste pour accéder aux soins hospitaliers renforce ce rôle, précisait ce dernier. Par ailleurs, l‟inadéquation de la formation médicale de base du médecin généraliste n‟est pas une priorité des responsables locaux, du fait que cette lacune selon ces derniers pourrait être comblée par la formation continue : « La pratique sur le terrain, ainsi que la formation continue assurée par le Ministère de la santé renforcent les compétences techniques et relationnelles des médecins généralistes », disait un responsable du service d‟infrastructure d‟action ambulatoire provinciale (SIAAP). 130 Néanmoins, les premiers soucis, selon ces responsables, sont d‟une part le recrutement centralisé des médecins qui limite leur marge de manœuvre pour faire des mutations internes, et d‟autre part le problème de la disponibilité et de la stabilité des médecins particulièrement en milieu rural. Un responsable disait que sa priorité est d‟assurer une couverture médicale au niveau provincial et de répondre ainsi à la demande du politique au niveau local. Il a été relevé par nos interlocuteurs que la majorité des médecins généralistes recrutés sont de sexe féminin. Pour le milieu rural, avant même de s‟installer dans le poste où elles sont affectées, les jeunes femmes médecins commencent à réfléchir sur leur départ pour des raisons conjugales, rapporte un responsable provincial. Ce dernier indique que la plupart de ces médecins préparent le résidanat et en quelques mois ou une année au plus tard, s‟inscrivent à une spécialité et quittent la province. Un délégué du Ministère de la santé nous a précisé que cette situation s‟aggrave actuellement, puisque les médecins généralistes non encore embauchés refusent de s‟inscrire au concours de recrutement, malgré la disponibilité de postes budgétaires. Le nombre de candidats au concours serait désormais inférieur au nombre de postes ouverts ; un des médecins interrogés nous a même confié que l‟instauration du concours, après l‟obtention du doctorat en médecine, avec obligation d‟affectation dans une zone rurale dans un premier temps était un des facteurs de désertion de la fonction publique pour les jeunes médecins. Et parmi ceux admis et recrutés en milieu rural, certains refusent de rejoindre leurs postes : soit ils ne prennent pas leur service, soit sitôt sur place et une fois qu‟ils ont pris conscience de leur éloignement par rapport aux grands centres urbains, ils déposent immédiatement un certificat médical, qui sera éventuellement renouvelé, pour justifier leurs absences longues et répétées. Certains iraient même jusqu‟à « s‟enfuir » sans aucune justification, d‟autres, grâce aux appuis dont ils peuvent disposer, nous a-t-on dit, parviennent à faire modifier leur lieu d‟affectation. Les responsables des facultés de médecine Les responsables des facultés de médecine affirment que la formation de base est technique et à visée hospitalière : « Nous formons des généralistes pour l’hôpital et pas à la médecine communautaire », disait un doyen ; il précisait par ailleurs que les facultés de médecine « forment des médecins qui sont parmi les meilleurs du monde. Malheureusement, cette formation néglige les approches de prise en charge psychologique et sociale, et parfois même les aspects de prévention et de promotion de la santé ». D‟ailleurs, le manque de formation en prévention et promotion de la santé est cité par la majorité des acteurs de la faculté : « La prévention fait partie des parents pauvres de l’enseignement universitaire ». Pour un professeur enseignant, ni l‟approche pédagogique de la formation, ni son contenu ne sont adaptés pour la médecine ambulatoire. Le cursus de formation de base est organisé sous forme de micro-spécialités juxtaposées les unes aux autres ; c‟est un « sandwich avec une couche de spécialité » précisait-il, ce qui ne favorise pas le développement des compétences professionnelles que devraient acquérir le médecin généraliste. 131 Par ailleurs, les protocoles thérapeutiques ne sont pas adaptés à la première ligne, ils sont faits pour être appliqués uniquement dans les centres hospitaliers universitaires (CHU), comme disait un doyen de la faculté. Il a été également précisé que la formation de base est assurée par des enseignants spécialistes qui défendent chacun leur discipline et qui veulent que les étudiants soient au courant de la dernière investigation ou protocole thérapeutique applicable au CHU. Alors qu‟il conviendrait que les apprenants soient encadrés par des enseignants au profil disciplinaire correspondant aux apprentissages visés pour le médecin généraliste. La vision claire du Ministère de la santé du profil du médecin souhaité n‟est pas partagée avec l‟institution formatrice, à savoir la faculté de médecine : « Il faut définir le profil du médecin généraliste si on veut que sa formation soit adéquate », confirmait un responsable de la faculté de médecine. L‟absence de définition d‟un profil de poste de médecin généraliste est à l‟origine de sa formation inadaptée par rapport aux besoins de la population. Cette situation est en grande partie due à un manque de coordination et de communication entre les différentes instances impliquées dans le processus de pilotage de la formation (enseignement supérieur, faculté de médecine, Ministère de la santé, associations professionnelles, Conseil de l‟ordre), mais également, à la résistance de certains professeurs enseignants des facultés de médecine pour adapter le programme de formation au profil du médecin généraliste : « Ces derniers ne veulent pas céder des heures d’enseignement consacrées à leur discipline respective, n’intègrent pas non plus des objectifs pédagogiques spécifiques pour la formation du médecin généraliste, et n’acceptent pas l’idée de création d’un département de médecine générale », disait un doyen de la faculté de médecine. L‟ambition de former davantage de médecins pour atteindre les standards, recommandés par l‟OMS, n‟a pas été accompagnée de ressources humaines suffisantes (enseignants, résidents et internes) pour faire fonctionner les CHU et pour l‟encadrement des étudiants. Cette situation entrave également la qualité de la formation, disait un doyen. La nécessité d‟une réforme des études médicales est citée par l‟ensemble des responsables rencontrés. La première réforme date d‟une trentaine d‟années, mais les problèmes (modèle de formation axés essentiellement sur la clinique et les aspects curatifs) qui ont stimulé cette réforme sont encore présents et cela témoigne de l‟inefficacité de cette dernière, rapporte un enseignant. La dernière réforme 48 qui vise l‟adaptation de la formation de base du médecin généraliste date déjà de plus de 5 ans ; « Elle ne répond pas aux aspirations de tous les intervenants, et je la considère mort-né », disait un responsable. Le projet a été développé dans une seule faculté, sans une réelle implication des autres facultés et des autres intervenants. Cet interlocuteur précise par ailleurs que, pour qu‟il y ait une réelle réforme, il faut qu‟elle parte de la base, des praticiens et des utilisateurs. Selon certains enseignants, l‟échec de la dernière réforme est dû au manque d‟une réelle volonté pour promouvoir la formation en médecine générale, à l‟absence d‟un leadership pour mener ce projet, et à l‟absence d‟une masse critique de professeurs enseignants de santé publique, ainsi qu‟à l‟absence d‟une société savante en médecine générale pour positionner et défendre la profession. 48 Cette réforme a introduit un certain nombre de modules d’économie de la santé, de psychosociologie et de médecine communautaire, et prévoit de renforcer les stages dans des structures hospitalières périphériques accrédités avec un encadrement par des praticiens hospitaliers. 132 Synthèse des points de vue des différents acteurs institutionnels Tous les acteurs institutionnels, responsables des facultés de médecine et du Ministère de la santé aux niveaux central et déconcentré déclarent aisément que la formation médicale de base n‟est pas adaptée à la pratique de la profession de médecin généraliste pour répondre aux besoins de la population à l‟échelle de la première ligne. La volonté de changer et d‟adapter le cursus de formation du médecin généraliste est une priorité déclarée par l‟ensemble des acteurs. Cependant, il semble exister une tension et une absence de coordination entre les facultés de médecine et le Ministère de la santé pour définir le profil de médecin généraliste souhaité et adapté pour le contexte marocain : chaque acteur travaille de son côté, et fait appel aux autres à la fin du processus pour une validation de forme. Il a été déclaré que même les facultés de médecine ne collaborent pas ensemble pour définir un programme de formation commun. Chaque faculté se débrouille pour adapter son programme de formation. Certaines maintiennent le contact avec les médecins généralistes après leur formation et identifient avec eux des lacunes dans la formation, alors que d‟autres font appel à de l‟expertise internationale. Le résultat constaté par nos interlocuteurs est l‟échec des différentes réformes des études médicales qui se sont succédé et la persistance d‟un modèle de formation en médecine générale inadapté, chacun rejetant la responsabilité sur l‟autre de ne pas pouvoir relever le défi. Avis des étudiants en fin de cursus de formation médicale La majorité des jeunes médecins jugent la formation de base superficielle (« un peu de tout, mais aucune maitrise », selon des étudiants interrogés), ne permettant pas au médecin généraliste de développer les compétences nécessaires pour la pratique professionnelle. Ils précisent par ailleurs, que les stages se déroulent essentiellement dans les centres hospitaliers universitaires avec un encadrement par des spécialistes. Les rares stages organisés dans les centres de santé et certains hôpitaux provinciaux sont dépourvus de tout encadrement de la part des facultés de médecine et du Ministère de la santé : « Le stage interne est le seul qui se déroule dans les hôpitaux provinciaux, et où on assure essentiellement le service des urgences » (un étudiant). La formation de base favorise et valorise la pratique spécialisée, chaque enseignant positionne sa discipline, et le parent pauvre est la médecine générale qui ne trouve pas de place puisqu‟elle n‟est pas représentée, ni défendue au sein de la faculté, disait un jeune médecin Les jeunes médecins en fin de cursus de formation ont une représentation négative de la médecine générale. En effet, aucun jeune lauréat, parmi les 13 interrogés, n‟opte pour la médecine générale comme choix. La quasi-totalité de ces jeunes médecins (11/13) souhaitent s‟inscrire directement après leur formation académique à une spécialité pour approfondir leurs connaissances dans un domaine précis ; « Je veux être spécialiste, c’est une question de compétence et de valorisation du métier de spécialiste, alors que le médecin généraliste fait un peu de tout, mais ne maitrise rien », avançait un jeune médecin. Seuls deux sur treize préfèrent débuter comme médecin généraliste afin d‟acquérir de l‟expérience professionnelle, non pas par choix de la discipline, mais pour garantir un salaire et 133 gagner en ancienneté dans l‟immédiat, avec l‟intention de suivre une spécialité par la suite. La médecine générale est très mal perçue par ces jeunes lauréats qui la considèrent dévalorisée par tous les acteurs (facultés de médecine, Ministère de la santé, population), comme en témoignent ces propos de trois jeunes lauréats : « C’est la discipline qui se charge du triage et de l’orientation des patients vers les spécialistes » ; « C’est le premier niveau de soins qui offre des soins simples par un médecin généraliste qui a une large responsabilité et une formation insuffisante » ; « C’est la discipline qui se charge de prendre en charge les petits ‘bobos‟ ». Selon ces jeunes médecins, les facultés de médecine développent chez le généraliste un sentiment d‟infériorité devant le spécialiste : « quand les enseignants veulent donner des exemples d’incompétence de certains médecins, dans le domaine de la prise en charge ou en terme d’erreurs médicales, ils l’illustrent par des cas de médecins généralistes ; en plus la médecine générale, au centre hospitalier universitaire, c’est vraiment mal vu ! ». Certains jeunes médecins considèrent la médecine générale comme une discipline « archaïque » puisqu‟elle ne suit pas le développement technologique qui ne cesse d‟avancer. Les jeunes lauréats ont déploré l‟isolement du généraliste dans des zones éloignées avec des conditions de travail et de vie difficiles : « L’affectation du médecin spécialiste se fait, au pire, au niveau d’un centre hospitalier provincial, alors que celle du généraliste se fait actuellement en plein rural, dans le village ou le douar dans des conditions insupportables et loin de sa famille » (un jeune médecin). Enfin le faible niveau de rémunération du médecin généraliste en comparaison avec celui du spécialiste, et le peu d’opportunités pour le premier de faire des heures supplémentaires dans le secteur privé ont été citées régulièrement par d’autres jeunes médecins comme un des inconvénients de l’affectation en milieu éloigné des grands centres urbains : « …le spécialiste gagne sa vie largement mieux qu’un généraliste, pourquoi alors se priver de ce prestige ! », disait un jeune lauréat. Les médecins généralistes du secteur public et privé dans les sites La définition de médecine générale par les médecins Interrogés sur leur définition de la médecine générale, les médecins en activité furent surpris de la question, puisqu‟ils estiment qu‟ils n‟ont pas eu l‟occasion de la définir auparavant : « Lors de notre formation de base, on ne parlait jamais de la médecine générale et de son champ d’intervention », disait un médecin généraliste du secteur privé. Nous avons recueilli une multitude de définitions auprès des médecins, allant d‟une définition négative « le médecin généraliste est celui qui n’est pas spécialiste », en passant par une définition limitant la pratique aux soins curatifs, certains médecins, particulièrement du secteur privé en faisait « l’art de guérir les maladies », pour en arriver à une définition plus large qui responsabilise le médecin généraliste pour une prise en charge globale du patient, et de la communauté dans tous les aspects préventifs, curatifs, promotionnels et d‟éducation : « C’est la discipline polyvalente qui se charge de tous les soins », nous disait un médecin du secteur public, ce dernier précisait qu‟il avait compris cette définition suite à sa pratique de la profession sur le terrain. Certains médecins ont cité régulièrement, la confusion qui entoure le qualificatif « généraliste » qu‟ils considèrent comme 134 l‟équivalent de « tout et rien », ainsi que le flou des frontières de la polyvalence de la médecine générale : « le médecin généraliste est celui qui prend en charge tous les malades sans pour autant connaitre ses limites, ni quand il faut référer ses patients » (un médecin public). Par ailleurs, la similitude entre la médecine générale et une spécialité ou une mini spécialité a été avancée par d‟autres praticiens qui considèrent la médecine générale comme la discipline qui couvre toutes les spécialités, ou qui l‟assimilent à une médecine interne en miniature49. La vision du positionnement et de la valorisation de la médecine générale comme porte d‟entrée n‟est pas partagée par les médecins généralistes qui se considèrent comme des „bouches trous‟ pour le système de santé. « On n’est pas un passage obligé vers le spécialiste, d’ailleurs, on ne connait même pas notre rôle exact ni les limites de notre discipline », disaient des médecins du secteur public. Le médecin généraliste est-il un « spécialiste raté » ? La majorité des médecins interrogés (28/34) déclarent qu‟ils auraient voulu s‟inscrire à une spécialité, du fait que le spécialiste est considéré comme le « véritable médecin » ou comme le « médecin ayant complété ses études » et qui maitrise son domaine d‟intervention. Cette représentation est partagée même par la population qui demande toujours un spécialiste dès qu‟un médecin se présente, disait un généraliste du secteur public. La médecine générale est alors considérée comme une étape pour se spécialiser, et si on n‟y arrive pas pour diverses raisons, on reste généraliste par défaut. De ce fait, la majorité des médecins en cours de formation souhaitent se spécialiser et éviter le statut de médecin généraliste. Une minorité de médecins généralistes, essentiellement du secteur privé (6/34), déclarent avoir choisi la pratique de la médecine générale comme discipline et par vocation. Ces médecins ont la particularité d‟avoir pensé à la médecine générale comme carrière au cours de leurs études médicales, et de la pratiquer dans le secteur privé. « Avant même de terminer mes études, je prospectais les villes et villages à la recherche d’un local pour mon futur cabinet » (médecin privé) ; « Lors de mon stage interné, j’ai remplacé pas mal de médecins généralistes, et là j’ai aimé cette pratique et décidé de me consacrer et d’investir dans cette discipline et ce secteur » (un autre médecin). Les principales raisons avancées par les généralistes pour expliquer leur maintien dans ce statut sont l‟échec au concours de spécialité (15/28), suivi par la nécessité d‟avoir un revenu immédiatement après l‟obtention du diplôme pour subvenir à leurs besoins pour les médecins du secteur public issus d‟un niveau socio-économique peu favorisé (12/28) : un médecin généraliste public disait qu‟il s‟intéressait à la spécialité de dermatologie, mais étant donné son statut social, il avait besoin au plus vite d‟un salaire pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille ; avec le temps, son envie de suivre une spécialité s‟est éteinte, et il se retrouve maintenant généraliste malgré lui. Enfin, la fatigue ou le dégoût liés aux études médicales longues, ou les contraintes familiale (10/28) ont également été évoquées : « Je ne pouvais plus poursuivre mes études, car étant mariée, je voulais donner plus de temps à l’éducation de mes enfants » (une femme médecin du secteur public). Certains de nos interlocuteurs ont déclaré s‟être habitués à la pratique de la médecine générale, et, avec le temps, se sont appropriés la discipline : 49 A l’occasion d’une autre enquête, un médecin du secteur public exerçant à Marrakech nous avait précisé qu’il avait obtenu un diplôme de médecine, et non pas de médecine générale, et qu’il avait le même diplôme initial que les médecins spécialistes. 135 « Dans un premier temps, c’était juste une étape, mais avec le temps, je suis devenu moins ambitieux pour poursuivre des études de spécialité et je me suis consacré davantage à la médecine générale » (un médecin d‟un centre de santé). Malgré l‟ambition initiale de certains médecins généralistes du secteur privé de se spécialiser, tous les généralistes de ce secteur interrogés ne regrettent pas leur situation actuelle et personne ne dit vouloir changer de statut et faire une spécialité, y compris chez les médecins installés dans des centres reculés. A l‟opposé, les généralistes du secteur public souhaitent toujours s‟inscrire à une spécialité, à l‟instar de ce jeune médecin en poste dans la province de Figuig : « J’ai 5 ans de pratique comme généraliste dans ce centre de santé, et si j’ai l’occasion d’être admis à une spécialité, je n’hésite pas une seconde pour changer mon statut ». Point de vue des médecins sur leur formation Malgré les quelques années de pratique et d‟expérience, les médecins généralistes des deux secteurs ressentent toujours des insuffisances de formation dans des domaines divers pour la prise en charge des besoins de la population au niveau ambulatoire : « [Il y a] des compétences essentielles [à acquérir] pour le médecin généraliste qui ne sont pas du tout ciblées par la formation de base », disait un médecin du secteur public. « La formation médicale de base au Maroc te permet d’avoir le titre de docteur en médecine et surtout pas d’être un médecin généraliste qui nécessite des compétences et des habiletés spécifiques, afin d’exercer au niveau d’un cabinet de médecine générale » (un médecin du secteur privé). Ce médecin a ajouté par ailleurs, qu‟il y a un grand écart entre ce que reçoit le médecin généraliste comme enseignement et ce qu‟il utilise réellement sur le terrain : « Notre formation n’est pas spécifique, elle touche à toutes les spécialités. On est même trop formé par rapport à ce qu’on utilise dans notre pratique » (médecin privé). Un autre médecin du secteur public nous confiait que « La faculté de médecine vise la formation des médecins spécialistes. C’est en pratiquant comme médecin généraliste qu’on découvre le métier, et qu’on s’aperçoit de nos insuffisances en formation » ; il a précisé que « le fait d’être formé par des médecins spécialistes, qui ne valorisent que leurs disciplines, n’est surtout pas en faveur de la bonne formation du médecin généraliste ». Ce sentiment d‟une formation de base fragmentée est partagé par les médecins du secteur privé. « La formation de base cible les organes de façon séparée, alors que le médecin généraliste centre les soins sur la personne. Ce qui lui manque, c’est le raisonnement médical lui permettant de prendre en charge le patient dans toutes ses dimensions physique, psycho-sociale et économique » (un médecin du secteur privé). Le sentiment de fierté ressenti par le jeune médecin à la fin du cursus de formation est rapidement remplacé par la déception dès qu‟il commence à pratiquer la médecine générale. « Quand on m’a remis le diplôme de docteur en médecine, je croyais être un bon omnipraticien, mais la réalité de la pratique dans un centre de santé, à laquelle je n’étais pas habitué, ni préparé m’a surpris » (un médecin d‟un centre de santé communal). Ce médecin, comme la majorité de ses confrères, rappelait par ailleurs, sa panique devant son premier patient diabétique, et son incapacité de le prendre en charge. Même les rares médecins qui ont qualifié la 136 formation de base de correcte se rappellent avec précision de leurs premiers malades, et de l‟incertitude de la conduite à tenir devant ces patients, parce que, disent-ils, ils n‟étaient pas habitués à travailler seuls et sans moyens d‟explorations complémentaires : « … oui, je me rappelle bien de mon premier patient, je n’étais pas certains du diagnostic et je ne savais pas comment traiter, heureusement que nous avons des infirmiers 50 rodés et qui nous aident au début de notre carrière » (médecin public). Les principales raisons à l‟origine de l‟insuffisance et de l‟inadéquation de la formation de base selon les médecins, sont en rapport avec la qualité de la formation médicale sur le plan théorique et pratique : « La formation de base est orientée vers le diagnostic et le traitement, alors qu’on gère au quotidien des problèmes d’ordre social plus que médical, les gens n’ont pas les moyens, ils ont d’autres priorités dans la vie. Pour ce volet on n’a pas été formé » précisait un médecin public. Aussi la formation est orientée essentiellement vers « l’intervention plutôt que la prévention ou la promotion de la santé » (un médecin du secteur libéral). « La particularité du médecin généraliste, c’est qu’il traite et suit ses patients. Il les prend en charge sur une longue durée. Il a donc besoin d’être polyvalent, pour appliquer différentes approches selon la situation. Parfois c’est le curatif, parfois c’est le suivi d’une maladie chronique ou les soins palliatifs, d’autres fois c’est le préventif ou la promotion de la santé. Ce dont on a besoin, comme médecin généraliste, c’est d’être capable de faire tout ça. En plus, il faut parfois orienter et guider le patient dans la filière de soins. C’est ça le vrai rôle du médecin généraliste, pour lequel on n’est surtout pas préparé » (un médecin généraliste public). Une autre lacune dans la formation citée par les médecins est en rapport avec les stages pratiques censés développer le savoir-faire du médecin généraliste et le préparer à l‟exercice de sa profession. Ils se déroulent la plupart du temps dans les hôpitaux universitaires qui n‟ont rien à voir avec la pratique ambulatoire, et les patients rencontrés au CHU présentent des problèmes de santé rarement vus à la base de la pyramide du système de santé, qui doivent être pris en charge en l‟absence des moyens d‟exploration complémentaire sophistiqués disponibles dans les CHU. « Nos stages se déroulent au niveau du sommet de la pyramide du système de soins, on nous fait croire que le bon médecin est celui qui a accès à la technologie médicale. Alors, que le médecin généraliste travaille au niveau de la première ligne désarmé [loin de la technologie], se sent frustré, et a l’impression de faire autre chose que la médecine » (un médecin public). En plus, les patients admis au niveau du CHU sont sélectionnés et rarement vu au niveau ambulatoire : « Les malades diabétiques que j’ai vus lors de mes stages hospitaliers présentaient tous des complications, j’ai même appris à faire l’amputation d’une gangrène. Cependant, j’ai rarement eu l’opportunité d’examiner un diabétique non compliqué et 50 Ce recours des nouveaux médecins qui viennent de prendre leur poste dans un centre de santé aux infirmiers en place pour une aide à la prise en charge des premiers patients consultés est un discours récurrent, mais pas nécessairement partagé par tous. Dans l’étude qui concernait Marrakech déjà évoquée dans une note précédente, et alors que nous posions la question sur le premier patient, un médecin nous répondait qu’il était impossible qu’il puisse demander de l’aide aux infirmiers, étant donné la différence de statut entre les deux corps : la demande d’une aide aux infirmiers était considérée comme un aveu de faiblesse, de manque de connaissances, impossible à assumer pour un médecin qui était dans une position hiérarchique supérieure aux infirmiers. 137 de le prendre en charge. C’est pourtant, une activité quotidienne de la pratique d’un médecin généraliste » (un médecin public). Les modalités d‟organisation et de fonctionnement de ces stages sont critiquées par certains médecins : « Les rares stages qui se déroulent dans les hôpitaux provinciaux, et les centres de santé se font sans objectifs pédagogiques et sans encadrement » (un médecin privé). Les principaux modules manquant dans la formation de base, selon les médecins généralistes interrogés sont, la communication interpersonnelle ou institutionnelle, la gestion du cabinet médical (comptabilité/fiscalité) ou du centre de santé (gestion des ressources humaines et matérielle), les approches de participation communautaire ainsi que la connaissance et gestion des programmes de santé publique du Ministère de la santé. Certains praticiens du secteur privé ont évoqué la nécessité d‟un module spécifique de petite chirurgie et sur « les gestes qui sauvent ». Par ailleurs, la formation en échographie générale pour l‟omnipraticien est une demande récurrente des généralistes des deux secteurs, sachant que la majorité des généralistes privés rencontrés ont suivi un diplôme universitaire en échographie générale contrairement aux médecins des centres de santé publics. Afin de combler l‟insuffisance de formation dans les domaines mentionnés cidessus et pour renforcer les compétences professionnelles, les généralistes du secteur privé développent l‟autoformation particulièrement en ayant recours à internet et grâce à leurs abonnements à des revues médicales ; ils s‟organisent également parfois en associations pour des séances de formation continue et des journées scientifiques. Les praticiens du secteur public comptent presque exclusivement sur la formation continue proposée et assurée par le Ministère de la santé. A de rares exceptions (initiatives prises par certains délégués du Ministère de la santé pour impliquer les généralistes privés dans certains programmes de formation), il n‟y a aucune coordination ou d‟interactions entre les deux secteurs dans les manifestations de formation continue : « Nos confrères du secteur public bénéficient de pas mal de formations sur des actualités en santé publique (grippe H1N1, vaccination, etc.), mais on n’est jamais invités à participer à ces séances, pourtant le secteur public nous sollicite pour la surveillance épidémiologique de certaines maladies» (médecin privé). La formation continue du secteur public est orientée vers les programmes de santé publique, avec une prédominance sur des aspects de prévention et de gestion : « Les malades chroniques représentent une part importante de nos consultations, et au lieu d’organiser des formations continues sur les modalités de prise en charge cliniques des patients, le Ministère priorise les modalités de gestion des programmes » (médecin public). Le secteur privé, pour sa part, vise essentiellement les soins curatifs et fait appel à des firmes pharmaceutiques pour financier l‟expertise et l‟organisation des manifestations de formation. Choix du secteur de pratique : public versus privé Nous avons demandé à l‟ensemble des médecins généralistes publics et privés leurs raisons du choix de l‟un ou de l‟autre secteur. Sur les 17 médecins du secteur privé, 12 se sont installés immédiatement après leur formation. Les 5 autres ont choisi le secteur public comme première étape avant de rejoindre le privé. 138 L‟absence d‟une bureaucratie, le choix du lieu de travail, le contrôle de l‟acquisition de la technologie et de sa maintenance, un cadre et des conditions de travail plus agréable, une meilleure organisation des soins (système de rendez-vous et nombre limité des consultations par jour) permettant une communication adéquate avec les patients, une qualité des prestations de soins, un respect de la prestation par la population, et enfin une meilleure rémunération sont les principales raisons avancées par les médecins généralistes de leur choix du secteur privé : « J’ai l’équipement technique de base et je prends tout le temps nécessaire pour prendre en charge adéquatement mes patients, en plus, je gagne bien ma vie », disait un médecin privé ; « Je n’ai pas de soucis en rapport avec l’horaire, je peux rester le soir, jusqu’à 20 heures pour prendre en charge mes patients. C’est une question de satisfaction des demandes de mes clients », déclarait un autre médecin privé. Un médecin qui a commencé sa carrière dans le secteur public, rapportait que les patients utilisaient le centre de santé essentiellement pour obtenir des médicaments, et ne valorisaient surtout pas la prestation médicale publique. Le qualificatif de « médecin distributeur de médicaments » est avancé par l‟ensemble des médecins du secteur public interrogés. Ces médecins ont préféré un passage par le secteur public avant de s‟installer dans le privé, et ce pour acquérir de l‟expérience professionnelle et une clientèle. Parmi les avantages de la pratique dans le secteur libéral, un médecin privé rapporte que « en plus de l’autonomie du médecin et de la rémunération dépassant de loin le salaire du médecin généraliste public, j’ai l’impression que la population nous considère comme des spécialistes ». La crainte d‟investir dans le privé, le manque de moyens financiers, la disponibilité de temps, et un salaire garanti sont les principales raisons invoquées par les médecins généralistes publics pour le choix de leur secteur de pratique : « J’ai choisi le secteur public pour une raison de disponibilité de temps, et de garantie de salaire, pour le privé on n’a pratiquement pas le temps, en tant que femme, je n’aurais pas de temps pour ma vie privée » (un médecin femme) ; « Je n’avais pas l’expérience suffisante pour travailler seul dans un cabinet privé et je n’étais pas certains de réussir cet investissement. J’ai préféré alors travailler dans le secteur public avec au moins une garantie de salaire » (médecin public). Points de vue sur la pratique du métier : une pratique non valorisée Le manque de reconnaissance et de valorisation des médecins généralistes, aussi bien par le niveau central que déconcentré a été cité à plusieurs reprises par les praticiens du secteur public. « Il y a un manque de considération pour le personnel par nos responsables. Lors de mon affectation au niveau du centre de santé, je n’étais pas introduit officiellement aux autorités locales, je n’étais même pas accompagné pour me présenter à l’équipe du centre de santé, et lorsque je suis arrivé dans mon centre de santé, l’infirmier n’était pas prévenu et m’a pris pour un patient » (un médecin public). Aussi, certains praticiens publics surpris de notre passage dans leur lieu de travail reculé soulignaient que depuis leur affectation ils n‟ont jamais été supervisés, ni visités par les responsables locaux. Certains généralistes du public estiment qu‟ils ne font pas de la médecine mais uniquement du social, et traitent leurs patients de « faux malades ». En dehors des aspects préventifs liés à la santé de la mère et de l‟enfant, les médecins du secteur public considèrent que les patients utilisent le centre de santé essentiellement pour obtenir des médicaments, et sous estiment la prestation curative médicale. D‟ailleurs, l‟expression populaire qui dit « je n’ai vu rien qu’un 139 médecin généraliste…. » le prouve, disait un médecin du secteur public. D‟autres médecins ont rapporté que si le médicament n‟est pas disponible, certains patients déchirent même l‟ordonnance devant eux. Ce sentiment de dévalorisation de la prestation médicale par la population a été rapporté régulièrement par les généralistes publics. « …si j’avais de l’argent pour acheter les médicaments, je ne viendrais pas au centre de santé, j’irais consulter chez un médecin privé », disait un patient à un médecin. La gratuité pour tous et pour tout est ressentie comme étant un des éléments de dévalorisation des prestations et des médicaments délivrés par les centres de santé. Les patients viennent dans les centres de santé publics uniquement pour prendre des médicaments, entend-on dire régulièrement chez les personnels soignants du secteur public, éventuellement après avoir consulté un médecin du secteur privé, faisant donc peu de cas de la prestations du médecin exerçant dans le centre public. Néanmoins, les médecins généralistes du secteur libéral ne partagent pas ce constat puisqu‟ils confirment que la qualité relationnelle et de la prestation curative sont les principales raisons qui expliquent le recours de la population à leur cabinet : « Avec le temps, une relation de confiance et de respect mutuel se développe avec mes patients, c’est le système de santé qui ne positionne pas et ne valorise pas le métier du généraliste » (un médecin privé) ;« J’ai développé une patientèle avec laquelle je m’entends très bien ; ceux avec qui je ne m’entendais pas ne sont pas revenus ! » (un autre médecin privé). Les médecins du secteur privé confirment ne pas donner d‟importance à la prévention, et ceci est dû essentiellement au manque de demande et d‟intérêt du patient pour la prévention d‟une part, et au manque de rémunération pour le temps consacré à cette activité d‟autre part. Par ailleurs, les médecins généralistes des deux secteurs affirment que la pratique de la discipline n‟est ni organisée (absence d‟une solide association nationale de médecine générale), ni médiatisée (manque d‟information du grand public du rôle et des compétences du MG), ni valorisée dans les discours officiels qui focalisent essentiellement sur la médecine universitaire hyperspécialisée. Les médecins des deux secteurs constatent une détérioration de l‟image sociale du MG et de son statut en comparaison avec celui du spécialiste. « Autrefois, nos aînés avaient une position sociale plus élevée et vivaient dans des conditions matérielles plus luxueuses. Depuis les vingt dernières années, l’image du médecin généraliste, voire même son prestige, s’est détériorée » (médecin public). Conditions de travail La majorité des médecins du secteur public évoquent une charge de travail importante dans les centres de santé et justifient le défaut de communication ou le mauvais examen physique des patients par le manque de temps : « Trop de patients par jour, et obligé de les voir tous ; on n’a plus le temps pour offrir des prestations de qualité » ; « La prise en charge des préoccupations du patient, si ces dernières diffèrent du souci médical, est secondaire » (médecins publics). Cependant nous avons pu observer lors de nos visites dans certains centres de santé que la consultation curative médicale commence généralement vers 9h30 et se termine vers 12h30. En fait, les médecins généralistes du secteur public, notamment dans les zones reculées, sont parfois peu disponibles. On cite régulièrement, y compris chez les autorités locales rencontrées au cours de l‟étude, le problème de la 140 féminisation de la profession avec les absences dues aux congés de maternité ou encore la tolérance des absences vis-à-vis de femmes médecins désireuses de rejoindre mari et enfants et qui résident loin du lieu d‟affectation de celles-ci. Il s‟agit là d‟une hypothèse difficile à prouver51, et au cours de l‟étude nous avons pu constater la présence effective de femmes (médecins, infirmières, sages femmes) dans plusieurs centres de santé et dispensaires situés parfois dans des zones très isolées. Cette féminisation de la profession médicale limite les possibilités d‟affectation dans les lieux les plus reculés en milieu rural et serait une des causes de l‟instabilité du médecin femme qui cherche continuellement le regroupement familial. Soulignons, à propos de l‟absentéisme, que nous avons pu aussi parfois constater lors de nos visites sur le terrain que certains centres de santé médicalisés étaient fermés dans la journée, y compris des centres dont les personnels étaient des hommes. La pénurie de personnels peut aussi conduire certains médecins en poste à ne pas vouloir ou ne pas pouvoir se rendre disponibles, et éviter de combler par un surtravail les absences. Les médecins sont amenés à s‟absenter pour des raisons de service, pour des formations, ou pour participer aux équipes mobiles. Ils peuvent aussi avoir à se reposer et prendre des congés ; un pacha d‟une des localités nous confiait : « Il faut comprendre les médecins, ils ne peuvent pas travailler 24h/24. Le médecin arrive en retard parce que la veille il a reçu un malade à 3 heures du matin ; ils doivent faire la garde, s’occuper de la santé scolaire, de l’équipe mobile, etc. Ils ont raison [de ne pas toujours répondre aux sollicitations] ». Les absences justifiées, le temps de récupération, dans un contexte de pénurie locale de personnel, font que les patients se rendent alors au centre de santé sans pouvoir rencontrer de médecin. L‟absence de communication et le manque de collaboration entre les médecins généralistes et spécialistes est une autre contrainte pour assurer la continuité et la qualité des soins aux patients. « Quand je réfère mes patients, je le fais avec une fiche de liaison sollicitant systématiquement le feedback du spécialiste que je ne reçois que très rarement», disait un médecin du secteur public. Ce dernier a précisé par ailleurs que la référence des patients vers les centres de diagnostic pour avis spécialisé, représente en soi un problème, puisqu‟il doit impérativement respecter le calendrier des consultations spécialisées de l‟hôpital provincial. Le niveau d‟équipement des structures de soins publics est diversement apprécié. Il est souvent jugé insatisfaisant, ne permettant pas de poser un « vrai diagnostic », ce qui est à l‟origine de l‟insatisfaction et de la démotivation des médecins généralistes : « La population exige un minimum d’examens complémentaires, ici comme vous le voyez, je travaille avec un stéthoscope et mes mains », et cela retentit évidemment sur la qualité relationnelle et de la prestation médicale; «Généralement, on travaille avec un stéthoscope et un appareil pour la tension, alors que le glucomètre, l’électrocardiographe et l’échographe sont devenus des examens routiniers, et doivent être à la portée du médecin généraliste », disait des médecins généralistes publics. Néanmoins, les centres de santé avec module d‟accouchement, que l‟on trouve très majoritairement plutôt dans les centres de 51 Une étude menée à l’hôpital de Mohammedia sur l’absentéisme a montré que si les femmes, parmi le personnel de santé de cet hôpital, avait tendance à s’absenter davantage que les hommes, l’absentéisme des femmes étaient aussi fonction de la charge familiale et qu’il y avait bien d’autres facteurs à l’absentéisme comme l’âge ou le statut du personnel (M. Elhousni, Absence et absentéisme du personnel de santé : cas de l’Hôpital My Abdellah Mohammedia, Rabat, INAS, 2010). 141 Figuig et d‟Azilal52, ont été dotés d‟échographes dans le cadre du programme de lutte contre la mortalité maternelle. Or, nous avons pu constater que dans la majorité des cas ces échographes n‟étaient pas utilisés faute de formation des personnels de santé, formation qui demanderait deux ans selon nos interlocuteurs. Néanmoins, quelques rares médecins rencontrés en milieu urbain avaient bénéficié d‟une telle formation, parfois à leur propre frais, d‟autres avaient appris seuls à utiliser l‟échographe pour le suivi des grossesses53. L‟étude menée par Gruénais et al. (2008) confirme que l‟amélioration des conditions de travail (plateau technique, agrément et mobilier) est considérée comme une priorité par les délégués et les directeurs d‟hôpitaux pour motiver les personnels de santé et favoriser l‟accès aux prestataires de soins. Conditions de vie L‟instabilité des médecins généralistes du secteur public est une caractéristique des deux provinces d‟Azilal et de Figuig. Ce phénomène ne favorise ni le développement du système de santé ambulatoire au niveau local, ni l‟intégration du médecin généraliste au niveau communautaire. L‟isolement et le manque ou l‟insuffisance d‟une infrastructure de base (route, eau, électricité, connexion internet…) ont été cités par la majorité des médecins pratiquant en milieu rural comme une limite qui entrave leur stabilité et celle de leur famille dans leur lieu d‟affectation : « Je ne peux pas vivre sur place avec une telle infrastructure, j’ai des enfants scolarisés et le niveau d’éducation scolaire reste faible dans le rural, je dois absolument rentrer en ville», disait un médecin généraliste. « Pour arriver au centre de santé, j’ai au moins une dizaine de kilomètres de piste à parcourir. Les moyens de mobilité disponible et que j’utilise pour y accéder sont lamentables et sans aucune assurance (camion et fourgonnette) » (médecin femme). Les médecins acceptant de travailler dans une zone reculée ont peu d‟avantages. Dans certains cas, les logements mis à leur disposition sont si vétustes, et si peu sûrs, à entendre les médecins, qu‟ils sont contraints de louer un logement sur leurs fonds propres. Les primes dont ils peuvent bénéficier (300 MAD/mois, selon nos interlocuteurs) sont jugées très insuffisantes, et ne compensent pas le manque à gagner lié à la location du logement ou encore au coût du transport pour aller rejoindre sa famille durant le week-end. La motivation principale avancée pour accepter de travailler dans une zone reculée est le nombre de points élevés liés à un poste en zones reculées ; un nombre de points important acquis rapidement permet de pouvoir demander une mutation au plus tôt avec un choix diversifié quant au nouveau poste d‟affectation par rapport aux personnels affectés dans des zones moins « enclavées ». Mais, aux dires d‟un secrétaire général d‟une des provinces, « Il faudrait au moins une prime de 5000 MAD pour retenir les médecins. Travailler un an à X, c’est comme travailler 5 ans à Marrakech ». Les seuls médecins interrogés qui se plaignent le moins des conditions de vie, et s‟adaptent facilement au contexte rural et sont disponibles, sont ceux originaires de la campagne, ou de la région du site de leur affectation : « Moi j’ai grandi dans ce 52 A Salé, parmi les centres auxquels nous nous sommes plus particulièrement intéressés, seul le centre de Bouknadel qui, il y a peu, était encore considéré comme un centre de santé rural, disposait d’un module d’accouchement. 