Pharmacocinétique des antibiotiques et épuration extrarénale

Mise au point
Pharmacocinétique des antibiotiques et épuration extrarénale continue
Pharmacokinetics of antibiotics and continuous extra renal therapy
J. Levraut
a,
*, J.-C. Orban
b
a
Service d’accueil des urgences, hôpital Saint-Roch, CHU de Nice, 06006 Nice cedex, France
b
Service de réanimation polyvalente, DAR Est, hôpital Saint-Roch, CHU de Nice, France
Résumé
L’effet de l’épuration extracorporelle continue sur la pharmacocinétique des antibiotiques est étroitement lié à la technique d’épuration
utilisée, mais surtout aux caractéristiques propres de la molécule concernée. Les antibiotiques fortement liés aux protéines plasmatiques ainsi
que ceux ayant un volume de distribution élevé sont peu épurés par l’hémofiltration continue. L’estimation de la « clairance filtre » d’un
antibiotique peut se calculer par le débit d’ultrafiltration pondéré par le pourcentage de la forme non liée aux protéines de la molécule
concernée. Une adaptation posologique est nécessaire uniquement si la clairance induite par la technique d’épuration extracorporelle participe
à plus de 20 % de la clairance sanguine totale de l’antibiotique. De plus, une adaptation posologique est nécessaire pour les doses d’entretien
mais la dose de charge initiale nécessaire à l’obtention d’une concentration souhaitée n’est pas affectée par la technique d’épuration. Le calcul
de l’adaptation posologique peut se faire, soit en se référant aux données publiées, soit en estimant la clairance filtre. La référence à des
données pharmacocinétiques publiées nécessite impérativement de vérifier la similitude des techniques employées avant de les extrapoler à sa
propre utilisation (type de membrane, débit d’ultrafiltration et/ou de dialyse, pré- ou postdilution, clairance rénale résiduelle...). L’estimation
de l’adaptation posologique peut se faire aisément en utilisant les données pharmacocinétiques normales de la molécule, ce qui permet de
s’approcher des valeurs de la « clairance filtre » de l’antibiotique et de la clairance sanguine totale. Le manuscrit propose un tableau estimant
l’adaptation posologique nécessaire pour la plupart des antibiotiques utilisés en réanimation selon la technique d’hémofiltration utilisée et la
clairance rénale résiduelle. Quoi qu’il en soit, du fait de la forte variabilité interindividuelle, il reste fortement recommandé d’effectuer des
dosages pharmacologiques pour vérifier l’exactitude de l’estimation, surtout pour les antibiotiques ayant un index thérapeutique étroit.
© 2005 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Abstract
The effect of continuous extrarenal therapy on the pharmacokinetics of antibiotics is closely related on the purification technique used and
on the characteristics of the molecule concerned. The antibiotics highly bound to plasmatic proteins as those with a high volume of distribu-
tion are poorly eliminated by the continuous hemofiltration technique. The estimate of the “filter clearance” of an antibiotic can be calculated
as the product of the ultrafiltration rate by the percentage of the unbound form of the molecule. The initial load necessary for obtaining a
desired concentration is never affected by the technique of purification. A dose adaptation is necessary only if the clearance induced by the
purification technique takes part in more than 20% of the total body clearance of the antibiotic. The calculation of the dose adaptation can be
done, either while referring to the published data, or by estimating the filter clearance. The reference to pharmacokinetic data published
imperatively requires checking the similarity of the techniques employed before extrapolating them with its own use (type of membrane,
ultrafiltration flow and/or dialysis, pre or postdilution, residual renal clearance ...). The estimate of the dose adaptation can be done easily by
using the normal pharmacokinetic data of the molecule, which makes it possible to approximate the antibiotic filter clearanceand the total
blood clearance. The manuscript proposes a table considering the dose adaptation necessary for the majority of antibiotics used in ICU
according to the technique of hemofiltration used and the residual renal clearance. However, because of the strong interindividual variance, it
remains strongly recommended to carry out pharmacological measurements to check the exactitude of the estimate, especially for antibiotics
with a narrow therapeutic index.
