Chapitre 1 Généralisation de la notion d’énergie à partir de sa définition en mécanique du point. Mise en évidence de la notion d'énergie interne Introduction L’objectif de ce premier chapitre est de mettre en évidence la notion d’énergie interne telle qu’elle est définie et utilisée en Thermodynamique. Pour cela, il est nécessaire de revenir sur la notion de travail et de puissance telles qu'elles sont définies en Mécanique du point. On va ensuite montrer, à l'aide de quelques exemples, la nécessité d'étendre la notion d'énergie pour représenter un certain nombre de situations où la matière joue un rôle fondamental. Ces situations peuvent être très complexes et présenter une grande variabilité. C’est le mérite de la Thermodynamique de pouvoir unifier la représentation de ces divers phénomènes au travers d’une notion très générale qu’est l’énergie dont l’énergie interne devient un cas particulier. 1. Les notions de travail et de puissance en mécanique 1.1. Equation fondamentale de la dynamique du point matériel Des célèbres travaux de Newton ont découlé une relation unique sous forme d’une équation différentielle dont la solution permet le calcul des trajectoires de corps soumis rà l’action d’autres corps ou forces. Si un corps de masse M animé àr l’instant t d’une vitesse v est soumis à l’action d’un ensemble de forces dont la résultante est F , alors : M r dv r = F (Newton, N) dt (1.1) Les grandeurs qui interviennent dans cette équation ainsi que les trajectoires qui en sont solutions nécessitent l’adoption d’un système de coordonnées spatiales ou référentiel. Un †référentiel particulier est le référentiel Galiléen pour lequel l’ensemble des forces dont la r résultante est F ne sont dues qu’à l’influence d’autres corps. Dans un tel référentiel, la seule cause de variation de la vitesse est alors l’existence de ces forces : cela signifie qu’un corps qui n’est soumis à aucune action extérieure se déplace selon une trajectoire rectiligne et uniforme. Un référentiel Galiléen est d’ailleurs lui-même en mouvement rectiligne et uniforme, c’est-à-dire à accélération nulle, par rapport à un repère fixe. r Remarque : si le référentiel utilisé n’est pas Galiléen, on doit tenir compte dans le vecteur F des forces d’inertie dues à l’accélération du référentiel lui-même c’est-à-dire les forces d’inertie de translation du référentiel et celles dues à la rotation de ce dernier, les forces centrifuges et de Coriolis. On peut en première approximation considérer qu’un repère lié à la terre est Galiléen. 1.2. Travail et puissance d’une force. Notion d'énergie cinétique On dit qu’une force fournit un travail si elle se déplace, à condition que ce déplacement ne soit pas perpendiculaire à la force. Ceci se traduit par la relation bien connue que r le travail élémentaire dW r (en Joule dans le système international) développé par la force F pendant le déplacement d r est le produit scalaire : Cours rédigé par Christian Jallut, Professeur de Génie des Procédés à l’Université Lyon I 2 r r dW = F ⋅ d r (Joule, J) (1.2) Le travail développé par unité de temps (en Watt dans le système international) ou puissance est alors : r ˙ = F ⋅ vr (Watt, W) † W (1.3) Considérons maintenant simultanément les relations (1.1) et (1.2). Le travail élémentaire s’exprime alors comme suit : † r r r r r dv r r r Ê v2 dW = F ⋅ dr = F ⋅ v dt = M ⋅ v dt = Mv ⋅ dv = Md ˆ Ë 2¯ dt En intégrant le long de la trajectoire du point entre deux positions 1 et 2, on trouve!: W12 = Ú 2 1 2 r r v2 F ⋅ d r =M 2 - M v1 (Joule, J) 2 2 v2 Le travail de la force est donc transformé en la variation de la grandeur E c = M appelée 2 †énergie cinétique : W12 = E c2 - E c1 (1.4) où v est le module du vecteur vitesse. On voit apparaître une notion qui est fondamentale en Thermodynamique, c’est la notion d’énergie. 