53 Dans un des centres de santé qui disposait d’un échographe, on nous a informé que le médecin chef avait bien reçu une formation en échographie mais qu’il ne voulait pas en faire dans son centre et préférait renvoyer systématiquement les femmes enceintes qu’il recevait vers le secteur privé pour réaliser l’examen. 142 village, et je me suis habitué à ces conditions de vie. Néanmoins, ma seule contrainte est en rapport avec la population qui exige ma disponibilité 7 jours sur 7, le jour comme la nuit, du fait que je suis un des leurs » (un médecin public). Ce constat est en parfaite concordance avec la recommandation de l‟OMS 54 sur l‟utilisation des politiques d'admissions ciblées pour accueillir des étudiants d'origine rurale afin d‟accroître l'accès aux personnels de santé dans les zones rurales ou reculées grâce à une meilleure fidélisation. Actuellement, la profession de la médecine générale devient de moins en moins attractive étant donné les conditions de travail et de vie dans des zones éloignées des grands centres urbains. En effet, les généralistes nouvellement embauchés dans la fonction publique refusent parfois de signer la prise de service et de rejoindre leurs postes dès qu‟ils visitent leur site de travail. Ceci à cause de l‟éloignement et des mauvaises conditions de vie. La motivation principale qui permet le maintien de jeunes médecins généralistes en milieu rural est, paradoxalement, leur certitude d‟un mouvement rapide suite à leur passage dans des centres « enclavés » du fait des points accumulés dans ces zones. Conclusion Il est important de constater que l‟ensemble des parties consultées, acteurs institutionnels, responsables des facultés de médecine et du Ministère de la santé ainsi que les médecins généralistes praticiens des deux secteurs, ont manifesté une similitude de vues quant au modèle actuel de la formation médicale de base inadapté pour les besoins de la première ligne. Ces résultats sur l‟inadéquation de la formation avec les besoins du terrain, ne sont pas nouveaux, puisque d‟autres études réalisées auparavant au Maroc ont conclu aux mêmes constats (De Brouwere et Gruénais 2009, Boelen 2004). Cela révèle une absence d‟évolution du cursus de formation. D‟autant plus que les facultés de médecine au Maroc développent chez le généraliste un sentiment d‟infériorité devant le spécialiste, si l‟on en juge par les propos recueillis. L‟importance de la médecine générale dans le système de santé soulignée par les responsables du Ministère contraste avec la place qu‟elle occupe en tant que discipline au sein des facultés de médecine. L‟enseignement de ses contenus spécifiques ne trouve pas pour le moment la place qu'elle mérite dans les facultés de médecine. Cette situation s‟explique par le fait que la médecine générale, en tant que discipline spécifique et académique, n‟est pas encore reconnue au Maroc. Les définitions de la médecine générale, proposées par les généralistes interrogés sont pour la plupart restreintes à la prise en charge clinique des patients, de rares généralistes expérimentés du secteur public ont avancé une définition qui se rapproche de celle proposée par la WONCA en 2002, qui considère le médecin généraliste comme celui chargé de dispenser des soins globaux et continus à tous ceux qui le souhaitent indépendamment de leur âge, de leur sexe et de leur maladie. Il soigne les personnes dans leur contexte familial, communautaire, culturel et toujours dans le respect de leur autonomie. Il accepte d‟avoir également une responsabilité professionnelle de santé publique envers sa communauté. Dans la négociation des modalités de prise en charge avec ses patients, il intègre les dimensions physique, psychologique, sociale, culturelle et existentielle, mettant à 54 Rapport OMS. 2010. Recommandations pour une politique mondiale. Accroître l'accès aux personnels de santé dans les zones rurales ou reculées grâce à une meilleure fidélisation 143 profit la connaissance et la confiance engendrées par des contacts répétés (Wonca 2002). Le flou qui entoure le terme « généraliste » relevé par les praticiens interrogés est décrit par plusieurs auteurs qui considèrent que la médecine générale est une destination incertaine (Bloy et Schweyer 2010, Levasseur 2004, Van Dormael 2001). Bloy et Schweyer considèrent que le flou du qualitatif de « généraliste » accroit la difficulté de la pratique de la médecine générale. En effet, le sentiment fort d‟appartenance et d‟identification à un groupe professionnel renforce la motivation pour le travail, la qualité de la prestation, la relation avec les usagers et la valorisation du métier (Van Dormael 2001). Le choix par défaut de la médecine générale, et ce flou qui entoure les frontières de cette discipline, comme disaient certains médecins, sont à l‟origine du manque d‟une identité professionnelle spécifique, distincte de celle du spécialiste et source de reconnaissance sociale. Cette situation n‟est pas spécifique au contexte marocain, puisque les médecins généralistes en Europe au milieu du 20 ème siècle, ont été aussi dénigrés par la population, par leurs collègues spécialistes et par les universitaires, et ont développé au fil du temps une crise d‟identité professionnelle. La dévalorisation de la médecine générale annoncée par les jeunes médecins et les praticiens des deux secteurs est ressentie également en Europe : en France par exemple, ce métier a perdu de son lustre et n‟attire plus la jeune relève. Le travail est devenu complexe, la bureaucratie très lourde, si bien que, en faculté de médecine, des sièges réservés aux futurs médecins de famille restent vides (Beaulieu et al. 2005). Des facteurs similaires influent sur le choix de la spécialité des étudiants, notamment les valeurs négatives véhiculées par la faculté, les conditions de travail difficiles, les tâches routinières de la médecine générale et enfin le statut et le revenus inférieurs par rapport aux autres spécialistes (Centre Fédéral d‟Expertise des Soins de Santé 2008, Cazelles-Bou 2010). Ce sentiment est partagé par les médecins généralistes en Grande Bretagne qui se plaignaient de ne traiter que les problèmes « banals » et d‟être écartés de la « vraie médecine » qui se pratique à l‟hôpital, lieu de concentration de la technologie (Van Dormael 2001). Cette situation émane du fait que les bases de la légitimité des professionnels en soins de santé résident principalement dans le paradigme biomédical, qui valorise l‟usage de la technologie, l‟hôpital comme lieu privilégié des soins, et la spécialisation des praticiens (Van Dormael 2001). On observe l‟existence de contraintes importantes pour un accès à des soins publics de première ligne qui soient facilement disponibles, et de qualité avérée. Cet handicap tient à de multiples causes, parmi lesquelles on citera, un sous-équipement des structures sanitaires publiques, un déficit de qualification des généralistes par manque de formation appropriée, l‟instabilité et la non disponibilité des médecins du secteur public particulièrement au niveau rural. La médicalisation des centres de santé a amélioré l‟utilisation des formations sanitaires de base. Malheureusement, cette médicalisation n‟a pas été suivie des mesures d‟accompagnement nécessaires (en particulier : les conditions de travail, les moyens de motivation pour le médecin et le plateau technique adapté). Ces facteurs ont constitué les points faibles de la médicalisation en milieu rural qui s‟est traduite par une instabilité du médecin et l‟absence de son implication dans les problèmes du monde rural en particulier (Belghiti et Hachri 2007). 144 La nature des relations entre usagers et personnels de santé joue un rôle important dans l‟accès aux soins (Obrist et al. 2007). La qualité de cette relation est une des attentes de la population vis-à-vis du médecin généraliste, et qui se résume à une bonne communication, un bon accueil, un plateau technique satisfaisant, une disponibilité des médicaments, des soins personnalisés et une meilleure disponibilité temporelle du MG (Belqari 2004). Notre étude a analysé la perception de la profession de médecin généraliste selon différentes perspectives, mais tous les résultats convergent. Ils mettent en lumière de nombreux facteurs qui influencent la disponibilité et la qualité de la prestation médicale. La formation de base inadaptée, le choix de la pratique généralement par défaut, ainsi que la perception négative des conditions de travail du médecin généraliste qui créent un déséquilibre entre vie professionnelle et vie privée sont les principales raisons énumérées comme étant responsables de cette situation. C‟est ainsi, lorsqu‟un un patient est conscient de sa souffrance et surmonte l‟ensemble des obstacles physiques, culturels et financiers et décide de chercher des soins modernes, la garantie de trouver un médecin généraliste public disponible n‟est pas toujours assurée, notamment en milieu rural et dans les centres secondaires. De plus, une fois cet obstacle dépassé, la qualité relationnelle et de la prestation médicale ne permet pas toujours de développer une relation de confiance dans la prestation et le service offert. 145 Références Beaulieu M.D. et al. (2005) La collaboration entre médecins de famille et médecins spécialistes. Pratique souhaitée/pratique réelle : le grand écart, Montréal. Belghiti A. (2007) Démographie médicale au Maroc. Etat des lieux, Document de travail interne, Direction des hôpitaux et des soins ambulatoires, Rabat, Ministère de la santé. Belghiti A. & Hachri H. (2007) Évaluation de la performance des soins de santé primaires au Maroc, Rapport de consultation. Rabat, Organisation Mondiale de la Santé - Région de la Méditerranée Orientale (EMRO). Belqari N. (2004) Le médecin généraliste au niveau des services de santé de premier échelon : perception et attentes de la population vis-à-vis de son rôle (cas de la ville de Rabat), Mémoire INAS, Rabat. Bloy G. & Schweyer F. eds. 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Wonca Europe (2002) The European definition of general practice / family medicine. Wonca Europe – Genève. 147 Chapitre - 6 Enquête quantitative sur l’accès aux soins auprès de la population Résultats par site Mohamed Amine & Vincent De Brouwere Le but du système de santé d‟un pays est d‟abord d‟améliorer le niveau de santé de manière équitable pour l‟ensemble de la population(WHO 2000). C‟est aussi de protéger les plus vulnérables contre le risque social et financier (éviter que les dépenses de santé soient « catastrophiques »). A ce titre, l‟OMS considère que la réactivité du système de santé (sa capacité à répondre aux attentes de la population quant à la façon dont elle souhaite être traitée par les prestataires de soins) et l‟amélioration de son efficience sont pareillement des résultats attendus (Frenk 2010 ; Murray & Frenk 2000). Ces résultats sont atteints grâce à un accès à des soins de santé de qualité et sans risque pour les patients. Du côté de l‟offre, le Ministère de la santé du Royaume du Maroc a progressivement étendu la couverture de services de santé de base et son niveau de qualité en médicalisant les équipes de soins de première ligne et en les équipant. Un programme national d‟assurance qualité a été mis en place en 1999 après une longue réflexion dans les années 1990 sur les processus d‟amélioration de la qualité des soins55. Depuis 2007, le „Concours qualité‟ apprécie les services de santé publics et les classent selon leur niveau de qualité avec un effet escompté de stimulation de la qualité de l‟offre (Direction des Hôpitaux et des Soins Ambulatoires 2007). On ne sait cependant que peu de choses sur la façon dont la population perçoit ces services publics ni de quelle manière – et à quelle fréquence – ils sont utilisés. Ce chapitre vise à documenter d‟un point de vue quantitatif, dans les provinces d‟Azilal et de Figuig et dans la préfecture de Salé, le recours aux soins, l‟accès géographique aux structures de soins, les difficultés ressenties par la population pour surmonter les obstacles et les difficultés d‟obtenir les médicaments prescrits. Méthodologie Il s‟agit d‟une enquête en population, transversale, à visée descriptive. Stratégie d’échantillonnage Taille de l’échantillon La taille de l‟échantillon a été calculée en fonction d‟une précision de 0,05 pour une proportion P de 0,5. Au total, la taille de l‟échantillon a été estimée à 1.200 sujets dont 480 à Salé, et 360 respectivement à Azilal et à Figuig. 55 BadraBerrissoule. Santé: Les hôpitaux sur le chemin de la qualité. L’Economiste, N° 1390 du 05/11/2002. 148 Méthode d’échantillonnage Dans chaque site, trois communes ont été sélectionnées pour constituer l‟échantillon total. Deux techniques de sélection de l‟échantillon ont été utilisées. - Échantillonnage accidentel à Azilal et Figuig Il s‟agit d‟une méthode d‟échantillonnage non probabiliste, c‟est-à-dire qui ne sélectionne pas les membres de la communauté qu‟on veut interroger de manière aléatoire. Étant donné l‟habitat dispersé dans les provinces de Figuig et d‟Azilal, il n‟était pas possible de tirer un échantillon aléatoire car cette méthode, quoique la meilleure, aurait pris trop de temps et aurait coûté beaucoup trop cher. La méthode utilisée est appelée accidentelle mais est en fait une adaptation de cette méthode non probabiliste inspirée par l‟expérience d‟Immpact pour la mesure de la mortalité maternelle (Immpact University of Aberdeen 2007). On considère qu‟en milieu rural les personnes se rendant au marché local sont représentatives des membres des communautés environnantes. Des aides-enquêteurs ont proposé à toute personne arrivant au marché de se faire interviewer. Il a ainsi été possible de rassembler en une matinée au moins une cinquantaine de personnes provenant de la zone cible et qui ont accepté de se faire interroger par un des 6 enquêteurs. On ne peut évidemment pas éviter un biais de sélection (échantillonnage non probabiliste et volontaire) mais l‟expérience d‟Immpact a montré que le profil des personnes interrogées était très proche du profil obtenu dans les enquêtes ayant couvert l‟ensemble de la population. L‟échantillon accidentel a été constitué par 120 participants rencontrés au cours du souk hebdomadaire de la commune. Dans la province d‟Azilal, chaque souk a été visité 2 fois à une semaine d‟intervalle pour inclure les 120 participants. Dans la province de Figuig, étant donné que les souks hebdomadaires se tiennent sur 2 jours, ils ont été visités une fois par nos équipes d‟enquêteurs. - Dans la province en grappe à Salé A la préfecture de Salé, un échantillon en grappe à 2 degrés (le bâtiment puis la maison) de 160 personnes par commune a été constitué à partir de la liste des quartiers et des rues de chacune des trois zones sélectionnées (Souani, Bouknadel, Mazza). Au total, 480 sujets ont été inclus dans l‟enquête. Collecte de données La collecte de l‟information a été réalisée au cours du mois d‟avril 2011 à l‟aide d‟un questionnaire qui était scindé en quatre parties distinctes comprenant les variables suivantes: - Le recours aux soins: la présence de problème de santé la conduite du sujet face à ces problèmes le nombre de consultation dans une structure de soins les freins à l‟accès aux soins et au paiement des prestations. - L‟accès géographique : la distance par rapport aux structures de soins les moyens de transports utilisés. - L‟évaluation des difficultés à observer des prescriptions médicales : les difficultés d‟acquisition des médicaments prescrits et à la réalisation des bilans. 149 - la satisfaction par rapport à l‟offre de soins. Les caractéristiques du sujet : l‟âge, le sexe le niveau d‟instruction la situation matrimoniale le type de résidence les conditions de vie la couverture médicale. La collecte des données a été réalisée à l‟aide d‟un questionnaire de 6 pages en arabe dialectal administré par des enquêteurs formés : - dans les provinces d‟Azilal et de Figuig, on a recruté 6 enquêteurs et 3 aides sous la responsabilité d‟un superviseur local. Les aides servaient à inviter les personnes présentes au souk hebdomadaire à participer, leur expliquant le principe de l‟étude et l‟importance à accorder un peu de temps pour répondre aux questions des enquêteurs qui étaient installés à différents endroits du souk. - A Salé, on a aussi recruté et formé 6 enquêteurs qui – en appliquant un pas de sondage variant entre 1/10 et 1/20 – ont été de porte à porte inviter les personnes présentes à répondre au questionnaire. Ils étaient encadrés par un superviseur. Analyse des données Une double saisie des données recueillies a été effectuée au Laboratoire d‟épidémiologie de la Faculté de médecine et de pharmacie de Marrakech sur le logiciel Epi6fr. L‟analyse des données a été effectuée à l‟aide du logiciel Epi 2000. Elle comportait essentiellement des analyses descriptives (caractéristiques et nombre de répondants par aire de l‟étude ; proportion de répondants qui ont été malades ; type de recours ; préférences et facilités d‟accès ; renonciation à un traitement et causes ; difficultés d‟observer les prescriptions). Aspects éthiques L‟autorisation des gouverneurs provinciaux et des walis (gouverneurs régionaux) a été obtenue ainsi que celle des autorités sanitaires locales. Le protocole a été soumis au comité d‟éthique de la faculté de médecine de Casablanca. Le consentement de participation a été demandé par écrit aux sujets sous forme d‟une notice d‟information et d‟un formulaire de consentement rédigés en arabe dialectal facilement compréhensible. Résultats Au total, 1208 personnes ont été interrogées dans les trois sites de chacune des provinces/préfecture sélectionnées. La majorité des répondants (67%) étaient de sexe féminin et 58,5% étaient analphabètes. Concernant le statut matrimonial, 69,6% des participants étaient mariés, 17,9% étaient célibataires et 12,5% étaient veufs ou divorcés. Un peu plus de la moitié (54,1%) de la population interviewée était d‟origine rurale. 150 Tableau 19 : Répartition de l’échantillon selon les zones d’étude Régions Salé Bouknadel Mazza Souani Azilal Anergui Ait M’hammed Demnate Figuig Talsint Tendrara Figuig Total n % 480 162 158 160 360 118 121 121 368 125 120 123 1208 39,7 13,4 13,1 13,2 29,8 9,8 10 10 30,5 10,3 10,0 10,2 100 Globalement, 23,4% des répondants disposaient d’une couverture sanitaire. Cependant cette fréquence était très faible pour la province de Figuig ou elle ne dépassait pas 6,4%. Tableau 20 : Couverture sanitaire des répondants Régions Salé Bouknadel Mazza Souani Azilal Anergui Ait M’hammed Demnate Figuig Talsint Tendrara Figuig Total n 133 41 48 44 122 49 47 26 23 9 8 6 278 % 27,9 25,8 30,6 27,5 34,2 41,9 38,8 21,8 6,4 7,3 7,0 5,1 23,4 Le Recours aux soins La présence d’au moins un épisode de maladie au cours de l’année écoulée a été signalée par la majorité des participants (82,5%) avec quelques différences régionales. On observe que dans le bidonville de Salé, virtuellement toutes les personnes interviewées (98,2%) ont eu au moins un épisode de maladie. Le minimum observé était de 60,8% à Talsint. 151 Tableau 21 : Fréquence des maladies durant les 12 derniers mois Régions fréquence 436 147 152 137 54 277 100 88 89 284 76 105 103 50 997 Salé Bouknadel Mazza Souani Bidonville Azilal Anergui Ait M’hammed Demnate Figuig Talsint Tendrara Figuig Nomades total pourcentage 90,8 90,7 96,2 85,6 98,2 76,9 84,7 72,7 73,6 77,2 60,8 87,5 83,7 86,2 82,5 Les principales plaintes citées étaient le rhume et les maux de tête dans 17,6% des cas, les problèmes digestifs, ostéo-articulaires et rhumatologiques dans 16,1% des cas respectivement (particulièrement à Azilal avec un pourcentage de 22,4%). Tableau 22 : Répartition des principales plaintes par région Plaintes Rhume /maux de tête Problèmes digestifs Problèmesostéoarticulaires / rhumatologiques Problèmes ORL Asthme / allergie Diabète Problèmes cardiovasculaires Fièvre Problèmes gynécologiques Autres Salé 87(20,9) 58(13,9) 51(12,3) Azilal 36(15,2) 47(19,8) 53(22,4) Figuig 39(14,7) 43(16,2) 44(16,6) total 41(9,9) 26(6,3) 22(5,3) 38(9,1) 24(10,1) 24(10,1) 16(6,8) 6(2,5) 19(7,2) 27(10,2) 21(7,9) 8(3,0) 84(9,2) 77(8,4) 59(6,4) 52(5,7) 23(5,5) 15(3,6) 55(13,2) 2(0,8) 8(3,4) 21(8,9) 15(5,7) 17(6,4) 32(12,1) 40(4,4) 40(4,4) 108(11,8) 162(17,6) 148(16,1) 148(16,1) Le recours à la consultation d’un centre de santé en cas de maladie était fréquent dans toutes les régions mais restait très variable d’une province à l’autre, et également au sein d’une même province : 60,4% à Salé (mais 79,6 % parmi les habitants du bidonville), 68,5% à Azilal et 87,1 % à Figuig et jusque 94,6% à Talsint. A Figuig, la grande proportion de personnes ayant consulté le centre de santé plutôt que le médecin privé peut s’expliquer par le très faible nombre de médecins privés. Des pourcentages similaires mais répartis uniformément dans les 3 régions ont été constatés pour le recours au médecin privé avec 64,4% des répondants qui l’avait déjà consulté au moins une fois durant l’année précédant l’étude. Le recours au personnel paramédical restait faible dans les différents sites. En cas de maladie, les participants ont déclaré qu’ils avaient eu recours à la consultation médicale dans 71,7% des cas dans les différents sites étudiés sauf chez les nomades où ce pourcentage était de 56%. 152 Tableau 23 : Nombre de consultations dans un centre de santé durant l’année écoulée Régions Salé Bouknadel Mazza Souani Bidonvill e Azilal Anergui Ait M’hammed Demnate Figuig Talsint Tendrara Figuig Nomades Total 0 172(39,6) 65(44,2) 65(42,8) 42(30,7) 11(20,4) 1 57(13) 17(11,6) 19(12,5) 21(15,3) 3(5,6) 2 43(9,8) 11(7,5) 23(15,1) 9(6,6) 4(7,4) 3 34(7,8) 11(7,5) 14(9,2) 9(6,6) 3(5,6) 4 et plus 130(29,7) 43(29,3) 31(20,4) 56(40,9) 33(61,1) 80(31,5) 37(39,8) 27(32,5) 16(20,8) 37(14,6) 12(12,9) 10(12,0) 15(19,5) 43(17,0) 13(14,0) 14(16,9) 16(20,8) 25(9,8) 4(4,3) 13(15,7) 8(10,4) 68(26,9) 27(29,0) 19(22,9) 22(28,6) 34(12,9) 4(5,4) 11(12,0) 19(19,4) 11(24,4) 286(30,0) 46(17,3) 10(13,5) 12(13,0) 24(24,5) 11(24,4) 140(14,7) 45(17) 24(32,4) 12(13,0) 9(9,2) 4(8,9) 131(13,7) 34(12,8) 12(16,2) 11(12,0) 11(11,2) 2(4,4) 93(9,8) 105(39,5) 24(32,4) 46(50,0) 35(35,7) 17(37,8) 303(31,8) Cette consultation se faisait globalement à part égale chez le médecin du centre de santé et le médecin privé. Le médecin du centre de santé était consulté dans 65,1 % à Figuig, 41% à Salé et 34% à Azilal. La consultation chez un médecin privé a été notée dans un peu plus de 42% des cas dans les trois provinces. La consultation simultanée chez les deux (médecin du centre de santé et médecin privé) était fréquente à Figuig (46,9%) et Salé (32,6%). Les pharmaciens étaient les moins fréquemment consultés en cas de maladie dans les différents sites et particulièrement à Anergui dans la province d’Azilal (3,0%). Tableau 24 : Comportement des participants face à la maladie Régions Salé Bouknadel Mazza Souani Bidonvil le Azilal Anergui Ait M’hammed Demnate Figuig Talsint Tendrara Figuig Nomades total Consultation chez un médecin Médecin de santé publique Médecin privé 309(70,9) 107(72,8) 99(65,1) 103(75,2) 49(90,7) 179(41,3) 50(34,5) 61(40,4) 68(49,6) 35(64,8) 188(43,3) 79(54,1) 55(36,4) 54(39,4) 23(42,6) Médecin de santé publique et Médecin privé 58(32,6) 22(44,0) 17(28,3) 19(27,9) 9(25,7) 202(72,9) 71(71,0) 64(72,2) 67(75,3) 94(34,1) 25(25,0) 24(27,3) 45(51,1) 118(42,6) 49(49,0) 44(50,0) 25(28,1) 10(10,6) 3(12,0) 4(16,7) 3(6,7) 19(6,9) 3(3,0) 7(8,0) 9(10,1) 204(71,8) 72(94,7) 66(62,9) 66(64,1) 28(56,0) 715(71,7) 166(65,1) 67(97,7) 49(59,8) 50(48,5) 19(41,3) 439(45,5) 99(42,5) 37(67,3) 27(36,0) 35(34,0) 14(32,6) 405(42,9) 61(46,9) 32(66,7) 10(31,3) 19(38,0) 5(3,3) 129(32,1) 53(23,9) 20(37,7) 9(13,6) 24(23,3) 10(22,7) 151(16,2) 153 Consultation chez un pharmacien 79(18,2) 22(15,2) 39(25,7) 18(13,1) 2(3,7) Par ailleurs, 60,5 % des participants ont rapporté avoir eu des difficultés de paiement des frais de soins durant l’année passée. Ces difficultés étaient notées à Figuig et Salé dans respectivement 72,2% et 59,9% des cas, et étaient particulièrement élevées chez les interviewés de Tendrara (81,6%). A Azilal, ces difficultés étaient ressenties chez 49,5% des répondants. Tableau 25 : Difficultés de paiements des frais de soins Régions n % Bouknadel Mazza Souani Bidonville Azilal Anergui Ait M’hammed Demnate Figuig Talsint Tendrara Figuig Nomades 261 102 88 71 40 137 60 39 38 203 50 84 69 35 59,9 69,4 57,9 51,8 56,3 49,5 60,0 44,3 42,7 72,2 65,8 81,6 67,6 71,4 total 601 60,5 Salé Les difficultés concernaient essentiellement l’accès à la consultation médicale à Salé (63,3%) et l’achat de médicaments à Figuig et Azilal. Tableau 26 : Types de difficultés de paiement Régions Salé Bouknadel Mazza Souani Bidonville Azilal Anergui Ait M’hammed Demnate Figuig Talsint Tendrara Figuig Nomades total Consultation médicale 162(63,3) 73(73,0) 41(47,7) 48(68,6) 25(62,5) 28(22,0) 13(24,1) 9(25 ,0) 6(16,7) 40(25,6) 8(17,8) 16(28,1) 16(30,8) 8(27,6) 230(42,9) Achat de médicaments 39(15,2) 13(13,0) 17(19,8) 9(12,9) 4(10,0) 55(43,7) 21(38,9) 17(47,2) 17(47,2) 69(44,8) 8(17,8) 29(50,9) 32(61,5) 15(51,7) 163(30,4) 154 Bilan biologique 15(5,9) 1(1,0) 10(11,6) 4(5,7) 3(7,5) 9(7,1) 3(5,6) 3(8,3) 3(8,3) 6(3,9) 6(13,3) 0(0,0) 0(0,0) 0(0,0) 30(5,6) Bilan radiologique 25(9,8) 8(8,0) 13(15,1) 4(5,7) 4(10,0) 24(19,0) 12(22,2) 4(11,1) 8(22,2) 8(5,2) 8(17,8) 0(0,0) 0(0,0) 0(0,0) 57(10,6) Renonciation aux soins La renonciation aux soins était fréquente dans les 3 sites étudiés avec un maximum de 81,3% atteint à Figuig, 64,7% à Salé et 56,7% à Azilal. Des différences étaient notées selon les zones avec une fréquence plus élevée de renonciation aux soins à Tendrara 92,4%, chez les nomades 92% et au bidonville 81,5%. Tableau 27 : Renonciation à des soins Régions n 280 102 96 82 44 157 63 58 36 231 48 97 86 46 668 Salé Bouknadel Mazza Souani Bidonville Azilal Anergui Ait M‟hammed Demnate Figuig Talsint Tendrara Figuig Nomades Total % 64,7 70,8 63,2 59,9 81,5 56,7 63,0 65,9 40,4 81,3 63,2 92,4 83,5 92,0 67,2 Cette renonciation concernait essentiellement l‟accès à la consultation médicale mais avec des différences inter régions : consultation du médecin privé à Salé, consultation du médecin privé et du spécialiste à Azilal et consultation du médecin public et du spécialiste à Figuig. La barrière financière représentait la principale raison de renonciation aux soins dans plus de 95% des cas. Tableau 28 : Type de renonciations aux soins Régions Consultation Consultation médecin privé médecin public Salé Bouknadel Mazza Souani Bidonville Azilal Anergui Ait M‟hammed Demnate Figuig Talsint Tendrara Figuig Nomades Total 186(66,9) 65(63,7) 65(69,1) 56(68,3) 29(65,9) 68(44,2) 33(53,2) 24(41,4) 11(32,4) 67(31,3) 24(50,4) 23(25,6) 20(26,3) 7(18,4) 321(49,7) Consultation spécialiste 36(12,9) 22(21,6) 5(5,3) 9(11,0) 2(4,5) 25(16,2) 6(9,7) 10(17,2) 9(26,5) 76(35,3) 5(10,4) 31(34,1) 40(52,6) 12(31,6) 137(21,2) 155 29(10,4) 12(11,8) 9(9,6) 8(9,8) 3(6,8) 54(35,1) 20(32,3) 22(37,9) 12(35,3) 66(30,7) 24(50,0) 28(30,8) 14(18,4) 12(31,6) 149(23,0) de Prise en charge des maladies chroniques et de la maternité Globalement, 31,6% des participants étaient atteints de maladies chroniques, dont 45,1% ne bénéficiaient d‟aucun suivi. Ce résultat concernait les différentes zones enquêtées et était particulièrement marqué chez le groupe des nomades dont l‟absence de suivi observée était de 70% des cas. Tableau 29 : Suivi en cas de maladies chroniques Aucun suivi Salé Bouknadel Mazza Souani Bidonville Azilal Anergui Ait M‟hammed Demnate Figuig Talsint Tendrara Figuig Nomades total Centre de santé 48(32,7) 15(31,3) 21(32,8) 12(34,3) 7(43,8) 60(55,0) 28(59,6) 21(63,6) 11(37,9) Médecin privé 28(19,0) 9(18,8) 13(20,3)) 6(17,1) 1(6,3) 28(25,7) 16(34,0) 6(18,2) 6(20,7) Pharmacien 48(32,9) 17(35,4) 20(31,3) 11(31,4) 5(31,3) 15(13,8) 2(4,3) 5(15,2) 8(27,6) 10(6,8) 5(10,4) 2(3,1) 3(8,6) 1(6,3) 0(0,0) 0(0,0) 0(0,0) 0(0,0) 54(52,4) 11(29,7) 29(69,0) 14(58,3) 14(70,0) 162(45,1) 15(14,7) 10(27,0) 1(2,4) 4(16,7) 2(10,0) 71(19,8) 25(24,5) 12(32,4) 9(21,4) 4(16,7) 3(15,0) 88(24,5) 13(12,7) 7(18,9) 3(7,1) 3(12,5) 2(10,0) 23(6,4) En prenant l‟exemple du diabète, le centre de santé constituait le lieu de suivi privilégié pour 38,7% des répondants versus 20,4% pour le médecin privé et 9,7% pour le pharmacien. Les sujets diabétiques sans aucun suivi représentaient 26,9% des participants. Ces résultats restent d‟interprétation difficile à cause du faible effectif des patients diabétiques participant à l‟étude. Tableau 30 : Suivi en cas de diabète Aucun suivi Salé Bouknadel Mazza Souani Bidonville Azilal Anergui Ait M‟hammed Demnate Figuig Talsint Tendrara Figuig Nomades total 10(20,8) 2(16,7) 7(26,9) 1(10,0) 0(0,0) 9(40,9) 5(71,4) 2(50,0) 2(18,2) 6(26,1) 3(15,8) 3(100,0) 0(0,0) 1(50,0) 25(26,9) Médecin privé 8(16,7) 4(33,3) 2(7,7) 2(20,0) 0(0,0) 6(27,3) 2(28,6) 1(25,0) 3(27,3) 5(21,7) 4(21,1) 0(0,0) 1(100,0) 0(0,0) 19(20,4) 156 Centre de santé 24(50,0) 7(58,3) 12(46,2) 5(50,0) 3(60,0) 4(18,2) 0(0,0) 1(25,0) 3(27,3) 8(34,8) 8(42,1) 0(0,0) 0(0,0) 1(50,0) 36(38,7) Pharmacien 3(6,3) 1(8,3) 1(3,8) 1(10,0) 1(20,0) 0(0,0) 0(0,0) 0(0,0) 0(0,0) 6(26,1) 6(31,6) 0(0,0) 0(0,0) 0(0,0) 9(9,7) En considérant le lieu de naissance du dernier enfant, les accouchements en milieu médicalisé représentaient 53,6% durant l‟année passée avec des différences interrégionales allant de 84,2% à Salé, 43,5% à Azilal et 28,6% à Figuig. En cas de maladie des enfants, les répondants déclaraient qu‟ils consultaient un médecin dans 73,5% des cas. Cette consultation se faisait essentiellement dans les centres de santé. Attendre que la maladie passe restaient la conduite adoptée par 21,7% des parents à Azilal, 20,4% pour Figuig et 25% chez les nomades. Tableau 31 : Comportement des participants face à la maladie des enfants durant l‟année passée Consultation chez un médecin Salé Bouknadel Mazza Souani Bidonville 179(73,4) 61(78,2) 63(69,2) 55(73,3) 19(76,0) Azilal Anergui AitM‟hamme d Demnate Figuig Talsint Tendrara Figuig Nomades total Médecin de santé publique Médecin privé Consultatio n d’un pharmacien Attendre que cela passe 71(29,3) 25(32,5) 24(26,4) 22(29,7) 4(16,7) 41(16,9) 13(16,9) 19(20,9) 9(12,2) 4(16,7) 10(4,0) 2(2,6) 8(8,8) 0(0,0) 0(0,0) 114(70,4) 30(56,6) 35(67,3) 49(86,0) 123(50,8 ) 42(54,4) 46(50,5) 35(47,3) 15(62,5) 87(55,1) 21(40,4) 24(48,0) 42(75,0) 35(22,3) 11(21,2) 13(27,1) 11(19,3) 9(5,8) 0(0,0) 4(8,3) 5(8,9) 34(21,7) 15(29,4) 14(28,0) 5(8,9) 95(77,9) 26(86,7) 37(78,7) 32(71,1) 22(71,0) 82(69,5) 26(89,7) 33(73,3) 23(52,3) 15(48,4) 20(20,8) 1(5,3) 7(21,2) 12(27,3) 8(27,6) 13(13,3) 7(33,3) 2(6,1) 4(9,1) 2(6,9) 20(20,4) 1(5,6) 8(21,6) 11(25,6) 7(25,0) 388(73,5) 292(56,4) 126(25,5) 63(12,7) 64(12,9) Accès géographique A Azilal et Figuig 22,4% des répondants habitaient à plus de 10 km du centre de santé. Cette distance était de 5 à 10 km pour 20,2% des participants à Azilal. Tableau 32 : Distance par rapport au centre de santé <3km Salé Bouknadel Mazza Souani Bidonvilles Azilal Anergui Ait M‟hammed Demnate Figuig Talsint Tendrara Figuig Nomades Total 468(99,2) 152(98,1) 157(99,4) 159(100,0) 55(100,0) 157(48,2) 26(26,0) 30(27,3) 101(87,1) 221(64,2) 107(85,6) 48(42,1) 66(62,9) 11(19,3) 846(74,1) 3 à 5Km 0(0,0) 0(0,0) 0(0,0) 0(0,0) 0(0,0) 30(9,2) 7(7,0) 14(12,7) 9(7,8) 25(7,3) 8(6,4) 11(9,6) 6(5,7) 4(7,0) 55(4,8) 157 5 à 10 km 3(0,6) 2(1,3) 1(0,6) 0(0,0) 0(0,0) 66(20,2) 31(31,0) 32(29,1) 3(2,6) 21(6,1) 10(8,0) 9(7,9) 2(1,9) 4(7,0) 90(7,9) Plus de 10 km 1(0,2) 1(0,6) 0(0,0) 0(0,0) 0(0,0) 73(22,4) 36(36,0) 34(30,9) 3(2,6) 77(22,4) 0(0,0) 46(40,4) 31(29,5) 38(66,7) 151(13,2) A Salé, 81,5% des répondants habitaient à moins d‟une heure du centre de santé, surtout à Souani où 98,1% n‟étaient qu‟à moins de 15 minutes de leur centre de santé. Cette durée était un peu plus élevée dans les zones de la province d‟Azilal et allait d‟une heure à plus de 4 heures dans 89% des cas à Anergui et 60,3% des cas à Ait‟Mhamed. Tableau 33 : Temps d‟accès pour se rendre au centre de santé ≤15min Salé Bouknadel Mazza Souani Bidonvilles Azilal Anergui Ait M‟hammed Demnate Figuig Talsint Tendrara Figuig Nomades Total 225(46,9) 60(37,0) 8(5,1) 157(98,1) 55(100,0) 93(25,8) 3(2,5) 20(16,5) 70(57,9) 16min à 59min 166(34,6) 93(57,4) 70(44,3) 3(1,9) 0(0,0) 65(18,1) 10(8,5) 28(23,1) 27(22,3) 1h à 4h >4h 89(18,5) 9(5,6) 80(50,6) 0(0,0) 0(0,0) 186(51,7) 94(79,7) 68(56,2) 24(19,8) 0(0,0) 0(0,0) 0(0,0) 0(0,0) 0(0,0) 16(4,4) 11(9,3) 5(4,1) 0(0,0) 118(32,1) 42(33,6) 30(25,0) 46(37,4) 2(3,4) 436(36,1) 126(34,2) 69(55,2) 27(22,5) 30(24,4) 5(8,6) 357(29,6) 115(31,3) 14(11,2) 58(48,3) 43(35,0) 45(77,6) 390(32,3) 9(2,4) 0(0,0) 5(4,2) 4(3,3) 6(10,3) 25(2,1) Le centre de santé était le lieu de consultation des participants en cas de maladie dans 82,1% des cas. En cas de non consultation, Le mauvais accueil était la principale raison avancée pour les participants de Salé sauf à Mazza où 44% ont cité également la lenteur. A Azilal, c‟était le manque de compétence ressentie par les répondants ou l‟absence du médecin qui revenaient dans respectivement 27,7% et 21,3% des réponses. Quant à Figuig, la non consultation dans le centre de santé serait due principalement à l‟absence du médecin ou au mauvais accueil. Tableau 34 : Raisons de non consultation dans un centre de santé en cas de maladie Mauvais accueil Salé Bouknadel Mazza Souani Bidonvilles Azilal Anergui Ait M‟hammed Demnate Figuig Talsint Tendrara Figuig Nomades total 25(29,1) 9(30,0) 2(8,0) 12(41,4) 4(57,1) 3(6,4) 0(0,0) 0(0,0) 3(30,0) 17(25,8) 4(23,5) 6(17,6) 7(46,7) 5(31,3) 43(21,8) Absence de médecin Manque de compétence 3(3,5) 3(10,0) 0(0,0) 0(0,0) 0(0,0) 10(21,3) 6(26,1) 3(21,4) 1(10,1) 20(30,3) 12(70,6) 7(20,6) 1(6,7) 2(12,5) 33(16,8) 12(14,0) 5(16,7) 1(4,0) 6(20,7) 1(14,3) 13(27,7) 8(34,8) 3(21,4) 2(20,0) 6(9,1) 1(5,9) 2(5,9) 3(20,0) 1(6,3) 31(15,7) 158 lenteur 21(25,0) 7(23,3) 11(44,0) 3(10,3) 0(0,0) 0(0,0) 0(0,0) 0(0,0) 0(0,0) 0(0,0) 0(0,0) 0(0,0) 0(0,0) 1(6,3) 21(10,7) La durée pour se rendre à l‟hôpital ne dépassait pas une heure pour la majorité des participants des zones de Salé (85,8). Les résultats dans la province d‟Azilal différaient d‟une zone à l‟autre ; le temps d‟accès à l‟hôpital est de moins d‟une heure dans 76,9% des cas à Demnate, jusqu‟à 1 à 4 heures dans 54,5% des cas à Ait‟Mhammed et de 4 à 8 heures dans 69,5% des cas à Anergui. A Figuig, la majorité des répondants habitaient de 1 à 4 heures de l‟hôpital avec des proportions différentes selon la zone : 98,4% à Talsint, 48,3% à Tendrara et 34,1% à Figuig. Tableau 35 : Temps d‟accès pour se rendre à l‟hôpital Bidonvilles ≤1h 412(85,8) 143(88,3) 110(96,6) 159(99,4) 54(98,2) 1h à 4h 68(14,2) 19(11,7) 48(30,4) 1(0,6) 1(1,8) 4h à 8h 0(0,0) 0(0,0) 0(0,0) 0(0,0) 0(0,0) Azilal Anergui Ait M‟hammed Demnate Figuig Talsint Tendrara Figuig Nomades Total 141(39,2) 6(5,1) 42(34,7) 93(76,9) 139(37,8) 2(1,6) 59(49,2) 78(63,4) 22(37,9) 692(57,3) 119(33,1) 26(22,0) 66(54,5) 27(22,3) 223(60,6) 123(98,4) 58(48,3) 42(34,1) 32(55,2) 410(33,9) 93(25,8) 82(69,5) 10(8,3) 1(0,8) 3(0,8) 0(0,0) 2(1,7) 1(0,8) 3(5,2) 96(7,9) Salé Bouknadel Mazza Souani >8h 0(0,0) 0(0,0) 0(0,0) 0(0,0) 0(0,0) 7(1,9) 4(3,4) 3(2,5) 0(0,0) 3(0,8) 0(0,0) 1(0,8) 2(1,6) 1(1,7) 10(0,8) Pour le non recours à l‟hôpital, l‟éloignement était le principal motif dans les 3 sites avec une fréquence particulièrement élevée pour Figuig et chez les nomades. Le problème financier représentait 52,2% des raisons à Anergui, 28,6% à Tendrara et 22,7% chez les nomades. Tableau 36 : Raisons de non consultation à l‟hôpital en cas de maladie Régions Salé Bouknadel Mazza Souani Bidonville Azilal Anergui Ait M‟hammed Demnate Figuig Talsint Tendrara Figuig Nomades Total Éloignement 19(31,6) 3(11,1) 10(32,3) 6(20,0) 5(55,6) 39(31,2) 17(26,2) 18(40,9) 4(25,0) 100(62,9) 41(70,7) 6(17,1) 53(80,3) 14(63,6) 158(42,5) Problème financier 2(2,3) 3(11,1) 1(3,2) 0(0,0) 0(0,0) 44(35,2) 34(52,3) 8(18,2) 2(12,5) 18(11,3) 2(3,4) 10(28,6) 6(9,1) 5(22,7) 66(17,7) Mauvais accueil 9(10,2) 4(14,8) 1(3,2) 4(13,3) 1(11,1) 9(7,2) 4(6,2) 0(0,0) 5(31,3) 12(7,5) 4(6,9) 5(14,3) 3(4,5) 2(9,1) 30(8,1) Globalement, les participants jugeaient l‟accès aux structures de soins peu facile à difficile dans 85,1%, ce pourcentage était particulièrement important à Anergui 94,1%, dans les différents sites de la province de Figuig (95,2% à Talsint, 92,6% à Figuig et 89,9% à Tendrara) et dans 96,4% des réponses des nomades. 159 Tableau 37 : Appréciation de la difficulté d‟accès aux structures de soins Régions Salé Bouknadel Mazza Souani Bidonvilles Azilal Anergui Ait M‟hammed Demnate Figuig Talsint Tendrara Figuig Nomades total Difficile 251(52,7) 83(51,9) 100(63,3) 68(43,0) 38(69,1) 225(62,8) 102(86,4) 69(57,0) 54(45,4) 236(64,8) 68(54,8) 75(63,0) 93(76,9) 47(83,9) 712(59,4) Peu facile 119(25) 38(23,8) 40(25,3) 41(25,9) 8(14,5) 88(24,6) 10(8,5) 33(27,3) 45(37,8) 101(27,7) 50(40,3) 32(26,9) 19(15,7) 7(12,5) 308(25,7) facile 91(19,1) 31(19,4) 18(11,4) 42(26,6) 9(16,4) 41(11,5) 6(5,1) 17(14,0) 18(15,1) 16(4,4) 4(3,2) 7(5,9) 5(4,1) 0(0 ,0) 148(12,4) Très facile 15(3,2) 8(5,0) 0(0,0) 7(4,4) 0(0,0) 4(1,1) 0(0,0) 2(1,7) 2(1,7) 11(3) 2(1,6) 5(4,2) 4(3,3) 2(3,6) 30(2,5) Concernant les préférences des répondants, ils préféraient consulter au centre de santé dans 46,3% des cas ou chez un médecin généraliste dans le privé dans 23,9% des cas. Les résultats étaient similaires dans les trois provinces avec une particularité à Figuig qui, après le centre de santé, préféraient se rendre chez le médecin spécialiste privé dans presque 20% des réponses comparé au généraliste privé qui n‟était cité que dans 8,4% des cas. Cette constatation était également notée dans les réponses des nomades. L‟hôpital ne constituait pas la destination préférée des participants et particulièrement chez les nomades. Tableau 38 : Préférences du type de recours médical Régions Salé Bouknadel Mazza Souani Bidonvilles Azilal Anergui Ait M‟hammed Demnate Figuig Talsint Tendrara Figuig Nomades total Centre de santé 176(37,1) 64(40,5) 57(36,1) 55(34,6) 22(40,0) 193(53,8) 66(56,4) 76(62,8) 51(42,1) 183(51,0) 70(57,4) 73(63,5) 40(32,8) 28(49,1) 552(46,3) Généraliste privé 179(37,7) 57(36,1) 63(39,9) 59(37,1) 17(30,9) 76(21,2) 24(20,5) 23(19,0) 29(24,0) 30(8,4) 2(1,6) 10(8,7) 18(14,8) 7(12,3) 285(23,9) Spécialiste privé 48(10,1) 22(13,9) 10(6,3) 16(10,1) 2(3,6) 20(5,6) 2(1,7) 4(3,3) 14(11,6) 71(19,8) 16(13,1) 23(20,0) 32(26,2) 10(17,5) 139(11,7) Hôpital 15(3,2) 9(5,7) 4(2,5) 2(1,3) 1(1,8) 48(13,4) 21(17,9) 13(10,7) 14(11,6) 26(7,2) 23(18,9) 2(1,7) 1(0,8) 0(0,0) 89(7,5) Évaluation des difficultés de respect des ordonnances médicales Parmi les participants ayant reçu une prescription médicale, 30,9% ont ressenti des difficultés à réaliser les examens paracliniques demandés par le médecin et 28,7% ont eu des difficultés d‟achat des médicaments prescrits. La non réalisation des bilans était particulièrement citée à Figuig avec une fréquence de 54,4%. 160 Tableau 39 : Réalisation des bilans demandés par le médecin Régions Salé Bouknadel Mazza Souani Bidonville Azilal Anergui Ait M‟hammed Demnate Figuig Talsint Tendrara Figuig Nomades total En totalité 190(79,2) 58(81,7) 63(75,0) 69(81,2) 25(73,5) 81(71,1) 22(59,5) 27(77,1) 32(76,2) 51(45,5) 18(47,4) 11(28,9) 22(61,1) 5(31,3) 322(69,1) En partie 16(6,7) 3(4,2) 5(6,0) 8(9,4) 5(14,7) 12(10,5) 5(13,5) 1(2,9) 6(14,3) 22(19,6) 10(26,3) 7(18,4) 5(13,9) 4(25,0) 50(10,7) Non réalisé 34(14,2) 10(14,1) 16(19,0) 8(9,4) 4(11,8) 21(18,4) 10(27,0) 7(20,0) 4(9,5) 39(34,8) 10(26,3) 20(52,6) 9(25,0) 7(43,8) 94(20,2) Satisfaction globale La satisfaction des participants à l‟égard de la qualité des soins délivrés par les structures de soins était faible dans les trois régions : 31,1% à Salé, 11% à Figuig et, 9,3% pour Azilal. Les réponses étaient globalement similaires dans les sites avec un peu plus de 70% de répondants complètement insatisfaits à Figuig, parmi les nomades et à Anergui. Tableau 40 : Satisfaction globale des répondants par rapport à la qualité des soins Régions Salé Bouknadel Mazza Souani Bidonville Azilal Anergui Ait M‟hammed Demnate Figuig Talsint Tendrara Figuig Nomades Total Insatisfait 165(35,1) 68(42,8) 51(32,9) 46(29,5) 19(35,8) 207(58,3) 82(70,7) 66(55,5) 59(49,2) 221(60,9) 85(68,0) 44(37,3) 92(76,7) 42(75,0) 593(49,9) Peu satisfait 159(33,8) 58(36,5) 55(35,5) 46(29,5) 22(41,5) 115(32,4) 31(26,7) 35(29,4) 49(40,8) 102(28,1) 31(24,8) 53(44,9) 18(15,0) 14(25,0) 376(31,6) 161 Satisfait 123(26,2) 25(36,5) 55(35,5) 46(29,5) 12(22,6) 31(8,7) 31(26,7) 35(29,4) 49(40,8) 33(9,1) 31(24,8) 53(44,9) 18(15,0) 0(0,0) 187(15,7) Très satisfait 23(4,9) 8(5,0) 4(2,6) 11(7,1) 0(0,0) 2(0,6) 2(1,7) 0(0,0) 0(0,0) 7(1,9) 1(0,8) 4(3,4) 2(1,7) 0(0,0) 32(2,7) Conclusion La grande majorité des personnes interrogées (82,5%) a connu au moins un épisode de maladie durant l‟année écoulée. Cependant l‟enquête a révélé que 30% (5,4% - 44,2%) n‟ont pas consulté et lorsqu‟il s‟agissait d‟un enfant, les familles ont attendu que cela passe dans 12,9% des cas. Lorsque les personnes interrogées consultaient, elles l‟ont fait chez un médecin de première ligne dans plus de 70% des cas, et de manière à peu près équivalente dans le secteur public (45,5%) et dans le secteur privé (42,9%) pour les adultes. Chez les enfants, la recherche de soins est différente et les familles consultent plus fréquemment un médecin du secteur public (56,4%) qu‟un médecin privé (25,5%). Les difficultés financières restent un obstacle important et 60% ont exprimé avoir eu des difficultés de paiement des soins avec parfois comme conséquence le renoncement à une consultation, plus fréquemment auprès d‟un médecin privé (49,7%) que d‟un médecin de santé publique (21,2%). Les raisons de ne pas consulter le centre de santé en cas de maladie dépendent particulièrement de l‟environnement local. Le mauvais accueil est souvent la première cause en milieu urbain (30-40% des personnes interrogées l‟ont invoquée) alors qu‟en milieu rural c‟est l‟absence du médecin et/ou la perception d‟une compétence insuffisante qui est le facteur exprimé (environ 30% des personnes interrogées). A part les nomades, la plupart des personnes interrogées (74%) habitaient à moins de 3km d‟un centre de santé et près des deux tiers à moins d‟une heure. De même l‟accès physique à l‟hôpital en termes de temps est de moins d‟une heure pour 57% des personnes et de moins de 4h pour 91% alors que l‟éloignement est l‟obstacle le plus fréquemment cité (42%), devant les problèmes financiers (17,7%) et le mauvais accueil (8,1%). D‟une manière générale, la proportion de personnes ressentant des difficultés d‟accès à des soins n‟est pas négligeable, parfois en raison de la distance, mais aussi du manque de disponibilité des soignants, des difficultés rencontrées pour faire face aux dépenses de santé (médicaments, examens de laboratoire), et d‟un accueil peu satisfaisant (délais d‟attente, mauvais accueil). Les résultats de l‟enquête quantitative viennent confirmer la plupart des éléments mis en évidence par l‟enquête par entretien auprès de la population. Sans surprise, on observe un gradient de difficultés depuis la province de Figuig (où la proportion de personnes faisant état de difficultés est la plus importante), et tout particulièrement dans la population « nomade », jusqu‟à la préfecture de Salé où, à l‟évidence, les questions d‟accessibilité géographique se posent beaucoup moins. Néanmoins, les réponses recueillies auprès de la population habitant des bidonvilles (quartier Souani) font état également, comme pour les « nomades » de Figuig, d‟une important proportion de personnes déclarant des difficultés d‟accès. 