CHAPITRE 7 TRAITEMENT MEDICAMENTEUX DES DOULEURS NEUROPATHIQUES Jean-Michel Senard, Pierre-André Delpla et Jean-Claude Verdié Plan du Chapitre I – RAPPEL PHYSIOPATHOLOGIQUE ET BASES PHARMACOLOGIQUES II – LES TRAITEMENTS MEDICAMENTEUX 2.1 Les médicaments anti-épileptiques 2.1.1 Gabapentine 2.1.2 Prégabaline 2.1.3 Autres anti-épileptiques Clonazepam Carbamazépine Oxcarbamazépine Topiramate Phénytoïne Lamotrigine Valproate 2.2 Les médicaments antidépresseurs 2.2.1 Les antidépresseurs tricycliques Amitriptyline Clomipramine Imipramine 2.2.2 Les IRSNA Duloxétine Venlafaxine 2.2.3 Les IRS 2.3 Le Tramadol et les opioïdes du palier 3 2.3.1 Tramadol 2.3.2 Les opioïdes forts (palier 3) 2.4 Autres traitements 2.4.1 Les topiques 2.4.2 Les cannabidoïdes (dronabinol) 2.4.3 Les antagonistes NMDA 2.4.4 La Mexilétine III – LE TRAITEMENT NEUROCHIRURGICAL 3.1 La stimulation électrique analgésique 3.2 Les techniques chirurgicales lésionnelles 3.3 La pharmacothérapie intrathécale I – RAPPEL PHYSIOPATHOLOGIQUE ET BASES PHARMACOLOGIQUES INTRODUCTION Il existe des recommandations pour la pratique clinique du traitement médical des douleurs neuropathiques (AFSSAPS – décembre 2007- en cours de publication, et les recommandations de la fédération européenne des sociétés neurologiques-novembre 2006) A l’aide d’experts et d’une analyse de la littérature, il a été établi sur le sujet 3 niveaux de recommandations A, B ou C : - grade A : preuve scientifique établies par des études de fort niveau de preuve - grade B : présomption scientifique obtenues par des études de niveau intermédiaire - grade C : études de moindre niveau de preuve - en l’absence de données suffisantes les recommandations seront données par accord d’experts Des niveaux de preuve d’inefficacité (idem) peuvent aussi ressortir d’études contrôlées Les DN ne répondent pas aux médicaments du palier I (paracétamol, AINS) D’une manière générale l’efficacité des traitements est souvent moyenne.Le choix doit se faire sur l’efficacité la plus établie, sur le rapport bénéfice-inconvénients et sur la présence de comorbidité associée à la DN (anxiété, dépression, troubles du sommeil) Seules les DCI seront décrites dans cet exposé. Les médicaments fondamentaux sont issus des antiépileptiques et des antidépresseurs.Seuls certains d’entre eux font partie des recommandations actuelles.Le tramadol et les opioïdes forts du palier III de l’OMS peuvent aussi s’inclure. Les données scientifiques établies ne concernent que quelques étiologies de DN (zona, diabète) D’autres études sont nécessaires pour d’autres étiologies (DN centrales, associations thérapeutiques…) Rappelons que les DN atteignent 7 % de la population en France (25% des douleurs chroniques) Une titration est indispensable en démarrant le traitement à doses faibles et en progressant jusqu’aux doses max. efficaces ; Il faut débuter par une monothérapie, substituer une autre molécule si échec et faire une association si efficacité insuffisante. On évaluera régulièrement l’efficacité et la tolérance.Le traitement sera poursuivi en moyenne durant 6 mois au minimum, puis si possible les doses seront réduites. II – LES TRAITEMENTS MEDICAMENTEUX 2.1 Les médicaments anti-épileptiques 2.1.1 Gabapentine : agit par blocage des canaux calciques voltage-dépendants et par modulation de la neurotransmission gabaergique.Son AMM concerne les douleurs de la neuropathie diabétique. Posologie : 900 mg à 3600 mg/j en 3 prise.Grade A pour la douleur, pour l’anxiété et les troubles du sommeil Effets indésirables : sensations vertigineuses, somnolence, œdèmes périphériques, prise de poids .. Pas d’interactions médicamenteuses.En général