44 La planète des chrétiens - Hors-série n°19
franchi les mers, les montagnes, remonté les
euves en se confrontant à la pensée grecque
pour s’établir dans l’ordre romain des cités.
De l’Anatolie à la Chine
En Europe, il est devenu le symbole de son
gémonie culturelle et spirituelle. Si nous
connaissons bien le parcours de Paul par le
témoignage de Luc dans les Actes des Apôtres,
depuis la Terre sainte jusqu’à Rome, les itinéraires
d’une foule de moines et de saints orientaux
nous sont moins familiers. Les Églises d’Orient
se sont mises en place le long des anciennes
routes commerciales, comme la route de la soie
par exemple, au travers de l’Anatolie, du sert
arabique, et en Asie centrale, chemin emprunté
par une poige de moines iraniens de culture
syriaque vers la Chine, au milieu du VIIesiècle,
pour traduire les Évangiles en chinois.
«Chrétien d’Orient» est une appella-
tion décernéeà un ensemble de communau-
tés ethniques et religieuses diérentes. On
peut être chrétien d’Orient arménien, égyp-
tien (copte), syriaque (Irak, Turquie, Syrie,
Liban), éthiopien. Il y a un rameau histo-
rique, dit «orthodoxe», auquel il faut souvent
ajouter une branche catholique, voire protes-
tante. Néanmoins face à la réduction continue
du nombre des chrétiens en Orient, ces dié-
rences de «chapelles» tendent à s’eacer dans
Les multiples facettes
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Au cours de l’histoire, certaines Églises
d’Orient sont entrées dans le giron
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Les Églises orientales ont l’âge du christia-
nisme. Ce dernier naît dans l’Orient ancien.
À cette époque, les traditions sont multiples,
non pas mélangées, mais elles cohabitent et
s’inspirent les unes les autres: juives, égyp-
tiennes ou mésopotamiennes. La Mésopota-
mie, située en Asie occidentale fut le berceau
de l’humanité qui a essaimé mythes et
rituels. Par exemple, les prélats syriaques sont
toujours enterrés en position assise comme le
voulait la tradition assyrienne pour leurs rois.
Jésus et les apôtres étaient des juifs de Galilée,
et l’Araméen parlé à l’époque sous sa forme
christo-palestinienneest une langue d’ori-
gine sémitique. Le christianisme a ensuite
SÉBASTIEN DE COURTOIS
Doctorant en anthropologie historique, il anime
l’émission Foi et Traditions sur France Culture.
Sébastien de Courtois
La planète des chrétiens - Hors-série n°19 45
un contexte de solidarité et d’unité face aux
persécutions. Il faudrait rappeler aussi que si
les Croisades ont peut-être eu une inuence
sur la latinisation –ou «catholicisation» – de
cet Orient chrétien, du moins en ses marges,
elles n’ont été en aucun cas un élément fonda-
teur comme on le pense souvent. Il s’agit d’une
idée reçue dangereuse utilisée par les fonda-
mentalistes. Lorsque les Croisés prennent
Jérusalem en 1099, les chrétiens d’Orient sont
déjà présents sur place et installés avec leurs
propres églises et monas-
tères depuis plusieurs siècles,
qu’ils soient de rite syriaque,
byzantin ou arménien.
L’Église orientale qui par
essence symbolise le catholi-
cisme au Levant est celle des
maronites, les chrétiens du
Liban. Le rite maronite est le
seul parmi les rites orientaux qui ne soit suivi
que par des catholiques. Il n’existe pas d’Église
maronite «orthodoxe», bien que d’une certaine
manière elle le soit aussi, en étant le à la
tradition. De plus l’Église Maronite est perçue
comme une institution nationale. La visite
eectuée par le pape Benoît XVI, à Beyrouth,
en septembre dernier, est à ce titre-. D’ailleurs
cette identité n’est pas exclusive, puisqu’aussi
beaucoup de musulmans du Liban perçoivent
cet enracinement maronite comme une forme
de bien commun malg les
troubles du passé. Preuve en
est l’accueil non mitigé qui a
été servé à sa Sainteté, tant
par le Hezbollah que nombre
de parlementaires et intellec-
tuels sunnites.
Aujourd’hui à la place du
syriaque des origines, les maro-
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LEEMAGE
LA PLANÈTE DES CATHOLIQUES
Lors de la prise de Jérusalem par les Croisés en 1099, les chrétiens étaient déjà implantés en Orient.
46 La planète des chrétiens - Hors-série n°19
nites utilisent l’arabe comme langue litur-
gique. Ils se sont «romanisés» avec le temps,
notamment dans le déroulé de la messe, intro-
duisant des canons inspirés de la messe latine.