© 2005 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés.
* Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (J. Levraut).
Réanimation 14 (2005) 519–527
http://france.elsevier.com/direct/REAURG/
1624-0693/$ - see front matter © 2005 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.reaurg.2005.09.006
Mots clés : Antibiotique ; Hémofiltration ; Insuffisance rénale ; Adaptation posologique
Keywords: Antibiotic; Hemofiltration; Renal failure; Dose adaptation
Au cours du sepsis, le développement d’une insuffisance
rénale aiguë nécessite fréquemment le recours aux techni-
ques d’épuration extrarénale continue (EERC). Le manie-
ment des antibiotiques à index thérapeutique étroit devient
alors plus délicat chez ces patients pour lesquels un sous-
dosage aussi bien qu’un surdosage peuvent s’avérer dange-
reux. En effet, la pharmacocinétique des substances adminis-
trées, déjà perturbée par la pathologie propre du patient, est
encore compliquée par l’introduction d’une EERC qui vient
ajouter sa propre clairance à celle de l’organisme.
Pour éclairer la suite de notre exposé, nous allons dans un
premier temps rappeler quelques éléments indispensables de
pharmacocinétique ainsi que les différents principes de l’épu-
ration liés aux techniques continues.
1. Rappels pharmacocinétiques [1–3]
1.1. Élimination et clairance
La clairance totale d’une molécule reflète la capacité de
l’organisme à éliminer cette molécule. Elle représente la quan-
tité de sang totalement épurée de cette molécule par unité de
temps. La quantité éliminée d’une substance donnée par unité
de temps dépend, pour une clairance donnée, de sa concen-
tration sanguine :
Élimination (mg·min-1)=
Clairance (mL·min-1) × Concentration (mg·mL-1)
La clairance totale de l’organisme représente la somme de
toutes les clairances d’organes. Si l’on rajoute une EERC à
un patient, la clairance engendrée par la technique d’épura-
tion vient alors s’ajouter aux autres clairances d’organe :
ClTOT =Clrein +Clfoie +Cl ··· +ClEERC
1.2. Volume de distribution et demi-vie d’élimination
Le volume de distribution (Vd) d’une molécule représente
le volume dans lequel se dissoudrait la quantité totale de cette
molécule pour obtenir la concentration observée dans le
plasma. Il reflète la fixation tissulaire d’un médicament. Si
un médicament est fortement fixé aux tissus, il est relative-
ment peu abondant dans le sang par rapport aux tissus et son
Vd est donc élevé. La demi-vie d’élimination, qui est le temps
nécessaire pour voir la concentration plasmatique d’un médi-
cament s’abaisser de moitié, est proportionnelle au Vd et est
inversement proportionnelle à la clairance selon la formule
suivante :
T1/2 =0,693 × Vd ⁄ Cl
2. Principes de l’épuration au cours de l’épuration
extrarénale continue
Trois principes participent à l’épuration des substances
plasmatiques au cours de l’EERC : la convection, la diffu-
sion (uniquement en cas de dialyse) et l’adsorption [4–9].
