Les multiples facettes du catholicisme d·Orient

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Les multiples facettes
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Sébastien de Courtois
Au cours de l’histoire, certaines Églises
d’Orient sont entrées dans le giron
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Les Églises orientales ont l’âge du christianisme. Ce dernier naît dans l’Orient ancien.
À cette époque, les traditions sont multiples,
non pas mélangées, mais elles cohabitent et
s’inspirent les unes les autres : juives, égyptiennes ou mésopotamiennes. La Mésopotamie, située en Asie occidentale fut le berceau
de l’humanité qui a essaimé mythes et
rituels. Par exemple, les prélats syriaques sont
toujours enterrés en position assise comme le
voulait la tradition assyrienne pour leurs rois.
Jésus et les apôtres étaient des juifs de Galilée,
et l’Araméen parlé à l’époque – sous sa forme
christo-palestinienne – est une langue d’origine sémitique. Le christianisme a ensuite
SÉBASTIEN DE COURTOIS
Doctorant en anthropologie historique, il anime
l’émission Foi et Traditions sur France Culture.
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franchi les mers, les montagnes, remonté les
fleuves en se confrontant à la pensée grecque
pour s’établir dans l’ordre romain des cités.
De l’Anatolie à la Chine
En Europe, il est devenu le symbole de son
hégémonie culturelle et spirituelle. Si nous
connaissons bien le parcours de Paul par le
témoignage de Luc dans les Actes des Apôtres,
depuis la Terre sainte jusqu’à Rome, les itinéraires
d’une foule de moines et de saints orientaux
nous sont moins familiers. Les Églises d’Orient
se sont mises en place le long des anciennes
routes commerciales, comme la route de la soie
par exemple, au travers de l’Anatolie, du désert
arabique, et en Asie centrale, chemin emprunté
par une poignée de moines iraniens de culture
syriaque vers la Chine, au milieu du VIIe siècle,
pour traduire les Évangiles en chinois.
« Chrétien d’Orient » est une appellation décernée à un ensemble de communautés ethniques et religieuses différentes. On
peut être chrétien d’Orient arménien, égyptien (copte), syriaque (Irak, Turquie, Syrie,
Liban), éthiopien. Il y a un rameau historique, dit « orthodoxe », auquel il faut souvent
ajouter une branche catholique, voire protestante. Néanmoins face à la réduction continue
du nombre des chrétiens en Orient, ces différences de « chapelles » tendent à s’effacer dans
La planète des chrétiens - Hors-série n°19
LEEMAGE
LA PLANÈTE DES CATHOLIQUES
Lors de la prise de Jérusalem par les Croisés en 1099, les chrétiens étaient déjà implantés en Orient.
un contexte de solidarité et d’unité face aux
seul parmi les rites orientaux qui ne soit suivi
persécutions. Il faudrait rappeler aussi que si
que par des catholiques. Il n’existe pas d’Église
les Croisades ont peut-être eu une influence
maronite « orthodoxe », bien que d’une certaine
sur la latinisation – ou « catholicisation » – de
manière elle le soit aussi, en étant fidèle à la
cet Orient chrétien, du moins en ses marges,
tradition. De plus l’Église Maronite est perçue
elles n’ont été en aucun cas un élément fondacomme une institution nationale. La visite
teur comme on le pense souvent. Il s’agit d’une
effectuée par le pape Benoît XVI, à Beyrouth,
idée reçue dangereuse utilisée par les fondaen septembre dernier, est à ce titre-là . D’ailleurs
mentalistes. Lorsque les Croisés prennent
cette identité n’est pas exclusive, puisqu’aussi
Jérusalem en 1099, les chrétiens d’Orient sont
beaucoup de musulmans du Liban perçoivent
déjà présents sur place et installés avec leurs
cet enracinement maronite comme une forme
propres églises et monasde bien commun malgré les
tères depuis plusieurs siècles,
troubles du passé. Preuve en
qu’ils soient de rite syriaque,
est l’accueil non mitigé qui a
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byzantin ou arménien.
été réservé à sa Sainteté, tant
L’Église orientale qui par HVWOHVHXOSDUPLOHV par le Hezbollah que nombre
essence symbolise le catholiULWHVRULHQWDX[TXL de parlementaires et intelleccisme au Levant est celle des
tuels sunnites.
maronites, les chrétiens du QHVRLWVXLYLTXHSDU
Aujourd’hui à la place du
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Liban. Le rite maronite est le
syriaque des origines, les maroLa planète des chrétiens - Hors-série n°19
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7+,36*/,.6+65.