bien supporté 2.1.2 Prégabaline : mode d’action similaire à la gabapentine, niveau de preuve de grade A comme pour la gabapentine. AMM : DN périphériques et centrales Posologie : 150 mg à 600 mg / j en 2 prises Agirait plus vite que la gabapentine Effets indésirables et interactions idem à la gabapentine 2.1.3 Autres antiépileptiques : - Clonazepam : utilisé traditionnellement dans cette indication mais aucun niveau de preuve.Inconvénients et effets secondaires des benzodiazépines. - Carbamazepine : agit par blocage des canaux sodiques voltage-dépendants Indiquée dans la névralgie du trijumeau à la posologie progressive de 200mg à 1200mg /j (grade A) Peu de niveau de preuve dans les autres étiologies Nombreux effets indésirables en particulier chez les sujets âgés : sédation, vertiges, troubles de la marche, hyponatrémie, surveillance hépatique et hématologique, risque cutané. Nombreux risques d’interactions médicamenteuse - Oxcarbamazépine : A part l’absence d’induction enzymatique et une action supplémentaire sur les canaux calciques (en plus des sodiques) a les mêmes indications (n.trijumeau-grade B) et inconvénients que la carbamazépine Posologie : de 600mg à 1800 mg /j.Inneficace dans le diabète. - Topiramate : Non recommandé dans les DN .Pas de preuve d’efficacité - Phénytoïne : Niveau C pour le diabète.Classiquement utilisée dans la n. du trjumeau. Pas d’AMM.Non recommandé. - Lamotrigine : Inneficace (A) pour le diabète.Présomption positive dans les douleurs centrales post AVC Non recommandé (utilisée parfois hors AMM en 2e-3e intention ex : n. du trijumeau).Risque cutané important.Posologie :25 mg au départ, augmenter de 25 mg toutes les 2 semaines jusqu’à un max. de 200-400 mg/j - Valproate : données contradictoires dans le diabète.Grade B pour le zona. Nécessité d’études complémentaires.Niveau de recommandation à définir 2.2 Les médicaments antidépresseurs : Il existe plusieurs catégories d’antidépresseurs dont les principales sont : - les antidépresseurs tricycliques - les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSNA) - les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (IRS) Seuls des molécules des 2 premiers groupes ont fait preuve d’efficacité dans les DN 2.2.1 Les antidépresseurs tricycliques : Ils inhibent de manière équilibrée la recapture des monoamines - l’amitriptyline : efficacité de grade A dans plusieurs étiologies AMM : douleurs neuropathiques périphériques de l’adulte Posologie : progressive de 25mg à 150 mg (75mg/j en moyenne) Effets secondaires possibles nombreux : bouche sèche, vertiges, troubles de la vision (adaptation), somnolence, palpitations, hypoTAorthostatique, sédation, dysurie Prudence chez le sujet âgé - la clomipramine : grade A ;AMM :douleurs neuropathiques Posologie idem à l’amitriptyline.Moins sédative.Mêmes effets secondaires - l’imipramine :idem mais mois employée Il existe aussi des ADT dit sélectif (plus noradrénergiques) :Maprolitine, Désipramine,Nortryptiline dont l’action est plus discutée ,ils sont mieux tolérés que les précédents(grade B pour la maprolitine).Pas d’AMM 2.2.2 Les IRSNA : seules 2 molécules sont concernées.Mieux tolérés que les ADT - la duloxétine :grade A pour le diabète(AMM) Posologie : 60 mg/j en une prise Effets secondaires : nausées,vomissements,sonolence,sècheresse de la Bouche,hypersudation.Risque hépatique. - la venlafaxine :grade B .Pas d’AMM Efficace seulement à fortes doses(à partir de 150mg/j) Effets secondaires : idem à la duloxétine Formes LP mieux supportées 2.2.3 Les IRS : ex : fluoxétine,paroxétine,citalopram etc. Ils ne sont pas recommandés et n’ont pas d’AMM Preuve scientifique d’inefficacité (grade A) 2.3 Le Tramadol et les opioïdes du palier 3 : bien qu’efficaces ils ne sont pas recommandés en première intention 2.3.1 Le Tramadol : opioïde agoniste des récepteurs mu et inhibiteur de la recapture des monoamines.Il est classé dans le palier 2 de l’OMS et existe sous plusieurs formes de dosages différents. Posologie de 50 mg à 400 mg par jour.Intérêt des formes LP sur 12h ou mieux sur 24h (1 prise par jour) mieux supportées .Démarrer par des doses faibles (50 mg) surtout chez les patients âgés. Il est efficace pour le diabète et le zona (grade A) Effets secondaires des opioïdes (nausées, constipation) et des antidépresseurs (somnolence, dysurie, sècheresse de la bouche) Pas d’association avec les antidépresseurs (risque de syndrome sérotoninergique) 2.3.2 Les opioïdes forts (palier 3) Seules la morphine, l’oxycodone, la méthadone (pas d’AMM) et le lévorphanol (non disponible en France) ont été étudiées dans cette indication. L’oxycodone est efficace dans le diabète et le zona.La morphine à une action positive dans le zona (gradeA) Les études manquent pour les autres étiologies Utiliser les formes LP après la titration initiale Posologie : de 60 mg à 200 mg/j pour la morphine (la moitié pour l’oxycodone) Effets secondaires : constipation, sédation, nausées, vomissements L’oxycodone semble mieux tolérée. Moins de 20% des patients continuent le traitement au-delà de 1 an en raison d’un rapport défavorable entre effets indésirables et efficacité. Recommandation : les opioïdes ne seront envisagés dans les DN qu’en 2e ou 3e intention après échec d’autres traitements comme pour l’ensemble des douleurs non cancéreuses A signaler l’efficacité de l’association morphine-gabapentine 2.4 Autres traitements : 2.4.1 Les topiques : - patchs de lidocaïne (à 5%) : grade A pour le zona (allodynie) AMM Bonne tolérance.Ne pas utiliser sur peau lésée. On peut utiliser Jusqu’à 4 patchs par jour pendant un maximum de 12 h. Pas de nécessité d’ajuster les doses - capsaïcine : topique à 0,075% peu efficace dans le zona (gradeB) Résultats discordants dans les autres étiologies. Sensations de brûlure lors de l’application 2.4.2 Les cannabidoïdes (dronabinol): grade B dans les douleurs centrales de la SEP. Pas d’AMM .Non disponible en France. Risques de tolérance et de dépendance en cas de traitement de longue durée.Posologie :5 à 10 mg/j 2.4.3 Les antagonistes NMDA : dextrométorphan, mémantine..Malgré leur intérêt théorique ils sont inefficaces dans le zona. Non recommandés. 2.4.4 La mexilétine : inefficace dans le zona et les douleurs centrales (médullaires) Au total d’autres études (ERC) sont indispensables dans les pathologies peu étudiées : DNposttraumatiques ou chirurgicales si fréquentes, douleurs des amputés, séquelles de syndrome de Guillain-Barré, autres douleurs centrales, DN d’étiologies multiples. La qualité de vie doit être mieux évaluée avec ces traitements. Dans les polyneuropathies douloureuses(diabète) les médicaments de 1er intention sont les antidépresseurs tricycliques,la gabapentine,la prégabaline,la duloxétine.Le tramadol et les opioïdes forts(oxycodone) seront utilisés en 2e intention.A noter que les PN du VIH ou de la chimiothérapie sont très réfractaires aux traitements. Dans les douleurs du zona, la prégabaline, la gabapentine, les ADT, la lidocaïne topique. Pour la névralgie essentielle du trijumeau : la carbamazépine ou l’oxcarbazépine. Dans les autres étiologies le choix se fera sur les effets établis, le rapport avantages – inconvénients, l’existence d’une comorbidité.Le sujet reste très évolutif. III - LE TRAITEMENT NEUROCHIRURGICAL Nous envisagerons successivement : •les techniques de stimulation électrique analgésique •les techniques chirurgicales •les techniques de pharmacothérapie intrathécale Nous exclureons de cet exposé les techniques psychologiques (relaxation etc.). 