2.1. Convection
Il s’agit du principe d’épuration lié à l’hémofiltration. La
création d’une pression transmembranaire positive du côté
sanguin est à l’origine d’un débit d’ultrafiltration à travers
l’hémofiltre. Les membranes des filtres utilisées actuelle-
ment en EERC sont hautement perméables (pores de 20 à
30 000 Daltons pour les membranes en polyacrylonitrile) et
laissent donc passer la plupart des molécules non liées aux
protéines. L’ultrafiltrat est donc composé d’eau plasmatique
et de solutés dont la concentration est proche de celle des
substances non liées du plasma. On définit ainsi pour chaque
molécule un coefficient de partage (Cs ou sieving coeffıcient)
qui reflète le rapport entre la concentration plasmatique et
celle dans l’ultrafiltrat de la molécule concernée. Par exem-
ple, pour la créatinine, le Cs est proche de 1, ce qui signifie
que la concentration de créatinine dans l’ultrafiltrat est iden-
tique à celle du plasma. La clairance filtre de la créatinine
(c’est-à-dire la quantité de sang totalement épurée de créati-
nine par unité de temps au niveau du filtre) due au principe
convectif est donc égale au débit d’ultrafiltration. Pour les
substances dont le Cs est inférieur à 1, la clairance filtre due
au principe convectif (Cl
Conv
) est inférieure au débit d’ultra-
filtrat Q
UF
puisqu’elle est égale à :
ClConv =QUF ×Cs
Le Cs d’une molécule pour une membrane donnée dépend
essentiellement de sa fixation protéique car seule la part non
liée peut accompagner l’ultrafiltrat. Le Cs est donc grossiè-
rement égal à (1 FL), FL représentant la fraction de la molé-
cule liée aux protéines.Ainsi, si une molécule est fixée à 95 %
aux protéines plasmatiques, sa clairance convective sera extrê-
mement faible, de l’ordre de5%dudébit d’ultrafiltrat. L’autre
facteur susceptible d’influer le Cs est la charge de la molé-
cule. En effet, l’albumine plasmatique, qui ne peut pas passer
à travers l’hémofiltre, est chargée négativement, ce qui tend à
retenir du côté sanguin les molécules chargées positivement
et au contraire à favoriser le passage transmembranaire des
molécules chargées négativement.
2.2. Diffusion
Ce principe d’épuration ne concerne que les systèmes
d’EERC où il existe un circuit de dialyse (CVVHD et
520 J. Levraut, J.-C. Orban / Réanimation 14 (2005) 519–527
CVVHDF). Le phénomène diffusif est dû au gradient de
concentration entre sang et liquide de dialyse. Le liquide de
dialyse passant à contre courant du circuit sanguin, il se charge
au fur et à mesure de molécules de solutés plasmatiques pou-
vant diffuser à travers l’hémofiltre selon leur gradient de
concentration. Au cours de l’EERC, contrairement à l’hémo-
dialyse conventionnelle, le débit de dialysat (10 à 50 mL/mn)
est largement inférieur au débit sanguin (100 à 150 mL/mn),
si bien que le liquide de dialyse a le temps d’atteindre un
plateau d’équilibre de concentration avant sa sortie de l’hémo-
filtre. Ce plateau correspond grossièrement à la concentra-
tion plasmatique des molécules non liées. On peut ainsi écrire,
comme pour l’hémofiltration, que la clairance diffusive de
l’EERC pour une molécule donnée est égale au débit de dia-
lysat multiplié par la proportion diffusable de cette molécule,
c’est-à-dire la part non liée aux protéines plasmatiques
(Cl
Diff
=(1-FL)×Q
D
). En fait, cette formule surestime l’épu-
ration car le principe de diffusion est plus sensible au poids
moléculaire de la molécule. L’estimation exacte nécessite de
pondérer l’équation précédente par une constante égale à
(PM/113)
-0,42
, où PM est le poids moléculaire en Dalton de
la molécule considérée, 113 étant le poids moléculaire de la
créatinine (molécule de référence). La plupart des antibioti-
ques ayant un poids moléculaire compris entre 300 et 500 dal-
tons, le facteur de pondération est proche de 0,5, sauf pour
les glycopeptides dont le fort poids moléculaire (proche de
1500 daltons) nécessite une pondération plus élevée, proche
de 0,33.
2.3. Adsorption
Il s’agit d’un mécanisme particulier d’adsorption au niveau
du filtre qui ne concerne que certaines molécules et est dépen-
dant du type de membrane utilisée. Ce phénomène est satu-
rable, ce qui signifie que l’adsorption au niveau du filtre ne
sera effective que durant quelques heures et que l’importance
de ce mécanisme dépend donc de la fréquence de change-
ment des hémofiltres. La part de l’adsorption dans la clai-
rance médicamenteuse de l’EERC est probablement faible
mais elle reste à ce jour relativement peu étudiée. Pour les
filtres en polyacrylonitrile communément utilisés, on sait que
ce mécanisme affecte particulièrement les aminoglycosides
[1].