162 Références Direction des Hôpitaux et des Soins Ambulatoires (2007) Concours Qualité, édition 2007. Rapport global. Rabat, Direction des Hôpitaux et des Soins Ambulatoires (DHSA) et GTZ. Frenk J. (2010) “The World Health Report 2000 : expanding the horizon of health system performance”, Health Policy Plan., 25, (5) : 343-345. Immpact University of Aberdeen (2007) "Sampling at Service Sites (SSS), Module 4, Tool 1.," In Immpact Toolkit: A guide and tools for maternal mortality programme assessment, Aberdeen: University of Aberdeen. Murray C.J. & Frenk J. (2000) “A framework for assessing the performance of health systems”, Bull. World Health Organ, 78, (6) : 717-731 WHO 2000 "Why do health systems matter?", The World Health Report 2000, A. Haden & B. Campanini (eds.), Geneva, WHO: 3-19. 163 TROISIÈME PARTIE L’ACCÈS AUX MÉDICAMENS 164 Chapitre - 7 Problématique et méthodologie de l’accès au médicament au Maroc Samira Guennif et Mohammed Wadie Zerhouni État des dépenses de médicaments au Maroc Suivant la dernière édition des Comptes nationaux de la santé parue en 2010, la dépense globale de santé s‟élevait à 30,6 milliards de DH en 2006, ce qui représenterait 5,3% du PIB et fixerait la dépense globale à 1.002 DH par tête et par an. Cette dépense aurait connu une progression non négligeable ces dernières années, de l‟ordre 10,1% par an entre 2001 et 2006. Concernant la structure de cette dépense globale de santé, il convient de signaler deux points importants. Premièrement, la part la plus importante des dépenses de santé serait à la charge des ménages. En effet, la dépense globale de santé supportée par les ménages serait de 64,8% contre 24,03% pour l‟État. Plus encore, les paiements directs consentis par les ménages représenteraient 57,3% de la dépense globale de santé contre 7,4% dues aux cotisations versées à l‟assurance maladie par les employés. De fait, alors que la dépense globale de santé serait passée de 15 milliards de DH à 30,6 milliards entre 1997 et 2006, les dépenses directes de santé des ménages seraient passées de 8 milliards de DH à 17,5 milliards pour la même période (MS 2006 ; El Alami El Fellousse 2009). Dans le même temps, les dépenses de santé supportées par l‟État seraient passées de 3,94 milliards de DH à 7,36 milliards. En somme, les dépenses globales de santé évolueraient à la hausse sous l‟influence sensible des dépenses de santé supportées par les ménages et a contrario sous l‟effet d‟une contraction non négligeable de la contribution de l‟État. Deuxièmement, les dépenses de santé consacrées expressément aux médicaments sont importantes. Si l‟on ne retient que le poste « Pharmacie », les médicaments absorberaient à eux-seuls un peu plus de 32% de la dépense globale de santé avec un montant de 9,85 milliards de DH. Si l‟on comptabilise à la fois les postes « Pharmacie » et « Biens médicaux », cette proportion passerait alors à 33,6% avec un montant de 10,3 milliards de DH. En croisant ces deux éléments, il apparait donc que le poids du médicament dans le système de santé marocain est considérable et qu‟il est largement supporté par les ménages. Si l‟on analyse la répartition des dépenses de santé des ménages, les médicaments représenteraient 47% contre par exemple 15% pour les dépenses allouées aux consultations médicales et paramédicales. A la lumière de ces quelques chiffres, on comprend pourquoi le médicament est devenu un problème majeur ces dernières années au Maroc, suscitant au passage les plus vifs débats et polémiques, et que les questionnements concernant l‟accès aux soins aboutissent invariablement à se focaliser sur l‟accessibilité des médicaments. Les discussions en viennent tout naturellement à tourner autour de deux points essentiels : le prix du médicament et la disponibilité du médicament générique. 165 La question du prix du médicament et celle du taux de pénétration du générique sur le marché du médicament sont devenus incontournables pour deux autres raisons essentielles. Depuis les premiers travaux de l‟OMS portant sur le niveau des dépenses de santé catastrophiques dans les pays en développement (OMS 2005, Ezzrai & Alami El Fellousse 2007), la question du prix des soins de santé en général et du prix du médicament est largement soulevée en écho à une autre question : l‟effet possible de l‟introduction du brevet sur le prix des médicaments au Sud et sur leur accessibilité dans des régions où les enjeux sanitaires sont colossaux en considération des multiples épidémies qui frappent les populations (Velasquez & Correa 2009, Guennif & Mfuka 2010). Aussi, les études fusent pour identifier des mécanismes qui permettraient de lever la charge financière pesant sur les ménages en santé et ce faisant de réduire le prix du médicament pour les ménages. Le but ultime étant de réduire pour les ménages le risque d‟occurrence de dépenses catastrophiques : le prix du médicament serait à l‟origine de dépenses de santé importantes consenties par les ménages face à la maladie et qui les plongeraient dans des situations économiques difficiles. En outre, l‟Assurance maladie obligatoire (AMO) a été mise en place en 2005 et la généralisation du Ramed est prévue pour l‟année 2011 suivant le calendrier établi récemment par le Ministère de la Santé. Aussi, l‟État s‟est engagé à prendre en charge une part des dépenses de santé supportées jusque là par les ménages pour l‟achat de médicament. Sans surprise, l‟État entend donc réduire dans la mesure du possible le montant du transfert de dépenses attendues en passant en revue les solutions possibles dont celle d‟une baisse du prix des médicaments et d‟une pénétration plus conséquente du générique sur le marché. Pourtant, l‟analyse se brouille ici. D‟un côté, l‟État suggère que le prix du médicament pourrait être un frein sérieux à l‟élargissement de la couverture santé au Maroc. De l‟autre, les acteurs privés, les industriels du médicament en tête, insistent sur le fait que l‟accessibilité du médicament n‟est pas un problème de prix mais un problème de couverture sociale. Si les ménages supportent le plus gros des dépenses de médicaments, ce qui peut les mettre en grande difficulté financière, c‟est que la contribution de l‟État est faible et notamment que la couverture santé dans le pays est insuffisante comparée à celle de ses voisins. Aussi, il appartient à l‟État d‟inverser la tendance, de prendre en charge une part plus importante des dépenses de santé des citoyens et de prévenir les dépenses de santé catastrophiques en généralisant la couverture médicale de base, ce qui permettra de créer un marché du médicament plus large qui pourra alors générer des baisses de prix. Pour améliorer l‟accessibilité du médicament, à qui incombera la charge du levier : à l‟État ou aux professionnels du médicament (cf. plus bas) ? Qu’est-ce que l’accessibilité du médicament ? Les approches et la conceptualisation de l‟accessibilité du médicament sont nombreuses. Selon l‟OMS, La santé est un droit fondamental de l‟être humain. L‟accès aux soins de santé, lequel comporte notamment l‟accès aux médicaments essentiels en est une composante indispensable (OMS 2002 ; MS 2008). Les médicaments essentiels jouent un rôle capital dans de nombreux aspects des soins de santé. Tout d‟abord, les médicaments essentiels sont ceux qui permettent de répondre aux besoins prioritaires de la population en matière de soins de santé (OMS 2004 a). Ensuite, lorsqu‟ils sont disponibles, économiquement abordables, de bonne qualité et biens utilisés, les médicaments essentiels peuvent offrir une 166 réponse simple, efficace, peu coûteuse pour faire face à de nombreux problèmes de santé (OMS, 2002). Par ailleurs, l‟OMS précise que l‟accessibilité du médicament est tributaire de la politique pharmaceutique qui dépend elle-même entre autres du niveau de développement économique d‟un pays et des ressources disponibles. Nous proposons de traiter dans cette partie l‟accessibilité du médicament en insistant principalement sur sa disponibilité, son abordabilité et sa qualité (Dumoulin & al. 2000, Zio 2005). La notion de disponibilité recouvre pour partie ce que Dumoulin & al. (2000) dénomment l‟accessibilité géographique et l‟accessibilité physique du médicament. Selon ces auteurs, la première concerne la distance que les patients doivent parcourir pour se rendre au point de dispensation du médicament le plus proche ou le temps qu‟il leur faut pour y parvenir. L‟accessibilité géographique dépend donc du nombre et de la répartition des points de dispensation du médicament que sont les officines, les hôpitaux et les centres de santé (CS). Le faible nombre de ces points de dispensation et/ou leur répartition inégale sur un territoire constituent une limite sérieuse à l‟accessibilité géographique du médicament, faisant peser sur le patient des charges considérables outre le coût du médicament proprement dit. Le malade ou un membre de sa famille doit supporter le coût du voyage pour se rendre au point de dispensation le plus proche. Inversement, un nombre important de points de dispensation et une répartition homogène doit permettre une meilleure couverture de la population et améliorer l‟accessibilité géographique du médicament. L‟accessibilité physique requiert l‟absence de ruptures de stock dans les points de dispensation. Si le médicament est normalement présent dans les points de dispensations, encore faut-il qu‟il soit véritablement présent en rayon lorsqu‟un besoin s‟exprime. L‟accessibilité physique se mesure alors aussi par la durée des ruptures de stock. Sur une période donnée (le mois ou l‟année), on calcule le nombre de jours ou de semaines durant lesquels le médicament n‟est pas en rayon. Cette accessibilité physique dépend de l‟efficacité des systèmes d‟approvisionnement et de distribution qui prévalent pour les officines, les hôpitaux ou les CS. La notion de disponibilité questionne également l‟existence du médicament au niveau national : est-il est commercialisé sur le territoire sous la forme d‟une autorisation de mise sur le marché (AMM) soumise à l‟agence du médicament marocain (la Direction du médicament et de la pharmacie) ? Au contraire, un médicament disponible sur les marchés internationaux est-il indisponible localement faute d‟une AMM déposée ou en raison d‟une AMM suspendue à la demande d‟un producteur pour des raisons économiques ? Le médicament est-il disponible à partir d‟une production locale ou d‟importations ? La notion de disponibilité couvre donc l‟ensemble de ces points, depuis la disponibilité du médicament sur le territoire national jusqu‟à sa disponibilité dans les points de dispensation à un niveau périphérique. Le terme d‟abordabilité recouvre ce que Dumoulin & al. nomment l‟accessibilité financière ou économique. Cette dernière renvoie au prix du médicament pour le consommateur. Ce prix est fonction du coût d‟acquisition du médicament, du coût de distribution et du système de financement. Aussi des éléments aussi divers que les droits de douanes, les taxes et TVA intervenant dans le prix du médicament, les marges des opérateurs (producteurs, distributeurs et pharmaciens) sont à prendre en considération. De même, l‟existence et l‟étendue d‟un système de financement de la dépense de santé en général et de la dépense de 167 médicament en particulier importe. Existe-t-il un système de paiement collectif public ou privé ? Le paiement direct assuré par le patient est-il important56 ? L‟analyse de l‟abordabilité requiert de prime abord de voir si le prix du médicament sur le marché marocain est abordable rapporté au pouvoir d‟achat de la population comme le prescrit l‟OMS (2003). Certes, sur le prix du médicament, les études se sont multipliées ces dernières années au Maroc. D‟un côté, il y a celles qui dénoncent la cherté des médicaments et les rentes non négligeables des opérateurs. Une des dernières études en date est celle publiée à l‟issue d‟une Mission parlementaire en 2009, qui suivait celle publiée par l‟OMS en 2004 (OMS 2004 b), et qui soulignait le manque d‟abordabilité du médicament au Maroc. De l‟autre, il y a les études qui dénoncent les méthodes utilisées par les investigateurs et qui indiquent que les prix au Maroc sont peu élevés comparés aux prix pratiqués dans des pays comme la France. C‟est ce que met en avant notamment l‟étude réalisée par l‟Association Marocaine de l‟Industrie Pharmaceutique (AMIP) parue en 2010 en réponse au rapport parlementaire. Aussi, pour analyser l‟abordabilité du médicament au Maroc, il convient d‟examiner notamment les réglementations concernant le mode de fixation du prix du médicament sur le territoire, les systèmes de marge octroyés aux opérateurs et de TVA sur le médicament. Il importe également d‟étudier les procédures prévues pour stimuler la concurrence sur le marché du médicament, soutenir le générique tant au niveau de la production que de la prescription et de la consommation. Dans l‟analyse proposée par Dumoulin & al. (2000), il existe un lien entre les trois accessibilités définies. L‟accès géographique et l‟accessibilité physique ont un coût. En effet, si les acteurs cherchent à améliorer l‟accessibilité géographique et l‟accessibilité physique, il y a un risque d‟augmentation des prix et donc de réduire l‟accessibilité économique. En voulant réduire les stocks ou dispenser des médicaments sur une large part du territoire, on peut s‟attendre à une augmentation du prix. A l‟inverse, il ne sert à rien de viser une accessibilité économique forte à travers un prix faible, si cela signifie pour le patient une accessibilité géographique et physique faible ; des points de dispensations du médicament faible et/ou des ruptures de stock importantes. Cela pose la question délicate de l‟équilibre à trouver entre accessibilité géographique, physique et économique. De même, il existe un équilibre à trouver entre disponibilité et abordabilité qui fondamentalement doit se faire à l‟avantage du patient. Mais il convient ici d‟élargir le champ d‟analyse proposé par Dumoulin & al. La recherche de cet équilibre entre disponibilité et abordabilité fait intervenir différents acteurs : le patient, le producteur, le distributeur, le pharmacien, le médecin, l‟assureur ou encore l‟État. Il importe donc de questionner les tensions possibles entre abordabilité et disponibilité, qui révèlent de fait des conflits potentiels entre professionnels du médicament. A titre d‟exemple, il convient d‟interroger les producteurs de médicaments qui ne cessent de dire que la recherche d‟un équilibre entre disponibilité et abordabilité ne doit pas se faire à leur détriment, au risque de fragiliser le tissu industriel construit autour du médicament, et à terme de ne pas consolider un juste équilibre entre disponibilité et abordabilité. La stratégie qui vise à assurer la disponibilité sur le territoire d‟un nombre important de spécialités par DCI (Dénomination commune internationale) doit prendre en considération les effets potentiels sur l‟abordabilité. Cette stratégie peut provoquer Sur ce point, Dumoulin et alii (2000) prévoient quatre systèmes de financement : la gratuité, la vente directe, le paiement d’un forfait de soins, le prépaiement. 56 168 une réduction non négligeable des échelles de production, absorber des ressources importantes en stockage, perturber les pratiques de prescription et générer des coûts qui pourraient tirer le prix du médicament vers le haut. La question de l‟équilibre entre disponibilité et abordabilité doit tenir compte dans le cas du Maroc d‟impératifs de santé public et d‟impératifs industriels, ce qui suppose donc une politique pharmaceutique où les intérêts des uns et des autres sont pris en compte. Enfin, il y a l‟accessibilité qualitative. Selon Zio (2005), cette accessibilité signifie que le médicament mis à la disposition du malade est fiable en termes d‟efficacité et d‟innocuité et n‟altérera pas l‟état du patient. Plus largement, nous retiendrons ici la question de l‟accès des populations à des médicaments de qualité. Sous ce vocable, nous examinerons les efforts déployés par les acteurs publics et privés pour assurer la fourniture de médicaments efficaces, sûrs et de qualité en respect avec les normes internationales établies en la matière. Il existe une large littérature qui fait état des risques de malfaçon et de contrefaçon des médicaments sur les marchés officiels et officieux, ainsi qu‟à propos de la circulation de médicaments ne contenant aucun principe ou sous-dosés. Étant entendu qu‟il appartient aux pouvoirs publics de garantir la qualité des médicaments dispensés sur leur territoire, nous examinerons les procédures d‟enregistrement et de commercialisation du médicament au Maroc ainsi que les procédures de contrôle post-marketing utilisées au niveau central ou au niveau périphérique. Par ailleurs, s‟agissant d‟accessibilité du médicament, il convient de questionner la place du générique au Maroc. Il est important d‟analyser les conditions qui peuvent favoriser une prescription plus importante du générique au Maroc et une pénétration plus importante de ces copies de princeps sur le marché, en levant un à un les obstacles. Derrière ce point, se pose avec acuité la question de la disponibilité, de l‟abordabilité et de la qualité des génériques produits sur le territoire. Concernant la qualité, il est nécessaire de questionner les professionnels de la santé, les médecins en tête, qu‟ils soient généralistes ou spécialistes, et voir si des doutes s‟expriment sur la qualité des génériques et donc des procédures de contrôle des médicaments commercialisés sur le territoire. Il convient également de poser la question de la substitution en pharmacie, outil largement utilisé à l‟étranger pour soutenir la pénétration du générique sur le marché du médicament. Il est alors utile d‟examiner les efforts consentis par les acteurs pour assurer un usage plus conséquent du générique et repérer les obstacles persistants. En somme, questionnant l‟accessibilité des médicaments sur le territoire marocain, nous tacherons d‟examiner tour à tour leur disponibilité, leur abordabilité et leur qualité à différentes étapes du circuit du médicament : la sélection, l‟acquisition, la distribution et la prescription pour reprendre la terminologie établie par l‟OMS. Le circuit du médicament Le circuit du médicament va du fabricant au patient et comprend les étapes suivantes (Dumoulin & al. 2000) : la sélection, l‟acquisition, la distribution et la prescription. Tout d‟abord, la sélection consiste à choisir parmi une offre large, les médicaments qui seront achetés et distribués. Il appartient donc aux pouvoirs publics d‟établir une liste restrictive de médicaments prioritaires, vitaux ou encore essentiels avant acquisition et distribution. Sélectionner suppose, en particulier, d‟écarter les 169 médicaments sans intérêts thérapeutiques : inefficaces, inutiles, voire dangereux57. Sélectionner suppose ensuite de réduire le nombre de médicaments à acquérir, distribuer et utiliser, ce qui peut permettre de réduire considérablement le coût de dispensation. L‟OMS rappelle que les problèmes de santé les plus prégnants parmi les populations peuvent être traités grâce à un petit nombre de médicaments qu‟il convient donc de soigneusement sélectionner. Ainsi, la liste modèle des médicaments essentiels établie par l‟OMS comprend 300 substances (OMS 2004 a). Ensuite, réduire le nombre de médicaments à dispenser peut par exemple favoriser les économies d‟échelle à la production. Cette réduction peut générer des économies au niveau des coûts de transaction du fait d‟un usage plus aisé de procédures d‟achats centralisés et de procédures d‟appel d‟offres. Réduire le nombre de médicaments sélectionnés peut aussi permettre de diminuer les coûts de distribution du médicament et de gestion des stocks tout en améliorant les exercices de prévisions et de prévention des ruptures de stock. Enfin, en réduisant le nombre de médicament à dispenser, on peut soutenir un usage plus rationnel des produits en favorisant l‟information et la formation sur cette sélection plus restreinte de médicaments. La sélection repose sur l‟efficacité, l‟innocuité et la qualité des médicaments, d‟un coté, et sur le prix de ces médicaments, de l‟autre ; il convient de retenir les médicaments les plus efficaces et les moins chers. L‟acquisition renvoie à l‟achat auprès de fabricants des médicaments sélectionnés. Les acheteurs publics ou privés doivent acquérir les quantités strictement nécessaires, ce qui suppose des méthodes de prévision efficaces, basées sur la consommation passée, sur la morbidité ou les statistiques populationnelles. Acquérir au moindre coût est important, ce qui suppose une maitrise des coûts d‟acquisition, de distribution, de péremption ou encore de conditionnement. Enfin, les stratégies d‟acquisition importent : il peut y avoir des procédures d‟adjudication, d‟appel d‟offres, de gré à gré ou d‟achats directs, le recours à une organisation publique ou privée, une centralisation ou une décentralisation des achats. La distribution consiste à acheminer les médicaments depuis les organismes d‟acquisition jusqu‟aux consommateurs. La direction de l‟approvisionnement, les pharmacies publiques et privées sont en charge de la distribution, voire de la dispensation des médicaments. La distribution doit permettre d„améliorer la disponibilité et l‟abordabilité du médicament, ou l‟accessibilité géographique, physique et économique pour reprendre la terminologie de Dumoulin & al. (2000). La distribution suppose donc de réfléchir aux modes de tournées de livraison (en circuit, en linéaire ou en étoile), les modalités de transport (par la centrale d‟approvisionnement, par la pharmacie, par un transporteur indépendant), les modes de distribution (par kit une fois par an, par lots variables une ou deux fois par an, en fonction des commandes 4 à 12 fois par an ou en continue une fois par semaine ou une fois par jour). La prescription peut relever du patient en cas d‟auto-prescription ou d‟un professionnel de santé (médecin, dentiste, sage femme). Ici, l‟objectif majeur est d‟utiliser rationnellement les médicaments, c'est-à-dire de façon à répondre aux acquis de la science pour satisfaire les besoins sanitaires. Par ailleurs, on questionne également la place du générique dans la prescription et sur le marché du 57 Sur ce point, l’ouvrage de Velasquez (1983) est éclairant : il relate les difficultés rencontrées par le Bengladesh dans les années 1980 pour retirer du marché des médicaments dangereux, déjà interdits pour certains sur les marchés des pays du Nord. 170 médicament au Maroc, les conditions d‟une prescription plus importante du générique au Maroc et d‟une pénétration plus offensive de ces copies de princeps plus abordables sur le marché. On pourra alors analyser par ordonnance le nombre moyen de médicaments prescrits, le pourcentage de médicaments prescrits en DCI, le nombre d‟antibiotiques prescrits, le nombre de produits injectables prescrits ou encore le nombre de médicaments prescrits relevant d‟une liste des médicaments essentiels ou d‟une autre liste. Méthode d’analyse de l’accessibilité du médicament au Maroc Pour discuter de l‟accessibilité du médicament au Maroc, comme le résume le graphique ci-dessous, il importe de concilier différents angles d‟analyse : - - définir s‟il s‟agit d‟une analyse de la disponibilité, de l‟abordabilité ou de la qualité du médicament ; décrire à quel niveau du circuit du médicament se situe l‟analyse : la sélection, l‟acquisition, la distribution ou l‟utilisation ; préciser si l‟acteur intervient sur l‟une ou plusieurs dimensions de l‟accessibilité, sur une ou plusieurs étapes du circuit du médicament, relevant de la sphère publique ou privée ; préciser si l‟acteur agissant sur l‟une ou l‟autre des dimensions de l‟accessibilité du médicament, une ou plusieurs étapes du circuit du médicament, relevant de la sphère publique ou privée, se situe au niveau central, national ou périphérique. Figure 7 : le cadre d‟analyse de l‟accessibilité du médicament Sur la base de ce cadre d‟analyse, nous proposons d‟éclairer le champ de l‟accessibilité du médicament par le rôle tenu par certains acteurs publics ou privés, agissant au niveau central, national ou périphérique, les efforts, les outils, les procédures déployés par ces acteurs, ainsi que les obstacles rencontrés par ces acteurs. 171 Pour ce faire, une revue de la littérature a été réalisée afin de cerner les enjeux autour du médicament au Maroc, depuis son importation ou sa production sur le territoire à sa dispensation en officines en passant par la fixation de son prix. Des entretiens semi-directifs ont été réalisés avec des acteurs publics ou privés, impliqués au niveau central, national ou périphérique dans l‟accessibilité du médicament. Plus d‟une vingtaine d‟entretiens ayant durée entre 30 minutes et 2 heures ont été réalisés avec les parties prenantes de l‟accessibilité du médicament : les pouvoirs publics, les assureurs, les producteurs, les distributeurs, les pharmaciens, les médecins et les infirmiers. En outre, des entretiens ont été réalisés avec des professionnels de santé de CS pour évaluer la disponibilité du médicament en périphérie. Au niveau central, ont été examinées les actions menées par les acteurs publics, intervenant à différentes étapes dans le circuit du médicament, pour améliorer la disponibilité, l‟abordabilité et la qualité du médicament, d‟une part, et un usage plus rationnel du médicament par une utilisation plus importante du générique d‟autre part. Des acteurs travaillant dans différentes directions ou divisions relevant du Ministère de la santé ont été interrogés dans le but d‟établir les outils et moyens déployés par ces acteurs intervenant dans la sélection, l‟achat ou la distribution du médicament pour améliorer la disponibilité, l‟abordabilité, la qualité du médicament ou encore l‟usage du générique. Ainsi, la Direction du médicament et de la pharmacie (DMP) a été interrogée pour évaluer les outils mobilisés lors de la phase de sélection pour veiller à l‟enregistrement sur le territoire de médicaments indispensables pour couvrir les besoins de la population et la commercialisation de médicaments de qualité répondant à des normes internationales. De même, la Direction de l‟approvisionnement (DA) a été approchée pour évaluer en phase d‟achat les procédures utilisées pour assurer l‟achat du médicament aux meilleures conditions : achat de médicaments permettant de satisfaire les besoins de la population dans les structures sanitaires publiques et au meilleur prix. Pour la phase de distribution, la DA a également été questionnée sur les moyens utilisés pour assurer la distribution des médicaments achetés au niveau central. Ensuite, au niveau national, nous avons examiné les actions menées par les acteurs privés pour améliorer l‟accessibilité du médicament. Des producteurs de médicaments ont été rencontrés pour évaluer leurs efforts en faveur de la disponibilité et de l‟abordabilité des médicaments sur le territoire ainsi que de sa qualité. A cette occasion, leurs remarques et suggestions en matière de politique pharmaceutique et d‟accessibilité du médicament ont été recueillis. Les acteurs de la distribution (répartiteurs/distributeurs) ont été interrogés pour cerner la structure et le fonctionnement d‟un secteur méconnu, pour évaluer leur contribution à la disponibilité du médicament sur le territoire et recueillir leur sentiment sur les mesures à prendre pour améliorer l‟accessibilité du médicament. De même, des pharmaciens d‟officines ont été rencontrés pour évaluer la position d‟un acteur essentiel dans la chaine de dispensation du médicament et recueillir leurs remarques et suggestions pour améliorer l‟abordabilité des médicaments, leur disponibilité ou encore la consommation de génériques. 172 Enfin, au niveau périphérique, nous avons analysé l‟accessibilité des médicaments sur les marchés public et privé. Précisément, nous avons questionné la disponibilité et la qualité des médicaments dispensés en CS situés dans les trois zones retenues pour l‟étude : Salé, Azilal et Figuig. En outre, nous avons examiné la disponibilité des médicaments dispensés à proximité des CS dans ces zones. Une liste de médicaments vitaux et non vitaux a été utilisée pour apprécier la disponibilité dans les CS et dans les officines visitées en périphérie immédiates de ces centres lorsqu‟elles existaient. Par ailleurs, interrogeant les médecins, pharmaciens et infirmiers exerçant en CS, nous avons questionné la qualité des médicaments dispensés dans le circuit public et tenté de cerner l‟enjeu de l‟accessibilité du médicament en périphérie à partir des pratiques de prescription de quelques médecins. Ici, il convient de préciser certains points. Au total une vingtaine d‟entretiens semi-directifs ont été réalisés auprès de responsable de la Direction des hôpitaux et des Soins ambulatoires, de la DMP, de la DA, de l‟ANAM (Agence nationale d‟assurance maladie), de l‟AMIP (Association marocaine de l‟industrie pharmaceutique), des acteurs de la production, de la distribution et de la dispensation du médicament. En outre, ce sont un peu plus d‟une dizaine de CS qui ont été visités ainsi qu‟une dizaine d‟officines. Aussi, les résultats présentés dans cette partie sur la disponibilité du médicament n‟a pas vocation à rendre compte de la situation générale au Maroc. Plus modestement, cette étude veut rendre compte et éclairer des faits saillants s‟agissant de la question de l‟accessibilité du médicament au Maroc sur la base d‟entretiens et d‟un test qualitatif accompagnés d‟une revue de la littérature sur le sujet. Dans cette partie consacrée à l‟accès aux médicaments, nous analyserons en premier lieu le jeu des acteurs public au niveau central pour influer sur l‟accessibilité du médicament à la fois dans le secteur public et le secteur privé. Dans une seconde étape, nous étudierons l‟action des acteurs privés au niveau national qui influencent l‟accessibilité des médicaments. Ces acteurs privés sont essentiellement les producteurs, les distributeurs et les officines dont les actions et stratégies ont un effet sur l‟une ou l‟autre dimension de l‟accessibilité du médicament sur les marchés public et privé. Dans un autre chapitre, nous rendrons compte de l‟étude menée dans les trois sites de l‟étude sur la disponibilité, l‟abordabilité, la qualité du médicament ainsi que son utilisation au niveau périphérique. Nous conclurons cette partie par les points de vue de la population sur l‟accessibilité des médicaments. 173 Références Cheikh A. 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(2005), Les accords du commerce international et l‟accessibilité aux médicaments dans les pays en développement, thèse de doctorat en pharmacie, Université Claude Bernard – Lyon 1. 174 Chapitre - 8 Au niveau national, la question de l’accessibilité du médicament Samira Guennif et Mohammed Wadie Zerhouni Le point de vue des administrations centrales du Ministère de la Santé Des entretiens ont été réalisés à la DHSA (Direction des hôpitaux et des soins ambulatoires), à la DA (Division de l‟approvisionnement) et à la DMP (Direction du médicament et de la pharmacie). Sur cette base, des données ont pu être collectées pour rendre compte des moyens et des outils déployés par les acteurs publics intervenant à différentes étapes du circuit du médicament pour agir au niveau central sur une ou plusieurs dimensions de l‟accessibilité du médicament. Pour la sélection, l‟acquisition ou la distribution du médicament, il apparait que les acteurs publics mettent en place des procédures pour améliorer la disponibilité, l‟abordabilité ou la qualité du médicament sur les marchés privé et public. Ces procédures seront présentées et discutées ainsi que les pistes envisagés par ces acteurs pour améliorer l‟accessibilité du médicament. La Direction des hôpitaux et des soins ambulatoires (DHSA) Entité placée sous la responsabilité du Ministère de la santé et employant 90 personnes, la DHSA intervient, avec la Direction de l‟épidémiologie et de la lutte contre les maladies et la Direction de la population, comme représentant des professionnels de santé dans le secteur public. Elle est impliquée dans la définition de la politique du médicament notamment pour l‟approvisionnement en discutant le caractère centralisé ou décentralisé des achats de médicaments ou la définition des procédures de suivi des besoins des hôpitaux et des CS. Ainsi, il y a quelques années, la DHSA a suggéré au Ministère de la santé de centraliser les achats de médicaments pour améliorer l‟abordabilité du médicament dans les structures publiques. La DHSA arrête les budgets dévolus aux hôpitaux et CS. Une fois le budget global validé dans le cadre de la Loi de finance, elle procède à sa ventilation entre les structures sanitaires en tenant compte de l‟historique des structures sanitaires. De cette façon, ces dernières n‟ont pas connu de baisse de leur budget, y compris celles pour lesquelles une sous-utilisation des dotations avait été constatée. En 2010, le budget alloué à l‟achat de produits pharmaceutiques a été de 1,5 milliards de DH à répartir entre 133 hôpitaux et 2.592 établissements de soins de base. Comme l‟ont indiqué la DA et différents acteurs interrogés au niveau central, il n‟existe pas à proprement parler de liste nationale des médicaments essentiels au Maroc. Il existe un formulaire qui s‟inspire de la liste des médicaments essentiels de l‟OMS et qui tient compte de spécificités nationales. Ce formulaire est applicable au 175 secteur public. Sous la responsabilité de la DHSA, ce formulaire est établi en partenariat avec la DA, la DMP, des prestataires et des utilisateurs. Des groupes de travail composés de ces différents partenaires se réunissent pour procéder à la révision de cette liste tous les deux ans. Le formulaire comporte actuellement 350 médicaments classés en médicaments vitaux, non vitaux et onéreux. La sélection de génériques est privilégiée lors de la constitution du formulaire. Ainsi, ils représentent plus de 80% du formulaire. Cette phase de sélection veille également à rationaliser le panel de médicaments retenus qui sera dispensé aux patients dans les structures sanitaires et à éviter la duplication entre les produits retenus. Une fois le budget global notifié et sa ventilation par structures sanitaires arrêtée, le budget et le formulaire comportant les prix des médicaments sont adressés aux hôpitaux et CS en vue de procéder à la commande annuelle. Plus exactement, la DA notifie aux délégations préfectorale et provinciale les budgets alloués et le formulaire avec les prix des médicaments puisque les CS n‟ont pas d‟autonomie de gestion. Les structures sanitaires doivent alors évaluer leurs besoins afin de remplir le bon de commande annuelle. La DHSA recommande aux structures sanitaires de commander en priorité les médicaments vitaux pour assurer leur disponibilité et veiller à ce que le patient n‟ait pas à payer de sa poche pour y avoir accès. Pour les médicaments onéreux utilisés dans les affections de longue durée comme les maladies rénales ou l‟hémophilie, la DHSA évaluent elle-même les besoins des structures et procède directement à la commande annuelle des médicaments qu‟elle répartit ensuite au profit des établissements sanitaires concernés. Pour s‟assurer que ces médicaments onéreux aillent bien au patient, les structures sanitaires font l‟objet d‟une prescription nominative. Ainsi, le patient ou sa famille sait qu‟il doit se rendre à telle structure pour aller retirer gratuitement son traitement. De même, il existe des plans d‟actions nationaux spécifiques en matière de santé publique qui sont gérés par la Direction de la population (DP) ou la Direction de l‟épidémiologie et de la lutte contre les maladies (DELM). La première gère les médicaments du planning familial, de la santé maternelle et infantile et les vaccins. La seconde est en charge des médicaments pour le diabète, les infections sexuelles transmissibles et le sida, la tuberculose, l‟hypertension artérielle, les cancers et les maladies mentales. Sous la responsabilité de ces deux directions, des besoins sont définis et des commandes sont passées et les médicaments sont répartis entre les structures sanitaires. D‟un côté, il y a le bon de commande annuelle qui vient des structures sanitaires faisant état des besoins identifiés et qui donne lieu à un premier flux de nature ascendante : l‟information remonte depuis les structures sanitaires au niveau central et donne lieu à des flux de médicaments. D‟un autre côté, il y a des besoins identifiés au niveau central et qui génère un second flux de médicaments de nature descendante. A la question des moyens déployés par la DHSA pour améliorer l‟accessibilité du médicament dans les structures sanitaires, il nous a été précisé tout d‟abord que le budget du médicament a été multiplié par 5 entre 2005 et 2010 dans le but de mieux couvrir les besoins de la population. Cette hausse est due au nombre croissant de pathologies prises en charge et de personnes prises en charge. Pour les pathologies, il s‟agit notamment de patients diabétiques insulinodépendants et insuffisants rénaux. Pourtant, il semble que la population ne soit pas satisfaite : la 176 Direction fait état d‟études qui montrent trop souvent que les patients se plaignent de devoir acheter les médicaments vitaux pour le traitement de maladies graves alors qu‟ils devraient être disponibles et gratuits à l‟hôpital et dans les centres de santé. Une étude a été réalisée par la DHSA entre juillet 2002 et juin 2003 pour évaluer les coûts hospitaliers et la contribution des ménages dans cinq hôpitaux publics (MS/DHSA 2005). De cette étude, il ressort que pour un épisode d‟hospitalisation évalué à 2.699 DH, l‟hôpital prend en charge 1.462 DH et le patient paye 1.237DH. Pour le poste médicaments et consommables qui est de 475 DH, le patient supportera 355 DH, soit 75% de la facture. Donc le patient prend en charge les trois quarts de l‟ordonnance. Cette étude a été à l‟origine d‟une hausse des budgets alloués aux structures sanitaires. On reconnait à la DHSA qu‟il faut davantage de moyens, développer une politique plus volontariste dans le but de réduire les dépenses de santé et soulager les ménages. A la question de l‟accessibilité du médicament, la DHSA pointe les enjeux au niveau du personnel exerçant dans les hôpitaux et CS. D‟une part, on souligne que le nœud du problème est le médecin. On déplore le manque d‟empathie du médecin et le manque d‟encadrement de la prescription dans les structures sanitaires. On regrette que le médecin s‟identifie parfaitement à sa profession et peu à la structure dans laquelle il exerce. On déplore le fait que le médecin soit très attaché à sa liberté de prescription comme signe de prestige, ce qui a deux effets préjudiciables : l‟État doit prendre en charge des médicaments chers et le patient doit acheter des médicaments en officine. On suggère donc qu‟il faudrait résoudre au niveau local la question de la sensibilisation du médecin au fait que lorsqu‟il rédige une ordonnance, il n‟est pas simplement ordonnateur des dépenses de l‟État, il joue également un rôle dans la lutte contre la pauvreté et pour l‟accès aux soins. Plus encore, on mentionne la nécessité d‟éduquer le médecin sur son rôle et l‟intérêt de ce rôle. Celui-ci ne peut se limiter à la prescription, il doit intégrer la guérison ou le rétablissement du patient. Avec cette idée en tête, le médecin se soucierait davantage de l‟observance du patient ; on évoque du reste l‟utilité de mesurer l‟efficacité du médecin sur la base de l‟observance du patient. Et de nos interlocuteurs de conclure que les pouvoirs publics font des efforts considérables pour avoir un médecin en monde rural, alors ce n‟est pas pour qu‟il prescrive n‟importe quoi ! On met également en avant les efforts importants réalisés pour affecter des pharmaciens dans les structures sanitaires. Désormais, la professionnalisation de ce métier est un atout pour la mise en place de mesures en faveur d‟une meilleure accessibilité du médicament dans les hôpitaux et CS. Dans ces structures, le pharmacien peut s‟imposer comme le professionnel du médicament et la DHSA a la responsabilité de l‟aider à développer ses compétences et disposer d‟un certain nombre d‟outils pour qu‟il puisse jouer son rôle. On comprend alors que le pharmacien travaillant au côté du médecin et détenant une ressource stratégique pour celui-ci, pourra être sensible à la politique du Département et à sa mise en œuvre au niveau local ; la priorité pour l‟avenir, est l‟établissement d‟une bonne relation pharmacien-médecin. En termes de priorité, on évoque à la DHSA l‟éventualité de confier la gestion des affections de longue durée aux CS avec les budgets qui s‟y rapportent. De fait, on reconnait que l‟on ne peut pas suivre de telles pathologies sans être au plus proche du patient, et il faut que tous les médicaments contre l‟hypertension artérielle ou le diabète soient à proximité des malades. Il y a là un enjeu important en termes 177 d‟accessibilité du médicament qui réside dans la disponibilité des médicaments contre les affections de longue durée qui coutent chers en périphérie. La Direction admet que sa responsabilité est d‟organiser et de coordonner les opérations de telle sorte que le malade soit informé et puisse se rendre dans un centre de santé pour obtenir son traitement. Un tel enjeu suppose de revoir le système d‟approvisionnement pour une disponibilité de ces médicaments en proximité, ce qui requiert de revoir toute la chaine en amont. En conclusion, les outils et les moyens déployés par la DHSA visent essentiellement à assurer la disponibilité des médicaments, en particulier au niveau périphérique. L‟augmentation sensible des budgets ces dernières années et la participation des structures de santé à la définition de leurs besoins ont pour objectif d‟assurer une plus grande disponibilité des médicaments les plus essentiels et/ou les plus coûteux pour la population. La Division de l’approvisionnement (DA) Environ 180 personnes travaillent à la DA qui gère un budget de 1,5 milliard de DH pour l‟achat des produits pharmaceutiques, budget en hausse pour l‟année 2011. La mission de la DA est d‟acheter, de stocker et de distribuer les médicaments. Elle est chargée d‟acheter les médicaments pour le compte des hôpitaux et des délégations sur la base