DSM/SPhT-T05/240 http://www-spht.cea.fr/articles/T05/240/
La formule de Feynman-Kac :
quelques applications à la mécanique quantique et à la physique statistique.
K. Mallick, SPhT, Saclay
Dans ce cours, nous définissons l’intégrale fonctionnelle en partant de l’étude du
mouvement Brownien. Cela nous permettra d’obtenir la formule de Feynman-Kac
et d’en déduire la formulation de la mécanique quantique en termes d’intégrales de
chemin. Nous appliquerons ce formalisme à l’oscillateur harmonique quantique et à
l’étude des transitions de phases en physique statistique.
1 La marche au hasard sur un réseau et sa limite
continue, le mouvement Brownien
L’un des modèles fondamentaux de la mécanique statistique est le marcheur au
hasard (random walk) qui fournit une description microscopique des phénomènes de
diffusion. Dans sa version la plus simple, à une dimension, ce modèle considère un
marcheur (ou une particule) qui se déplace sur un réseau régulier, Za, en temps
discret ; le marcheur part de 0 à la date t= 0 et fait un pas de longueur atoutes
les τsecondes : il se dirige vers la droite avec probabilité pet vers la gauche avec
probabilité q= 1 p. Quand p=q= 1/2, la marche est dite symétrique (voir figure
1) ; quand les probabilités de saut sont différentes, la marche est biaisée.
3 41 2−1−2−4 −3 0
1/2 1/2
a
Fig. 1 – Marche au hasard symétrique à une dimension.
Au bout de Npas correspondant à t=Nτ secondes, la probabilité pour que le
marcheur soit à une distance égale à x=ℓa de l’origine est donnée par
(1) Pℓa,Nτ =N
N+
2pN+
2qN
2.
Remarquez que la quantité Pℓ,N est nulle si let Nne sont pas de même parité. Il est
également nécessaire que |l| ≤ N; en effet, le marcheur parcourt au plus une distance
égale à ±Na en Nsauts. Dans le cas d’une marche symétrique, p=q=1
2, la formule
se simplifie comme suit :
(2) Pℓa,Nτ =t
τ
1
2(t
τ+x
a)
2t
τ
=(t
τ)! 2t
τ
(t
2τ+x
2a)!( t
2τx
2a)! .
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Dans la limite des grandes échelles de temps et d’espace, t
τet x
a>> 1, l’expression de
la probabilité P(x, t)dx pour que le marcheur se trouve dans l’intervalle [x, x + dx]à
l’instant test donnée par
(3) P(x, t)dx =X
[E(x/a),E(x/a+dx/a)]
Pℓa,Nτ 1
2Pℓa,Nτ
dx
a1
4πDtex2
4Dt dx ,
où le symbole E() désigne la partie entière, et le facteur 1/2 provient du fait que let
Ndoivent être de même parité. La dernière égalité est obtenue à l’aide de la formule
de Stirling k! = (k
e)k2πk. Le coefficient de diffusion D, qui apparaît dans (3) est
défini comme suit :
(4) D=a2
2τ.
A partir de la loi de probabilité (3), on déduit que l’extension typique de la marche
aléatoire est de
x4Dt .
On a ainsi retrouvé la formule classique de la distribution gaussienne du marcheur
au hasard dans la limite où le nombre de pas tend vers l’infini (ou, ce qui revient au
même, lorsque le pas adu réseau tend vers 0). Notez que la fonction P(x, t)représente
une densité de probabilité et que sa dimension est l’inverse d’une longueur. Cette
densité est bien normalisée à 1, car on a RRP(x, t)dx = 1.
Une manière simple de retrouver ce résultat est de prendre la limite continue de
l’équation maîtresse, qui régit l’évolution temporelle de la densité de probabilité Pℓ,N .
Cette équation maîtresse s’obtient en utilisant la propriété de la marche au hasard
d’être un processus stochastique markovien, c’est-à-dire que la position au temps
t+τest déterminée uniquement par sa valeur à la date t. On a ainsi :
(5) Pℓa, (N+ 1)τ=pP (1)a, Nτ+qP (+ 1)a, Nτ.