3. Paramètres influençant la clairance sanguine
d’un médicament au cours de l’EERC
3.1. Paramètres liés à la technique
3.1.1. Type de filtre
Trois types de membrane sont susceptibles d’être utilisés
en EERC : les membranes en polysulfone, en polyacryloni-
trile et celles en polyamide. Le coefficient de partage de cer-
tains médicaments est différent selon le type de membrane
utilisé [2]. Les membranes en polyacrylonitrile sont connues
pour leur importante capacité d’adsorption (aminosides par
exemple). Peu de travaux ont évalué les effets des différents
types de membranes sur l’épuration des antibiotiques. Ainsi,
concernant le ceftazidime, on ne retrouvait pas de différen-
ces significatives en terme d’épuration entre les types de mem-
brane [10].
3.1.2. A
ˆge du filtre
Au cours du temps, les pores de la membrane de l’hémo-
filtre vont être obstrués progressivement par des dépôts pro-
téiques et des microcaillots, diminuant d’autant les capacités
d’épuration de l’EERC. De même, les capacités d’adsorption
de l’hémofiltre diminuent avec le temps. Les machines
d’EERC, dont le débit d’ultrafiltration est asservi à une
pompe, verront leur capacité convective peu modifiée (au prix
d’un gradient de pression plus élevé dans l’hémofiltre), tan-
dis que les propriétés diffusives du filtre seront diminuées.
Cela rend plus aléatoire la prédiction de la clairance filtre
d’un médicament, engendrée par une CVVHD, que par une
CVVH, où seule l’hémofiltration rend compte de l’épuration
extracorporelle. Par exemple les capacités d’épuration de la
teichoplanine diminuent entre un filtre neuf et un autre ayant
24 heures d’utilisation, probablement en raison de la diminu-
tion de l’adsorption de l’hémofiltre [11].
3.1.3. Pré- ou postdilution
Au cours de l’hémofiltration, le liquide de substitution peut
être administré en amont (prédilution) ou en aval du filtre
(postdilution). L’avantage de la prédilution est de diminuer
les besoins en anticoagulants et de ne pas limiter le débit
d’ultrafiltration. La concentration des substances plasmati-
ques atteignant l’hémofiltre est alors amoindrie par la dilu-
tion induite par le liquide de substitution et, à débit d’ultra-
filtration identique, la clairance de l’EERC est donc diminuée
d’autant [2]. En cas d’hémofiltration pure (CVVH), la clai-
rance de l’hémofiltre devient :
ClConv =Cs × QUF ×Qsang/(Qsang +Qsubst)
où Cs est le coefficient de partage de la molécule considérée,
Q
UF
le débit d’ultrafiltration, Q
sang
le débit sanguin et Q
subst
le débit du liquide de substitution. L’expression Qsang/
Qsang +Qsubst
représente le facteur de dilution dû au li-
quide de substitution. Notons cependant que la perte de clai-
rance due à la prédilution peut être compensée en augmen-
tant le débit d’ultrafiltration, puisque celui-ci n’est plus limité
par le débit sanguin (une augmentation du débit d’ultrafiltra-
tion s’accompagne obligatoirement d’une augmentation paral-
lèle du débit du liquide de substitution, mais, à débit sanguin
égal, le débit d’ultrafiltration augmente plus rapidement que
le facteur de dilution). L’importance du site d’administration
du liquide de substitution est illustrée par le fait que la clai-
rance de la vancomycine est inversement proportionnelle à la
part de prédilution [12].