des besoins formulés directement lors du bon de commande annuel. La DA est également chargée d‟acheter les médicaments dont les commandes sont passées par la DP et la DELM au bénéfice des hôpitaux et délégation pour alimenter les programmes de santé publiques prioritaires. D‟autre part, la DA assure le stockage et la distribution de tous les produits à destination des structures sanitaires publiques. Elle stocke et distribue les produits qu‟elle a achetés. Elle assure également le stockage et la distribution des produits achetés par des institutions internationales au profit du Maroc. C‟est le cas du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme qui achète et ensuite confie des produits à la DA qui en assure le stockage et la distribution ; c‟est le cas aussi des dons de médicaments au sens large. La DA participe à la révision du formulaire des médicaments applicable au secteur public. Dans ce cadre, les hôpitaux et délégations peuvent faire par écrit des propositions à la DA pour modifier le formulaire, notamment pour y inscrire un nouveau médicament. Du reste, la DA indique qu‟elle fait une « enquête qualité » auprès des hôpitaux et des délégations pour savoir s‟ils sont satisfaits de l‟offre de médicaments proposée et si le contenu du formulaire correspond à leurs besoins. Cette démarche s‟arrête au niveau des délégations et ne prévoit pas un échantillonnage de CS. Les délégations sont supposées faire remonter les informations utiles à leur niveau et les transmettre ensuite à la DA. La totalité des achats se fait par appels d‟offres. Cette procédure a permis de couvrir l‟année passée 97% des commandes passées par les hôpitaux et délégations. Aussi, 3% des commandes n‟ont pu être satisfaites par appels d‟offres malgré les relances. Si un appel d‟offres est infructueux par absence de propositions ou pour cause de prix proposé trop élevé, la procédure prévoit de relancer trois fois l‟appel au cours de l‟année. Si au bout de ces trois relances, l‟appel d‟offres reste infructueux, le produit n‟est pas acheté et ne sera donc pas livré aux structures sanitaires. Par exemple, au cours de plusieurs exercices, la DA n‟a pas réussi à acheter de l‟isoprénaline (médicament utilisé pour le traitement de l‟hypertension artérielle), donc elle l‟a supprimé de sa nomenclature. Ces 3% d‟appel d‟offres 178 infructueux ne concerneraient pas les produits vitaux et porteraient sur une dizaine de produits ; un pourcentage jugé faible comparé à la liste large des produits acquis. Cela signifie également que les procédures de gré à gré ne sont plus utilisées pour éventuellement résoudre les cas d‟appels d‟offres infructueux. Interrogée sur ce point, la Division précise qu‟elle suit la procédure la plus simple et la plus transparente qui est l‟appel d‟offres, toute autre procédure utilisée doit être motivée. Aussi, la procédure de gré à gré existe toujours mais moins simple et moins transparente, la DA préfère ne plus l‟utiliser. Pour la mise en concurrence des fournisseurs, la DA essaye de retenir deux produits qui ont la même indication thérapeutique et pour lesquels il y a le plus de concurrence. C‟est le cas notamment de l‟amoxicilline (un antibiotique) qui est fabriqué ou importé par une quinzaine de fournisseurs. Par contre, il y a des médicaments sous brevet où il n‟y a pas de concurrence. Cela concernerait une centaine de médicaments dans le formulaire, quantité somme toute non négligeable. Fort de ces procédures, les génériques représentent aujourd‟hui 70,3% des achats publics en valeur et 80,2% en volume. En 2003, ces proportions étaient respectivement de 77 et 91% (Aghnaj 2006). On constate donc un effort important de la DA pour acquérir des médicaments plus abordables en jouant sur la concurrence et la présence importante de génériqueurs sur le marché. Une fois les appels d‟offres clos et les adjudicataires arrêtés, les livraisons depuis les sites de production sont effectuées vers le dépôt central de Berrechid d‟où s‟organise la distribution des produits vers les hôpitaux et délégations. Il existe deux circuits de distribution des médicaments. Pour les produits sensibles (les stupéfiants et les produits thermolabiles), la division et le dépôt de Berrechid assurent la distribution avec une flotte de 5 camions : 4 camions réfrigérés de 14 tonnes et 1 camion de 3,5 tonnes. Pour les autres médicaments, la DA sous-traite la distribution. Au terme d‟une procédure d‟appel d‟offres, deux entreprises (la SNMT et la Poste Maroc) ont obtenu le marché et assurent donc la distribution des produits auprès des hôpitaux et délégations. On notera que l‟objectif de mise en place de huit dépôts régionaux (Action 77 du Plan action santé 2008-2012 du Ministère de la santé) ne semble pas avoir donné lieu à des progrès sensibles. Il n‟y aurait toujours qu‟un seul dépôt en activité sur le territoire, celui de Berrechid, qui assure seul la distribution des médicaments auprès des hôpitaux et délégations. Concernant la gestion des stocks, la Division précise que le dépôt de Berrechid dispose d‟une application informatique qui permet un suivi hebdomadaire des livraisons effectuées dans les hôpitaux et les délégations. La DA essaye au maximum de prévenir les ruptures de stock mais reconnait que des ruptures indépendantes de sa volonté peuvent intervenir. Notamment, la division indique que l‟occurrence d‟appels d‟offres infructueux signifie que des produits n‟ont pas pu être achetés, ne seront jamais livrés dans les hôpitaux et délégations et qu‟il y aura donc ruptures de stock en bout de chaîne. Désormais, avec la nouvelle procédure qui prévoit l‟achat groupé par anticipation conformément à l‟action 79 du plan d‟action santé 2008-2012 du Ministère de la santé (MS 2008), la DA dispose d‟une marge de manœuvre pour éviter cette situation. Le dépôt reçoit les commandes et les distribue au fur et à mesure aux hôpitaux et délégations sur une cadence en générale trimestrielle. Le taux de livraison des produits commandés a été de 95% en décembre 2010. Les applications informatiques permettent d‟avoir des données par programmes de santé. Dans le 179 cas du programme de santé maternelle, le taux de livraison des commandes passées a été de 146% pour les kits d‟accouchement, ce qui signifie que la DA a fait livrer aux hôpitaux et délégations plus de kits qu‟ils n‟en ont commandés. La DA croise les commandes des hôpitaux et des délégations avec les estimations fournies par les Directions de l‟épidémiologie et de la population. Elle estime que les structures sanitaires ont tendance à mal évaluer leurs besoins. Du coup, la DA commande plus et fait livrer une dotation en kits qui correspondrait, selon elle, aux besoins réels de ces structures. La DA sait qu‟il y a 600.000 naissances par an au Maroc, donc elle commande 600.000 kits d‟accouchement. Pour le plan d‟action national spécifique lié au traitement du diabète par insuline, le taux de livraison des commandes est de 240%. Sur la base d‟estimations fournies par la Direction de l‟épidémiologie et de la lutte contre les maladies, la DA renforce les commandes livrés aux hôpitaux et délégations. Concernant la qualité des médicaments, la DA exige avant achat l‟AMM délivré par la DMP. Ensuite après achat et avant distribution auprès des hôpitaux et délégations, les pharmaciens inspecteurs de la DA effectuent des prélèvements sur les lots livrés pour réexamen pour être sûrs de distribuer ensuite des produits de qualité. Cette année, il y a eu deux réclamations concernant les médicaments. Dans ce cas, les réclamations sont transmises à la DMP pour qu‟elle effectue des contrôles et notifie au Centre de pharmacovigilance. Interrogée sur des problèmes majeurs rencontrés dans la phase d‟approvisionnement, la DA rapporte que son seul souci reste les appels d‟offres infructueux. Il y a problème lorsqu‟un fournisseur ne soumissionne pas pour un appel d‟offre. Toutefois, dans le cadre du plan 2008-2012, les achats groupés se font par anticipation, ce qui offre une marge de manœuvre à la DA pour prévenir les appels d‟offres infructueux, l‟absence de soumissionnaire et les risques de commandes insatisfaites. La division indique également qu‟il n‟y a pas de ruptures de stock pour les produits stratégiques. Ainsi, il apparait qu‟en matière de sélection, d‟achat et de distribution, la DA a mis en place des outils devant permettre une meilleure disponibilité, une plus grande abordabilité et une qualité plus sûre des médicaments sur le marché public. Les efforts de la Division se concentrent essentiellement sur l‟abordabilité des médicaments dans le secteur public avec l‟usage offensif des procédures d‟appels d‟offres. On notera enfin que ces appels d‟offres ne sont pas internationaux ; le Maroc dispose d‟une industrie pharmaceutique locale qui permet à la DA d‟asseoir les procédures d‟appels d‟offres sur une base nationale. La Direction du médicament et de la pharmacie (DMP) Les 200 personnes qui travaillent à la DMP composent une des deux 2 sousdivisions de la Direction : la Division de la pharmacie qui gère les aspects administratifs et techniques et le Laboratoire national de contrôle des médicaments (LNCM) qui contrôle la qualité de tous les produits de santé dispensés ou en voie d‟être dispensés sur le territoire. A ce jour, plus de 5000 spécialités seraient commercialisées au Maroc, dont plus de 50% de génériques. L’AMM : un outil de gestion de l’accessibilité du médicament Concernant les procédures d‟enregistrement des médicaments, les dossiers sont déposés à la Division de la pharmacie. Ces dossiers sont ensuite confiés au 180 Laboratoire national de contrôle pour contrôle et analyse. A l‟issue de ce processus, le médicament est approuvé ou non. La Commission des visas des médicaments est composée : des membres de la Division de la pharmacie qui siègent et gèrent les aspects administratifs sans donner d‟avis, des experts et professeurs en médecine exerçant dans les quatre CHU qui donnent un avis sur l‟intérêt thérapeutique du médicament. Le quorum est de 15 et la composition de la Commission varie en fonction des demandes. Par discipline, 3 experts figurant sur une liste validée par la Ministre de la santé sont sollicités pour donner leur avis scientifique en fonction de leur spécialité. Les dossiers déposés ne concernent pas les médicaments commercialisés pour la première fois dans le monde. Les médicaments ont donc en général été évalués par l‟une des trois grandes agences du médicament dans le monde : l‟Agence américaine du médicament (l‟USFDA), l‟Agence européenne du médicament (l‟AEM) et l‟Agence japonaise du médicament (la PMDA). Le dossier comprend alors les évaluations antérieures faites par une de ces agences et une évaluation propre établie par la DMP. Il y a une évaluation administrative et une évaluation technique avant commercialisation. Aussi, la DMP fait ses propres analyses et contrôles ; il n‟y a pas de systèmes de reconnaissances mutuelles des AMM délivrées entre la DMP et d‟autres instances étrangères. La commission est consultative puisque l‟avis est transmis à la Ministre de la santé qui statue. Il y a d‟ailleurs un projet en discussion visant à faire de la DMP une agence autonome dans ses décisions et la rendre plus réactive. Il y a deux types de demandes d‟AMM déposées : les demandes d‟AMM pour des nouveaux produits et des demandes d‟extension pour des AMM déjà accordées (une AMM est délivrée pour cinq ans). En 2004, la DMP a noté un pic des demandes d‟AMM provoqué par l‟entrée en vigueur en 2005 de la loi sur la propriété intellectuelle. La peur des acteurs a provoqué une ruée dans les bureaux de la DMP pour déposer des AMM : au total 831 demandes d‟AMM furent déposées, dont 748 pour des génériques, contre moins de la moitié l‟année suivante (Mahli 2009). Peur infondée selon la DMP puisque les médicaments commercialisés aujourd‟hui au Maroc ont un brevet qui date d‟au moins 10 ans, soit d‟avant 1995, donc pour des médicaments qui ne sont pas brevetables au Maroc selon les accords internationaux sur la propriété intellectuelle. En 2010, 469 demandes d‟AMM ont été déposées pour des nouveaux produits et 252 pour des extensions d‟AMM. Pour ces nouveaux produits, la direction précise qu‟une demande vaut pour une forme, une présentation et un dosage. Donc il peut y avoir un nombre important d‟AMM qui couvre des formes, des présentations et des dosages différents pour une même DCI. Autrement dit, plus d‟AMM ne signifie pas plus de molécules mais plus de présentations diverses de celle-ci. Sur ces 469 demandes concernant des nouveaux produits, 342 AMM ont été octroyées soit près de 73% des demandes satisfaites. Une demande sur quatre aurait cependant été déboutée. A l‟inverse, 83 AMM ont été retirées. Il y a deux types de retrait : les retraits sur décision de la Ministre de la santé suite à une alerte, et les retraits sur demande des entreprises pour des raisons commerciales et après accord de la Ministre. Une quinzaine d‟AMM ont été retirées suite à une alerte comme ce fut le cas dernièrement de l‟association dextropropoxyphène et paracétamol (Diantalvic) suite 181 à un retrait du produit en France. Une fois de plus, dans la mesure où une DCI peut couvrir plusieurs formes, présentations et dosages, ce sont au total une trentaine d‟AMM qui peuvent être retirées suite à une alerte et correspondre en pratique à diverses présentations d‟une même molécule chimique. Si la DMP a été à l‟initiative de l‟établissement du premier formulaire des médicaments opposables au marché public, les mises à jour et révisions sont faites sous la responsabilité de la DHSA avec la collaboration de la DMP et d‟autres partenaires. La mission de la DMP est alors d‟assurer la disponibilité et la qualité de ces médicaments sur le territoire. En pratique, la DMP peut solliciter des entreprises pour l‟enregistrement d‟un médicament pour qu‟il soit disponible sur le territoire. La DMP envoie des courriers à tous les producteurs et les invite à soumettre un dossier d‟AMM pour un médicament dont la disponibilité fait défaut dans le cadre par exemple des programmes de santé publique. La DMP indique qu‟elle travaille actuellement sur une liste de médicaments qui ne sont pas commercialisés au Maroc st sur la base de laquelle la DMP va saisir les producteurs. Elle saisit particulièrement les entreprises pour l‟enregistrement et la commercialisation de formulations pédiatriques et de multi-thérapies comme elle l‟a fait dans le cas des formulations pédiatriques ou des multi-thérapies contre la tuberculose qui sont produites localement. Ces producteurs suscitent aujourd‟hui l‟intérêt de l‟OMS puisqu‟ils sont en phase de préqualification. La disponibilité de ces thérapies antituberculeuses constitue un enjeu majeur de santé publique au Maroc et dans les pays en développement dans la mesure où les producteurs sont peu nombreux pour fabriquer ces associations de 3 à 4 comprimés en un et que l‟OMS promeut pour une meilleure adhérence des patients et une prévention des risques de résistance. A la DMP comme à l‟OMS, le souci majeur est sans nul doute de stimuler la concurrence et faire baisser les prix, le but ultime étant d‟améliorer l‟abordabilité des traitements. Plus d‟AMM pour un médicament signifie plus de producteurs, plus de concurrents, plus de soumissionnaires potentiels aux appels d‟offre de la DA, et plus de maitrise au niveau des prix. Plus de producteurs préqualifiés par l‟OMS signifient plus de concurrents capables de répondre aux appels d‟offres internationaux ou plus de pouvoir de négociation pour les institutions comme la Fondation Clinton avec ces producteurs pour la fourniture de médicaments à des programmes de santé publique aux prix les plus bas. Pour conclure, il convient de préciser que l‟AMM pourrait devenir à l‟avenir une porte d‟entrée sur le marché du médicament dont la taille pourrait bien être significativement réduite. La Direction indique être partie prenante de discussions au niveau central visant à réduire le nombre d‟AMM qui pourraient être délivrées aux entreprises. Cette proposition fait partie des recommandations avancées par le BCG dans son étude pour la promotion du générique au Maroc. Le groupe évoque l‟opportunité de réduire à 14 le nombre d‟AMM délivrées par DCI, chiffre qui pourrait dans une seconde étape tombé à huit58. On comprend alors à demi-mot, faute d‟avoir eu accès à l‟étude du Boston Consulting Group (BCG) et à la lecture d‟une simple synthèse, qu‟il est question de rationaliser l‟offre et de favoriser les économies d‟échelle. L‟objectif est sans doute ensuite dans toute la chaine du médicament en amont de réduire le nombre de médicaments à distribuer, stocker et dispenser et de générer des économies importants. Autant d‟effet et d‟économies qui pourraient bien Ailleurs, on peut également lire qu’il serait prévu d’accorder une AMM pour un générique par DCI et par fabricant (Lamrini 2011). 58 182 donner lieu à des baisses de prix et des progrès en faveur de l‟abordabilité des médicaments. En résumé, porte d‟entrée sélective sur le marché du médicament, l‟AMM est un outil important mis à la disposition des acteurs publics au niveau central pour promouvoir la disponibilité et l‟abordabilité des médicaments. Les enjeux autour de la qualité des médicaments A propos de la qualité des médicaments, et tout spécialement celle de la qualité des génériques, la DMP rappelle en premier lieu que la procédure d‟AMM est la même pour un princeps et un générique sauf que pour le générique le dossier est allégé : le dépositaire du dossier n‟a pas à reproduire les phases qui ont permis d‟établir l‟efficacité, l‟innocuité et la qualité du produit et les données cliniques déjà soumises par le producteur du princeps. Cependant, il convient ici de faire le point sur un débat houleux, celui des tests de bioéquivalence. Aux États-Unis, au Japon comme en Europe et dans beaucoup de pays en développement, sous l‟impulsion de l‟OMS notamment, les tests de bioéquivalence sont requis pour le dépôt d‟une demande d‟AMM pour un générique. Ces tests permettent établir que le générique est bioéquivalent comparé au princeps : le générique libère la même fraction de principe actif qui parvient au même site d‟action, à la même vitesse et à la même concentration comparé au princeps. La DMP confirme que la loi sur les tests de bioéquivalence est adoptée et que le décret d‟application est toujours attendu. A ce jour, il n‟y a donc pas d‟obligation pour les entreprises qui produisent du générique de soumettre les tests de bioéquivalence lors du dépôt d‟un dossier d‟AMM. La Direction fait remarquer que la question des tests de bioéquivalence est un peu galvaudée. Il s‟agit d‟une lutte qui oppose les producteurs de princeps et les génériqueurs. Les premiers poussent pour que les tests de bioéquivalence deviennent obligatoires, les seconds n‟en veulent pas du tout. Entre les deux, la DMP doit se positionner sur un argument scientifique. Elle rappelle qu‟il n‟y a pas de modus operandi au niveau international. Ainsi, pour l‟OMS, il y a deux catégories de produits qui doivent faire l‟objet de tests de bioéquivalence. En France, il y a trois catégories de produits. Le Maroc a décidé de suivre les orientations de l‟OMS. A défaut de demander les tests de bioéquivalence et en l‟absence d‟obligation légale au Maroc à ce jour, la DMP exige systématiquement les tests de dissolution comparatifs in vitro qui constituent une approche de bioéquivalence. Par ailleurs, la Direction indique que la question des tests de bioéquivalence ne concerne pas tous les produits et que 30% des médicaments seraient concernés en cas d‟obligation légale formelle. En outre, la Direction souligne le fait que des dossiers d‟AMM sont déjà déposés avec tests de bioéquivalence. De fait, la plupart des entreprises soumettent des dossiers faisant état de tests de bioéquivalence. Finalement, seule une faible proportion d‟entreprises ne ferait pas ces tests. Enfin, la DMP rappelle qu‟en matière de contrôle qualité, il y a des éléments plus importants que la bioéquivalence. En particulier, l‟origine et la nature du principe actif est crucial. Au Maroc, il y a le Certificat de conformité à la pharmacopée européenne (CEP) ou le Drug Master File (DMF). Ainsi, sur le marché international, pour un même principe actif, le rapport de prix varie de 1 à 10 suivant la détention ou non d‟un DMF. Avec le DMF, le producteur a consenti un effort supplémentaire pour 183 purifier la matière première. Aussi, la Direction demande systématiquement le DMF et oblige les laboratoires à déclarer tous les mois les importations de matières premières avec le bulletin d‟analyse. La direction dispose alors d‟une base de données avec toutes les matières premières qui entrent dans la fabrication d‟un médicament mis sur le marché au Maroc. Cette base permet d‟éviter qu‟un laboratoire dépose une AMM avec une matière première de haute qualité et tente ensuite de changer de fournisseur au profit d‟une matière première de moins bonne qualité. Donc la DMP trace la matière première au Maroc, action critique dans un pays où la quasi-totalité des matières premières est importée. En outre, des contrôles post-AMM sont réalisés par la DMP. Des enquêtes et inspections ont lieu sur le marché public et le marché privé. Des prélèvements d‟échantillons sont effectués en pharmacies, officines et chez les producteurs. Des contrôles peuvent être effectués pour une molécule : toutes les spécialités d‟une même DCI sont analysées du princeps aux génériques. Récemment, la DMP a réalisé une telle enquête sur l‟association amoxicilline et acide clavulanique et contrôlé la qualité de l‟un des antibiotiques les plus utilisés au Maroc59. De plus, il existe des procédures de « réclamation qualité». Tout professionnel de la santé ou patient peut adresser une réclamation écrite à la DMP. Il existe un registre de saisie des réclamations. Toute réclamation déclenche une enquête. Les inspecteurs se rendent chez le producteur pour prélever des échantillons parmi le lot incriminé, le lot produit avant et le lot produit après celui-ci. Cette méthode permet d‟investiguer si le problème est ponctuel ou récurrent. La décision après enquête peut être de deux ordres : soit le lot est retiré car un problème de fabrication sur ce lot a été constaté, soit l‟AMM est suspendue car le problème est récurrent au vue des résultats obtenus sur différents échantillons. Il y a suspension de l‟AMM jusqu‟à ce que le producteur fasse la preuve de la résolution du problème. Enfin, il y a des cas où le problème relève de la conservation chez le patient ou le professionnel de santé, ce qui ne relève pas d‟un problème de fabrication. La Direction ajoute que depuis qu‟il y a des pharmaciens dans les structures sanitaires, il y a plus de réactivité et plus de réclamations. Il y aurait eu entre 10 et 15 réclamations enregistrées par la DMP pour des médicaments ou des dispositifs médicaux. Interrogée sur le nombre d‟AMM suspendues en 2010 pour des motifs de qualité, la Direction indique que dans le cas de l‟enquête faite pour l‟association amoxicilline et acide clavulanique, elle a inspecté en particulier les poudres pour suspension, c'est-à-dire les poudres reconstituées ensuite avec de l‟eau pour fabriquer un sirop pour enfant. Les contrôles ont été effectués dans les conditions réelles d‟utilisation, c‟est-à-dire en respectant le nombre de jours de traitement prévu. Sur les 13 spécialités contrôlées, une seule présentait un problème. Il a été constaté une séparation dans la composition du sirop provenant d‟une faiblesse dans le procédé de fabrication. En conséquence, le patient devait secouer le produit avant usage pour rétablir l‟homogénéité du produit et son efficacité. Dans ce cas, l‟AMM a été retirée à la demande du producteur et acceptée par la DMP car d‟autres spécialités étaient disponibles sur le marché. Pénicilline plus inhibiteur de bétalactamase, générique de l’Augmentin. L’Adjonction d’acide clavulanique permet d’empêcher la destruction de l’amoxicilline par certaines bactéries. Il s’agit d’un antibiotique à spectre large, utilisé dans le traitement des de diverses infections des poumons, des bronches, du nez, de la gorge, des oreilles, de l’appareil urinaire, des voies génitales, des gencives, des dents. 59 184 A contrario, il y a des cas d‟AMM qui ne sont pas renouvelées pour des raisons économiques. En 2010, 83 retraits d‟AMM ont été enregistrés. A l‟origine de ces retraits, on peut trouver des entreprises qui peuvent avoir un nouveau produit plus développé à commercialiser et qui souhaitent donc supprimer l‟ancien ; elles demandent alors le retrait de l‟AMM. Une autre raison du retrait d‟une AMM est le nombre insuffisant de patients au Maroc et qui ne justifie plus la fabrication locale d‟un médicament. La direction indique qu‟il y a des situations où les entreprises jettent les trois quarts de leur production pour cause d‟insuffisance de la demande et désirent le retrait de l‟AMM. La DMP précise néanmoins qu‟elle peut s‟y opposer et refuser si le produit présente un intérêt thérapeutique. Elle peut alors transformer l‟AMM de production en AMM d‟importation si l‟entreprise démontre que la production locale n‟est pas soutenable. Sous AMM d‟importation, si le produit présente un intérêt thérapeutique, il pourra être importé « en vrac » pour être conditionné localement. Pour parachever cette discussion sur la qualité des médicaments commercialisés au Maroc, la direction rappelle que l‟OMS a publié une étude qui classe les médicaments produits au Maroc comme appartenant aux standards européens (OMS 1997, Ministère de la santé 2008). En outre, le LNCM fait partie du réseau européen des laboratoires de contrôle, accrédité en 2007 et confirmé tout récemment par la Direction européenne de la qualité du médicament. Enfin, le laboratoire a été préqualifié par l‟OMS et est devenu un laboratoire partenaire officiel de l‟institution. En résumé, l‟AMM et les procédures de contrôle post-marketing constituent des outils importants dont dispose la DMP pour promouvoir finalement à la fois la disponibilité, l‟abordabilité et la qualité des médicaments commercialisés sur les marché privé et public du médicament au Maroc. L’abordabilité du médicament : des discussions autour d’une réforme des modes de fixation du prix La Direction confirme que des discussions avec les différents intervenants sont en cours sur les procédures de fixation du prix des médicaments. De fait, les procédures en cours sont obsolètes, ne sont pas appliquées par les pouvoirs publics et souffriraient d‟une certaine opacité comme le résume le Ministère de la Santé dans son « Plan d‟action santé 2008-2012 » (2008). Selon la direction, les discussions en cours visent à trouver la meilleure formule dans l‟intérêt du citoyen sans léser les professionnels de la santé. Aussi, il y a un mode de calcul et des mesures d‟accompagnement à prévoir. La Direction précise que l‟objectif n‟est pas simplement de baisser les prix. Elle rappelle que le Ministère de la santé, suite à la publication du rapport du Parlement, a déjà obtenu des baisses de prix pour 315 médicaments, baisses pouvant aller jusqu‟à 75%. Interrogée sur l‟état actuel des procédures de fixation des prix qui inciteraient les acteurs publics au niveau central à envisager une refonte, la Direction souligne un point important. L‟arrêté établissant les modalités de fixation des prix date de 1969, il établit une procédure pour les produits fabriqués localement et les produits importés. L‟une comme l‟autre de ces procédures sont insatisfaisantes. 185 Concernant le cadre de prix applicable aux produits fabriqués localement, il tient compte de tous les intrants intervenant dans la fabrication d‟un médicament et donc de son prix : les matières premières, les articles de conditionnement, la main d‟œuvre, les charges sociales, les pertes, etc. La Direction qualifie ce système d‟inflationniste puisqu‟il n‟inciterait pas les producteurs locaux à améliorer leur productivité, ni à proposer un meilleur cadre de prix en cherchant notamment une matière première au meilleur prix sur les marchés internationaux. Du reste, dans son plan d‟action 2008-2012, le Ministère de la santé (2008) relève que ce cadre des prix inflationniste crée un écart de prix croissant entre les produits plus anciens et les nouveaux produits commercialisés avec pour effet un abandon des premiers au profit des seconds. Concernant le cadre de prix opposable aux produits importés, il est calculé sur la base du prix Free on Board (FOB) dans le pays d‟origine du produit, convertis en dirhams, par l‟application d‟un formule mathématique qui intègre les coûts de transports, les droits de douanes, les taxes et marges diverses. La marge de l‟importateur, incluse dans le prix FOB, est toutefois plafonnée à 20%. La Direction estime que ce cadre de prix est également inflationniste. Elle fait remarquer que l‟importateur peut se référer au prix FOB le plus avantageux pour lui et ce faisant sélectionner le pays d‟origine pour l‟importation dans lequel le produit est commercialisé au prix le plus élevé, provoquant une hausse artificielle du prix du médicament sur le marché marocain. Le Ministère de la santé ne manque pas de souligner qu‟un effet pervers de ce cadre de prix avantageux pour les importateurs pourrait être une hausse des produits importés observés depuis le milieu de la décennie 1990 (MS 2008). Dans le cadre d‟une refonte du cadre de prix, pour l‟avenir, une piste sérieuse pour réduire les prix et améliorer l‟abordabilité des médicaments sur le territoire est celle du benchmarking pour les princeps. Une autre piste de recherche serait la mise en place de modalités de décrochage pour soutenir la pénétration du générique sur le marché du médicament. Principe recommandé par le BCG dans son étude remise au Ministère de la santé l‟année dernière60, le benchmarking prévoit un alignement des prix (prix fabricant hors taxe) sur le minimum d‟un panier de sept pays : la Belgique, l‟Espagne, la France, la Grèce, le Portugal ainsi que la Jordanie et la Turquie61. Par modalités de décrochage, il faut comprendre la révision des marges octroyées aux officines de façon à promouvoir la consommation de génériques selon le principe des marges dégressives. Il serait également prévu une refonte du mode de fixation du prix du générique (Lamrini 2011, Chattou 2011, BCG 2010). A ce jour, la règle suivie prévoit que le premier générique est commercialisé avec une baisse de prix de 30% par rapport au princeps. Le générique suivant est introduit sur le marché avec une baisse de 5% par rapport au premier générique. Et ainsi de suite pour les génériques suivants. Comme le résume le tableau suivant, et selon les recommandations faites par le BCG, il Dans son plan d’action santé 2008-2012 publié en 2008, le Ministère de la santé prévoyait un objectif 3 intitulé « Améliorer l’accessibilité du médicament ». Une action 66 commandait la mise en place d’une nouvelle procédure de fixation des prix et ce faisant, d’une part, la réalisation d’une étude sur les différents systèmes de fixation des prix utilisés à l’étranger et, d’autre part la conduite d’une étude sur le prix du médicament proprement dit au Maroc (MS 2008). Cette orientation fut à l’origine de l’étude confiée à BCG et remise au Ministère en 2010. 61 Pour sa part, Lamrini (2011) indique que la liste pourrait comporter 9 pays, que l’Arabie Saoudite viendrait se substituer à la Jordanie et que le pays d’origine du médicament y serait ajouté. Le PFHT serait toujours aligné sur le PFHT le plus bas du panier de pays. 60 186 serait prévu pour la fixation du prix des cinq premiers génériques de fixer un taux de réduction du prix par rapport au princeps. Ainsi pour un princeps dont le prix fabricant hors taxes (PFHT) serait de plus de 150 DH, il serait prévu un taux de réduction de 50% pour le PFHT des cinq premiers génériques. Tableau 41 : Pourcentage de réduction de prix des génériques par rapport au princeps Prix fabricant hors taxes princeps Entre 0 et 30 DH PFHT Entre 30 et 70 PHFT Entre 70 et 150 DH PFHT >150 DH PFHT Pourcentage de réduction par rapport au princeps 35% 40% 45% 50% Source : Lamrini 2011, Chattou 2011. Afin de soutenir toute action portant sur l‟abordabilité des prix, sont également en discussions : (i) l‟institutionnalisation d‟une commission des prix des médicaments ; (ii) une commission de transparence qui serait en charge de fixer les taux de remboursement des médicaments sur la base d‟une analyse du service médical rendu à l‟instar de qui se fait en France et d‟autres pays (MS 2008) 62. Concernant la Commission des prix, par décision de la Ministre de la santé, elle a été créée en janvier 2010 et les membres la composante désignés (Lamrini 2011). Elle sera présidée par le responsable de la DMP accompagné des responsables de la DHSA, de la DA, des représentants de la Direction de la planification et des ressources financières ou encore des représentant de l‟ANAM, de la Caisse nationale des organismes de prévoyance sociale (CNOPS) et de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS). La commission aura pour mission d‟examiner les dossiers de prix, de proposer des prix ou encore d‟analyser les demandes de révision de prix. L‟entretien avec la DMP a permis d‟établir l„existence d‟outils établis en vue d‟assurer une plus grande disponibilité, abordabilité et qualité des médicaments. Les discussions en cours devraient permettre d‟étendre dans un avenir très proche les outils mis à la disposition de la Direction pour soutenir ses efforts sur les trois vecteurs de l‟accessibilité du médicament au Maroc. Selon les professionnels du secteur pharmaceutique Dans le secteur pharmaceutique, les avis des acteurs semblent converger vers un point significatif. L‟accessibilité du médicament est un enjeu majeur qui renvoie à un défi de taille, celui de la couverture médicale. Aussi, les efforts des producteurs, des pharmaciens, des distributeurs et des médecins sont considérables pour améliorer la disponibilité et la qualité des médicaments sur le territoire avec l‟aide des pouvoirs publics. Cependant, il est une question qui divise profondément ces acteurs et les pouvoirs publics : l‟effet levier qu‟exercerait une action sur les prix du médicament sur son abordabilité. Les plus sceptiques pour ne pas dire les plu hostiles à cette idée sont les producteurs de médicament. Dans l’ensemble ces propositions ont été reprises par la Mission d’information du Parlement sur le prix du médicament une année plus tard. 62 187 Les producteurs de médicaments Une industrie locale qui contribue à la disponibilité des médicaments Selon les dernières données disponibles (AMIP 2008, Belaïche 2010), le marché du médicament aurait atteint la valeur de 7,3 milliards de DH en 2009. Près de vingt ans plus tôt, le marché se situait à 1,9 milliards de DH comme l‟indique le graphique ci-dessous. Ainsi, par tête et par an, la consommation de médicaments en valeur serait passée de 127 DH à 372 DH entre 1991 et 2009 (cf. graphique cidessous). On note finalement une progression sensible de la consommation de médicaments en volume, de l‟ordre en moyenne de 6,28% par an sur la période. Figure 8 : Évolution de la consommation des médicaments au Maroc Source : Belaïche 2010 A la question de l‟origine des médicaments distribués sur le territoire, il est un fait suffisamment exceptionnel dans les pays en développement pour être souligné (OMS 2004). Le Maroc dispose d‟une industrie pharmaceutique ; à l‟instar de pays comme l‟Inde, le Brésil ou l‟Argentine, le Maroc a entamé dans les années 1960 une politique industrielle dans le secteur pharmaceutique sur la base d‟un modèle de substitution aux importations (OMS 1997, Zniber & Es-Semmar 2010). Le résultat en est le développement d‟une industrie pharmaceutique composée de 35 sites de production aujourd‟hui contre 8 en 1965 (MS 2008, AMIP 2008). Cette industrie formule et conditionne les médicaments sur la base de l‟importation des matières qui se font à plus de 90% et produit essentiellement sous licence étrangère (OMS 1997 & 2004 b). Aujourd‟hui, la production de ces entreprises est absorbée à 80% par le marché privé, 10% par le marché public et 10% par les marchés étrangers. Les 35 sites de production dispersés sur le territoire permettent de couvrir 70% des besoins de la population et couvre l‟ensemble des classes thérapeutiques. Les 30% restant sont couverts par des importations provenant essentiellement des pays européens (AMIP 2007). Aussi, l‟industrie pharmaceutique marocaine apporte une contribution majeure à la disponibilité des médicaments sur le territoire. 188 Figure 9 : Évolution de la consommation des médicaments au Maroc Source : Belaïche 2010. Aspects industriels de l’abordabilité du médicament La contribution de l‟industrie marocaine à la disponibilité des médicaments est d‟autant plus appréciable qu‟elle s‟opère sur un marché étroit où les volumes de production sont limités par la faiblesse du pouvoir d‟achat et la faiblesse de la couverture sociale comparée à des pays comme la France. En effet, en France, le marché du médicament est plus large compte tenu d‟une couverture médicale étendue et d‟un pouvoir d‟achat important. La quasi-totalité de la population française a accès à la couverture médicale. Les ventes réalisées par les producteurs se sont élevées à près de 50 milliards en 2009 : 27 milliards d‟euros de ventes sur le marché national et 23 milliards à l‟exportation (LEEM 2011) 63. Ce sont 324 entreprises qui se partagent le marché, avec pour effet un marché peu concentré. Somme toute, le marché français du médicament est quarante fois plus important que le marché marocain, avec un nombre de producteurs près de 10 fois plus élevé qu‟au Maroc. En revanche, le marché marocain est plus concentré. En 1997, l‟OMS notait que les dix premiers producteurs réalisaient près de 80% de la production locale. Aujourd‟hui, à lui seul, le groupe Cooper Maroc réalise un chiffre d‟affaires de 1,6 milliards de DH et détiendrait donc 22% de parts de marché. Sur la base de données éparses (site internet des entreprises, classement du top 500 des entreprises marocaines, presse économique, etc.), comme l‟indique le tableau ci-dessous, il apparait que les cinq premières entreprises réaliseraient un chiffre d‟affaires cumulé de cinq milliards de DH et représenteraient près de 70% de parts de marché. A titre de comparaison, en France, les cinq premières entreprises représenteraient 28,6% de parts de marché (LEEM 2011). Il faudrait alors cumuler le chiffre d‟affaires des 40 à 50 premières entreprises pour obtenir une concentration des parts de marché comparable à celle réalisée par les 5 premières entreprises du médicament opérant au Maroc. 63 Cf Les informations disponibles sur le site www.leem.org. 189 Selon les manuels d‟économie industrielle les plus classiques, cette concentration sur le marché marocain pose la question de ses effets sur la concurrence et les prix. La concentration de 70% de parts de marché entre les mains de 5 opérateurs peut-elle constituer une limite sérieuse à l‟expression d‟une concurrence vive sur le marché et ce faisant un frein non négligeable à la baisse des prix en faveur d‟une amélioration du bien être de la population ? Tableau 42 : Chiffre d‟affaires et part de marchés des 5 premières entreprises du médicament au Maroc Chiffre d‟affaires en milliards de DH Parts de marché en pourcentage Cooper Maroc 1,6 22,02 Laprophan 1,1 15,14 Maphar 0,9 12,38 Sanofi-Aventis 0,855 11,76 Sothema 0,615 8,46 Total 5,07 69,77 Source : d‟après sites internet des entreprises ; Classement global 500, 2008. Chiffres et classement variables d‟une source à l‟autre Maphar étant une filiale du groupe Sanofi-Aventis, ces deux entités cumuleraient finalement à ellesseules presque un quart du marché du médicament marocain. Outre le problème de concentration, l‟industrie marocaine souffre de plusieurs faiblesses. Premièrement, Les échelles de production sont modestes. Comme le résume Belaïche (2010), 26 produits auraient des échelles de production qui dépasseraient le million de boites vendues par an soit 0,6% des médicaments commercialisés au Maroc. Par contraste, on note une concentration particulière autour d‟une échelle de production : les volumes de boites vendues compris entre 10.000 et 50.000 couvriraient 1.100 produits, soit près d‟un quart (23%) des médicaments commercialisés. Aussi, comme nous le rappelle un producteur interrogé lors d‟un entretien, la production marocaine est semi-industrielle tant les séries de production sont courtes. Les coûts de production sont plus importants que ce qui est proposé ailleurs. Deuxièmement, l‟industrie marocaine est une industrie de formulation et de conditionnement comme le souligne régulièrement l‟OMS (1997 & 2004 b) et comme il a été constaté sur le terrain lors de nos entretiens. Aussi, elle affiche une dépendance forte vis-à-vis de fournisseurs étrangers qui maitrisent la production et la commercialisation d‟un bien stratégique dans le secteur : le principe actif intégré par la suite dans des formules par les producteurs pour obtenir des sirops, gélules, comprimés, pommades, etc. La faiblesse des échelles de production et la dépendance vis-à-vis des fournisseurs étrangers de matières premières ont un effet direct sur les prix et ce faisant sur l‟abordabilité du médicament. D‟une part, des séries courtes ont un effet sur les prix dans une industrie où les économies d‟échelle sont cruciales et constituent un avantage concurrentiel déterminant outre la détention de brevets ou des dépenses de marketing considérables. D‟autre part, l‟industrie pharmaceutique marocaine est dépendante de fluctuations de prix plus ou moins importantes des matières premières selon leur provenance et leur qualité. Lors d‟un entretien, un producteur rapportait que le prix des matières premières pouvait avoir une incidence 190 de 50 à 60% sur le coût de fabrication du médicament avant de situer cette incidence en moyenne autour de 30%. Par ailleurs, dans la mesure où les entreprises marocaines produisent sous licence, une conséquence est trop souvent l‟existence d‟accords commerciaux prévoyant que le détenteur de la licence devra s‟approvisionner en matières premières auprès de l‟entreprise qui octroie la licence. En échange d‟une licence, celui-ci récupère un profit non négligeable en facturant la matière première au partenaire à un prix élevé 64. Ainsi, lors d‟un entretien accordé à la presse, M. Guermai, PDG de Galénica, indiquait que « Les prix des principes actifs sont très élevés. Ils fluctuent en général de 10% autour d'un prix international. Continuant d'être vendus par les maisons mères, elles les facturent 3 à 20 fois plus cher ». La structure et le fonctionnement de cette industrie peuvent peser sur les prix et l‟abordabilité du médicament. Pour conclure, notons un élément de taille. Dans un pays où l‟industrie nationale produit du générique, où le pouvoir d‟achat de la population est faible, le générique ne représenterait qu‟une faible part du marché en volume et en valeur entre 27 et 30% (Aghnaj 2006, AMIP 2010), avec un chiffre d‟affaires de 2 milliards de DH (IMS 2010 cité dans AMIP 2010). Sur le marché public, selon les données fournies par nos interlocuteurs, le générique représenterait plus de 80% des achats publics65. Autrement dit, l‟enjeu pour les années à venir est la pénétration plus importante du générique sur le marché du médicament pour améliorer sensiblement l‟utilisation par les professionnels de la santé et la population des médicaments les plus abordables (cf. plus bas pour une discussion autour de la prescription et l‟utilisation du générique). L‟objectif fixé par le Ministère de la santé est un taux de pénétration du générique de 60% d‟ici 2015, soit un doublement en cinq ans. 8.2.1.3. La qualité des médicaments produits localement Concernant la question de la qualité des médicaments produits et commercialisés au Maroc et notamment la question des tests de bioéquivalence, les acteurs insistent sur plusieurs points. Tout d‟abord, nos interlocuteurs saluent le rôle déterminant joué par la DMP dans la fourniture de médicaments de qualité. Ils se félicitent de l‟accréditation du LNCM par l‟Europe et sa préqualification par l‟OMS qui ajoutent à la crédibilité du secteur au niveau national et surtout au niveau international. Ensuite, un producteur de générique, qui assure soumettre systématiquement ses dossiers de demande d‟AMM avec tests de bioéquivalence à l‟appui, ne cesse d‟être étonné par la méfiance persistante dont font preuve les prescripteurs. Lorsque ses délégués médicaux rencontrent les médecins et leur soumettent tout naturellement le dossier complet du médicament avec les tests de bioéquivalence réalisés, les médecins demandent le nom des centres, des professeurs qui ont effectué ces tests. Le producteur indique qu‟il n‟a pas à divulguer cette information. Les tests de bioéquivalence sont faits dans des centres agrées par l‟UE. Il précise en outre que 52 pharmaciens travaillant à la DMP examinent ses dossiers. De même, la facturation de matières premières à des prix prohibitifs entre maison mère et filiales d’un même groupe est une pratique largement répandue qui permet de transférer une part considérable des profits réalisés, soustraits ainsi à la fiscalité du pays où le médicament est produit et commercialisé. 