1.3. Travail des forces conservatives : exemple des forces de gravitation. Notion d'énergie potentielle de gravitation 2r r Examinons l'expression du travail W12 = Ú1 F ⋅d r dans le cas de la pesanteur. La masse M est soumise à une force de module Mg constante dirigée vers le bas (figure 1.1). z r Mg Figure 1.1 : Objet de masse M soumis à l’action de la pesanteur. Le travail de la force de pesanteur sur la masse M est alors donné par : W12 = Ú 2 1 -Mgdz =Mg(z1 - z 2 ) (Joule, J) (1.5) où z est l’altitude à laquelle se situe l’objet. On constate que le travail des forces de pesanteur ne dépend pas de la trajectoire entre les deux positions considérées mais seulement de ces positions † Cours rédigé par Christian Jallut, Professeur de Génie des Procédés à l’Université Lyon I 3 elles-mêmes. On peut alors mettre en évidence la notion d’énergie potentielle de gravitation E p = Mgz de telle façon que les travaux des forces de gravitation correspondent à une variation de cette énergie potentielle : W12 = E p1 - E p2 (Joule, J) (1.6) Compte tenu de la relation (1.4), on constate que, le mouvement de l’objet considéré se traduit simplement par une transformation d’une forme d’énergie en une autre de telle façon qu’une †grandeur appelée énergie totale E = E p + E c reste constante ou se conserve : E = E c1 + E p1 = E c2 + E p2 (Joule, J) (1.7) Remarque : d'autres forces possèdent ce type propriété. On dit qu’elles dérivent d’un potentiel, et on les appelle forces conservatives. Les énergies potentielles d’interaction associées ne sont †connues qu’à une constante près : • énergie potentielle de gravitation : E p = Mgz + cte ; • énergie potentielle dans un champ électrostatique : E p = eV + cte ; • énergie potentielle de type attraction universelle ou électrostatique : a Ep = + cte . r La valeur de la constante est indifférente car les calculs ne font en général intervenir que des différences. Une propriété importante de ces fonctions est que leur variation entre deux points donnés ne dépend pas du chemin suivi pour relier ces deux points : • la variation d’énergie potentielle de gravitation ne dépend que des différences d’altitude!; • la variation d’énergie cinétique ne dépend que des différences de vitesse au carré ; • etc . L’intérêt de ce type de formulation dans le cas des forces conservatives est que, pour résoudre certains problèmes, il n’est pas nécessaire de connaître la trajectoire de l’objet considéré. Notons de plus que si ce dernier est soumis à l’action de plusieurs forces conservatives, son énergie potentielle est la somme des énergies potentielles correspondantes à chacune de ces forces. 1.4. Cas des forces non conservatives ou dissipatives : exemple du frottement subi par une masse en mouvement dans l'air Considérons la force de frottement occasionnée par l’air lors de la chute d’un objet de masse M dans le champ de pesanteur. On peut en première approximation considérer que cette force est proportionnelle à la vitesse relative de l’objet par rapport à l’air Si ce dernier r ambiant. r r est immobile, la vitesse relative est simplement la vitesse de chute v et F = -kv (figure 1.2). En fait, on constate que l’énergie totale de la masse M associée à son mouvement d'ensemble, 1 E = Mgz + Mv 2 , ne se conserve pas à cause des phénomènes de frottement. Déterminons 2 l’évolution de rcette énergie totale E au cours de la chute de la masse M. Au cours d’un déplacement dz , son énergie totale E rvarie r de dE suite au travail exercé par les forces de frottements suivant l’équation dE = -kv dz , soit pour un parcours entre z1 et z2 : 2 E 2 - E 1 = Ú1-kv z dz < 0 r oùv z est la projection de v sur l'axe z. Cours rédigé par Christian Jallut, Professeur de Génie des Procédés à l’Université Lyon I (1.8) 4 F z vz Figure 1.2 : Chute d’un objet dans l’air et soumis au champ de pesanteur. La vitesse dépendant de z, on ne peut pas mettre en évidence une énergie potentielle d’interaction correspondant au travail des forces de frottement. Par ailleurs, quel que soit le sens du mouvement, le travail des forces de frottement se traduit toujours par une diminution définitive et irréversible de l’énergie totale E. On n’observe plus l’effet de compensation entre énergie potentielle et énergie cinétique, compensation pouvant se produire dans les deux sens. Par exemple, lorsqu’une balle rebondit à partir du sol, son énergie cinétique décroît au profit de son énergie potentielle tandis que lorsqu’elle redescend, c’est l’inverse. Les frottements agissent quant à eux toujours dans le sens de la perte d’énergie totale ce qui fait qu’au bout d’un temps suffisamment long, la balle finira par s’immobiliser au sol. Son énergie totale sera devenue nulle à partir d’un état initial où elle ne l’était pas (figure 1.3). z z1 Figure 1.3 : Rebonds successifs d’une