521J. Levraut, J.-C. Orban / Réanimation 14 (2005) 519–527
3.2. Paramètres liés à la molécule
3.2.1. Paramètres pharmacocinétiques
3.2.1.1. Volume de distribution. Le volume de distribution
est un index de fixation tissulaire de la molécule. La concen-
tration plasmatique des molécules dont le volume de distri-
bution est élevé, supérieur à 2 L/kg, est minime, comparée à
celle présente dans les tissus.Au cours d’une séance d’hémo-
dialyse conventionnelle, la concentration plasmatique des
médicaments, dont le volume de distribution est élevé,
s’abaisse de façon notable, mais la concentration tissulaire
reste peu modifiée. Au décours de la séance, la concentration
plasmatique remonte rapidement à son taux antérieur. Cela
s’explique par le fait que les échanges entre les comparti-
ments tissulaire et sanguin n’ont pas le temps de se faire au
cours de la séance d’EER, alors que les échanges entre le
compartiment sanguin et le dialysat sont extrêmement rapi-
des et efficaces. Au cours de l’hémofiltration continue, les
échanges entre les différents compartiments ont le temps de
s’opérer en continu, si bien que la concentration plasmatique
de ces médicaments est peu modifiée (la réserve tissulaire
libère en permanence des molécules de médicament dans le
sang). Au contraire, la concentration plasmatique des médi-
caments dont le volume de distribution est peu important, sera
beaucoup plus affectée par la mise en route d’une EERC.
3.2.1.2. Fixation protéique. Comme nous l’avons vu précé-
demment, seules les molécules non liées à des protéines de
transport sont susceptibles d’être épurées par l’hémodiafil-
tration.Ainsi, la concentration sanguine des médicaments dont
la fixation protéique est supérieure à 80 % est peu affectée
par la mise en route d’une EERC.
3.2.1.3. Part de chacune des clairances. La clairance totale
d’un médicament chez un patient sous EERC correspond à la
somme de la clairance propre du patient (elle-même étant
égale à la somme des clairances résiduelles rénale, hépati-
que, pulmonaire, etc.) et de la clairance de l’EERC. Classi-
quement, on dit qu’une EERC a un effet notable sur la phar-
macocinétique d’un médicament si la clairance engendrée par
la technique est au moins égale à 25 % de la clairance totale
du médicament [13].
À volume de distribution comparable, la pharmacocinéti-
que des médicaments normalement éliminés par voie rénale
sera plus modifiée par la mise en route d’une EERC que celle
des substances éliminées par le foie. L’élimination gloméru-
laire d’une substance obéit en effet à des lois physicochimi-
ques comparables à celles déterminant l’élimination d’une
molécule au niveau d’un hémofiltre.
3.2.2. Poids et charge moléculaires
Comme nous l’avons vu précédemment, le poids molécu-
laire est un élément limitant pour le principe de diffusion,
c’est-à-dire la dialyse, tandis que l’épuration résultant de
l’hémofiltration est peu affectée par la taille des molécules.
Cependant, la grande majorité des antibiotiques a un poids
moléculaire inférieur à 500 d, si bien que, aux débits de dia-
lysat utilisés en EERC, celui-ci est rarement un facteur limi-
tant. Parmi les médicaments de fort poids moléculaire, citons
la vancomycine (PM 1448 d), dont l’élimination par diffu-
sion est probablement moins performante que celle due à la
convection [14].
La charge des médicaments intervient également sur la clai-
rance des médicaments par l’EERC selon les principes de
Gibbs-Donnan.Ainsi, les molécules polycationiques telles que
la gentamicine sont retenues partiellement par les charges
négatives de l’albumine côté sanguin, ce qui explique que le
coefficient de partage de la molécule (0,81) soit légèrement
inférieur à sa fraction libre dans le plasma (0,95).Au contraire,
les molécules chargées négativement comme certaines cépha-
losporines seront au contraire plus facilement épurées que ne
le voudrait leur fraction libre [3].