65 Concernant le marché public approvisionné par appel d’offres, les personnes interrogées soulignent la clarté et la transparence des procédures mises en place par la DA. Cependant, elles émettent une réclamation : en cas de problèmes d’approvisionnement, l’adjudicataire encourt des pénalités qui valent pour l’ensemble du marché obtenu et pas seulement pour la valeur du lot à commander pour une spécialité. Sur un autre registre, nos interlocuteurs indiquent que la participation à ces appels d’offres et l’approvisionnement du marché public constituent de la promotion indirecte appréciable. 64 191 Notre interlocuteur précise qu‟il a toujours réalisé des tests de bioéquivalence pour la commercialisation d‟un produit. Il a une convention avec la Faculté de pharmacie de Rabat : en échange de matériels mis à la disposition de la Faculté, il a négocié des prix pour la réalisation de test de bioéquivalence. Pour des produits sensibles, il dit confier la réalisation des tests de bioéquivalence à un centre situé à Lille où les tests sont effectués sur 24 patients en double aveugle comme le prévoient les normes internationales. La conduite de tests de bioéquivalence constitue une dépense non négligeable. Celle-ci peut varier de 30.000 euros en Europe de l‟est à 100.000 euros en France. Cette dépense est telle que les producteurs sont incités à rechercher les centres les moins disant, qui exploiteraient des économies d‟échelles importantes. Ainsi, les producteurs se tiennent informer des prix et conditions proposés par des centres en Tchéquie ou en Jordanie pour réduire le coût de ces tests et le coût de commercialisation du médicament. Un autre producteur interrogé insiste sur d‟autres enjeux concernant la qualité des médicaments et la réalisation de tests de bioéquivalence. Il commence par rappeler qu‟il y a peu de temps la France n‟exigeait pas de tests de bioéquivalence à ses industriels du médicament. Elle exigeait uniquement, comme au Maroc, les tests de dissolution in vitro. Notre interlocuteur indique que la bioéquivalence ne concerne que certaines formes galéniques et pour ces formes galéniques, seulement certaines molécules, certaines matières très actives. Ensuite, le producteur insiste sur le côté pernicieux de la bioéquivalence. Il rappelle que le Maroc enregistre depuis plus de 30 ans des génériques. Il estime que lorsqu‟un médicament comme un antibiotique est commercialisé et que personnes ne s‟en plaint, il a fait la preuve de son efficacité. Il précise que les tests de bioéquivalence sont menés sur un échantillon de 24 personnes choisies et en bonne santé. En phase de commercialisation, le médicament est pris par des milliers de malades. Du reste, au moins 27% du marché marocain est génériqué et on ne pourrait en conclure que les médecins sont dans l‟erreur en continuant à prescrire du générique. Il rapporte que des entreprises exportent vers l‟Europe et l‟Afrique comme signe de qualité des médicaments produits au Maroc. Notre interlocuteur soulève le fait que s„il y avait des problèmes de qualité avec les génériques, les concurrents seraient les premiers à tirer la sonnette d‟alarme. Par ailleurs, notre interlocuteur voudrait bien croire que des raisons purement scientifiques justifient l‟exigence de tests de bioéquivalence en vue de la commercialisation d‟un générique. Cependant, il craint que les motivations soient fondamentalement économiques et stratégiques. Notre interlocuteur suggère l‟idée que les tests de bioéquivalence seraient une barrière de plus érigée à l‟intention des génériqueurs, pour freiner leur progression et limiter la concurrence vive qu‟ils pourraient exercer sur le marché du médicament. L‟exigence faite aux génériqueurs de réaliser des tests de bioéquivalence pourrait nuire à leur développement industriel et au bout du compte à la fourniture de médicaments moins chers. Néanmoins, notre interlocuteur précise qu‟il a souhaité que le texte de loi prévoyant les tests de bioéquivalence soit mis en place pour la crédibilité du secteur. Comme à la DMP, il insiste sur le fait que beaucoup de dossiers sont déposés avec tests de bioéquivalence à l‟appui. Il se félicite de la qualité des procédures d‟AMM alignées sur les normes européennes, qui ajoute à la crédibilité du secteur 192 pharmaceutique66. La moitié du chiffre d‟affaires réalisé par son entreprise concerne le générique et tous les génériques disposent d‟un dossier de bioéquivalence. De même, beaucoup d‟entreprises déposent des dossiers de bioéquivalence pour gagner la confiance des médecins. Il indique que beaucoup de sociétés achètent des dossiers à l‟international avec bioéquivalence. Il conclut que l‟industrie marocaine a connu 42 années d‟activité sans dégâts et que toutes les conditions sont réunies pour assurer un médicament de qualité au citoyen, générique ou non. Notre interlocuteur veut croire que les tests de bioéquivalence sont une opportunité pour l‟industrie pour une toute autre raison. La bioéquivalence faisable au Maroc constitue une évolution et une opportunité de développement pour ce secteur. Celui-ci ne peut se cantonner éternellement à la mise en forme galénique des médicaments. Dans l‟étude BCG faite avec l‟AMIP sur les perspectives pour l‟industrie, il est indiqué que le développement des essais cliniques est un créneau important au niveau économique. Il s‟agit d‟un développement scientifique, en recherche pour passer à un autre stade. Le Maroc dispose de toutes les conditions pour soutenir ce développement : des compétences médicales, des services hospitaliers publics et privés, des compétences en biologie et biochimie, en statistique et informatique. Le pays dispose d‟une industrie pharmaceutique pour produire les lots pilotes. Il existe des ressources humaines, jeunes, qui peuvent participer à cet effort dans les meilleures conditions possibles, conditions à garantir par l‟élaboration précise de textes réglementaires. Le Maroc aurait une carte à jouer comparé à des pays comme la Suède ou Singapour pour participer à la recherche et développement au niveau international. Donc les tests de bioéquivalence sont un investissement pour le développement du secteur au même titre que la libéralisation du capital intervenue en 200667. Si des centres de bioéquivalence sont mis en place au Maroc et validés par l‟Europe, le pays pourrait proposer ces tests à 60% de ce qu‟‟ils coûtent en Europe. L’abordabilité du médicament au Maroc : un débat animé A la question sensible du prix du médicament sur le territoire, et conscients, voire parties prenantes des discussions en cours sur les réforme prévues des modes de fixation du prix pour les princeps et les génériques, les producteurs sont unanimes, que cela soit par voie de presse ou de vive voix lors des entretiens réalisés : s‟il y a un problème d‟accès au médicament incontestable au Maroc, il ne tient pas aux prix mais au faible pouvoir d‟achat de la population, à l‟étroitesse de la couverture médicale ou à l‟insuffisance de l‟éducation des individus à la santé. Une critique récurrente adressé aux producteurs est que le prix du médicament rapporté au pouvoir d‟achat de la population est faible. A cette Des producteurs se plaignent de délais excessifs. Toutefois, ce point doit être nuancé comme le suggère notre interlocuteur. Il y a, d’un côté, les entreprises qui ont du personnel technique et réglementaire pour suivre leurs dossiers d’AMM de manière étroite et compétente. Celles-ci ne se plaignent pas particulièrement des délais. Il y a, d’un autre côté, les entreprises qui par manque sans doute de personnels et de moyens ont des difficultés pour respecter les procédures, les normes. Il admet qu’il y a certainement des délais incompressibles à respecter pour observer des procédures et assurer une qualité. Il reconnait également qu’il y a certainement des améliorations à apporter au système, des moyens et équipements supplémentaires à allouer à la DMP pour réduire les délais d’enregistrement d’un médicament. Ces délais se situerait entre 18 et 24 mois actuellement et devraient être ramené à 12 mois selon notre interlocuteur. 67 Avant cette libéralisation, la loi prévoyait que 51% du capital devait être détenu par des pharmaciens, dont 21% par des pharmaciens autorisés à exercer au Maroc, ce qui était considéré comme un frein au développement de l'industrie (Zniber et Es-Semmar 2010). Désormais, la loi prévoit qu’un pharmacien dûment autorisé à exercer sur le territoire sera le propriétaire, le directeur général ou lé gérant d’un établissement pharmaceutique (loi n°17-04 du code de médicament et de la pharmacie). 66 193 remarque, les producteurs soutiennent invariablement que le problème ne se situe pas au numérateur, si l‟on tient compte des coûts de production, mais au dénominateur. En effet, un producteur indique que selon les dernières statistiques publiées par le gouvernement, 80% des Marocains toucheraient moins de 6.500 DH par mois. Aussi, le pouvoir d‟achat des Marocains serait faible et ne permettrait pas une hausse soutenue de la demande de médicaments et ne pourrait assurer un accès plus important aux médicaments. Dans un discours parfaitement rodé, nos interlocuteurs (producteurs, pharmaciens, distributeurs et médecins) soulignent qu‟avec un pouvoir d‟achat dit faible, les individus consommeraient moins de 400 DH par an en médicament mais environ 1.000 DH par mois en téléphonie mobile, pour mettre en évidence le peu d‟importance accordée à la santé, même pour une population pauvre. Les personnes interrogées indiquent qu‟il appartient aux pouvoirs publics d‟éduquer la population à la santé en les informant par exemple des risques que courent les enfants lorsqu‟ils boivent de l‟eau dans la rue, lorsqu‟ils utilisent mal des antibiotiques abordables en officine. Un producteur s‟interroge : l‟éducation préventive est-elle suffisante pour que les parents ne laissent pas leurs enfants boire de l‟eau dans la rue, les empêcher ainsi de tomber malade et éviter finalement de devoir acheter des médicaments pour les soigner ? Les investissements dans les infrastructures et l‟éducation sont-ils suffisants pour prévenir la dégradation des conditions de santé ? Un accès limité à l‟eau potable ou un usage irrationnel des médicaments (et particulièrement des antibiotiques avec les risques de développement de résistances) sont des éléments cruciaux pour améliorer les conditions sanitaires des populations sur le long terme. Un interlocuteur souligne que l‟on parle beaucoup de droit à la santé, et du médicament comme d‟un bien public mondial, et des dépenses de santé. Il estime que l‟on devrait parler davantage d‟investissements pour la santé : lorsqu‟un diabétique peut prendre son traitement et se soigner, il peut continuer à travailler, à être productif, à être rentable économiquement ; il est alors certainement plus bénéfique de payer un médicament jugé cher que de voir la personne devenir handicapée et s‟imposer comme une charge pour sa famille et la société. Ces remarques une fois faites, invariablement nos interlocuteurs attirent l‟attention sur les méthodes utilisées dans les études du prix du médicament au Maroc. Un cadre au sein d‟une association, et un représentant de l‟AMIP soulignaient que l‟étude faite par l‟OMS en 2004 compare les prix privés au Maroc avec les prix des centrales d‟achat internationales, dont celle de l‟UNICEF basée au Danemark. Or cette organisation achète des médicaments essentiels pour 40, 50, voire 60 pays à travers des appels d‟offres internationaux très importants. De surcroit, il s‟agit d‟une organisation sans but lucratif qui ne paye pas de charges. On ne peut comparer cette organisation avec des entreprises qui sont à but lucratif, payent des charges, versent des taxes, des droits de douanes et d‟autres impôts, et font des profits. La méthode de l‟étude réalisée par le parlement serait, quant à elle, contestable. Par exemple, pour un échantillon comportant les médicaments les plus vendus au Maroc, cette étude affirme que les prix sont généralement plus élevés au Maroc, de 30 à 189% par rapport à la Tunisie pour les princeps, et de 20 à 70% plus élevés par rapport à la France (Chambre des représentants/Commission des finances et du développement économique, 2009). Elle constate des différences de prix pour un même DCI sous différentes spécialités qui pourraient atteindre 600%. 194 Dans une réponse à la Mission d‟information du Parlement ces résultats obtenus sont contestés. Un faible échantillon a été utilisé : 29 médicaments sur 5.000 disponibles sur le marché marocain. La valeur statistique des résultats obtenus serait donc très faible et les conclusions ne sont pas généralisables. En outre, le principe retenu par la Mission selon lequel les médicaments les plus vendus font partie de l‟échantillon sélectionné est contesté. Sur les 15 princeps sélectionnés, selon l‟AMIP et notre interlocuteur, seuls deux figureraient parmi les médicaments les plus vendus en volume et six parmi les plus vendus en valeur. En particulier, le médicament le plus vendu au Maroc, le Doliprane, aurait été retiré de l‟échantillon. On va jusqu‟à relever des prix de génériques faux, la présence dans l‟échantillon d‟un médicament qui n‟a jamais été commercialisé en pharmacie ou un autre qui n‟est plus commercialisé dans le pays. Les critiques sont nombreuses. On s‟interroge également sur la validité d‟une comparaison des prix entre le Maroc et la Tunisie, pays dans lequel il existe une pharmacie d‟État qui achète par appels d‟offres avec des volumes importants et qui vend aux officines. De plus, l‟État y applique un système de péréquation entre les produits essentiels qui sont subventionnés et des produits de confort qui ne le seraient pas. Autre fait non négligeable, plus de 80% de la population tunisienne serait couverte par une assurance maladie contre seulement 34% au Maroc. Pareillement, la comparaison avec la France est jugée peu recevable compte tenu de l‟importance des volumes consommés, de l‟ampleur du système d‟assurance maladie ou encore du pouvoir d‟achat des ménages plus élevé en France. Aussi, notre interlocuteur indique que l‟AMIP a fait sa propre étude sur un échantillon de 555 médicaments pour comparer les prix au Maroc et en France. Il apparaitrait alors que 67% des médicaments (254 princeps et 120 génériques) auraient des prix inférieurs à ceux de la France. Au contraire, 33% des médicaments (129 princeps et 52 génériques) auraient des prix supérieurs à ceux de la France. Nulle mention n‟est faite dans l‟étude des fourchettes de prix constatées pour les prix de médicaments moins chers au Maroc comparé à la France et les prix de médicaments plus chers au Maroc qu‟en France. Du reste, il importe de souligner que suivant la méthodologie recommandée par l‟OMS, il aurait fallu rapporter le prix de ces médicaments dans les deux pays au pouvoir d‟achat des ménages en utilisant par exemple le salaire journalier minimum. On remarque également que très brièvement dans son étude l‟AMIP assure que l‟analyse dynamique des prix de l‟ensemble des médicaments commercialisés au Maroc pendant la période 19992009 aurait montré que les indices des prix des médicaments auraient stagné tandis que les indices des prix à la consommation auraient connu une augmentation sensible. Pas un chiffre ou un graphique ne sont présentés à l‟appui d‟un argument qui permettrait d‟éclairer significativement le débat sur le prix du médicament et sur son évolution au Maroc au cours des dernières années. Lors de nos entretiens, nous n‟avons cessé de questionner nos interlocuteurs sur l‟existence d‟un indice des prix des médicaments et sur son évolution au cours des dernières années rapportés à l‟indice des prix à la consommation, la réponse fut constamment de nous adresser au Haut commissariat au plan pour en savoir plus. On ne peut que s‟étonner de constater qu‟au cours de ces dernières années marquées par un débat vif autour de la question du prix du médicament, aucun indice des prix des médicaments n‟ait été produit pour éclairer le débat. 195 Constamment la discussion sur le prix du médicament au Maroc aboutit à deux remarques. La première questionne l‟opportunité d‟avoir instauré en 2008 une TVA de 7% sur le prix des médicaments qui constituerait somme toute une charge supplémentaire pour des patients qui ont déjà un accès difficile aux médicaments. Un interlocuteur suggère qu‟une TVA de 2,5% aurait été suffisante à l‟instar de ce qui se pratique en Europe (cf. plus bas pour une discussion plus large de la TVA sur le médicament). La seconde remarque concerne plus encore le conflit persistant et profond entre deux logiques à l‟origine d‟un dialogue difficile entre le Ministère de la santé et les professionnels du médicament, les producteurs en tête. Il y a, d‟un côté, la logique soutenue par le Ministère de la santé, qui fait de la baisse des prix son cheval de bataille. D‟une part, comme il a été vu précédemment, les dépenses de médicaments représenteraient 32% des dépenses globales de santé qui sont supportées à 64,8% par les ménages et 24% par l‟État. Les dépenses de médicaments représenteraient 47% des dépenses de santé des ménages. D‟autre part, le prix du médicament est partie prenante des questionnements du Ministère de la santé concernant la montée en puissance de la couverture médicale au Maroc et son financement. Des efforts importants ont déjà été consentis par le Ministère de la santé puisque la population couverte par l‟AMO est passé de 17 à 34% depuis son entrée en vigueur en 2006 et le RAMED couvre en 2011 225.000 personnes dans la région pilote de Tadla-Azilal. Ces efforts devraient se poursuivre pour les années à venir. L‟objectif fixé pour l‟AMO est un taux de couverture de 50% de la population. Pour sa part, avec sa généralisation prévue d‟ici la fin de l‟année 2011, le RAMED devrait couvrir une population de 8,7 millions pour une enveloppe budgétaire estimée aux environs de 3 milliards de DH. Aussi, l‟enjeu est de taille pour les pouvoirs publics. De fait, si le Ministère accroit la couverte de la population à travers l‟élargissement de l‟AMO et la généralisation du RAMED, il devra prendre à sa charge une partie importante des dépenses de santé des ménages : une partie des dépenses de médicaments jusqu‟ici supportées par les ménages. Aussi, la question du financement de ce transfert de dépenses depuis les ménages vers l‟État se pose de façon aiguë. Dans cette optique, le maintien de prix jugés peu abordables peut être considéré comme un obstacle de taille à la maîtrise des coûts, et ce faisant au bouclage dans les meilleures conditions du financement de la couverture médicale. Le prix du médicament est alors désigné comme un obstacle à l‟élargissement de cette couverture au Maroc. Aussi, à la fois pour améliorer l‟abordabilité du médicament pour la population (dont les dépenses ne seraient pas transférées vers l‟État dans la nouvelle configuration de couverture santé en progression) et assurer une charge financière moindre pour lui-même, le Ministère de la santé explore les pistes possibles et se concentre sur la baisse des prix. Il s‟agit d‟essayer de répartir la charge financière attendue entre l‟État, d‟un côté, et les professionnels du médicament, de l‟autre, producteurs en tête. Du reste, l‟étude réalisée par le BCG désigne la baisse des prix comme un levier bénéfique y compris pour l‟industrie pharmaceutique. L‟argument est qu‟une baisse des prix pourrait générer une consommation plus importante, dynamiser le marché du médicament qui permettrait alors des volumes de production plus importants. Aussi, les baisses de prix concédées initialement (l‟effet prix) seraient au moins compensées par une hausse importante de la consommation conjuguée à une baisse non négligeable des coûts de production tirée de l‟exploitation des économies d‟échelle (effet volume). En dynamique, l‟industrie ne 196 perdrait pas dans cette affaire, elle y gagnerait même : l‟effet volume compenserait largement l‟effet prix permettant à l‟industrie de dégager des quantités produites plus larges et garder pour elle, sous forme de profit, une partie des économies en couts de production réalisées. Figure 10 : Une première logique : de l‟effet prix à l‟effet volume Baisse des prix * Hausse de la consommation des ménages * Hausses des dépenses publiques de médicament avec élargissement de la couverture santé Augmentation de la taille du marché du médicament Economies d'échelle Baisse des coûts unitaires de production Un effet prix initial compensé par un effet volume généré Profit maintenu ou augmenté pour l'industrie Charge allégée pour la collectivité A cette logique, les producteurs mettent en garde contre les effets préjudiciables d‟une baisse des prix des médicaments et avancent une tout autre logique. Tout d‟abord, les producteurs interrogés indiquent sobrement que baisser les prix signifierait condamner une industrie qui s‟est développée avec l‟encouragement des pouvoirs publics, qui couvre aujourd‟hui 70% des besoins de la population en médicaments (AMIP 2008) et qui offre une autonomie sanitaire importante au pays, appréciable en situation de crise sanitaire comme celle dernièrement de l‟épidémie H1N1. Baisser les prix reviendrait à condamner une industrie qui représente près de 40.000 emplois directs et indirects dans le secteur pharmaceutique, entre 20.000 et 30.000 emplois dans les officines et également des emplois chez les distributeurs. Tous ces emplois constituent autant de personnes qui travaillent, cotisent, ont des couvertures médicales privées en général, couvrant des familles de 3, 4 ou 5 personnes. Revoir les prix à la baisse provoquerait la fermeture d‟entreprises, détruirait des emplois, réduirait des investissements, baisserait la création de richesses sur le territoire, amenuiserait la contribution du secteur aux exportations, réduirait les recettes de l‟État. Aussi, la question du prix du médicament recouvre l‟ensemble de ces enjeux dont il faut tenir compte. Les producteurs ajoutent que les effets attendus pourraient bien être autrement plus dommageables en matière d‟accessibilité des médicaments. La baisse des prix pourrait provoquer une contraction du nombre d‟entreprises et une baisse de la concurrence. Les entreprises se recentreraient alors sur les produits les plus rentables et délaisseraient ceux à bas prix qui disparaitraient. Cette mesure pourrait bien sacrifier une industrie battit en 60 ans, détruire un tissu industriel 197 précieux sans pour autant améliorer l‟accessibilité des médicaments, en réduisant au contraire à la fois leur disponibilité et leur abordabilité. Pour conclure, comme l‟indique un de nos interlocuteurs, « on ne peut pas nous demander de produire un médicament de qualité européenne à des prix indiens et de financer l’assurance maladie. On fait déjà des efforts terribles ! ». En d‟autres termes, l‟industrie ferait déjà beaucoup pour la disponibilité et la qualité des médicaments, l‟abordabilité doit faire l‟objet d‟une discussion large et avisée. A la logique de baisse des prix, les producteurs interrogés mettent en avant la nécessité pour l‟État d‟élargir la couverture médicale (Belaïche 2010). Un tel élargissement permettrait d‟améliorer l‟accès aux soins. Une population plus large couverte par l‟assurance maladie générerait un accroissement du marché du médicament et des économies d‟échelle. A cet effet volume, l‟industrie répondrait alors par une baisse des coûts de production qui se répercuterait en baisse des prix. Cela permettrait un allègement de la charge financière dévolue à la collectivité et aux ménages dont les dépenses ne seraient pas transférer vers la collectivité (effet prix). Figure 11 : Une autre logique : de l‟effet volume à l‟effet prix Augmentation de la couverture santé Augmentation de la consommation du médicament Augmentation de la taille du marché Economies d'échelle Baisse des coûts unitaires de production Baisse des prix Un effet volume initial compensée par un effet prix générée Profit inchangée ou augmentée pour l'industrie Charge allégée pour la collectivité A ce point, il apparaitre que la différence entre les logiques avancées par le Ministère de la santé et les producteurs tient finalement à une seule question : qui devra amorcer la dynamique ? Le Ministère de la santé, qui devra soutenir l‟élargissement du marché censé provoquer un effet volume puis un effet prix avec la baisse des coûts de production, des prix ? Les producteurs qui devront revoir leur prix à la baisse, initier un effet prix dans l‟attente d‟un effet volume attendu de la montée en puissance de la couverture maladie ? La différence tient à la question de l‟acteur qui prendra à sa charge le coût initial avec le risque que ce qui parait clair sur le papier ne se réalise pas ou peu en dynamique. Enfin, faut-il prévoir un schéma intermédiaire où le Ministère de la santé, le secteur pharmaceutique et d‟autres secteurs contribuent étant entendu que la santé est un bien public qui profite à tous ? Aussi, les discussions se multiplient entre les acteurs pour sortir de cette impasse et 198 prévoir des outils appropriés pour améliorer l‟accès de la population au médicament. L‟objectif est également de ne pas affaiblir une industrie locale déjà en situation délicate face à une concurrence internationale très rude orchestrée par les multinationales du Nord et les génériqueurs des pays émergents que sont l‟Inde et la Chine. Les distributeurs Les entretiens réalisés avec un distributeur et un producteur/distributeur ont permis de cerner certains faits saillants concernant la structure du secteur de la distribution du médicament et sa contribution à l‟accessibilité du médicament, notamment sa disponibilité sur le territoire. Un des acteurs interrogés est à la fois producteur et distributeur. Il raconte qu‟il s‟est installé en 1969. A l‟époque, la distribution dans les régions était très faible. Il y avait un grossiste à Casablanca et un autre à Rabat. Il a participé à poser les premiers jalons de la distribution au Maroc, précisément à Meknès. Puis il s‟est installé un peu partout. D‟autres acteurs sont arrivés progressivement dans le secteur. Aujourd‟hui, il y a 50 grossistes en médicament. Cependant, derrière ces grossistes se trouvent en réalité six groupes et quelques indépendants. Par exemple, nos interlocuteurs nous signalent que Sophanord a huit filiales sur le territoire, que le groupe UGP en a dix, Sophacentre, sept. Globalement, il y a les groupes COPEC, UGP, Sophanord, Sophacentre, Sorenet. Il y a eu des opérations de rachat dans le secteur. Au bout du compte, UGP est le premier groupe avec 22% de parts de marché, le second groupe, Sophanord, représente 20%, un troisième groupe, 15% ; ces trois groupes totalisent donc à eux seuls 57% de parts de marché. La distribution de médicament est donc un secteur très concentré. Il y a de temps en temps des tentatives d‟opérateurs étrangers, notamment de Turquie, d‟entrer sur le marché. Ils viennent prospecter et voit que le marché est relativement bien organisé, et faute de pouvoir racheter des opérateurs, ils repartent. Pour leur part, les opérateurs européens ne seraient pas intéressés par un marché de 7,5 milliards de DH jugé trop étroit. Les répartiteurs distribuent les produits des sociétés pharmaceutique soit d‟importation, soit de production locale. Ils n‟ont pas le droit d‟importer, ni d‟exporter. Leur marge brute est de 10%. La marge varie de 0,64% à 1,3% pour les entreprises les mieux gérées. En comparaison, le grossiste le plus important en France qui détiendrait 34% du marché réaliserait une marge nette sensiblement identique. Un acteur précise qu‟il y a peu de chances que ces marges nettes évoluent à la hausse compte tenu des charges, des amortissements ou encore des coûts financiers. En outre, le nombre d‟opérateurs en hausse pourrait faire baisser les marges. Alors que la tendance en Europe est à la réduction du nombre d‟opérateurs et à la concentration, au Maroc la tendance est inverse sur un marché étroit qui évolue peu, qui a connu une croissance de 1% en 2010. La consommation de médicaments reste limitée à cause d‟un pouvoir d‟achat limité, et la mise en place de l‟AMO n‟a pas eu à ce jour, selon nos interlocuteurs, d‟effet significatif, et ils n‟en attendent pas 68. Sur la question des marges, un acteur rapporte qu‟il a été entendu par les parlementaires Sur ce point, signalons tout de même que depuis 2006, date de mise en place de l’AMO, le marché du médicament connait des taux de croissance en volume plus importants, et sans doute freinés par la crise économique en 2010 (Belaïche 2010). Par exemple, le taux de croissance en volume a été de 8,6% en 2009. 68 199 en charge de la Mission d‟information sur le prix du médicament. Il a appelé les parlementaires à augmenter les marges des grossistes, prenant soin de préciser qu‟une baisse de celles-ci ne ferait que provoquer leur faillite. Du reste, dernièrement un acteur important de la distribution a déposé son bilan. Ces trente dernières années, quatre acteurs auraient disparu, dont un groupe doté de plusieurs filiales. La disponibilité est permanente dans toutes les régions du Maroc. Les personnes interrogées assurent que la question de l‟approvisionnement est tout à fait réglée à l‟image des pays européens. Quand le produit est sur le marché, il est dans les sites de distribution et il est à la disposition des pharmacies qui souhaitent en disposer. Même les zones les plus reculées sont approvisionnées plusieurs fois par jour. Les livraisons sont de l‟ordre de 6 fois par jour pour Rabat par exemple contre un minimum de 1 à 2 livraisons par jour pour les zones rurales. Avec ces 35 producteurs, 50 distributeurs et plus de 10.000 officines, le réseau répond parfaitement aux besoins. Nos acteurs précisent qu‟il n‟y a pas de système de péréquation. Les coûts de transport sont maitrisés par les structures qui distribuent, ce n‟est pas un facteur essentiel, grâce à un bon réseau routier et une bonne concurrence sur le marché des transporteurs. Un acteur interrogé indique qu‟il dispose de ses propres transporteurs. Il fait néanmoins appel à un prestataire extérieur pour un complément ou pour des raisons économiques : le coût d‟approvisionnement peut être moins cher en s‟adressant à un sous-traitant. Les ruptures de stock existent mais seraient de plus en plus rares. Si l‟importateur ou le producteur dispose du produit, il n‟y a jamais de rupture de stock car on peut approvisionner les points les plus éloignés en 24 heures. Toutefois, nos interlocuteurs concèdent qu‟il peut y avoir des ruptures de stock pour différentes raisons : erreurs de prévision, aléas inhérents à l‟importation de matières premières, abandon de la commercialisation d‟un produit par un fabricant. Un producteur peut aussi décider de ne pas renouveler une AMM en accord avec la DA et le Ministère de la santé car la demande locale est insuffisante. Notre interlocuteur indique que cela arrive surtout avec les produits à petit prix ou des médicaments anciens dont les prix sont devenus trop bas. Si en théorie, le producteur ou l‟importateur doit disposer de stocks pour trois mois, ce n‟est pas toujours le cas en pratique. Enfin, il y a des ruptures de stock à chaque commande pour une majorité de fabricants parce que les prévisions ont été mal faites avec un marché ayant mieux répondu que prévu. Pour l‟offre de médicaments, un acteur note qu‟il est envahi par les produits nouveaux. Pour un même produit, il peut y avoir beaucoup de génériques. Par exemple, pour l‟amoxicilline, il existerait 36 présentations. Chaque fois qu‟un produit tombe dans le domaine public, les génériques se multiplient. Il indique que d‟un générique à l‟autre, les prix tombent à des niveaux très bas, et il en vient à se demander comment les industriels peuvent produire à de tels prix. En somme, l‟importance de l‟offre de médicaments sous différentes formes, dosages et présentations pose des problèmes de stockage, d‟immobilisation et de financement. Pour autant, il parait délicat de l‟avis de notre interlocuteur de rationaliser l‟offre. Il a bien entendu parler de la proposition visant à réduire le nombre d‟AMM par générique et par entreprise, mais il se demande à partir de quel critère tel ou tel laboratoire sera autorisé à produire tel ou tel générique. En attendant, il constate que le système de fixation du prix du générique ne décourage pas les producteurs qui sont par ailleurs nombreux sur le marché. Notre interlocuteur conclut en disant que l‟État doit jouer son rôle en décrétant par exemple un princeps et 4 génériques par DCI. 200 Les acteurs de la distribution interrogés expriment une crainte particulière concernant la solvabilité des acteurs qui pourrait bien avoir un effet sur le secteur pharmaceutique et l‟approvisionnement du médicament au Maroc. L‟officine tend à devenir petite au Maroc, le nombre d‟officines augmente sensiblement pour un marché qui évolue peu (cf. plus bas pour un exposé détaillé des difficultés rencontrées par les officines). En conséquence, les officines font face à des problèmes de rentabilité qui sont une source d‟inquiétude pour les distributeurs. Un acteur précise que les clients payent tard alors que les fournisseurs exigent d‟être payés rapidement : les clients payent en moyenne à 90 jours alors que les fournisseurs exigent d‟être payés à 45 jours. Aussi, le répartiteur fait des provisions pour les clients, des avances de trésorerie importantes, ce qui représente un coût financier. En outre, si les distributeurs ne sont pas vigilants, ils peuvent se retrouver en grande difficulté comme ce grossiste important qui a disparu en grande partie à cause des impayés. Selon un autre interlocuteur, lui-même ferait face à 10-15% d‟impayés chroniques qui se règlent dans la durée, mais chaque année il subit des pertes liées aux impayés. La paupérisation des pharmaciens crée un risque d‟insolvabilité croissant que les distributeurs essayent de maitriser. Ils développent des services juridiques pour gérer ces questions. Pour gérer les risques, ils demandent par exemple aux pharmaciens qui s‟installent de payer comptant à la livraison de la commande. Ils essayent aussi de se prémunir en exigeant des cautions et font des enquêtes pour établir la solvabilité de leurs clients. De plus en plus, les banques considèrent que le secteur de la pharmacie est un secteur à risque, surtout pour les officines. Ainsi, même pour les distributeurs, les banques demandent à analyser leur bilan et exigent des capitaux et des garanties importants. Les grossistes doivent faire attention au recouvrement et aux stocks pour ne pas sombrer. Du coup, notre producteur-répartiteur a été le premier à instaurer une gestion informatique en temps réel en 1980 face à des partenaires dubitatifs. L‟investissement avait couté à l‟époque 1,5 million de DH. En six mois, avec ce système, l‟entreprise avait gagné 13 millions de DH en trésorerie ; l‟investissement fut donc rapidement et largement amorti. A la question de l‟abordabilité du médicament au Maroc, les distributeurs interrogés indiquent que le prix n‟est pas le problème majeur, et, comme les producteurs, qu‟il faut agir sur le pouvoir d‟achat et développer l‟éducation à la santé. Un de nos interlocuteurs assure qu‟il faut poser la question du prix du médicament mais que cette question ne doit pas être traitée par média interposés. Le traitement de cette question par la presse irrite les acteurs, et chacun se défend. Toutefois, notre interlocuteur précise que suite au rapport BCG il a vu lui-même le prix d‟un médicament baisser de 50%, passant de 100 à 50DH, ce qui signifiait donc que pendant 10 ans, alors qu‟il avait vendu ce produit à 100DH, les producteurs réalisaient des profits énormes. Il relève l‟anormalité d‟une telle situation et pose la question du maintien du princeps dans ce cas et met en avant l‟aberration de certains prix. En conclusion, la contribution de la distribution à la disponibilité du médicament est importante. Cependant, les difficultés rencontrées par les acteurs en amont du secteur de la pharmacie font craindre quelques crises qui pourraient bien avoir un effet sur le circuit du médicament et son accessibilité pour l‟avenir. 201 Les pharmaciens Un acteur clé de l‟accessibilité du médicament est le pharmacien d‟officine. Il est le témoin des préoccupations exprimées par la population et des difficultés qu‟elle rencontre pour accéder aux médicaments. En outre, la pharmacie d‟officine connait une crise importante qui la rend sensible à toute réforme annoncée du secteur pharmaceutique. Un maillon du circuit du médicament en crise. Il y aurait environ 10.000 officines en activité au Maroc. Alors que l‟OMS recommande une officine pour 5.000 habitants, le pays disposerait d‟une officine pour 3.000 habitants. Pour autant, ce chiffre ne saurait dissimuler une répartition très inégale des officines sur le territoire. Les pharmaciens rencontrés admettent qu‟il existe une forte concentration des officines sur l‟axe Rabat-Casablanca et un délaissement sensible des zones rurales pour cause de pouvoir d‟achat faible, où la disponibilité du médicament est moindre, pour ne pas évoquer son abordabilité. L‟officine connait une crise sensible ces dernières années liée à la conjonction de deux éléments. Le nombre d‟officines a connu un accroissement très important ces dernières années pour deux raisons majeures : l‟installation massive et soudaine en officine de nouveaux pharmaciens ayant obtenu leur diplôme à l‟étranger, et l‟incapacité à véritablement réguler l‟ouverture des officines. Face à la limitation des inscriptions en faculté de pharmacie, beaucoup d‟étudiants ont opté pour la formation à l‟étranger, particulièrement dans les pays de l‟Est, et reviennent au Maroc avec un diplôme étranger en poche. Lorsque la question de l‟équivalence s‟est posée face au nombre important de pharmaciens détenant un diplôme étranger 69, ces derniers se sont précipités dans les bureaux des instances réglementaires pour pouvoir s‟installer avant tout durcissement des conditions d‟installation. Le critère utilisé pour réguler l‟installation de nouvelles officines sur le territoire était d‟une distance de 300 mètres entre deux officines (en ville). Comme le rapporte plusieurs interlocuteurs, il a fallu batailler pour que le critère soit précisé et exempt d‟interprétations diverses et variées. Finalement, sous la houlette de la FNSPM (Fédération nationale des syndicats des pharmaciens au Maroc), il a été établi que le 300 mètres à vol d‟oiseau vaudrait pour l‟installation de toute nouvelle officine. Ainsi, il n‟était plus possible de recourir à la mesure à partir du réseau routier pour dévoyer le critère des 300 mètres et obtenir l‟ouverture d‟une nouvelle officine. La mise en place de ce critère a permis ces dernières années de freiner les installations, particulièrement en ville. Selon nos interlocuteurs, le secteur aurait connu un rythme de mille nouvelles officines et une croissance se situant entre 10 à 15% certaines années dans un marché du médicament restreint. La progression du nombre d‟officines est désormais moins importante, de l‟ordre de 5% par an, en dehors de l‟année 2010 où ce chiffre est tombé à 1% du fait d‟une conjoncture économique difficile. Il est admis par tous les acteurs que le nombre d‟officines est trop important rapporté au marché du médicament, leur activité se réduit chaque année et les conduit à des situations financières difficiles. Il y a un processus de paupérisation des pharmaciens dont le chiffre d‟affaire serait, selon le responsable de la FNSPM, de moins de 800.000 DH Se reporter à Zniber et Es-Semmar (2010) et Taoufik (2008), pour une présentation de la question des équivalences entre diplômes nationaux et étrangers en pharmacie ainsi que de la loi votée en 2001 et appliquée en 2006. 