balle à partir d’une position initiale d’altitude z1 . On dit que la force de frottement est dissipative ou non conservative en ce sens que l'énergie E associée au mouvement d'ensemble ne se conserve pas. 1.5. Exercice On considère une voiture de 800 kg lancée à la vitesse initiale de 60 km.h-1 sur une route de montagne à l’altitude initiale de 600 m. Un incident mécanique nécessite de ramener la vitesse du véhicule à 0 km.h-1 en utilisant les freins du véhicule. L’ensemble des 4 freins représentent une masse équivalente d’acier de 16 kg et on suppose que l’effet des frottements n’est sensible qu’au niveau des freins!: on constate que ces derniers s’échauffent. a) Calculer en Joule la variation d’énergie interne des freins lorsque le véhicule est finalement immobilisé à l’altitude de 300 m. b) Calculer la variation d’énergie interne des freins par kg. c) Pour ramener la température des freins à sa valeur initiale, on les laisse se refroidir!: c’est l’échange de chaleur. Quelle est la quantité de chaleur à évacuer lors de cette opération!? Cours rédigé par Christian Jallut, Professeur de Génie des Procédés à l’Université Lyon I 5 2. Généralisation de la notion d'énergie comme grandeur conservative : nécessité de définir l'énergie interne 2.1. Mise en évidence de l'énergie interne Si on considère à nouveau l’énergie totale de la balle en mouvement (figure 1.3), il est apparu clairement qu’il s’agit d’une grandeur décroissante et donc non conservative du fait des frottements. On peut toutefois se demander si la mise en évidence d’une notion d’énergie plus étendue et qui serait conservative n’est pas possible. La vision de la balle comme un point de masse M est en fait trop réductrice. Cette balle, l'air qu'elle traverse ainsi que le sol sur lequel elle rebondit sont en fait de la matière susceptible de contenir de l'énergie : cette énergie de la matière est l'énergie interne par définition. Ce qui pouvait apparaître a priori comme une disparition d’énergie totale est bien le résultat d’un processus de transformation en une autre forme d’énergie : • pour une part, augmentation de l’énergie interne de la balle ; • pour une autre part, augmentation de l’énergie interne de l’air qui a été traversé ; • finalement, augmentation de l’énergie interne du sol lors des chocs occasionnés par les rebonds. Appelons U la somme de ces énergies interne et DU = U2 - U1 la variation de cette quantité entre le début et la fin du déplacement de la balle. A partir de la relation (1.8), on peut écrire E2 - E1 = 2 Ú -kvdz = -DU soit : 1 E1 + U1 = E 2 + U 2 (Joule, J) (1.9) Il y a bien perte d’énergie au niveau du mouvement global de la balle mais il y a conservation de l’énergie en un sens élargi à savoir : l’énergie totale liée au mouvement d’ensemble de la balle †additionnée de l’énergie contenue dans la matière concernée par le phénomène. 2.2. Autres exemples de transformations mutuelles des énergies interne et mécanique L'exemple de la balle qui rebondit nous a permis de mettre en évidence la notion d'énergie interne en faisant un lien avec les notions d'énergie telles qu'elles sont manipulées en mécanique. On a en particulier mis en évidence le fait que l'énergie totale de la balle en mouvement se transforme en énergie interne par le phénomène de frottement. Il existe bien d'autres situations beaucoup plus importantes en pratique où de telles transformations se produisent. Les dispositifs décrits ci-dessous en sont des exemples qui ont joué un rôle fondamental dans la genèse de la Thermodynamique. 2.1.1. L’expérience de Joule Au cours de cette expérience, une quantité donnée de liquide enfermé dans une cuve est agitée (figure 1.4). Sa température initiale est par exemple la température ambiante. Lorsque après une période d’agitation au cours de laquelle on a cédé au liquide une quantité donnée d’énergie mécanique, celui-ci est à nouveau au repos, on constate une élévation de sa température. Dans ce cas, il y a clairement une capacité de l’énergie mécanique à produire un effet thermique et à augmenter l’énergie interne du liquide si on admet que cette dernière est reliée à la température. Ce phénomène est bien sûr de même nature que la décroissance de l’énergie totale de la balle en mouvement (figure 1.3) due aux frottements. Cours rédigé par Christian Jallut, Professeur de Génie des Procédés à l’Université Lyon I 6 Figure 1.4 : Expérience de Joule. En laissant le liquide se refroidir au contact de l'air ambiant, il reviendra à sa température initiale et on aura extrait de l'énergie interne selon un processus appelé transfert de chaleur. 