3.1 La stimulation électrique analgésique : A la suite de la découverte de la théorie du “ gate control ” par Wall et Melzack, la neurostimulation analgésique s’est répandue depuis les années 1970 dans notre pays. Actuellement la stimulation peut s’effectuer de la peau (stimulation transcutanée), au cortex cérébral (stimulation corticale), en passant par la moelle épinière (stimulation médullaire) et par le thalamus sensitif (stimulation thalamique). Il est évident que le caractère invasif des gestes sera adapté en fonction des antécédents thérapeutiques et de la gravité du handicap douloureux. Il existe des indications spécifiques, par exemple la stimulation péridurale médullaire sera la technique de choix pour la prise en charge des sciatiques neurogènes post-chirurgie rachidienne lombaire (hernie discale, canal étroit, chirurgie de la lombalgie…). Les stimulations thalamiques et corticales seront réservées aux syndromes centraux douloureux (paraplégies, tronc cérébral, syndromes thalamiques…). Les membres fantômes douloureux post amputation et les douleurs d’avulsion du plexus branchial sont très rebelles ce qui entraîne le recours aux solutions majeures de stimulation. Autant la stimulation transcutanée est simple dans sa réalisation, autant les autres sites réclament une précision et une technicité qui n’existe que dans des équipes spécialisées. Ainsi la cible thalamique utilise la stéréotaxie et la corticale bénéficie des progrès de l’imagerie (IRM) et de la chirurgie guidée par ordinateur (neuronavigation). Les stimulateurs implantés sont similaires aux pacemakers cardiaques, programmables de l’extérieur. Dans la majorité des cas la stimulation est sensitive et doit provoquer des paresthésies couvrant le territoire douloureux. Dans le cas du cortex cérébral, la stimulation est infraliminaire motrice (stimulation de la région rolandique). 3.2. Les techniques chirurgicales lésionnelles : Accusées souvent avec raison d’être inefficaces voire aggravantes (accentuation de la désafférentation), les techniques lésionnelles peuvent être utilisées pour calmer certaines douleurs neurogènes principalement les dlouleurs fulgurantes. L’exemple typique est fourni par la névralgie essentielle du trijumeau qui après échec des antiépileptiques est le plus souvent guérie par une coagulation percutanée du ganglion de Gasser. Les techniques ouvertes classiques (radicotomies postérieures rachidiennes, cordotomies etc.) ne sont plus pratiquées à l’heure actuelle. Un cas particulier est donné par la drézotomie réservée quasi exclusivement aux douleurs d’avulsion du plexus branchial. Elle consiste à microsectionner la zone d’entrée des racines postérieures dans la moelle épinière, cette zone étant le siège d’un regroupement des fibres sensitives de petit calibre transportant les sensations douloureuses. 3.3. La pharmacothérapie intrathécale : L’administration de morphine dans le LCR constitue une alternative classique dans la prise en charge des douleurs cancéreuses après échec des voies d’administration habituelles. La morphine orale a une action bénéfique limitée dans les douleurs neuropathiques, son utilisation chronique reste discutée. Il en est de même pour la voie intrathécale, dont les résultats ne sont pas très convaincants dans cette indication. Citons les cas de patients spastiques chez qui une pompe à Baclofène intrathécal peut permettre une amélioration des douleurs parallèlement à la spasticité.