69 202 par an70. Plus de 80% des pharmaciens percevraient un revenu de moins de 6.000 DH par mois. Un tiers des officines serait en grande difficulté, 20% auraient recours à des facilités bancaires pour se maintenir à flot et seulement 20% seraient viables. Cette situation provoquerait inquiétudes et tensions chez les distributeurs et les banquiers. Certains interlocuteurs mettent en avant la faillite des pouvoirs publics qui, malgré les mises en garde et alertes émises par la profession, ont laissé les installations se multiplier avec pour seul souci de résorber le chômage des diplômés en pharmacie et en négligeant la question de la solvabilité des officines. Si les risques de paupérisation croissante et d‟insolvabilité galopante des pharmaciens sont grands, il demeure que l‟une des mesures qui aurait pu permettre d‟assainir le secteur n‟a pas été prise à temps. De fait, comme le recommande l‟OMS et comme le réclamait un temps la FNSMP à l‟issue d‟un congrès, la mise en place d‟un numerus clausus ou d‟un système de quota basé sur la densité de la population pour chaque région aurait permis d‟éviter une telle situation. Encore aujourd‟hui, les acteurs interrogés évoquent la situation dramatique des officines et éludent la question du numerus clausus. Un professionnel du médicament interrogé estime que le marché peut supporter l‟activité de seulement 4.000 officines. Un autre interlocuteur évoquera les tentatives menées par certains ministres de la santé pour geler les installations d‟officines dans des grandes villes comme Rabat et Casablanca dans le but d‟assainir la situation ; tentatives avortées pour cause d‟inconstitutionnalité potentielle de ces dispositions eu égard à la liberté de circulation des personnes précise-t-on. Des officines qui contribuent à l’accessibilité du médicament Bien qu‟évoluant dans une situation financière délicate, les officines contribuent à améliorer l‟accès des populations aux médicaments sous des formes le plus souvent inattendues, parfois discutables au niveau légal et sur un plan éthique. Aux côtés de 35 producteurs et de 50 distributeurs, les 10.000 officines assurent la disponibilité du médicament sur le territoire. Une offre large de médicaments est disponible grâce à un réseau d‟approvisionnement qui permet la livraison dans l‟heure, voire dans les 24 heures dans les zones les plus reculées. Ce système d‟approvisionnement permet, du reste, aux pharmaciens de gérer au mieux la disponibilité effective des médicaments en officine. Avec plus de 5.000 médicaments commercialisés et plus de 130 molécules génériquables, il y a parfois jusqu‟à 80 génériques par DCI comme dans le cas des antibiotiques. De fait, les pharmaciens sont en quelque sorte les victimes du nombre important de médicaments par DCI et essayent, via le réseau d‟approvisionnement, de limiter la charge financière que constitueraient des stocks trop importants. En outre, une pratique très répandue dans les officines est le renouvellement d‟ordonnance pour des patients qui n‟ont ainsi plus besoin de retourner chez leur médecin. Pour autant, nos interlocuteurs précisent que cette pratique ne vise pas à dispenser au premier abord un médicament à un patient souffrant de diabète ou d‟hypertension artérielle. Il s‟agit ici de permettre, par exemple, à une femme de renouveler son ordonnance contraceptive sans pour autant payer les frais d‟honoraires élevés d‟un gynécologue. De même, la pratique vise à permettre à un diabétique de renouveler son ordonnance sans s‟acquitter d‟honoraires dispendieux La Mission parlementaire sur le prix du médicament fait état d’un chiffre d’affaires global de 11 milliards de DH, soit un chiffre d’affaire moyen par officine de 1,1 million de DH. 70 203 auprès d‟un endocrinologue. Somme toute, la pratique vise simplement à faciliter le renouvellement des ordonnances de façon à alléger la charge financière pesant sur les patients. Un interlocuteur précise que sans cette pratique qui permet d‟éviter le recours aux spécialistes, nombre de patients ne pourraient disposer de leur traitement. Une autre pratique largement répandue dans les officines est la substitution. De fait, lorsqu‟une personne arrive en officine avec une ordonnance et déclare avoir un budget serré, le pharmacien propose un substitut moins cher que le médicament prescrit. Ainsi, au lieu d‟acheter un princeps prescrit par ordonnance, le patient obtient un générique moins cher chez son pharmacien et parvient finalement à alléger la facture. Sans cette pratique, les patients repartiraient là aussi sans acheter les médicaments et sans se soigner faute de moyens. Néanmoins, tous les pharmaciens ne sont pas prêts à s‟adonner à cette pratique sans une couverture juridique : la prescription est de la responsabilité des médecins, et le médicament de substitution pourrait ne pas être aussi efficace que le médicament prescrit, selon certains, le pharmacien prenant alors un risque. Une autre pratique est celle de la dispensation de médicaments directement aux patients sans détention d‟ordonnance. L‟officine étant un lieu de conseil, le pharmacien devient prescripteur en fonction des demandes des patients qui ne souhaitent pas aller chez le médecin et payer des honoraires pour obtenir un médicament. Aussi, à la demande du patient, le pharmacien délivre des antibiotiques, des antalgiques, etc. Toutes ces pratiques concernent le plus souvent les populations ne bénéficiant pas d‟une couverture médicale. En effet pour les personnes bénéficiant d‟une assurance, les procédures de remboursement prévoient l‟achat des médicaments sur prescription médicale et uniquement des médicaments figurant sur ordonnance. Une dernière pratique qui peut par ailleurs peser sur la situation financière des officines est celle du crédit. Tous les pharmaciens interrogés font état du crédit accordé aux patients qui viennent avec ou sans ordonnance se procurer des médicaments en officine, avec le risque de ne jamais être remboursé. Un interlocuteur évalue le montant du crédit accordé à ses clients entre 70.000 et 80.000 DH. Un autre pharmacien dira avoir perdu 12 millions l‟année dernière. Malgré les risques, les officines continuent d‟accorder à leurs clients des facilités de paiement. Une personne peut acheter lors d‟une première visite 800 DH de médicaments, la fois suivante, elle remboursera 600 DH et reprendra 400 DH de médicaments ; ainsi, le client est toujours débiteur. En conclusion, comme l‟indique un interlocuteur, l‟officine est une aubaine pour le Maroc. Elle assume des responsabilités qui la dépassent de loin et elle fait beaucoup pour la disponibilité du médicament auprès de la population. L‟officine fait preuve de flexibilité et prend des risques à la fois légaux et financiers pour contribuer à améliorer l‟abordabilité du médicament. Des officines qui s’inquiètent du contenu des réformes annoncées Compte tenu des difficultés auxquelles font face les pharmaciens, les remarques et suggestions fusent concernant les mesures à prendre pour assurer une meilleure accessibilité des médicaments. Tout d‟abord, prenant la mesure du 204 souci exprimé par le Ministère de la santé concernant l‟accès au médicament, les pharmaciens indiquent laconiquement qu‟il n‟était pas opportun en 2008, après plus de vingt ans d‟exonérations, de prévoir une TVA de 7% sur les médicaments. La FNSPM a fait campagne en dénonçant le fait que le Maroc est le seul pays arabe à avoir mis en place une TVA sur le médicament. En outre, nos interlocuteurs insistent sur le fait que loin d‟être un impôt neutre, la TVA est prise dans la marge brute de 30% des pharmaciens, qu‟elle ampute donc de 2,1%, faisant chuter la marge nette d‟une profession en crise. De plus, si l‟une des mesures phare prônée par le Ministère de la santé est une utilisation plus conséquente du générique, alors les pharmaciens confirment l‟utilité d‟une telle mesure et réclament le droit de substitution. Beaucoup mettent en avant que trop souvent les prescriptions faites par les médecins, surtout les spécialistes se concentrent sur des princeps aux prix élevés. Aussi introduire le droit se substitution conduirait à légaliser une pratique déjà largement répandue en officine, et permettrait de réduire la charge financière pesant sur les personnes ainsi que la charge pesant sur les assureurs et l‟État. Un interlocuteur précise que le médecin établit un diagnostic et prescrit un médicament ; mais le pharmacien est le spécialiste du médicament et le droit de substitution doit lui être accordé. Le droit de substitution permettrait, par ailleurs, au pharmacien de mieux gérer ses stocks et d‟alléger ses charges financières. Toutefois, il est précisé que, pour assumer la responsabilité de la substitution, la question de la bioéquivalence des génériques doit être réglé et qu‟il faut prévoir des politiques de promotion du générique qui intègre le pharmacien dont l‟officine constitue un point stratégique de communication avec la population71. Sur ce point les critiques fusent. Il y a, d‟un côté, les professionnels de la santé, médecins en premier lieu, qui mettent en garde contre l‟introduction du droit de substitution en pharmacie. On met en avant l‟absence fréquente du pharmacien dans son officine et le fait que ce droit serait en pratique accordé à des employés peu ou pas formés. A cela, nos interlocuteurs répondent, tout d‟abord, que l‟absence ou la présence des pharmaciens en officine ne relève pas de la compétence des médecins mais de l‟Ordre des pharmaciens qui peut contrôler et sanctionner les contrevenants à l‟obligation faite au pharmacien d‟être présent dans son officine 72. Ensuite, les personnes interrogées insistent sur le fait que le véritable enjeu est ailleurs. Le risque est que les producteurs adressent leurs campagnes promotionnelle généreuses davantage aux pharmaciens et moins aux médecins généralistes et spécialistes. De fait, si le droit de substitution est introduit, alors le pharmacien devient prescripteur et la cible des campagnes promotionnelles des producteurs au détriment des médecins. Enfin, concernant la révision des marges, les personnes interrogées font état d‟un sentiment partagé par l‟ensemble de la profession. La proposition de révision des marges dans l‟étude du groupe BCG souffre de lacunes importantes et de conclusions erronées qui pourraient être à l‟origine de réformes catastrophiques pour les officines selon nos interlocuteurs. Brièvement, à ce jour, les pharmaciens Notre interlocuteur fait ici référence à une campagne lancée par le Ministère de la santé il y a quelques mois pour vanter les mérites du Génis. Perçu comme une marque ou une spécialité, les personnes venaient s’enquérir chez le pharmacien des vertus supposées de ce médicament. 72 Les textes réglementaires prévoient des contrôles et des sanctions renforcées contre les pharmaciens contrevenants. En réponse, les professionnels de santé appellent simplement à une application des dispositions déjà prévues par la loi existante, à savoir notamment des contrôles. 71 205 disposent d‟une marge brute de 30% sur les médicaments. Outre la révision du mode de fixation du prix du générique exposé précédemment, le BCG propose de revoir le système de marge unique pour promouvoir le générique dont le taux de pénétration reste insuffisant sur le marché du médicament. De fait, préconisant l‟introduction du droit de substitution, le BCG préconise également l‟introduction de marges dégressives. Suivant le tableau ci-dessous, il serait donc notamment prévu une marge de 60% pour le pharmacien pour la vente de médicaments dont le prix est inférieur à 15 DH. Tableau 43 : le système de marges applicable au médicament selon le BCG Prix du médicament Marge applicable 0-15 DH 60% 15-30 DH 50% 30-70 DH 35% 70-150 DH 25% 150-300 DH 20% 300-500 DH 15% Plus de 500 DH 5% Source : BCG 2010. Selon ses calculs, BCG estime que suivant une élasticité de la demande par rapport au prix et une consommation plus importante de génériques, les officines verraient leur marge progresser de 2% ans l‟immédiat. Ce chiffre fut largement commenté et critiqué par les officines à titre individuel ou par la voie de leurs représentants professionnels. Un interlocuteur indiquera lui-même avoir fait des estimations tenant compte du système de marge proposé et en arriverait à une baisse de son chiffre d‟affaire de 30%, sans prendre en compte les coûts liés à une gestion rendue plus complexe du médicament et de ses marges. Selon une étude réalisée par Chattou (2011), si l‟on considère la structure de la consommation de médicaments sur la base d‟un échantillon de 6.540 boites vendues, il apparait que 45% des boites vendues ont un prix inférieur à 15 DH, 72,6%, un prix inférieur à 30 DH, et 95,3%, un prix inférieur à 70 DH. Moins de 1% des boites vendues aurait un prix supérieur à 150 DH. Sur cette base, l‟auteur propose de refaire le calcul des marges suivant le système de marge proposé par BCG et parvient aux conclusions suivantes : la marge du pharmacien d „officine sur le prix du princeps baissera de 1,47 points tandis que sa marge sur le générique progressera de 1,3 points. Aussi, Chattou conclut que les estimations de BCG sont optimistes. Toutefois, il convient de préciser que près de 280 millions de boites de médicaments ont été vendues en 2009 (AMIP), l‟échantillon retenu représente donc 0,002%. Aussi si l‟effort est louable, la valeur de cette étude reste toute relative et appelle donc une étude plus large et plus robuste. Une fois passées les discussions spéculatives autour des effets de la révision des marges, un interlocuteur rappelle sommairement que le système de marges dégressives proposé par BCG s‟inspire du système appliqué en France depuis quelques années dans le but de promouvoir le générique et d‟alléger les comptes de l‟assurance maladie. Or, il semble que ce système ait eu des effets néfastes en 206 France : réduction du chiffre d‟affaires des officines, baisse de leur rentabilité et multiplication des cas de faillite parmi la profession (Chattou 2010, d‟après Altarès, 2010). En réaction, le Ministère de la Santé a diligenté une commission d‟enquête pour faire un état de la situation et prévoir toute mesure utile pour rétablir la situation des officines. Aussi, on ne peut pas copier un système qui n‟a pas fait ses preuves ailleurs, et notre interlocuteur ajoute que l‟officine française fait en moyenne un million d‟euros de chiffre d‟affaire contre moins d‟un million de DH pour l‟officine marocaine ; il faut donc savoir ramener les choses à leur juste valeur. De surcroit, notre interlocuteur rapporte que l‟année dernière, l‟officine marocaine a subi des pertes importantes suites aux baisses de 20 à 50% des prix de 315 médicaments. Cette année, des baisses nouvelles concernent 115 produits. Il affirme ne pas être contre les baisses de prix car il dit être ulcéré de voir les profits réalisés par les producteurs. Cependant, il estime qu‟il est important que ces producteurs, ces multinationales restent au Maroc, qu‟elles y gagnent de l‟argent : mettre en avant le seul génériqueur marocain au risque du départ de la multinationale étrangère, amènerait « à faire le comptoir » pour un envoi du médicament par la poste. L‟intérêt pour le pays est d‟avoir des multinationales qui investissent et amènent un savoir faire. Si l‟on saisit bien les réticences des pharmaciens d‟officine à mettre en place un système de marge dégressive et leur entrain à instaurer le droit de substitution, à la question quel type de système faudrait-il pour promouvoir le générique, le plus souvent le silence se fait pendant quelques secondes. Un interlocuteur nous livre ses conclusions : il faut introduire le droit de substitution et conserver en l‟état le système de marge. Il va sans dire que l‟on peut légitimement s‟interroger sur l‟intérêt du pharmacien à substituer un générique à un princeps au risque de perdre une marge plus importante. A cette interrogation, aucune réponse ne sera apportée. En conclusion, une profession en crise fait des efforts importants pour assurer la disponibilité et l‟abordabilité des médicaments au Maroc. Pour poursuivre ses efforts, elle réclame le droit de substitution tout en soulignant que le prix du médicament n‟est pas le premier problème limitant l‟accessibilité. Comme d‟autres personnes interrogées, les pharmaciens sollicités insistent sur la nécessité d‟éduquer les personnes à la santé, d‟instaurer comme en Tunisie un système de péréquations entre les prix des médicaments essentiels et des médicaments de confort, de concentrer la prise en charge des dépenses de médicaments par la collectivité sur les affections de longue durée et la femme enceinte tout en prenant soin d‟étendre au maximum la couverture médicale, c'est-à-dire prévoir des cotisations d‟une population sur la plus grande échelle possible, et en premier lieu celles des professionnels de la santé. Selon nos interlocuteurs, une fois de plus, la baisse du prix du médicament n‟est pas une réponse à une absence d‟une politique du médicament au Maroc nécessaire à la pérennité du système de soin et au secteur pharmaceutique. Les médecins Ils sont les acteurs centraux de l‟utilisation du médicament au Maroc. Un représentant d‟une organisation syndicale a été rencontré pour aborder l‟accessibilité du médicament. Concernant la disponibilité du médicament, notre interlocuteur indique brièvement que le médicament est disponible au Maroc : le marché propose une large gamme de produits, ce qui permet parfaitement de répondre aux besoins de la population. Concernant l‟abordabilité du médicament, il admet que les 207 médecins ont tendance à prescrire des princeps dont les prix sont élevés. Médecin généraliste, il commencera par mettre en avant que cette tendance s‟observe essentiellement chez les médecins spécialistes qui prescrivent de longues ordonnances, faites de médicaments et d‟examens complémentaires, et du coup chères. Il avance plusieurs explications. Tout d‟abord, la pression commerciale généreusement exercée par les producteurs de princeps sur les médecins spécialistes pour les inciter à prescrire les médicaments les plus récents et les plus chers. Ensuite, une ordonnance importante et chère contribuerait au prestige du médecin qui apparait alors comme plus crédible, plus professionnel au regard du patient. En écho, il soutient qu‟il existe hélas une idée préconçue y compris dans la relation médecin-patient selon laquelle plus le médicament prescrit est cher, plus il est efficace. Notre interlocuteur ajoutera que des ordonnances importantes font le bonheur des pharmaciens qui renvoient alors des clients au prescripteur. Au contraire, des petites ordonnances irritent les pharmaciens qui n‟hésiteraient pas à dénigrer le médecin et à inciter le patient à changer de médecin. Notre interlocuteur concédera que du coté des généralistes, il existe deux types de médecins. Il y a ceux qui participent aux tables rondes des producteurs, suivent leurs recommandations à la lettre et prescrivent des ordonnances importantes faites de princeps couteux à l‟instar des spécialistes. Il s‟empressera de préciser que ce sont des médecins généralistes qui ont passé différents diplômes universitaires (notamment en France) pour compléter leur formation et qui se situeraient donc entre le généraliste et le spécialiste. De l‟autre, il y a les médecins qui travaillent avec le bon sens clinique et qui évitent de prescrire des ordonnances trop longues. Pour sa part, pour une personne souffrant d‟hypertension artérielle, il lui demande de rentrer chez lui, de ne pas manger de sel pendant une semaine et de revenir le voir. Il reprend alors sa tension, voit si celle-ci a baissé, et demande donc au patient de revenir plus tard. Il dit prendre son temps et éviter la prescription immédiate de médicaments coûteux et d‟examens complémentaires. Il soutient que chez un spécialiste ce patient auraient reçu une batterie d‟examens complémentaires à réaliser assortie d‟une consommation des médicaments les plus chers avec ordre du médecin de revenir tous les mois ou tous les deux mois pour des raisons commerciales. Par ailleurs, pour expliquer pourquoi les spécialistes et les généralistes dans une moindre mesure rechignent à prescrire du générique, il avance la question des tests de bioéquivalence. Il ne dit pas que le générique produit localement est mauvais, il note les remarques de collègues gastroentérologues qui, à la vue des résultats d‟une fibroscopie, constatent par exemple que des inhibiteurs de la pompe à proton ne sont pas efficaces vu la cicatrisation insuffisante chez le patient. Il reste sceptique mais affirme que l‟État doit prendre ses responsabilités et garantir la qualité du générique. Il doit imposer les tests de bioéquivalence aux producteurs de génériques. Ainsi, la question de la qualité sera réglée, le médecin n‟aura plus à se soucier de cette question et pourra prescrire du générique en toute quiétude 73. Pourtant durant l’entretien, notre interlocuteur fera état également de sa suspicion vis-à-vis des tests de bioéquivalence qui seraient parfois obtenus par complaisance. Cette remarque pose un autre problème : non pas simplement celui de l’obligation faite aux génériqueurs de poser des dossiers de demande d’AMM avec tests de bioequivalence, mais celui de la confiance que les médecins accordent aux instances en charge de l’examen de ces dossiers et du contrôle de la qualité du médicament. 73 208 Pourtant, notre interlocuteur reconnait que la tâche sera rude. Sous la pression commerciale constante des producteurs, les médecins pourraient bien être incapables dans une large mesure de prescrire en DCI. C‟est pourquoi, notre interlocuteur affirme que les pouvoirs publics doivent règlementer la formation continue qui devrait être indépendante des laboratoires. Il plaide en faveur de la création d‟une agence nationale de la formation médicale continue. Le Ministère de la santé, le Conseil de l‟ordre, les associations, les syndicats, l‟université doivent élaborer ensemble les grandes lignes de la formation continue et légiférer. Pour financer la formation continue, les producteurs verseraient un pourcentage de leur chiffre d‟affaires à cette agence qui formerait donc les généralistes et les spécialistes, ce qui permettrait une formation continue adaptée aux spécificités nationales. Si notre interlocuteur admet que la prescription en DCI sera difficile, il écarte la proposition d‟introduire le droit de substitution en officine. Comme il a été vu précédemment, il est inenvisageable d‟accorder le droit de substitution à une profession dont l‟absentéisme en officine est dénoncée par beaucoup, et de fait accorder ainsi un droit qui sera utilisé en pratique par des personnes non qualifiées. En revanche, il pense qu‟il faut prévoir un système de marge qui permette au pharmacien d‟y trouver son compte. Concernant l‟état d‟esprit des patients vis-à-vis du générique, le discours de notre interlocuteur est double. Il met en avant la relation de confiance qui existe entre le médecin et son patient. Aussi, si le médecin décide de prescrire un générique, explique au patient, il n‟y aura pas de réticence. Mais il admet également que pour des personnes à revenus élevés, la prescription de génériques risque de détourner le patient du cabinet du médecin. Ainsi, notre médecin avoue prescrire systématiquement du princeps à des personnes ayant les moyens et disposant éventuellement d‟une assurance maladie. De même, pour les pathologies lourdes du type insuffisances rénales, notre médecin avoue prescrire le princeps pour dit-il « mettre toutes les chances du côté du patient ». Enfin, à la question du prix du médicament jugé trop cher par certains, il préfère évoquer la question des soins en général. Il plaide pour la mise en place dans les plus brefs délais du parcours de soin coordonné autour du médecin généraliste pour éviter la multiplication des consultations, des prescriptions et des dépenses. 209 Conclusion Le médicament constitue sans nul doute un défi majeur au Maroc compte tenu de son importante dans les dépenses totales de santé en général et les dépenses de santé des ménages en particulier. La question de son accessibilité se pose dans le cadre d‟une politique pharmaceutique du médicament qui englobe plusieurs éléments : les différentes dimensions de l‟accessibilité que sont la disponibilité, l‟abordabilité et la qualité du médicament ; les différentes étapes du circuit du médicament que sont la sélection, l‟acquisition, la distribution et l‟utilisation ; des modes de financement public et privé ; de l‟implication de divers acteurs intervenant dans le circuit du médicament et influençant une ou plusieurs dimensions de l‟accessibilité. Des acteurs publics et privés divers interviennent dans l‟accessibilité du médicament, au niveau central (acteurs publics des directions et divisions opérant sous la tutelle du Ministère de la santé), au niveau national (producteurs, distributeurs, dispensateurs, prescripteurs) et au niveau périphérique (prescripteurs et dispensateurs intervenant en CS). Ils agissent à des étapes diverses du circuit du médicament et impactent une ou plusieurs dimensions de l‟accessibilité du médicament. Au niveau central, des acteurs publics comme la DMP, la DA ou la DHSA font des efforts importants pour améliorer l‟accessibilité du médicament à la fois dans le secteur public et le secteur privé. Les ressources et outils mobilisés par la DHSA visent une meilleure disponibilité des médicaments dans les hôpitaux et CS, notamment des médicaments pour les affections de longue durée en collaboration étroite avec de la DP et la DELM. L‟augmentation sensible des budgets enregistrée ces dernières années et les mesures permettant une participation des CS à la définition de leurs besoins ont permis une meilleure prise en charge des patients souffrant de maladies chroniques comme le diabète, l‟hypertension artérielle ou encore la tuberculose et l‟accès à des médicaments vitaux coûteux. La DA a mis en place des outils permettant une meilleure disponibilité, une plus grande abordabilité et une qualité plus sûre des médicaments dispensés dans le secteur public. En particulier, l‟attention de la division se concentre essentiellement sur l‟abordabilité des médicaments vitaux et non vitaux dans le secteur public avec l‟usage large des procédures d‟appel d‟offre sur une base nationale. Cela a permis de faire baisser les prix, de rendre le médicament plus abordable pour les finances publiques et la collectivité et d‟accroitre la disponibilité en prévoyant des quantités plus importantes de médicaments dans le secteur public. La DMP suit des procédures d‟enregistrement du médicament et de contrôle qualité, d‟un côté, et de fixation des prix, de l‟autre, qui veillent à la disponibilité de médicaments de qualité et abordables sur le territoire. La certification du LNCM par l‟Europe et sa préqualification par l‟OMS attestent de progrès soutenus en faveur du contrôle de la qualité des médicaments commercialisés au Maroc. De surcroit, des discussions sont en cours pour améliorer grandement les procédures de fixation des prix des médicaments importés et produits localement de façon à soutenir l‟objectif d‟abordabilité pour le Minsitère de la santé et les ménages, et de viabilité pour l‟industrie pharmaceutique locale. 210 Au niveau national, si les efforts des acteurs privés en faveur de l‟accessibilité du médicament sont divers, leurs avis convergent globalement vers un point. L‟accessibilité du médicament est un enjeu majeur qui révèle un défi de taille, celui de la couverture médicale. Ce défi dépasse de loin les efforts que pourraient consentir les acteurs privés en mettant à mal éventuellement leur viabilité. Ainsi, les producteurs nationaux ont développé des capacités industrielles considérables en formulation permettant de produire localement une large gamme de médicaments et de couvrir 70% des besoins de la population. Ils voient d‟un mauvais œil toute tentative de faire baisser les prix dans un secteur où les coûts de production sont élevés du fait de volume de production faibles, d‟un marché du médicament étroit et d‟un pouvoir d‟achat insuffisant. De même, les distributeurs rejettent toute idée de révision de leur marge faisant valoir les ressources considérables déployées pour assurer la disponibilité du médicament sur tout le territoire, y compris les zones les plus éloignées. Pour leur part, les pharmaciens d‟officines, bien que soucieux de la pénétration du générique sur le marché du médicament, considèrent avec la plus grande méfiance une révision de leur marge dans un contexte davantage préoccupant de crise de la profession. Aussi, les discussions se multiplient entre les acteurs pour sortir de l‟impasse et prévoir des outils appropriés pour améliorer l‟accès de la population au médicament. L‟objectif étant également de ne pas affaiblir l‟industrie locale, la distribution et l‟officine. Pendant ce temps, les médecins doutent toujours de l‟efficacité des génériques et les pharmacies d‟officine se sont multipliés contribuant à rendre le médicament accessible y compris dans les zones les plus reculées, mais dans un marché très étroit où il convient d‟adopter diverses stratégies (substitution, crédit, etc.) pour fidéliser leur clientèle et pouvoir bénéficier de recettes parfois relativement modestes. De fait, si les producteurs, les distributeurs, les pharmaciens d‟officine et les médecins appellent l‟État à étendre la couverture santé en étendant le nombre de cotisants et en se concentrant sur la prise en charge des affections de longue durée, il semble qu‟en pratique au moins un point soit entendu. Les dotations budgétaires des CS ne permettent pas autre chose que la prise en charge de ces affections, reléguant donc au secteur privé la satisfaction des besoins des patients en médicaments non vitaux. Il reste donc à voir semble-il les moyens d‟élargir la couverture santé et le nombre de cotisants. 211 Références AMIP (2008), L‟industrie pharmaceutique au Maroc. Chiffres clés 2007. AMIP (2010), Le secteur pharmaceutique marocain : réalités sur le prix des médicaments et intérêt du secteur, synthèse. Aghnaj S. (2006), Enregistrement d‟un médicament générique au Maroc : procédures de contrôle et d‟assurance qualité, Communication, 2 ième congrès A3P. Belaïche A.M. (2010), Amélioration de l‟accès aux soins : une nécessité au Maroc, Communication, 4ième journée pharmaceutique. Boston Consulting Group (2010), Élaboration d‟un plan d‟actions pour la promotion des médicaments génériques, Communication, Réunion de présentation à la profession des pharmaciens. 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Nous avons également utilisé une liste de médicaments vitaux et non vitaux extraite de la « liste national de médicaments essentiel » afin d‟évaluer leur disponibilité effective dans les CS et en officines. L’accessibilité du médicament à Salé L’avis en délégation et en pharmacie préfectorales Le budget La pharmacie préfectorale de Salé dispose d‟un budget pour les médicaments de 4,5 millions de DH à répartir entre 24 CS et une population d‟un million d‟habitants. La répartition du budget entre les CS se fait essentiellement selon le critère de la population. Il y a eu un effort en 2011 pour intégrer un critère de fréquentation des CS, mais ce critère ne donnerait pas une idée précise de la consommation de médicaments. Le délégué précise que le budget est établi au niveau central et qu‟il y a eu reconduction de celui-ci depuis trois ou quatre ans. Or, auparavant le budget ne comprenait pas l‟insuline, les kits d‟accouchement et les kits d‟hémodialyse, qui sont désormais inclus ; aussi, il y a eu une baisse relative du budget. La commande annuelle La Délégation reçoit une notification des crédits alloués dans le cadre de la procédure de commande annuelle. Elle réceptionne un formulaire de commande informatisé de la DA. Pour procéder à la commande, le Comité SIAAP du médicament et des dispositifs médicaux se réunit. Le médecin chef du SIAAP, le pharmacien de la délégation, des médecins spécialistes et des médecins chefs de CS siègent et décident sur la base du formulaire des médicaments à sélectionner et des quantités nécessaires. La formulation de la commande se fait donc par consensus au sein du comité pour répondre aux besoins des utilisateurs, c'est-à-dire des médecins. 213 Toutefois, la procédure prévoit des priorités telles que les maladies chroniques (diabètes, insuffisance rénale ou hypertension artérielle) et les kits d‟accouchement. En effet, la commande doit impérativement intégrer les patients pris en charge pour des maladies chroniques comme le diabète ou l‟insuffisance rénale. Il y a donc reconduction de la commande pour ces maladies pris en charge plus une majoration pour les diabétiques par exemple. Le crédit est réparti ensuite pour les autres médicaments essentiels. Ces priorités représentent déjà 40% du budget. En pratique, le comité statue donc pour 60% du budget. La livraison de la commande La livraison de la commande avait habituellement lieu tous les trimestres. En 2011 la commande annuelle a été livrée en une seule fois, ce qui a occasionné des problèmes de stockage à la pharmacie de la délégation. De fait, les normes en matière de stockage ne sont pas respectées. Ces problèmes peuvent gêner finalement la disponibilité des médicaments. Il y aurait un manque d‟espace. Au moment de la visite les médicaments destinés à l‟hôpital de la préfecture étaient stockés par la pharmacie préfectorale. Le responsable insiste sur le fait qu‟il doit approvisionner les CS, l‟hôpital, les programmes de santé, etc. Or, seuls cinq personnes gèrent les stocks : le pharmacien, le responsable, le préparateur en pharmacie, l‟administrateur économe et un infirmier. Les flux sont difficiles à gérer. Il manquerait trois personnes pour assurer une gestion des stocks convenable : un préparateur, un technicien informatique et un manutentionnaire. Il manquerait également des transpalettes et des échelles. Il est à noter qu‟une chambre froide est en construction. D‟une surface de 15m², elle est destinée au stockage de la commande annuelle d‟insuline (les vaccins et autres produits thermosensibles sont stockés au SIAAP). En attendant, le stockage se fait dans 4 congélateurs. Une fois la commande reçue et stockée à la pharmacie, les médicaments sont livrés aux CS : 10 jours de livraison dans les 26 CS sont prévus par trimestre. Il peut y avoir également des livraisons ponctuelles plus rares pour répondre à des commandes urgentes. La délégation met à la disposition de la pharmacie un à deux véhicules pour effectuer ces livraisons. La gestion des stocks Le taux de satisfaction de la commande passée en 2009 pour l‟exercice 2010 n‟est pas de 100%. Il resterait un reliquat de l‟année passée qui sera livré cette année sauf si la Délégation recourt à la procédure qui lui permet d‟opérer des modifications des produits contenus dans le reliquat à livrer. Le responsable de la pharmacie estime globalement à 80% le taux de satisfaction de la commande pour l‟année précédente. Il manquerait donc 20% de la commande qui seront livrés en 2011. En conséquence, des ruptures de stock ont été observées en début d‟année. Ensuite, il y a pendant l‟année des ruptures de 2-3 mois. Concernant la péremption des médicaments, il existe une procédure qui prévoit que le médecin chef doit justifier de la péremption de certains médicaments avant de les retourner à la délégation. On renvoie les médicaments proches de la péremption à la pharmacie pour qu‟elle puisse les redistribuer dans d‟autres CS. Depuis 3-4 ans, il n‟y aurait plus de problèmes de péremption dans la Délégation. 214 Sauf pour certains médicaments proches déjà de la date de péremption et qui sont envoyés par les autorités centrales pour accélérer leur usage et éviter justement leur péremption. Ces médicaments ne font pas partie des commandes. Le responsable de la pharmacie indique que dès la livraison d‟un produit, la date de péremption est saisie informatiquement. Quand il y a risque de péremption (le produit est toujours stocké dans la pharmacie 6 mois avant la date de péremption), le responsable « fait sortir le produit » : il livre les CS pour qu‟ils utilisent le produit avant sa péremption. S‟il y a un risque de péremption cette fois-ci au niveau des CS (toujours 6 mois avant la date de péremption), le CS doit renvoyer le produit à la pharmacie qui l‟expédiera éventuellement vers d‟autres CS. Le responsable signale faire des contrôles dans les CS pour voir s‟il y a des produits périmés et des risques de péremption liés à du « surstockage ». Il vérifie dans les CS les quantités trimestrielles livrées et les quantités effectivement consommées. Si, pour un produit donné, les quantités livrées sont de 60 pour un CS et que la consommation effective du CS est de 20, alors il reste un stock de 40 qui correspond du coup à la consommation effective du centre pour les deux trimestres suivants. Aussi, le responsable bloque la livraison pendant les deux trimestres suivants, le temps que le CS écoule ses stocks. Le responsable indique n‟avoir jamais eu de retours de produits périmés. Pour sa part, le Délégué fait état d‟un problème important de péremption lié à deux éléments. D‟une part, il y aurait des livraisons de produits dont les dates de péremption seraient proches. C‟est le cas des produits qui ne figurent pas dans la commande comme ceux contre les infections sexuellement transmissibles. D‟autre part, il y aurait une attention insuffisante accordée à la gestion des stocks dans les CS. L’accessibilité du médicament au niveau des CS Le Délégué relate, tout d‟abord, l‟expérience d‟un nouveau CS dans lequel la pharmacie est vitrée, disposée au centre de l‟établissement et gérée par une personne à temps plein. L‟accessibilité visuelle est importante selon le délégué. Notre interlocuteur doute du bienfondé du principe de la gratuité. Quand un soin est gratuit, l‟acte médical et le personnel médical seraient dévalorisés. En outre, il n‟y aurait pas de contrôle de la couverture médicale de la population qui fréquente les CS, donc la gratuité s‟appliquerait à tous grevant les dépenses publiques. Concernant l‟accessibilité du médicament et donc sa dispensation gratuite dans les CS pour les populations éligibles, il craint que la gratuité ne limite l‟observance des patients et favorise le développement de résistances. Médecin de formation, le Délégué note des problèmes au niveau de la prescription dans le CS. A titre d‟exemple, les médecins préféreraient prescrire de l‟amoxicilline à 150 DH sous princeps plutôt que celui à 16 DH sous générique. Selon lui, les médecins auraient donc tendance à prescrire un médicament non disponible en centre, ce qui obligerait les patients à se le procurer en officine. L‟argument des médecins serait que la qualité de certains génériques pourrait être inférieure à celle de la molécule mère. Ces médecins réclament que les études cliniques leur soient transmises dans le cadre de leur information et leur formation continue. Pour l‟hypertension artérielle, les prix des médicaments varient de 20 à 500 DH. Or, les cardiologues préfèrent prescrire la molécule mère, plus chère. Le délégué ne nie pas 215 l‟avantage de certains médicaments princeps onéreux qui pourraient éventuellement éviter la prescription d‟examens médicaux coûteux. Dès lors, si le médicament prescrit est cher, le coût global du traitement pourrait être finalement moins cher pour le patient, voire pour les finances publiques grâce à une guérison plus rapide. En outre, le délégué appelle à mieux cibler les médicaments gratuits. Il estime que les soins doivent être gratuits mais que les patients doivent participer en prenant en charge les médicaments. Aussi, le mieux serait donc de transférer une partie de l‟offre de médicaments dispensés dans les CS vers les officines, offre qui serait désormais à la charge des patients pour des pathologies comme les pneumopathies, les angines ou ce qui relève plus largement de l‟usage d‟antibiotiques. Il appelle à surtout favoriser la gratuité des médicaments pour les maladies chroniques (tuberculose, insuffisance rénale, diabète,…), la vaccination et les kits d‟accouchement. Le délégué rapporte que la mission des CS évolue. Ils interviennent à 70% sur du curatif et à 30% sur du préventif alors qua ça devrait être le contraire. Cela a un effet sur la qualité de la prise en charge. Sans compter que les patients viennent pour tout et rien dans les CS. Le délégué regrette que l‟on n‟ait ni le temps, ni l‟espace, ni le personnel pour faire du préventif. La charge de travail augmente dans les CS avec l‟importance des programmes de santé sur le diabète, TB/Sida, cancer, etc., sans compter le manque de personnel paramédical dans les CS. Concernant la qualité des médicaments dispensés dans les CS, le délégué fait état d‟un problème rencontré pour un antibiotique. La procédure à suivre consiste à réunir le comité du médicament et des dispositifs médicaux, qui dresse un procèsverbal, suspend l‟utilisation du médicament dans les CS et envoie des échantillons à la DA pour un contrôle. Le retour de l‟avis de la direction est attendu avant toute reprise de l‟utilisation du médicament. L’avis des professionnels médicaux exerçant en centre de santé à Salé Les professionnels de santé de trois CS ont été rencontrés (El Karya, Laayayda1, Souani). La population de référence des CS visités varie entre 33.000 et 84.000 personnes, avec un taux variant de 1 personnel de santé pour 2.900 habitants à un personnel pour 6.600 habitants. Chaque CS reçoit une dotation trimestrielle de médicaments. Il n‟existe pas une procédure standard concernant l‟allocation de ces stocks dans le CS. En général, les médicaments sont entreposés dans un local faisant office de pharmacie et sont gérés par l‟infirmier major qui reçoit les patients, vise l‟ordonnance et leur délivre le médicament. L‟infirmier major ne gère pas les stocks à temps plein : il est à la fois en consultation et assure la dispensation des médicaments en pharmacie. Échappant à la règle générale, un CS déclare que les médicaments sont gérés par le médecin chef, un autre indique que les médicaments sont répartis entre les salles de consultation sous la responsabilité de chaque médecin et qu‟un stock de réserve est disposé dans un local sous la responsabilité de l‟infirmier major. La disponibilité des médicaments Il n‟y aurait pas de ruptures de stock pour les médicaments des programmes contre les maladies chroniques comme le diabète, la tuberculose, les IST/Sida ou l‟hypertension artérielle. A cela deux raisons majeures selon les remarques faites par nos interlocuteurs : la part du budget en médicaments affectée à la prise en charge 216 de ces maladies est importante ; la gestion des stocks concernant ces médicaments est plus soigneuse. S‟il y a un problème de stocks, il est résolu dans la journée. Le major se rend à la Délégation pour aller chercher le médicament. En outre, il y a des contacts téléphoniques quotidiens pour évaluer les stocks disponibles. Ainsi, en particulier pour des produits comme l‟insuline, aucune rupture de stock n‟est reportée du fait d‟un contrôle strict des stocks. Toutefois, un CS fait état de ruptures de stock pour les médicaments contre l‟hypertension artérielle : 10 jours de rupture ont été rapportés au cours d‟un trimestre. En revanche, les ruptures de stock pour les médicaments hors programmes, hors maladies chroniques sont fréquentes. Tous les CS rapportent des ruptures de stock non négligeables pour les antibiotiques (formulations pédiatriques ou adultes), les anti-inflammatoires ou encore les antipyrétiques. Certains rapportent des dotations trimestrielles d‟antibiotiques épuisés en deux mois, d‟autres reportent des ruptures de stock pour des antipyrétiques de plus de quatre mois. Nos interlocuteurs expliquent ces ruptures par le fait que le budget alloué aux traitements des maladies chroniques laisse peu de moyens au traitement d‟autres infections moins sévères. Aussi, pour celles-ci, les ruptures de stock sont plus fréquentes et la disponibilité plus limitée. Ajoutons à cela, compte tenu des remarques faites par nos interlocuteurs, que la gestion de ces médicaments est peut être moins rigoureuse en considération des enjeux sanitaires moindres ; il ne s‟agit pas de médicaments vitaux. La qualité des médicaments prescrits On note des situations très contrastées. Les médecins d‟un CS disent ne relever aucun problème de qualité des médicaments dispensés en centre. Au contraire, les médecins d‟un autre CS notent de multiples problèmes, notamment pour un médicament contre l‟hypertension artérielle qui ne serait, du reste, pas dispensé en officine et à l‟efficacité discutable. Il n‟y a pas de plaintes des patients mais les médecins constatent que le médicament n‟agit pas : il n‟y a pas d‟amélioration de l‟état de santé de la plupart des patients lors des visites de contrôle. Les médecins assurent par ailleurs qu‟ils connaissent des patients qui suivraient bien leur traitement