Une pratique que d’autres Églises orientales
de rite catholique suivent elles aussi: c’est le
cas des syriaques catholiques
présents en Syrie, Irak, Liban
et Turquie, ou encore l’Église
chaldéenne pour l’Irak princi-
palement. Très tôt, les maro-
nites se sont agrégés au soue
de Rome. En ce sens, ils ont
été des précurseurs, cela ne
voulant pas dire qu’ils se sont
fondus avec Rome. Ils ont
gar leur propre rite, leur
propre hiérarchie religieuse et surtout un patriar-
cat indépendant, dont le chef porte encore le
titre prestigieux de «patriarche d’Antioche et
de tout lOrient». Mais union ne veut pas dire
fusion, et encore moins soumission. Cette règle
est aussi valable pour les autres entités catho-
liques d’Orient qui conservent
chacune leurs spécicités.
Les chalens dIrak utilisent
comme langue vernaculaire
le soureth qui est un dialecte
araméen.
À la diérence des églises
orthodoxes, les églises maro-
nites –souvent construites sur
le modèle des églises latines
ne présentent pas de mur, ni
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Dans l’église maronite, la communion est composée de pain azyme, de même aspect que l’hostie latine.
La planète des chrétiens - Hors-série n°19 47
de rideau ou iconostase, de séparation avec le
sanctuaire. De même pour la communion qui
ne se retrouve pas sous la même forme dans les
liturgies orthodoxes est composée de pain
azyme qui a exactement le même aspect que
l’hostie latine.
Les liens avec Rome
Les maronites ont noué avec Rome des liens
particuliers et sont en ce sens une exception par
rapport aux autres Églises d’Orient. Si l’Église
maronite fait remonter sa propre histoire au
VIIesiècle, avec l’apparition des premiers
patriarches, elle fait son entrée dans le giron de
Rome à la n du XIIesiècle (en 1182), voire plus
certainement dans les siècles suivants. En 1584,
le pape GgoireXIII fonde à Rome le Collège
maronite visant à former les séminaristes venus
d’Orient et surtout à développer l’étude des
langues orientales en Europe. C’est le début de
ce que l’on appelle l’«orientalisme». Depuis
cette date, les liens ne cessèrent de se raermir.
Pour les autres Églises de l’Orient catholique,
cela s’est passé diéremment.
Leur histoire se rattache en eet à la signa-
ture, en 1536, du traité des Capitulations par
FrançoisIer et Soliman le Magnique. Outre
des considérations commerciales et poli-
tiques, ce traité conait à la France royale la
protection des chrétiens de l’Empire ottoman.
Cela s’eectuait non sans une certaine idée de
supériorité du christianisme occidental sur les
Églises d’Orient, considérées comme schis-
matiques et arriérées. Le premier patriarche
syriaque catholique fut par exemple consa-
cré à Alep en 1662 avec l’appui de la France,
par l’intermédiaire de son ambassadeur Fran-
çois Picquet. Les missions catholiques latines
se développèrent dans tout l’empire ottoman
pour ramener le troupeau égaré sous l’auto-
rité romaine. Leurs motivations se trouvaient
doublement justiées: améliorer les condi-
tions de vie de ces chrétiens vivant sur les
terres de l’Ancien Testament et développer
parallèlement l’inuence de l’Église de Rome
dans la région. Jusqu’à notre époque, ces
diérences se sont beaucoup atténuées, face à
l’adversité et à la tentation de l’exil.Q
Les voyageurs de la n du XIXesiècle,
qui découvraient pour la première
fois cette région du Sud-Est de la
Turquie, parlaient d’un «mont Athos
de l’Orient» pour décrire ce plateau
calcaire, surmonté d’une quantité
d’églises et de monastères des premiers
siècles du christianisme. En Syriaque
Tur Abdin veut dire:«La montagne
des serviteurs de Dieu.» Il s’agit d’une
province religieuse ancienne toujours
occupée en partie par des moines
et des villageois parlant une forme
d’araméen. Région enclavée dans des
collines à proximité du Tigre et de la
Syrie, elle forme toujours un endroit
à l’écart où se perpétuent la liturgie
et les rituels de l’Église syriaque. Si le
fond religieux s’attache d’une certaine
manière au vieux fond orthodoxe,
préchalcédonien en fait –en référence
au concile de Chalcédoine de 451– il
n’en demeure pas moins une exception
dans le paysage proche oriental.
Ce sont une poignée de moines qui
entretiennent la tradition dans des
édices superbes et méconnus où
tout chrétien peut se retrouver et
admirer la beauté des cérémonies
et de l’hospitalité monastique. Les
missionnaires dominicains ont bien
tenté certaines incursions au départ
de leur centre de Mossoul aux siècles
passés, mais sans réel succès. La
montagne sainte restant un havre pour
la liturgie d’Antioche.
Q LES DERNIERS ARAMÉENS DE TUR ABDIN
LA PLANÈTE DES CATHOLIQUES
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