3.3. Paramètres liés au patient
3.3.1. Clairances résiduelles. Volumes de distribution
La clairance sanguine totale d’un médicament est égale à
la somme de toutes les clairances. Il faudra donc, lors de
l’adaptation posologique nécessaire à la mise en route d’une
EERC, tenir compte de l’existence d’une éventuelle clai-
rance rénale résiduelle ou d’une modification de la clairance
hépatique. De plus, le volume de distribution peut être gran-
dement modifié par l’inflation du secteur interstitiel, ce qui
peut conduire à une sous-estimation de la dose de médica-
ment nécessaire.
3.3.2. Perturbations métaboliques
De nombreux troubles métaboliques sont susceptibles de
modifier le taux de liaison des médicaments à leurs protéines
de transport et donc d’altérer le coefficient de partage des
molécules concernées. Parmi les principaux troubles, citons
les perturbations sévères de l’équilibre acide–base et l’ictère,
car la bilirubine peut entrer en compétition avec les médica-
ments au niveau de leurs sites protéiques de transport [7].
Une élévation des acides gras libres circulants (nutrition
parentérale, héparinothérapie) peut également modifier la frac-
tion libre des médicaments. De plus, de nombreux patients
de réanimation et notamment les plus graves, présentent une
hypoalbuminémie parfois sévère, avec des concentrations
d’albumine plasmatiques parfois inférieures à 10 g/L [15].
Dans ces conditions, la fraction liée de certains médicaments
est nettement abaissée, ce qui augmente leur coefficient de
partage et donc leur épuration potentielle par une EERC.
4. Comparaison entre données théoriques
et études cliniques
De nombreuses études portant sur différentes molécules
et évaluant l’impact d’une EERC sur leur pharmacocinétique
ont été publiées. Ces études, réalisées le plus souvent sur un
522 J. Levraut, J.-C. Orban / Réanimation 14 (2005) 519–527
faible nombre de malades voire sur des cas uniques, mon-
trent des résultats relativement variables d’un travail à l’autre
pour une même molécule [16,17]. Cela atteste du grand nom-
bre de paramètres susceptibles de faire varier la clairance de
l’EERC : type de filtre, âge du filtre, technique d’épuration
(filtration et/ou dialyse), débit d’ultrafiltration, pré- ou post-
dilution, troubles métaboliques, hypoalbuminémie... Par
ailleurs, dans la majorité de ces études un certain nombre de
données essentielles à l’analyse pharmacocinétique man-
quent comme la clairance rénale résiduelle ou le site de réin-
jection (pré- ou postdilution). Ainsi, les données pharmaco-
cinétiques rapportées dans ces études ne sont extrapolables
que dans des conditions proches de celles dans lesquelles elles
ont été réalisées, n’apportant le plus souvent qu’un ordre de
grandeur de l’impact d’une EERC.
De façon intéressante, Golper a comparé les coefficients
de partage mesurés avec ceux obtenus de façon théorique en
les assimilant à la fraction libre du médicament [18]. Il a mon-
tré qu’il existait une bonne corrélation (r= 0,72) entre ces
deux paramètres, ce qui autorisait, en l’absence de données
pharmacocinétiques complètes, d’utiliser la fraction libre du
médicament pour calculer la clairance filtre d’une molécule.
5. Conduite à tenir pratique
Lorsque l’on connaît la concentration plasmatique du médi-
cament que l’on désire atteindre en plateau, il convient
d’effectuer une dose de charge. Cette dernière n’est pas dif-
férente de celle préconisée dans la population générale [14].
Elle ne tient compte que du volume de distribution de la molé-
cule (qui dépend bien sûr du poids du malade) selon la for-
mule suivante :
Dose charge (mg) =
Concentration souhaitée (mg·L-1)×Vd
L
Il est important de se rappeler que le Vd des patients de
réanimation est très souvent augmenté du fait d’une inflation
du secteur interstitiel, ce qui conduit à un risque de sous-
estimation de la dose de charge.