et dont l‟état de santé ne s‟améliorerait pas après la prise du médicament en question. Ce problème date de 2010 et le médicament n‟est plus disponible en centre. Les médecins ne font pas remonter les informations concernant la qualité des médicaments vers le Ministère de la santé. Ce même centre note également des problèmes de qualité pour un médicament contre les infections à staphylocoques. En l‟absence de substitut à ce produit jugé peu efficace, les patients seraient alors obligé de se procurer un médicament plus efficace en officine. Enfin, les médecins notent un problème d‟efficacité pour certains antidiabétiques comme le révéleraient des analyses sanguines de patients ; toutefois, ils admettent qu‟il est délicat de se prononcer car l‟efficacité du traitement est tributaire de l‟observance d‟un régime alimentaire stricte de la part des patients. Sans rapporter de problème de qualité particulier, un dernier CS met en avant quelques points. Tout d‟abord, la qualité des médicaments est jugée bonne, y compris par les patients qui achètent les mêmes produits en officine. Aussi, les patients font confiance aux médicaments dispensés en centre. Ensuite, les médecins admettent avoir quelques réticences envers les médicaments peu chers disponibles en CS. Enfin, lorsque l‟on évoque la qualité des médicaments, les médecins parlent des cas de résistance à des médicaments comme les antibiotiques. Ils mettent en 217 cause l‟automédication théoriquement impossible puisque ces médicaments sont délivrés sur ordonnance. Les pratiques de prescription des médecins Les médecins des CS interrogés rapporteront tous prescrire un nombre limité de médicaments par ordonnance. Ce nombre varie entre deux et quatre médicaments. Les raisons invoquées sont de deux ordres : l‟observance et le pouvoir d„achat des patients. Par exemple, les médecins d‟un premier CS indiquent avoir tendance à prescrire 3-4 médicaments par ordonnance pour aider le patient à se conformer au traitement. Selon eux, lorsque le nombre de médicaments par ordonnance augmente, il y a un risque de confusion chez le patient et un risque qu‟il ne suive pas correctement la prescription. Ces médecins évoquent la pratique d‟une prescription du juste nécessaire pour éviter l‟accident. Les médecins d‟un autre CS rapportent prescrire en moyenne trois médicaments par ordonnance compte tenu du faible pouvoir d‟achat de la population. Enfin, les médecins du dernier centre indiqueront avoir mis en place une règle simple en matière de prescription : pas plus de deux médicaments par ordonnance. Interrogés sur le nombre de médicaments prescrits que le patient pourra trouver en centre, tous les médecins répondent que la dispensation incomplète de ceux-ci est la règle compte tenu des contraintes budgétaires et des ruptures de stock. Dans un premier CS, les médecins indiqueront qu‟en moyenne sur 4 prescrits, le patient en trouvera deux en CS et devra donc se rendre en officine pour se procurer les deux autres. Les médecins ajoutent que les patients bénéficiant d‟une couverture médicale achèteront la totalité des médicaments indisponibles en CS tandis que la majorité des patients non couverts ne pourra pas les acheter. Les médecins concluent alors qu‟ils font ce qu‟ils peuvent pour prescrire aux personnes non couvertes les médicaments disponibles en CS. Pour les médicaments aux stocks limités en CS, ils auront tendance à prescrire et à dispenser en centre toute la durée du traitement aux démunis et ne donner que la moitié du traitement à ceux qui peuvent payer et compléter le traitement en officine. Les médecins d‟un autre centre rapportent qu‟en moyenne sur 3 médicaments prescrits, les patients en trouveront un seul disponible en CS. Donc le patient devra aller en officine pour se procurer les 2 médicaments restants. Ceux-ci sont essentiellement des antibiotiques, des fluidifiants, des antalgiques, des antiinflammatoires ou des médicaments contre l‟asthme. Les médecins disent alors prescrire les molécules les moins chères en officine. Les médecins du dernier CS confirment faire attention au prix du médicament sur les deux prescrits que les patients devront se procurer en officine, prix qu‟ils connaissent grâce aux visites des délégués médicaux. La dispensation des médicaments en officine Les médecins indiquent que les officines ne respectent pas toujours l‟ordonnance. Souvent, ils constatent des substitutions lorsque les patients reviennent au CS avec l‟ordonnance et les médicaments achetés, pour éventuellement avoir le cachet du médecin sur les feuilles de soin et se faire rembourser pour les patients bénéficiant d‟une assurance maladie. Selon les médecins, il peut y avoir substitution parce que le produit n‟est pas disponible ou l‟officine veut vendre un médicament plus cher au patient. Ces médecins pensent 218 que ces pratiques sont plus le fait non pas du pharmacien mais des employés d‟officine. Dans de rares cas, il peut y avoir des changements thérapeutiques, par exemple, substituer un antibiotique pour un autre plus fort, qui est le princeps, avec un prix plus élevé. L’accessibilité du médicament à Azilal L’avis en délégation et en pharmacie provinciale La province d‟Azilal compte environ 525.000 habitants. Elle est couverte par un réseau de 76 formations sanitaires (CSU, CSC, CSCA, DR,…) organisées en 11 circonscriptions sanitaires. Ce réseau a bénéficié en 2010 d‟un budget de 8,3 millions de DH pour l‟acquisition des produits pharmaceutiques, dont 7,5 millions réservés aux médicaments. Ce budget est réparti sur l‟ensemble des CS suivant la population couverte et l‟existence d‟officines. La gestion des médicaments à l‟échelle provinciale est assurée par la pharmacie provinciale qui est sous la responsabilité d‟un pharmacien aidé d‟une préparatrice en pharmacie, un technicien (frigoriste) et un agent. Cette pharmacie se charge, en début d‟année, de l‟élaboration de la commande annuelle en médicaments et dispositifs médicaux en concertation avec les médecins responsables des circonscriptions sanitaires. Un comité provincial des médicaments se réunit en fin de processus pour valider et arrêter la liste des produits à acquérir pour satisfaire les besoins de la population. La pharmacie provinciale avait reçu, jusqu‟au mois d‟avril, 30% de sa commande 2010. Plusieurs réceptions ont été réalisées durant l‟année 2010 (à partir du mois de janvier) et concernaient surtout l‟insuline. Ce n‟est qu‟à partir du mois de novembre qu‟a commencé la livraison des médicaments autres que l‟insuline. Photo 4 : la pharmacie de la Province d‟Azilal à l‟hôpital La réception des médicaments se fait à la pharmacie provinciale, située au sein de l‟hôpital. Elle est composée de trois dépôts dispersés. La pharmacie souffre de problème d‟espace de stockage. Si au moment de notre visite, une nouvelle structure venait d‟être construite bien que non encore réceptionnée par l‟équipe, elle 219 ne répond pas aux normes de stockage. Constituée de petites salles ayant une faible hauteur sous plafond, cette structure est de fait peu adaptée au stockage et à la gestion de quantités importantes de médicaments. Pour résoudre les problèmes d‟espace, la pharmacie est contrainte de livrer aux CS de grandes quantités de médicaments et dispositifs médicaux. La gestion des stocks se fait à l‟aide d‟outils comme les fiches de stock, la main courante, le registre de contrôle de la température pour les médicaments nécessitant la chaine de froid, les fiches inventaires et des outils informatiques qui facilitent le traitement et l‟analyse des données (sans application dédiée à la gestion d‟une pharmacie). Ces outils sont mis à jour régulièrement à chaque mouvement de stock : sortie ou entrée. L‟équipe en charge de la gestion de la pharmacie fait état de problèmes de déchargement liés au manque de personnels : 25 tonnes de médicaments tout les 23 mois. Quand de grosses livraisons arrivent, il y a des problèmes de vérification des quantités livrées. Avant, les dates de péremption étaient vérifiées, aujourd‟hui, ce problème ne se pose plus. On constate néanmoins que des produits arrivent hors saison comme les sirops anti-toux ou les anti-diarrhéiques. La pharmacie est obligée de livrer ces produits aux CS pour des raisons d‟espace de stockage. Du reste, la pharmacie stocke également les produits programmes gérés par le SIAAP. La pharmacie provinciale procède à la livraison des circonscriptions sanitaires et des CS suivant un calendrier trimestriel. Les livraisons sont effectuées dans des véhicules de la délégation. La pharmacie ne note pas de problème particulier concernant la qualité des médicaments mais les dates des produits livrés à une certaine période. Désormais, la pharmacie ne livre plus de produits dont la date de péremption est proche, donc le problème a été résolu. L’avis des professionnels médicaux exerçant en centre de santé à Azilal Comme précédemment, les professionnels de santé de trois CS ont été rencontrés. Les CS visités offrent des configurations très disparates. La population couverte par ces CS varie entre 4.000 dans un village très enclavé de l‟est de la Province, à 11.000 pour une petite localité de l‟ouest de la Province. Aussi, la densité médicale varie du simple au quintuple : un personnel de santé pour un peu plus de 1.300 habitants pour le premier, 1 pour 6.000 dans un autre village. Zone pilote pour le RAMED, la région compte une large population couverte par le dispositif prévu pour les indigents. Les entretiens réalisés avec les équipes médicales de ces CS laisse apparaitre également des situations à la fois contrastées et identiques. La gestion des stocks Une fois de plus, il n‟existe pas une procédure standard. Un médecin assure la gestion des stocks dans un CS tandis que dans les deux autres CS, cette tâche incombe à l‟infirmier major ou une infirmière aidée du major. 220 La disponibilité des médicaments Comparé à la situation des trois CS situés à Salé, les entretiens réalisés avec les personnels de santé à Azilal indiquent que l‟indisponibilité et les ruptures de stock ne concernent pas simplement les médicaments hors programmes comme les maladies non chroniques. Un CS, qui n‟est pas situé dans une zone particulièrement enclavé, commence par souligner le fait que la livraison de médicaments n‟a pas lieu tous les trimestres, mais quelques fois tous les 4-5 mois. Ensuite, il est indiqué que des médicaments sont livrés en petites quantités. C‟est le cas des corticoïdes dont quelques boites sont livrées par trimestre et dont la dotation trimestrielle est épuisée après une semaine. De même, nos interlocuteurs précisent que pour des médicaments contre les IST comme les antimycosiques ovules, la dotation trimestrielle est épuisée en 20 jours dans une région où ces infections constituent un problème majeur de santé publique. Cette situation oblige chaque femme qui vient accoucher au CS à acheter les médicaments en officine. Enfin, il y a des ruptures de stock pour les antidiabétiques oraux. Ces ruptures sont importantes puisque la dotation couvre 60% du trimestre, obligeant le médecin à rester un mois, voire un mois et demi sans médicaments disponible au centre. Pour tous ces médicaments, il s‟agit de médicaments programmes pour la lutte contre l‟asthme, le diabète ou encore les IST/Sida. Par ailleurs, le centre fait état d‟une insuffisance notable de médicaments sensibles dans une région froide. Il faut des antispasmodiques (injectables et comprimés), des anti-inflammatoires et des antipyrétiques (paracétamol) pour traiter les symptômes liés au climat. Pour le CS situé dans une zone très enclavée, en l‟absence d‟un médecin depuis l‟inauguration du CS en 2008, l‟infirmier chef précise en premier lieu que les livraisons de médicaments sont assurées par l‟ambulance d‟une association qui assure le transport des médicaments depuis Ouaouizert. Ensuite, notre interlocuteur rapporte que lorsque la dotation était gérée par la circonscription, il n‟y avait pas beaucoup de médicaments ; depuis qu‟Azilal gère directement cette dotation, la situation s‟est améliorée : auparavant la dotation couvrait une semaine, maintenant elle couvre huit semaines, voire 10 semaines selon l‟état des routes. Si les routes sont dégagées, les demandes sont plus importantes et l‟épuisement de la dotation est plus rapide. De même, il y a une rupture d‟antidiabétiques oraux depuis 2 mois. Pour l‟insuline, il est rapporté un épisode de rupture de stock. Pour les IST et l‟hypertension artérielle, aucune rupture de stock n‟est signalée. En cas de rupture de stock, les patients doivent se rendre à 50 kilomètres du CS pour se procurer ces médicaments en officine. Enfin, dans le dernier CS visité, on ne note pas de ruptures de stock pour les médicaments programme pour le diabète ou l‟hypertension artérielle. On note parfois des ruptures pour les médicaments contre les IST en précisant qu‟un CS à proximité à vocation à prendre en charge les patients pour ces infections. En revanche, il y a des ruptures pour des médicaments ne concernant pas les maladies chroniques comme les antiémétiques, les antispasmodiques, les antalgiques, les antibiotiques pédiatriques. Le médecin interrogé rapporte que le troisième mois est difficile. Il regrette l‟indisponibilité d‟antibiotiques plus efficaces. Dans le cas d‟antibiotique plus classique comme l‟amoxicilline, il souligne que la dotation trimestrielle est rapidement consommée. Du coup, le médecin essaye de gérer les stocks en répartissant la dotation trimestrielle par mois. 221 La qualité des médicaments dispensés en centre de santé Dans les trois CS, on ne note pas de problèmes particuliers concernant la qualité des médicaments dispensés. Pour les quelques rares cas de réclamations formulées par les patients, un médecin pense qu‟il s‟agit davantage d‟une erreur de diagnostic ou de dosage dans le cas des antibiotiques qu‟un problème de qualité. En revanche, un médecin signale qu‟il doit parfois prescrire des médicaments plus forts pour des pathologies plus importantes. Du coup, il prescrit des médicaments indisponibles dans le CS, plus chers, et que le patient devra donc acheter en officine. Les pratiques de prescription des médecins Il convient de signaler à nouveau la situation particulière du CS de la zone très enclavée et dépourvu de médecin depuis son inauguration en 2008. Le CS ne dispose ni d‟eau, ni d‟électricité, ni du téléphone. Dans ces conditions de travail difficiles, l‟infirmier indique faire des ordonnances uniquement pour des médicaments qui ne sont pas disponibles au centre. Les jours de souk où il voit davantage de patients, il peut rédiger jusqu‟à 40 ordonnances. Il prescrit en moyenne 2 à 3 médicaments par ordonnance qui sont donc à acheter en officine. Pour se procurer les médicaments, les patients donnent l‟ordonnance et de l‟argent à des chauffeurs de taxi qui vont à l‟officine et achètent pour eux. Du coup, l‟officine appelle souvent le l‟infirmier du CS sur son téléphone personnel quand le produit n‟est pas disponible, pour savoir si c‟est urgent ou lorsqu‟il y a un doute concernant une personne qui arrive avec une ordonnance non cacheté pour acheter des psychotropes par exemple. Quand il prescrit, l‟infirmier fait attention aux prix pour certains produits. Il estime qu‟à partir de 80 DH par ordonnance, l‟achat devient difficile pour les patients à pathologie lourde. Pour les autres pathologies, l‟achat devient délicat à partir de 40 DH. Aussi, il prescrit le plus souvent du générique compte tenu du pouvoir d‟achat de la population. Il prescrit ce qui devrait être disponible au CS donc le plus souvent des génériques. Dans un autre CS, les médecins prescrivent en moyenne deux médicaments par ordonnance. A 90% les médicaments prescrits sont dispensés au CS. Il reste donc 10% que le patient devra acheter en officine, surtout pour les dermocorticoïdes, les corticoïdes oraux, les psychotropes et neurotropes. De même, compte tenu des ruptures de stock importantes pour les produits gynécologiques comme les antimycosiques, les patientes doivent se les procurer en officine. Pour des dorsalgies ou arthralgies, le médecin dit traiter les patients avec de l‟aspirine disponible dans le CS, or la pathologie nécessite des anti-inflammatoires non stéroïdiens. Le prix est environ de 25 DH en officine, voire entre 100 et 150 DH selon le produit. Donc le médecin va prescrire le premier à 25 DH car il sait que s‟il prescrit un médicament de plus de 40 DH, le patient n‟achètera pas. Pour les infections urinaires, il essaye de ne pas prescrire au-delà de 50 DH. Pour les antibiotiques, il essaye de ne pas prescrire au-delà de 55-60 DH. Mais il peut prescrire un antibiotique plus cher dans des cas lourds. Le médecin insiste alors auprès du patient en l‟informant des risques pathologiques importants qu‟il encourt s‟il ne se soigne pas, s‟il n‟achète pas le médicament. Le médecin essaye même d‟obtenir du crédit auprès de l‟officine pour le patient. Donc le médecin estime que la population peut acheter à 25 DH. A partir de 40 DH, l‟achat devient difficile. 222 Dans le dernier centre, en moyenne, le médecin prescrit 3 médicaments par ordonnance pour des infections comme les angines, les pneumopathies ou les diarrhées. Pour les enfants, les médicaments seront dispensés au CS sauf si la pathologie de l‟enfant est lourde et nécessite un médicament plus efficace qui n‟est pas dispensé au centre. Pour l‟adulte, cela dépend de la pathologie. Pour les arthralgies et lombalgies, si les médicaments sont disponibles en CS, le patient recevra le traitement pour 2 mois et pour le dernier mois du trimestre, il devra l‟acheter en officine. Notre médecin indique, du reste, demander au patient s‟il a les moyens. Si le pouvoir d‟achat est suffisant, il prescrit des médicaments plus chers. Sinon, il prescrit du générique moins cher. En plus, il sait que si la pathologie est importante, le patient achètera les médicaments. Par contre, pour les pathologies chroniques nécessitant des soins importants et coûteux, il y aura un problème. Le médecin estime qu‟à partir de 20-25 DH, l‟achat devient difficile pour les patients en officine. La dispensation de médicaments en officine Les médecins des CS notent de rares cas de substitution. Les officines respectent les ordonnances. En cas d‟indisponibilité du produit, elles appellent le médecin. Aussi, il y a des contacts réguliers entre les médecins et les officines qui font que la substitution unilatérale n‟est pas une pratique répandue. Un médecin indiquera qu‟un pharmacien d‟officine située à proximité immédiate du CS a une employée peu expérimentée qui se déplace pour demander des précisions sur l‟ordonnance, le médicament ou le dosage. Si un médecin indique n‟avoir pas observé de cas de changement thérapeutique, un autre rapportera qu‟il peut y avoir des cas de changement de molécule liés à un problème de compréhension de l‟ordonnance par l‟employé. Des suggestions pour améliorer la disponibilité du médicament Tous les CS visités font état de conditions de travail difficiles, de moyens limités en ressources humaines. Outre le CS enclavé où aucun médecin n‟a exercé depuis son inauguration, un autre centre rapporte qu‟il manque de personnel paramédical. Une infirmière est partie depuis quatre mois au Ministère de la santé et n‟a pas été remplacée ; cela crée une surcharge de travail pour l‟équipe médicale, tout particulièrement en ce qui concerne la vaccination. Il manquerait également une sage femme (la mortalité néo-natale est de 6,64% dans le centre). Le CS enclavé demande à pouvoir disposer de bons d‟essence pour permettre à l‟ambulance de l‟association d‟aller plus souvent chercher les médicaments à Ouaouizert et d‟améliorer ainsi la disponibilité dans le centre. Deux centres réclament à être un peu plus impliqués dans la définition de la commande afin d‟éviter un approvisionnement qu‟ils jugent trop important pour certains médicaments et au contraire augmenter celui de produits plus essentiels pour couvrir les besoins de la population. Le médecin d‟un CS estime que le budget médicament est important. Comme des médecins des centres de Salé, il pense qu‟il vaut mieux donner les médicaments les plus importants, pour les accouchements ou les urgences et délivrer des ordonnances aux patients pour des montants de 50-60 DH. Ainsi, il faudrait réserver le budget médicament aux pathologies lourdes comme le cancer, l‟hémodialyse ou encore le diabète au lieu de l‟allouer à des pathologies moins importantes : achat 223 d‟aspirine ou d‟amoxicilline. De plus, le médecin soupçonne les patients de stocker des médicaments du CS chez eux, d‟où une perte selon lui pour le centre. Enfin, le médecin estime que la population a le pouvoir d‟achat pour supporter des ordonnances de 100 DH, les patients peuvent acheter, surtout avec les génériques. Finalement, il faudrait que les consultations et les soins soient gratuits mais pas nécessairement les médicaments. Et de conclure, comme ailleurs, que la gratuité dévalorise l‟acte et crée du gaspillage. L’accessibilité du médicament à Figuig L’avis en délégation et en pharmacie provinciale La province de Figuig compte 160.000 personnes et 22 formations sanitaires répartis en 4 CSU, 4 CSR(A), 6 CSC et 8 DR. La pharmacie provinciale est tenue par un pharmacien et un aide pharmacien. Cette équipe gère un budget pour les produits pharmaceutique de 1,3 million de DH : près de 1,1 million de DH pour les médicaments et 0,2 million de DH pour les dispositifs médicaux. La commande de 2010 a été élaborée en collaboration avec le médecin chef du SIAAP après répartition du budget et du formulaire de médicaments entre les CS. Le budget global a été réparti selon la consommation antérieure de chaque CS. Une réunion de discussion et de validation de cette répartition est organisée en début d‟année. Toutefois, le médecin chef du SIAAP décide du choix des produits à commander. Le taux de livraison de la commande 2010 se situe à 52,30%. Pour gérer les stocks, des fiches de stock sont disponibles, des inventaires trimestriels sont réalisés. Il n‟existe pas de main courante. Selon notre interlocuteur, les médicaments sont presque toujours disponibles, surtout ceux des programmes de santé. Des ruptures de stock ont été notées, notamment pour les antifongiques (en ovule et en pommade), les antihypertenseurs (en comprimé ou injectable). Les supervisions ont été réalisées dans certains CS pour évaluer la gestion des médicaments. Aucune plainte n‟a été enregistrée de la part des professionnels et de la population concernant la qualité des médicaments achetés au niveau central. L’avis des professionnels médicaux exerçant en centre de santé Les professionnels de santé de trois CS ont été rencontrés qui couvrent de 15.000 à 32.000 personnes. La densité médicale varie plus modestement du simple au double comparé à Azilal : un personnel de santé serait disponible pour 1.050 habitants à Figuig contre 1 pour 2.000 habitants à Tendrara. Le budget en produits pharmaceutiques pour les trois CS se répartit de la façon suivante : 350.000 pour le CS de Figuig, 380.000 pour celui de Talsint et 380.000 pour celui de Tendrara. Aussi, la dotation en médicament par tête est de 23 DH pour Figuig, contre 12 DH pour Talsint et 22 DH pour Tendrara. Les entretiens réalisés avec les équipes médicales des CS visités laissent apparaitre des situations très contrastées. La gestion du médicament Dans un premier centre, la gestion des stocks de médicament est confiée à l‟infirmier chef qui assure ainsi une fonction médicale et une fonction comptable à laquelle il n‟a pas été formé. Il n‟y a pas de fiches de stock et les médicaments sont rangés sans méthode précise. A l‟opposé, dans un autre centre, la gestion des médicaments est confiée à un employé administratif dédié à cette tâche. Il reçoit les ordonnances des médecins et délivre les médicaments aux patients. Il assure une 224 traçabilité rigoureuse à l‟aide de registres pour chaque catégorie de médicaments. En outre, chaque programme de santé dispose de son propre registre de médicament. De plus, le gestionnaire veille à la péremption des médicaments. Il précise que le taux de péremption est très faible. La péremption touche essentiellement des produits reçus de la pharmacie provinciale et peu utilisés comme les antibiotiques sous forme injectable. La péremption concerne également des médicaments reçus avec des dates de péremption très proches. Le centre procède à la destruction des produits périmés sous la responsabilité d‟une commission désignée à cet effet qui rédige un procès verbal de destruction. Photo 5 : Pharmacie d‟un centre de santé La disponibilité des médicaments Concernant la disponibilité des médicaments, on note une différence sensible entre catégories de médicaments. Un premier CS rapporte que les médicaments des programmes de santé sont disponibles, qu‟aucune rupture de stock n‟est à déplorer. En revanche, pour les médicaments hors programmes, les ruptures de stock sont parfois enregistrées. Ces ruptures concernent les antibiotiques et les antiinflammatoires et seraient dues selon un interlocuteur essentiellement à une surconsommation médicamenteuse. La dotation du CS couvrirait finalement une période de 3 mois sauf pour les antibiotiques et les anti-inflammatoires. Un autre CS confirme que les ruptures de stock sont rares sinon absentes pour les médicaments des programmes de santé : l‟insuline, les médicaments contre les IST ou encore les médicaments du planning familial. Toutefois, notre interlocuteur souligne des difficultés d‟approvisionnement pour les antihypertenseurs : ils font parfois défaut étant reçus en faible quantité. Ces difficultés ne concernent pas tous les antihypertenseurs puisque les antihypertenseurs diurétiques sont toujours disponibles. Cela permet de traiter les patients, de les rééquilibrer en l‟absence 225 d‟antihypertenseurs plus appropriés disponibles au centre. En revanche, pour les autres médicaments, notre interlocuteur confirme des ruptures de stock. Selon certaines périodes de l‟année plutôt froides, le CS constate une surconsommation d‟antibiotiques, d‟antipyrétiques, d‟anti-inflammatoires et de corticoïdes, en conséquence, la dotation trimestrielle de ces produits couvre à peine quatre semaines, au mieux six semaines, alors que la dotation pour les pathologies chroniques peut couvrir tout le trimestre. Notre interlocuteur conclut qu‟on ne peut pas satisfaire les besoins de la population à 100% surtout pour les médicaments : le budget médicament est estimé faible (380.000 DH) et le nombre de consultations par jour est en moyenne de 80 et peut atteindre 200 les jours de souk. Enfin, le dernier CS confirme que pour les programmes de santé couvrant les pathologies chroniques, les médicaments sont toujours disponibles. Il ajoute que des médicaments programmes comme les antidiabétiques, les traitements des IST et les antipsychotiques sont gérés spécialement par le major du centre qui fait un suivi régulier de leur consommation. Pour les produits du programme de santé maternelle et infantile ainsi que ceux de la planification familiale, ils sont gérés par la cellule du SMI avec des registres particuliers et un suivi mensuel (kits d‟accouchement). Notre interlocuteur suggère donc qu‟une gestion des stocks rigoureuse peut influer sur les épisodes de ruptures et la disponibilité des médicaments en centre. Sans sousestimer la question de la gestion proprement dite des stocks, à cette suggestion, il faudrait également ajouter que les dotations budgétaires allouées à la prise en charge des maladies chroniques sont de loin beaucoup plus importantes que celles accordées aux autres pathologies. La qualité des médicaments Sur ce point, les avis divergent. Il y a, d‟un côté, le médecin de garde d‟un CS qui dit ne pas avoir confiance dans les médicaments génériques mais les prescrire aux malades du centre pour des raisons économiques, la population pauvre ne pouvant pas se procurer les médicaments dans le secteur privé. Toutefois, notre interlocuteur précise qu‟il n‟a enregistré aucune plainte de la part de la population vis-à-vis des génériques dispensés dans le CS. D‟un autre côté, il y a les médecins d‟un autre CS qui affirment avoir confiance dans la qualité des génériques achetés par la DA et dispensés en centre. Du reste, ils précisent qu‟aucune plainte n‟a été enregistrée de la part des patients. Les médecins concluent enfin que la population est pauvre et ne peut pas acheter des médicaments chers. Un médecin exerçant dans un troisième centre précise que certains patients soutiennent que les médicaments dispensés dans le CS sont mieux que ceux achetés en officine, signe d‟une confiance solide dans le médicament dispensé dans le secteur public. Les pratiques de prescription des médecins Les pratiques des médecins sont variables. Un médecin d‟un premier CS indique prescrire entre deux et trois médicaments par ordonnance. Puis, selon la disponibilité des produits, un malade peut obtenir la totalité des médicaments prescrits au niveau du CS. Le médecin d‟un second centre rapporte que ses ordonnances comportent en moyenne deux à trois médicaments ; en revanche, suivant le niveau des stocks, le malade peut obtenir entre 50 à 100% des médicaments prescrits dans le centre. Comme dans d‟autres CS, notre médecin précise que la dotation trimestrielle en médicaments est répartie sur trois mois pour optimiser leur disponibilité en centre. Enfin, le médecin d‟un troisième CS rapporte 226 qu‟il prescrit entre 3 et 6 médicaments par ordonnance, le patient pouvant trouver dans le CS la totalité des médicaments prescrits. En revanche, la fin du trimestre est une période critique où l‟indisponibilité du médicament est sensible, le patient peut ne trouver aucun médicament prescrit en CS. Notre interlocuteur précise que les soins d‟urgence sont toujours assurés en permanence. Concernant le traitement de l‟ordonnance en officine, les personnes interrogées précisent que deux officines sont situées à proximité de leur CS respectif. Elles indiquent que la substitution est pratiquée en officine pour cause essentiellement d‟indisponibilité du produit. Un interlocuteur rapportent qu‟il y a peu les officines pratiquaient la substitution à tort et à travers. Par exemple, lorsque le médecin prescrivait de l‟Aspégic 100 mg pour un malade cardiaque, l‟aide pharmacien pensait qu‟il s‟agissait d‟une erreur et que le produit était destiné à un enfant et non un adulte. Un conflit a éclaté entre les médecins et les aides pharmaciens suite à ces pratiques, le pharmacien étant rarement sur les lieux selon nos interlocuteurs. 227 Conclusion Les dotations en médicaments des provinces de Figuig et surtout d‟Azilal apparaissent suffisantes, mais insuffisantes à Salé apparaît. Partout se pose la question du stockage des dotations provinciales, et de l‟acheminement vers les CS (surtout dans la province d‟Azilal). L‟augmentation de la demande pour certains centres n‟est pas toujours anticipée ou les dotations ne sont pas toujours adaptées ce qui occasionne des ruptures de stock pour certains produits, et des surplus pour d‟autres. En fait, les situations sont très contrastées. Certains CS affirment ne pas subir de ruptures de stock pour les médicaments de santé publique dédiés notamment aux traitements des affections de longue durée. Les dotations permettent de dispenser des médicaments vitaux coûteux gratuitement à des populations au pouvoir d‟achat limité. Dans d‟autres cas les CS se plaignent au contraire de ruptures de stock pour ces médicaments vitaux. La dotation ne permet pas de satisfaire les besoins de la population pour les IST, l‟hypertension ou le diabète. Enfin, tous les CS se plaignent de ruptures de stock non négligeables pour les médicaments autre que ceux couverts par les programmes de santé publique. Les antipyrétiques, les antiinflammatoires ou encore les antibiotiques manquent dans tous les CS visitées. En somme, il ressort que la prise en charge des patients atteints de maladie chronique est plutôt satisfaisante rejoignant sur ce point les suggestions émises par les acteurs privés. Dans certains CS un personnel est dédié à la dispensation des médicaments, dans d‟autres, chaque soignant dispose de sa propre dotation et il n‟y a pas de procédures bien définies de gestion des stocks. Face aux ruptures de stock ou au manque de certains médicaments, les soignants ont recours aux prescriptions en veillant à en limiter le coût. 228 Chapitre - 10 L’accès aux médicaments selon la population Elise Guillermet, Mohamed Amine, Marc-Éric Gruénais Dans le cadre de l‟enquête nationale sur les valeurs réalisée à l‟occasion du Cinquantenaire de l‟Indépendance du Maroc (RDH 3), le choix de recourir à un pharmacien en cas de problème de santé représentait près du quart des réponses. L‟enquête quantitative réalisée sur les trois sites étudiés révèle des rapports différents. Le pharmacien n‟est consulté que par 16.2% des personnes interrogées sur l‟ensemble des sites avec des variations importantes selon les sites : 24% dans la province d‟Azilal 18% à Salé, 7% à Azilal (cf. tableau 24 du chapitre 6). Néanmoins, Lorsque l‟on pose la question de l‟automédication, dans l‟enquête quantitative, ce sont plus de 54% des répondants qui déclarent y avoir recours. Tableau 44 : Pratique de l‟automédication dans les trois sites Régions n % Salé 328 68,3 Azilal 147 40,8 Figuig 177 48,8 Total 652 54,2 Que signifie cette part importante de ce qui est désigné par le terme « d‟automédication » (self-medication en anglais) qui comprend comme définition minimale le fait de se procurer des médicaments sans prescription médicale (overthe-counter en anglais) ? En France le terme « automédication » est la plupart du temps réduit à désigner cet usage (Coulomb 2007 ; Raynaud 2008 : 81). En langue anglaise, il est utilisé pour désigner une autre pratique : réutiliser des médicaments déjà présents dans l‟armoire à pharmacie à domicile (self-treatment) (Segall 1990 : 31). L‟enquête quantitative a révélé que les patients de Salé, Azilal et Figuig opéraient également cette différence en parlant d‟automédication (se soigner soimême) uniquement pour désigner ces pratiques à domicile et considéraient isolément le fait de s‟adresser à un pharmacien. Néanmoins le recours au pharmacien comme « prestataire », comme on l‟a vu, surtout à Figuig et, dans une moindre mesure à Salé, n‟est pas négligeable, et un pharmacien de la province de Figuig nous confiait d‟ailleurs que la majorité de ses clients se présentaient sans avoir consulté un médecin : « Je dirais que 70 à 80% des gens viennent directement sans ordonnance ». Qu‟est-ce que cette désignation d‟automédication nous apprend du crédit accordé à ce prestataire ? La pratique de l‟automédication en tant que self-care (prendre soin de soi soimême) a été mise en avant par certains auteurs américains pour décrire un rapport individualisé et actif à sa santé puisqu‟il place le patient au centre du choix thérapeutique (Chewning & Sleath 1996). D‟autres ont en revanche mis en évidence le fait que le recours à l‟automédication, indépendamment ou en combinaison avec 229 une prescription médicale (Leibowitz 1989), était le signe d‟une mise en doute par les patients américains de la qualité de l‟offre médicale (Vuckovic & Nichter 1997). Qu‟en est-il au Maroc ? Que nous apprend le recours au pharmacien hors prescription médicale du rapport aux prestataires de soins? Nous essaierons de répondre à cette question dans un premier temps. Dans un deuxième temps, nous verrons en quoi ce rapport révèle des obstacles à l‟accès aux médicaments et des aspects du système de leur délivrance. S‟interroger sur « l‟automédication » revient également à questionner l‟objet médicament en lui-même qui est l‟objet de représentations culturelles qui permettent aussi d‟en comprendre la quête ou au contraire le refus (Fainzang 2007). Delphine Dupré-Leveque souligne quant à elle comment, en maison de retraite en France (Dupré-Leveque 2002), le médicament devient un objet de reconstruction du lien social par les relations répétées aux personnels soignants qu‟il oblige voire que les pensionnaires suscitent. Le médicament est un objet social. L‟interrogation du rapport que les usagers de Salé, Figuig ou Azilal ont à cet objet sera le sujet de notre troisième point. Nous y interrogerons les dimensions sociales de l‟accès aux médicaments corollaires à ses modalités d‟obtention par gratuité, solidarité ou don. Choix du recours au pharmacien Combler les manques matériels des structures de soins publiques L‟une des premières raisons pouvant expliquer le recours aux pharmaciens d‟officine, à Azilal et Figuig, est qu‟ils sont amenés à apporter leur contribution pour le suivi des patients. Il nous a été rapporté, par les pharmaciens eux-mêmes, que les structures publiques, y compris les hôpitaux, ne procédaient pas aux prélèvements pour des examens qu‟ils ne pouvaient pas réaliser au sein de la structure. Les prélèvements sont alors parfois réalisés à la demande des patients dans les pharmacies, puis ils sont acheminés vers des laboratoires privés de Oujda ou de Beni Mellal, par exemple. Par ailleurs, dans la mesure où les centres de santé ne disposent pas de tous les médicaments nécessaires aux traitements, les patients se présentent dans les officines avec des ordonnances établies dans les centres de santé publics. « Je prends l‟insuline injection du centre de santé gratuitement, mais des fois je me vois dans l‟obligation de l‟acheter en pharmacie en plus de la piqure vue l‟abondance des diabétiques dans la région » (Azilal). Il en va de même pour le contrôle de la glycémie par exemple, lorsque les centres de santé ne disposent pas de glucomètre ou de bandelettes. « Il n'y a pas d'appareil de mesure de glycémie au centre de santé mais quand je me sens malade je pars chez le pharmacien pour mesurer le taux de glycémie » (Province de Figuig). L‟enquête quantitative a confirmé cette modalité de suivi des personnes souffrant de maladies chroniques alternative au centre de santé : si 45% des patients ne bénéficieraient d‟aucun suivi, pour les 55% restant 6,4% déclarent être suivis par un pharmacien (cf. tableau 29, chapitre 6). 230 Le docteur de la pharmacie Par ailleurs, au cours des entretiens, les expressions « Notre médecin c’est le pharmacien ! », « le docteur de la pharmacie » ou encore l‟évocation de la crainte du passage à la pharmacie comme une consultation sont apparues, témoignant du statut quasi médical accordé au pharmacien par certains usagers. « Au cours du mois de ramadan dernier il a fait très chaud. Je buvais beaucoup... c‟est normal, je buvais beaucoup et forcément, j‟urinais beaucoup… Mais après les premiers 10 jours, j‟ai commencé à me sentir très fatigué sans raison. J‟avais des difficultés à me réveiller le matin. La mi-journée était très dure avec le jeun, et le soir après avoir mangé, j‟avais mal à la tête et je n‟arrivais même pas à aller à la mosquée pour faire mes prières. - Êtes-vous allé consulter ? - Pas vraiment. Je suis allé chez le docteur de la pharmacie qui m‟a mesuré le sucre au doigt. J‟avais 4 g... J‟étais très inquiet parce que mon père est mort du diabète lui aussi » (Salé). « Quand il fait froid, mes enfants souffrent des maladies de la saison. Mon fils tousse beaucoup, il souffre de la fièvre, hier, il a marqué 39,5°. Je suis partie directement à la pharmacie… Beaucoup de monde arrive chaque jour à l‟hôpital et si tu n'y connais personne pour te servir tu n‟auras pas de tour qu‟après cinq ou six heures d'attente si tu as de la chance ! C‟est pour cela que je préfère aller directement au pharmacien qui fait la consultation et me donne directement les médicaments que je paie et il contrôle la température et s‟il voit qu‟il y‟a un danger il nous demande d‟aller à l‟hôpital. Je fais confiance à 100% à notre pharmacien je le félicite pour son humanité et pour son savoir faire » (Province de Figuig). La disponibilité, l’expérience et l’attention Un pharmacien nous confiait cette reconnaissance de son travail en l‟expliquant par sa disponibilité alors que les médecins sont peu nombreux ou absents : « Depuis 16 ans, j’ai ouvert ma pharmacie. Je suis le médecin de [la ville de X] ! Une fois les gens ont fait une manifestation devant l’hôpital et ils ont dit que le pharmacien est leur médecin. Les gens m’appellent à la maison la nuit. Tout le monde a mon numéro de téléphone ». Les usagers valorisent par ailleurs l‟expérience des pharmaciens en comparaison avec celle des jeunes médecins tout juste diplômés qui méconnaissent le milieu rural dans lequel ils sont affectés. Le pharmacien tient compte des pathologies liées au contexte environnemental. « Une fois, un enfant avait de la fièvre. Ma femme est partie au centre de santé. Le médecin lui a demandé ce que l‟enfant avait sans l‟ausculter. Il a fait une ordonnance avec de mauvais médicaments. Il est préférable d‟aller directement chez le pharmacien. Il a l‟expérience. Il a dit que la fièvre était due à la proximité avec les animaux, que c‟est pour ça que l‟enfant a aussi mal aux yeux » (Province de Figuig). L‟attention que le pharmacien porte à son client, qui amène certains à parler de consultation, vient confirmer que, au regard des usagers, la légitimité du soignant – et corollairement du médicament prescrit – dépend de l‟attitude du praticien. Le médicament apparait comme un objet dont la valeur n‟est pas liée uniquement à ses composantes biochimiques mais aux moyens de son obtention. Penchons-nous plus 231 précisément sur cette valeur symbolique du médicament qui semble liée d‟une part à la difficulté d‟y accéder et d‟autre part à la plus-value qui en accompagne le don. Obtenir le médicament La guérison est rarement évoquée par les patients lorsqu‟on les interroge sur leurs parcours de soins. Les démarches entreprises pour obtenir les médicaments en revanche sont évoquées systématiquement. Les obtenir, les renouveler, ne pas pouvoir les acheter sont des évènements décrits avec précision qui permettent de saisir que le médicament (prescrit dans de bonnes conditions) est au cœur du rapport que les malades ont à leur santé. Le récit suivant l‟illustre. Une patiente souffrant de problèmes cardiaques décrit les différents moments qui lui ont permis d‟obtenir le médicament que le « médecin spécialiste » lui a prescrit. Les phases d‟obtention ou de manque sont désignées comme déterminant son état de santé. « L‟année dernière, la femme est allée chez un médecin généraliste privé parce qu‟elle ne se sentait pas bien. Elle a fait la consultation, le médecin lui a dit qu‟elle a un problème cardiaque et qu‟elle doit aller chez un médecin spécialiste pour faire un électrocardiogramme. Le médecin spécialiste lui a prescrit un médicament. Elle a payé entre les déplacements, la consultation médicale et les médicaments 750 DH, sachant que ce montant a été prêté à la famille par un voisin car leur revenu ne permet pas de couvrir les frais des soins. C‟est pour cette raison que la femme n‟a pas fait l‟électrocardiogramme. Pendant le traitement son état s‟est amélioré, mais après, l‟état sanitaire de la femme s‟est aggravé de nouveau car elle n‟a pas d‟argent pour acheter les médicaments. Ainsi la femme tombe malade de temps en temps. Un jour une équipe mobile s‟est déplacée au centre de santé, la femme a dit aux membres de l‟équipe qu‟elle souffre d‟un problème cardiaque et leur a montré le médicament qu‟elle utilise. Elle a reçu une boite de ce médicament. Actuellement, à chaque visite au centre de santé, elle ne trouve pas le médicament et elle n‟a pas d‟argent pour l‟acheter. C‟est pour cela qu‟elle souffre encore de sa maladie » (Province d‟Azilal). L‟enquête quantitative confirme l‟importance accordée au médicament. L‟achat des médicaments est en effet présenté comme la première difficulté rencontrée en matière d‟accès aux soins à Azilal et Figuig, et la seconde à Salé après la consultation médicale (cf. tableau 26, chapitre 6). Les récits recueillis confirment que l‟accès aux médicaments est semé d‟obstacles à franchir : le problème du coût et les pratiques des personnels soignants dans les centres de santé qui réinterprètent le principe de gratuité sont régulièrement rappelés. Le coût Une partie des patients se voient dans l‟obligation de sélectionner les médicaments qui leur ont été prescrits et qui sont rarement disponibles dans leur totalité dans les centres de santé. Globalement, ce sont près de 18% des patients qui ne se procurent qu‟une partie des médicaments prescrits par le médecin et 10% qui renonceraient à leur achat. Les habitants de Figuig seraient beaucoup plus nombreux à se confronter à cette nécessité (34% sélectionnent et 22,4% renoncent). 