Dans l’église maronite, la communion est composée de pain azyme, de même aspect que l’hostie latine.
nites utilisent l’arabe comme langue liturpropre hiérarchie religieuse et surtout un patriargique. Ils se sont « romanisés » avec le temps,
cat indépendant, dont le chef porte encore le
notamment dans le déroulé de la messe, introtitre prestigieux de « patriarche d’Antioche et
duisant des canons inspirés de la messe latine.
de tout l’Orient ». Mais union ne veut pas dire
Une pratique que d’autres Églises orientales
fusion, et encore moins soumission. Cette règle
de rite catholique suivent elles aussi : c’est le
est aussi valable pour les autres entités cathocas des syriaques catholiques
liques d’Orient qui conservent
présents en Syrie, Irak, Liban
chacune leurs spécificités.
et Turquie, ou encore l’Église
Les chaldéens d’Irak utilisent
chaldéenne pour l’Irak princicomme langue vernaculaire
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palement. Très tôt, les marole soureth qui est un dialecte
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nites se sont agrégés au souffle
araméen.
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de Rome. En ce sens, ils ont
À la différence des églises
G·2ULHQWFRQVHUYHQW orthodoxes, les églises maroété des précurseurs, cela ne
voulant pas dire qu’ils se sont
nites – souvent construites sur
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fondus avec Rome. Ils ont
le modèle des églises latines –
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gardé leur propre rite, leur
ne présentent pas de mur, ni
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La planète des chrétiens - Hors-série n°19
LA PLANÈTE DES CATHOLIQUES
Q LES DERNIERS ARAMÉENS DE TUR ABDIN
Les voyageurs de la fin du XIXe siècle,
qui découvraient pour la première
fois cette région du Sud-Est de la
Turquie, parlaient d’un « mont Athos
de l’Orient » pour décrire ce plateau
calcaire, surmonté d’une quantité
d’églises et de monastères des premiers
siècles du christianisme. En Syriaque
Tur Abdin veut dire : « La montagne
des serviteurs de Dieu. » Il s’agit d’une
province religieuse ancienne toujours
occupée en partie par des moines
et des villageois parlant une forme
d’araméen. Région enclavée dans des
collines à proximité du Tigre et de la
Syrie, elle forme toujours un endroit
à l’écart où se perpétuent la liturgie
et les rituels de l’Église syriaque. Si le
fond religieux s’attache d’une certaine
manière au vieux fond orthodoxe,
préchalcédonien en fait – en référence
au concile de Chalcédoine de 451 – il
n’en demeure pas moins une exception
dans le paysage proche oriental.
Ce sont une poignée de moines qui
entretiennent la tradition dans des
édifices superbes et méconnus où
tout chrétien peut se retrouver et
admirer la beauté des cérémonies
et de l’hospitalité monastique. Les
missionnaires dominicains ont bien
tenté certaines incursions au départ
de leur centre de Mossoul aux siècles
passés, mais sans réel succès. La
montagne sainte restant un havre pour
la liturgie d’Antioche.
de rideau ou iconostase, de séparation avec le
sanctuaire. De même pour la communion – qui
ne se retrouve pas sous la même forme dans les
liturgies orthodoxes – est composée de pain
azyme qui a exactement le même aspect que
l’hostie latine.
Les liens avec Rome
Les maronites ont noué avec Rome des liens
particuliers et sont en ce sens une exception par
rapport aux autres Églises d’Orient. Si l’Église
maronite fait remonter sa propre histoire au
VIIe siècle, avec l’apparition des premiers
patriarches, elle fait son entrée dans le giron de
Rome à la fin du XIIe siècle (en 1182), voire plus
certainement dans les siècles suivants. En 1584,
le pape Grégoire XIII fonde à Rome le Collège
maronite visant à former les séminaristes venus
d’Orient et surtout à développer l’étude des
langues orientales en Europe. C’est le début de
ce que l’on appelle l’« orientalisme ». Depuis
cette date, les liens ne cessèrent de se raffermir.
Pour les autres Églises de l’Orient catholique,
cela s’est passé différemment.
La planète des chrétiens - Hors-série n°19
Leur histoire se rattache en effet à la signature, en 1536, du traité des Capitulations par
François Ier et Soliman le Magnifique. Outre
des considérations commerciales et politiques, ce traité confiait à la France royale la
protection des chrétiens de l’Empire ottoman.
Cela s’effectuait non sans une certaine idée de
supériorité du christianisme occidental sur les
Églises d’Orient, considérées comme schismatiques et arriérées. Le premier patriarche
syriaque catholique fut par exemple consacré à Alep en 1662 avec l’appui de la France,
par l’intermédiaire de son ambassadeur François Picquet. Les missions catholiques latines
se développèrent dans tout l’empire ottoman
pour ramener le troupeau égaré sous l’autorité romaine. Leurs motivations se trouvaient
doublement justifiées : améliorer les conditions de vie de ces chrétiens vivant sur les
terres de l’Ancien Testament et développer
parallèlement l’influence de l’Église de Rome
dans la région. Jusqu’à notre époque, ces
différences se sont beaucoup atténuées, face à
l’adversité et à la tentation de l’exil. Q
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