En revanche, l’adaptation posologique concerne la dose
injectée par la suite, qui doit bien entendu tenir compte des
modifications de la clairance sanguine de la molécule. Plu-
sieurs attitudes sont possibles. Il est important de noter que,
quelle que soit l’attitude adoptée, le maniement des médica-
ments à index thérapeutique étroit nécessitera une sur-
veillance des concentrations plasmatiques de la molécule
concernée. Les conduites à tenir décrites ci-après permettent
d’estimer les besoins médicamenteux d’un patient sous
EERC, mais un dosage plasmatique est nécessaire lorsque
cela est possible pour s’assurer du bien-fondé de l’estima-
tion.
5.1. Données pharmacocinétiques disponibles
La première possibilité est de se référer à des données pré-
cédemment publiées [19]. La pharmacocinétique de nom-
breux antibiotiques a été étudiée sous EERC [20]. Mais il
convient de rappeler que les paramètres pharmacocinétiques
rapportés ne sont qu’indicatifs puisqu’ils ne sont vrais que
dans les conditions de l’étude dans laquelle ils ont été mesu-
rés. Il n’est donc possible d’utiliser ces données pour effec-
tuer une adaptation posologique qu’après s’être assuré que
les conditions de réalisation de l’étude rapportant ces don-
nées sont suffisamment proches des conditions dans lesquel-
les l’adaptation doit être réalisée.
5.2. Adaptation à la clairance totale de la créatinine
Cette méthode, proposée par Keller et al. [21], consiste à
calculer la clairance totale de la créatinine (somme de la clai-
rance filtre de la créatinine et de la clairance rénale rési-
duelle) et à adapter la posologie médicamenteuse en fonction
de la clairance totale obtenue. La validité de cette estimation
nécessite de vérifier que le médicament n’est pas réabsorbé
ou sécrété activement au niveau tubulaire, ce qui est malheu-
reusement le cas de nombreuses molécules. L’adaptation de
la dose quotidienne pour les médicaments à élimination uni-
quement rénale s’obtient en pondérant la dose normale par le
pourcentage de variation de la clairance totale par rapport à
la clairance normale de la créatinine :
D=Dn × (Clcreat tot/120)
où Dn est la dose normale quotidienne, Cl
creat tot
est la somme
de la clairance rénale résiduelle et de la clairance de l’EERC
de la créatinine (exprimée en mL/mn), et 120 est la clairance
rénale normale de la créatinine exprimée en mL/mn. Pour les
médicaments qui ne sont pas éliminés uniquement par le rein,
seule la part rénale doit bien entendu être corrigée. Si P
R
est
la proportion de l’élimination rénale, on obtient la formule
suivante :
D=Dn × (1 PR)+Dn × PR×(Cl
creat tot/120)
soit
D=Dn × (1 PR)+(PR×Cl
creat tot/120)
Imaginons par exemple un patient anurique bénéficiant
d’une CVVH avec un débit d’ultrafiltration de 1 000 mL/h.
La clairance filtre de la créatinine s’obtient facilement :
Clcréat CVVH =1×1000⁄60 =17 mL/mn (1 est le coefficient
de partage de la créatinine). Si ce patient reçoit un médica-
ment normalement éliminé uniquement par le rein, la dose
quotidienne doit être de Dn × (17/120), soit environ 14 % de
la dose normale.
Imaginons maintenant un patient ayant une insuffisance
rénale à diurèse conservée (1600 mL/j, créatinine uri-
naire = 2,4 mmol/L et créatininémie = 230 µmol/L) et béné-
ficiant d’une CVVH en prédilution avec un débit sanguin de
120 mL/mn, un débit d’hémofiltration de 1500 mL/h et une
perte de 150 mL/h. Il est nécessaire dans un premier temps
de mesurer la clairance rénale résiduelle :
Clcréat rein =2400/230 × 1600/(24 × 60) =12 mL·mn-1
523J. Levraut, J.-C. Orban / Réanimation 14 (2005) 519–527
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