232 Tableau 45 : Achat des médicaments prescrits par le médecin Régions En totalité En partie Non réalisé Salé 364 (87,5%) 33 (7,9%) 19 Azilal 212 (80,0%) 39 (14,7%) 14 Figuig 142 (43,6%) 111 (34,0%) 73 Total 718 (71,3%) 183 (18,2%) 106 (4,6%) (5,3%) (22,4%) (10,5%) Le coût est la raison évoquée pour justifier cette sélection par des patients sans couverture médicale. Cette contrainte se retrouve également dans les discours des bénéficiaires d‟une mutuelle qui doivent avancer les frais des médicaments avant d‟être remboursés. « Je souffre de cette maladie depuis seize ans et aujourd‟hui je n‟arrive plus à payer l‟aérosol, il coute 350 dh et je dois payer cette somme chaque mois en plus de la piqure qui coute 60 dh. Même si j‟ai la mutuelle ça ne me sert à rien, parce qu‟il ne me rembourse qu‟après six mois. Aujourd‟hui je trouve ça difficile, je n‟ai plus les mêmes moyens qu‟avant, du coup je n‟achète que la piqure qui est moins chère même si les gens m‟ont prévenu qu‟elle cause l‟ostéoporose. »(Salé) « Mon fils est diabétique. J‟ai dû apprendre à faire des piqures par moi-même…moi qui aie peur de tout. Je suis toujours en train de vérifier les doses d‟insuline… J‟ai peur de tuer mon fils si la dose est trop grande ou petite. J‟ai appris à mesurer le sucre. On m‟a dit de le faire 4 fois par jour. Je le fais 1 fois, un jour sur deux. Ca coûte cher les bandelettes, même au tarif de l‟association. En plus il faut se déplacer jusqu‟à Rabat pour aller à l‟association pour les enfants diabétiques » (Salé). On perçoit dans ces extraits d‟entretien que le problème du coût se pose aussi bien pour des maladies chroniques du fait des coûts annexes aux traitements que pour les pathologies dont l‟accès gratuit aux traitements n‟est pas prévu, et cela est d‟autant plus vrai en milieu rural pour des pathologies sévères. Rien d‟étonnant alors qu‟à la question « pour vous, qu’est-ce qu’un bon médecin ? », les réponses mentionnent de fait de donner gratuitement des médicaments ou de prendre en compte le pouvoir d‟achat des patients, ces points étant systématiquement cités dans les 127 entretiens réalisés, y compris chez les patients qui ne manifestent pas pour eux-mêmes des besoins d‟argent mais soulignent cette nécessité pour ceux qui n‟ont pas de couverture médicale. 233 La réinterprétation de la gratuité par les personnels soignants Ces contraintes de coût sont en partie neutralisées par l‟accès gratuit aux médicaments dans les centres de santé qui explique que la majorité des patients parviennent à se procurer la totalité ou une partie des traitements prescrits. Toutefois, des patients nous ont fait part des difficultés auxquelles ils sont parfois confrontés pour en bénéficier du fait de la nécessité de devoir négocier leur obtention par un bakchich au personnel de santé ou encore la tendance de ces derniers à réserver une partie des médicaments pour leurs proches. Des récits ont révélé les attitudes de sages femmes ou d‟infirmières demandant des compensations financières pour le matériel utilisé, pour des actes de soin tels que les injections d‟insuline ou pour donner les médicaments. « Je trouvais toujours des problèmes avec les infirmières qui demandent de l‟argent pour faire un service ou pour donner un médicament quelconque. Elles vendent même l‟insuline, le tout avec un prix bien défini, comme par exemple l‟extencilline à 50 dh, la Bétadine à 20 dh, les comprimés de diabète entre 20 à 30 dh et l‟injection à 10 dh ; et si on marchande avec l‟infirmière c‟est à 5 dh. J‟ai toujours dû me bagarrer avec celle qui vend les médicaments pour avoir ma dotation en insuline parce que je sais que c‟est un médicament donné gratuitement et qu‟il n‟était pas à vendre, et à la fin j‟arrivais à prendre mes flacons d‟insuline » (Salé). Ce récit, parmi d‟autres soulignant des pratiques similaires, a été obtenu auprès d‟une patiente bénéficiant de la couverture médicale réservée aux familles de militaires. La résistance à laquelle elle s‟est confrontée au centre de santé n‟a pas été soulevée par les autres patients diabétiques fréquentant la même structure. Cet épisode semble faire écho aux discours des personnels soignants déjà rapportés et qui dénonçaient la gratuité des médicaments pour tous alors que certains ont les moyens de se les procurer. Si les patients soumis au bakchich y voit un comportement malveillant et injuste, se devine ici une logique de redistribution basée sur une autre perception de ce que doit être le don de médicament. Les personnels soignants, comme nous l‟avons déjà décrit, mettent en évidence les conséquences négatives de la gratuité qui vient discréditer leurs actes et prescriptions. Ils mettent en œuvre une alternative à la gratuité systématique (qui se distingue du « devoir de donner » qui place les personnels soignants dans une posture de donateur obligé) qui est le don des médicaments réservés pour leurs proches et qui leur en sont alors reconnaissants. « Le médecin du centre de santé nous a prescrit des médicaments. Quand je suis parti le prendre à la pharmacie du centre, sans que ma fille qui était stagiaire au centre de santé m‟accompagne, la femme qui y travaillait m‟a dit qu‟elle n‟en avait plus et que je devais l‟acheter. Je l‟ai dit à ma fille, qui, à son tour, l‟a dit au médecin. À ce moment là, le médecin a appelé l‟infirmière qui travaille à la pharmacie et lui a dit que j‟étais venu de sa part et qu‟elle n‟avait qu‟à me donner le médicament. Elle lui a dit qu‟elle allait chercher dans le stock pour voir s‟il y en restait toujours. Ma fille est partie avec elle à la pharmacie et elle s‟est aperçue qu‟il y en avait en grande quantité. Quand elle a fait la remarque à l‟infirmière, elle lui a répondu qu‟elle m‟aurait donné le médicament sans l‟intervention du médecin, si elle savait que j‟étais son père, en ajoutant que le médicament qui restait était réservé aux personnes qu‟ils connaissaient. Ensuite elle l‟a prévenue qu‟elle ne devait pas en 234 parler, elle lui a également dit que le peu de médicaments qui reste est surtout réservé à ceux qui travaillent au centre de santé, en cas de besoin » (Salé). Le médicament : objet de don Cette logique du don cohabitant avec celle de la gratuité nous semble devoir être décrite plus avant pour comprendre que l‟obtention du médicament pour les habitants de Salé, Figuig et Azilal ne renvoie pas qu‟à la possibilité de guérir mais bien aussi à des enjeux sociaux qui légitiment ou discréditent ceux qui les délivrent ; et conditionne ainsi le rapport des usagers à l‟offre de soins (prestataires, médicaments et santé de manière générale). L‟implication particulière des personnels soignants vis-à-vis de patients qu‟ils connaissent a été évoquée à maintes reprises. Ici c‟est un beau-frère infirmier qui s‟est procuré les médicaments, là, c‟est la stagiaire qui s‟est rendue à la pharmacie, ailleurs c‟est tel ou tel parent qui a permis d‟entrer directement en contact avec le médecin en évitant les heures d‟attente. Ces logiques de proximité sont omniprésentes dans le discours et nous révèle que le don (et ce qu‟il entraine en termes d‟obligation : être le plus opérationnel possible auprès du médecin, rendre des services en contrepartie) est au cœur du fonctionnement des structures de santé. Le don est par ailleurs ce qui caractérise les prestataires appréciés pour leur disponibilité ou parce qu‟ils se comportent « comme des parents ». Tel médecin est apprécié parce qu‟il donne des bonbons aux enfants, tel autre parce qu‟il a offert un glucomètre, celui-ci parce qu‟il passe du temps avec le patient. Le don rend crédible le professionnel de santé. Il vient inscrire les rapports de domination soignant/soigné bousculés par l‟exigence de la gratuité dans des relations quotidiennes basées sur la logique de la réciprocité. Le rôle de l’entourage Les récits des patients mettent en scène le malade, sa quête de médicament, les différents prestataires de soins rencontrés et également des personnes tierces : les parents. Nous l‟avons souligné dans la partie sur les itinéraires thérapeutiques : la décision de consulter est souvent prise collectivement, après discussion avec les membres du foyer. Cette implication est justifiée par le fait que le coût de la santé ne repose pas sur l‟individu mais sur le foyer. Les ressources humaines, logistiques et financières qui permettent le déplacement d‟un malade vers une structure de santé, le paiement des soins et la réalisation des tâches quotidiennes qui lui incombent normalement (gardiennage des enfants, des troupeaux, préparation des repas, etc.) sont réunies collectivement. Si pour les populations résidant dans les zones les plus enclavées, cette solidarité de proximité est sollicitée pour toutes les étapes de l‟itinéraire thérapeutique, l‟implication des proches est, pour les habitants des centres urbains ou des communes rurales, réduite à un dénominateur commun : l‟achat des médicaments. Le refus d‟un parent (mari, père ou enfant) d‟honorer les frais de médicaments de son proche malade est vécu comme un objet de mésentente, de déception ou de culpabilisation. Intervenir pour payer les traitements de son proche parent est de l‟ordre de l‟obligation. 235 « On est parti à la pharmacie pour prendre les médicaments mais ils coûtaient trop chers. Mon mari m’a dit de prendre du « ze3ter » jusqu’à ce qu’il ait l’argent. On a commencé à se disputer pour rien et je suis partie en pleurant chez mon frère. Je lui ai tout raconté, surtout à propos de mon mari qui ne voulait pas m’acheter mon médicament.... Je lui ai demandé de me prêter de l’argent parce que le médecin m’a dit que je devais absolument prendre le médicament et de revenir la voir après. Il m’a prêté l’argent et j’ai immédiatement acheté le médicament. Quand je suis rentrée à la maison, mon mari m’a fait toute une scène parce que j’ai pris de l’argent de chez mon frère. Il n’a pas du tout aimé que je le fasse mais entre nous, il n’avait qu’à me l’acheter » (Salé). Certains patients expriment toutefois beaucoup de compréhension à l’égard des leurs qui n’ont pas les moyens de supporter leur prise en charge médicale. « Je prends l’insuline injection du centre de santé gratuitement, mais des fois je me vois dans l’obligation de l’acheter en pharmacie en plus de la piqure vue l’abondance des diabétiques dans la région. Quant aux diagnostics et aux analyses, je les effectuais en privé. C’était toujours payant. Mais je ne fais plus d’analyses vu ma situation difficile. Je ne veux plus causer des difficultés à ma mère qui prend en charge toutes mes dépenses depuis sa séparation d’avec mon père (…) Une fois ma mère à supplié mon père pour ne pas m’abandonner dans cette situation. Franchement, je ne le lui reproche pas parce qu’il n’a pas d’argent. Comment pourrait-il supporter les frais de diagnostic et d’une deuxième famille comme il est remarié? Lorsqu’on est arrivé à Errachidia on n’y connaissait personne et nous étions obligés de passer la nuit dans la rue afin de pouvoir payer les frais de santé pour lesquels il a emprunté à un collègue. Puis il m’a informé qu’il ne pouvait plus continuer vu le manque de moyens » (Province de Figuig). Les dons humanitaires Les limites de la solidarité familiale sont parfois gommées par les mobilisations humanitaires. C’est en effet dans ce prolongement que l’on peut comprendre le crédit qui leur est accordé par les populations. Dans le cas des caravanes médicales, les populations font état de leur satisfaction puisqu’elles proposent des prestations de spécialistes et des dons de médicaments rares, parfois envoyés par des partenaires étrangers. L’existence de telles initiatives est d’autant plus soulignée par les habitants qu’elles s’inscrivent souvent dans le cadre d’une solidarité des ressortissants de la région avec lesquels les uns et les autres se trouvent des liens de parenté. 236 Conclusion A travers le croisement des discours des usagers, des prestataires de soins et des données quantitatives obtenues par questionnaire auprès des habitants de Salé, Figuig et Azilal, le médicament apparaît comme l’objet central du recours au prestataire de soin. Sa valeur est d’abord liée à sa fonction (amener à la guérison) mais est aussi conditionnée par les modalités de son obtention. Il est apparu que la valeur d’un médicament dépend également de la crédibilité de celui qui le délivre et cette crédibilité repose sur des caractéristiques précises : la disponibilité et l’attention. Les conditions de l’obtention des médicaments sont évidemment liées à son coût et à sa disponibilité. La gratuité pour tous de certains médicaments est un véritable soulagement pour la plupart des usagers, mutualisés ou non. L’accès se complique pour les patients souffrant de pathologies nécessitant la prescription de spécialités, surtout en milieu rural, ou encore lorsque les traitements normalement gratuits ne sont pas accessibles. Les raisons de cette situation d’inaccessibilité sont l’absentéisme des personnels soignants, le manque de consommables (seringues pour les diabétiques), le recours au bakchich ou encore la part que les personnels soignants se réservent. Les prestataires de santé font alors primer la logique du don sur celle de la gratuité en proposant d’autres règles de redistribution : les médicaments sont pour ceux qui n’ont pas les moyens de se les procurer en pharmacie et en priorité pour leurs proches ou ceux de leurs collègues. Ils sont appréciés dans leur entourage pour cette pratique au même titre que ceux qui place l’empathie au cœur de leur pratique en donnant des médicaments, de l’argent, en consacrant du temps aux malades. Se réaffirme alors une définition de la figure du médecin ou pharmacien dit « humaniste » ou « citoyen ». A l’opposé, se présente la figure du médecin du service public qui se contente au mieux de délivrer uniquement le service pour lequel il est payé, parfois sans remettre de médicaments. On comprend également où s’alimente la fragilisation économique des prestataires de soins enlisés dans la logique du don ou des facilités d’accès aux médicaments. Les pharmaciens d’officine sont ainsi contraints d’accepter de faire crédit à leurs clients. La pratique du crédit dans les pharmacies apparaît même d’une évidence telle que si le pharmacien ne s’y résout pas, il doit explicitement l’indiquer par un écriteau sur le comptoir comme nous avons pu l’observer. La pratique du crédit est ressentie comme une obligation envers la clientèle de proximité, et les pharmaciens semblent avoir intégré les possibilités de pertes financières de plusieurs milliers de dirhams en fin d’exercice du fait des mauvais payeurs. Un des pharmaciens rencontrés nous avouait que les clients idéaux, pour lui, étaient ceux qu’il ne connaissait pas, qui venaient de loin et auxquels, par conséquent, il n’avait pas à faire de crédit n’ayant aucune obligation envers eux. Ne pas avoir affaire à un client connu, permet donc de sortir le médicament de la logique du don et de l’empathie, et autorise à vendre le médicament à son prix. 237 Références Chewning B. & Sleath B. (1996) « Medication decision-making and management : a client-centered model », Social Science Medicine, 42 (3) : 389-398. Coulomb A. (2007) Situation de l’automédication en France et perspectives d’évolution, rapport au Ministre de la santé Xavier Bertrand. Dupré-Leveque D. (2002) « Le médicament : un outil de communication ? Le regard d‟une ethnologue dans une maison de retraite », Gérontologie et Société, 103 : 167176. Fainzang S. (2007) « Les réticences vis-à-vis des médicaments. La marque de la culture », Revue française des affaires sociales, 3 (3-4) : 193-209. Leibowitz A. (1989) “Substitution between prescribed and over-the-counter medications”, Medical Care, 27 (1): 85-94. Raynaud D. (2008) « Les déterminants du recours à l‟automédication », Revue française des Affaires Sociales, 1 : 81-94. RDH 3 (s.d.) Rapport sur le Développement Humain, Rapport de synthèse de l‟enquête nationale sur les valeurs, 50 ans de développement humain & Perspectives 2025 - Cinquantenaire de l'Indépendance du Royaume du Maroc, Rabat. Segall A. (1990) “A community survey of self-medication activities”, Medical Care, 28 (4) : 301-310. Vuckovic N. & Nichter M. (1997) “Changing patterns of pharmaceutical practice in the United States”, Social Science and Medicine, 44 (9) : 1285-1302. 238 Conclusion générale Au terme de cette étude aux multiples dimensions, tant disciplinaires que par les perspectives envisagées et les niveaux appréhendés, une première remarque s‟impose : elle n‟est pas généralisable et il ne saurait être question de prétendre qu‟elle puisse donner une photographie représentative des questions d‟accès aux soins dans l‟ensemble du Maroc. D‟autant moins que nous avons procédé par études de cas en privilégiant trois sites très spécifiques : le milieu urbain et péri-urbain avec quelques quartiers de Salé, le contexte de montagne avec les villages de la Province d‟Azilal, les grands espaces pré-sahariens avec la Province de Figuig. Salé pourrait être caractérisée par la densité d‟une population habitant dans des quartiers irréguliers (de Laayayda notamment) ou dans des quartiers semi-ruraux (Bouknadel)74, et là aussi on pourrait dire que le milieu urbain retenu n‟est pas non plus représentatif des milieux urbains marocains. Dans la province d‟Azilal, on trouve entre autres des populations berbérophones résidant dans des zones montagneuses enclavées à certaines périodes de l‟année en raison des intempéries, avec des difficultés d‟accès toutes particulières. Dans la province de Figuig, on est confronté à la dispersion d‟une population vivant pour partie dans des campements (« nomades ») et au rythme des déplacements des troupeaux à la recherche de pâturages dans l‟immensité des plaines et plateaux pré-sahariens ; il faut ajouter la spécificité historique et géographique de la ville-palmeraie de Figuig, située à la frontière algérienne, elle aussi largement berbérophone dans un environnement majoritairement arabophone. Dans cette mesure, et au-delà des spécificités culturelles, économiques et sociales de chaque zone retenue, nous sommes peutêtre avec les exemples retenus dans des situations de difficultés extrêmes (en particulier s‟agissant des villages d‟Azilal) d‟accessibilité géographique. Nous avons procédé par études de cas, en privilégiant par ailleurs très largement l‟approche qualitative (entretiens individuels et de groupes, observations), sans souci de représentativité. Mais nous avons la faiblesse de croire que les informations recueillies dans les trois sites de cette étude se retrouvent également dans d‟autres contextes au Maroc. Nous avons cependant été amenés à prendre en compte également l‟échelle nationale. Ainsi du débat (pour ne pas dire la tension) à propos du médicament. D‟un côté il y a les acteurs publics des directions et divisions du Ministère de la santé cherchant à améliorer la réglementation pour une réduction des prix et une amélioration de l‟accessibilité, de l‟abordabilité, de la qualité des médicaments. De l‟autre côté les principaux acteurs du secteur pharmaceutique privé qui, au nom de l‟étroitesse du marché, de la préservation d‟un secteur important du tissu industriel marocain, semblent très réticents à accepter toute régulation de leur marge, et une réduction des prix. A cet égard, les controverses autour de l‟établissement de la bioéquivalence pour les médicaments génériques, avec les suspicions de partialité et de méthodologie douteuse, sont particulièrement illustratives. Au centre du débat sur le médicament est replacé « la pauvreté », ou plus pudiquement la faiblesse du pouvoir d‟achat des ménages qui supportent déjà pourtant l‟essentiel des dépenses de médicaments. L‟enjeu de l‟élargissement de la couverture médicale, à la charge de l‟État, devient capital, tant pour le Ministère de la santé que pour les industriels 74 Hormis, bien évidemment, Salé Al Jadida où résident nombre de cadres marocains. 239 marocains du médicament. En attendant, si l‟on peut dire, l‟État fait le maximum, mais aussi dans une certaine mesure les distributeurs privés, pour que les médicaments parviennent en quantité suffisante dans les centres de santé (ou les officines) situés dans les zones les plus reculées. Nos enquêtes de terrain qui nous ont amenés dans des zones particulièrement difficiles d‟accès ont montré une bonne disponibilité des médicaments dans les structures de soins et dans les officines. Au bout de la chaîne, s‟agissant toujours des médicaments, les pharmaciens d‟officine sont contraints de faire crédit à leurs clients pour pouvoir composer avec la faiblesse de leurs revenus tout en les fidélisant. Les personnels des centres de santé publics, qui ne font pas toujours preuve d‟une gestion optimale des stocks de médicaments pour des raisons d‟organisation des locaux mais aussi de rangement, ont à composer avec quelques ruptures de stocks ou à des dotations en médicaments parfois mal adaptées à leur contexte de travail (par exemple, une dotation importante en produits de planification familiale dans une zone où la population est vieillissante). Ces personnels critiquent régulièrement la gratuité du médicament qui devient, dans leur propos, paradoxalement, un facteur d‟inéquité de par l‟obligation de donner sans discrimination les médicaments à tous, y compris aux plus nantis alors qu‟il conviendrait de réserver les médicaments gratuits aux plus pauvres. Il y a aussi la critique de ces mêmes personnels de santé à l‟égard d‟une population qui, du fait de sa localisation et de ses conditions de vie, ne pourra pas faire un usage optimal des traitements qui leur seront donnés. En écho à ses récriminations des personnels de santé à l‟endroit des usagers des structures de soins, et sans vouloir établir une relation de cause à effet, ces derniers se plaignent de l‟indisponibilité relative de certains médicaments, parce que les personnels de santé réclament un bakchich ou parce qu‟ils privilégient certains usagers de leur connaissances au détriment d‟autres. Il est évidemment très difficile d‟établir la mesure dans laquelle on peut apporter du crédit à ces récriminations des usagers qui pointent là un mode de régulation informel de la distribution des médicaments gratuits par les personnels de santé. Il n‟en reste pas moins, comme l‟indiquent très clairement les résultats de l‟enquête quantitative dans les trois sites de l‟étude, que les populations continuent de privilégier le recours aux centres de santé publics et partant, au médecin généraliste du secteur public, si recherché. Mais les résultats de cette enquête qui, pour toute non représentative qu‟elle soit porte tout de même sur 1200 personnes dans trois sites et sélectionnées d‟après des méthodes qui ont fait leur preuve, confirment aussi combien le « mauvais accueil » (qui s‟exprime par la demande de bakchich, l‟attente, l‟indisponibilité des personnels, des équipements et des médicaments, par la rudesse des comportements) vient tempérer la préférence affichée. L‟alternative est le recours au médecin généraliste privé qui est consulté presque à part égale par rapport au médecin du secteur public selon les résultats de l‟enquête. Les observations et les entretiens avec les médecins généralistes privés exerçant dans des localités secondaires très éloignées des grands centres attestent d‟une relative satisfaction de ces derniers quant à leur clientèle, unanimement qualifiée de « pauvre », mais qui s‟acquitte néanmoins de consultations variant entre 100 et 250 DH selon le type de consultation (avec ou sans échographie, examen radiologique, contrôle de la glycémie, etc.). 240 L‟enquête par questionnaire, mais également les entretiens, attestent en même temps des difficultés de paiement des patients, contraints parfois de renoncer à des soins, ou de choisir parmi la liste des médicaments qui leur ont été prescrits, ou encore de demander un crédit au pharmacien. On pourrait arguer – et nous n‟avons aucun moyen de le vérifier – qu‟il ne s‟agit pas des mêmes personnes : d‟une part des nantis qui n‟éprouvent aucune difficultés pour recourir aux médecins privés, qui parfois profitent un peu du système en allant chercher des médicaments gratuits au centre de santé tout en demandant au pharmacien de leur faire le crédit d‟usage pour des traitements onéreux indisponibles dans le secteur public ; et d‟autre part des pauvres qui sont confrontés à toutes les difficultés. Cependant, et encore une fois toute non représentative que soit l‟étude, il semble bien que les 1200 personnes enquêtées par le biais d‟un questionnaire, et les 127 personnes interrogées par entretien ne ressortissent ni au groupe des plus nantis, ni au groupe des très pauvres. Les résultats des entretiens prouvent que les alternatives ne sont pas dichotomiques et qu‟il convient d‟avoir une interprétation dynamique et une perspective processuelle des situations de recours aux soins75. La décision de recourir à des soins, comme les entretiens l‟ont montrée, procède d‟abord d‟une appréciation de la gravité de la situation rapportée aux expériences antérieures et au coût du trajet : par exemple, des accouchements qui se sont toujours déroulés sans problèmes particuliers dans la famille, considérant par ailleurs les difficultés et le coût du trajet, tout cela ajouté à de très mauvaises expériences antérieures avec des personnels de santé, favoriseront la décision de ne pas recourir à la maternité du centre de santé de proximité, et partant, d‟accoucher à domicile. L‟enquête quantitative a également montré que pour des maux « ordinaires » des enfants, « attendre que l‟épisode se passe » est une décision fréquente. Inversement, quand on sait que pour des soins requérant des analyses particulières et le recours à un spécialiste l‟offre de proximité ne sera pas adéquate, on décide se rendre en première intention dans un hôpital de premier, voire de deuxième niveau pour éviter les pertes de temps et d‟argent supplémentaires qui pourraient être occasionnées par un passage intermédiaire par le recours de proximité qui, de toute façon réfèrera au niveau supérieur. Mais il y a aussi les situations intermédiaires, relativement fréquentes comme l‟attestent les résultats de nos enquêtes quantitatives et qualitatives, pleines d‟incertitudes, qui conduisent un malade d‟abord dans un centre public de proximité, qui ne donnent pas entière satisfaction, par exemple parce que l‟on n‟a pas pu rencontrer le médecin, qui amènent à consulter le médecin privé, qui va demander des examens qui ne sont réalisables que dans un centre urbain important, etc. Comme nombre d‟entretiens le font apparaître, face aux déconvenues parfois liées au « mauvais accueil », et à l‟accumulation de dépenses due aux déplacements, aux analyses, à la prise en charge éventuelle des accompagnants, soit l‟ensemble des coûts directs (éventuellement remboursés lorsque l‟on dispose d‟une couverture médicale) mais aussi indirects, on finit au mieux par faire des choix, au pire, à renoncer aux soins. 75 Il s’agit là, d’ailleurs, d’une perspective privilégiée aujourd’hui par les économistes avec la notion de « dépenses catastrophiques », soit un poste budgétaire des ménages qui peut prendre une part telle, à un moment donné, dans l’ensemble du budget domestique qu’il peut conduire le ménage en question en deçà du seuil de pauvreté. 241 Nombre d‟initiatives ont été prises pour alléger les barrières financières. En premier lieu la gratuité de toutes les prestations et des médicaments dans les centres de santé, mais aussi la gratuité de la prise en charge des complications de l‟accouchement. Il y a aussi des essais de mutuelles communautaires, toujours difficiles à pérenniser tant la logique assurantielle est délicate à mettre en place dans des contextes de pauvreté. Les couvertures médicales dont bénéficient des salariés ne sont pas toujours d‟une aide décisive : les mutualistes doivent avancer les frais avant de se faire rembourser, et n‟ont pas toujours les disponibilités financières nécessaires au moment de la dépense. De plus, tous les assurés sociaux ne connaissent pas leurs droits, et les médecins sont peu formés à compléter les formulaires de demandes de remboursement. Dans la province d‟Azilal, l‟expérience du Ramed, pour ceux qui parviennent à en bénéficier, est particulièrement appréciée. Sans pouvoir établir une relation de cause à effet, il convient cependant de souligner que, parmi les trois sites enquêtés, c‟est à Azilal que la proportion de personnes ayant déclaré avoir des difficultés pour s‟acquitter des dépenses de santé est la plus faible. Il reste néanmoins à corriger certains dysfonctionnements pour être bénéficiaire du Ramed, et qui semblent liés à l‟inertie de la centralisation du dispositif, cela afin que les personnes éligibles puissent bénéficier des facilités offertes par le Ramed auxquelles elles ont droit quand elles en ont besoin. L‟indisponibilité des personnels est une des principales causes de démotivation du recours à des structures de santé publiques, pourtant préférées. Et, plus que tout, l‟indisponibilité du médecin généraliste est considérée comme un échec du recours, d‟après les entretiens. L‟indisponibilité peut être liée aux barrières érigées, avec ou non le consentement du médecin, par le personnel paramédical. Elle est également ressentie lorsque le médecin n‟accorde pas toute l‟attention attendue, s‟il n‟ausculte pas ou ne laisse pas le patient s‟exprimer. Elle est manifeste lorsque le médecin, comme nous avons pu le constater dans bien des situations, est peu présent dans son centre ou franchement absent. Il y a souvent beaucoup de bonnes raisons pour lesquelles le médecin est absent ou non disponible : en raison du sous-effectif, le ou les médecins, ne peut/vent être disponible/s 24h/24 : la nécessité du repos lorsqu‟il a été sollicité pendant la nuit, une formation qui l‟amène à s‟absenter, des congés, un appel de ses supérieurs hiérarchiques, la participation à des équipes mobiles, sont autant de « bonnes raisons » explicatives de l‟indisponibilité des médecins du secteur public. Les médecins du secteur privé apparaissent souvent plus disponibles, peut-être aussi parce qu‟ils ont moins de contraintes liées à la mission de service publique des premiers. Il y a aussi de « moins bonnes » raisons : une assiduité très relative à rejoindre son poste ou à y rester en permanence pendant les heures de service, des contraintes familiales qui amènent, hommes et femmes, à ne pas rester trop longtemps séparés d‟une famille restée dans un grand centre urbain (avec semble-t-il une tolérance accrue pour les femmes médecins), et le recours au certificat médical pour justifier les absences. La présence effective des médecins du secteur public à leur poste est-elle insuffisamment contrôlée ? Cependant, un contrôle plus rapproché de la présence des médecins serait sans doute contre-productive, sans compter que l‟on peut considérer qu‟à ce niveau de formation et de responsabilité il en va de la conscience professionnelle que d‟être présent à son poste. 242 Néanmoins, une « conscience professionnelle » ne relève pas de l‟inné. Elle se forge et s‟entretient. Les représentants des facultés de médecine et du Ministère de la santé reconnaissent que la formation dispensée aux étudiants en médecine par des spécialistes dans le contexte de centres hospitaliers universitaires les prépare mal au travail à venir du médecin généraliste et qui attend la très grande majorité de ces étudiants. Le contexte de la formation, comme la demande des populations, valorisent le spécialiste. Les jeunes lauréats rencontrés au cours de l‟étude ne veulent pas être médecins généralistes. Les généralistes rencontrés, privés ou publics, en exercice, même ceux satisfaits de leur métier aujourd‟hui, ont tous déclaré avoir voulu faire une spécialité. Le métier n‟attire pas, comme en témoigne le nombre de postes ouvert au concours qui serait supérieur au nombre de candidats. Les médecins ne sont pas préparés à la pratique de la médecine générale, essentiellement fondée sur la clinique et l‟écoute du patient, avec des possibilités très limitées d‟explorations complémentaires, en devant faire une large place à la prévention et aux programmes du Ministère de la santé publique souvent inconnus à la sortie des facultés de médecine. Peu préparé à sa future pratique, le médecin généraliste du secteur public est aussi souvent confronté à des conditions de travail mais surtout des conditions de vie difficiles lorsqu‟il est affecté dans une zone reculée : isolé dans le travail (peu de supervision formative dans son poste) et mal reconnu, souvent sans sa famille, ou lorsqu‟il est avec sa famille il est confronté à des possibilités de scolarisation de ses enfants très limitées, on lui propose un logement qui correspond peu à ses attentes parce que mal équipé et mal entretenu, et il bénéficie d‟une prime d‟éloignement jugée dérisoire. Souvent, la motivation principale de l‟acceptation du poste en zone éloignée est la promesse de pouvoir en partir au plus vite grâce au nombre de points importants liés à l‟éloignement et qui lui permettra de pouvoir choisir rapidement une « meilleure » affectation (plus proche d‟un grand centre urbain). Néanmoins, par militantisme, s‟engageant aussi dans des dynamiques associatives, avec l‟habitude et le temps, des médecins de la Santé publique finissent par être satisfaits de leur métier en zone reculée ; à une exception près, une telle attitude se retrouvait chez les plus âgés. Les médecins privés, quant à eux, s‟installent, dans tous les sens du terme, et cela d‟autant mieux lorsqu‟ils sont des « enfants du pays ». Ils ont consenti un investissement important pour rendre leur cabinet fonctionnel, ils ont très peu de concurrence dans les petites localités. Ils complètent les manques de l‟offre publique : ils s‟entendent souvent avec les médecins du secteur public pour réaliser échographie, glycémie, radio, etc., auprès de patients « référés » par les premiers ; ils organisent une réelle complémentarité avec des pharmaciens d‟officine, surtout, comme nous avons pu l‟observer, lorsque celui-ci est le conjoint du médecin et tient boutique au rez-de-chaussée du cabinet médical. En milieu urbain, la concurrence est beaucoup plus rude ; mais là aussi, il apparaît que les médecins savent se rendre disponible lorsque les centres de santé public sont désertés par leur soignant, ils savent aussi jouer sur cette proximité des origines qui contribue à fidéliser une clientèle. L‟offre de soins périphérique, publique mais aussi privée, doit s‟organiser dans un contexte où intervient une multitude d‟acteurs : des associations de développement local dans lesquelles sont impliquées toutes les notabilités locales dont les médecins font partie ; des associations à envergure nationale et/ou qui bénéficient d‟une aide internationale, qui procèdent par aides ponctuelles, par exemple en organisant des caravanes médicales ; les élus des communes porteurs de projets soutenus par l‟Initiative de développement humain qui ont notamment à gérer les « ambulances INDH » ; les représentants de l‟INDH qui interviennent 243 comme techniciens dans le montage de projets et qui s‟assurent de leur viabilité tout en s‟efforçant de répondre aux demandes et contraintes politiques locales ; les représentants du Ministère de l‟intérieur (pachas, caïds, gouverneurs, etc.), qui incarnent l‟autorité de l‟État, en charge notamment de veiller à l‟ordre public, et qui reçoivent les doléances de leurs administrés. Tous ces acteurs ont chacun leurs intérêts, leur vision, leurs objectifs qui ne s‟accordent pas nécessairement entre eux. Ils s‟accordent souvent mal avec la rationalité de santé publique émanant des directions du Ministère de la santé, mise en œuvre et incarnée par les délégués provinciaux ou préfectoraux de la santé ; dès qu‟une question de santé est mise localement à l‟agenda, les délégués sont immédiatement au cœur des débats, voire parfois de la tourmente, lorsque tous les regards, du niveau le plus périphérique au niveau le plus central, sont tournés vers eux pour informer, résoudre les problèmes, mettre en œuvre une directive. La position des délégués est parfois d‟autant plus délicate qu‟ils ne disposent pas des latitudes d‟action que permettrait une véritable décentralisation. Les initiatives de l‟ensemble de ces acteurs sont loin d‟être toujours coordonnées, et la segmentation des activités conduit parfois à une sous-utilisation voire à l‟absence d‟utilisation d‟équipements ayant demandé des investissements en temps et en argent non négligeables. Il reste encore à faire de la santé un véritable objet de politique et de gouvernance locale (au sens noble du terme, de policy, et non de politics, diraient les anglo-saxons) qui permettrait d‟aménager localement les directives et les standards, dans le respect des réglementations en vigueur, en fonction des spécificités des contextes, pour le plus grand bénéfice des populations. 244 Liste des tableaux, illustrations et cartes Tableaux Tableau 1 : Évolution du nombre moyen de consultations médicales et paramédicales dans les ESSB de 2000 à 2005. Tableau 2 : Répartition des besoins selon la proportion des ménages qui les déclarent comme première priorité (en %) Tableau 3 : Répartition des ménages selon les postes de dépenses qui leur posent le plus de problèmes. Tableau 4 : Répartition de la population rurale par rayon kilométrique de l‟établissement de SSB le plus proche (1987, 1996 et 2003) Tableau 5 : Raisons pour lesquelles les femmes n‟ont pas consulté un médecin à l‟occasion de leur dernier épisode de maladie (%) selon le lieu de résidence. Tableau 6 : Malades (en%) n'ayant pas consulté un personnel de santé selon les causes Tableau 7 : Les communes de la province de Figuig Tableau 8 : Le réseau de soins de santé de base de la Province d‟Azilal Tableau 9 : Population par circonscription sanitaire (estimation) Année 2010 Tableau 10 : Ratios habitants par médecin & par infirmier et par région (Salé 2009) Tableau 11 : Personnes interrogées - enquête par entretien en population générale Tableau 12 : Situation matrimoniale des personnes interrogées Tableau 13 : Activités des chefs de ménage Tableau 14 : Couvertures médicales des personnes interrogées Tableau 15 : Répartition des médecins interrogés selon le profil Tableau 16 : Évolution des effectifs des médecins généralistes selon les secteurs entre 1999 et 2007 Tableau 17 : Répartition des médecins généralistes par secteur et par région, 2007 Tableau 18 : Médecins généralistes dans les trois sites de l‟étude Tableau 19 : Répartition de l‟échantillon selon les zones d‟étude Tableau 20 : Couverture sanitaire des répondants Tableau 21 : Fréquence des maladies durant les 12 derniers mois Tableau 22 : Répartition des principales plaintes par région Tableau 23 : Nombre de consultations dans un centre de santé durant l‟année écoulée Tableau 24 : Comportement des participants face à la maladie Tableau 25 : Difficultés de paiements des frais de soins Tableau 26 : Types de difficultés de paiement Tableau 27 : Renonciation à des soins Tableau 28 : Type de renonciations aux soins Tableau 29 : Suivi en cas de maladies chroniques Tableau 30 : Suivi en cas de diabète Tableau 31 : Comportement des participants face à la maladie des enfants durant l‟année passée Tableau 32 : Distance par rapport au centre de santé Tableau 33 : Temps d‟accès pour se rendre au centre de santé Tableau 34 : Raisons de non consultation dans un centre de santé en cas de maladie Tableau 35 : Temps d‟accès pour se rendre à l‟hôpital Tableau 36 : Raisons de non consultation à l‟hôpital en cas de maladie Tableau 37 : Appréciation de la difficulté d‟accès aux structures de soins Tableau 38 : Préférences du type de recours médical Tableau 39 : Réalisation des bilans demandés par le médecin Tableau 40 : Satisfaction globale des répondants par rapport à la qualité des soins Tableau 41 : Pourcentage de réduction de prix des génériques par rapport au princeps 245 Tableau 42 : Chiffre d‟affaires et part de marchés des 5 premières entreprises du médicament au Maroc Tableau 43 : Le système de marges applicable au médicament selon le BCG Tableau 44 : Pratique de l‟automédication dans les trois sites Tableau 45 : Achat des médicaments prescrits par le médecin Illustrations* Photo de couverture : Une évacuation dans la Province d‟Azilal Photo 1 : Un campement de « nomades » dans la province de Figuig Photo 2 : Un centre de santé récent dans la province d‟Azilal Photo 3 : Une salle d‟attente d‟un centre de santé de Salé Photo 4 : La pharmacie de la Province d‟Azilal à l‟hôpital Photo 5 : Pharmacie d‟un centre de santé Cartes Carte 1 : La Province de Figuig Carte 2 : les établissements de santé de la province de Figuig Carte 3 : La Province d‟Azilal Carte 4 : Répartition du taux de pauvreté par commune – Province d‟Azilal Carte 5 : Les communes INDH dans la province d‟Azilal Carte 6 Les infrastructures sanitaires de la Province d‟Azilal Carte 7 : les quartiers urbains ciblés INDH de la Préfecture de Salé Carte 8 : Carte sanitaire, communes et arrondissements de la Préfecture de Salé Figures Figure 1 : Répartition des médecins généralistes et spécialistes par secteur en 2007 Figure 2 : structure du personnel médical par sexe en 2007 Figure 3 : Répartition des généralistes publics par sexe selon l‟ancienneté en 2007 Figure 4 : Répartition du personnel médical du secteur public par tranche d‟âge en 2008 Figure 5 : répartition des médecins généralistes entre les différentes régions Figure 6 : Répartition des médecins généralistes par sexe dans les trois sites en 2011 Figure 7 : le cadre d‟analyse de l‟accessibilité du médicament Figure 8 : Évolution de la consommation des médicaments au Maroc Figure 9 : Évolution de la consommation des médicaments au Maroc Figure 10 : Une première logique : de l‟effet prix à l‟effet volume Figure 11 : Une autre logique : de l‟effet volume à l‟effet prix * Les photographies reproduites dans le présent rapport ont été prises par M.E. Gruénais au cours des phases de terrain de l’étude. 246 'pS{WOpJDO02 ,6%1 Couv rapport de santé 7/12/11 18:20 Page 1