On peut vérifier directement que les probabilités binomiales données en (1) sont solu-
tions de cette équation. Il est avantageux d’écrire la limite continue de l’équation (5)
avant de chercher à la résoudre. Considérons le cas symétrique (p=q= 1/2) : en
développant l’équation maîtresse (5) au premier ordre en τet au deuxième ordre en
a, on obtient
(6) τP
t 1
2a22P
x2=P
t =D2P
x2,
Dest le coefficient de diffusion défini en (4). Cette équation aux dérivées partielles
est l’équation de la chaleur. Pour la résoudre, il faut spécifier une condition initiale :
ici, le marcheur est à l’origine x= 0 au temps t= 0. Sur le réseau discret, cette
condition initiale s’écrit Pl,0=δl,0où δest ici la fonction de Kronecker, qui vaut 1 si
l= 0 et est nulle sinon. Lorsque l’on passe à la limite continue, cette condition doit
être écrite pour la densité de probabilité Px,0: on obtient, en faisant tendre le pas a
du réseau vers 0 :
Px,0=δℓ,0/a δ(x),
2
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δ() est la distribution de Dirac.
On vérifie directement que la solution de l’équation de la chaleur avec la condition
initiale requise est donnée par
(7) P(x, t) = 1
4πDtex2
4Dt .
On retrouve bien le résultat (3) qui avait été obtenu grâce à la combinatoire et la
formule de Stirling. La fonction P(x, t)est appelée noyau de la chaleur.
La limite continue du marcheur au hasard, ainsi définie, est le mouvement Brow-
nien.
Compléments :
(1) La marche asymétrique.
Reprendre le calcul ci-dessus dans le cas où p6=q. Montrez qu’une limite continue,
obtenue en faisant tendre vers zéro le pas adu réseau, ne peut être définie que dans le
cas faiblement asymétrique : p= 1/2 + av et q= 1/2av, où vest un paramètre réel.
Montrez que l’équation aux dérivées partielles obtenue est l’équation de la chaleur
avec un terme de dérive 2vP /∂x, que l’on interprètera. Résolvez cette équation.
(2) Marcheur en dimensions supérieures.
Considérons un marcheur symétrique en dimension dsur le réseau régulier (Za)d.
Appelons
eia,i= 1,...,d, les vecteurs de base qui engendrent ce réseau. La position
du marcheur est repérée par le vecteur
ℓ a avec
=Pili
ei, liZ.
L’équation maîtresse en dimension ds’écrit :
P(
ℓ a, (N+ 1)τ) = 1
2d
d
X
i=1 P(
ℓ a +
eia, Nτ) + P(
ℓ a
eia, Nτ).
En dimension d > 1, il est difficile de trouver la solution de cette équation par un
calcul combinatoire. En revanche, on peut la résoudre par transformation de Fourier,
ou en passant à la limite continue. Définissons la transformée de Fourier (TF) de la
probabilité par la formule suivante :
b
P(
k, Nτ) = X
réseau
P(
ℓ a, Nτ)ei
k .(
ℓ a).
La condition initiale (marcheur situé à l’origine à t= 0) se traduit par b
P(
k, 0) = 1.
En transformée de Fourier, l’équation maîtresse s’écrit
b
P(
k, (N+ 1)τ) = 1
2d d
X
i=1
cos kia!b
P(k, Nτ).
La TF permet donc de “diagonaliser” l’évolution temporelle de la probabilité. Compte
tenu de la condition initiale, on trouve
b
P(k, Nτ) = Σicos kia
2dN=Σicos kia
2dt/τ .
3
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A la limite a0et τ0, cette expression devient :
b
P(k, Nτ)1Σk2
ia2
2dt
τeDt
k
2
avec D=a2
2dℓ .
Cette expression peut être retrouvée à partir de la limite continue de l’équation maî-
tresse, donnée par P
t =D
2dP ,
Pdésigne le Laplacien de Pet D=a2/2dℓ, comme ci-dessus. La solution de
cette équation qui coïncide avec la distribution de Dirac δ(x)àt= 0, vaut
(8) P(
X, t) = 1
(4Dπt)d/2e
X
2
4Dt .