2.1.2. Les moteurs thermiques Ces machines produisent de l’énergie mécanique grâce à l'existence de sources thermiques (ces notions seront précisées plus loin). Elles se sont beaucoup développées à partir du XIXe siècle et l’analyse de leur fonctionnement en vue de leur amélioration est finalement à l’origine de la Thermodynamique. Le titre du célèbre ouvrage de S. Carnot (1824) est de ce point de vue tout à fait évocateur : «!Réflexions sur la puissance motrice du feu et les machines propres à développer cette puissance!». Ces machines exploitent l’effet mécanique de la dilatation d’un gaz obtenu par augmentation de sa température. En effet, en réchauffant un gaz enfermé dans un ensemble cylindre - piston, le piston est susceptible de se déplacer : du travail mécanique est donc produit. C’est la notion de pression qui rend compte de ce phénomène : c’est la force exercée par unité de surface au sein d’un fluide (on reviendra plus précisément plus loin sur la notion de pression). Elle se traduit en particulier par une force au niveau des parois d’un récipient contenant ce fluide et donc la possibilité d’un travail mécanique. Ce phénomène est exploité en particulier en faisant subir à un fluide une série de transformations qui le ramène périodiquement dans le même état ou cycle thermodynamique. Par exemple, la figure 1.5 représente le principe de base du moteur thermique à vapeur utilisé pour la production d’énergie électrique. Dans ce cas, le cycle est obtenu en faisant traverser au fluide une succession d’appareils le circuit étant fermé. De l’eau liquide est réchauffée puis vaporisée en traversant une chaudière. Fourniture d’énergie mécanique Chaudière Turbine de détente Condenseur Pompe de circulation Figure 1.5 : Principe du moteur thermique à vapeur. Cours rédigé par Christian Jallut, Professeur de Génie des Procédés à l’Université Lyon I 7 La vapeur obtenue est à hautes température et pression : elle est détendue dans un dispositif permettant de recueillir de l’énergie mécanique. Aujourd’hui, ce dispositif est toujours une turbine. Après détente, le fluide obtenu est liquéfié et une pompe permet d’acheminer à nouveau le liquide dans la chaudière. Il y a là clairement une capacité des phénomènes thermiques à produire un effet mécanique se traduisant par la rotation d’un arbre solidaire de la turbine et la manifestation d’une énergie mécanique. 3. L'énergie interne : propriété de la matière A partir des constats précédents, on est conduit à décrire les propriétés de la matière du point de vue de l'énergie qu'elle contient, c'est à dire son énergie interne. C'est un des objets de la Thermodynamique que de procéder à une telle description : on parlera de propriétés thermodynamiques de la matière. Dans les exemples qu'on a donnés, on a implicitement admis que l'énergie interne est une propriété qui dépend de la température et de la pression. Ces notions sont en général connues mais il convient tout de même d'en préciser la définition et d'en faire quelques applications avant de considérer leurs relations avec les propriétés thermodynamiques de la matière. Conclusion Il convient de retenir de ce chapitre introductif la nécessité d'invoquer l'existence d'une énergie contenue dans la matière ou énergie interne pour que l'idée d'une notion généralisée d’énergie conservative ait un sens. Cette énergie interne est une propriété de la matière qu'on peut relier à d'autres propriétés selon deux approches : • une approche macroscopique ne faisant intervenir que des notions elles-mêmes macroscopiques comme la pression ou la température ; • une approche microscopique qui consiste à utiliser le fait que la matière est constituée d'un très grand nombre de particules élémentaires, atomes ou molécules. Nous explorerons ces deux voies dans les chapitres suivants avant d'exploiter le caractère conservatif de l'énergie pour poser ce qu'on appelle le premier principe de la thermodynamique. Cours rédigé par Christian Jallut, Professeur de Génie des Procédés à l’Université Lyon I