Cette fonction est le noyau de la chaleur en dimension d.On notera que son intégrale
sur Rdest bien normalisée à 1.
(3) Marche aléatoire auto-évitante.
On a vu qu’une marche aléatoire a une extension typique Rdont le comportement
d’échelle après Npas (N1) est donné par : RN1
2.Supposons maintenant
que l’on ne s’intéresse qu’à des marches qui ne repassent pas deux fois par le même
point : cette contrainte d’auto-évitement modélise la répulsion électrostatique dans les
chaînes polymériques. Pour de telles marches auto-évitantes (cf. figure 2), on peut se
demander : quel est le comportement d’échelle de Rquand Nest grand ? En d’autres
termes, on cherche l’exposant νtel que
RNν.
Fig. 2 – Un exemple de marche auto-évitante.
La contrainte d’auto-évitement provoque un “gonflement” de la marche : on s’at-
tend donc à ce que ν1
2.En dimension d= 1,on a ν= 1. Pour d= 2, on a ν=3
4
(résultat exact, obtenu à l’aide des théories conformes). On sait aussi montrer que
ν=1
2pour d4. En dimension 3 (le cas physiquement intéressant), νn’est pas
connu exactement. En utilisant une théorie développée par de Gennes, et à l’aide de
calculs de groupe de renormalisation, on obtient que νvaut environ 0,58.
Le formule suivante, due à Flory, fournit une excellente approximation de ν:
ν(d) = 3
d+ 2 pour d4.
4
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L’argument de Flory (pour plus de détails, voir le livre de de Gennes) consiste à
estimer l’énergie libre F=ET S d’une chaîne polymérique, d’extension R, formée
de Nmonomères.
L’entropie Sde la chaîne est identifiée à celle d’une marche au hasard : la proba-
bilité pour qu’une chaîne libre ait une extension Rest d’ordre exp(R2/a2N)a
est la taille d’un monomère ; l’entropie associée vaut donc SR2
a2N.
Supposons maintenant que chaque contact entre deux monomères de la chaîne
coûte une énergie udue aux interactions répulsives. Nous allons évaluer l’énergie
répulsive totale en comptant le nombre moyen de contacts, comme suit. Sachant que
les Nmonomères occupent un volume d’ordre Rd, la densité locale (i.e., le nombre
de monomères par unité de volume) vaut n=N
Rd; la probabilité moyenne d’avoir
deux monomères dans un même petit volume vest d’ordre n2v2. Comme la chaîne
occupe un volume Rd, on évalue que le nombre moyen de contacts vaut environ n2Rdv.
L’énergie de répulsion moyenne de la chaîne est alors approximativement donnée par
En2Rdv u .
On conclut en disant que de manière typique on doit avoir T S E, i.e.,
TR2
a2NRd(N
Rd)2vu RN3
d+2 .
2 La mesure de Wiener
Nous avons vu que les processus de diffusion satisfont l’équation de la chaleur, dont
la solution fondamentale en dimension d, avec condition initiale W(~x, t0) = δ(~x ~x0),
est donnée par
(9) W(x, t|x0, t0) = 1
(4πD(tt0))d/2e(~x~x0)2
4D(tt0)pour tt0.
Cette formule est obtenue à partir des équations (3) et (8) en translatant l’origine spa-
tiale de x0et l’origine temporelle de t0. Pour alléger l’écriture, nous ne considérerons
que le cas de la dimension d= 1.
2.1 L’équation de Chapman-Kolmogorov
La fonction W(x, t|x0, t0)vérifie une relation fondamentale dite propriété de semi-
groupe ou équation de Chapman-Kolmogorov : pour tout temps t1entre t0et t, i.e.,
tel que t0t1t, on a
(10) W(x, t|x0, t0) = ZR
W(x, t|x1, t1)W(x1, t1|x0, t0)dx1.
Cette formule peut se démontrer :
par un calcul explicite d’intégrale gaussienne ;
par une interprétation probabiliste qui utilise le caractère markovien de la marche
au hasard : la distribution de probabilité à la date test obtenue en intégrant sur tous
les états intermédiaires à la date t1(cf. le principe de superposition en mécanique
quantique ou le principe de Huygens-Fresnel en optique) ;
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